Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n.4, A GRÉGOIRE XI

Lettre n. 5, A GRÉGOIRE XI

V. -. - Pour faire la paix et délivrer l'Eglise de ses maux, trois choses sont nécessaires:1. L'éloignement des mauvais pasteurs et des gouverneurs qui empêchent par leur luxe et leurs vanités ses véritables progrès; 2.le retour des Souverains Pontifes a Rome; 3. une croisade contre les infidèles.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint, très cher et très doux Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, votre indigne petite fille [164] Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir ardent que j'ai de voir en vous la plénitude de la grâce divine, de telle manière que vous soyez par le secours de cette grâce l'instrument, le moyen qui rende la paix au monde entier. Oui, je vous le demande, mon doux Père, agissez avec zèle, avec faim et soif de la paix, de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, servez-vous de votre puissance et de votre vertu; et si vous me dites, mon Père: Le monde est si bouleversé, comment lui rendre la paix? je vous répondrai de la part de Jésus crucifié: Il faut employer votre puissance à trois choses principales. Il faut d'abord arracher du jardin de la sainte Église les fleurs qui répandent l'infection de l'impureté, de l'avarice et de l'orgueil, c'est-à-dire les mauvais pasteurs et gouverneurs qui empoisonnent et corrompent ce jardin. Hélas! vous qui êtes notre maître, usez de votre puissance pour arracher ces fleurs; éloignez-les, pour qu'ils n'aient plus rien à gouverner, et qu'ils s'appliquent à se gouverner eux-mêmes dans une vie bonne et sainte. Plantez dans ce jardin, des fleurs odoriférantes, des pasteurs et des gouverneurs qui soient les vrais serviteurs de Jésus-Christ et les pères des pauvres, ne cherchant que l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Hélas! quelle honte de voir ceux qui devraient être des miroirs de pauvreté volontaire, d'humbles agneaux distribuant les biens de l'Église aux pauvres, vivre au contraire dans les délices, les grandeurs, les [165] pompes et les vanités du monde, mille fois plus que s'ils n'avaient pas quitté le siècle! Beaucoup de séculiers même doivent les couvrir de confusion par leur vie bonne et sainte; mais il semble que la souveraine et éternelle Bonté veut faire de force ce qui n'est pas fait par amour; il semble qu'elle permet que la puissance et les richesses soient ôtées à son Epouse, comme pour montrer qu'elle veut que la sainte Église revienne à son premier état de pauvreté, d'humilité, de douceur, lorsque ses ministres ne songeaient qu'à l'honneur de Dieu et au salut des âmes, s'appliquant aux choses spirituelles, et non pas aux choses temporelles. Maintenant on s'applique plus aux temporelles qu'aux spirituelles; les choses vont de mal en pis. Aussi la justice de Dieu a permis de grandes persécutions et tribulations. Mais prenez courage, mon Père, et ne craignez rien de ce qui est arrivé ou peut arriver; Dieu le permet pour ramener l'Eglise à la perfection, pour que son jardin se remplisse d'agneaux, et non pas de loups qui ravissent son honneur et prennent pour eux ce qui lui appartient Ayez confiance dans le Christ, le doux Jésus; j'espère que son secours, la plénitude de la grâce divine et la protection d'en haut sera sur vous, si vous faites ce que nous avons dit, De la guerre, vous viendrez à une grande paix; de la persécution, à une grande union; et ce n'est pas par la puissance des hommes, c'est par la sainte vertu que vous triompherez des démons visibles, des créatures iniques, et des démons invisibles, qui ne dorment jamais autour de nous.

2. Mais pensez, mon Père, que vous le ferez difficilement [166], si vous n'accomplissez les deux autres choses, votre retour à Rome, et la proclamation de la croisade. Ne vous laissez pas arrêter dans vos saints désirs par les scandales ou les révoltes des villes que vous voyez ou que vous apprenez. Soyez au contraire plus ardent à les accomplir; ne croyez pas le démon, qui voit la perte qui le menace, et qui s'applique à vous troubler et à vous faire changer pour que vous perdiez l'amour et la charité, et que vous ne reveniez pas à Rome. Je vous le dis, mon Père, dans le Christ Jésus, venez bien vite, comme un agneau plein de douceur; répondez à l'Esprit-Saint qui vous appelle. Je vous le dis, venez, venez, venez; n'attendez pas le temps, qui ne vous attend pas. Alors vous ferez comme le doux Agneau immolé dont vous tenez la place; sa main désarmée a tué nos ennemis, et il ne s'est servi que des forces de l'amour il n'a songé qu'aux choses spirituelles, et à rendre la vie de la grâce à l'homme, qui l'avait perdue par le péché.

3. Hélas! mon doux Père, c'est avec cette douce main que je vous dis et vous conjure de venir vaincre nos ennemis au nom de Jésus crucifié Je vous le répète, n'écoutez pas les conseils du démon qui veut arrêter votre sainte et bonne résolution. Soyez un homme généreux et sans crainte; répondez à Dieu, qui vous appelle à venir habiter la ville de saint Pierre, le glorieux chef dont vous êtes le successeur (Le Pape est le chef de toute l'Eglise, mais il est spécialement l'évêque de Rome. Grégoire XI reprenait un évêque étranger qui était à Avignon: " Que faites-vous ici? lui disait-il; pourquoi êtes-vous éloigné de votre Eglise? " L'évêque répondit: " Et vous-mêmes, très saint Père, pourquoi n'allez-vous pas rejoindre votre épouse, qui est si riche et qui est si belle?); et puis levez l'étendard de la sainte [167] Croix. C'est par la Croix, dit saint Paul, que nous avons été délivrés; c'est par cet étendard protecteur des chrétiens que nous serons délivrés de la guerre, de nos divisions, de nos iniquités, et que les infidèles seront délivrés de leurs erreurs; et de cette manière vous verrez et vous obtiendrez de bons pasteurs dans la sainte Eglise, vous lui rendrez la force et les ardeurs de la charité. Ceux qui la dévorent ont tellement épuisé son sang, qu'elle est toute pâle. Mais ayez confiance et venez, mon Père; ne faites plus attendre les serviteurs de Dieu, qui se consument de désirs. Et moi, pauvre misérable, ma vie me semble une mort lorsque je vois tant offenser Dieu. Ne vous éloignez pas de la paix à cause de ce qui est arrivé à Bologne, mais venez. Je vous assure que les loups féroces viendront mettre la tête sur votre sein comme de tendres agneaux, et ils vous demanderont miséricorde, à vous leur père. Je vous en conjure, mon Père, écoutez favorablement ce que vous dira frère Raymond et mes autres fils qui l'accompagnent (Le bienheureux Raymond de Capoue, confesseur de sainte Catherine, la précéda à Avignon. Les Florentins l'envoyèrent pour préparer l'esprit du Souverain Pontife, et l'apaiser au sujet des excès qu'ils avaient commis.); ils viennent de la part de Jésus crucifié et de la mienne; ce sont de vrais serviteurs du Christ, et les enfants fidèles de la sainte Église. O Père, pardonnez à mon ignorance, et que votre bonté veuille bien excuser ce que l'amour et la douleur me font dire. Donnez-moi votre bénédiction. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [168].








Lettre n. 6, A GRÉGOIRE XI

VI. - A GREGOIRE XI. - Elle prie le Souverain Pontife de quitter Avignon, où les Papes résidaient depuis soixante-dix ans, et de revenir à Rome, mais sans aucun appareil de guerre.

Cette lettre est écrite de Florence dans les derniers jours du mois de mai 1376. Sainte Catherine se disposait à partir pour Avignon.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, votre indigne petite fille, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un homme courageux et sans aucune crainte servile, à l'exemple du doux et bon Jésus, dont vous êtes le vicaire. Son amour ineffable envers nous fut si grand qu'il courut à la mort ignominieuse de la Croix sans s'occuper des injures, des mépris, des outrages et des opprobres; il les traversait sans avoir aucune crainte, tant était violente la soif qu'il avait de l'honneur de son Père et de notre salut. Son amour lui fit sacrifier son humanité tout entière.

2. Je veux que vous fassiez de même, mon Père; détruisez en vous tout amour-propre; ne vous aimez pas et n'aimez pas la créature pour vous, mais aimez-vous et aimez le prochain pour Dieu; aimez Dieu pour Dieu, en tant qu'il est digne d'être aimé, [169] en tant qu'il est le Bien suprême et éternel; prenez pour modèle cet Agneau immolé, parce que le sang de cet Agneau vous donnera du courage pour tous les combats. Dans ce sang, vous perdrez toute crainte, vous deviendrez et vous serez le bon Pasteur qui donne sa vie pour son troupeau. Allons, mon Père, n'hésitez plus; animez-vous d'un grand désir en attendant le secours de la Providence, car il me semble que la divine Bonté se prépare à changer en agneaux les loups furieux. Aussi je viens avec empressement les ramener humiliés sur votre sein (Sainte Catherine était à Pise lorsque les Florentins l'appelèrent pour être leur médiatrice auprès de Grégoire Xl. Elle était venue déjà dans leur ville, au mois de mai 1374, sur l'ordre du maître général des Frères Prêcheurs. (Gigli, t. II, p. 44.) Florence fut frappée d'interdit le 14 mai 1377, et se décida à demander la paix.). Vous, comme Père, je suis sûre que vous les recevrez, malgré leurs injures et leurs persécutions vous imiterez la douce vertu suprême qui nous dit que le bon Pasteur, quand il a retrouvé la brebis perdue, la met sur ses épaules et la ramène au bercail. Vous ferez de même, mon Père, parce que votre brebis est retrouvée vous la mettrez sur les épaules de l'amour, et vous la ramènerez au bercail de la sainte Église. Puis ensuite notre doux Sauveur veut et commande que vous déployiez l'étendard de la sainte Croix contre les infidèles, que tout homme armé se lève et marche contre eux. Conservez les troupes que vous avez soldées pour l'Italie, mas empêchez-les d'y venir, car elles gâteraient plutôt les affaires qu'elles ne les arrangeraient.

3. Mon doux Père, vous me demandez mon avis sur votre retour, et je vous réponds je vous dis de la part de Jésus crucifié Venez le plus tôt que vous pourrez. Si vous le pouvez, venez avant le mois de septembre; mais si vous ne le pouvez pas, ne laissez pas au moins passer le mois de septembre (Gégoire XI quitta en effet Avignon le 13 septembre de cette année.). Ne vous arrêtez pas aux contradictions que vous rencontrez; mais venez en homme courageux et sans crainte; et surtout gardez-vous bien, par amour de la vie, de venir avec un entourage militaire, mais venez la Croix à la main, comme le doux Agneau (C'était l'avis de tous les hommes éclairés d'alors. Pétrarque, peu de temps avant, avait écrit en sollicitant le retour du Pape à Rome: " Unum his nunc etiam pari fide, ac simplicitale subnectam, non oportuisse, nec oportere Pontificem Romanum armata manu Romam petere. Tutiorem illum facit auctoritas quam gladii, sanctitas quam loricae, Arma sacerdotum sunt orationes, lacrymae, et jejunia, et virtutes, et boni mores, et abstinentia, castitas, humani-tas, mansuetudo actuum et verborum. Quid signis militaribus opus est? Satis esset Crux Christi; illam solam tremunt daemones, homines reverentur: quid tubis, aut buccinis? Sufficit Alleluia. (Petrarch., in Apologia contra Gall.) La cour d'Avignon n'était pas de cet avis, et au moment où sainte Catherine écrivait cette lettre, le 27 mai, le cardinal Robert, de Genève, quittait Avignon avec une grosse armée dont les excès en Italie irritèrent encore davantage les esprits.). En agissant ainsi vous accomplirez la volonté de Dieu; en venant d'une autre manière vous la transgresserez et ne l'accomplirez pas. Rassurez-vous, mon Père, et réjouissez-vous; venez, venez. Je ne vous dis rien de plus; demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Pardonnez-moi, mon Père; je vous demande humblement votre douce bénédiction [171].








Lettre n. 7, A GRÉGOIRE XI

VII. - A GREGOIRE XI. - Sainte Catherine presse le Souverain Pontife de retourner à Rome, et de ne pas suivre les conseils des cardinaux qui voulaient l'en empêcher.

(Cette lettre fut écrite à Avignon, où sainte Catherine arriva le 18 juin 1376; on la trouva seulement en latin dans les papiers du bienheureux Raymond qui l'avait traduite pour le Pape, qui ne comprenait pas le toscan. (Vie de sainte Catherine. Lettre d'Etienne Maconi.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint Père dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne et misérable petite fille Catherine se recommande à vous dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une pierre ferme et inébranlable dans vos bonnes et saintes résolutions. Résistez aux vents contraires des hommes du monde qui vous persécutent, aux ruses et à la malice des démons qui veulent empêcher le bien que causera votre retour.

2. J'ai appris par la lettre que vous m'avez adressée, que les cardinaux vous objectent la conduite du pape Clément IV, qui, au moment de faire la même chose, ne voulut pas la faire sans l'avis de ses frères les cardinaux. Reconnaissons aussi qu'il renonça souvent à son avis, qui semblait le meilleur, pour suivre celui des autres. Hélas! très saint Père, ils [172] vous citent l'exemple de Clément IV, mais ils ne parlent pas de celui d'Urbain V, qui, dans les choses douteuses, demandait leurs conseils pour savoir si elles étaient bonnes ou non, mais qui, dans les choses claires et évidentes, comme l'est votre retour, vous pouvez en être sûr, ne s'arrêtait pas à leurs avis; il suivait le sien sans s'inquiéter de leur opposition (Urbain V résista avec fermeté aux cardinaux qui voulaient le retenir en France. Son historien raconte ce qui arriva à Marseille. Nam veniens Marsiliam, dumi cardinales recusarent eum sequi, statim ibidem duos ordinavit cardinale, asserens quod in capillo capucii sui sufficientes habebat cardinales. Unde cardinales ejus constantiam videntes, suam audaciam prius habitam mutaverunt in timorem, et secuti sunt eum. (Gigli. t. I. p. 50.). Il me semble que l'avis des bons doit toujours être pour l'honneur de Dieu, le salut des âmes et la réforme de la sainte Eglise, il ne leur est pas inspiré par l'amour d'eux-mêmes, et je dis que cet avis doit être écouté plutôt que l'avis de ceux qui aiment seulement la vie, les honneurs, la puissance et les plaisirs, parce que leur avis n'a jamais d'autre but que ce qu'ils aiment. Je vous prie de la part de Jésus crucifié, qu'il plaise à Votre Sainteté de se hâter. Usez d'une sainte ruse, paraissez vouloir différer beaucoup votre départ, et partez tout à coup; plus vite vous le ferez, moins vous aurez à souffrir de peines et d'embarras (Grégoire Xl suivit ce conseil, et cacha jusqu'au dernier moment son départ. Sed cum aqnatis el Gallicis id in primis odiosum fore cerneret, trirems in Rhodano celatis omnibus causam paratae sunt, et brevi post Pontifex cum illis qui praesto jubenti affuere, delapsus est. (Biondo, lib. X.- Gigli t. I, p.51). Il me semble que les [173] cardinaux vous rappellent l'exemple des bêtes sauvages qui, une fois échappées des filets du chasseur, n'y retombent jamais. Vous avez échappé au filet de leurs conseils, où ils vous avaient pris en vous faisant différer une fois votre retour. C'était le démon qui vous avait tendu ce piège, pour faire tout le mal que ce retard a causé, mais l'Esprit-Saint vous remplira de sagesse, et vous n'y tomberez plus. Hâtons-nous donc, mon doux Père, et n'ayons aucune crainte.

3. Si Dieu est avec vous, personne ne sera contre vous. C'est Dieu qui vous fait agir, puisqu'il est avec vous. Allez vite à votre Épouse qui vous attend, pâle et mourante, et vous lui rendrez la vie. Je ne veux pas vous fatiguer davantage, j'aurais cependant beaucoup de choses à vous dire. Demeurez dans la sainte et la douce dilection de Dieu. Pardonnez à ma présomption. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 8, A GRÉGOIRE XI

VIII. - A GREGOIRE XI. - Elle rassure le Pape contre tous les dangers dont de mauvais conseillers le menacent.

(Cette lettre est écrite pendant le séjour de sainte Catherine à Avignon.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint et bienheureux Père dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne et misérable petite fille [174] Catherine vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir sans aucune crainte servile; car celui qui est craintif perd toute la force des saintes résolutions et des bons désirs. Aussi, je prie et je prierai le doux et bon Jésus qu'il vous ôte toute crainte servile, et qu'il vous laisse seulement une sainte crainte. Que l'ardeur de la charité soit en vous, pour vous empêcher d'entendre la voix des démons incarnés, et de suivre le conseil pervers de ceux qui, par amour d'eux-mêmes, veulent, m'assure-t-on, mettre obstacle à votre retour, en vous effrayant et en disant que vous vous livrez à une mort certaine. Et moi je vous dis, de la part de Jésus crucifié, très doux et très saint Père, de ne rien craindre; venez en toute assurance, confiez-vous dans le Christ, le doux Jésus. Si vous faites ce que vous devez faire, Dieu vous protégera, et personne ne pourra rien contre vous.

2. Courage donc, mon Père, puisque je vous dis que vous ne devez rien craindre. Si vous ne faites pas ce que vous devez faire, vous avez, au contraire, raison de craindre. Vous devez venir, venez donc; venez avec douceur, sans rien redouter; et si quelqu'un de ceux qui vous entourent voulait vous en empêcher, répondez-lui hardiment comme le Christ répondit à saint Pierre, qui voulait, par tendresse, lui faire éviter la Passion. Le Christ se tourna vers lui, en lui disant: " Retire-toi, de moi, Satan; tu es pour moi un scandale, parce que tu recherches l'intérêt de l'homme plutôt que celui de Dieu; tu ne veux pas que j'accomplisse la volonté de mon Père. " Faites de même, très doux Père; imitez Celui dont [175] vous êtes le Vicaire; fortifiez-vous en vous-même, et dites hautement devant tous: Quand même je devrais perdre mille fois la vie, je veux accomplir la volonté de mou Père. Supposons qu'il y ait danger de la vie, ne faut-il pas la sacrifier? puisque c'est un moyen certain d'acquérir la vie de la grâce. Courage, et ne craignez rien, car vous ne le devez pas. Armez-vous de la très sainte Croix, qui est le salut et la vie des chrétiens; laissez dire ce qu'on veut dire, et soyez ferme dans votre sainte résolution. Mon Père, frère Raymond m'a dit de votre part de prier Dieu dans le cas où vous rencontreriez des obstacles. Je l'avais fait déjà, et après la sainte Communion, je n'ai vu ni mort, ni péril, ni aucun des dangers dont vous parlent ceux qui vous conseillent. Croyez, et confiez-vous dans le Christ, le doux Jésus. J'espère que Dieu ne méprisera pas tant de prières faites avec un désir si ardent, avec des larmes et des sueurs si abondantes. Je n'en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez-moi, pardonnez-moi; que Jésus crucifié soit avec vous. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 9, A GRÉGOIRE XI

IX.- A GREGOIRE XI. - Elle engage le Pape à faire la guerre contre les infidèles, et lui propose le duc d'Anjou pour chef de la croisade.



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint Père dans le Christ, le doux Sauveur, [176] votre indigne et misérable petite fille Catherine se recommande à vous dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir accomplir la volonté de Dieu et le dessein que vous avez de lever l'étendard et le signe de la très sainte Croix; ce signe, c'est la volonté de Dieu que vous le montriez, et je sais, très saint Père, que vous en avez aussi un très grand désir. Puisque Dieu le veut et que vous le voulez aussi, je vous prie et je vous dis, par amour pour Jésus crucifié, de n'être pas négligent; mais si le doux et bon Jésus vous offre les moyens de commencer cette sainte entreprise, profitez-en; si vous le faites, Dieu bénira son épouse, et vous irez de la guerre à la paix avec l'aide divine. Il me semble que vous m'avez dit, lorsque j'étais en présence de Votre Sainteté, qu'il fallait avoir un prince pour chef, et que sans cela vous ne pensiez pas qu'on pût réussir. Voici le chef, très saint Père le duc d'Anjou veut bien, par dévouement pour le tombeau du Christ et pour la sainte Église, se charger de ce fardeau, que l'amour qu'il a pour la Croix lui fait paraître léger, et lui rendra d'une douceur extrême, si vous, très saint Père, vous voulez bien y consentir (Le duc d'Anjou, Louis Ier, chef de la seconde branche des Angevins, était fils du roi Jean et frère du roi Charles V. Sainte Catherine avait exercé une salutaire influence sur lui à Avignon, et lui adressa une lettre.) O Dieu, doux Amour! ne différez plus l'accomplissement de votre désir, de votre douce volonté. Sachez, sachez profiter des trésors et des dons que le Christ vous envoie, puisque vous en avez le temps [177].

2. Il semble que la Bonté divine demande de vous trois choses. Je remercie Dieu et Votre Sainteté de la première, car il a fortifié et affermi votre coeur; il vous a fait résister aux attaques de ceux qui voulaient vous empêcher d'aller reprendre et occuper votre place véritable. Je me réjouis de toute mon âme de la sainte persévérance que vous avez pour accomplir la volonté de Dieu et votre bon désir.

3. Je vous prie d'apporter le même zèle à faire les deux autres choses. Car, pendant que je priais notre doux Sauveur pour vous, comme vous me l'aviez fait recommander, Dieu me révéla que je devais vous dire qu'il fallait vous mettre en route; je m'excusais, parce que je me trouvais indigne de porter un semblable message, et je disais: mon Seigneur, si c'est votre volonté qu'il parte, je vous conjure d'accroître et d'enflammer de plus en plus son désir. Notre doux Sauveur eut la bonté de me répondre: " Dis-le-lui en toute assurance; voici le signe le plus évident que je lui donne de ma volonté: plus il trouvera d'opposition et d'obstacles à ce voyage, et plus il sentira croître en lui une force que personne ne pourra lui ravir, ce qui n'est certainement pas naturel. Je te dis aussi que je veux qu'il lève l'étendard de la sainte Croix contre les infidèles, et qu'il le lève aussi pour ceux qui lui sont soumis, pour ceux qui se nourrissent et vivent dans le jardin de la sainte Eglise, où ils administrent mon sang. Je dis que je veux qu'il lève sur eux la Croix, en poursuivant leurs vices et leurs défauts; qu'il arrache le péché, qu'il plante la vertu, et qu'il confie cette Croix à de bons pasteurs et chefs dans la sainte Eglise. " Si ceux qui [178] sont établis ne sont pas tels, Notre-Seigneur veut que pour ceux qui sont à nommer, vous vous appliquiez à les choisir bons, vertueux et ne craignant pas la mort de leurs corps. Dieu ne veut pas que vous vous arrêtiez aux grandeurs, aux pompes du monde, parce que le Christ n'a rien de commun avec ces choses, et qu'il ne regarde qu'à la grandeur et à la richesse de la vertu. De cette manière, les bons poursuivront, avec l'amour de la Croix, les vices des méchants.

4. Très saint Père, par l'amour de l'Agneau immolé, sacrifié et abandonné sur la Croix, je vous conjure, vous qui êtes son Vicaire, d'accomplir sa douce volonté; faites ce que vous pourrez faire, et vous serez excusé devant lui, et votre conscience sera déchargée. Si vous ne faites pas ce que vous pouvez, vous serez sévèrement repris de Dieu. J'espère de sa bonté et de Votre Sainteté que vous le ferez encore, comme vous l'avez fait en décidant votre retour; vous entreprendrez la sainte croisade et la répression des vices qui se commettent dans le corps de la sainte Église. Je m'arrête; pardonnez à ma présomption. Je Sais que monseigneur le duc d'Anjou vous verra pour vous entretenir de la croisade, qu'il désire beaucoup; donnez - lui satisfaction pour l'amour de Dieu; accomplissez son bon désir. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je vous demande humblement votre bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour [179].








Lettre n. 10, A GRÉGOIRE XI

X. - A GREGOIRE XI. Elle réfute une lettre écrite par des faussaires pour empêcher le Pape de retourner à Rome.



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très saint et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne et misérable petite fille Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, écrit à Votre Sainteté, dans son Sang précieux, avec le désir de vous voir fort et persévérant dans votre bonne et sainte résolution, malgré les vents contraires qui pourraient vous en empêcher, malgré le démon et les hommes. Quelques-uns, il me semble, veulent venir, comme le dit notre Sauveur dans son saint Evangile, couverts de la toison des agneaux, taudis qu'ils sont des loups affamés. Notre Sauveur nous dit qu'il faut nous méfier d'eux. Il me semble, mon doux Père, qu'ils agissent déjà au moyen d'une lettre, et outre cette lettre, ils annoncent l'arrivée de celui qui l'a écrite, disant qu'il frappera à la porte quand vous n'y penserez pas; et ils ajoutent, pour feindre l'humilité si la porte m'est ouverte, j'entrerai, et nous délibérerons ensemble. Ils se revêtent ainsi d'humilité pour mieux persuader. Qu'elle est glorieuse cette vertu dont l'orgueil veut se parer.

2. L'auteur de cette lettre a fait, selon moi, pour Votre Sainteté ce que le démon fait pour l'âme, lorsqu'il veut l'empoisonner sous les apparences de la vertu et de la compassion. Il emploie surtout cet [180] artifice avec les serviteurs de Dieu, parce qu'il voit bien qu'il ne pourrait pas les tromper en leur présentant le mal dans sa nudité. Il me semble que c'est aussi le plan du démon incarné qui vous a écrit avec ce ton de compassion et cette forme sainte. Cette lettre paraît venir d'un homme vertueux et juste, tandis qu'elle est l'oeuvre d'hommes méchants qui sont les conseillers du démon, les ennemis du bien de la chrétienté et de la réforme de la sainte Église, les esclaves de l'amour-propre, ne cherchant jamais que leur intérêt particulier. Mon Père, vous pouvez facilement reconnaître si cette lettre vient d'un homme juste ou non, et il me semble que, pour l'honneur de Dieu, vous devez l'examiner. Quant à moi, autant que je puis le voir et le comprendre, ce ne sont pas là les paroles d'un serviteur de Dieu; tout m'y parait faux, et je trouve que celui qui a écrit cette lettre n'est pas très habile; il devrait retourner à l'école, car il en sait moins qu'un enfant.

3. Remarquez, très saint Père, qu'il vous tente par ce qu'il connaît de plus faible dans l'homme, surtout dans ceux qui sont craintifs et recherchés pour eux-mêmes, redoutant la moindre peine corporelle et aimant la vie plus que tous les autres. Aussi c'est le premier argument dont il s'est servi; mais j'espère de la bonté de Dieu que vous vous arrêterez plus à son honneur et au salut de vos brebis qu'à vous-même comme un bon pasteur qui doit donner sa vie pour son troupeau. Il paraît que ce corrupteur vous dit d'abord que votre retour est une chose bonne et sainte, et qu'il vous annonce ensuite qu'on prépare pour vous des poisons. Il vous conseille de vous faire [181] précéder par des hommes de confiance qui vous trouveront du poison sur les tables, c'est-à-dire sans doute dans les boutiques où on le prépare pour vous le donner, dans quelques jours ou dans un mois, ou dans un an. Pour moi, je confesse que vous pourriez aussi bien trouver du poison sur les tables d'Avignon ou de quelque autre ville, que sur les tables de Rome, et cela dans un mois ou dans un an, selon le moment et le lieu choisi par l'acheteur; et cependant l'auteur de la lettre dit que vous feriez bien d'envoyer quelqu'un à la découverte et de suspendre votre voyage.

4. Il prétend par ce moyen laisser à la justice divine le temps d'atteindre les méchants qui, selon lui, cherchent votre mort. Mais s'il était sage il craindrait pour lui-même, car il répand le plus terrible poison qui ait été depuis longtemps répandu dans la sainte l'Eglise; il veut vous empêcher de faire ce que Dieu vous commande et ce que vous devez faire. Voyez comment il répand ce poison; si vous ne partez pas, et si vous envoyez quelqu'un, comme le conseille ce saint homme, il suscitera un scandale, une révolte temporelle et spirituelle, en vous accusant de mensonge, vous qui êtes sur le siège de la Vérité. Vous avez annoncé et fixé votre retour, et si vous ne le réalisez pas, ce serait un grand scandale et un grand trouble dans les coeurs. Caïphe prophétisait quand il disait qu'il fallait qu'un homme mourût pour que le peuple ne périt pas. Il ne savait pas ce qu'il disait, mais le Saint-Esprit savait bien qu'il disait la vérité, que le démon ne lui faisait pas dire dans cette intention. Cet homme veut être un [182] autre Caïphe; il vous prophétise que si vous envoyez quelqu'un, il trouvera du poison. Cela est vrai, si vous êtes assez coupable pour rester et envoyer, vos confidents trouveront du poison dans tous les coeurs et toutes les bouches, non seulement un jour, mais pendant un mois, une année.

5. J'admire beaucoup les paroles de cet homme, qui vous conseille les actions bonnes, saintes et spirituelles, et qui veut ensuite que, par crainte pour votre corps, vous renonciez à ces mêmes actions. Ce n'est pas là l'usage des serviteurs de Dieu, qui, pour aucune crainte corporelle ou temporelle, lors même qu'il y aurait danger pour leur vie, ne veulent jamais abandonner leurs saintes entreprises; car, s'ils le faisaient, ils n'atteindraient pas leur but; c'est la persévérance dans les saints désirs et les bonnes oeuvres qui est couronnée et qui mérite la gloire et non la confusion. Aussi, mon révérend Père, je vous ai dit combien je désirais vous voir ferme et inébranlable dans votre bon propos, parce que c'est le moyen d'arriver à la paix avec vos enfants rebelles, et à la réformation de la sainte Eglise. Vous satisferez aussi le désir des serviteurs de Dieu qui voudraient voir lever l'étendard de la sainte Croix contre les infidèles. Alors vous pourrez administrer le sang de l'Agneau à ces pauvres infidèles, ce sang que vous gardez dans votre cellier et dont vous avez les clefs.

6. Hélas! mon Père, je vous prie par l'amour de Jésus crucifié d'employer sur-le-champ votre pouvoir à ces choses car, sans votre pouvoir, rien ne peut se faire. Je ne vous conseille pas, doux Père, d'abandonner les enfants légitimes qui se nourrissent sur [183] le sein de l'Épouse du Christ, pour des enfants bâtards qui ne sont pas encore légitimés par le baptême; mais j'espère de la bonté divine qu'en vous adressant aux enfants légitimes, vous parviendrez avec votre autorité, avec l'arme puissante de la sainte parole, avec le secours des gens de coeur, à ramener les infidèles à notre mère la sainte Église, et à les légitimer. Cela certainement serait bien plus utile à la gloire de Dieu, à vous, à l'honneur et à l'exaltation de la douce Épouse du Christ Jésus, que de suivre l'étrange conseil de ce saint homme, qui aimerait mieux vous voir habiter, vous et les ministres de la sainte Église, avec les infidèles Sarrasins qu'avec le peuple de Rome ou de l'Italie. J'approuve l'ardeur qu'il a pour le salut des infidèles, mais je le blâme de vouloir enlever le père aux enfants légitimes, et le pasteur aux brebis réunies dans le bercail. Il me semble qu'il veut faire pour vous ce que la mère fait pour son enfant lorsqu'elle veut le priver de son lait. Elle met quelque chose d'amer sur son sein, pour qu'il sente l'amertume avant la douceur, et que la crainte de ce qui est amer lui fasse abandonner ce qui est doux. L'enfant est plus trompé par ce moyen que par un autre. Celui qui vous écrit veut faire de même en vous présentant l'amertume du poison et des persécutions, pour tromper l'enfance de l'amour de vous-même, pour que la crainte vous fasse abandonner le lait de la grâce, ce lait que vous aurez en abondance après votre retour. Et moi je vous conjure, de la part de Jésus crucifié, de n'être pas un enfant timide, mais un homme courageux; ouvrez la bouche, et prenez ce qui est amer pour ce qui est [184] doux; il ne convient pas à Votre Sainteté de renoncer au lait à cause de l'amertume. J'espère de l'infinie et ineffable bonté de Dieu que, si vous le voulez, il nous fera grâce et à vous aussi. Vous serez un homme ferme et inébranlable; vous ne vous laisserez pas troubler par le moindre vent, par les illusions du démon et par les conseils de ceux qu'il inspire, mais vous suivrez la volonté de Dieu, votre bon désir et le conseil des serviteurs de Jésus crucifié.

7. Je termine en concluant que la lettre reçue ne vient pas du serviteur de Dieu qu'on vous nomme, et qu'elle n'a pas été écrite de si loin (Burlamacchi pense que le personnage auquel on attribuait faussement cette lettre, pouvait être Pierre, infant d'Aragon et religieux de Saint-François, qui jouissait alors d'une grande réputation de sainteté.). Je crois qu'elle a été faite près de vous, et par des serviteurs du démon qui n'ont guère la crainte de Dieu. Si je croyais qu'elle vint de celui qu'on désigne, et si je ne le connaissais pas d'ailleurs, je ne pourrais pas le reconnaître pour un serviteur de Dieu. Pardonnez-moi, mon Père, si je vous parle avec tant de hardiesse. Je vous demande humblement de me pardonner et de me donner votre bénédiction. Pardonnez-moi dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je prie son infinie bonté qu'il me fasse bientôt la grâce de vous voir vous mettre en route, avec la paix, le repos de l'âme et du corps. Je vous prie, doux Père, de me donner audience quand il plaira à Votre Sainteté, parce que je voudrais bien me trouver en votre présence avant votre départ: le temps est court, aussi je désire que ce soit bientôt. Doux Jésus, Jésus amour [185].









Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n.4, A GRÉGOIRE XI