Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 148, A MAITRE RAYMOND DE CAPOUE

Lettre n. 149, AU MÊME

CXLIX (103). - AU MÊME.- Souffrances de Sainte Catherine pour l'Eglise.

(Cette lettre est, pour ainsi dire, un complément de la précédente.)



1. J'étais continuellement tourmentée par l'ardent désir que j'avais nouvellement conçu en la présence do Dieu, parce que le regard de l'intelligence s'était fixé dans la Trinité éternelle, et voyait dans cet abîme la dignité de la créature raisonnable, la misère dans laquelle l'homme tombe par le péché mortel, et la nécessité de la sainte Eglise, que Dieu me manifestait dans son sein. Mais personne ne peut goûter la beauté de Dieu dans l'abîme de la Trinité sans l'intermédiaire de cette douce Épouse, car il faut que tous passent par la porte de Jésus crucifié, et cette porte ne se trouve que dans la sainte Église. Alors je voyais que cette Épouse donne la vie; car il y a tant de vie en elle, que personne ne peut l'affaiblir et l'obscurcir en elle-même; et je voyais que soit fruit ne manque jamais et augmente toujours.

2. L'Eternel disait Toute cette dignité, que ton intelligence ne pourrait comprendre, vous vient de moi. Regarde donc avec une douleur amère, et tu verras que l'Épouse ne parait que par son vêtement extérieur, c'est-à-dire par sa substance temporelle; mais tu vols bien qu'elle est privée de ceux qui cherchent sa vie intérieure, c'est-à-dire le fruit du Sang; et celui qui ne porte pas ce fruit, qui est le trésor de [920] la charité, avec une humilité sincère, à la lumière de la très sainte Foi, n'aura pas la vie, mais la mort. Il fera comme le voleur, qui prend ce qui ne lui appartient pas; le fruit du Sang est à ceux qui ont le trésor de l'amour, car l'Église est fondée sur l'amour, elle est l'amour même; et je veux par amour, disait l'Éternel, que chacun donne, comme j'ai chargé mes serviteurs de donner selon qu'ils ont reçu. Je me plains de ce que personne ne sert l'Église, et il me semble, au contraire, que tous l'abandonnent; mais j'y porterai moi-même remède.

3. La douleur et l'ardeur de mon désir augmentaient, et je criais on la présence de Dieu: Que puis-je faire, ô Amour ineffable! Et sa bonté me répondait: Offre de nouveau ta vie, et ne te donne jamais aucun repos; c'est pour cela que je t'ai choisie, toi et tous ceux qui te suivent et te suivront. Appliquez-vous donc à ne jamais ralentir, mais à augmenter toujours vos désirs. Car moi, je m'applique toujours avec amour à vous assister de mes grâces spirituelles et temporelles; et, afin que vos âmes ne soient pas occupées d'autre chose, j'y ai pourvu en embrasant d'ardeur la personne que j'ai choisie pour vous diriger; elle agira par des moyens nouveaux et cachés; elle se consumera pour servir l'Église; et vous, faites-le par d'humbles et continuelles prières, et par toutes les oeuvres qui seront nécessaires, et que ma bonté inspirera a chacun selon sa position. Consacre donc ta vie, ton coeur, ton amour à cette Épouse, pour moi, sans penser à toi. Regarde en moi et contemple l'Epoux de l'Épouse, c'est-à-dire le Souverain Pontife, et vois sa sainte et bonne intention [921] qui est sans borne; et comme l'Épouse est unique, l'Epoux l'est aussi. Je permets que par les moyens violents qu'il emploie et par la crainte qu'il cause à ceux qui lui sont soumis, il purifie l'Église; mais il en viendra d'autres qui la serviront par l'amour, et qui l'enrichiront. Il en sera de l'Épouse comme de l'âme, que la crainte dépouille d'abord du vice, et que l'amour remplit et orne ensuite de vertus.

4.Tout cela se fera en souffrant avec douceur. Les souffrances sont douces et agréables à ceux qui se nourrissent véritablement sur son sein; mais fais en sorte de dire à mon Vicaire qu'il s'adoucisse autant qu'il le pourra, et qu'il donne la paix à qui veut la recevoir. Dis également aux colonnes de la sainte Église, aux cardinaux, que s'ils veulent réparer tant de ruines, ils doivent s'unir ensemble, et être comme un manteau pour couvrir ce qui parait défectueux en leur Père. Qu'ils soient réguliers dans leur vie et leur entourage; qu'ils me craignent et qu'ils m'aiment; qu'ils soient toujours d'accord, en triomphant d'eux-mêmes. S'ils le font, moi, qui suis la lumière, je leur donnerai la lumière qui sera nécessaire à la sainte Église; et lorsqu'ils auront vu entre eux ce qu'il y aura à faire, ils le proposeront tous avec promptitude et avec ardeur à mon Vicaire, qui ne pourra pas alors résister à leur bonne volonté, parce que ses intentions sont bonnes et saintes.

5. La langue est incapable de raconter les mystères que mon intelligence a vus et que mon coeur a sentis. Je passai le jour dans l'extase, et quand vint le soir, j'étais tellement transportée d'amour, que je ne pouvais m'empêcher d'aller au lieu de la prière. Je [923] comprenais que le moment de ma mort approchait, et je me prosternais, en me reprochant amèrement d'avoir servi avec tant d'ignorance et de négligence l'Épouse du Christ, et d'être cause que les autres avaient fait de même. J'étais pleine de ces pensées, lorsque Dieu me mit en sa présence, non pas comme j'y suis toujours, puisqu'il renferme tout en lui, mais d'une manière nouvelle, comme si la mémoire, l'intelligence et la volonté n'avaient plus rien a faire avec le corps. Et je contemplais la Vérité avec une telle lumière, que je revoyais dans cet abîme les mystères de la sainte Eglise, toutes les grâces passées et présentes que j'avais reçues dans ma vie, et le jour où Dieu avait pris mon âme pour épouse. Tout cela disparaissait dans l'ardeur de l'amour, qui augmentait sans cesse, et je ne pensais plus qu'à ce que je pouvais faire pour me sacrifier à Dieu, pour la sainte Église, et pour détruire l'ignorance et la négligence de ceux que Dieu m'avait confiés. Alors les démons se déchaînaient contre moi, et voulaient empêcher et diminuer par la terreur la violence de mon désir. Ils frappaient sur l'enveloppe de mon corps, mais mon désir s'enflammait davantage, et je criais O Dieu éternel! recevez le sacrifice de ma vie dans le corps mystique de la sainte Église. Je n'ai à vous donner que ce que vous m'avez donné vous-même; prenez mon coeur, et pressurez-le sur la face de l'Épouse.

6. Et alors l'Eternel, me regardant avec clémence, prenait mon coeur et le pressurait dans la sainte Église. Il le prit avec tant de violence, que si, pour empêcher le vase de mon corps de se briser, il ne [923] lui eût pas donné sa force, la vie m'aurait quittée. Les démons criaient avec plus de fureur, comme s'ils avaient souffert une douleur insupportable; ils faisaient tous leurs efforts pour m'épouvanter, et ils me menaçaient de trouver le moyen de rendre inutile tout ce que je faisais; mais l'humilité, avec la lumière de la très Sainte Foi, triomphe toujours de l'enfer. Plus il s'agitait, plus je luttais avec ardeur; et j'entendais, en présence de la Majesté divine, des paroles si tendres et des promesses si douces, que j'étais inondée de joie. Mon état était si mystérieux, que la parole ne pourra jamais l'expliquer. Et maintenant je dis: Grâces, grâces soient rendues au Très-Haut, à l'Eternel, qui nous a placés sur le champ de bataille pour combattre en vaillants chevaliers pour son Épouse, avec le bouclier de la très sainte Foi. La victoire nous est restée par cette puissance qui a vaincu le démon, maître du. genre humain. Il a été vaincu non par la vertu de l'humanité, mais par celle de la Divinité. Oui, le démon est et sera vaincu, non par la souffrance de nos corps, mals par le feu de la divine et Ineffable charité [924].








Lettre n. 150, AU FRERE THOMAS DELLA FONTE

CL (104). - AU FRERE THOMAS DELLA FONTE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs.- Elle lui parle d'une vision qu'elle a eue le jour de Sainte-Lucie.

(Frère Thomas della Fonte était LIé à la famille de sainte Catherine, dont la soeur avait épousé un de ses parents. Il fut le premier confesseur de notre Sainte, et un des témoins dans le procès de VenIse. Cette lettre est probablement du mois de décembre 1377.)



QUE LOUÉ SOIT NOTRE DOUX SAUVEUR



1. Mon bien cher et très aimé Père dans le Christ Jésus, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, votre indigne petite fille, vous écrit dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir transformé et enflammé dans les flots de son sang. Ce sang nous fera courir avec ardeur sur le champ de bataille, comme l'a fait cette douce et tendre Lucie, qui était si enivrée du souvenir continuel du sang du Fils de Dieu, qu'elle courut lui offrir avec courage le sacrifice de son corps. Je conjure notre doux Sauveur de nous apprendre aussi à sacrifier et à macérer nos corps. Et ne vous étonnez pas, mon très cher Père, si je ne puis me rassasier de ce sacrifice, car, le jour de sa fête, elle m'a fait goûter encore le fruit de son martyre. Je me retrouvais par le désir à la table de l'Agneau, qui me disait, à moi, misérable: Je suis la table, je suis la nourriture, et c'est la main du Saint-Esprit qui m'offre et me sert à ceux qui me goûtent véritablement; et je voyais l'accomplissement de cette [925] douce parole de la Vérité même: " Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père. "

2. O très doux Père! combien étaient variés les fruits des vertus que les saints pratiquèrent en cette vie! Et chacun jouit maintenant avec les anges de la félicité suprême. Je voyais tellement la vérité, que mon âme confessait n'avoir jamais vraiment aimé; et je demandais par son intercession, en la présence de Dieu, qu'il nous revêtit du vêtement de la vérité. Je sentais un tel renouvellement dans mon Ame, que la langue serait incapable de l'exprimer. Hélas! hélas! je ne veux dire autre chose si ce n'est que je prie cette douce lumière de nous conduire bientôt à la mort pour la vérité.

3. Vous me demandez d'écrire à Catherine et de venir bientôt, parce que Mme Agnès voulait faire son testament; soyez persuadé que si je n'ai pas écrit à Catherine et à mes autres filles bien-aimées, c'est que j'ai eu trop peu de temps; excusez-moi près d'elles, et bénissez-les toutes, de la part de Jésus-Christ et de la mienne, mille et mille fois.

4. Je vous annonce que l'honneur de Dieu gagne, parmi les supérieurs, plus que je ne l'ai jamais vu, et il me semble que Dieu veut nous donner de bons morceaux. Je vous dirai aussi que le monastère de Ripoli est sorti des mains du démon (Les religieux avaient sans doute violé l'interdit, à l'instigation des magistrats de Florence, et lis étaient ensuite rentrés dans le devoir.). Alessia, Catherine et Cecca, se recommandent bien à vous, comme le fait votre Catherine, l'esclave et la servante des serviteurs de Dieu [926].








Lettre n. 151, A FRÈRE THOMAS DELLA FONTE

CLI (105). - A FRÈRE THOMAS DELLA FONTE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs.- Quand elle était à Saint-Quirice, dans leur petit hospice. - Il faut s'unir à Dieu, et se transformer en lui par la volonté.

(Saint-Quirice est sur la route de Sienne à Rome. Les Dominicains et les Franciscains y possédaient un petit hospice depuis le XIIIe siècle.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très cher et très aimé Père de nos âmes dans le Christ Jésus, Catherine, Alessia et toutes nos autres filles se recommandent à vous, avec le désir de vous voir aussi sain d'âme et de corps qu'il plaira à Dieu. Moi, Catherine, la servante inutile de Jésus-Christ, votre fille, la dernière de vos filles, je suis bien peu affamée de l'honneur de Dieu, et je ne pense guère à la doctrine qu'il m'a souvent donnée. Je devrais vivre morte à ma volonté propre; et cette volonté, je ne l'ai pas soumise avec respect au joug de la sainte obéissance autant que je l'aurais dû et que je l'aurais pu. Hélas! que mon âme est à plaindre! Je n'ai pas couru embrasser généreusement la Croix de mon très doux et très cher Epoux, Jésus crucifié; mais j'ai cherché mon repos par ignorance et négligence. Aussi je m'en repens, et j'en demande pardon à Dieu et à vous, mon très cher Père: je vous supplie de m'absoudre et de me bénir, moi et toutes les autres [927].

2. Je vous demande encore, mon très cher Père, de vouloir bien satisfaire le désir que j'ai de vous voir uni à Dieu, et transformé en lui; mais nous ne pouvons y parvenir si nous ne sommes pas unis à sa volonté. O très douce Bonté! vous nous avez enseigné le moyen de connaître votre sainte volonté; et si nous le demandons au très aimable Sauveur, au Père très clément, il nous répondra en nous disant: Si vous voulez connaître et sentir l'ardeur de ma volonté, faites en sorte d'habiter toujours la cellule de votre âme. Cette cellule est un puits et ce puits contient de l'eau et de la terre; par cette terre, mon Père bien-aimé, j'entends notre misère; nous devons reconnaître que nous n'avons pas l'être par nous-mêmes, mais que nous le tenons de Dieu. O ineffable et brûlante charité! l'eau vive, c'est la connaissance véritable de cette douce et sainte volonté, qui ne veut autre chose que notre sanctification. Entrons donc dans là profondeur de ce puits; et en y habitant, nous nous connaîtrons nécessairement nous-mêmes, et nous connaîtrons la bonté de Dieu. Et en connaissant notre néant, nous nous humilierons, nous nous abaisserons, et nous entrerons dans ce coeur enflammé, consumé, ouvert par cette blessure qui ne se ferme jamais; et en y fixant le regard de la volonté libre que Dieu nous donnera, nous connaîtrons et nous verrons que sa volonté ne veut autre chose que notre sanctification.

3. Amour, doux amour, agrandis, agrandis notre mémoire pour recevoir, pour contenir toute la bonté de Dieu, pour la comprendre; car en la comprenant, nous l'aimerons; en l'aimant, nous nous trouverons [928] unis, et transformés dans l'amour de la charité; nous passerons par la porte de Jésus crucifié, comme il l'a dit à ses disciples: " Je viendrai, et je ferai ma demeure avec vous. " Mon désir est de vous voir dans cette demeure et cette transformation; oui, c'est le désir de mon âme pour vous et pour toutes les créatures. Je vous conjure donc de rester attaché et cloué sur la Croix. Vous m'écrivez que vous avez été visiter le corps de sainte Agnès, et que vous nous avez recommandés à elle et à toutes ses religieuses; j'en suis vraiment bien consolée. Vous me dites que vous n'avez pas le désir de revenir, et que vous n'en savez pas la raison; je vous répondrai qu'il peut y en avoir deux raisons: l'une est que l'âme unie, transformée en Dieu, s'oublie elle-même avec toutes les créatures; l'autre est qu'on tombe quelquefois dans un lieu qui fait faire un retour sur soi-même. si ces deux causes se trouvent en vous, j'en serai très heureuse, car mon âme ne désire pas autre chose de vous. Mais j'ai cru bien souvent, et je crois encore que mn misère et mon ignorance sont cause de ce qui est arrivé; je crois que l'ineffable charité de Dieu veut châtier, et corriger mon iniquité, et il le fait par amour, pour que je me reconnaisse.

4. Il me semble que vous avez l'intention d'aller autre part; mon avis est que vous ne devez pas le faire avant d'avoir accompli la volonté de Dieu et la vôtre. Dieu vous donne à choisir le meilleur en ceci et dans toutes les autres oeuvres, pour son honneur et pour le bien de votre àme. Que loué soit Jésus crucifié. Je vous recommande votre Catherine [928]; Alessia vous recommande de prier Dieu pour elle, et de la bénir de la part de Jésus crucifié. Priez Dieu pour Jeanne Pazza, et pour Catherine, la servante et l'esclave rachetée avec le sang du Fils de Dieu. pardonnez-moi, si je vous ai parlé avec présomption. Que Dieu vous consume d'amour. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 152, A FRÈRE THOMAS DELLA FONTE

CLII (106). - A FRÈRE THOMAS DELLA FONTE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, à Sienne.- De la joie au milieu des épreuves qui viennent du monde.



QUE LOUÉ SOIT NOTRE DOUX SAUVEUR



1. Mon très cher et très aimé dans le Christ Jésus, Catherine, la servante inutile, et votre fille indigne, se recommande à vous dans le précieux sang du Fils de Dieu. Je désire avec désir vous voir, mais non pas sans moi, attaché à l'arbre de la très douce et très aimable Croix. Oui, très cher Père, je ne vois pas d'autre consolation que de s'y consumer dans l'ardeur de l'amour. Là, les démons visibles et invisibles ne pourront pas nous enlever la vie de la grâce; car, élevés à cette hauteur, la terre ne pourra pas nous faire obstacle, comme l'a dit la Vérité même: " Lorsque je serai élevé en haut, j'attirerai tout à moi; " et il attire le coeur, l'âme, la volonté et toutes ses forces. Ainsi donc, mon doux Père, faisons là notre lit. Je me réjouis, et je suis dans [930] l'allégresse, de ce que vous me faites dire, en pensant que le monde nous est contraire: je me reconnais indigne d'une si grande miséricorde, puisqu'ils me donnent le vêtement qu'a porté notre très doux Père, le Fils de Dieu. Oui, mon cher Père, que c'est peu de chose! si peu de chose, que ce n'est pour ainsi dire rien. O douce et éternelle Vérité! donnez-nous à manger de bons morceaux. Je ne puis plus que vous inviter de la part de Jésus crucifié d'approvisionner la barque de votre âme de foi et de faim. Le Maître a eu connaissance de votre lettre, et il a donné la réponse à son compagnon. Je ne sais si vous l'avez reçue de manière à pouvoir pacifier les choses.

2. Quant à lui, je vous dirai qu'il me semble meilleur qu'il soit reçu dans l'Ordre: ce sera un lien de plus pour lui; si c'est votre avis et celui du prieur, j'en serai très heureuse. Dites-lui qu'il n'hésite plus à prendre l'habit. Je prie notre doux Sauveur qu'il vous fasse faire ce qui l'honorera davantage.

3. Je crains de ne pouvoir être fidèle à l'obéissance; l'Archevêque a demandé en grâce au Général de me faire rester encore plusieurs jours. Priez ce vénérable Espagnol de ne pas nous faire revenir inutilement; je crois bien que Dieu nous en accordera la grâce. Bénissez-nous toutes, nous vous le demandons avec instance. Encouragez, et bénissez-nous de la part de Jésus-Christ, ma mère Lapa, Lisa, et tous vos fils et vos filles. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

CATHERINE, la servante inutile[931].









Lettre n. 153, A FRERE THOMAS DELLA FONTE

CLIII (1). - A FRERE THOMAS DELLA FONTE, de l'ordre des Frères Prêcheurs, à Sienne. - Il faut se dépouiller de soi-même pour se revêtir Jésus crucifié.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir entièrement dépouillé de vous-même, afin que vous vous trouviez parfaitement revêtu de Jésus crucifié. Pensez, mon doux Père, que nous serons privés de lui autant que nous nous garderons nous-mêmes. Combien donc devons-nous déraciner de nos âmes la volonté propre! Nous devons la tuer, l'anéantir, parce qu'elle nous prive de ce riche vêtement, qui illumine l'âme, l'enflamme, la fortifie, et l'éclaire de l'éternelle Vérité. Il lui montre que tout ce qui arrive en cette vie est pour notre sanctification, et pour nous conduire à la vertu; il l'enflamme du désir de faire de grandes choses pour Dieu, de donner sa vie pour son honneur et pour le salut des âmes; il la fortifie, parce qu'il n'y a pas de lumière et de feu sans force. La lumière et l'amour supportent de grands fardeaux, la guerre, la paix, la tempête, le calme; ils acceptent aussi bien de la main droite que de la main gauche, autant l'adversité que la prospérité, parce que l'âme voit qu'elles procèdent l'une et l'autre de la même source, et vont au même but [932].

2. Oh! qu'elle navigue avec courage l'âme qui s'est si bien dépouillée et si bien revêtue; elle ne peut vouloir et désirer autre chose que la gloire et la louange du nom de Dieu, qu'elle cherche dans le salut des âmes. Elle en fait sa nourriture; elle ne veut rien prendre que sur la table de la Croix, c'est-à-dire au milieu des peines, des mépris et des injures. Plus Dieu veut lui en accorder, plus elle se réjouit, quand elle voit qu'elle les souffre sans les mériter. Il est impossible d'arriver à cet état avec le poids de notre vêtement; et c'est pour cela que je vous ai dit que je désirais vous voir dépouillé entièrement de vous-même, et je vous conjure de vous appliquer à le faire pour l'amour de Jésus crucifié. Nous avons reçu, le 13 juin, votre lettre... Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 154, A FRÈRE THOMAS DELLA FONTE

CLIV (108). - A FRÈRE THOMAS DELLA FONTE, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, à Saint-Quirice. - Le sang de Jésus-Christ donne à l'âme la lumière et la force.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné dans le sang de Jésus crucifié. Ce sang précieux enivre, fortifie, réchauffe l'âme il l'éclaire des rayons de la vérité [933], et l'empêche de tomber dans le mensonge. O sang qui fortifie l'âme, et lui ôte sa faiblesse! Cette faiblesse procède de la crainte servile, et la crainte servile vient du manque de lumière. L'âme est forte, parce que dans ce sang, elle est éclairée de la Vérité; elle comprend et voit avec l'oeil de l'intelligence que la Vérité suprême l'a créée pour lui donner la vie éternelle, à la gloire et à la louange de son nom. Qui nous montre qu'il en est ainsi? Le sang de l'Agneau sans tache ce sang nous montre que toutes les choses que Dieu nous accorde, les choses prospères et contraires, les consolations, les tribulations, la honte, le blâme, les mépris, les outrages, les injures, tout nous vient du feu de son amour pour accomplir cette Vérité première, pour laquelle nous avons été créés. Qui nous le prouve? Le sang. Car si Dieu avait voulu autre chose de nous, il ne nous eut pas donné son Fils, et son Fils ne nous eut pas donné sa vie.

2. Dès que l'âme, avec l'oeil de l'intelligence, a connu cette vérité, elle reçoit aussitôt la force qui la rend capable de supporter et souffrir de grandes choses pour Jésus crucifié; elle ne se refroidit pas, mais elle se réchauffe au feu de la divine charité, avec la haine et le mépris d'elle-même. Elle tombe peu à peu dans l'ivresse; car, comme l'homme ivre perd le sentiment de lui-même, elle n'a plus que le sentiment de Dieu; tout autre sentiment y est confondu. C'est ainsi que mon âme, enivrée du sang de Jésus-Christ, perd tout sentiment propre; elle est privée de l'amour sensitif, privée de la crainte servile; car là ou n'est pas l'amour sensitif, là n'est pas [934] la crainte servile. Elle se réjouit de la souffrance, et ne veut se glorifier qu'en la Croix de Jésus crucifié. C'est là sa gloire; toutes les puissances de l'âme sont concentrées sur son unique objet. La mémoire s'est remplie du Sang; elle l'a reçu avec reconnaissance, et dans ce sang se trouve l'amour divin qui chasse l'amour-propre. Elle aime les opprobres, et souffre des honneurs; elle aime la mort, et souffre de la vie. Comment s'est remplie la mémoire? avec les mains de l'amour et du saint désir. Cet amour lui vient de la lumière de l'intelligence qui connaît la vérité et la douce volonté de Dieu. O très cher Père, c'est ainsi que je veux que nous nous enivrions, et que nous nous baignions dans le sang de Jésus crucifié, afin que les choses amères nous paraissent douces, et les grands fardeaux légers. Des épines et des tribulations nous tirerons les roses, la paix, le repos. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 155, A FRERE BARTHELEMI DOMINICI

CLV (109). - A FRERE BARTHELEMI DOMINICI, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, pendant qu'il prêchait à Ascanio. - De la divine charité qui nous a créés et rachetés.

(Frère Barthélemi Dominici était de Sienne et un des confesseurs de sainte Catherine. Il remplit plusieurs charges importantes de son ordre, et écrivit sur le tiers ordre de Saint-Dominique un traité qui est joint aux constitutions des Frères Prêcheurs. Il fut témoin dans le procès de Venise et mourut à Rimini, le 3 juillet 1417, à l'âge de soixante-douze ans.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très aimé Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de [935] Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans le précieux sang de Dieu, avec le désir de vous voir si enflammé et si anéanti dans le Christ Jésus, que vous vous perdiez entièrement vous-même. Mais je ne vois pas que vous puissiez le faire, si l'oeil de l'intelligence ne s'élève au-dessus de vous par un vrai désir, pour rencontrer le regard ineffable de la divine charité, que Dieu jette et a jeté sur sa créature, avant de la créer, lorsqu'il la voyait en lui-même. Il se passionna tellement pour elle, qu'il nous créa par amour, voulant que nous jouissions de ce bien qu'il avait en lui. Mais le péché d'Adam fut un obstacle a l'accomplissement de son désir. Alors Dieu, poussé par le feu de la divine chanté, envoya le doux Verbe son Fils incarné, pour racheter l'homme et le tirer de la servitude; et son Fils courut se livrer a la mort honteuse de la Croix. Il conversa avec les pécheurs, les publicains, les excommuniés, avec toutes sortes de personnes, parce que la charité n'a pas de bornes et de mesure; elle ne se voit pas elle-même, et ne cherche jamais son avantage. Et perce que le premier homme tomba de la hauteur de la grâce par l'amour de lui-même, il fallut que Dieu usât d'un moyen contraire, et il envoya cet Agneau sans tache, dont l'immense et ineffable charité ne cherchait uniquement que l'honneur de son Père et notre salut. O doux et généreux chevalier! vous n'avez tenu [936] compte ni de la mort ni de la vie, ni des outrages; vous avez lutté corps a corps sur la Croix avec la mort du péché; la mort a vaincu la vie de votre corps, mais votre mort a détruit notre mort. Oui, sa mort a été cause que vous voyez, parce que son regard ne s'arrêtait que sur l'honneur de son Père; et il accomplit ainsi son désir en nous, car nous pouvons jouir de Dieu, qui est la fin pour laquelle il nous a créés.

2. O mon très cher et très doux Fils, je veux que vous deveniez semblable a ce Verbe, qui est notre règle, la règle des saints qui l'ont suivi; vous deviendrez ainsi une même chose avec lui, vous participerez a ses richesses et vous ne serez pas dans la pauvreté. Oui, je vous répète ce que je vous ai dit si votre âme ne se réveille pas et ne fixe pas son regard sur la bonté infinie de Dieu et sur l'amour qu'il témoigne a sa créature, elle n'arrivera jamais a cette générosité et a cette perfection, mais elle sera si étroite, qu'elle ne pourra contenir ni Dieu ni le prochain. Aussi je vous le dis, je veux que vous soyez anéanti et consumé en Dieu, suivant toujours les doux regards de sa charité, parce qu'alors vous aimerez parfaitement ce qu'il aime, et vous détesterez ce qu'il déteste. Repoussez donc les faiblesses de coeur et les égarements d'une conscience étroite; ne vous arrêtez pas aux suggestions coupables du démon, qui s'efforce d'empêcher tant de bien, et qui ne voudrait pas être chassé de cette ville qu'il possède. Je veux que vous agissiez avec un coeur généreux et un zèle parfait, comprenant bien que la loi de l'Esprit-Saint est différente de celle des hommes [937]. Imitez l'ardent saint Paul, et soyez un vase d'élection pour porter et répandre le nom de Jésus-Christ. Il me semble que Paul s'était contemplé dans ce regard, qu'il s'y était perdu, et qu'il y avait puisé tant de générosité, qu'il désirait et voulait être anathème pour ses frères (Rm 9,3). Paul s'était passionné pour ce que Dieu aime, et il voyait que la charité ne s'offense et ne se trouble jamais. Moïse ne pensait qu'à l'honneur de Dieu, et voulait être rayé du livre de vie plutôt que de voir périr son peuple (Ex 33, 32).

3. Aussi, je vous prie et je vous conjure de vous appuyer toujours sur le Christ Jésus, pour arracher les vices et planter les vertus, suivant la Vérité première et les saints qui ont suivi ses traces, ne mettant pas de bornes et de mesure au désir, qui doit être sans mesure, Pensez que vous êtes au milieu d'un peuple infidèle, excommunié, plein d'iniquités, et qu'il faut que, par la force de l'amour, vous preniez part à leurs faiblesses, parce que, je vous le dis, vous vous unirez ainsi à la charité et à eux par l'amour que vous avez de leur salut. Si nos rapports venaient de l'amour-propre, ou du plaisir spirituel ou temporel que nous y trouvons en dehors de cette faim, il faudrait les fuir et les craindre. Eloignez donc tout chagrin qui pourrait vous arrêter, et croyez plus les autres que vous-même; et si le démon veut troubler votre conscience, dites-lui qu'il vienne me demander des explications sur cela et sur d'autres choses; car une mère doit répondre pour [938] son fils. Ainsi donc, je veux que vous soyez plein de zèle; la charité vaincra tous les obstacles et vous fortifiera. Bénissez pour moi, mon Fils, le frère Simon, et dites-lui de courir avec le bâton du saint désir, avec le bâton de la Croix. Faites-moi savoir comment vous vous trouvez, et où en est l'honneur de Dieu. Alessia la puissante (Alessia grassotta. Alessia Saracini était une des plus fidèles compagnes de Sainte Catherine. L'épithète grassotta pouvait faire allusion à sa fortune. Cette lettre était sans doute écrite par Cecca, qui s'appelle perditrice di tempo.) vous demande de prier pour elle et pour Cecca, qui perd toujours le temps. Priez Dieu pour Lisa. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.










Lettre n. 156, A FRÈRE BARTHELEMI DOMINICI

CLVI (110). - A FRÈRE BARTHELEMI DOMINICI, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, à Asciano.- De la force et de l'abondance du Saint-Esprit nécessaires pour procurer le salut des âmes.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.




1. Mon très cher et très aimé Fils en Jésus-Christ, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et je vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de voir en vous la force, l'abondance, la plénitude du Saint-Esprit, qui est descendu sur les disciples pour que la douce parole de Dieu puisse croître et fructifier en [939] vous et dans votre prochain. Car, dès que le feu de l'Esprit-Saint fut venu sur eux, ils montèrent à la tribune de l'ardente Croix, et là ils sentirent et goûtèrent la Faim du Fils de Dieu, et l'amour qu'il avait pour l'homme. Alors leurs paroles sortaient comme sort le glaive préparé dans la fournaise, et avec cette chaleur ils fendaient le coeur de ceux qui les entendaient; ils chassaient les démons et se sacrifiaient eux-mêmes, s'oubliant pour ne penser qu'à la gloire, à l'honneur de Dieu et au salut des âmes.

2. Vous aussi, mon Fils bien-aimé, je vous prie et je vous conjure dans le Christ Jésus, de vous reposer à la tribune de la Croix, de vous y perdre entièrement1 de vous y anéantir dans un insatiable désir. Tirez le glaive ardent, et frappez les démons visibles et invisibles, qui souvent veulent troubler votre conscience pour empêcher le fruit qui se fait dans la créature. N'écoutez donc pas cet esprit pervers, surtout maintenant qu'il faut semer et recueillir. Dites au démon qu'il dispute avec moi, et non pas avec vous. Oui, du courage; ne dormons plus, car le temps s'approche.

3. J'ai éprouvé une grande joie, parce qu'il me semble qu'il se fait beaucoup de bien. Frère Raymond m'a écrit de bonnes nouvelles qu'il a eues de messire Nicolas d'Osimo, sur l'affaire de la croisade (Lettres LXXXV et LXXXVI). Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, parce que nos désirs s'accompliront. Je n'ai pas le temps de vous en écrire davantage. Nanni se porte très bien et est très content. Bénissez mon fils Simon dites-lui [940] qu'il ouvre la bouche du saint désir pour prendre le lait que sa mère lui enverra. Pensez à cette jeune fille qui vous fut recommandée dans le testament, et aussi à ma Sainte-Agnès (Sainte Catherine s'intéressait beaucoup au couvent de Sainte-Agnès de Montepulciano.), s'il se présentait l'occasion de donner. Alessia, et celle qui perd toujours beaucoup de temps, se recommandent beaucoup à vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.









Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 148, A MAITRE RAYMOND DE CAPOUE