Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 99, AU VENERABLE RELIGIEUX DOM GUILLAUME

Lettre n. 100, AU PRIEUR DE LA GORGONE

C (54). - AU PRIEUR DE LA GORGONE, de l'Ordre des Chartreux; à Pise.- Elle le prie de vouloir aider le Pape Urbain VI dans la réforme de la sainte Église.

(Le prieur de la Gorgone était, en 1378, dom Barthélemi Sérafini de Ravenne. Il avait une grande vénération pour sainte Catherine, et l'avait décidée à venir visiter ses religieux. (Vie de sainte Catherine, p. II, c.10. ) La bulle d'Urbain VI qui lui est adressée contient les noms de plusieurs des disciples de notre sainte que le Souverain Pontife appelait près de lui pour profiter de leurs lumières. (Voir Gigli, t. I, p.367.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir plein de zèle pour le service de la douce Épouse du Christ, qui est maintenant dans de si grandes nécessités. Voici le moment où on verra qui aime la vérité ou non. Il ne s'agit plus de dormir; il faut secouer le sommeil et contempler le sang de Jésus-Christ crucifié, afin d'être plus animé au combat. Notre doux Saint-Père, le Pape Urbain VI, le vrai Souverain Pontife, paraît vouloir prendre les moyens nécessaires pour réformer la sainte Église; il désire avoir près de lui les serviteurs de Dieu et profiter de leurs conseils, pour lui et la sainte Église. C'est dans ce but qu'il vous envoie une bulle où il vous presse d'agir auprès de toutes les [653] personnes qui y sont nommées; faites-le avec zèle et promptitude, et n'y mettez aucun retard; l'Église de Dieu ne peut en souffrir. Laissez toute autre affaire; obéissez à sa volonté, et pressez ceux qui sont désignés de venir ici au plus tôt. Ne tardez pas, ne tardez pas, pour l'amour de Dieu. Entrez dans ce jardin pour y travailler. Frère Raymond est allé travailler ailleurs; le Saint-Père l'a envoyé au roi de France. Priez Dieu pour lui, pour qu'il soit un bon ouvrier, et qu'il donne, s'il le faut, sa vie pour l'Église. Le Saint-Père prend courage et se conduit en homme généreux, juste et zélé pour l'honneur de Dieu. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, et baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 101, A DOM JACQUES

CI (55). - A DOM JACQUES, religieux Chartreux dans le monastère de Pontignano, près de Sienne. - De la patience et de ses fruits dans l'âme. - Elle est le signe de toutes les vertus.

(Dom Jacques de Tondi, de Sienne, était disciple de sainte Catherine, et l'ami intime d'Étienne Maconi, auquel il succéda comme prieur de la chartreuse de Pontignano. Il fut un des témoins dans le procès de Venise, en 1411.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher Père et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave [654] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermi dans une sainte et vraie patience, qui montre si les vertus sont vivantes ou non dans l'âme. La patience ne se prouve qu'au temps de l'adversité, car sans tribulation cette vertu n'existe pas; celui qui n'est pas affligé n'a pas besoin de patience, puisque personne ne lui fait injure. Je dis que la patience montre si les vertus sont ou ne sont pas dans l'âme. Comment voyons-nous qu'elles n'y sont pas? Par l'impatience. Voulez-vous voir si les vertus sont encore imparfaites, et si la racine de l'amour-propre vit encore dans l'âme? Examinez le fruit qui en sort au moment de l'affliction; si c'est un fruit de patience, c'est un signe que la racine de la volonté propre est morte, et que les vertus sont vivantes; si c'est un fruit d'impatience, Il est évident que la racine de la volonté propre est encore vivante, et qu'elle n'est point insensible, car ce qui vit est sensible, tandis que ce qui est mort ne sent rien. Les vertus ne sont pas dans cette âme.

2. Mais remarquez qu'il y a deux sortes d'impatience: la première donne la mort, parce qu'elle vient de la mort; la seconde empêche la perfection, parce qu'elle vient de l'imperfection. Ainsi, il y a deux états un état de vie et un état de mort, celui de ceux qui sont dans le péché mortel. Tous ont à souffrir les tribulations et les persécutions du monde, parce que cette vie ne se passe pas sans peine, dans quelque position qu'on se trouve. Il y a l'impatience de ceux qui baissent et ne peuvent souffrir le prochain, qui murmurent contre Dieu, et [655] qui jugent en mal ce que Dieu fait pour leur bien pour les ramener à la grâce, et les retirer de la mort du péché mortel dans leur ignorance et leur misère. Leur racine n'a plus la sève de la grâce; elle ne produit que le fruit empoisonné de l'impatience, et ce signe de l'impatience prouve que la mort est dans l'âme. J'ai dit qu'il y a une autre impatience, qui empêche la perfection, et c'est la vérité. Elle montre l'imperfection; et si l'âme ne s'en corrige pas, elle s'expose à perdre le fruit de ses efforts, et à vivre dans une peine continuelle.

3. Cette impatience de ceux qui se sont retirés des ténèbres du péché mortel, et qui sont en état de grâce, d'ou vient-elle? Elle vient de ce que la racine de l'amour-propre n'est pas encore morte en eux; ils sont encore imparfaits, et ils s'aiment avec cette tendresse qui leur fait avoir compassion d'eux-mêmes. Car celui qui s'aime se plaint, et voudrait que chacun prit part à sa peine. Quand il voit qu'on n'a pas compassion de lui, il s'en afflige; et ainsi les tribulations, l'infirmité du corps, le trouble de l'esprit, les persécutions des hommes et les épreuves de tout genre lui causent une peine qui se joint à celle qu'il ressent de vouloir être plaint par les autres. Il tombe dans l'impatience et souvent dans les murmures et les jugements à l'égard du prochain, dont il juge mal l'intérieur. Car souvent les autres pourront avoir compassion de lui, sans le laisser paraître. Tout cela vient de ce que la racine de l'amour-propre n'est pas morte en lui. Qu'est-ce qui le montre? L'impatience, comme je l'ai dit; car elle a fait naître un fruit imparfait, mais non pas un fruit [656] de mort, parce qu'il est exempt de péché mortel; il se plaint seulement de ses peines et du prochain, qui lui paraît ne pas assez compatir à son affliction. C'est là une imperfection, qui empêche la grande perfection du solitaire et des autres religieux, qui ont quitté l'état imparfait de la charité commune des séculiers, pour vivre dans la grâce et dans un état supérieur, où ils doivent être des modèles d'obéissance, de patience par l'entier sacrifice de leur volonté.

4. Qui pourrait dire les inconvénients qui en résultent? Personne, je crois; mais il y en a trois principaux qu'éprouve celui dont la volonté n'est pas morte. Le premier est qu'il est infidèle, et non fidèle à la lumière de la foi vive. Il a mis un nuage sur l'oeil de son intelligence, où est la pupille de la lumière de la foi; et dès qu'il a eu le malheur de mettre ainsi le nuage de l'amour-propre sur sa vue et d'obscurcir la lumière de la foi, il fait aussitôt une seconde et troisième chute en tombant dans la désobéissance, qui fait naître l'impatience, et dans le jugement, qui conduit au murmure. Et si vous y réfléchissez bien, ces trois défauts ne sont jamais l'un sans l'autre. Il ne faut donc pas douter que si la racine de l'amour-propre n'est pas morte en nous, notre vue sera obscure, et tous les fruits des vertus seront imparfaits, parce que toute perfection consiste à faire mourir notre volonté sensuelle, et à faire vivre notre raison dans la douce volonté de Dieu.

5. Celui dont la volonté est vivante et imparfaite, désobéit aussitôt à Dieu et à son supérieur; car, s'il était obéissant, il recevrait avec respect les obligations [657] que Dieu et son supérieur lui imposent; mais parce qu'il n'est pas obéissant, et qu'il résiste par sa volonté vivante, il tombe dans l'impatience contre Dieu, et par conséquent dans la désobéissance; la volonté de Dieu est que nous portions avec patience toutes nos obligations, de quelque côté qu'il nous les envoie, et que nous les recevions de lui avec une véritable patience, et avec le même amour qui les lui fait donner. Car tout ce qu'il donne ou permet est toujours pour notre sanctification, et nous devons le recevoir avec reconnaissance. En ne le faisant pas, nous lui désobéissons, et nous tombons dans le murmure et dans le faux jugement par tendresse pour nous-mêmes, par orgueil et par infidélité, en voulant servir Dieu à notre manière. Si nous étions véritablement persuadés que toute chose vient de Dieu, excepté le péché, et qu'il ne peut vouloir que notre bien, comme nous le voyons et nous le goûtons dans le sang de Jésus crucifié, qui ne se serait pas fait notre Rédempteur s 'il avait voulu autre chose que notre sanctification; si, dis-je, nous en étions bien convaincus, et si la lumière de la foi n'était pas obscurcie en nous par l'amour-propre, nous serions obéissants, nous recevrions avec respect ce que Dieu nous envoie, et nous jugerions qu'il le fait pour notre bien par amour et non par haine. Mais parce que nous sommes infidèles, nous en souffrons; nous sommes impatients des peines que nous supportons et nous désobéissons à notre supérieur en voyant seulement sa volonté et non pas la volonté de Dieu en lui.

6. Souvent le supérieur aura une bonne et sainte intention dans ce qu'il ordonnera, et l'inférieur infidèle [658] et désobéissant pensera tout le contraire. Cela vient de son orgueil et de ce que la racine de l'amour-propre n'est pas morte en lui; car si elle était morte, il n'agirait pas ainsi, puisqu'il est entré dans l'Ordre pour obéir parfaitement et sans aucune peine, comme le fait l'humble obéissant. Lors même que son supérieur serait un démon, et que ses ordres seraient très pénibles, l'obéissant véritable les reçoit avec patience, parce qu'il juge que la volonté de Dieu est que son supérieur agisse ainsi à son égard, ou pour les besoins de son salut, ou pour le faire arriver à une plus grande perfection. Et alors il reçoit avec paix et tranquillité d'esprit ce qu'on lui ordonne, et il jouit d'un avant-goût de la vie éternelle en cette vie. Et parce que sa volonté est morte, et qu'il marche à la lumière de la Foi dans le chemin de l'obéissance, il goûte le doux et tendre fruit de la patience avec force et persévérance jusqu'à la mort. Ce fruit montre qu'il est véritablement sorti de l'imperfection, et qu'il est arrivé à la perfection.

7. Celui qui n'obéit pas montre aussi ses défauts par l'impatience. Nous voyons qu'il se scandalise toujours, à moins que tout ne marche à son gré, et que son supérieur ne fasse ce qu'il veut; si le contraire arrive, il est tout bouleversé. Pourquoi? Parce qu'il est vivant; s'il était mort, cela n'arriverait pas. Celui-là est faible, et tombe pour la moindre paille qu'il trouve à ses pieds. Si son supérieur lui commande quelque chose qui ne lui plaît pas, il se trouble. S'il est malade, il s'impatiente par compassion pour son corps. Il dira souvent, pour s'excuser: si j'avais une autre maladie, je la supporterais plus facilement, mais mon mal ne [660] se voit pas, et on n'y croit pas; il m'empêche de remplir mon devoir, et d'observer la règle comme les autres, et on ne veut pas me laisser tranquille. Celui qui parle ainsi est imparfait et peu éclairé. Il est trompé par la faiblesse et l'amour qu'il a pour lui-même. Qu'est-ce qui le prouve? L'impatience qu'il a, parce qu'il lui semble que les autres ne le plaignent pas. Il veut choisir le moment, le lieu et la peine à sa manière. Il ne doit pas faire ainsi; mais il doit s'humilier sous la main puissante de Dieu, recevoir tout avec respect et faire ce qui lui est possible de faire. Quand il ne peut pas remplir ses fonctions et ses autres exercices comme les autres, il doit satisfaire à l'obligation de la patience, parce que Dieu ne nous demande pas au-dessus de nos forces; mais il nous demande l'amour, le saint désir et la patience pour supporter la peine et la fatigue, on quelque temps, on quelque lieu que nous soyons, on combattant et en détestant la sensualité.

8. Ainsi font ceux qui veulent être parfaits, et de cette manière, ils goûtent la vie éternelle au milieu des peines qu'ils ont on cette vie. La peine n'est plus une peine, mais une consolation, quand on pense qu'elle rend conforme aux opprobres de Jésus crucifié. Le serviteur ne veut pas suivre une autre voie que le maître. Il souffre avec respect on se baignant et on se noyant dans le sang de Jésus crucifié, ce sang où l'âme se nourrit par la charité, et où meurt sa volonté. Lorsque la volonté est morte, toute pensée disparaît, parce que la volonté est la seule chose qui rende pénibles les tribulations. Dès que notre volonté est morte, et que nous sommes revêtus de la volonté de [660] Dieu, la peine nous devient un plaisir; et le plaisir sensuel, à cause de la sainte haine de nous-mêmes, nous deviendra pénible, parce que nous verrons que la voie du plaisir n'est pas la voie de Jésus crucifié. Les saints ne l'ont pas suivie, et le royaume du ciel, la vie éternelle, ne s'achète pas, ne se vend pas par le plaisir. Le règne de Dieu s'acquiert et se gagne par la pauvreté volontaire, par l'amour de la souffrance; il faut souffrir beaucoup, et trouver pénible le plaisir. La volonté alors est d'accord avec la volonté de Dieu, et l'âme reçoit, dès cette vie, comme je le disais, un avant-goût de la vie éternelle.

9. Elle ne tombe pas dans le troisième défaut, dans les jugements téméraires; mais elle juge toujours la volonté de Dieu avec justice et amour. Comme elle voit qu'elle est aimée de lui, elle reçoit tout avec amour. Elle ne juge pas non plus la volonté des hommes en aucune chose ni en aucune circonstance, malgré les injures et les persécutions qu'ils peuvent lui faire; mais elle juge seulement que Dieu le permet pour son bien et pour éprouver sa vertu. Elle ne jugera jamais les serviteurs de Dieu, ni aucune action des créatures; et lors même qu'elle voit un mal évident, elle ne le voit pas, et ne doit pas le voir pour le juger et pour murmurer, mais pour en avoir compassion et pour se charger elle-même des défauts du prochain devant Dieu. Ainsi le veut la charité; elle défend de faire ce que font les imparfaits, qui sont encore aveuglés par l'amour d'eux-mêmes, et qui semblent ne pouvoir vivre qu'en jugeant les autres, non seulement les gens du monde, mais encore les serviteurs de Dieu, qu'ils voudraient conduire à leur [661] façon. S'ils ne font pas ce qu'ils désirent, ils se scandalisent à leur sujet, et souvent, sous l'apparence de la compassion, ils tombent dans le murmure. Ils veulent imposer des lois à L'Esprit-Saint, et ils ne s'en aperçoivent pas. Pourquoi ne s'en aperçoivent-ils pas? parce que le démon leur couvre les yeux du voile de la compassion; mais cette compassion est plutôt un principe d'envie et d'orgueil, qui leur fait croire qu'ils en savent plus que les autres. Si c'était la compassion et le zèle du salut des âmes et de l'honneur de Dieu, ils seraient charitables, et le montreraient aux personnes même qui leur font de la peine. Ils y gagneraient et le prochain aussi; et ils se réjouiraient, s'ils étaient véritablement généreux, en voyant à la lumière que Dieu a des moyens et des chemins différents avec ses serviteurs.

10. La souveraine Bonté se manifeste de diverses manières, et le Christ béni a dit: Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père (Jn 14,2). Qui pourrait dire la diversité des moyens, des visites, des dons et des grâces de Dieu, non seulement dans les créatures, mais dans une seule âme? Car comme les vertus sont différentes, quoiqu'elles soient toutes marquées du signe de la charité, la conduite et les oeuvres des serviteurs de Dieu sont aussi très différentes; non pas que celui qui a parfaitement la vertu de charité n'ait pas aussi toutes les autres, mais chacun en a une particulière qui domine toutes les autres. De là les différences de vie. Celui qui a surtout la charité met tout son bonheur à l'exercer à l'égard du [662] prochain; celui qui a l'humilité recherche avec passion la solitude. L'un aime la justice, l'autre la liberté que donne une foi vive, qui semble ne rien craindre. D'autres aiment la pénitence, et se livrent tout entiers à la mortification de leurs corps; d'autres s'appliquent à tuer leur volonté propre par une véritable et parfaite obéissance. Ainsi les moyens sont différents, quoique tous courent dans la voie de la charité.

11. Les saints qui jouissent de la vie éternelle l'ont tous suivie, mais de diverses manières; car l'un ne ressemble pas à l'autre. Il y a la même différence parmi les anges, qui ne sont pas tous égaux. Aussi une des joies de l'âme dans la vie éternelle, c'est de voir la grandeur de Dieu dans la variété des récompenses qu'il donne à ses saints. Nous trouvons la même variété dans les choses créées, qui diffèrent toutes d'une manière ou d'une autre et cependant elles ont toutes été faites par le même motif; Dieu les a créées avec le même amour. Et c'est la gloire de Dieu que peut contempler celui qui a la lumière, et qui veut connaître sa grandeur, car il la trouvera dans les choses visibles et invisibles, comme je l'ai dit.

12. Celui-là donc est bien fou, bien insensé, qui veut faire la loi aux créatures, et qui se scandalise lorsqu'elles n'agissent point à son gré. Il ne faut pas tomber dans de pareils jugements; mais il faut voir avec joie et respect la conduite des serviteurs de Dieu, et dire humblement en soi-même: Grâces vous soient rendues, Seigneur, des voies si diverses que vous faites suivre à vos créatures. Et quand on voit des fautes évidentes dans les serviteurs du monde, il faut [663] en avoir compassion devant Dieu, et en avertir charitablement le prochain, si on le peut. Ainsi fait celui qui possède véritablement la charité et l'humilité, et qui ne présume pas de lui-même. Il ne se trouble pas, et ne se scandalise ni de ce qu'il souffre, ni du supérieur qui lui rend pénible l'obéissance; mais il obéit jusqu'à la mort en toute chose, excepté en ce qu'il voit en dehors de la volonté de Dieu. Car ce qu'il voit être une offense contre Dieu, il ne doit pas le faire; mais pour tout le reste, il doit. obéir. Il ne se scandalise pas non plus du prochain, ni des injures qui lui sont faites, ni des différences de conduite qu'il voit dans les autres; mais il est content de tout, il en profite, il en retire des fruits par la vertu de charité, qui est dans son âme. Qui le prouve? La vertu de patience, qui manifeste la perfection de l'âme, comme son défaut, c'est-à-dire l'impatience, manifeste au contraire l'imperfection.

13. Il est donc bien vrai que la vertu de patience est le signe qui montre si l'homme est parfait ou imparfait. Vous êtes appelé à une grande perfection; vous devez donc être patient, comme je l'ai dit, en baignant et en noyant votre volonté propre dans le sang de Jésus crucifié; autrement, vous manqueriez à la perfection de l'état dans lequel vous vous êtes engagé, et vous tomberiez dans la seconde impatience dont nous avons parlé. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans une vraie et sainte patience, afin qu'au milieu de vos peines vous goûtiez les arrhes de la vie éternelle, et que vous receviez enfin la récompense de vos travaux. Pour cela, reposez-vous sur la Croix avec le doux Agneau sans tache. Je termine. Demeurez [664] dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.










Lettre n. 102, A DON CHRISTOPHE

CII (56). - A DON CHRISTOPHE, religieux de la chartreuse de Saint-Martin à Naples.- Dieu permet les tribulations et les tentations pour notre bien.- Quels sont les moyens de les supporter et d'en profiter.

(La magnifique chartreuse de Saint-Martin, située au-dessus du fort Saint-Elme, domine le golfe et la ville de Naples.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en vous la lumière et le feu de l'Esprit-Saint. Cette lumière dissipe toutes les ténèbres, et ce feu consume toute impatience et tout amour-propre qui peuvent être dans l'âme corporellement ou spirituellement. J'ai donc un grand désir de voir en vous cette lumière et ce feu; car, ainsi que vous me l'avez écrit, vous éprouvez dans votre corps et votre esprit des mouvements et des peines qui rendent nécessaires cette lumière. Pourquoi, très cher Père, avez-vous besoin de cette lumière? Parce que c'est par elle que voit l'oeil de l'intelligence: car, comme dans la vision de Dieu consiste notre béatitude, de même, dans la vision et [665] la connaissance de nous-mêmes et de la bonté de Dieu à notre égard, nous recevons la lumière de la grâce du Saint-Esprit; et cette lumière, cette grâce, fortifie l'âme et l'excite a porter avec désir et patience les infirmités, les tribulations et les tentations qui nous viennent des hommes, du démon ou de la chair, sans vouloir choisir le moment et la manière, mais les recevant toujours et en toute circonstance avec respect. Ainsi fait celui qui est revêtu de la douce et éternelle volonté de Dieu; car, aussitôt que l'homme applique l'oeil de son intelligence à connaître et a voir la volonté de Dieu en lui et ce qu'elle demande, il trouve que Dieu ne cherche et ne demande autre chose de lui que sa sanctification. S'il avait voulu autre chose, Dieu ne nous aurait pas donné le Verbe son Fils, et son Fils n'aurait pas donné sa vie avec un si ardent amour.

2. L'âme voit que tout en cette vie arrive pour son bien par la permission de Dieu, les maladies du corps comme les tentations de l'esprit. Sa volonté règle tout, et ne permet rien qui ne puisse nous être utile. Une feuille d'arbre ne tombe pas sans l'ordre de la Providence. Dieu nous laisse tenter pour éprouver notre vertu et augmenter sa grâce, non pas pour que nous soyons vaincus, mais pour que nous soyons vainqueurs en ne nous confiant pas dans notre force, mais dans le secours divin et en disant, avec l'apôtre saint Paul: " Je puis tout en Jésus crucifié, qui est en moi et me fortifie. "En agissant ainsi, le démon sera vaincu. Le moyen certain de le vaincre, c'est de [666] se dépouiller de sa volonté et de se revêtir de celle de Dieu, en pensant qu'il permet tout pour notre sanctification; car l'unique cause des peines de l'âme est la volonté propre. Le démon le sait bien; et, comme il ne peut tromper les serviteurs de Dieu dans les choses qui paraissent mauvaises et qui révoltent trop leur conscience, il s'applique à les tromper sous des apparences de vertu, en les troublant par des scrupules. Il dit au malade si tu étais bien portant, tu pourrais beaucoup mieux faire. Il dit à celui qui est triste intérieurement et qui résiste: Si tu n'avais pas ces tentations, tu plairais a Dieu, ton esprit serait tranquille, et tes actions seraient plus parfaites et plus méritoires. Il veut ainsi lui persuader qu'avec ces pensées et ces combats, on ne peut rien dire et rien faire qui soit agréable à Dieu. Le démon gagne plus sur les serviteurs de Dieu par le trouble que par tout autre moyen. Il ne peut les séduire en leur présentant le mal, et il veut les faire tomber en le cachant sous l'apparence de la vertu.

3. Soyez convaincu, mon très cher Père, que Dieu permet en nous ces épreuves pour exercer notre patience, notre force, notre persévérance. Ces vertus viennent de la connaissance de nous-mêmes; car, dans le combat, je reconnais mon néant. Si j'étais quelque chose, je me délivrerais moi-même; mais je ne puis faire cesser les tempêtes de mon âme dans les maladies de mon corps. Nous pouvons seulement vaincre par la volonté qui résiste; et c'est dans cette volonté que nous trouvons la bonté de Dieu, car son amour ineffable nous a donné cette volonté libre en laquelle réside le vice ou la vertu. Elle est véritablement [667] maîtresse; ni le démon, ni les créatures ne peuvent la forcer au moindre péché, si elle n'y consent. L'âme prudente, qui le sait, se réjouit au milieu des combats, parce qu'elle voit que Dieu les permet pour la rendre meilleure et pour éprouver sa vertu, car la vertu n'est jamais éprouvée que par son contraire. Sans cela l'âme ne peut montrer sa vertu, comme la femme qui a conçu un fils ne peut le montrer qu'en le mettant au jour. De même l'âme, si elle n'enfante pas la vertu au milieu des peines de toutes sortes, qu'elles viennent de la chair, du démon ou des hommes, ne peut jamais voir si elle l'a ou non. Bien souvent l'âme dont la vertu n'a pas été éprouvée, est prête à souffrir tout pour son Dieu; et quand Dieu voit qu'elle a ce désir, aussitôt elle l'éprouve, afin de voir si son amour est fidèle ou mercenaire.

4. L'âme montre qu'elle est fidèle quand elle ne se trouble pas plus dans la tribulation que dans la consolation; elle volt que toute chose se fait par la permission de Dieu, et elle se réjouit de tout ce qui arrive, parce que sa volonté est unie à celle de Dieu. Mais si elle est esclave, c'est-à-dire, si dans le temps de l'épreuve elle veut fuir la peine, elle est mercenaire et non fidèle, et elle doit alors se corriger. Il est donc bien vrai que Dieu permet tout ce qui nous arrive pour augmenter en nous la grâce et éprouver la vertu, parce que l'âme se connaît mieux ainsi, et cette connaissance l'humilie et l'empêche de s'enorgueillir. Elle connaît la bonté de Dieu à son égard, en voyant qu'il conserve sa volonté, qui résiste aux attaques et aux illusions du démon. Telle est la [668] volonté de Dieu, qui n'agit pas pour une autre fin. Mais, quelle est la volonté perverse du démon? c'est de faire tomber l'âme dans l'ennui, le trouble, la tristesse et les scrupules de conscience.

5. L'ancien ennemi ne cherche pas à nous porter a des péchés honteux, en excitant des mouvements déréglés en nous, avec l'espérance de nous faire tomber; il voit bien que la volonté est décidée a mourir plutôt qu'à pécher; mais il agit de la sorte pour nous tromper et nous faire croire qu'il y a des fautes où il n'y en a pas. Il nous dit: Tes oeuvres et tes prières doivent être faites avec une grande pureté d'esprit et de coeur, et tu les fais avec de pareilles pensées! Il parle ainsi pour nous dégoûter de la prière et nous la faire abandonner par ennui et par tristesse, avec toutes nos bonnes oeuvres. Il cherche seulement le moyen de nous faire jeter par terre les armes avec lesquelles nous nous défendons, car il lui est plus facile de nous vaincre de cette manière que de l'autre. Notre défense est la sainte prière et les saintes pensées fondées sur la douce et éternelle volonté de Dieu. Dans cette volonté l'âme ne se cherche pas pour elle, mais elle se cherche pour Dieu; elle cherche le prochain pour Dieu, et Dieu pour Dieu, et non pour son avantage, mais parce qu'il est la souveraine, l'éternelle Bonté, si digne d'être aimée et servie; aussi elle l'aime et le sert en tout temps et en toute occasion. Elle est ferme comme un roc inébranlable; elle s'élève au-dessus d'elle-même par un ardent désir, elle se conduit avec une sainte haine d'elle-même, en se reconnaissant digne de toutes les peines qu'elle souffre, et indigne [669] de la récompense qui suit ces peines. Son humilité la persuade qu'elle est indigne de la paix et du calme de l'esprit et elle se réjouit d'être sur la Croix avec Jésus crucifié. Elle veut se rassasier d'opprobres, de peines, de mépris et d'affronts, afin de pouvoir ressembler au Christ; car elle voit que l'âme ne peut s'unir au Créateur que par amour; et par amour pour Jésus-Christ elle choisit cette vie comme la meilleure. et la plus parfaite. qu'elle puisse avoir, puisqu'il nous a enseigné que c'était la voie de la vérité et de la lumière lorsqu'il a dit: " Je suis la voie, la vérité, la vie; celui qui va par cette voie ne s'égare pas, mais il va par la lumière. "

6. Aussi, les serviteurs de Dieu qui veulent le suivre, s'ils pouvaient fuir l'enfer, gagner le paradis et quitter le monde sans jamais souffrir, ne le voudraient pas; ils aiment mieux vivre dans la souffrance pour éviter l'enfer et mériter la vie éternelle, afin de ressembler à leur bien-aimé Jésus. S'ils sont malades, ils s'en réjouissent, parce qu'ils se voient vengés de leur corps et de cette loi mauvaise qui combat contre l'esprit. S'ils sont dans les ténèbres et les combats intérieurs, ou dans les tentations de blasphèmes, de désespoir ou d'infidélité dont le démon les tourmenté, ils s'en réjouissent avec une humilité sincère, parce qu'ils se regardent indignes de la paix; et ils ne s'inquiètent pas des fatigues, mais ils s'appliquent à conserver inébranlable le rocher de leur volonté, afin qu'il ne cède jamais à la tentation; car ils comprennent que par la grâce de Dieu, le rocher de la volonté reste fort tant qu'elle refuse son consentement [670], et ils n'ont pas d'autres peines que la crainte d'offenser Dieu.

7. Je ne veux pas même que cette crainte vous tourmente, car il me semble que le démon vous cause beaucoup de troubles, quoique toutes vos peines soient réduites à celle-ci. Vous savez que cette peine doit être raisonnable, c'est-à-dire fondée sur l'humble connaissance de vous-même et sur la connaissance de la bonté de Dieu, qui vous conserve la volonté; et, de cette manière, cette peine vous sera profitable; elle engraissera votre âme dans la vertu, au lieu de la consumer dans le désespoir; et elle vous donnera la douce vertu d'humilité par la connaissance de vous-même, et la vertu de la charité par la connaissance de la Bonté divine ce sont les deux ailes qui font voler l'âme jusqu'à la vie éternelle. Il ne serait pas bon d'avoir seulement la crainte du péché sans l'unir à l'espérance de la divine miséricorde; car le démon ne veut que vous faire tomber dans la confusion et la tristesse, qui dessèchent l'âme. Dans cette confusion et cette tristesse, l'âme jette à terre les armes que le Saint-Esprit lui avait données, c'est-à-dire cette volonté conforme à la volonté de Dieu, pour se servir ensuite de sa volonté propre; sous prétexte de mieux servir Dieu, elle veut se délivrer de la maladie et des peines d'esprit qu'elle ressent. Elle se dit: Je pourrais mieux et plus généreusement servir mon Créateur. C'est une erreur, et cette erreur vient de la crainte déréglée que le démon lui donne; il le fait pour la revêtir de la volonté propre; et alors elle conçoit une impatience qui la rend insupportable à elle même, une préoccupation [671] d'esprit, une opinion personnelle qui lui fait choisir ses voies et ses moyens selon son caprice, et non pas selon le bon plaisir de Dieu.

8. Je ne veux plus vous voir cette confusion, cette tristesse, cette volonté propre, mais la joie, l'ardeur de l'amour, la lumière du Saint-Esprit, avec un coeur généreux et sans crainte. Revêtez-vous de la douce, de l'éternelle volonté de Dieu, qui a permis et permet toutes les peines que vous souffrez dans votre corps et dans votre âme, et il le fait pour votre sanctification; il vous donne tout par amour et non par haine. Prenons donc les armes, et terrassons le démon par la soumission à l'éternelle Volonté. Chassons une pensée par l'autre, c'est-à-dire les pensées du démon par les pensées de Dieu. Si vous me dites: Je ne puis penser à Dieu, ni réciter mon office, ni faire aucune bonne oeuvre à cause de mes souffrances et des tempêtes qui troublent mon esprit, je vous répondrai: Ne vous découragez pas, mais, dans vos souffrances, exercez votre patience, car c'est pour cela qu'elles vous sont données. Au milieu des tentations du démon, appliquez-vous à votre office, aux saintes pensées de Dieu. N'occupez pas votre esprit à discuter avec le démon, pour lui résister, ce qui vous troublerait davantage; mais faites en sorte qu'il soit hors de chez vous: et vous le pouvez, car il n'entre que si la volonté consent; tant qu'elle ne consent pas, l'ennemi n'entre pas dans la maison, mais il frappe à la porte. L'âme, pour se défendre, ne doit pas prendre la flèche du démon et chercher à l'en frapper, car elle ne l'atteindrait pas en voulant discuter avec lui; mais qu'elle prenne la flèche de la volonté de Dieu et [672] de la haine d'elle-même, et elle se blessera en lui répondant: Si, pendant toute ma vie, mon Créateur veut que je souffre cette peine, je suis prêt à y consentir pour la gloire et l'honneur de son nom. Elle dira aux tentations: Soyez les bienvenues; - je les reçois comme mes meilleures amies, car elles sont l'occasion et le moyen de me tirer du sommeil de la négligence et de me faire pratiquer la vertu.

9. Réjouissez-vous donc et soyez dans l'allégresse; persévérez jusqu'à ia fin, et préférez plutôt mourir que de quitter le poste où Dieu vous a appelé. Mais embrassez la Croix par la patience, et cachez-vous dans le sein de Dieu avec vos peines; fixez les yeux sur l'Agneau immolé pour vous, et soyez toujours content de ce que Dieu vous donne et vous destine. Nous devons faire ainsi parce que nous sommes certains que Dieu nous appelle et nous choisit ce qui peut nous rendre plus agréables à ses yeux. Vous irez ainsi de lumière en lumière, et les peines souffertes pour Jésus crucifié vous seront délicieuses, tandis que les jouissances et les consolations du monde vous deviendront amères. Vous commencerez à goûter, dès cette vie, les arrhes de la vie éternelle; car la principale béatitude de l'âme dans le ciel, c'est d'être affermie pour toujours dans la volonté du Père. Elle goûte ainsi la douceur divine, mais elle ne la goûte jamais au ciel, si elle ne s'en est pas revêtue sur terre, où nous sommes pèlerins et voyageurs. Quand elle s'en est revêtue, elle goûte Dieu par la grâce dans ses peines; sa mémoire s'emplit du sang de l'Agneau sans tache; son intelligence s'ouvre et contemple l'amour ineffable que Dieu a manifesté [673] dans la sagesse du Fils, et alors l'amour qu'elle trouve dans la bonté du Saint-Esprit chasse l'amour-propre et l'amour des choses créées, pour n'aimer que Dieu.

10. Ne craignez donc pas, mon très cher Père, mais souffrez avec joie pour vous conformer è la volonté de Dieu. Dans la maladie, dans la santé ou dans quelque position que ce soit, il ne vous demande autre chose maintenant que la patience et la force, avec une douce persévérance. Cette persévérance, vous l'aurez, si vous prenez dans votre coeur la résolution de ne vouloir que des fatigues et des peines pour obtenir la couronne qui se donne à la force et à la persévérance. Elle appartient à l'âme qui est éclairée et embrasée du feu de l'Esprit-Saint. Nous ne pouvons avancer autrement, et c'est le seul moyen d'acquérir ou de perdre, comme je vous l'ai expliqué. Aussi je vous ai dit que je désirais voir en vous la lumière et l'ardeur du Saint-Esprit; je prie et je prierai l'éternelle rit souveraine Vérité de vous en remplir si parfaitement, que vous connaissiez le trésor des tribulations et des tentations qu'il vous a confié par amour pour que vous soyez au nombre. de ses élus, pour qu'il vous récompense de vos peines dans son éternelle vision. Je ne vous en dis pas davantage. S'il plaît à la bonté de Dieu que vous le serviez dans le couvent de la Gorgone, je suis persuadée que les choses se feront de la manière qui vous sera le plus profitable. Soyez donc content en tout lieu, et prenez garde de ne pas écouter votre corps avec trop de tendresse. Soyez content de la vie des autres frères et religieux qui sont de la même nature que vous. Dieu veille sur vous comme sur eux [674]. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.









Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 99, AU VENERABLE RELIGIEUX DOM GUILLAUME