Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 25, AU CARDINAL PIERRE DE LUNE

Lettre n. 26, AU CARDINAL PIERRE DE LUNE

XXVI. - AU CARDINAL PIERRE DE LUNE, lettre écrite en extase. - Du zèle pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes. - Elle le presse de faire tous ses efforts pour apaiser les différends qui s'élevaient entre le Pape et les cardinaux.

(Cette lettre fut écrite après l'élection d'Urbain VI, faite le 9 avril 1378. Le conflit entre le Pape et les cardinaux était déjà commencé.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.




1. Très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir comme une colonne inébranlable dans le jardin de la sainte Eglise. Que je vous voie dépouillé de cet amour-propre qui affaiblit toute créature raisonnable, et riche de ce seul amour véritable qui est fondé sur la pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus, en suivant toujours ses traces. Dans cet amour, l'âme se fortifie, parce qu'elle a consumé tout ce qui l'affaiblissait. Non seulement elle est forte pour elle-même, mais elle communique souvent sa force au prochain. Oui, vous pouvez fortifier les autres, vous et vos semblables, lorsque vous donnez à ceux qui vous sont soumis et aux autres séculiers l'exemple d'une sainte et honnête vie, et une doctrine fondée sur la vérité. C'est par la doctrine et la bonne vie que l'homme montre qu'il est exempt de faiblesse, et fort contre ses trois principaux [253] ennemis, c'est-à-dire contre le démon, en ne suivant pas sa malice; contre le monde, en ne suivant pas ses vanités, et en refusant ses honneurs et ses plaisirs; contre sa propre fragilité, et contre la chair, qu'il a foulée aux pieds de son affection et à la lumière de la raison, en ne recherchant pas avec une délicatesse déréglée les jouissances du corps et les aliments délicats, et en se mortifiant, au contraire, par la pénitence, les jeûnes, les veilles, l'humble et continuelle prière. Par ce moyen, elle ne se laisse pas commander par la chair fragile, mais par la raison, comme nous devons le faire, afin que l'âme soit maîtresse, comme elle doit l'être, et que les sens soient esclaves.

2. C'est certainement une honte et une grande confusion pour l'homme, de ne pas jouir d'une liberté si parfaite que personne ne puisse en dépouiller son âme, et de devenir le misérable serviteur et l'esclave de ces trois ennemis qui le réduisent à rien, en le privant de la vie de la grâce. Ceux qui sont forts sont libres, parce qu'ils sont délivrés des mains de leurs ennemis, et qu'ils ont armé la cité de l'âme d'une troupe de vraies et solides vertus. Oh! combien doucement vivent ceux-là qui ont le zèle de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, qui fortifient le prochain et l'encouragent par leur vertu. Cette vertu les dépouille de l'amour d'eux-mêmes qui les affaiblissait, et c'est pourquoi j'ai dit que celui qui devient fort peut fortifier souvent son prochain.

3. Aussi je veux, très cher Père, que vous soyez une colonne ferme et inébranlable, que vous ne soyez influencé ni par ce que le monde peut donner [254], ni par les persécutions que peuvent soulever les clercs dans le corps mystique de la sainte Eglise. Si vous n'êtes pas dépouillé de l'amour de vous-même, il est certain que vous serez faible, et que votre faiblesse vous réduira au néant. Aussi mon âme désire vous voir si fort, que rien ne vous arrête, et que vous puissiez prêter aide et secours aux faibles. Donnez, donnez du sang du Christ à votre âme, afin que tout enivrée, elle coure sur le champ de bataille pour combattre avec courage. Que la mémoire s'emplisse de ce précieux sang; que l'intelligence y voie et comprenne la sagesse du Verbe, le Fils unique de Dieu, qui a vaincu par le sang notre malice et la malice de l'antique serpent, en revêtant l'amorce de notre humanité. Que la volonté s'élance, tout enivrée du sang du Christ, où elle trouve l'abîme de sa charité; qu'elle l'aime, et qu'elle l'aime de tout son coeur de toute son âme, de toutes ses forces, jusqu'à la mort, ne pensant jamais à elle, mais seulement à Jésus crucifié. Qu'elle s'asseye à la table de la Croix, et qu'elle y prenne la nourriture des âmes pour l'honneur de Dieu, en souffrant avec patience jusqu'au dernier soupir, en portant les défauts du prochain devant Dieu avec une grande compassion, et en acceptant avec résignation l'injustice qui nous est faite. Agissons ainsi, très cher Père, car c'est le moment.

4. Il me semble que j'ai entendu dire que la discorde naissait entre le Christ de la terre et ses disciples. J'en éprouve une douleur inexprimable, par la seule crainte que j'ai de l'hérésie. J'ai bien peur quelle ne vienne à cause de mes péchés; et je vous [255] conjure par ce glorieux et précieux sang qui a été répandu avec un si ardent amour, que vous ne vous sépariez jamais de la vertu et de votre chef (Cette prière semble être une prophétie de la chute du cardinal Pierre de Lune. Sainte Catherine avait annoncé les malheurs du schisme au bienheureux Raymond pendant son séjour à Pise, en 1375. - C'est d'elle-même qu'elle parle dans le paragraphe suivant. (Vie de sainte Catherine, p. II, ch. X. ). Je vous prie de supplier le Christ de la terre de faire promptement la paix; car il serait trop dur d'avoir à combattre au dedans et au dehors; qu'il dispose les voies pour y réussir. Dites-lui qu'il se prépare de bonnes colonnes, maintenant qu'il est sur le point de créer des cardinaux; que ce soient des hommes courageux, qui ne craignent pas la mort, mais qui soient prêts à souffrir pour l'amour de la vérité et pour la réforme de l'Eglise, jusqu'à la mort, et à donner leur vie, s'il le faut, pour l'honneur de Dieu.

5. Hélas! hélas! ne perdez pas le temps, et qu'il n'attende pas, pour appliquer le remède, que la pierre lui tombe sur la tète. Hélas! que mon âme est à plaindre! tout le reste, la guerre, le déshonneur et les autres tribulations ne me semblent qu'une paille, une ombre, en comparaison de ceci. Oui, je vous assure, je tremble à cette seule pensée, surtout depuis qu'une personne m'a fait comprendre que cette affaire était plus grave et plus dangereuse que la guerre elle-même. Je vous dis qu'il semblait que le coeur et la vie allaient lui manquer. Elle invoquait et suppliait la miséricorde divine de prévenir tant de maux, et elle désirait que son corps répandit son [256] sang par la violence d'un saint désir; il ne lui semblait pas qu'une sueur ordinaire fût suffisante; elle eût voulu une sueur de sang, et elle eût été contente de voir son corps détruit.

6. Je crois, mon très cher Père, qu'il vaut mieux me taire que de parler sur ce sujet; mais je vous prie, autant que je le sais et que je le puis, de supplier le Christ de la terre et les autres de faire sur-le-champ cette paix, et de prendre, pour y arriver, tous les moyens possibles pour honorer Dieu, réformer la sainte Eglise et apaiser ce scandale. Et si cependant il arrivait, fortifiez-vous dans la vertu avec des hommes vertueux, afin de pouvoir résister, en chassant les ténèbres et en restant dans la lumière. Je ne doute pas que Dieu ne le fasse par son infinie miséricorde; qu'il ne dissipe les ténèbres et l'infection de son Épouse, et qu'il ne lui rende son parfum et la lumière quand il plaira à son infinie et ineffable bonté. C'est ce qui console et réjouit mon âme; sans cela, je crois que je mourrais de douleur. Soyez donc courageux et ferme comme une colonne inébranlable. Je prierai et je ferai prier Dieu pour qu'il en soit ainsi. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez, mon Père, à ma présomption, si j'ose parler ainsi; que l'amour et la douleur m'excusent devant vous. Doux Jésus, Jésus amour [257].








Lettre n. 27, AU CARDINAL JACQUES ORSINI

XXVII. - AU CARDINAL JACQUES ORSINI. - De la divine charité, et de la route que Jésus-Christ nous a enseignée par ses souffrances et par sa mort.

(Jacques Orsini, fils du comte de Nole, fut nommé cardinal par Grégoire XI, en 1371. Il se rendit à Avignon pour recevoir le chapeau, et s'arrêta à Sienne le 13 octobre de la même année. C'est alors sans doute qu'il fit connaissance de sainte Catherine. Il suivit le Pape à Rome, et fit partie du conclave qui nomma son successeur. Il espéra un instant être choisi comme doyen des cardinaux diacres; il couronna Urbain VI; mais il pencha ensuite vers le schisme, sans formellement se prononcer. Il mourut le 15 août 1379.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très cher et très aimé Père dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir lié dans les liens d'une divine et très ardente charité. C'est cette charité qui a porté Dieu à nous tirer de lui-même, c'est-à-dire de son infinie sagesse, pour que nous soyons heureux, et que nous participions à son bonheur suprême. C'est ce lien qui, lorsque l'homme eut perdu la grâce par son péché, unit et lia Dieu à la nature humaine et le greffa sur nous. Car la vie a été greffée sur la mort; nous étions morts, et son union nous a donné la vie. Dès que Dieu fut ainsi greffé sur l'homme, l'Homme-Dieu courut, tout embrasé d'amour, a la mort ignominieuse de la Croix. C'est sur cet arbre que voulut être greffé le Verbe incarné, et il a été [258] attaché sur la Croix par l'amour et non par des clous qui n'auraient pas suffi à retenir l'Homme-Dieu. Le doux Maître est monté sur ce siège pour nous enseigner la doctrine de la vérité; et l'âme qui la suit ne peut tomber dans les ténèbres. Il est la voie qui conduit à cette école, c'est-à-dire à l'imitation de ses oeuvres. Il l'a dit lui-même: " Je suis la voie, la vérité, la vie et c'est ainsi qu'il est véritablement Père. "

2. Celui qui suit ce Verbe a travers les injures, les mépris. les opprobres, les peines, les tourments, avec la vraie et sainte pauvreté, avec l'humilité et la douceur à supporter les injures et les peines, avec une sincère et inaltérable patience, celui qui écoute le Maître qui est la voie parce qu'il l'a faite et observée le premier, celui-là rend toujours le bien pour le mal, car c'est là sa doctrine. Vous voyez bien avec quelle patience il a supporté nos iniquités il parait ne pas les voir; et cependant quand viendra l'heure de la mort, il montrera qu'il les a bien vues, puisque toute faute sera punie et toute vertu récompensée. Il entendait avec une admirable patience les injures qu'on lui adressait sur la Croix. Il entendait le cri des Juifs qui criaient: Crucifiez-le, ou bien: Qu'il descende de la croix; et il disait: Pardonnez-leur, mon Père; mais il restait immobile quand on lui disait de descendre. Il persévéra jusqu'à la fin, et cria avec une joie sublime Tout est consommé, Consummatum est.

3. Il semble que ce soit là un cri de tristesse; mais c'est le cri de joie de l'âme consumée et brûlée dans le feu de la divine charité du Verbe incarné, le [259] Fils de Dieu. Il semble que le doux Jésus veut dire: J'ai consommé et accompli tout ce qui est écrit de moi; j'ai consommé la peine du désir que j'avais de racheter le genre humain. Je suis dans la joie et dans l'allégresse parce que j'ai consommé cette peine et satisfait la volonté manifeste de mon père, que je désirais tant accomplir. O doux Maître, comme vous nous avez bien enseigné la voie et la doctrine! Comme vous nous avez bien dit la vérité, en nous apprenant que vous étiez la voie, la vérité, la vie! Celui-là qui suit cette voie et cette doctrine ne peut avoir en lui la mort, mais il reçoit la vie éternelle. Ni le démon, ni les créatures, ni l'injure ne peuvent la lui enlever si sa volonté n'en est pas complice. Que l'orgueil de l'homme rougisse donc de cette complaisance et de cet amour qu'il a pour lui même, en voyant la bonté de Dieu si grande en lui, tant de grâces et tant de bienfaits reçus sans mérite et par grâce; et il semble que l'homme insensé ne voie pas cette ardeur, cette flamme. Si nous n'étions pas de pierre, nous devrions en être brisés.

4. Hélas, hélas! infortunée que je suis, la seule cause de ce malheur, selon moi, c'est que l'oeil de l'intelligence ne veut pas s'élever sur l'arbre de la Croix, où paraissent ces flammes d'amour si douces et si pénétrantes, et cette doctrine si féconde en fruits qui donnent la vie. C'est de là que viennent ses largesses, car sa générosité a ouvert et déchiré son corps; il s'est immolé lui-même, il nous a fait un bain et un baptême de son sang, et nous pouvons, nous devons user chaque jour avec un grand amour et une continuelle reconnaissance de ce baptême; car de [260] même que le baptême de l'eau purifie l'âme du péché originel et lui donne la grâce, de même ce sang lavera nos iniquités; il apaisera l'impatience, calmera l'injure et l'effacera de l'esprit qui ne cherchera pas à la venger, et l'âme recevra la plénitude de la grâce qui mène par la voie droite.

5. Aussi je dis que l'âme, en voyant cela, ne peut s'empêcher de se renoncer parfaitement et de tuer cette volonté perverse des sens qui se révolte contre elle et contre son Créateur; elle se passionnera pour l'honneur de Dieu et pour le salut de la créature. Elle ne fera plus attention à elle-même, mais elle fera comme l'homme qui aime: son coeur et son affection ne se reposent pas en lui, mais dans l'objet de son amour. Et l'amour a tant de puissance, que de celui qui aime et de celui qui est aimé, il ne fait qu'un coeur et qu'une âme; ce qui est aimé de l'un est aimé de l'autre, car s'il y avait quelque division, l'amour ne serait pas parfait. Et j'ai souvent remarqué que quand nous aimions une chose, ou pour notre utilité, ou pour le plaisir que nous y trouvons, on ne s'arrête pas pour l'obtenir aux affronts, aux injures, aux peines qu'il faut supporter; on ne regarde pas à la fatigue, mais on cherche tous les moyens de remplir la volonté de la chose qu'on aime.

6. O mon très cher Père ne nous laissons pas couvrir de honte par les enfants des ténèbres. Car ce serait une grande confusion pour les enfants de la lumière, pour les serviteurs de Dieu qui sont choisis et tirés du monde pour être des fleurs et des colonnes dans le jardin de la sainte Eglise. Vous devez être [261] une fleur embaumée et non infecte; vous devez être revêtu de la blancheur de la pureté, avec le parfum de la patience et d'une ardente charité; vous devez être généreux, libéral, et non pas avare, imitant la Vérité suprême, qui a donné sa vie avec générosité. C'est ce parfum que vous devez offrir à la douce Epouse du Christ, qui se repose dans ce jardin. Oh! que cette aimable Epouse se plaît dans ces douces et solides vertus! Celui-là est son fils légitime; elle le nourrit sur son sein, en lui donnant le lait de la divine grâce qui est bonne et suffisante pour nous donner la vie de l'éternelle union de Dieu. Aussi le Christ dit au cher Paul " Paul, ma grâce te suffit (II, Ép. aux Cor., XII, 9 - Sainte Catherine avait une tendre dévotion pour Saint Paul, qu'elle appelait Paoluccio ou Paoloccio). " Je dis que vous êtes une colonne placée pour garder le lieu de cette Epouse, et vous devez par conséquent être fort et non faible; car une chose faible, le moindre vent la fait tomber, qu'il vienne de la tribulation ou de l'injure qu'on reçoit, ou bien de la trop grande prospérité, des honneurs ou des plaisirs du monde. Je veux donc que vous soyez fort, parce que Dieu vous a fait une colonne de la sainte Eglise.

7. Et quel est le moyen de fortifier notre faiblesse? c'est l'amour. Mais tout amour n'est pas propre à nous fortifier: ce n'est pas l'amour de la fortune des richesses, pas plus que l'orgueil, la colère, la haine de ceux qui nous font injure; ce n'est pas l'amour d'aucune chose créée en dehors de Dieu. Un semblable amour, non seulement ne nous donne pas la force, mais il nous ôte au contraire celle que nous avons [262]. Cet amour est si pauvre et si misérable, qu'il conduit l'homme à la plus honteuse servitude qu'il puisse y avoir; il le rend le serviteur et l'esclave du néant, et lui ôte sa dignité et sa grandeur. Il est bien juste qu'il en soit puni, car il s'est éloigné lui-même de Dieu. Nous n'avons donc d'autres choses à faire que de placer notre affection, notre désir, notre amour dans un être plus fort que nous, c'est-à-dire en Dieu, ou nous trouvons toute force. C'est notre Dieu qui nous a aimés sans être aimé. Aussi, dès que l'âme a trouvé et goûté un si doux amour, plus fort que tout ce qui est fort, elle ne peut plus rechercher et désirer autre chose que lui. Hors de lui, elle ne demande et ne veut rien; elle est forte parce qu'elle est appuyée et fixée sur une chose ferme et inébranlable. Elle ne change jamais, quoi qu'il arrive, et elle suit toujours les traces et les mouvements de Celui qu'elle aime. Comme elle n'a qu'un coeur et qu'une volonté avec lui, elle voit parfaitement que le Christ a aimé la peine et l'humiliation, tout Fils de Dieu qu'il était il a été, parmi les hommes, un Agneau humble, doux et méprisé.

8. Aussi ses serviteurs se réjouissent de suivre cette voie, ils fuient et détestent tout ce qui lui est contraire. Ils sont devenus une même chose avec lui. et ils aiment ce que Dieu aime, et détestent ce que Dieu déteste. Ils reçoivent une force si grande, que rien ne peut leur nuire. Ils sont comme de vrais chevaliers qui voient les plus grandes tempêtes sans s'en inquiéter. Ils ne craignent rien, parce qu'ils ne se confient pas en eux-mêmes; ils ont mis toute leur espérance, toute leur foi en Dieu, qu'ils aiment, parce qu'ils voient qu'il est fort, qu'il veut et peut les secourir [263]. Ils disent alors avec une grande humilité, comme saint Paul: " Je puis tout par Jésus crucifié qui est en moi et me fortifie. Ne dormez donc plus, mon Père, car vous êtes une colonne faible par vous-même; mais unissez-vous à l'arbre de la Croix; liez-vous par l'amour, par une charité ineffable et sans bornes avec l'Agneau immolé qui verse son sang de toutes les parties de son corps. Que nos coeurs se brisent plus de dureté, plus de négligence, car le temps ne dort pas, mais il poursuit son cours. Demeurons avec Dieu par l'amour et le saint désir, et nous n'aurons plus rien â craindre.

9. Le saint et doux remède de l'âme, c'est de reconnaître son néant, c'est de voir toujours que le péché seul vient d'elle, et que tout le reste vient de Dieu. Quand elle se connaît et qu'elle connaît Dieu, elle connaît sa bonté sur elle; et la connaissant, elle l'aime et elle se déteste, non pas comme créature, mais comme rebelle à son Créateur. En partant de cette sainte et vraie connaissance, elle ne se trompe pas de route, mais elle marche avec courage, car elle est unie et transformée en Celui qui est la voie, la vérité, la vie; et elle est si forte, que ni le démon, ni la créature ne lui peuvent ôter sa force, parce quelle est devenue une même chose avec lui. Tout mon désir est de vous voir dans ces doux et puissants liens, et un des signes principaux qui montrent que nous sommes les amis et les disciples du Christ, c'est de rendre le bien pour le mal. Si nous ne le faisons pas, nous sommes en état de damnation. Le faire est agréable à Dieu en toute créature, mais surtout en ceux qui sont, comme vous, dans la sainte Eglise, des miroirs où les séculiers doivent [264] regarder. Nous devons bien considérer que l'injure que nous faisons à Dieu, qui est infini, est plus grande que celle qui nous est faite par la créature, qui est finie. Et nous voulons cependant qu'il nous pardonne et qu'il fasse la paix avec nous; nous désirons qu'il ne paraisse pas voir nos offenses. Nous devons faire de même pour nos ennemis: je vous le demande et je vous en conjure de la part de Jésus crucifié, faites-le pour l'honneur de Dieu et pour votre salut. Je n'en dis pas davantage pardonnez à mon ignorance, c'est l'abondance du coeur qui fait trop parler la langue. Je vous prie, au nom de cet amour ineffable, d'être dans l'Eglise un valeureux champion, cherchant toujours l'honneur de Dieu, son exaltation, et non la vôtre, comme ceux qui tuent et dévorent les âmes. Appliquez-vous à faire tout ce que vous pourrez, et priez le Saint-Père de venir sans tarder davantage. Encouragez-le à lever l'étendard de la très sainte Croix contre les infidèles, parce que la guerre que se font les chrétiens sera détournée sur eux. Ne craignez rien de ce que vous verrez arriver; car le secours de Dieu est prés de nous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de. Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [265].








Lettre n. 28, AU CARDINAL JACQUES ORSINI

XXVIII.- AU CARDINAL JACQUES ORSINI. - Elle l'exhorte à devenir une ferme colonne de l'Eglise, et travailler au salut des âmes. - Elle le prie d'engager le Souverain Pontife à faire la paix avec les rebelles, pour porter ensuite la guerre chez les infidèles.



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très cher et très aimé Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une colonne ferme et inébranlable placée dans le jardin de la sainte Eglise pour résister aux vents contraires qui soufflent de tous côtés. Si elle n'est pas fondée sur la pierre, elle tombera, et il faut que ce fondement soit bien profond; car s'il ne l'était pas, la colonne serait faible. O mon Père dans le Christ Jésus! vous êtes une colonne qui doit avoir pour base l'humilité, et cette humilité s'acquiert dans la vraie connaissance de soi-même. Car l'homme se laisse aller à l'orgueil, parce qu'il ne se connaît pas; s'il connaissait son néant, il ne tomberait pas dans l'orgueil. L'être qu'il a, il l'a reçu de Dieu seul. Nous n'avons jamais demandé à Dieu qu'il nous créât. Il a été poussé par le feu de sa divine charité, par l'amour qu'il a eu pour sa créature; en la regardant en lui-même, il s'est passionné pour sa beauté et pour l'oeuvre de ses mains. De même, l'âme qui regarde en soi y trouve la bonté de Dieu, et elle l'embrase tellement d'amour, qu'elle ne peut plus [266] aimer et désirer que Dieu, en qui elle a trouvé une bonté sans bornes. Elle voit quelle est la pierre où est fixé l'étendard de la très sainte Croix: le rocher et les clous n'auraient pu le tenir sans la force de l'amour que Dieu avait pour l'homme.

2. Je me rappelle ce qui fut dit à une servante de Dieu qui s'écriait dans l'ardeur qu'elle ressentait: " O mon Seigneur! Si j'avais été la pierre et la terre où fut plantée votre Croix, quelle grâce j'aurais eue de recevoir votre sang qui coulait de la Croix! " La douce et suprême Vérité lui répondait: " Ma fille bien-aimée, toi et les autres créatures raisonnables, vous étiez la pierre qui me reteniez, car ce ne pouvait être que mon amour pour vous, tout autre chose était incapable de me retenir, moi l'Homme-Dieu. " Qu'ils rougissent donc ces pauvres coeurs misérables et ambitieux livrés tout entiers aux choses grossières de cette vie ténébreuse, aux grandeurs, aux honneurs et aux délices du monde. Ceux-là ont pour seul fondement l'amour d'eux-mêmes, parce qu'ils ne veulent pas supporter la fatigue et suivre la voie des opprobres, des abaissements et de la pauvreté volontaire qu'à suivie le bon et doux Jésus.

3. Je vous dis, mon très cher Frère, que celui-là ne résiste pas, le moindre vent le jette par terre; car son fondement, c'est-à-dire son amour est placé dans des choses vaines, légères et transitoires qui passent et fuient comme le vent. Vous voyez bien qu'en dehors de Dieu rien n'est solide; si c'est la vie, elle disparaît. De la vie nous allons à la mort, de la santé a la maladie, de l'honneur à la honte, de la richesse à la pauvreté; tout passe, tout se. précipite. Oh! combien se [267] trompe celui qui met son affection en ces choses! Il l'y met parce qu'il s'aime lui-même d'un amour sensuel; il aime ce qui flatte cette partie grossière de lui-même; mais il ne s'aime pas d'un amour raisonnable fondé sur la vertu. Car, s'il s'aimait par raison et par vertu, et non pas avec l'amour de lui-même et du monde, en se cherchant et en cherchant les créatures plus que Dieu, il ne perdrait rien quand tout vient à lui manquer; il n'en ressentirait aucune peine, car il n'aurait pas cet amour qui seul fait souffrir ceux qui aiment hors de Dieu: mais il ne souffre pas celui qui s'aime et qui aime les créatures dans la connaissance solide et véritable de son Créateur. Il voit bien que c'est Dieu qui lui donne ou lui ôte les choses spirituelles ou temporelles, en voulant uniquement notre bien et notre sanctification.

4. Alors, avec cette lumière et cette connaissance qu'il a acquise de lui, de la bonté de Dieu, et de son ineffable charité, il s'humilie profondément par la haine et le mépris de lui-même. Il naît en lui une patience qui le soutient dans les peines, les injures les affronts, parce qu'il est content de souffrir, en pensant qu'il s'est révolté contre son Créateur. Ses fondements sont solides; il est devenu une pierre ferme établie sur la pierre qui est le Christ Jésus, dont il suit les traces et il ne peut rechercher, aimer et vouloir que ce que Dieu aime, et détester ce que Dieu déteste: il reçoit alors tant de joie, de force et de consolation, que rien au monde, ni le démon, ni les créatures, ne peut l'affaiblir ou lui causer quelque amertume; car là où est Dieu, se trouvent tous les biens. Que notre coeur ne se sépare donc pas de tant [268] d'amour; plus de négligence et d'aveuglement, suivez l'Agneau immolé sur le bois de la très sainte Croix; autrement, très cher Père, vous qui êtes une colonne placée pour aider et soutenir autant que vous le pourrez la douce Epouse de l'Agneau, vous tomberiez du rang où il vous a mis, non à cause de votre mérite, mais à cause de sa bonté, pour que vous l'honoriez et que vous serviez le prochain. Nourrissez-vous, nourrissez-vous des âmes qui ont été sa nourriture.

5. Vous voyez bien que depuis que nous avons perdu la grâce par le péché de notre premier père, la volonté du Père éternel ne s'accomplit pas en nous; car il ne nous avait pas créés pour une autre fin que celle de posséder et de contempler sa beauté, ce qui est la vie sans la mort; cette volonté ne s'accomplit pas. Poussé par l'ardent amour qui l'avait porté à nous créer, il a voulu nous montrer qu'il ne nous avait pas faits pour une autre fin; il trouva le moyen d'accomplir cette volonté, il nous donna par amour le Verbe, son Fils unique, et il punit sur lui notre faiblesse et notre iniquité. O doux feu d'amour! d'un seul coup vous avez puni le pécheur sur vous-même, en souffrant la mort et la passion, en vous abreuvant d'opprobres, de mépris, d'outrages, pour nous rendre l'honneur que nous avions perdu par le péché; et vous avez ainsi apaisé la colère de votre Père, en subissant vous-même sa justice; vous avez expié pour moi l'injure faite à votre Père éternel, vous avez apaisé une grande guerre. Le doux et tendre Paul a bien dit vrai: " Le Christ est notre paix, le Médiateur qui est venu faire la paix entre [269] Dieu et l'homme. " C'est là le doux, l'aimable moyen que Dieu a pris pour nous faire atteindre le but de notre création; il l'a montré par ses oeuvres: malgré ce qui a été fait et ce qui se fait tous les jours, il nous a donné de grandes preuves d'amour; et l'âme le comprendra, si elle regarde en elle-même comment tout a été fait pour elle.

6. Oui, que la cité de notre âme se rende et cède au feu de l'amour, si elle résiste aux autres moyens. Hélas! hélas! ne dormez plus, vous et les autres champions de la sainte Eglise. Ne vous attachez plus aux choses passagères, mais attachez-vous au salut des âmes. Vous voyez bien que le démon travaille sans cesse à dévorer les brebis si chèrement rachetées, et tout le mal vient des mauvais pasteurs qui dévorent les âmes. Pensez-y pour l'amour de Dieu, et travaillez autant que vous le pourrez avec votre bien-aimé Christ de la terre, à établir de bons pasteurs et de bons maîtres. O Dieu amour! ne nous faites plus languir et mourir, nous et les autres serviteurs de Dieu; mais appliquez-vous à nous montrer autant que vous le pourrez, que vous avez faim de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, non seulement pour les chrétiens, mais encore pour les infidèles. Priez le Christ de la terre qu'il se hâte d'élever sur eux l'étendard de la sainte Croix. Ne craignez aucune guerre, aucune révolte, mais agissez avec courage, parce que ce sera le moyen d'arriver à la paix.

7. Au sujet de la guerre que vous avez avec les membres corrompus qui se sont révoltés contre leur chef, je vous prie, pour l'amour de Jésus crucifié [270], de demander au Saint-Père qu'il veuille bien se réconcilier et faire la paix avec eux, en y employant tous les moyens que réclamera le bien de la sainte Eglise; cela vaut mieux que de l'obtenir par la guerre. Tout en reconnaissant les torts qu'ils ont eus, nous devons toujours choisir ce qui offre le plus d'avantages. Je vous en conjure autant que je le sens et que je le puis, afin que nous allions ensuite courageusement donner notre vie pour le Christ, la pierre inébranlable. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu pardonnez à ma présomption, si j'ose vous écrire que mon excuse soit l'amour que j'ai pour la douce Epouse de Jésus et pour notre salut. Doux Jésus, Jésus amour.







Lettre n. 29, AU CARDINAL DE PORTO PIERRE CORSINI

XXIX. - AU CARDINAL DE PORTO PIERRE CORSINI. Elle l'exhorte à être un agneau par humilité, et un lion par la force, en imitant Jésus-Christ par lequel nous participons aux trois personnes divines.- Elle le prie d'aimer le Souverain Pontife, et de presser son retour et le commencement de la croisade.

(Ce cardinal était de Florence, et de la famille des Corsini. Grégoire XI l'avait élevé à la pourpre en 1370. Il suivit malheureusement le parti des cardinaux français séparés d'Urbain VI.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET LA DOUCE MARIE




1. Très cher et très révérend Père et frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave [271] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un agneau humble et doux, à l'exemple de l'Agneau sans tache, qui fut si humble et si doux, qu'on ne l'entendit jamais proférer une seule plainte. Semblable à l'agneau qui ne se défend pas, il se laissa conduire à la boucherie de la très sainte et très dure Croix. O inestimable feu d'amour! vous nous avez donné votre chair pour aliment, et votre sang pour breuvage. Vous êtes l'Agneau qui a été préparé aux flammes d'une ardente charité. Je ne vois pas d'autre moyen, mon Père, pour pouvoir acquérir la vertu, que de fixer les yeux de votre âme sur cet Agneau, parce qu'en lui nous trouvons l'humilité sincère et profonde, avec une grande douceur et patience. Quoiqu'il soit Fils de Dieu, il ne vient pas et ne se pose pas comme roi, parce que l'orgueil et l'amour-propre ne sont pas en lui; il vient comme un vil esclave; il ne se cherche pas pour lui, mais il veut rendre à Dieu honneur et gloire, et à nous la vie que nous avions perdue par le péché; et cela, il le fait seulement par amour et pour accomplir la volonté du Père sur nous. Dieu a créé l'homme à son image et à sa ressemblance uniquement pour qu'il jouisse de lui dans la vie éternelle. Par la rébellion de l'homme contre Dieu, la voie avait été rompue, et la douce volonté de Dieu qui lui avait fait créer l'homme ne s'accomplissait pas, car il n'a été créé que pour avoir la vie éternelle.

2. Dieu, pressé par cette charité pure et sans borne qui nous avait fait créer, nous donna, pour accomplir sa volonté en nous, le Verbe son Fils [272] unique; et le Fils de Dieu, s'oubliant lui-même pour satisfaire cette douce volonté, se fit médiateur entre Dieu et l'homme, et termina cette grande guerre par la paix, parce que l'humilité a triomphé de l'orgueil du monde; ce qui lui a fait dire: Réjouissez-vous, j'ai vaincu le monde, c'est-à-dire l'orgueil de l'homme. Il n'y a personne de si orgueilleux et de si impatient, qui ne devienne humble et doux en considérant un si grand abaissement, un si grand amour, en voyant Dieu humilié jusqu'à nous. Aussi les saints et les vrais serviteurs de Dieu, pour s'acquitter envers lui, se sont toujours humiliés. Ils rapportent toute louange et toute gloire à Dieu, et ils reconnaissent que tout ce qu'ils ont vient uniquement de sa bonté; ils voient leur néant, et ce qu'ils aiment, ils l'aiment en Dieu. Ils sont dans les honneurs quand Dieu le veut; mais plus ils sont grands, plus ils s'humilient et connaissent leur néant. Celui qui se connaît s'humilie, ne lève pas la tête et ne s'enfle pas d'orgueil; mais il s'abaisse et reconnaît la bonté de Dieu qui agit en lui. Il acquiert ainsi la vertu de la charité et de l'humilité. L'une est la nourrice et la gouvernante de l'autre; et sans ces vertus, nous ne pouvons pas avoir la vie éternelle. Hélas! hélas! quel sera l'insensé qui n'aimera pas, en se voyant aimé, et qui ne se dépouillera pas de l'amour-propre pervers, qui est le principe et la racine de tout notre mal. Je ne puis croire qu'il y ait quelqu'un assez endurci pour ne pas aimer en se voyant aimé, à moins qu'il ne se prive de la lumière par l'amour-propre.

3. Quel est le signe de celui qui aime? Ce signe [273] évident, demandez-le et voyez-le dans saint Jérôme, qui occupait votre rang. Il mortifiait sa chair par les jeûnes, les veilles, la prière il tuait en lui l'orgueil par des vêtements toujours pauvres, et il mettait tout son zèle, non pas à chercher, mais à fuir les honneurs et les grandeurs du monde. Et comme ceux qui s'humilient sont exaltés, quand il eut sa charge il ne perdit pas sa vertu, mais il l'éprouva comme l'or dans la fournaise, en y ajoutant la vertu de la charité. Il se passionne pour les âmes, et il ne craint pas de perdre la vie de son corps, parce qu'il prend la forme et le vêtement du doux Agneau Jésus. Il ne s'aime et n'aime pas le prochain et Dieu pour lui, mais il aime tout en Dieu. Il ne s'inquiète ni de la vie, ni de la mort, ni des persécutions, ni des peines qu'il faut souffrir; il ne cherche que l'honneur de la suprême et éternelle Vérité.

4. Ce sont là les signes des vrais serviteurs de Dieu, au nombre desquels, mon Père, je vous supplie et vous demande d'être. Portez le signe de l'humilité véritable; humiliez-vous, au lieu de vous glorifier de votre élévation; ne soyez impatient dans aucune des peines et des injures que vous aurez à souffrir; mais combattez avec une invincible patience dans le corps de la sainte Eglise, jusqu'à la mort, annonçant et disant toujours la vérité, par vos conseils et par tous les moyens qui sont en votre pouvoir, sans aucune crainte, ne recherchant que l'honneur de Dieu, le salut des âmes et l'exaltation de la sainte Eglise, comme le fils véritable et bien-aimé de cette douce mère. C'est par là que vous montrerez la divine charité unie à la patience. Soyez généreux, charitable [274], spirituellement, comme je vous l'ai dit, et temporellement. Pensez que les mains des pauvres vous aident à répandre et à recevoir la grâce divine. Je veux que vous commenciez une vie, une existence nouvelle. Ne dormez plus dans le sommeil de la négligence et de l'ignorance.

5. Oui, soyez pour moi un champion véritable. Je vous ai dit que je désirais vous voir un agneau à la suite du véritable agneau maintenant je vous dis que je veux vous voir un lion puissant, qui rugisse dans la sainte Eglise; que votre voix et votre vertu soient assez fortes pour ressusciter les enfants morts qui sont dans son sein (Ce passage s'explique par le symbolisme du moyen âge qui attribuait au rugissement du lion la puissance de ressusciter ses lionceaux mort. (Voir les mélanges d'archéologie des PP. Cahier et Martin: Bestiaire, t. II, p. 106). Si vous demandez où est le cri, la voix puissante de l'Agneau, ce n'est pas son humanité qui se fait entendre, car il est la douceur même; mais c'est la divinité qui donne la puissance au cri du Fils, par la voix de son infinie charité, c'est-à-dire par la force et le pouvoir de la divine essence, et de l'amour qui a uni Dieu à 'homme. C'est cette vertu qui a changé l'agneau en lion; et du haut de la Croix, il a poussé un si grand cri sur l'enfant mort de l'humanité, qu'il le délivra de la mort, et lui donna la vie. Nous recevons de lui la force, parce que l'amour qui nous vient du doux Jésus nous fait participer à la puissance du Père. Vous voyez bien qu'il en est ainsi, puisque ni le démon, ni les créatures ne peuvent nous forcer à commettre un péché mortel; l'homme est libre et [275] maître de lui-même. Dans l'amour, nous participons à la lumière et à la force du Saint-Esprit, qui unit l'âme à son Créateur et éclaire l'intelligence; et l'entendement, dans cette lumière, participe à la sagesse du Fils de Dieu.

6. O très cher Père, que nos coeurs se brisent et se déchirent, en voyant l'état et la dignité où son infinie bonté nous a placés, soit par la création, en nous créant à son image, soit par la rédemption et l'union de la nature divine avec la nature humaine. Pouvait-il plus donner qu'en se donnant lui-même à ceux qui par le péché sont devenus les ennemis de Dieu? O ineffable et parfait amour! Vous vous êtes bien passionné pour votre créature vous étiez Dieu, vous ne pouviez souffrir, et vous vouliez faire la paix avec l'homme; la faute commise demandait un châtiment, et l'homme ne pouvait satisfaire, pour un si grand outrage contre vous, le Père éternel; mais l'amour que vous aviez pour nous vous a fait trouver ce moyen: vous avez revêtu le Verbe de notre chair, et il a pu vous rendre honneur et apaiser votre colère en souffrant dans la chair d'Adam, qui avait commis la faute. O homme! comment résister, et ne pas t'abandonner toi-même? Tu vois qu'il a combattu sur la Croix; il s'est laissé vaincre après avoir vaincu; la mort a vaincu la mort; ils ont jouté ensemble; la mort a été détruite, et la vie est ressuscitée dans l'homme. Hâtez-vous donc, et que votre coeur ne résiste plus; que la cité de votre âme se rende; si elle ne se rend pas pour autre chose, qu'elle se rende parce que le feu a été mis partout. De quelque côté que vous vous tourniez, au spirituel [276] ou au temporel, vous trouverez toujours le feu de l'amour.

7. Je vous demande et je veux que vous aimiez le Christ de la terre; priez-le qu'il revienne, et qu'il lève promptement l'étendard de la très sainte Croix contre les infidèles. Ne vous étonnez pas, vous et les autres, si les chrétiens se lèvent et se sont levés comme des membres corrompus contre leur doux chef; ce sera le moyen de les apaiser et de les faire redevenir des enfants soumis. Pardonnez mon ignorance; si j'ose vous parler ainsi, excusez l'amour et le désir que j'ai de votre salut et de la réforme, de l'exaltation de la sainte Eglise, qui est si défigurée, qu'il semble que le coeur de la charité lui manque; car tous la volent et lui dérobent ses ornements pour s'en parer eux-mêmes par amour-propre, tandis qu'ils ne devraient rechercher que son bien et sa gloire. C'est là le signe des superbes, qui, pour être grands et honorés, ne s'inquiètent pas de voir l'Eglise tomber en ruine, et le démon dévorer les âmes. Ces loups rapaces sont bien différents des serviteurs de Dieu, qui sont des agneaux et qui suivent le signe de l'Agneau. Aussi mon âme désire vous voir un agneau. Je finis; mais si je m'écoutais, je parlerais encore. Recommandez-moi avec instance, dans le Christ Jésus, à notre Christ de la terre; encouragez-le, et ne craignez rien, quelque chose qui arrive. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [277].









Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 25, AU CARDINAL PIERRE DE LUNE