Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 79, A L'ARCHEVEQUE D'OTRANTE

Lettre n. 80, A MONSEIGNEUR ANGE

LXXX (34) - A MONSEIGNEUR ANGE, évêque nommé de Castello.- Elle désire le voir éclairé de la vraie et parfaite lumière pour connaître et aimer la vérité.- De la constance, de la prudence et des autres vertus qui viennent de la vraie lumière et de la connaissance de la vérité. - Du malheur de l'âme qui en est privée. - De l'obligation qu'ont les ministres de la sainte Église de procurer le salut des âmes. - Elle l'exhorte à reprendre les vices de ceux qui lui sont soumis, à l'exemple de Jésus-Christ et des anciens prélats, et a faire naître en eux les vraies vertus, surtout dans un temps si désastreux pour l'Église. - Elle le prie d'annoncer que le Pape Urbain VI est le vrai Souverain Pontife.

(Ange Corraro, noble vénitien, fut nommé évêque de Castello en 1378: Castello est un des quartiers de Venise dont les évêques de cette ville prirent le titre jusqu'à l'extinction des patriarches de Grado, en 1451. Il fut élu Pape après la mort d'Innocent VII, et prit le nom de Grégoire XII. Il abdiqua, à la suite du concile de Constance, en 1415, et mourut en 1417. Il avait une grande dévotion pour sainte Catherine de Sienne, et portait toujours à son cou, dans un reliquaire, une de ses dents qu'il avait obtenue du B. Maconi. Il voulait commencer le procès de sa canonisation, mais il en fut empêché par les embarras du schisme.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairé d'une vraie et parfaite lumière, afin que dans la lumière de Dieu vous [556] voyiez la lumière; car en la voyant, vous connaîtrez la Vérité; en la connaissant, vous l'aimerez, et ainsi vous serez l'époux de la Vérité ().

2. Sans cette lumière, nous marcherons dans les ténèbres; nous ne serons pas les époux fidèles, mais infidèles de la Vérité; car cette lumière est le moyen qui rend l'âme fidèle; elle l'éloigne du mensonge, de la sensualité, et elle lui fait suivre la doctrine de Jésus crucifié, qui est la Vérité même; elle rend le coeur ferme, solide, invariable, ne tombant pas dans l'impatience par l'épreuve, ni dans une joie déréglée par la consolation; il est toujours calme et mesuré dans sa conduite. Toutes ses actions sont faites avec prudence et avec la lumière de la discrétion. Comme il agit prudemment, il parle prudemment, il se tait prudemment, il aime mieux écouter quand il le faut que parler sans besoin. Pourquoi? parce que, avec la lumière, il a vu dans la lumière, que Dieu l'éternel aime peu de paroles et beaucoup d'oeuvres (). Sans la lumière, il ne l'aurait pas connu, et il aurait fait le contraire, parlant beaucoup et agissant peu. Son coeur irait au gré du vent; léger dans la joie par la vanité d'esprit, il se laisserait abattre par la tristesse dans l'affliction. Ceux qui sont privés de cette lumière dans le malheur, sont exposés à tomber.

3. Celui qui, dans la lumière de l'éternelle Vérité, a vu la lumière, est capable d'arriver à une grande perfection, et il y arrive en s'exerçant avec zèle à la [557] haine de lui-même et à l'amour de la vertu, il ne le peut pas autrement. Si sa vie devient imparfaite et corrompue, toutes ses actions le seront aussi; de la raison il fera une servante, et de la sensualité une maîtresse. Tout ce que Dieu lui donne lui deviendra un poison. Dans quelque état qu'il se trouve, il ne rend pas à Dieu ce qui lui est dû, pas plus qu'au prochain et à lui-même. Il ne rend pas à Dieu l'hommage d'un amour sincère et désintéressé, en l'aimant parce qu'il est digne d'être aimé, et qu'il est l'éternelle et souveraine Bonté. Il ne se rend pas la haine qu'il se doit en détestant sa sensualité et en pleurant ses fautes passées et présentes, regrettant plus l'offense faite à Dieu que la peine qui doit punir la faute. Il ne rend pas au prochain ce sentiment qui le porte à l'aimer autant que lui-même, à le servir, à l'aider selon son pouvoir pour le Sauver des mains du démon. Celui-là ne se nourrit pas, à la table d'un ardent désir, de l'honneur de Dieu et du salut des âmes. Dieu exige cependant que nous y prenions tous cette nourriture; mais il l'exige surtout des pasteurs de la Sainte Église, auxquels il a confié le soin des âmes.

4. Ils doivent être de vrais pasteurs, à la suite du bon et saint Pasteur qui a offert et donné sa vie pour ses brebis, et qui, par le supplice de la Croix, a satisfait à l'obéissance de son Père et à notre salut. Jamais il n'a refusé le travail et la fatigue; jamais le désir qu'il avait de notre salut n'a été refroidi ni par le démon, ni par les Juifs qui criaient: " Descends de la Croix, " ni par notre ingratitude: nous devons suivre ses traces. C'est à cela que je vous invite, mon très [558] cher Père. Dieu vous a mis depuis peu dans le jardin de la sainte Église; il vous a donné la charge des âmes afin que vous fassiez comme faisaient les doux et saints pasteurs, quand, autrefois, l'Église de Dieu était riche d'hommes vertueux, qui contemplaient la Vérité à la lumière de l'intelligence, au lieu de rechercher les plaisirs, les richesses, le luxe de leur maison, une suite nombreuse et de beaux équipages, comme le font aujourd'hui ceux qui se plongent tellement dans ces choses et dans ces défauts, qu'ils n'ont plus soin des âmes. Je dis qu'ils n'agissaient point ainsi, mais qu'ils prenaient pour modèle jésus crucifié; ils connaissaient par la lumière la faim que le doux Verbe avait pour notre salut, et ils se passionnaient tellement pour lui, que souffrir et donner leur vie était pour eux une grande joie. Leurs amis étaient les pauvres, leur richesse l'amour de Dieu, le salut de leurs brebis et l'exaltation de la sainte Église. Ils ne cessaient jamais d'offrir à Dieu de tendres et ardents désirs, et ils enseignaient la doctrine par l'exemple d'une bonne et sainte vie. Lorsque leur puissance augmentait, ils n'en ressentaient pas d'orgueil, mais ils s'humiliaient plus profondément, parce que la lumière qu'ils avaient leur faisait baisser la tête à la vue du fardeau et de la responsabilité que leur donnait le soin des âmes.

5. Maintenant les besoins sont bien plus grands que dans les temps anciens. Jamais l'Église de Dieu n'a eu plus besoin de secours; jamais le monde n'a été plus rempli de vices; tout est corrompu, et on ne trouve à reposer sa tête qu'en Jésus crucifié. Je ne veux pas que vous laissiez refroidir le saint désir [559]

que vous avez et que vous devez av6ir de remplir les obligations de votre charge. Ne vous laissez pas tromper par le démon, qui voudrait vous faire croire qu'il vaut mieux vivre comme les autres, et que ce n'est pas le moment de corriger les vices de ceux qui vous sont soumis, surtout les débauches honteuses qui se trouvent parmi les clercs. Vous serez un démon, si vous oubliez la volonté de Dieu pour obéir à la sienne; si vous écoutez la créature qui vous dit: Descends de cette Croix, évite ces difficultés qui te causeront des peines, et peut-être la mort. Si tu ne dis rien, les hommes seront pour toi, et tu jouiras en paix de ton bénéfice. Ah! qu'une sainte crainte réponde à la crainte servile et aux créatures, qui veulent ainsi effrayer la sensualité. Ne suis-je pas sujet à la mort? Mais n'en puis-je pas rappeler? Si, assurément, au jour de la résurrection. Mais la mort éternelle, que je mériterais en agissant ainsi, je ne puis pas y remédier, et il s'y joindrait le supplice de mon corps au jour de la résurrection. Il vaut donc mieux donner sa vie, suivre Jésus crucifié, et croire avec une foi vive en Celui par qui tout est possible.

6. Je ne veux pas que l'ingratitude de ceux qui vous sont confiés vous empêche de les secourir et de travailler à leur salut autant que vous le pourrez. Soyez un vrai et parfait jardinier qui arrache les vices et plante les vertus dans ce jardin; c'est pour cela que Dieu vous a appelé et choisi; accomplissez donc avec courage votre devoir. Je suis persuadée que si vous avez la lumière, vous le remplirez parfaitement, mais pas autrement; et c'est pour cela que je vous ai dit que je désirais vous voir éclairé [560] d'une vraie et parfaite lumière. Je vous prie, pour l'amour de Jésus crucifié et de Marie, sa douce Mère, de vous appliquer à accomplir en vous la volonté de Dieu et mon désir, et alors mon âme s'estimera bien heureuse. Ce n'est plus le temps de dormir; il faut secouer le sommeil de la négligence et sortir de l'aveuglement de l'ignorance, pour épouser véritablement la vérité avec l'anneau de la sainte Foi, en ne la taisant plus par crainte, mais en étant toujours généreux, et prêt à donner sa vie, s'il le faut. Il faut s'enivrer du sang de l'humble Agneau sans tache, et se nourrir sur le sein de sa douce Épouse, de la sainte Église, que nous voyons toute démembrée. Mais j'espère dans la souveraine et éternelle bonté de Dieu, qu'il rendra ses membres sains, en guérissant leur infirmité et en purifiant leur corruption; cela se fera par les efforts des vrais serviteurs de Dieu, qui aiment la vérité au milieu des peines, des sueurs, des larmes, et d'une humble, continuelle et fidèle prière. Je ne vous en dis pas davantage. Fortifiez-vous sur la Croix avec le Christ, le doux Jésus. Je me recommande humblement à vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

7. Soyez l'apôtre de la vérité dans cette ville; proclamez courageusement que le Pape Urbain VI est le vrai Souverain Pontife, et appliquez-vous sans cesse à maintenir les fidèles dans la foi, l'obéissance et le respect de la sainte Eglise et de Sa Sainteté [561].










Lettre n. 81, A MONSEIGNEUR ANGE DE RICASOLI

LXXXI (35). A MONSEIGNEUR ANGE DE RICASOLI, évêque de Florence.- Elle l'exhorte à fuir la négligence et l'amour-propre, à l'exemple des anciens évêques, et à se revêtir de la vraie charité, de l'humilité et des autres vertus.

(Ange de Ricasoli monta sur le siège de Florence en 1370, et mourut évêque d'Arrezzo en 1380.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très révérend et très cher Père dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave de Dieu, la vôtre et celle de tous les serviteurs de Dieu, je vous écris et je vous encourage dans le précieux Sang, répandu avec un si ardent amour pour nous. Quelle que soit ma présomption, vous me pardonnerez et vous m'excuserez à cause de l'amour et du désir que j'ai, pauvre misérable, de votre salut, de celui de toutes les créatures, mais surtout du vôtre, car vous êtes Père de bien des brebis. Oui, je vous conjure humblement de vous réveiller, de secouer le sommeil de la négligence, et d'imiter le doux Maître de la Vérité, qui a. donné sa vie, comme un bon pasteur, pour les brebis qui obéissent à sa voix, pour celles qui observent ses commandements. Si vous disiez dans votre coeur: Je ne puis imiter cette perfection, parce que je me sens faible, fragile, imparfait, sans cesse exposé aux illusions du démon, aux faiblesses de la chair, aux tentations et aux erreurs du monde; il est bien vrai, mon Révérend Père, que [562] celui qui suit cette route devient faible et si peureux, si plein de crainte servile, qu'il redoute comme un enfant son ombre, et encore plus l'ombre des créatures que son ombre; et cette crainte est si grande en lui, que, pour ne pas déplaire aux créatures et perdre sa position, il ne regarde pas s'il a offensé ou s'il offense son Créateur.

2. Celui qui est prudent et Sage, au contraire, se réfugie comme un enfant près de sa mère, et dès qu'il est dans son sein il se rassure et perd toute crainte. L'infinie Bonté nous donne un remède à toutes nos faiblesses dans son ineffable charité; car elle est cette tendre Mère qui nourrit avec l'humilité; elle donne à ses enfants toutes les vertus; aucune vertu ne peut avoir la vie, si elle n'est conçue et enfantée par la charité, sa mère. C'est ce que dit l'ardent saint Paul, lorsqu'il déclare que toutes les vertus ne sont rien sans la charité (1Co 13,3). Suivez donc ces vrais pasteurs qui ont suivi le Christ; car ils ont été hommes comme vous, et Dieu est puissant comme il l'était alors, puisqu'il ne change jamais. Mais ils suivaient les traces de Jésus-Christ, ils connaissaient leur faiblesse, ils se réfugiaient dans l'humilité pour vaincre l'orgueil de la gloire et l'amour d'eux-mêmes; ils se jetaient dans les bras de la charité, leur mère, et là ils perdaient toute crainte servile; ils ne craignaient point de reprendre ceux qui leur étaient soumis, parce qu'ils se rappelaient cette parole du Christ: " Ne craignez pas celui qui tue le corps, mais craignez-moi (Mt 10,28). " Et je [563] ne m'en étonne pas, car leurs yeux et leurs coeurs ne se repaissaient pas des choses de la terre, mais seulement de l'honneur de Dieu et du salut des créatures. Ils voulaient conserver et distribuer les grâces spirituelles et temporelles; et comme ils les avaient reçues gratuitement, ils les donnaient gratuitement, ne les vendant jamais pour de l'argent et par simonie; mais ils travaillaient comme de bons jardiniers dans le jardin de la sainte Eglise; ils ne recherchaient pas le jeu, les beaux équipages, les grandes richesses, et ils ne dépensaient pas dans une vie coupable le bien de l'Eglise et ce qui doit appartenir aux pauvres. La charité, leur mère, les fortifiait contre les vents et les flots de la tempête, pour détruire les vices et faire naître les vertus; ils se sacrifiaient eux-mêmes, et ils obtenaient des fruits qu'ils offraient à Dieu. Ils étaient dépouillés de l'amour-propre; aussi ils aimaient Dieu pour Dieu, parce qu'il est la souveraine Bonté et qu'il est digne d'amour. Ils s'aimaient pour Dieu, lui rendaient gloire, et travaillaient pour le prochain; ils aimaient le prochain pour Dieu, ne pensant pas à l'utilité qu'ils pouvaient en recevoir, mais seulement à lui faire posséder et goûter Dieu.

3. Hélas! hélas! hélas! que mon âme est à plaindre! Ils n'agissent pas maintenant ainsi, parce qu'ils aiment d'un amour mercenaire; ils s'aiment pour eux, ils aiment Dieu pour eux et le prochain pour eux; partout abonde cet amour coupable, qu'il faudrait appeler plutôt une haine mortelle, car il enfante la mort. Hélas! je le dis on gémissant, ils ne craignent pas de souiller leur âme, d'acheter et de vendre la grâce du Saint-Esprit: ce sont des voleurs [564] qui prennent l'honneur de Dieu pour eux-mêmes. Hélas! ils ne travaillent pas à réformer les abus. Ils voient le loup infernal emporter la brebis, et ils ferment les yeux pour ne pas le voir; et ce qui les empêche de voir et d'agir, c'est l'amour-propre, qui enfante une crainte déréglée. Ils sentent qu'ils ont les mêmes vices; leur langue et leurs mains sont liées, et ils ne peuvent reprendre et corriger le mal.

4. Je ne voudrais pas qu'il en fût de même pour vous, très cher, très révérend, très doux Père dans le Christ Jésus, et je vous conjure d'être un vrai pasteur, et de donner votre vie pour votre troupeau. Je vous ai dit que je désirais d'un grand désir vous voir sortir du sommeil de la négligence, parce que celui qui dort ne voit pas, n'entend pas; et vous avez besoin de beaucoup voir, de beaucoup entendre, car vous devez rendre compté des autres, et vous êtes entouré d'ennemis, c'est-à-dire du corps, du démon et des délices du monde. L'intérêt de votre salut m'engage à vous réveiller, afin que vous suiviez à la lumière la vie et les saints exemples des vrais pasteurs. Approchez-vous donc de cette douce mère, la charité, qui ôtera de votre coeur toute crainte servile, toute froideur, et lui donnera la force, la générosité, la liberté, car Dieu est charité; et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu est en lui. Courage donc, mon Père: puisque nous voyons que la charité détruit la faiblesse et nous fortifie contre les nombreux ennemis qui nous assiègent, n'hésitons pas à entrer dans cette citadelle, en suivant la voie de la vérité et l'exemple des autres pasteurs. N'attendez pas le lendemain, mais je vous conjure, par l'amour [565] de Jésus crucifié, de réfléchir à la brièveté du temps; vous ne savez pas si vous aurez le lendemain. Rappelez-vous que vous devez mourir, et vous ne savez pas quand. Je finis, mon Père; pardonnez à une pauvre misérable.

5. Puisque vous êtes le père des pauvres, et que vous m'avez priée et fait promettre de m'adresser à vous pour la première aumône que j'aurais à faire, je m'adresse à vous, comme père des pauvres, et j'accomplis la promesse que je vous ai faite. Je vous dirai donc que j'ai une aumône bien pressante à faire au couvent de Sainte-Agnès, dont je vous ai parlé dans une autre lettre (Cette lettre a été perdue. Le couvent recommandé était celui de Montepulciano, fondé par sainte Agnès. Sainte Catherine aimait à aller visiter le corps de celle qui devait être sa compagne de paradis. (Vie de sainte Catherine, p. II, c. 12. ). C'est une sainte communauté de bonnes religieuses qui a de grands besoins, surtout parce que le couvent, qui est hors la ville, doit être transféré à l'intérieur, à cause des troubles et des guerres. Il faudrait, pour commencer, cinquante florins d'or de la part du couvent; la ville donnerait le reste. Je vous écris pour vous faire connaître ce besoin; et je vous prie, je vous supplie de faire ce que vous pourrez. Que Dieu soit dans votre âme. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [566].










Lettre n. 82, A MONSEIGNEUR ANGE DE RICASOLI

LXXXII (36). - A MONSEIGNEUR ANGE DE RICASOLI. - Il faut se clouer, par le saint désir, à la très sainte Croix de Jésus-Christ, et s'embraser d'ardeur pour le salut des âmes.



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Vénérable et très cher Père dans le Christ Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je me recommande à vous dans son précieux sang, avec le désir de vous voir attaché et cloué par le saint désir sur le bois de la très sainte Croix, où nous trouverons l'Agneau sans tache consumé par le feu de la divine charité. Sur cet arbre, nous trouverons la source des vertus. La charité est cet arbre fertile qui fut la croix et le clou qui attacha le Fils de Dieu, car aucune autre croix, aucun autre lien n'aurait pu le retenir. Là, vous trouvez l'Agneau immolé, qui se rassasie de son Père et de notre salut; et son amour est si grand, que toutes les souffrances de son corps ne peuvent l'exprimer. O ineffable, très douce et très aimable charité, la faim et la soif insatiable que vous avez de notre salut vous fait crier: J'ai soif. La soif de votre corps avait beau être grande à cause de vos tourments, la soif de notre salut était bien plus grande. Hélas! hélas! on ne trouve à vous donner à boire que l'amertume de nos iniquités. Combien peu vous désaltèrent avec les actes généreux de leur volonté et les purs sentiments de leur coeur [567]!

2. Je vous prie, mon très doux, très cher et vénérable Père, de secouer le sommeil de la négligence. Ce n'est plus le temps de dormir, car le soleil est déjà levé, il faut donner à boire à qui le demande si doucement si vous me dites: Ma fille, je n'ai rien à lui donner, je vous dirai encore que je désire et que je veux voir attaché et cloué sur la Croix où nous trouvons l'agneau immolé qui nous donne de toute manière. Il s'est fait pour nous le vase, le vin, le serviteur. Le vase, c'est son humanité qui cache sa nature divine; le serviteur, c'est le feu, la main du Saint-Esprit, qui attache le vase sur l'arbre de la sainte Croix; le vin délicieux, c'est cette sagesse, cette parole incarnée, qui a déjoué et vaincu la malice du démon, qui s'est laissé tromper par l'appât de notre humanité. Nous ne pouvons donc dire que nous n'avons rien à lui donner; mais nous devons prendre le vin de l'ardent et ineffable désir qu'il a de notre salut, et le lui donner par le moyen de notre prochain. Oui, je vous conjure de donner, comme un bon père votre vie pour vos enfants, pour vos brebis. Ouvrez l'oeil de l'intelligence, et voyez la faim que Dieu a de la nourriture des âmes. Et alors votre âme s'emplira du feu du saint désir tellement que mille fois s'il était possible, vous donneriez votre vie pour leur salut. Rassasiez-vous donc, rassasiez-vous des âmes, car c'est la nourriture que Dieu demande, et je prie la souveraine, l'éternelle Vérité de m'accorder la grâce et la miséricorde de voir, pour l'honneur de Dieu, pour cette sainte nourriture, notre corps ouvert et immolé, comme le sien l'a été pour nous. Et alors votre âme sera heureuse, mon vénérable et très doux Père [568].

3. Je vous dirai, mon Père, que Frère Raymond n'a pas suivi vos ordres, parce qu'il en a été empêché par beaucoup d'affaires qu'il n'a pas pu laisser. Il était convenu qu'il attendrait plusieurs gentilshommes pour la croisade, et il faut qu'il les attende encore longtemps; mais il viendra le plus tôt qu'il pourra, et se mettra à votre disposition. Pardonnez-lui, et pardonnez-moi ma présomption. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.










Lettre n. 83, A MONSEIGNEUR ANGE DE RICASOLI

LXXXIII (37). - A MONSEIGNEUR ANGE DE RICASOLI. - Il faut servir la sainte Église sans crainte servile et sans amour-propre, et suivre la vie et l'exemple de Jésus-Christ, pour acquérir les vraies vertus. principalement la charité envers Dieu et envers le prochain.



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très cher et très révérend Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un homme fort et sans crainte, afin que vous serviez avec courage la douce Épouse du Christ, travaillant à l'honneur de Dieu, selon les circonstances où se trouve maintenant cette douce Épouse. Je suis persuadée que si l'oeil de votre intelligence se met à considérer

ses besoins, vous serez plein de zèle, et vous agirez sans crainte et sans négligence. Quand l'âme éprouve une crainte servile, aucune de ses opérations n'est [569] parfaite; et dans quelque position qu'elle se trouve, dans les petites choses, comme dans les grandes, elle ne peut réussir et conduire à la perfection ce qu'elle a commencé. Oh! que cette crainte est dangereuse i elle coupe les bras du saint désir; elle aveugle l'homme, et ne lui laisse pas voir la vérité, parce que cette crainte vient de l'aveuglement de l'amour-propre. Aussitôt que la créature raisonnable s'aime d'un amour-propre sensitif, elle craint; et la cause de sa crainte, c'est qu'elle a placé son amour et son espérance dans des choses fragiles, qui n'ont aucune force, aucune durée, et qui passent comme le vent. O perversité d'amour, que tu es dangereuse aux maîtres spirituels et temporels et à ceux qui leur obéissent! Si c'est un prélat, il ne corrigera jamais les abus, parce qu'il craint de perdre son pouvoir et de déplaire à ses inférieurs. Il en est de même de ceux qui obéissent; l'humilité ne peut pas être en celui qui s'aime d'un pareil amour, et l'orgueil y naît alors. L'orgueil n'est jamais obéissant; s'il commande; il n'observe pas la justice, il l'exerce d'une manière fausse et coupable, selon son caprice ou le caprice des créatures. Et à cause de ce défaut de sévérité et de justice, les inférieurs deviennent plus mauvais, parce qu'ils s'entretiennent dans leurs vices et leurs malices.

2. Puisque l'amour-propre et la crainte servile sont si dangereux, il faut les fuir, il faut fixer l'oeil de l'intelligence sur l'Agneau sans tache, qui est notre règle, notre doctrine; nous devons le suivre, parce qu'il est amour et vérité, et qu'il n'a cherché autre chose que la gloire de son Père et notre salut. Il ne [570] craignait ni les Juifs ni leurs persécutions, ni la malice des démons ni la honte, le mépris, les outrages, il ne craignit pas enfin la mort ignominieuse de la Croix. Nous sommes les disciples de cette bonne et douce école. Je veux donc mon très doux et très cher Père, qu'avec un grand zèle et une grande prudence, vous ouvriez l'oeil de l'intelligence sur ce livre de vie, qui vous offre une si précieuse doctrine, et que vous ne vous occupiez que de la gloire de Dieu, du salut des âmes et du service de la douce Épouse du Christ. Par sa lumière, vous vous dépouillerez de l'amour-propre, et vous vous revêtirez de l'amour divin; cherchez Dieu pour son infinie bonté, parce qu'il est digne d'être cherché, d'être aimé de nous. Vous vous aimerez, vous aimerez la vertu, vous détesterez le vice pour Dieu; et du même amour, vous aimerez votre prochain.

3. Vous voyez bien que la divine Bonté vous a placé dans le corps mystique de la sainte Église, et vous a nourri sur le sein de sa douce Épouse pour que vous vous nourrissiez, sur la table de la très sainte Croix, de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, et elle ne veut pas que vous mangiez autre part que sur la Croix, supportant les fatigues corporelles avec d'ardents désirs, comme l'a fait le Fils de Dieu, qui a souffert à la fois les tourments du corps et les angoisses du désir. Et la croix du désir était plus pénible que celle où il était attaché. Son désir était la faim de notre salut, pour accomplir la volonté de son Père; c'est ce qui le fit souffrir jusqu'à ce qu'il l'eût accomplie. Et comme il est la Sagesse du Père, il voyait ceux qui profitaient de son sang [571] et ceux qui n'en profitaient pas par leur faute. Ce sang était donné pour tous, et il pleurait l'aveuglement de ceux qui n'en voulaient pas profiter. Ce tourment du désir, il le souffrit depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Lorsqu'il eut donné sa vie, son désir ne cessa pas mais seulement la croix du désir. C'est ce que vous devez faire, vous et toute créature raisonnable; vous devez donner la souffrance du corps et la souffrance du désir en pleurant l'outrage fait à Dieu, et la perte de tant d'âmes que nous voyons périr. Il me semble qu'il est temps de travailler à la gloire de Dieu et au salut du prochain; il ne faut plus penser à soi avec l'amour-propre sensitif et la crainte servile, mais il faut agir avec un amour sincère et une sainte crainte de Dieu. Il faut, s'il en est besoin, sacrifier non seulement sa fortune, mais encore sa vie pour l'honneur de Dieu.

4. J'espère de son infinie bonté que vous serez un homme courageux, et que vous persévérerez dans ce que vous avez commencé; on étant le Fils fidèle de la Sainte Église, et en vous exerçant à la vertu, vous arriverez à une grande perfection. Oh! quelle joie j'ai eue de la bonne persévérance et de la constance que vous avez montrée! Je vous supplie de ne pas tourner la tête en arrière jusqu'à la mort, et d'être un homme vertueux, une fleur odoriférante dans le corps mystique de la sainte Église, considérant que ceux qui ne sont pas fermes dans la vertu ne sont pas constants. Aussi je vous ai dit que je désirerais vous voir un homme ferme et sans crainte, afin que vous puissiez accomplir la volonté de Dieu et mon désir pour votre [572] salut. Accompagnez l'humble Agneau sans tache, et vous trouverez que notre Roi est venu à nous par la voie de l'humilité et de la douceur. La sensualité ne doit-elle pas rougir de lever la tête par impatience en voyant un Dieu si humilié, qui, pour nous faire grands, s'est fait petit? La douce Vérité suprême nous a enseigné à devenir grands: et comment? Par les abaissements de la véritable humilité. Ne nous dit-il pas d'apprendre de lui à être doux et humbles de coeur. Ainsi donc, mon très cher Père, secouons le sommeil de la négligence et courons avec courage on suivant la doctrine de la vérité. Je finis. Demeurez dans la douce et sainte dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.










Lettre n. 84, A UN GRAND PRELAT

LXXXIV (38). - A UN GRAND PRELAT. - Du zèle pour le salut du prochain à la vue du désir et de la faim que Jésus-Christ a eus sur la Croix. - Des désordres que causent dans la sainte Église l'amour-propre des supérieurs et leur négligence a reprendre les fidèles.

(Les disciples de sainte Catherine qui ont recueilli ses lettres n'ont pas conservé le nom de ce prélat, auquel s'appliquaient sans doute les gémissements de notre sainte.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon révérend et très cher Père dans le Christ Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ crucifié, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir affamé [573] de la nourriture des créatures pour la gloire de Dieu, à l'exemple de la Vérité suprême, qui mourut pour satisfaire la faim et la soif qu'elle avait de notre salut. Il semble que l'Agneau sans tache ne pouvait se rassasier, car il criait sur la Croix, ou il était accablé d'outrages: J'ai soif. Son corps souffrait sans doute de la soif; mais sa plus grande soif était celle du salut des âmes. O ineffable et très douce Charité, il semble que vous donnez tant en vous livrant à de pareils supplices, qu'il est impossible au désir du salut des âmes de vouloir souffrir davantage; mais l'amour agissait, et je ne m'en étonne plus, car cet amour était infini, et votre peine finie, et la croix du désir était plus cruelle que celle du corps.

2. Je me rappelle ce que le bon et doux Jésus montrait une fois à une de ses servantes (Il s'agit de sainte Catherine elle-même.). Elle voyait en lui la croix du désir et la croix du corps, et elle lui disait: Mon doux Seigneur, quelle était votre peine la plus grande: celle du corps ou celle du désir? Et Jésus lui répondait avec tendresse: Ma fille, n'en doute pas; je t'assure qu'il n'y a aucune comparaison à faire entre une chose finie et une chose infinie. Pense que la peine de mon corps était finie, mais que mon désir ne l'était pas, et que j'ai toujours porté la croix du saint désir. Ne te rappelles-tu pas, ma fille, qu'une fois je te montrai ma nativité, et que tu me vis nouveau-né avec la Croix au cou. C'était pour t'apprendre que moi, la Parole incarnée, dès que je fus conçu dans le sein de Marie, je fus attaché à la croix du désir que j'avais d'obéir à mon Père, et d'accomplir [574] sa volonté dans l'homme, en lui rendant la grâce et en lui faisant atteindre la fin pour laquelle il a été créé. Cette croix m'était plus pénible que toutes les peines que j'endurais dans mon corps; aussi mon âme tressaillait d'allégresse, lorsque je vis approcher mon dernier moment, surtout à la cène du Jeudi saint, lorsque je dis: J'ai désiré d'un grand désir célébrer cette pâque, c'est-à-dire sacrifier mon corps à mon Père. J'avais une grande joie, une grande consolation, parce que je voyais arriver le temps ou cesserait pour moi cette croix du désir; et, plus je me voyais près des fouets et des autres tourments de mon corps, plus je sentais diminuer ma peine. La peine du corps faisait disparaître la peine du désir, parce que je voyais s'accomplir ce que j'avais désiré.

3. La servante de Dieu répondait: O mon doux Seigneur, vous me dites que cette peine du désir cessa sur la Croix; mais comment? Avez-vous perdu le désir de mon âme? Et Jésus disait: Non, ma douce fille, en mourant sur la Croix, la peine du saint désir finit avec ma vie, mais non pas le désir et la faim que j'ai de votre salut. Si l'amour ineffable que j'éprouvais et que j'éprouve encore pour les hommes s'était éteint, vous ne seriez pas, car c'est l'amour qui vous a tirés du sein de mon Père en vous créant par sa sagesse, et c'est aussi le même amour qui vous conserve; vous n'êtes faits que d'amour. Si l'amour se retirait avec cette puissance et cette sagesse par laquelle il vous a créés, vous ne seriez pas. Moi, le Fils unique de Dieu, je suis devenu la fontaine qui vous donne l'eau de la grâce. Je vous manifeste [575] l'amour de mon Père, car l'amour qu'il a, est celui que j'ai moi-même; car je suis une même chose avec le Père, et le Père une même chose avec moi (Jn 15,8). C'est par moi qu'il s'est manifesté. Aussi je vous ai dit: Ce que j'ai reçu du Père, je vous l'ai manifesté. Toute chose a sa cause dans l'amour.

4. Ainsi, vous voyez bien, mon révérend Père, que le bon Jésus, le doux Amour, est mort de faim et de soif pour notre salut. Je vous conjure, par l'amour de Jésus crucifié, de prendre pour modèle la faim de cet Agneau. Mon âme désire vous voir mourir d'un saint et vrai désir, que vous donnera l'amour de la gloire de Dieu, du salut des âmes et de la réforme de la sainte Église. Je voudrais vous voir tant souffrir de cette faim, que vous puissiez mourir. Car, comme le Fils de Dieu est mort de faim, il faut mourir à tout amour de vous-même; il faut que la volonté meure à toute passion sensuelle, aux jouissances, aux honneurs, aux délices du monde, aux plaisirs du siècle et à ses pompes. Je n'en doute pas, si l'oeil de votre intelligence se fixe sur vous-même, la connaissance de votre néant vous fera comprendre avec quel ardent amour l'être vous a été donné. Oui, votre coeur ne pourra pas résister, il sera vaincu par l'amour; il ne pourra plus vivre de l'amour-propre, il ne se cherchera plus pour lui-même, pour son intérêt, mais il se cherchera pour l'honneur de Dieu; il ne cherchera pas le prochain pour son utilité, mais il aimera et désirera son salut pour la gloire du nom de Dieu, parce qu'il voit que Dieu [576] aime souverainement la créature. Ce qui fait que les serviteurs de Dieu aiment tant la créature, c'est qu'ils voient combien l'aime le Créateur. Et la condition de l'amour est d'aimer ce qu'aime celui que nous aimons. Ils n'aiment pas Dieu pour eux-mêmes, mais ils l'aiment parce qu'il est l'éternelle Bonté infiniment digne d'être aimée. Mon Père, ceux-là font bon marché de leur vie, parce qu'ils ne pensent plus à eux-mêmes; ils ne veulent autre chose que les peines, les tourments, les affronts, et ils méprisent toutes les tortures du monde; leur plus grande croix est la peine de voir l'outrage fait à Dieu et la perte des créatures. Cette peine est si grande, qu'ils oublient leur propre existence; et non seulement ils ne fuient pas les peines, mais ils s'y plaisent et les recherchent Ils sont comme le doux et ardent saint Paul, qui se glorifiait dans les tribulations par amour de Jésus crucifié. C'est ce doux apôtre que je vous demande d'imiter.

5. Hélas! hélas! que mon âme est à plaindre! Ouvrez les yeux, et regardez les fléaux mortels qui ravagent le monde, et surtout le corps mystique de la sainte Église, Hélas! que votre coeur se brise en voyant tant d'outrages contre Dieu! Voyez, mon Père, comme le loup infernal enlève les créatures, les brebis qui paissent dans le jardin de la sainte Église, et il n'y a personne qui cherche à les lui arracher. Les pasteurs dorment dans l'amour-propre, l'avarice et les plaisirs. Ils sont si enivrés d'orgueil, qu'ils dorment et ne s'aperçoivent pas que le démon, le loup infernal, détruit la vie de la grâce en eux et dans ceux qui leur sont confiés. Oh! combien cet amour [577] est dangereux pour les supérieurs et pour les inférieurs! Le supérieur, plein d'amour-propre, ne corrige pas ses inférieurs parce que celui qui s'aime pour lui-même tombe dans la crainte servile, et n'ose reprendre personne. S'il s'aimait pour Dieu, il n'éprouverait pas de crainte servile; mais il reprendrait avec courage les vices, il ne se tairait pas, et ne ferait pas semblant de ne rien apercevoir.

6. Je veux que vous vous dépouilliez d'un pareil amour, mon très cher Père. Je vous conjure de faire tous vos efforts pour ne pas entendre cette dure parole de la Vérité suprême qui vous jugera: Soyez maudit, parce que vous avez gardé le silence (Is 6,5). Hélas! ne gardez plus le silence, et criez comme si vous aviez mille voix. C'est le silence qui perd le monde; l'Épouse du Christ est toute pâle; elle a perdu sa couleur, parce qu'on a épuisé son sang, le sang du Christ, qui est donné par grâce, et non par obligation. Ils le voient par l'orgueil lorsqu'ils prennent pour eux-mêmes l'honneur qui appartient à Dieu; ils le volent par la simonie, en vendant les dons et les grâces qui nous ont été donnés gratuitement au prix du sang du Fils de Dieu. Hélas! je meurs et je ne puis mourir! Ne dormez plus dans la négligence; faites maintenant ce que vous pouvez faire. Je crois qu'il viendra un temps où vous pourrez faire davantage. Mais pour le présent, je vous invite à dépouiller votre âme de tout amour-propre, et à la revêtir de zèle et de vertus solides pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Fortifiez-vous [578] dans le Christ Jésus, le doux Amour, afin de voir bientôt apparaître les fleurs. Tâchez de faire lever prochainement l'étendard de la Croix, et que le coeur ne vous manque pas au moindre obstacle que vous rencontrerez. Prenez alors, au contraire, une nouvelle force en pensant que Jésus crucifié aide et accomplit tous les ardents désirs des serviteurs de Dieu. Je termine. Demeurez dans la Sainte et douce dilection de Dieu. Anéantissez-vous dans le sang de Jésus crucifié; mettez-vous sur la Croix avec Jésus crucifié; cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié; faites-vous un bain du Sang de Jésus crucifié. Pardonnez, mon Père, à ma présomption. Doux Jésus, Jésus amour.









Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 79, A L'ARCHEVEQUE D'OTRANTE