Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 88, A MESSIRE NICOLAS

Lettre n. 89, AU PREVOT DE CASOLE ET A JACQUES DE MANZI

LXXXIX (43). - AU PREVOT DE CASOLE ET A JACQUES DE MANZI, du même lieu. - Des malheurs que cause la haine du prochain, et comment nous devons les éviter.

(La terre de Casole est à seize milles de Sienne. Le prévôt en avait le gouvernement spirituel.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mes très chers Pères et Frères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir suivre l'Agneau immolé pour nous sur le bois de la très sainte Croix. Il a été notre paix et notre médiateur entre Dieu et l'homme; il a changé une guerre terrible en une paix profonde; il n'a pas écouté nos [603] iniquités, mais il a écouté son ineffable bonté. Vous êtes des membres et des esclaves rachetés au prix de son précieux et glorieux sang; vous devez donc suivre ses traces. Vous voyez bien que cette douce Vérité suprême s'est faite notre règle et notre voie, puisqu'elle a dit: " Ego sum via, veritas et vita. Je suis la voie, la vérité, la vie. " Elle est la voie, où on trouve tant de douceur et de lumières, que celui qui la suit ne tombe pas dans les ténèbres; et nous, ignorants et misérables, nous nous éloignons toujours de la voie de la lumière, et nous allons par la voie des ténèbres, où se trouve la mort éternelle. Oui, mes très chers Pères et Frères, je ne veux plus qu'il en soit ainsi; mais je veux que vous suiviez la voie de l'Agneau immolé avec tant d'amour, l'Agneau qui s'est fait le médiateur de la paix entre Dieu et l'homme. C'est la voie que je désire vous voir suivre, pour que vous soyez vous-mêmes les médiateurs entre vous et Dieu, c'est-à-dire entre les sens et la raison, chassant la haine par la haine et l'amour par l'amour. Il faut avoir la haine, l'horreur du péché mortel et de l'offense faite à notre Créateur; il faut détester la partie sensitive, la loi mauvaise qui veut toujours se révolter contre Dieu, et haïr la haine que vous avez contre votre prochain.

2. La haine du prochain est une offense contre Dieu, et nous devons haïr cette haine, parce qu'elle offense la Vérité, qui nous défend de haïr les ennemis qui nous font injure. Cette haine est contre nous; car celui qui reste dans une haine mortelle se hait plus que son ennemi. Vous savez que la haine est proportionnée à la grandeur de l'offense, et la haine [604] est plus grande contre celui qui vous attaque directement que contre celui qui vous attaque seulement par parole ou dans vos biens; car rien ne nous est plus cher que la vie. Plus l'homme est blessé dans sa personne, plus il conçoit de haine. Pensez donc qu'il n'y a pas de comparaison entre le mal qu'on a pu vous faire et celui que vous vous faites à vous-même. Quelle comparaison y a-t-il entre le fini et l'infini? Aucune. Eh bien, si je suis blessée dans mon corps, et si je hais pour l'offense qui m'a été faite, il s'ensuit que je blesse mon âme, et que je la tue en lui ôtant la vie de la grâce, et en lui donnant la mort éternelle, si je meurs en état de haine comme je puis le craindre. Je dois donc avoir une plus grande haine contre moi, puisque je tue mon âme, qui est infinie. Quant à son être, qui n'aura pas de fin, elle meurt à la grâce, mais elle ne meurt pas à l'existence. Quelle différence avec celui qui tue le corps! Le corps est une chose finie; il doit finir d'une manière ou d'une autre. C'est une chose corruptible, et qui passe comme l'herbe des champs; sa vie et sa valeur viennent uniquement du trésor de l'âme qu'il renferme. Quand cette pierre précieuse lui est enlevée, ce n'est plus qu'un amas de corruption et de mort dont se nourrissent les vers. Je ne veux donc plus que, pour une offense faite contre ce corps si pauvre et si méprisable, vous offensiez Dieu et votre âme, qui est infinie, en restant dans la haine et le désir de la vengeance. Vous avez bien plus sujet de vous haïr que de haïr les autres, et ainsi vous chasserez la haine avec la haine. Avec la haine de vous-mêmes vous chasserez la haine du prochain. D'un seul coup vous satisferez [605] Dieu et le prochain, parce qu'en ôtant la haine de votre âme, vous ferez votre paix avec, Dieu et votre paix avec le prochain.

3. Vous voyez qu'ainsi, mes Frères bien-aimés, vous suivrez l'Agneau, la voie et la règle qui vous conduit au port du salut. Cet Agneau a été le moyen de satisfaire sur la Croix à l'injure du Père, et de nous donner la vie de la grâce. C'est lui seul qui a changé une guerre terrible en une grande paix. Ce doux Agneau est venu avec la haine de la faute commise par l'homme, et de l'injure faite à Dieu par cette offense. Il a pris cette offense, et il l'a vengée sur lui-même, quoiqu'il n'eût jamais contracté la souillure du pêché. Tout a été fait par la haine et par l'amour, par l'amour de la vertu et par la haine du péché mortel. Je vous dirai la règle que vous devez suivre. Vous savez que de nombreux péchés mortels nous ont mis dans la haine et la disgrâce de Dieu. Nous sommes en guerre avec lui; mais parce que l'Agneau divin nous a donné son sang, nous pouvons faire la paix; lors même que nous nous révolterions tous les jours, tous les jours nous pourrions faire la paix. Mais par quel moyen? car sans moyen nous ne pourrions réussir. Le moyen est de participer au sang de Jésus crucifié; c'est d'avoir de la haine et de l'amour, en contemplant les affronts, les peines, la honte, la flagellation et la mort de Jésus crucifié, en pensant que nous sommes ceux qui l'ont tué, et le tuent tous les jours en péchant mortellement; car il n'est pas mort pour ses fautes, mais pour les nôtres. Alors l'âme conservera cette haine parfaite de sa faute, comme nous l'avons dit, et cette haine détruira [606] le poison du péché mortel; elle ne voudra plus se venger du prochain, elle l'aimera au contraire comme elle-même, et cherchera tous les moyens de punir ses fautes. Pour l'injure qui lui est faite par la créature, elle ne s'y arrêtera pas, parce qu'elle vient de la créature; mais elle pensera que le Créateur permet cette injure, ou pour ses péchés présents ou pour ses péchés passés. Alors elle ne la considérera pas comme une injure, mais elle pensera avec raison que Dieu l'a permise par un effet de sa miséricorde infinie, parce qu'il veut punir les fautes dans le temps, au lieu de les punir dans l'éternité, où toute peine est sans repentir.

4. Oui, c'est le moyen. Pensez qu'il n'y a pas d'autre voie; toute autre voie en dehors de celle-là conduit à la mort. Dans cette voie du Christ, le doux Jésus, on ne peut trouver la mort, car il l'a détruite; ni la faim, car il est une nourriture parfaite, puisqu'il est Dieu et homme. Cette voie est sûre, car on n'a pas à y craindre les ennemis, le démon et les hommes. Ceux qui la suivent sont courageux, et disent avec l'ardent saint Paul: " Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? " Vous savez bien que si vous n'êtes pas contre vous-mêmes en restant dans les misères du péché mortel, Dieu ne sera jamais contre vous, mais qu'il vous traitera toujours avec, miséricorde et avec bonté. Ainsi donc, pour l'amour de Jésus crucifié, ne quittez plus la voie, ne fuyez plus la règle qui vous est donnée par votre Chef crucifié, par le doux Jésus; mais marchez avec courage, et n'attendez pas le temps, car le temps ne vous attend pas. Nous sommes mortels, nous devons [607] tous mourir; mais nous ne savons pas quand. Il est vrai que sans guide vous ne pourrez avancer. Que votre guide soit la haine et l'amour, comme je vous l'ai dit. C'est avec la haine et l'amour que Notre-Seigneur a racheté et puni nos iniquités sur lui-même. Courage donc; ne dormez plus dans le lit de la mort, mais chassez la haine avec la haine, l'amour avec l'amour. Car avec l'amour de Dieu, que vous êtes obligés d'aimer par devoir et par commandement, avec l'amour du salut de votre âme, qui est en état de damnation quand elle hait son prochain, vous chasserez l'amour sensuel, qui cause la douleur, la mort et la tribulation de celui qui l'écoute, et qui éprouve dès cette vie un avant-goût de l'enfer.

5. N'est-ce pas être dans l'aveuglement et les ténèbres que de pouvoir goûter, dès cette vie, la vie éternelle en s'unissant intimement à Dieu par l'amour, et de vouloir se rendre digne de l'enfer en se liant avec le démon par la haine et la vengeance! Nulle créature ne peut comprendre cette folie, et aucun châtiment ne peut assez la punir. Il semble qu'ils ne veulent pas attendre la sentence du souverain Juge, qui les condamnera à la société des démons, puisqu'ils s'y condamnent eux-mêmes. Ils la choisissent avant que l'âme soit séparée du corps, pendant qu'ils sont voyageurs et pèlerins, et qu'ils voient leur vie se précipiter comme le vent vers la mort; ils ne s'en inquiètent pas, et se conduisent comme des fous, des insensés. Hélas! hélas! ouvrez l'oeil de l'intelligence, et ne vous exposez pas aux rigueurs et au pouvoir du souverain Juge. Les jugements des hommes ne ressemblent pas au jugement de Dieu. Devant son [608] tribunal, on ne peut en appeler et avoir des avocats et des procureurs. Le grand Juge donne pour avocat la conscience, qui, dans cette extrémité, se condamne elle-même et se juge digne de mort. Jugeons-nous dès cette vie, pour l'amour de Jésus crucifié; jugeons-nous pécheurs, et confessons que nous avons offensé Dieu. Demandons-lui miséricorde, et il nous la fera, si nous ne voulons pas condamner les autres et nous venger du prochain; car la miséricorde que nous voulons pour nous, nous devons l'accorder aux autres. En le faisant, vous goûterez Dieu véritablement; vous suivrez la voie sûre, vous serez de vrais médiateurs entre Dieu et vous, et vous recevrez enfin l'éternelle vision de Dieu.

6. En pensant à ces choses, j'ai eu compassion de vos âmes, et j'ai voulu ne plus vous voir dans des ténèbres si profondes. Je me suis sentie poussée à vous inviter à ces douces et glorieuses noces; car vous n'avez pas été créés pour une autre fin. il me semble que la voie de la vérité est fermée en vous par la haine que vous avez, tandis que la voie du mensonge et du démon, père du mensonge, est bien ouverte et bien large en vous. Je veux que vous sortiez tout à fait de cette voie ténébreuse en faisant votre paix avec Dieu et avec votre prochain, et que vous reveniez dans la voie qui donne la vie. Je vous en conjure de la part de Jésus crucifié, ne me refusez pas cette grâce. Je ne veux pas vous fatiguer davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [609].








Lettre n. 90, A BERENGER DES ARZOCCHI

XC (44). - A BERENGER DES ARZOCCHI, curé d'Asciano. - Des devoirs d'un bon ministre, et du bonheur qu'éprouvent à la mort les vrais serviteurs de Jésus-Christ.

(Asciano est à douze milles de Sienne, et appartient au diocèse d'Arezzo.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très révérend et très cher Père dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je me recommande à vous dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir son vrai ministre, qui suive toujours ses traces. Soyez, soyez cette fleur odoriférante que vous devez être, et répandez vos parfums en la douce présence de Dieu. Vous savez bien qu'une fleur qui reste longtemps dans l'eau ne donne plus d'odeur et se corrompt. Il me semble bien, mon Père, que vous et les autres ministres, vous devez être des fleurs. Mais si cette fleur est mise dans l'eau des iniquités et des péchés honteux, elle ne donne plus de parfum, et elle sent mauvais. Oh! combien est malheureux et misérable celui-là qui avait été placé comme une fleur dans le jardin de la sainte Église, et qui doit rendre compte de ceux qui lui sont confiés! Vous savez quelle pureté Dieu leur demande. Hélas! hélas mon vénérable Père, c'est tout le contraire: non seulement ils sont corrompus, mais ils corrompent tous ceux qui [610] s'en approchent. Réveillez-vous donc, et ne dormez plus; depuis trop longtemps nous dormons, et nous sommes morts à la grâce. Le temps presse, car la sentence est rendue, et nous sommes condamnés à mort.

2. O mon doux Père, considérez un peu le triste état et les dangers terribles où nous sommes dans cette mer affreuse du péché mortel. Ne croyons-nous pas arriver enfin à l'heure de la mort? Nous savons bien que ni les créatures, ni les richesses, ni la noblesse ne pourront nous en exempter. Oh! alors, combien sera misérable cette âme qui aura recherché les plaisirs de la chair, et s'y sera vautrée comme le pourceau dans la fange! De créature raisonnable, elle devient un animal immonde, se plongeant encore tellement dans une honteuse avarice, qu'elle vendra, par cupidité, les grâces spirituelles. L'orgueil l'étouffe, et toute sa vie elle dépense en honneurs, en festins, en serviteurs, en beaux équipages, ce qu'il fallait donner aux pauvres. Ce sont ces oeuvres qui, au moment de la mort, se présentent pour juger cette pauvre âme; cette âme malheureuse croyait avoir péché contre Dieu, et elle a péché contre elle-même; elle est son propre juge, et elle se reconnaît digne de la mort éternelle. Ne nous laissons plus abuser de la sorte; car c'est une grande folie à l'homme de se rendre digne de mort lorsqu'il peut, au contraire, mériter la vie.

3. Puisqu'il dépend de nous de choisir entre la vie et la mort par le libre arbitre que Dieu nous a donné, je vous prie avec toute l'affection possible d'être une douce fleur qui répande des parfums en présence de [611] Dieu et de vos fidèles, et de donner, s'il le faut, comme un vrai pasteur, votre vie pour vos brebis, reprenant les vices et confirmant les bons dans la vertu. Ne pas corriger, corrompt comme le fait un membre gâté, qui gâte tout le corps de l'homme. Veillez donc toujours sur vous et sur les vôtres; qu'il ne vous semble pas dur d'arracher quelques sauvageons, car le fruit vous sera beaucoup plus doux que la peine ne sera amère. O très cher Père! considérez l'amour ineffable de Dieu pour notre salut; ouvrez les yeux et voyez ses dons, ses bienfaits inestimables. Peut-on aimer plus que de donner sa vie pour son ami? Combien plus étonnant celui qui donne sa vie pour ses ennemis! Que nos coeurs ne résistent plus, que leur dureté s'amollisse, et qu'ils ne soient pas toujours comme des rochers. Rompez ce lien, cette chaîne avec laquelle le démon vous tient captif si longtemps. C'est la force du saint désir, la haine du vice et l'amour de la vertu qui rompront ces entraves. Passionnez-vous donc pour les solides vertus, qui font le contraire des vices; car si le péché cause l'amertume, la vertu donne la douceur, et fait goûter dès cette vie la vie éternelle.

4. Oh! quand viendra le doux moment de la mort, la vertu agira; elle répondra pour l'homme, elle le défendra devant la justice de Dieu, elle le rassurera, le préservera de toute confusion et le conduira dans cette vie durable où la vie est sans mort, la santé sans infirmité, la richesse sans pauvreté, l'honneur sans honte, la grandeur sans servitude, car là tous sont seigneurs; et plus l'homme se sera fait petit dans cette vie, plus il sera grand dans l'autre; et [612] plus il aura voulu être grand dans cette vie, plus il sera petit dans l'autre.

5. Soyez donc petit par une sincère et profonde humilité. Voyez Dieu, qui s'est humilié jusqu'à votre humanité, et ne vous rendez pas indigne de ce dont il vous a fait digne, c'est-à-dire du précieux sang de son Fils, qui vous a racheté avec un si ardent amour. Nous sommes des esclaves rachetés; nous ne pouvons plus nous vendre, et quand nous sommes dans le péché mortel, nous sommes des aveugles qui nous vendons au démon. Je vous en conjure par l'amour de Jésus crucifié, sortons d'un si grand esclavage. Je termine, et j'ajouterai seulement que mes fautes sont innombrables; je vous promets de les prendre avec les vôtres et d'eu faire un bouquet de myrrhe que je placerai sur mon coeur par un regret amer. Ce regret amer, fondé sur la vraie charité, nous fait parvenir a la vraie douceur et au bonheur de la vie éternelle. Pardonnez à ma présomption et à mon orgueil; saluez et bénissez pour moi toute la famille dans le Christ Jésus; je le prie qu'il vous donne sa douce et éternelle bénédiction, et que sa force soit assez grande pour rompre les liens qui vous éloignent de lui. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour[613].








Lettre n. 91, A MESSIRE NICOLAS DE VEZZANO

XCI (45). - A MESSIRE NICOLAS DE VEZZANO, chanoine de Bologne.- Cette lettre a été dictée en extase.- De la persévérance dans la vertu. - On l'acquiert par rameur désintéressé envers Dieu et par la haine de la sensualité.

(La famille des Vezzani était une des cinquante familles sénatoriales de Bologne.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.




1. Mon très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constant et persévérant dans la vertu. Dieu vous en a donné le désir dans son infinie miséricorde; mais je ne crois pas qu'une personne puisse arriver à la perfection de la vertu par la persévérance, si elle n'a pas un amour pur et généreux, si elle n'est détachée d'elle-même, ne voulant pas servir Dieu à son moment et à sa manière, mais toujours et de tout son coeur, de toute son âme, de toutes ses forces, sans songer à son bien-être. La sensualité est digne de haine et non d'amour, car elle résiste et se révolte sans cesse contre son Créateur, c'est elle que nous devons toujours détester en nous et combattre, en lui donnant le contraire de ce qu'elle nous demande. Mais dirons-nous: comment parvenir à cet amour et à cette haine, si je ne puis par une autre voie arriver à la vertu, et persévérer dans le bien commencé [614]? Je répondrai que c'est par la lumière que nous arriverons à l'amour et à la haine, parce que la chose qu'on ne voit pas ne peut être connue ni en mal ni en bien; et ne la connaissant pas, on ne peut ni la détester ni l'aimer: la lumière' de l'intelligence est donc nécessaire; il faut que l'intelligence soit éclairée de la lumière de la très sainte Foi.

2. Nous avons l'oeil de l'intelligence, qui est une des puissances de l'âme, et nous recevons l'empreinte de la Foi dans le saint baptême. Si cette lumière venue à l'âge de raison, n'est pas développée par la vertu, si elle est obscurcie par l'amour-propre et les plaisirs du monde, nous ne pouvons voir; mais dès que le nuage est enlevé, l'oeil voit, si la volonté libre veut ouvrir cet oeil et prendre pour objet Jésus crucifié, et le pur et parfait amour qu'il a pour nous. Notre-Seigneur ne nous aime pas par intérêt, car nous ne pouvons rien faire qui puisse lui être utile; il n'a pas besoin de nous, et il agit uniquement pour notre bien, afin que nous soyons sanctifiés en lui. Je dis qu'en le voyant si dévoué, l'âme se dévoue aussi à lui dans son amour et sa volonté, et du même amour qu'elle trouve dans le doux et tendre Verbe, elle aime son prochain; elle l'aime purement, travaillant avec zèle à son salut et l'assistant de tout son pouvoir, par tous les moyens que Dieu lui a donnés. Elle l'aime et le sert avec cette perfection qu'elle puise dans la connaissance de la divine charité, parce que l'amour du prochain vient de l'amour de Dieu; comme elle aime Dieu, elle aime le prochain; elle s'applique à le servir parce qu'elle connaît la vérité de Dieu, et qu'elle voit l'amour ineffable qu'il a manifesté par le sang de son [615] Fils; et parce qu'elle voit que Dieu ne cesse jamais d'être bon envers elle et envers les autres créatures, et qu'il les comble toujours de bienfaits, il lui semble qu'on ne peut jamais cesser d'aimer son Créateur, tant qu'on reste dans cette connaissance. La loi de l'amour est d'aimer quand on se voit aimé: l'amour n'est jamais oisif, il fait toujours de grandes choses

3. Aussi l'âme se fortifie et persévère. Plus elle connaît la bonté de Dieu, plus elle connaît parfaitement sa misère; car toute chose se connaît mieux par son contraire. Elle voit son néant à la lumière de la très sainte Foi; elle a reçu de Dieu l'être et toutes les grâces qui y ont été ajoutées; sans l'être, nous ne serions capables de recevoir aucune grâce. L'âme a été régénérée à la grâce dans le sang de son Fils unique: elle voit qu'après tant de bienfaits, elle est toujours rebelle à Dieu. C'est ce qui lui inspire une sainte haine. Elle déteste en elle cette loi mauvaise qui combat contre l'esprit. Pensez qu'elle ne doit pas la détester seulement quand elle se sent assiégée par les combats et les tentations de la chair, de la négligence et de la paresse, mais elle doit la détester toujours. Cette haine doit être de tous les instants; elle peut toutefois plus augmenter à un moment qu'a un autre, selon les tentations et les dispositions où elle se trouve.

4. Si l'âme sent s'affaiblir l'ardeur des sens qui s'apaisent, elle ne doit pas renoncer à sa haine; mais dans le temps de la paix, qu'elle veille toujours bien, car elle ne peut compter que sur les ressources d'une humilité sincère et profonde. Il vaut mieux attaquer [616] la sensualité par la haine et l'humilité que d'être attaqué par elle; si on ne le fait pas, la passion, qui semblait dormir, se réveille; jamais elle n'est plus à craindre que quand elle paraît morte. Tant que nous vivons elle ne meurt pas; mais elle s'endort plus profondément ou plus légèrement, selon la haine qu'on en a, et selon l'amour de la vertu. La haine la corrige, et l'amour l'endort. D'où vient cela? De la lumière. Si l'âme n'avait pas vu et connu sa fragilité, elle ne la poursuivrait pas de sa haine; mais, parce qu'elle connaît sa force, elle la hait et s'efforce de la combattre sans cesse. Comme elle voit qu'elle ne cesse de l'attaquer, elle ne veut pas et ne doit pas non plus cesser la guerre et faire la paix.

5. C'est là le principe et le fondement solide de toute vertu dans l'homme; c'est ce qui rend parfaites toutes ses oeuvres spirituelles ou temporelles lorsque la volonté les fait sans s'y attacher, et pas autrement. Il est fidèle, persévérant, et il ne se laisse pas aller à tout vent; mais il est toujours ferme, et ne fait aucune différence entre la main gauche et la main droite, c'est-à-dire entre la tribulation et la consolation. S'il est séculier il remplit bien sa condition; s'il est prélat, il se montre bon et vrai pasteur; s'il est clerc, il devient une fleur odorante dans la sainte Église, il répand le parfum des vertus, il rend honneur et gloire à Dieu, et sert le prochain, en lui donnant le fruit de ses humbles et continuelles prières, en lui communiquant généreusement les grâces que Dieu. lui a confiées. Ses biens temporels, qu'il doit au sang de Jésus crucifié, il ne les dépense pas d'une manière coupable et par vanité, ou avec ses parents, s'ils ne [617] sont pas dans la misère, ce qui est le seul cas permis; maïs il donne consciencieusement ce qu'il doit aux pauvres, au bien de l'Église et à ses propres besoins; s'il faisait autrement, il commettrait une grande faute. Il ne se scandalise pas et ne fait jamais la guerre à son prochain; il attaque ses vices, mais non sa personne; il l'aime au contraire comme lui-même et travaille à son salut avec zèle. Comme il fait la guerre contre lui-même et contre ses sens, il ne la fait point contre Dieu et son prochain. Car toute offense contre Dieu et le prochain vient de ce qu'on ne se hait pas, mais qu'on s'aime d'un amour sensuel, qui empêche de persévérer dans le bien qu'on entreprend.

6. La persévérance vient de la haine et de l'amour, comme je l'ai dit, et l'amour s'acquiert par la lumière de la très sainte Foi. Elle est la pupille de l'oeil de l'intelligence qui s'exerce librement, et qui veut sincèrement reconnaître la bonté de Dieu à son égard, les grâces qui viennent du Créateur, et les fautes qui viennent des sens. C'est la seule voie; aussi je vous ai dit que je désirais vous voir fidèle et persévérant dans la vertu, et je suis persuadée qu'il n'y a pas d'autre moyen que celui que je vous indique. Aussi je vous conjure, pour l'amour de Jésus crucifié, de profiter du temps que nous avons pour veiller et pour connaître, pour connaître avec fruit et mérite. Passé ce temps, vous savez qu'il n'en est plus de même. Ne restez donc pas à dormir, mais veillez continuellement, non seulement de corps, mais d'esprit, afin de prier sans cesse par d'ardents désirs et par l'amour de l'âme envers son Créateur, toujours priant pour [618] l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et noyez-y toute jouissance, toute complaisance humaine. Que toute volonté propre meure en vous, afin de courir dans la voie de la vérité. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.







Lettre n. 92, A DOM ROBERT DE NAPLES

XCII (46).- A DOM ROBERT DE NAPLES. - De l'amour de Dieu à notre égard dans l'Incarnation et la Passion de Jésus-Christ. - Il faut désirer l'honneur de Dieu à l'exemple de la Vierge Marie.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon cher et révérend Père, par respect pour le très doux Sacrement, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et je me recommande à vous dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir uni et transformé dans le feu de la divine charité, ce feu qui a uni Dieu à l'homme, et l'a tenu attaché et cloué sur la Croix. O ineffable et très douce Charité! combien est douce l'union que vous avez contractée avec l'homme! Vous nous avez montré votre ineffable amour par les grâces et les bienfaits sans nombre que vous avez accordés à vos créatures, surtout par le bienfait de l'incarnation de votre Fils, puisque nous avons vu la souveraine Grandeur descendre à la bassesse de notre humanité. L'orgueil de l'homme ne devrait-il pas rougir de voir Dieu si abaissé dans le sein de la glorieuse [619] Vierge Marie, qui a été le doux champ où fut semée la semence de la parole incarnée du Fils de Dieu! Vraiment, mon très cher Père, dans ce doux et béni champ de Marie, le Verbe, uni à sa chair, a fait comme le grain qui germe à la chaleur du soleil, montre sa fleur et son fruit, et laisse son enveloppe à la terre. Il a fait vraiment la même chose par la chaleur et le feu de la divine charité que Dieu a eue pour le genre humain, lorsqu'il a jeté la semence de sa parole dans le champ de Marie. O bienheureuse et douce Marie! Vous nous avez donné la fleur du doux Jésus. Et quand cette fleur a-t-elle donné son fruit? quand elle s'est ouverte sur le bois de la très sainte Croix, parce qu'alors nous avons reçu la vie parfaite. Pourquoi disons-nous que l'enveloppe fut laissée à la terre? Quelle fut cette enveloppe? ce fut la volonté du Fils unique de Dieu, qui, en tant qu'homme, était revêtu du désir de l'honneur de son Père et de notre salut; et ce désir fut si grand, qu'il courut, dans son ardeur, a travers les peines, la honte et l'outrage, jusqu'à la. mort ignominieuse de la Croix.

2. Considérons, mon vénérable Père, que le même désir fut en Marie, car elle ne pouvait désirer autre chose que l'honneur de Dieu et le salut des créatures. Les docteurs disent, pour faire comprendre la charité sans bornes de Marie, qu'elle aurait servi d'échelle pour mettre son Fils sur la Croix; et il en était ainsi parce que la volonté du Fils était demeurée en elle. N'oubliez pas, mon Père, et pensez toujours dans votre coeur, dans votre mémoire, dans votre âme, que vous avez été offert et donné a Marie; priez-la qu'elle vous présente et vous donne à son doux fils Jésus, et [620] cette douce Mère, cette tendre Mère de miséricorde vous présentera. Ne soyez pas ingrat et oublieux, car elle ne rejette point la prière qui lui est faite, mais elle l'accueille avec bonté. Soyez donc fidèle, sans vous laisser surprendre par les illusions du démon et les paroles des créatures, mais courez généreusement avec ce désir de Marie, qui vous fera toujours chercher l'honneur de Dieu et le salut des âmes.

3. Je vous conjure de vous appliquer autant que possible à la garde de votre âme et de votre corps, afin que vous puissiez, par l'amour et le saint désir, vous nourrir des âmes et les enfanter en la présence de Dieu. Et quand vous êtes appelé à recevoir des confessions, ne commettez aucune négligence, mais appliquez-vous avec un zèle parfait à retirer les âmes des mains du démon. Ce sera le signe véritable que nous sommes de vrais fils, puisque nous suivrons ainsi les traces du Père. Mais sachez que nous ne pouvons parvenir à ce grand et immense désir que par le moyen de la très sainte Croix, c'est-à-dire par l'amour ardent et crucifié du Fils de Dieu. C'est une mer pacifique qui donne à boire à tous ceux qui ont soif et désir de Dieu, et qui donne la paix à tous ceux qui sont an guerre et qui veulent faire la paix avec lui. Cette mer a une chaleur qui réchauffe les coeurs froids, et elle les réchauffe tellement, qu'ils perdent toute crainte servile, et qu'ils n'ont plus qu'une charité parfaite et une sainte crainte d'offenser le Créateur; ils ne. redoutent pas autre chose. Je ne veux pas que vous craigniez les attaques et les combats des démons qui viendront pour piller et détruire la cité de votre âme. Ne les craignez pas; mais, comme un [621] chevalier sur le champ de bataille, combattez avec les armes et le glaive de la divine charité, car c'est là le moyen de châtier le démon.

4. Sachez aussi que, pour ne pas perdre les armes avec lesquelles on doit se défendre, il faut les tenir cachées dans notre âme par une vraie connaisse de nous-mêmes; parce que, quand l'âme connaît qu'elle n'est rien par elle-même, et qu'elle commet toujours le péché, qui est un néant, elle s'humilie devant Dieu et devant toute créature pour Dieu. Elle connaît que toute grâce et tout bien viennent de lui; et elle voit la bonté de Dieu, si généreuse à son égard que, par amour pour lui et par haine pour elle-même, elle voudrait satisfaire à sa justice. Non seulement elle veut se punir, mais elle désire sans cesse que toutes les créatures et les animaux même la punissent. Il n'y a pas de créature qu'elle ne juge meilleure qu'elle; et cette disposition fait naître un tel parfum de patience, qu'il n'y a pas de fardeau et d'amertume qu'elle ne puisse supporter avec courage, par amour et par justice. Elle ne se voit pas, comme celui qui se perd dans l'amour-propre, et elle ne fait pas attention aux peines et aux injures qui lui sont faites; mais elle considère seulement l'honneur de Dieu et le salut des créatures. Elle ne s'arrête pas plus alors aux épreuves qu'aux douces caresses et aux consolations de Dieu, parce que, dans la haine qu'elle a pour elle-même, elle se juge indigne des visites et des consolations qu'elle reçoit de Dieu; elle s'écrie souvent avec humilité, comme saint Pierre: Eloignez-vous de moi, parce que je suis pécheur. Et alors le Christ s'unit plus parfaitement à l'âme qui devient avide des âmes et [622] s'en rassasie. Je vous prie de la part de Jésus crucifié de faire ainsi. Demeurez dans une vraie et sainte connaissance de vous-même. Doux Jésus, Jésus amour.










Lettre n. 93, A MESSIRE PIERRE

XCIII (47) A MESSIRE PIERRE, prêtre de Semignano. - De la paix avec Dieu et avec les créatures. - Combien est déplorable l'iniquité de ceux qui ne respectent pas leur ministère et qui souillent leur âme par la haine.

(Semignano est une ville à six milles de Sienne.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. O Prêtre, que me rend cher l'auguste sacrement que vous avez à administrer, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un vase d'élection, portant dignement le nom du Christ, et vous appliquant avec un ardent amour à vivre en paix avec le Créateur, et à réconcilier entre elles les créatures: c'est là votre devoir, et vous devez le remplir. Je suis persuadée que si vous ne le faites pas, Dieu vous en reprendra sévèrement et durement. Soyez, soyez donc un miroir de vertu, et respectez votre dignité. Dieu, dans sa miséricorde, vous a élevé si haut, que vous avez à administrer le feu de la charité divine, c'est-à-dire le corps et le sang de Jésus crucifié. Pensez, pensez que la nature angélique n'a pas cet honneur. Considérez qu'il a mis sa [623] parole dans votre âme comme dans un vase. Vous voyez bien qu'en représentant la personne du Christ, vous avez le pouvoir de consacrer ce très doux sacrement. Aussi vous devez porter votre dignité avec un ardent amour, une grande pureté d'esprit et de corps, et avec un coeur pacifique, arrachant de votre âme toute liai ne et tout désir de vengeance.

2. Hélas! hélas! où est la pureté des ministres du Fils de Dieu? Vous demandez la pureté du calice dont vous vous servez à l'autel, et vous le refuseriez s'il était souillé, pensez aussi que Dieu, la souveraine, l'éternelle Vérité, demande que votre âme soit pure et nette de toute tache du péché mortel, et surtout du péché honteux. Hélas! infortunée que je suis! nous voyons tous les jours le contraire de ce que Dieu demande. Ceux qui devraient être les temples de Dieu, et porter le feu de sa parole, se font des étables de pourceaux et d'autres animaux; ils portent le feu de la colère, de la haine, de la vengeance et de la méchanceté dans l'intérieur de leur âme, et ils y entassent des impuretés où ils se vautrent continuellement comme le pourceau dans la fange. Hélas! quelle confusion de voir ceux que le Christ a consacrés se livrer à tant de misères et d'iniquités! Ils ne respectent pas la création qui les a faits à l'image et à la ressemblance de Dieu, ni le Sang qui les a rachetés, ni la dignité qu'ils reçoivent de ce sacrement par grâce, et non par obligation. Hélas! mon cher Père, ouvrez l'oeil de votre entendement, et ne dormez plus dans une pareille misère! Ne vous étonnez pas si Dieu semble ne pas voir, parce que, quand viendra le moment de la mort que personne ne peut éviter, il [624] montrera bien qu'il a tout vu; et l'homme s'en apercevra, car toute faute sera punie, et toute vertu récompensée. Ils l'oublient, les insensés, qui ne voient pas que Dieu est au-dessus d'eux, et qu'il pénètre le fond des coeurs! Nous pouvons bien nous cacher aux yeux de la créature, mais non pas à ceux du Créateur.

3. Hélas! sommes-nous donc des animaux sans raison? On le dirait vraiment, non pas quant à l'être que Dieu nous a donné par la création, mais quant à nos mauvaises dispositions. Car nous nous abandonnons sans aucune retenue à nos sens; nous les suivons en nous enivrant de jouissances grossières, et nous recherchons les plaisirs du monde, en nous enflant d'orgueil. L'orgueil est si grand dans le coeur de l'insensé, qu'il s'en laisse posséder, et qu'il ne veut pas s'humilier devant Dieu et devant la créature. Si quelquefois on lui fait une injure, une menace de mort ou de quelque malheur, il ne voudra pas s'humilier en pardonnant à son ennemi; mais il voudra que les plus grandes fautes et les offenses qu'il a commises contre Dieu lui soient pardonnées. Il se trompe: car il sera jugé avec la mesure dont il se sera servi pour les autres. Je ne veux donc pas que vous lui ressembliez; mais je veux que vous soyez un vase plein d'amour et de charité. Je m'étonne beaucoup qu'un homme comme vous puisse avoir de la haine, après que Dieu vous a retiré du siècle et fait ange de la terre en cette vie par la vèrtu du sacrement. Et vous, par votre faute, vous vous plongez dans le siècle! Je ne sais pas comment vous osez célébrer. Je vous dis que si vous persévérez dans cette haine et dans vos vices, vous devez craindre la [625] justice divine qui éclatera sur vous. Oui, je vous le dis, plus de semblables iniquités! Réformez votre vie, et pensez que vous devez mourir sans savoir quand. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Je n'en doute pas, si vous considérez le sang de cet Agneau, vous délivrez votre coeur et votre affection de cette misère, et surtout de cette haine.

4. Je vous le demande par grâce et miséricorde, et je veux que vous vous réconciliez. Quelle honte de voir deux prêtres dans une haine mortelle! Et c'est un grand miracle que Dieu ne commande pas à la terre de vous engloutir tous les deux. Courage donc, puisqu'il est encore temps d'obtenir miséricorde recourez à Jésus crucifié, qui vous recevra avec bonté si vous le voulez. Pensez que si vous ne le faites pas, vous subirez la sentence lancée contre ce serviteur coupable, qui avait été traité avec tant de bonté par le maître auquel il devait beaucoup, et qui refusa de remettre une petite dette à son serviteur, le foula aux pieds et voulut l'étrangler. Aussi le maître, en l'apprenant, révoqua la grâce qu'il lui avait faite, et il fut juste en ordonnant à ses serviteurs de lui lier les pieds et les mains, et de le jeter dans les ténèbres extérieures. Ne pensez pas que la divine bonté du doux Jésus ait donné cet exemple pour d'autres que pour ceux qui vivent dans la haine de Dieu et du prochain. Je ne veux donc pas que vous vous exposiez à ce châtiment, mais je veux que la miséricorde que vous avez reçue et que vous recevez, vous l'ayez aussi pour votre ennemi; car autrement vous ne pourriez avoir part à la grâce de Dieu, et vous seriez privé de sa vision. Je ne vous en dis pas davantage [626]. Répondez-moi quelle est votre intention, votre volonté. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.











Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 88, A MESSIRE NICOLAS