Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 255, A SANO DE MACO

Lettre n. 256, A SANO DE MACO

CLVI (248). - A SANO DE MACO, et à ses autres fils spirituels. Lettre écrite en extase. - De la perfection et la paix de ceux qui servent Dieu par amour, et non par intérêt et par crainte servile.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des serviteurs fidèles de notre doux Sauveur. Le servir n'est pas être esclave, c'est régner. Sans la Foi on ne peut le servir en vérité, car celui qui sert ainsi n'est pas fidèle; c'est un mercenaire qui sert par intérêt ou par crainte servile. Cette manière de servir n'est pas parfaite à la lumière de la Foi; et celui qui sert ainsi n'est pas fort et persévérant, mais il flotte à tous les vents. Si c'est le vent de la consolation qui souffle, il s'y abandonne avec une grande légèreté de coeur; si c'est le vent de la tribulation, il se laisse aller à l'impatience; si c'est le vent des combats et des attaques du démon, il tremble, il tombe dans l'ennui et la tristesse, parce qu'il croit être privé de Dieu quand il se voit privé de la consolation et du sentiment de sa présence. Tout cela vient de ce qu'il aime plus le bienfait que le bienfaiteur, et qu'il sert plus par amour de lui-même que par amour de l'éternelle et souveraine [1349] Bonté. Son amour est aussi imparfait que la lumière de sa foi est imparfaite.

2. Mais celui qui aime parfaitement sert fidèlement et avec une foi vive; il croit en vérité que ce que Dieu donne et permet, il le donne pour sa sanctification; car il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. Il a vu à la lumière de la très sainte Foi, que le même amour qui nous envoie de grandes consolations, permet que le démon nous tourmente et que les créatures nous persécutent. Ainsi nous voyons que Dieu est souverainement bon, et qu'il ne peut venir de lui qu'une souveraine bonté nous voyons que rien ne se fait sans Dieu, excepté le péché; et alors l'âme fidèle embrasse toute chose avec amour, parce que toute chose est bonne et donnée pour notre salut. On ne peut pas, on ne doit pas se plaindre de ce qui est bien.

3. Si vous me dites, très cher Fils, que dans le temps du combat, il vous semble que vous êtes rebelle, que vous offensez Dieu, et que vous êtes plus affligé de cela que de votre peine, je vous répondrai que la sensualité spirituelle s'afflige autant que l'autre. En paraissant craindre d'offenser Dieu, cette passion a mis un peu de poussière dans l'intelligence où est la prunelle de la très sainte Foi, et elle empêche ainsi de connaître et de discerner la vérité; car, s'il n'y avait rien devant l'oeil de l'intelligence, on connaîtrait que Dieu envoie ces combats à dessein, que les attaques du démon et les faiblesses de la chair ne sont des péchés et des offenses contre le Créateur que quand la volonté propre y consent entièrement. Mais [1350] l'âme qui est fidèle à la lumière de la très sainte Foi retire de grands avantages du temps des combats; elle affermit en s'éloignant de l'amour mercenaire, et elle aime d'un amour libre et généreux. Au moment du combat, elle se fait bonne guerre à elle-même, et par cette guerre, par cette sainte haine qu'elle a conçue, elle devient patiente comme un serviteur fidèle; elle se réjouit toujours de combattre pour Jésus crucifié, et son amour augmente en reconnaissant que sa sainte et bonne volonté ne vient pas d'elle, mais de la souveraine et éternelle Bonté, qui la lui donne par grâce et non par devoir.

4. O glorieux et fidèle service, qui délivre l'âme de la dure tyrannie du démon, du monde et de soi-même! Elle est délivrée du démon, parce qu'elle a lié sa volonté avec les liens de la raison; elle ne consent pas à ses tentations, et ne se laisse pas troubler d'une manière déréglée par ses peines; mais elle les méprise, et se réjouit d'être ainsi sur le champ de bataille, car c'est le démon qui est lié et battu avec le bâton de la charité, avec les chaînes de la véritable humilité. L'homme devient réellement maître, et ne craint plus le démon; c'est le démon qui craint celui qui peut tout par Jésus crucifié. Je dis aussi qu'il est libre et maître du monde, parce qu'il ne se laisse pas dominer par ses délices et ses grandeurs en les aimant d'une manière déréglée; il en triomphe, au contraire, en les méprisant et s'en moquant, car il a vu et connu à la lumière de la très sainte Foi, que la richesse du monde n'est qu'une extrême pauvreté, que ses plaisirs et ses jouissances sont des misères au-dessus de toute misère; et il les a tellement en horreur [1351], qu'il les fuit comme des serpents venimeux. il n'est pas non plus le serviteur des hommes en dehors de la volonté de Dieu, car il ne veut leur obéir qu'autant qu'ils l'aident à chercher et à aimer l'éternelle Vérité.

5. Pourquoi aime-t-il et sert-il le prochain? parce qu'il a vu, à la douce lumière de la vérité, que le prochain est un moyen que Dieu lui a donné pour lui montrer son amour, et les services qu'il lui rend sont libres, car il ne sert pas le prochain en péchant. Je dis aussi qu'il est fidèle, libre et affranchi de la sensualité; il l'a foulée aux pieds de l'affection. il l'a méprisée et frappée avec le glaive de la haine et de l'amour, avec l'amour de la vertu et la haine du vice. Il est donc devenu roi et seigneur par ce doux esclavage, parce qu'il ne s'est pas cherché pour lui-même, mais pour Dieu, l'éternelle et souveraine Bonté, seule digne de notre amour; et il a servi le prochain pour Dieu, et non à cause de l'utilité qu'il y trouve. Qui pourrait raconter la paix de l'âme fidèle? Je ne dis pas qu'elle se trouve au milieu de la paix, qu'elle est à l'abri des flots et des tempêtes de la mer; mais sa volonté est dans la paix, parce qu'elle ne fait qu'une seule chose avec la douce volonté de Dieu. Et alors la tempête même est le repos, car elle ne s'inquiète pas d'elle; mais elle sert son Créateur, qu'il veuille la guerre ou qu'il veuille la paix. Elle n'aime pas plus la guerre que la paix, et la paix que la guerre, parce qu'à la lumière de la Foi, elle voit et connaît par son intelligence que l'une et l'autre procèdent du même amour. Celui qui agit ainsi ne se scandalise pas au sujet du prochain, parce qu'il ne s'arrête pas à la [1352] volonté de l'homme, mais seulement à la volonté de Dieu; et alors il évite tout murmure.

6. Je ne crois pas que vous soyez parfaits sous ce rapport- Bien souvent, au contraire, sous l'apparence du bien et de la compassion, vous murmurez et vous vous jugez les uns les autres. Et cela ne se fait pas sans offenser Dieu; vous lui déplaisez et vous m'affligez beaucoup. Ce n'est pas la doctrine que vous avez reçue: vous devez vous aimer mutuellement, supportant vos défauts les uns les autres. Personne n'est sans défaut; il n'y a que Dieu qui n'ait pas de défaut. Tout cela vous arrive parce que vous n'êtes pas encore des serviteurs fidèles. Si vous étiez des serviteurs fidèles, on ne verrait parmi vous ni moqueries, ni murmures, ni scandales, ni désobéissance, par plaisanterie ou par colère. J'ai vu votre imperfection, qui vient de ce que la lumière de la très sainte Foi n'est pas parfaite en vous, et je vous ai dit que je désirais vous voir des serviteurs fidèles. En servant ainsi, vous régnerez en cette vie par la grâce; vous triompherez du monde, de la chair et du démon, et vous serez vraiment libres dans les liens de la charité. Vous serez humbles, doux et patients, vous régnerez enfin avec les bienheureux dans la vie éternelle, où l'âme est récompensée de toute fatigue, où la satiété est sans dégoût, et la faim sans peine; car la peine est alors séparée de la faim, et le dégoût de la satiété.

7. Courez donc, mes Fils bien-aimés, vers le but et qu'un seul l'atteigne: c'est-à-dire, que votre coeur ne soit pas divisé, mais qu'il ne fasse qu'un avec le prochain par l'amour; et pour que vous puissiez mieux [1353]courir, désaltérez-vous, enivrez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Ce sang invite l'homme à courir et l'anime à combattre, sans fuir la peine, sans tourner la tête en arrière par peur de l'ennemi, parce qu'il ne se confie pas en lui, mais dans le sang de Jésus crucifié. Ne dormez donc plus, mais courez au sang de Jésus crucifié, et secouez le sommeil de la négligence. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 257, A BENINCASA, FILS DE JACOMO

CCLVII (249). - A BENINCASA, FILS DE JACOMO, son frère selon la chair (Benincasa était le frère aîné de sainte Catherine). - De la force et de la patience dans les tribulations.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir plongé et anéanti dans ce sang, qui vous rendra fort pour supporter avec une vraie patience toute fatigue, toute tribulation, de quelque côté qu'elles viennent. Il vous rendra persévérant pour souffrir jusqu'à la mort avec une humilité sincère. Par ce sang, l'oeil de votre intelligence sera illuminé de la vérité, et vous verrez que Dieu ne [1354] veut autre chose que notre sanctification, car il nous aime d'un amour ineffable; et s'il ne nous avait pas tant aimés, il n'aurait pas payé pour nous un si grand prix. Soyez donc, soyez content en tout temps et en tout lieu, car tout nous est accordé par l'éternel Amour. Réjouissez-vous par amour dans les tribulations, reconnaissez-vous indigne que Dieu vous conduise par la voie de son Fils, et en toute chose rendez gloire et louange à son nom. Courage dans le Christ, le doux Jésus, Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 258, A BENINCASA

CCLVIII (250). - A BENINCASA, son frère, lorsqu'il était à Florence. - De la patience et de ses devoirs envers sa mère.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante inutile, je t'encourage, je te bénis et je t'invite à une douce et sainte patience, car sans la patience nous ne pouvons plaire à Dieu. Je vous prie donc, pour recevoir le fruit de vos tribulations, de prendre les armes de la patience; et s'il vous paraît bien dur de supporter tant de peine, rappelez-vous trois choses qui vous aideront être plus patient. Premièrement, je veux que vous pensiez à la [1355] brièveté du temps; vous n'êtes pas sûr du lendemain. Nous pouvons bien dire que nous ne souffrons pas de la peine passée et de la peine à venir, nous n'endurons que le moment présent, et nous devons le supporter avec patience; il est si court. Secondement, vous devez considérer le fruit qui récompense les fatigues. Saint Paul dit qu'il n'y a aucune proportion entre ces fatigues et le fruit, la récompense de la gloire éternelle. Troisièmement, considérez le malheur qui arrive à ceux qui souffrent avec colère et impatience; le malheur ici-bas est suivi de la perte éternelle de l'âme.

2. Je vous prie donc, très cher Frère, de supporter tout avec patience, et je ne voudrais pas aussi que vous oubliiez de vous corriger de votre ingratitude et de votre ignorance, au sujet de ce que vous devez à votre mère; vous y êtes obligé par les commandements de Dieu, et j'ai vu augmenter tellement votre ingratitude, que vous lui avez refusé le secours que vous lui deviez. Admettons pour vous excuser que vous ne l'avez pas pu; mais si vous l'aviez pu, je ne sais si vous l'auriez fait, car vous ne lui avez pas même donné une bonne parole. O ingratitude! vous n'avez pas considéré les douleurs de son enfantement, et ce lait qu'elle a tiré de son sein, et les fatigues qu'elle s'est données pour vous et pour les autres, Et si vous me dites qu'elle n'a pas eu pitié de vous, je vous répondrai que ce n'est pas vrai, car elle a eu soin de vous et de l'autre, qui lui coûte bien cher. Mais supposons que cela soit vrai: vous êtes obligé envers elle, elle ne l'est pas envers vous; elle n'a pas pris votre chair, et elle vous a donné la [1356] sienne. Je vous conjure de vous corriger de ce défaut et des autres. Pardonnez à mon ignorance; si je ne vous aimais pas, je ne vous dirais pas ce que je vous dis. Rappelez-vous la confession pour vous et votre famille. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 259, A BENINCASA

CCLIX (551). - A BENINCASA, son frère, à Florence.- De la soumission à la volonté de Dieu, et de l'exemple de Job.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher et bien-aimé Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir transformé et uni à la volonté de Dieu, sachant que c'est là le saint et doux joug qui Change toute amertume en douceur. Tout fardeau devient léger sous ce très saint joug de la douce volonté de Dieu; vous ne pourriez lui être agréable autrement, et vous auriez un avant-goût de l'enfer. Courage, courage donc, très cher Frère, et ne vous laissez pas abattre par l'épreuve que Dieu vous envoie. Pensez que quand le secours des hommes nous manque, celui de Dieu est prêt; Dieu pourvoira à tout. Songez que Job avait perdu ses biens, ses enfants, sa santé; il ne lui restait que sa femme pour le tourmenter davantage [1357]; mais lorsque Dieu eût éprouvé sa patience, il lui rendit le double de ce qu'il avait, et lui donna aussi la vie éternelle. Le patient Job ne se troublait jamais, mais il montrait toujours sa vertu en disant: " Dieu me l'avait donné, Dieu me l'a ôté; que son saint nom soit béni (Jb 1,21). "Je veux que vous fassiez de même, très cher Frère.; je veux que vous aimiez la vertu avec une sainte patience, que vous vous confessiez souvent, afin de supporter plus facilement vos peines; et je vous dis que Dieu usera de bonté et de miséricorde à votre égard, et vous récompensera des peines que vous aurez supportées pour son amour. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 260, A SES TROIS FRERES

CCLX (252).- A SES TROIS FRERES, à Florence.- De l'amour du Rédempteur qui est mort pour nous.- Du mépris du monde, et de l'union de la charité.

(Les trois frères de sainte Catherine, Benincasa, Barthèlemi et Etienne allèrent se fixer à Florence en 1378. On trouve leurs noms sur les rôles des quartiers de SantaCroce et de San-Spirito, Il est à croire que Benincasa éprouva des pertes considérables, et que Nicolas Soderini vint à son secours. (Voir la lettre CLXI.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chers Frères dans le Christ, le doux Jésus, souvenez-vous de l'amour infini qu'a eu notre doux [1358] Sauveur en se livrant à la mort pour nous donner la vie de la grâce. Notre doux Sauveur n'avait pas d'autre but; il voyait que nous étions sortis de l'ordre de la charité; et pour nous rendre cette union de la charité, il a voulu s'unir à la mort la plus honteuse qu'il pouvait choisir. Hélas! notre Sauveur nous voyait malades de cet amour déréglé que nous avons en nous-mêmes pour les choses passagères qui passent comme le vent, qui nous abandonnent ou que nous abandonnons.

2. Aussi je vous prie, moi, Catherine, l'indigne, l'humble servante, de vouloir bien mettre votre espérance en Dieu, et de ne pas vous fier à cette vie mortelle, qui disparaît si vite. Je vous en conjure comme des esclaves rachetés mettez avec ardeur tous vos désirs, toute votre affection en Notre-Seigneur, qui vous a rachetés. Dites comme saint Pierre: " Il ne nous a pas rachetés avec de l'or et de l'argent, mais avec son très doux et précieux sang (P 1,18). " Aussi je vous conjure, très chers Frères, de bien en apprécier la valeur, c'est-à-dire de l'aimer; et pour montrer que vous l'aimez, d'aimer toujours et d'observer les commandements de Dieu. Je vous prie surtout, et je vous presse de la part de Jésus crucifié, d'observer le premier et dernier commandement de Dieu, c'est-à-dire la charité et l'union avec Dieu. Je veux vous voir passionnés pour cette sainte charité; je veux vous voir unis et liés par ce doux lien, afin que le démon ni personne ne puissent vous en séparer. Rappelez-vous cette parole que disait Jésus-Christ: [1359] " Celui qui s'humilie sera élevé. " Toi, Benincasa, qui es le plus grand, il faut vouloir être le dernier de tous; toi, Bartolomeo, il faut te mettre au-dessous du plus petit; et toi, Stephano, je t'en prie, sois soumis à Dieu et à tes frères, et vous vivrez ainsi doucement dans la parfaite charité. Je ne vous en écris pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour[1360].






Lettre n. 261, A ETIENNE DE CORRADO MACONI

CCLXI (253).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI .- De la force et de la persévérance dans les combats. - De la charité et de ses effets.

(Etienne de Corrado Maconi fut un des plus aimés disciples de sainte Catherine. Il était d'une famille consulaire de Sienne, et sa jeunesse se passa au milieu des haines sanglantes qui divisaient les nobles au moyen âge. Réconcilié et converti par notre sainte. il devint son disciple et le compagnon de presque tous ses voyages, comme il le raconte dans sa lettre écrite à l'occasion du procès de Venise. Après la mort de sainte Catherine, il prit l'habit des chartreux, remplit les premières charges de l'Ordre, et mourut en odeur de sainteté en 1424. On lui donna le titre de bienheureux. Sa vie a été écrite par le chartreux dom Barthélemi Scala.)



AU N0M DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec [1363] le désir de te voir fort et persévérant dans le combat, afin de recevoir la couronne de gloire. Tu sais bien que la persévérance seule obtient la couronne et la récompense des peines.

2. Mais tu me diras: Comment puis-je avoir cette force, puisque je suis si faible, que la moindre chose me fait tomber par terre? Je te réponds, et je reconnais que tu es faible et débile selon la sensualité. mais non selon la raison et la force de l'esprit, parce que nous sommes fortifiés par le sang de Jésus-Christ toute notre faiblesse est dans la sensualité. Nous pouvons donc voir comment s'acquiert cette force, puisque la faiblesse est dans la partie sensitive. Je dis que c'est de cette manière que nous acquérons cette glorieuse vertu de la force et de la persévérance; et puisque la raison est fortifiée dans le sang du Christ, nous devons nous plonger dans ce doux et glorieux sang qui nous a rachetés; nous devons le voir avec l'oeil de l'intelligence et la lumière de la très sainte Foi dans le vase de notre âme, reconnaissant que notre être vient de Dieu, et que Dieu nous a fait renaître â la grâce dans le sang de son Fils unique, qui nous a. délivrés de notre faiblesse. O mon Fils bien-aimé! regarde, et réjouis-toi; tu as été fait comme un vase pour contenir le sang de Jésus crucifié, si tu veux le goûter par l'amour.

3. O Sang secourable, qui répands les trésors de la miséricorde Sang glorieux, où l'homme ignorant peut connaître et voir la vérité du Père, dont l'amour ineffable nous a créés à son image et ressemblance! Et pourquoi? pour que nous participions au souverain Bien, et que nous jouissions du bonheur qu'il [1364] goûte en lui-même. Ce précieux Sang nous a montré cette vérité, et l'homme n'a pas été créé pour une autre fin.

4. O sang! tu dissipes les ténèbres et tu donnes la lumière à l'homme, afin qu'il connaisse la vérité et la sainte volonté du Père. Tu remplis l'âme de la grâce, qui lui donne la vie et la délivre de la mort éternelle. Tu rassasies l'âme affamée de l'honneur de Dieu et du salut des âmes; tu lui fais souffrir, aimer et désirer les opprobres pour l'amour de Jésus crucifié; tu brûles et tu consumes l'âme dans le feu de la divine charité, c'est-à-dire que tu consumes tout ce que tu trouves dans l'âme en dehors de la volonté de Dieu, mais tu l'empêches d'être affligée et desséchée par le péché mortel. O doux Sang I. tu la dépouilles de l'amour-propre sensitif, de cet amour qui affaiblit l'âme qui en est revêtue, et tu la revêts du feu de la divine charité; elle ne peut te goûter, Ô Sang, si tu ne la revêts de ce feu, car tu as été répandu par le feu de l'amour pour inonder l'âme. L'amour n'est jamais sans force, ni la force sans persévérance: aussi tu fortifies, tu encourages dans toutes sortes d'adversités. Tu vois donc bien, très doux Fils, que c'est là le moyen d'arriver à la force parfaite et de t'unir au feu de la divine charité, que tu trouveras dans le Sang. Ce Sans consume et détruit toute volonté propre. Lorsque tu seras uni à la force suprême, tu seras fort et persévérant; tu pourras tuer la faiblesse de la sensualité propre, et tu goûteras dans l'amertume la douceur, et dans la guerre la paix.

5. Courage, mon Fils, et ne faiblis pas sous la [1365] charge que Dieu t'impose, jusqu'à ce que ton heure soit venue. Pense que c'est toujours à creuser les fondements qu'on a le plus de peine; une fois les fondements établis, l'édifice se construit facilement. Tu les commences maintenant, mais dès que tu les auras achevés, tout te deviendra facile. Que rien ne te paraisse dur, car tout s'adoucit par le souvenir du précieux Sang. Supporte donc, supporte tout. Je te dis seulement de faire ce que le Saint-Esprit te fait faire. J'ai bien de la peine à ne pas te dire une parole du Christ (Cette parole est sans doute celle que Notre-Seigneur dit à jeune homme dans l"Evangile de S. Luc, XVIII: " Allez, vendez ce que vous avez, et suivez-moi. " Sainte Catherine la lui dit en mourant. Elle ordonna au B. Maconi de se faire chartreux, et il obéit.), mais j'espère te la dire en temps et lieu; et tu t'empresseras alors d'approvisionner ton âme, et de remplir du précieux Sang le vase de ton coeur. Je ne t'en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 262, AU MEME ETIENNE DE CORRADO MACONI

CCLXII (254).- AU MEME ETIENNE DE CORRADO MACONI, pauvre de toute vertu, lorsqu'elle était à Florence. - Elle l'exhorte à souffrir avec une sainte patience.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de [1366] Jésus-Christ, je t'écris dans son, précieux sang, avec le désir de te voir souffrir avec une vraie et sainte patience, afin que tu creuses ce solide fondement que doivent avoir les vrais serviteurs de Dieu. Car dès qu'ils sont décidés à servir Dieu, ils sont décidés aussi à souffrir jusqu'à la mort pour la gloire et la louange de son nom. Ils s'éloigneraient autrement de la voie, et ne suivraient pas la doctrine de la douce Vérité. O très cher Fils, combien il te sera doux de te voir arrivé au terme tant désiré! Que l'espérance te fasse souffrir sans ennui et sans trouble, mais avec une respectueuse résignation, avec une foi vive, croyant fermement que, quand Dieu verra que tu souffres pour son honneur et pour ton salut, sa bonté te donnera une autre vie.

2. Remplis avec respect tes devoirs envers ton père et ta mère, honore Dieu et travaille pour eux. C'est maintenant que s'acquièrent les vertus; et, afin de mieux souffrir, baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié; c'est là qu'il faut noyer et détruire ta volonté. Je ne t'en dis pas ici davantage. Je te prie, si tu le peux sans scandale et si la voie est sûre, d'aller jusqu'à... Donne-lui cette lettre, aide-le aussi bien que tu le sauras et le pourras, dirige-le, etc. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1367].






Lettre n. 263, A ETIENNE DE CORRADO MACONI

CCLXIII.- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- De la cité de l'âme, qui a trois portos, la mémoire, l'intelligence et la volonté.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir bien garder la cité de ton âme. O très cher Fils! cette cité a bien des portes. Les trois principales sont la mémoire, l'intelligence et la volonté. Notre Créateur permet que toutes ces portes soient attaquées, et quelquefois ouvertes de force, excepté une seule, qui est la volonté. Il arrive souvent que l'intelligence ne voit que ténèbres; la mémoire est remplie de choses frivoles et passagères, de pensées confuses et déshonnêtes; et aussi tous les mouvements du corps sont déréglés et portés au mal; il est évident qu'aucune de ces portes n'est vraiment en notre pouvoir. Nous ne sommes maîtres que de la seule porte de la volonté, que garde le libre arbitre; et cette porte est si solides que ni les démons ni les créatures ne peuvent l'ouvrir, si celui qui la garde n'y consent pas et n'ouvre pas la porte à ce que la mémoire, l'intelligence et les autres portes ont laissé pénétrer. Notre cité sera ainsi toujours franche. Reconnaissons donc, mon Fils, reconnaissons un si grand bienfait, une si grande charité, que nous avons [1368] reçue de la Bonté divine, en nous assurant la libre possession de cette noble cité.

2. Appliquons-nous à faire bonne et fidèle garde; mettons à côté du libre arbitre le chien de la conscience lorsque quelqu'un viendra à la porte, il réveillera la raison en aboyant, pour qu'elle reconnaisse si c'est un ami ou un ennemi; et alors la garde fera entrer les amis, en accomplissant les saintes et bonnes inspirations; elle chassera les ennemis, en fermant la porte de la volonté et en ne consentant pas aux pensées mauvaises qui se présentent tous les jours; et quand le Maître te demandera la ville, tu pourras la lui rendre libre et ornée des vraies et solides vertus obtenues par sa grâce. Je ne t'en dis pas davantage. Comme Je l'ai écrit, le premier jour de ce mois, dans ma lettre adressée à tous mes fils, nous sommes arrivés en paix et heureusement, le premier dimanche de l'Avent (Cette lettre est sans doute écrite de Rome, où sainte Catherine arriva le 28 novembre 1378. La lettre dont elle parle est peut-être la CCLVI, adressée à Sano de Maco). Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1369].






Lettre n. 264, A ETIENNE DE CORRADO MACONI

CCLXIV (256).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- De la connaissance de Dieu et de soi-même.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir hors des mains de tes ennemis. Il me semble, si je ne suis pas dans l'erreur, que la divine Bonté fait déjà apparaître l'aurore, et j'espère que bientôt viendra le jour, et que le soleil paraîtra. D'après ce que tu m'as écrit, tu as été fait prisonnier, non pendant la nuit, mais pendant le jour; puis, grâce à la clémence du Saint-Esprit, l'aurore s'est levée dans le coeur de ces démons incarnés, et tu as été délivré (La lettre de sainte Catherine à Sano de Maco (CCLIV) et à ses autres fils, parle d'un ami fait prisonnier, après la conclusion de la paix à Florence. Cet ami doit être Etienne Maconi. Burlamachi n'a pas remarqué le rapport qu'il y a entre ces deux lettres.). Pense, très doux Fils, que pendant que tu resteras dans la nuit de la vraie connaissance de toi-même, tu ne seras jamais captif; mais si la volonté propre voulait passer au jour de l'amour sensitif, ou si l'âme voulait jouir du jour de la connaissance de Dieu avant d'avoir été dans la nuit de la connaissance de soi-même, elle serait prise par ses ennemis. Il n'est pas douteux que si l'âme ne se [1370] tient pas avec un ardent désir dans la connaissance de soi-même et de la bonté de Dieu à son égard, elle se trouvera bientôt enchaînée par les ennemis de Dieu. aussitôt l'ennemi de la présomption viendra avec les liens de l'orgueil, avec les passions, les délices, les honneurs du monde; le démon et la chair te feront prisonnier. Je veux donc que tu te reposes le jour et la nuit dans la connaissance de toi-même en Dieu, et de Dieu en toi.

2. Alors tu trouveras que, quand même tes ennemis t'enchaîneraient et obscurciraient de pensées confuses ton coeur, l'aurore paraîtrait cependant; il te serait dit intérieurement, et tu dirais toi-même: Reste en paix et repose-toi sur la table de la Croix. ou tu trouveras la paix et le repos, au milieu même des tempêtes. Quelle paix n'avez-vous pas goûtée lorsque vous étiez des agneaux au milieu des loups, et qu'ils vous dirent: Allez en paix! Vous étiez encore en guerre, et vous avez goûté la paix quand vous les avez entendus. Songe qu'il en sera ainsi de ton âme, assaillie par des pensées tumultueuses. Si elle se conforme à la volonté de Dieu, en voyant que son amour les envoie pour rendre plus parfaite sa sollicitude, et plus sincère son humilité, elle y trouvera la paix, même lorsqu'elle sera encore dans le temps de la guerre.

3. Maintenant, puisque le doux Epoux éternel vous a délivré miraculeusement et vous a tiré de leurs mains, mon âme désire et lui demande qu'il vous délivre de vos autres ennemis, qui sont plus grands et plus cruels que les autres: ceux-là étaient les ennemis du corps, mais ceux-ci sont les ennemis de [1371] l'âme. Car il est bien vrai que les serviteurs de l'homme selon le monde, sont nos ennemis, surtout ceux qui nous approchent le plus; et qui ne pensent qu'à leur intérêt. Quand tu seras délivré de leur captivité, alors le soleil se lèvera; maintenant tu n'es qu'à l'aurore, et tu ne peux pas encore bien discerner et goûter la vertu, parce que tu n'es pas arrivé à la grande lumière du soleil, où tu seras libre de tes ennemis. Mais je veux, très cher Fils, que tu prennes courage dans le temps de l'aurore, parce que viendra bientôt le temps du soleil, ou nous entendrons cette douce parole: " Laisse les morts ensevelir les morts, et suis-moi (Mt 8,22.- Sainte Catherine annonce ainsi ce qu'Etienne Maconi devait faire après sa mort.). " Je ne t'en dis pas davantage sur ce sujet. Plonge-toi dans le sang de Jésus crucifié, afin que les ennemis ne te trouvent plus. Il ne faut pas dormir dans le lit de la négligence, de peur qu'ils ne reviennent sur-le-champ et qu'ils ne te lient davantage. Je te réponds, au sujet de la messe, que vous avez bien fait de ne pas y aller. Quant à vous être faits les familiers de messire Jacomo, si je l'avais su, vous ne l'auriez pas fait, mais vous vous seriez humiliés et vous auriez obéi, attendant avec patience le moment de la paix. Maintenant je te dirai que, s'il lui semble que vous pouvez y aller en toute sûreté de conscience, vous le pouvez; autrement, non (Sainte Catherine répond ici aux questions d'Etienne Maconi sur l'observation de l'interdit. La paix était conclue. mais elle n'était pas encore ratifiée par Urbain VI, et l'interdit n'était pas levé. Messire Jacomo était un dignitaire qui avait le privilège de faire célébrer la messe pour lui et sa maison.) [1372]. J'ignore si sa dignité doit avoir des privilèges si étendus, et si on doit comprendre seulement par ses familiers tous ceux qui sont à son service. Peut-on prendre le titre de familiers quand on ne l'est pas et qu'on ne peut pas l'être? Sa dignité permet-elle de le faire, et vous en a-t-on donné l'assurance?

4. Quant à ton voyage, il n'est pas nécessaire pour l'affaire en question; je ne te demande donc pas de venir. J'aurais été très heureuse si tu étais venu, et je le serais encore si tu pouvais venir, mais sans scandale. Il ne faut pas irriter et troubler ton père et ta mère tant que ce ne sera pas nécessaire. Je veux que tu l'évites maintenant autant que tu le pourras, et je suis persuadée que si la Bonté divine voit que c'est le meilleur, elle fera cesser le scandale, et tu pourras venir en paix. Viens donc si tu peux. Si ma mère Lapa vient à Sienne, je te la recommande. Réponds à Pietro au sujet de l'argent qu'il m'envoie, en ne parlant pas du prix du cheval. Je n'en ai rien eu, et il n'en a jamais été question. Seulement, le jour ou j'ai reçu ces lettres, Mino de Simone est venu et m'a demandé si j'avais reçu cet argent. Je lui ai répondu que non. C'était la vérité, et je n'en avais pas entendu parler. Il me dit qu'il irait trouver Andrea, et qu'il lui dirait: S'il le demande, j'enverrai ce que je dois donner. S'il veut le donner, qu'il le donne à Nanni. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Encourage Pietro et mes autres fils. Dis au Prieur qu'il fera de soeur Lapa ce qu'il jugera convenable (Lapa, la mère de sainte Catherine. avait revêtu l'habit des tertiaires de Saint-Dominique, en 1378.), et qu'il lui fasse connaître sa [1373] volonté. Je ne lui écris pas, ni à Pierre, parce que je n'ai pas le temps; je suis trop occupée. Barduccio, ton négligent frère, dit qu'il faut que tu viennes pour une chose qu'il doit faire, et qu'il voudrait bien ta présence; il lui paraît difficile de la faire si tu n'es pas avec lui; si bien que, si tu ne viens pas, il ira te trouver avant de la faire. Il se recommande à tes prières et à celles des autres; il en a grand besoin, car il sera maintenant toujours éprouvé. Lisa aussi demande que tu pries pour elle, toi et les autres. Doux Jésus, Jésus amour. Baptiste te répond que ce que vous lui mandez sera bien fait... Et ce sera une bonne plante nouvelle dans le corps mystique de la sainte Eglise. J'ajouterai que je voudrais qu'il fût ou comme messire Thomas, ou comme messire Martin; car ils sont bons, vertueux et parfaits en toute chose. Tu enverras demander à la comtesse mon livre (C'était le livre du Dialogue, qu'elle avait dicté à ses disciples avant son voyage de Rome.); je l'ai attendu tous les jours, et il ne vient pas. Si tu y vas, dis bien de me l'envoyer au plus tôt et fais en sorte que celui qui ira ne l'oublie pas [1374].








Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 255, A SANO DE MACO