Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 115, AUX RELIGIEUX DE PASSIGNANO

Lettre n. 116, A DOM JEAN

CXVI (70). - A DOM JEAN, aux cellules de Vallombreuse. - Du zèle pour le salut des âmes, et des offenses contre Dieu.

(Dom Jean, ermite de Vallombreuse, fut un des hommes les plus remarquables du XIV siècle. Il était de Florence. Sa naissance et ses talents le placèrent a la tête de l'abbaye de la Sainte-Trinité. Il y tomba dans les plus honteux désordres, et s'abandonna aux pratiques de la magie. Le général de son Ordre l'ayant appris, lui ôta sa charge, et le condamna à une dure prison. Il rentra alors en lui-même, et embrassa les austérités de la pénitence. Lorsqu'il sortit de prison, il refusa de reprendre sa charge, et se retira dans un ermitage de Vallombreuse, où il vécut dans la contemplation et l'étude des saintes Ecritures. Il convertit un grand nombre de personnes, et mourut dans une extrême vieillesse. Il était très attaché à sainte Catherine, qui le guérit une fois miraculeusement. Il laissa sur les vertus de celle qu'il appelait sa mère plusieurs écrits, parmi lesquels se trouvait une relation de ses voyages qui a été perdue. - Gigli, t. I, p. 462.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher Père dans le Christ, Je doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir vous rassasier des âmes, pour l'honneur de Dieu, sur la table de la très sainte Croix, en vous y unissant à l'humble Agneau sans tache. Je ne vois pas, mon Père, qu'on puisse prendre cette douce nourriture en un autre lieu. Pourquoi? Parce que nous ne pouvons véritablement la prendre [738] sans beaucoup souffrir. C'est avec les dents de la patience, et la bouche du saint désir qu'il faut s'en nourrir sur la croix des tribulations nombreuses; et de quelque côté qu'elles nous viennent, que ce soit des murmures ou des scandales du monde, il faut les supporter jusqu'à la mort. C'est le moment, mon très cher Père, de montrer si nous aimons ou non Jésus crucifié, et si nous goûtons cette nourriture; c'est le moment de rendre honneur à Dieu et de travailler pour le prochain. Il faut que le corps et l'âme travaillent pour lui: le corps, en souffrant beaucoup, et l'âme en offrant à Dieu, dans la douleur et l'amertume, les larmes et les sueurs d'une humble et continuelle prière et d'un ardent désir; car je ne vois pas d'autres moyens d'apaiser la colère de Dieu à notre égard et d'attirer sa miséricorde, pour sauver tant de brebis qui périssent entre les mains du démon. Oui, nous ne pouvons le faire que par une grande douleur, une compassion de notre âme, et par de ferventes prières.

2. Aussi, mon très cher Père, je vous en conjure de la part de Jésus crucifié, commençons donc de nouveau à nous perdre nous-mêmes, et à chercher uniquement l'honneur de Dieu dans le salut des âmes, sans aucune crainte servile des peines du jugement des créatures, et de la mort même qui peut nous menacer. Que rien n'arrête nos pas; mais courons, ivres d'amour et de douleur des persécutions dont le sang de Jésus crucifié est l'objet: car, de quelque côté que nous nous tournions, nous le voyons persécute;. si je jette les yeux sur nous-mêmes, qui sommes des membres corrompus, je vois que nous le persécutons [739] par de nombreux défauts, par les souillures du péché mortel et par le venin de l'amour-propre, qui empoisonne le monde entier. Si je considère les ministres du sang de l'humble et doux Agneau, je ne puis raconter leurs fautes et leurs vices; si je regarde ceux qui sont sous le joug de l'obéissance, la racine maudite de l'amour-propre, qui n'est pas encore morte en eux, les rend si imparfaits, qu'ils ne voudraient pas donner leur vie pour Jésus crucifié; ils éprouvent plutôt la crainte de la mort et de la peine, que la sainte crainte de Dieu et le respect du précieux Sang. Si je regarde les séculiers qui se sont séparés du monde, ils n'ont pas encore la vertu nécessaire pour fuir l'occasion, ou pour choisir la mort, plutôt que de faire ce qu'il ne faut pas faire; ils le font par imperfection, ou en suivant de mauvais conseils ( Il est sans doute question ici des désordres arrivés pendant l'interdit de Florence.). Si j'avais à leur en donner, je leur conseillerais de préférer la mort, s'ils veulent atteindre la perfection, et de fuir le lieu et l'occasion du péché autant que possible, s'ils se sentent faibles. Ce conseil, il me semble que vous et tous les serviteurs de Dieu, vous devez le donner, quand il peut être utile à quelqu'un; car vous savez bien que jamais, non seulement par crainte de la peine ou de la mort, mais encore pour faire un très grand bien, il n'est permis de commettre la moindre faute.

3. Ainsi donc, de quelque côté que nous nous tournions, nous ne trouvons que défauts. Je ne doute pas que si un seul eût été assez parfait pour sacrifier [740] sa vie dans les circonstances qui se sont présentées et qui se présentent chaque jour, le Sang eut crié miséricorde et lié les mains de la justice divine; il eût brisé les coeurs des Pharaons, qui sont plus durs que le diamant; et je ne vois pas d'autre moyen de les briser que le Sang. Hélas! hélas! hélas! que mon âme est à plaindre! Je vois la religion chrétienne tomber dans la mort, et je ne pleure pas, je ne gémis pas sur elle! Je vois les ténèbres obscurcir la lumière: ceux qui avaient reçu la lumière de la très sainte Foi dans le sang du Christ deviennent aveugles; la pupille de leur intelligence s'éteint, et nous les voyons tomber dans la fosse, c'est-à-dire dans la gueule du loup infernal, dépouillés de vertu et morts de froid. Ils sont privés de la charité de Dieu et du prochain, ils en ont rompu les liens, et ils ont perdu le respect de Dieu et du précieux Sang. Hélas! je crois que mes iniquités en sont cause.

4. Aussi je vous conjure, mon très cher Père, de prier Dieu pour moi: demandez lui qu'il me délivre de tant d'iniquités, et que je ne sois pas cause de tant de mal, ou qu'il rue donne la mort. Je vous conjure de mettre ces enfants morts sur la table de la très sainte Croix, et de prendre cette nourriture en les baignant dans le sang de Jésus crucifié. Je vous assure que, si vous et les autres serviteurs de Dieu, vous ne vous appliquez pas par de ferventes prières et par d'autres moyens à corriger tant de désordres, le jugement de Dieu s'accomplira, la justice divine étendra sa verge; et si nous ouvrons les yeux, nous verrons déjà un des plus grands châtiments qui puissent nous frapper en cette vie, celui d'être privés [741] de la lumière, de ne pas voir la ruine et le malheur de l'âme et du corps Celui qui ne voit pas ne peut se corriger, car il ne hait pas le mal, et il n'aime pas le vrai bien. Dès qu'on ne se corrige pas, on devient pus mauvais, et il me semble que nous sommes pires que le premier jour. Il ne faut donc s'arrêter jamais. Il faut, si nous sommes les vrais serviteurs de Dieu, souffrir beaucoup avec une vraie patience, et travailler pour le prochain et pour l'honneur de Dieu, par de nombreuses prières et d'ardents désirs. Que les soupirs soient notre nourriture, et les larmes notre breuvage, sur la table de la Croix. Je ne vois pas d'autres moyens. Aussi, je vous ai dit que je désirais vous voir vous rassasier des âmes sur la table de la très sainte Croix.

5. Je vous prie de veiller sur ceux qui sont vos enfants et les miens, selon le besoin de chacun. Nourrissez-les, et rendez-les parfaits autant que vous le pourrez. Désirons avec ardeur mourir à toute volonté, spirituelle ou temporelle ne cherchant pas notre consolation, mais seulement le bien des âmes, et nous réjouissant d'être sur la Croix avec Jésus crucifié, et de donner notre vie, s'il le faut, pour la gloire et l'honneur de son Nom. Moi, je me meurs, et je ne puis mourir en entendant et en voyant offenser mon Seigneur et mon Créateur. Aussi je vous demande l'aumône de vos prières, pour moi et pour les autres. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [742].








Lettre n. 117, A DOM JEAN

CXVII (71). - A DOM JEAN, religieux des ermites de Vallombreuse, que demandait le Pape Urbain VI. - De la vertu de charité et de ses effets. - La nourriture qu'elle prend est le salut des âmes.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher Fils et Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir consumé dans la fournaise de la divine charité. La charité consume l'eau de l'amour-propre; elle fait que l'homme se perd lui-même, c'est-à-dire qu'il ne se cherche pas pour lui, mais pour Dieu, sans désirer sa propre consolation. Il aime le prochain, non pour lui, mais pour Dieu, travaillant à son salut autant qu'il lui est possible; et il aime Dieu pour Dieu, parce qu'il sait qu'il est la souveraine, l'éternelle. Bonté, si digne d'être aimée. Oh! que la charité est une douce et bonne mère! Elle nourrit sur son sein les vertus qu'elle enfante, et aucune vertu ne peut nous donner la vie de la grâce, si elle n'est élevée et nourrie par la charité. Elle est une lumière qui dissipe les ténèbres de l'ignorance, et qui fait connaître plus parfaitement la vérité; et en la connais saut, on l'aime davantage. Elle est un vêtement qui recouvre notre nudité. Oui, l'âme qui est privée de vertu en a honte, comme un homme a honte de sa nudité: la charité la couvre du vêtement des vraies [743] et solides vertus. Elle est une nourriture, qui nourrit l'âme et sa faim; cars sans la faim, la nourriture ne serait point agréable. Aussi nous voyons que l'âme qui se nourrit dans cette fournaise veut toujours prendre cette nourriture; et plus elle en prend, plus elle a faim. Quelle est cette nourriture? C'est l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Elle cesse de chercher sa propre gloire, mais elle court toute transportée chercher celle de Dieu sur la table de la Croix; elle se rassasie d'opprobres, elle embrasse la bonté, les humiliations, et se conforme entièrement à la doctrine du Verbe. En suivant fidèlement ses traces, elle ne trouve pas dures la peine et les fatigues; elle s'y complaît au contraire par ce qu'elle s'est abandonnée elle-même par une sainte haine. Aussi brille en elle la vertu de patience avec ses soeurs, la force et la longue persévérance.

2. Ceux qui agissent ainsi ont un avant-goût de la vie éternelle, et ceux qui restent dans l'amour-propre ont un avant-goût de l'enfer; car ils deviennent insupportables à eux-mêmes, en s'aimant d'une manière déréglée, ainsi que les créatures et les choses créées. Elle est donc bien bonne, la charité, cette douce mère? Il ne faut pas dormir; mais il faut la chercher avec un zèle ardent, si on l'a perdue par sa faute. Je dis perdue, car on peut la retrouver pendant qu'il en est temps encore. Si on l'a imparfaitement, il faut tâcher de l'avoir parfaitement. Ne dormons plus, lorsque nous sommes appelés et invités à secouer le sommeil. Dormirions-nous au moment où nos ennemis nous attaquent? Non. La nécessité nous appelle, le besoin nous presse, et l'amour doit nous [744] réveiller. A-t-on jamais vu plus de malheurs que nous n'en voyons aujourd'hui dans la sainte Église? Les enfants qu'elle avait nourris sur son sein se sont levés contre elle et contre leur Père; ils ont indignement attaqué le Christ sur terre, le Pape Urbain VI, le vrai Souverain Pontife, et ils ont nommé un antipape, un démon incarné, comme tous ceux qui le suivent. Nous devons nous hâter de secourir notre Père dans cette nécessité, puisqu'il demande avec douceur et humilité l'assistance des serviteurs de Dieu; il veut les avoir près de lui (Il s'agit du bref dont il est parlé dans la lettre XCIX.). Il faut répondre à son appel en nous consumant dans la fournaise de la charité. Ne restons pas en arrière, mais avançons toujours avec cette conviction parfaite, qui ne se laisse ébranler par aucune considération humaine. Entrons courageusement sur ce champ de bataille avec une humilité forte et sincère.

3. Répondez donc au Souverain Pontife Urbain VI, qui vous demande avec une grande humilité, non à cause de notre mérite ou de nos vertus, mais a cause de la bonté de Dieu et de son humilité. Aussi, je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié d'accomplir promptement la volonté de Dieu et la sienne. Je verrai par là si vous aimez véritablement Dieu et la réforme de l'Église, et si vous n'êtes pas attaché à votre propre consolation. Je suis persuadée que, si vous avez consumé l'amour-propre dans la fournaise de la charité, vous n'hésiterez pas à abandonner votre cellule et. ses consolations; mais vous habiterez la cellule de la connaissance de vous-même, et vous [745] y serez prêt à donner votre vie pour la douce Vérité, s'il le faut autrement non. C'est ce qui me faisait dire que je désirais vous voir consumer tout amour-propre dans la fournaise de la divine charité. Que les serviteurs de Dieu paraissent et viennent annoncer la Vérité et souffrir pour elle, car c'est le moment. Venez sans balancer avec la ferme résolution de ne considérer que l'honneur de Dieu et le bien de la sainte Eglise, et d'y sacrifier, s'il le faut, votre vie. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.







Lettre n. 118, A L'ABBÉ GÉNÉRAL DE L'ORDRE DU MONT-OLIVET

CXVIII (72).- A L'ABBÉ GÉNÉRAL DE L'ORDRE DU MONT-OLIVET, près de Sienne. - La charité se développe à la lumière de la foi. - Elle est surtout nécessaire à ceux qui gouvernent les âmes.

(L'ordre des Olivétains, fondé par le B. Bernard Tolomei, avait son chef-lieu à seize milles de Sienne, sur la route de Rome.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dans la charité parfaite. Cette charité ne cherche pas ses intérêts; elle est libre, et n'est pas l'esclave de la sensualité [746]; elle est généreuse, et dilate le coeur dans l'amour de Dieu et l'affection du prochain. Aussi elle sait porter et supporter les défauts des créatures par amour pour le Créateur. Elle est compatissante et non cruelle, parce qu'elle a retranché ce qui rend l'homme cruel, c'est-à-dire l'amour-propre, et elle reçoit toujours charitablement avec tendresse le prochain pour Dieu. Elle est bienveillante, pacifique et sans colère. Elle cherche les choses justes et saintes, et non les choses injustes; et comme elle les cherche, elle les accomplit en elle. Aussi la perle de la justice brille dans son coeur. Si la charité loue quelqu'un, ce n'est pas pour le tromper; si elle le réprimande, ce n'est pas par haine ou par colère. Mais elle aime les uns et les autres comme des fils, qu'ils méritent l'éloge ou le blâme. C'est une mère, qui fait naître les vertus dans l'âme, et les met au jour, pour l'honneur de Dieu, dans ses rapports avec le prochain.

2. Sa nourrice est l'humilité profonde. Et quelle nourriture lui donne sa nourrice? La nourriture de la lumière et de la connaissance de soi-même. Cette lumière fait connaître à l'âme sa misère et les faiblesses de la sensualité, qui la cause. Avec cette connaissance, elle s'humilie et conçoit contre elle-même une haine qui nourrit en elle le leu de la divine charité, en voyant l'ineffable bonté de Dieu, qui est le principe et la fin de toute connaissance. Après cette lumière et cette connaissance, elle se plaît à prendre la nourriture que Dieu aime davantage, celle de la créature qu'il a créée à son image et ressemblance, et qu'il aime tant, qu'il a livré à la mort son Fils unique [747] que pour qu'il apaisât sa colère, et qu'il terminât la longue guerre où elle était par la faute d'A dam, pour qu'il lavât dans son très doux sang la face de l'âme, que le péché avait couverte de souillure. Il a été notre paix et notre médiateur près de Dieu, en recevant lui-même les coups de sa justice. Il a été notre médecin, puisqu'il est venu guérir le genre humain de ses infirmités, comme l'a dit le glorieux apôtre saint Paul. Il est notre soutien, puisqu'il s'est donné à nous en nourriture. Ce doux Verbe, pour accomplir les ordres et la volonté de son Père sur la créature, a couru tout transporté d'amour vers la table de la très sainte Croix, et il y a pris la nourriture des âmes, en supportant les peines, les opprobres, les affronts, et enfin la mort honteuse, à laquelle il a livré son corps, tout inondé de sang. Il a tout fait pour manifester l'amour que Dieu a pour l'homme.

3. Aussi l'âme qui est dans la charité aime cette nourriture des âmes, et ne veut pas la prendre autrement que l'a prise le Christ, le doux et bon Jésus. Elle veut souffrir avec lui, et elle supporte avec joie la faim, la soif, les affronts et les persécutions des hommes et des démons. L'Agneau sans tache a supporté notre ingratitude, et n'a reculé devant rien pour nous sauver. De même, en toute occasion, l'âme qui est dans la charité veut, autant qu'il lui est possible, l'imiter et suivre ses traces. Elle reçoit avec douceur, sous l'aile de sa miséricorde, ceux qui l'ont offensée, parce qu'elle voit que la bonté de Dieu a fait la même chose à son égard. Oh! oui, que la charité est une bonne mère! Y a-t-il des vertus hors d'elle? Non. Elle n'est pas dans les ténèbres, car elle [748] a pour guide la lumière de la très sainte Foi, qui est la pupille de l'oeil de l'intelligence, et qui mène le coeur vers ce qu'il doit aimer, en lui montrant l'amour de Dieu et la doctrine de Jésus crucifié. Aussi le coeur, en voyant à cette lumière qu'il est aimé, est forcé d'aimer son créateur, et il le prouve en suivant la doctrine de la vérité. Il faut donc secouer le sommeil de la négligence et de l'ignorance. Il faut chercher avez zèle la charité dans le sang de Jésus Crucifié, parce que dans ce sang nous trouverons ce doux et tendre feu d'amour; par ce moyen, nous acquerrons la vie de la grâce, et non par un autre.

4. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir dans la parfaite charité que toute créature raisonnable doit avoir en elle, si elle veut jouir de Dieu dans la vie durable. Mais elle est bien plus obligatoire et bien plus nécessaire à ceux qui ont à conduire et à gouverner les âmes; car c'est là un si grand fardeau, que ceux qui sont privés de la charité ne pourraient le porter sans offenser Dieu. La charité d'un supérieur ne doit pas être tiède et imparfaite, elle doit être parfaite et embrasée d'amour et de désirs pour le salut de ceux qui lui sont soumis; elle doit savoir, à la lumière de la discrétion, donner à chacun ce qui lui convient, reprenant avec douceur, se laissant faible avec les faibles, louant ou blâmant comme le veulent la justice et la miséricorde, cherchant la brebis perdue, et la portant sur ses épaules quand elle la retrouve, prenant son fardeau sur elle, se réjouissant et fêtant le retour de la brebis au bercail. Je vous invite à cette joie, mon très cher Père, au sujet de la brebis qui a fait si longtemps partie de votre [749] troupeau. Le frère P. est maintenant religieux de Saint-Laurent. Il paraît qu'il est prêt à se soumettre humblement à la verge de la justice, et qu'il veut revenir au bercail en rentrant dans l'Ordre et sous votre obéissance. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 119, AU PRIEUR DES RELIGIEUX OLIVETAINS

CXIX (73). - AU PRIEUR DES RELIGIEUX OLIVETAINS, près Sienne .- Un bon supérieur doit s'appuyer sur l'arbre de la Croix par le souvenir de la Passion et du Sang de Jésus-Christ.

(Ce couvent était près des murailles de Sienne. Le bienheureux Bernard, son fondateur, y mourut avec quatre-vingts religieux au service des pestiférés, en 1348.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher et bien aimé Père, par le respect du très saint Sacrement, et mon Frère dans le Christ; le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un bon et courageux pasteur, qui paissiez et gouverniez avec un zèle parfait les brebis qui vous sont confiées, imitant en cela le doux Maître de la vérité, qui a donné sa vie pour nous, ses brebis égarées hors de la voie de la grâce. Il est vrai, mon très doux Frère dans le Christ, le doux Jésus, que nous ne pouvons faire cela [750] sans Dieu, et que nous ne pouvons posséder Dieu en restant sur la terre. Mais voici un doux remède lorsque le coeur est bas et petit, il faut faire comme Zachée, qui n'était pas grand, et qui monta sur un arbre pour voir Dieu. Son zèle lui mérita d'entendre cette douce parole: Zachée, allez à votre maison, car aujourd'hui j'ai besoin de manger avec vous. Nous devons faire ainsi lorsque nous sommes bas, lorsque nous avons le coeur étroit et peu de charité; il faut monter sur l'arbre de la très sainte Croix, et là nous verrons, nous toucherons Dieu, là nous trouverons le feu de son ineffable charité, l'amour qui l'a fait courir jusqu'aux opprobres de la Croix, qui l'a exalté, et lui a fait désirer avec l'ardeur de la faim et de la soif l'honneur de son Père et notre salut.

2. Oui, voilà notre doux et bon Pasteur qui a sacrifié sa vie avec tant d'amour, sans considérer ses peines, notre ignorance, notre ingratitude pour un si grand bienfait, et les reproches des Juifs. Il était transporté d'amour, et il obéissait à son Père avec une soumission parfaite. Si nous le voulons, si notre négligence n'y met pas d'obstacle, nous pourrons, en montant sur l'arbre de la Croix, accomplir en nous cette parole, sortie de la bouche de la Vérité " Quand je serai levé en haut, j'attirerai tout à moi. " En effet, lorsque l'âme s'élève ainsi, elle voit les bienfaits de la bonté et de la puissance du Père, qui a donné au sang du Fils de Dieu la vertu de laver nos iniquités. Là elle voit l'obéissance de Jésus crucifié, qui est mort pour obéir; et il a obéi avec un si ardent désir, que la peine de ce désir était plus grande que la peine de son corps. Elle voit la clémence et l'abondance [751] de l'Esprit-Saint, c'est-à-dire cet amour ineffable qui le tient attaché sur le bois de la très sainte Croix; les clous et les liens ne pouvaient l'y retenir; il n'y avait que la charité. Il faudrait un coeur dur comme le diamant pour n'être pas attendri par un si grand amour. Dès que le coeur est blessé de cette flèche, il monte de toutes ses forces, et non seulement l'homme se purifie, mais l'âme, pour laquelle Dieu a fait toute chose, se dépouille de ses imperfections.

3. Si vous me dites: Je ne puis monter, la Croix est trop haute, je vous répondrai qu'il y a trois degrés sur le corps de Jésus-Christ (). Elevez votre affection aux pieds du Fils de Dieu, et montez à son coeur, qui est ouvert et consumé pour nous; vous arriverez à la paix de sa bouche, et vous pourrez vous y rassasier des âmes; et ainsi vous serez un vrai pasteur, vous donnerez votre vie pour votre troupeau. Ayez toujours l'oeil sur lui, afin d'en ôter les vices et d'y cultiver les vertus. Je vous envoie deux autres brebis; donnez-leur le repos de la cellule et de l'étude; ce sont deux brebis que vous nourrirez sans peine, et qui vous donneront beaucoup de joie et de consolation. Je termine. Fortifiez-vous mutuellement, en vous liant par le lien de la charité; montez sur cet arbre très saint, où sont les fruits mûrs de toutes les vertus que porte le corps du Fils de Dieu; courez avec ardeur. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [752].








Lettre n. 120, AUX FRERES NICOLAS DE GUIDA, JEAN DE ZERRI, NICOLAS-JACQUES DE VA

CXX (74). - AUX FRERES NICOLAS DE GUIDA, JEAN DE ZERRI, NICOLAS-JACQUES DE VANNUCIO, religieux Olivétains. - De l'imitation de Jésus-Christ, et de la manière d'aimer Dieu pour sa gloire.



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mes très chers Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir suivre l'humble Agneau sans tache, que l'Eglise nous montre avec une humilité et une douceur si grandes, que le coeur de toute créature devrait se rendre en dépouillant, en étouffant son orgueil. Ce petit enfant est venu nous enseigner la voie et la doctrine de la Vérité; car la voie était rompue par le pêché d'Adam, et personne ne pouvait arriver à la vie éternelle. Aussi Dieu le Père, poussé par le feu de sa charité, a envoyé le Verbe, son Fils unique, qui est venu comme un char de feu, répandant les flammes de l'amour ineffable et la miséricorde éternelle du Père, nous enseignant la doctrine de la Vérité, et nous montrant la voie de l'amour que nous devions suivre. Il a dit: " Je suis la voie, la vérité, la vie; celui qui va par moi ne va pas par les ténèbres, mais arrive à la lumière." Et il en est ainsi, car celui qui suit cette voie en vérité, reçoit la vie de. la grâce et marche à la lumière de la sainte Foi; et avec cette lumière il arrive à l'éternelle vision [753] de Dieu. D'où le tendre Verbe nous enseigne-t-il cette doctrine? De la chaire de la très sainte Croix; c'est là qu'il purifie la face de notre âme avec son précieux sang. Je dis qu'il enseigne la voie de l'amour et la doctrine de la vertu; il nous montre comment nous devons aimer et vouloir posséder la vie. Aussi nous sommes obligés de le suivre; et celui qui ne le suit pas par la voie de la vertu, suit nécessairement le sentier du vice.

2. Il y en a beaucoup qui veulent s'éloigner et ne pas le suivre; ils veulent marcher sans guide, et non derrière lui, prenant une voie nouvelle, et voulant servir Dieu et acquérir la vertu sans fatigue; mais ils se trompent, car il est la voie. Ceux-là ne sont pas forts et persévérants; ils faiblissent, et au moment du combat, ils jettent à terre leurs armes, les armes d'une humble et continuelle prière, d'une ardente charité, le glaive de la volonté, avec lequel on se défend, et qui a deux tranchants, la haine du vice et l'amour de la vertu; ils le prennent avec la main du libre arbitre, et le livrent à l'ennemi; ils perdent ainsi les armes avec lesquelles ils paraient les coups des tentations des révoltes de la chair et les persécutions des hommes; ils donnent le glaive avec lequel ils se défendaient, et alors ils sont vaincus et terrassés; ils n'obtiennent pas la gloire, mais la honte et la confusion, parce qu'ils ne Suivent pas la doctrine du Verbe, mais ils s'en éloignent, en voulant aller par une autre voie que la sienne.

3. Il faut donc lui être fidèle et l'aimer en vérité, non par crainte de la peine dont est puni celui qui n'aime pas, ni pour l'utilité et le plaisir que trouve [754] l'âme dans l'amour, mais seulement parce que le souverain Bien est digne d'être aimé; nous devons l'aimer, lors même que nous n en retirerions aucun avantage, et que nous n'aurions à craindre aucun châtiment pour ne pas le faire. Nous devons l'aimer comme il nous a aimés; il nous a aimés sans être aimé de nous, sans espérer en recevoir quelque avantage, et sans craindre de se nuire en ne nous aimant pas car il est notre Dieu, qui n'a pas besoin de nous; notre bonheur ne lui est pas utile, et notre perte ne lui cause aucun dommage. Il nous aime donc par bonté, et nous devons l'aimer de la même manière Le bien que nous ne pouvons lui faire, nous devons le faire à notre prochain; nous devons l'aimer avec charité, et ne pas laisser diminuer notre amour envers lui à cause de ses injures, ou de son ingratitude, mais nous devons être constants et persévérants dans la charité de Dieu et du prochain. C'est l'exemple que nous a donné le doux et tendre Verbe, qui ne voulait autre chose que l'honneur de son Père et notre salut. Il courut vers la mort honteuse de la Croix, et il ne se laissa pas arrêter par l'ingratitude de ceux qui méprisaient ton sang, et par les peines et les opprobres qui le menaçaient. Pourquoi? Parce qu'il nous aimait uniquement pour l'honneur de son Père et pour notre salut.

4. Telle est la voie qu'il nous a enseignée en nous donnant la doctrine de l'humilité, de l'obéissance, de la patience, de la force, de la persévérance. Il n'abandonna pas le joug de l'obéissance qu'il avait reçu de son Père; il poursuivit notre salut, malgré toutes les peines, et avec une telle patience, qu'on n'entendit [755] jamais sortir de sa bouche le moindre murmure; mais il fut fort et persévérant jusqu'au moment suprême ou il remit l'Epouse du genre humain entre les mains du Père éternel. Vous voyez donc bien, mes enfants, qu'il nous a montré la voie et enseigné la doctrine; vous devez la suivre généreusement, sans crainte servile, mais avec une sainte crainte, avec une espérance et une foi vives, car Dieu ne vous donnera jamais un fardeau au-dessus de vos forces. C'est avec cette foi que vous répondrez au démon quand il effraiera votre esprit en vous disant ces combats et ces fatigues de la règle, ces fardeaux de l'obéissance, tu ne pourras jamais les porter; il vaudrait mieux y renoncer, et rester dans la charité commune, ou aller dans un autre Ordre qui serait plus doux et plus utile au salut de ton âme. Ne le croyez pas, mais persévérez dans votre état jusqu'à la mort, avec la lumière de la Foi. Mes enfants bien-aimés, la bonté de Dieu vous a déjà séparés de la corruption du siècle, et vous êtes entrés dans la barque de la sainte religion pour traverser cette mer orageuse, conduits par les bras de l'Ordre, et non par les vôtres: le gouvernail est l'obéissance, et le mât l'arbre de la très sainte Croix. Déployez la voile de son ardente charité; cette voile vous conduira au port du salut, si vous l'enflez avec le vent du saint désir, avec la haine, le mépris de vous-mêmes, avec une humble, obéissante et continuelle prière.

5. C'est avec ce bon vent et avec la persévérance, qu'on arrive au port de la vie éternelle. Mais prenez garde que le gouvernail de l'obéissance ne sorte de vos mains, car aussitôt vous seriez en danger de mort [756]. Si vous avez dépouillé votre coeur de l'amour-propre sensitif, si vous vous êtes véritablement revêtus de Jésus crucifié, en l'aimant parfaitement, sans considérer la peine et le plaisir, je suis persuadée que vous arriverez au terme dans cette barque de l'Ordre. Vous embrasserez l'arbre de la très sainte Croix en suivant la doctrine et les traces de l'humble Agneau sans tache, en tuant et en détruisant la volonté propre par cette prompte obéissance que n'arrêtent aucune peine, aucun ordre quelque impossible qu'il paraisse, mais qui obéit toujours jusqu'à la mort, O glorieuse vertu, tu portes avec toi l'humilité, car l'homme est humble autant qu'il est obéissant, et il est obéissant autant qu'il est humble. Le signe de l'obéissance dans l'inférieur est la patience; cette patience ne voudra jamais résister à la volonté de Dieu, ni à celle du supérieur: elle regarde seulement si ce qu'on lui commande est une offense contre Dieu; et alors elle ne doit pas obéir mais dans tous les autres cas elle obéit. Cette vertu n'est pas seule quand elle est parfaite dans l'âme; elle est accompagnée de la lumière de la Foi, fondée sur l'humilité, parce qu'autrement elle n'obéirait pas avec la force, la longue persévérance et la pierre précieuse de la patience.

6. Courez donc ainsi dans la voie de l'amour, en suivant fidèlement la voie du Verbe, le Fils unique de Dieu; vous suivrez la doctrine de l'obéissance en courant, pour l'honneur de Dieu, pour votre salut et celui du prochain, à la mort honteuse de la Croix, par l'ardent désir que vous aurez de souffrir toutes les peines que Dieu vous accordera, que ce Soit par les tentations du démon, par les infirmités du corps [757] par les murmures ou les injures des créatures, et vous supporterez tout jusqu'à la mort pour l'amour de Jésus crucifié. Ne vous laissez abattre par aucun combat qui se présente, mais faites-le connaître à votre supérieur; résistez avec courage, et que votre volonté ne donne jamais son consentement. De cette manière, vous ne pécherez pas, mais Vous recevrez le fruit de vos fatigues, et vous suivrez la doctrine de l'humble Agneau sans tache. Autrement, vous seriez vaincus, vous ne persévéreriez pas dans votre vocation, et le moindre choc vous renverserait par terre. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir suivre l'humble Agneau sans tache. C'est la seule voie que je connaisse, et celui qui en cherche une autre se trompe. Mes chers enfants, accomplissez généreusement la volonté de Dieu en vous; soyez fidèles à la promesse que vous avez faite lorsque vous avez quitté les ténèbres du monde pour entrer dans la lumière de la religion. Je recommande Jean à vos prières; il retourne au bercail; humiliez-vous, à son exemple, et ne soyez pas faibles de coeur. Doux Jésus, Jésus amour [758].









Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 115, AUX RELIGIEUX DE PASSIGNANO