Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 156, A FRÈRE BARTHELEMI DOMINICI

Lettre n. 157, A FRÈRE BARTHELEMI DOMINICI

CLVII (111). - A FRÈRE BARTHELEMI DOMINICI, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, à Asciano. - Du sang de Jésus-Christ à la table de la très sainte Croix.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très cher et très aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous bénis et je vous encourage dans le précieux sang de Jésus-Christ. J'ai désiré avec désir faire la pâque avec vous avant de mourir. Cette pâque que je voudrais faire, c'est de nous voir à la table de l'Agneau sans tache, qui est à la fois la nourriture, la table et le serviteur. C'est sur cette table que sont les fruits des vraies et solides vertus. Toute autre table est sans fruit; mais celle-ci offre un fruit parfait, car il donne la vie. Cette table est toute percée de veines qui répandent le sang, et [941] parmi les veines, il y a un canal qui verse le sang et l'eau mêlés avec le feu; et l'oeil qui se fixe sur ce canal découvre le secret du coeur. Ce sang est un vin qui enivre l'âme; plus elle en boit, plus elle veut en boire, et jamais elle ne s'en rassasie, parce que le sang et la chair sont unis au Dieu infini. O mon très doux Fils dans le Christ Jésus, courons avec zèle à cette table; accomplissez mon désir en vous, afin que je fasse la pâque, comme je l'ai dit. Faites comme celui qui boit tant qu'il s'enivre et s'oublie lui-même; il ne se voit plus, et il se passionne tellement pour le vin, qu'il boit encore davantage, et son estomac s'échauffe tellement qu'il ne peut le retenir et qu'il le rejette.

2. Oui, mon Fils, la table où nous trouverons ce vin, c'est le côté ouvert du Fils de Dieu. C'est son sang qui réchauffe, qui détruit toute faiblesse; il rend claire la voix de celui qui an boit, il réjouit l'âme et le coeur, car ce sang a été répandu avec le feu de la divine charité; il excite tant l'homme, qu'il le met hors de lui-même, et il en arrive à ne pouvoir plus se voir pour lui-même; il se voit pour Dieu, il voit Dieu pour Dieu, et le prochain pour Dieu; et quand il a pris ce sang, il le répand sur la tête de ses frères, à l'exemple de Celui qui, sur cette table, le verse continuellement, non pour son utilité, mais pour la nôtre. Nous qui mangeons à cette table, devenons semblables à cette nourriture et faisons de même, non pour notre utilité, mais pour l'honneur de Dieu et pour le salut du prochain. C'est pour cela que vous êtes envoyé. Du courage donc, car le feu nous rendra la voix et détruira votre enrouement [942]. Si je le pouvais, je vous verrais bien volontiers; demandez à Jésus qu'il me fasse venir.

3. Dites à messire Béranger qu'il se fortifie dans le Christ Jésus, et qu'il pense à la brièveté du temps et au prix qui a été payé pour lui. J'irai le voir si je puis. Dites à frère Simon que je prendrai les liens de la charité, et que je l'attacherai à son sein comme une mère à son fils. Je suis consolée de ce prêtre, parce qu'il me semble avoir bonne volonté; menez-le aux Frères Olivétains, et faites-le recevoir le plus tôt que vous le pourrez. Soyez, soyez plein de zèle. Soeur Jeanne vous encourage et vous bénit. N'oubliez pas Jeanne, toute perdue et tout enivrée dans le feu du merveilleux Agneau. Lisa, Mme Alessia et Cecca se recommandent à vous mille fois. Loué soit Jésus, Jésus, Jésus.








Lettre n. 158, A FRERE BARTHELEMI DOMINICI

CLVIII (112).- A FRERE BARTHELEMI DOMINICI, de de l'Ordre des Frères Prêcheurs, à Asciano. - De la parfaite lumière, et de l'ardeur du Saint-Esprit.



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher et très aimé Frère et Fils dans e Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et je vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de voir s'accomplir an vous cette parole que notre Sauveur disait à ses disciples: "Vous êtes la [943] lumière du monde et le sel de la terre. Aussi mon âme désire d'un grand désir, vous voir le fils illuminé de la lumière et de l'ardeur, de l'Esprit-Saint, préparé avec le sel de la vraie connaissance et de la vraie sagesse, afin que vous chassiez avec un zèle parfait le péché et le démon des âmes ténébreuses des créatures. Mais je ne crois pas que vous puissiez le faire et accomplir mon désir, si, par un amour ardent et persévérant, vous ne vous approchez pas continuellement, et vous ne vous unissez pas sans négligence à la vraie lumière, à la sagesse, au feu, à l'ardeur de la divine charité, qui nous a été manifestée par l'union que Dieu a faite avec l'homme.

2. Je vous le dis, mon Fils bien-aimé, toute âme qui contemplera ce Dieu fait homme qui court à l'opprobre de la sainte Croix et qui verse l'abondance de son sang, ne pourra résister, et se remplira de l'amour véritable; il aimera la nourriture que Dieu aime; il aimera les âmes et s'en nourrira. Cette nourriture est si douce, si agréable, qu'elle engraisse l'âme, qui ne peut jamais s'en rassasier. Je vous dis que vos faibles dents se fortifieront là, et vous pourrez manger les gros et les petits morceaux. Appliquez-vous donc à faire généreusement toute chose, à chasser les ténèbres et à répandre la lumière, sans vous arrêter à notre faiblesse; mais pensez qu'en Jésus crucifié vous pouvez toute chose. Je serai toujours près de vous, et je ne m'en éloignerai jamais, au moyen de cette vue invisible que donne le Saint-Esprit; car je vois bien maintenant que je ne pourrai venir, si Dieu n'en dispose autrement.

3. Je serais venue bien volontiers ai Dieu l'avait [944] permis, soit pour son honneur, soit pour votre satisfaction ou la mienne, qui ait été bien grande; mais le temps est tout à fait à la pluie, et mon corps est bien accablé depuis plus de dix jours, tellement que je puis à peine aller à l'église le dimanche. Frère Thomas a eu compassion de moi, et a pensé que je ne devais pas me mettre en route, parce que je n'étais pas en état. Je ferai donc invisiblement tout ce que je pourrai, et soyez bien persuadé que, si Dieu m'avait ordonné de venir, je ne lui aurais pas résisté, et je l'aurais fait. Priez donc Dieu de faire ce qui l'honorera davantage. Tâchez que ceux dont vous me parlez se réconcilient avant votre retour; bénissez et encouragez toutes ces brebis affamées et altérées dans le Christ Jésus, messire Bérenger et l'autre famille; dites-leur à tous qu'ils fuient avec empressement les ténèbres, les embarras du monde et les iniquités du pêché mortel qui ôte la vie, mais qu'ils acquièrent la grâce et la lumière de l'Esprit-Saint. Bénissez frère Simon, mon Fils dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Dites à Néri qu'il s'applique à suivre les traces de Jésus crucifié. Alessia, Lisa et Gecca se recommandent à vous. Doux Jésus, Jésus amour [945].








Lettre n. 159, AU MEME FRERE BATHELEMI,

CLIX (113). - AU MEME FRERE BATHELEMI, quand il était à Asciano. - Du mépris de soi-même et de l'humilité de Jésus-Christ.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très cher et bien-aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un zèle ardent et une humilité profonde pour recevoir notre Roi, qui vient à nous dans son humilité et sa douceur assis sur une ânesse ( Zac 9,9). O ineffable et bien-aimée Charité! vous confondez aujourd'hui l'orgueil humain en nous montrant le Roi des rois qui s'humilie sur cette pauvre bête, et qui est traité si simplement. Que ceux-là rougissent qui cherchent les honneurs et la gloire du monde! Allons, mon Fils bien-aimé, excitez le feu du saint désir, et détruisez toute froideur; montez sur l'ânesse de notre humanité, pour qu'elle n'aille jamais que conduite par la raison, et qu'elle ne recherche que l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Je veux que vous le fassiez avec un grand zèle, en ressentant l'ardeur de notre Roi. De cette manière, nous triompherons de notre sensualité et de notre froideur avec un coeur généreux, et vous goûterez la véritable et tendre nourriture que le Fils de Dieu a mangée sur la table de la sainte Croix [946].

2. Vous le ferez, vous et Néri; et faites-le avec tout le zèle que vous pourrez, rendant gloire à Dieu, et travaillant avec foi pour le prochain; le Saint-Esprit accomplira ce qui vous paraissait impossible. Quant à vous assister, je le fais invisiblement par une prière continuelle pour vous et pour tout le peuple; et je le ferai visiblement, lorsqu'il me sera possible de le faire, et que Dieu le voudra. Pour le voyage de Sainte-Agnès, je ne vois pas le moyen d'y aller maintenant pour la fête, parce que je n'ai pas préparé ce que je voulais, si Dieu l'avait permis. Si vous voyez que l'honneur de Dieu le demande, ne craignez pas de rester un peu davantage. Faites ce qui est nécessaire avec joie, et soyez toujours plein d'ardeur. Dites au frère Simon, mon Fils dans le Christ Jésus, que le fils ne craint jamais d'aller trouver sa mère, et qu'il court surtout quand il se voit frappé. Et la mère le reçoit dans ses bras, le porte sur son sein, et le nourrit; et moi, quoique je sois une mauvaise mère, je le porterai toujours sur le sein de la Charité. Oui, du zèle, pas de négligence, et mon âme sera dans la joie devant Dieu. Je n'ai pas eu le temps de lui écrire; bénissez-le mille fois de la part du Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Alessia, Cecca et moi nous nous recommandons bien à vous. Doux Jésus, Jésus amour [947].








Lettre n. 160, A FRERE BARTHELEMI DOMINICI

CLX (114). - A FRERE BARTHELEMI DOMINICI, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, quand il était bachelier à Pise.- Il faut s'unir à Dieu, et se transformer en lui par un véritable amour.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher et très aimé Frère, et mon Père par respect pour le très saint Sacrement, Alessia, Catherine, et Catherine l'inutile servante de Jésus-Christ, se recommandent à vous, avec le désir de vous voir uni et transformé dans l'unique désir de Dieu. O feu très ardent qui brûlez toujours! vous êtes véritablement un feu. Il me semble que la Vérité a dit: " Je suis le feu, et vous êtes les étincelles. " Il est dit que le feu veut retourner à son principe, et qu'il s'élève toujours en haut. Ineffable amour de la charité, qu'il est vrai de dire que nous sommes tes étincelles! et nous ne devons pas en être orgueilleux, car comme l'étincelle reçoit l'être du feu, nous recevons l'être de notre premier Principe qui nous dit: Je suis le feu, et toi l'étincelle; que ton âme ne s'élève pas avec orgueil, qu'elle fasse comme l'étincelle, qui monte d'abord, et descend ensuite. Le premier mouvement de notre saint désir doit être vers la connaissance de Dieu et son honneur; mais quand nous sommes montés, il faut descendre pour connaître notre misère et notre négligence. O vous qui êtes endormis, réveillez-vous, et nous deviendrons humbles dans l'abîme de sa charité [948].

2. 0 Charité, tendre mère! Il n'y a pas d'âme assez dure, assez engourdie, pour ne pas se réveiller, se fondre à l'ardeur de tant d'amour. Dilatez, élargissez votre âme pour recevoir le prochain par amour et par désir; mais je ne vois pas que nous puissions avoir ce désir, si notre regard ne se tourne comme celui de l'aigle vers l'Arbre de vie. O Jésus, très doux amour! vous avez dit: Veux-tu brûler pour mon honneur et pour le salut des créatures, veux-tu être fort pour supporter toutes les tribulations avec patience? Regarde-moi, moi l'Agneau immolé sur la Croix pour toi; comme le sang m'a couvert de la tête aux pieds, et on ne m'a pas entendu proférer une seule plainte. Je ne me suis pas arrêté à ton ignorance et à ton ingratitude; la faim que j'avais de toi m'avait rendu comme insensé, et je n'en ai pas moins opéré ton salut.

3. 0 mes très chers et très aimés Frères, sortons, sortons de tant de négligence, et courons avec zèle en mourant à nous-mêmes, et que l'ingratitude des créatures ne nous arrête pas. Semez, semez la parole de Dieu, et faites valoir les talents qui vous sont confiés. Dieu ne vous a pas confié qu'un seul talent; il vous en a confié dix à vous et au prochain; ce sont les dix commandements qui sont la vie de votre âme. Appliquez-vous à les faire valoir; n'oubliez pas d'habiter saintement la cellule de votre âme et de votre corps. Dites-le à frère Thomas et à nos autres frères. Je vous conjure d'être pleins de zèle; le temps est court et le chemin est long. Je ne suis qu'une pauvre misérable, et mes péchés se sont tellement multipliés, que depuis votre départ, je n'ai pas été [949] digne de recevoir l'auguste et doux Sacrement. Je vous le dis pour que vous m'aidiez à gémir; demandez que je sois secourue, afin que je reçoive la plénitude de la grâce. Pardonnez, mon Père, à mon ignorance, et recommandez-moi en célébrant la sainte messe; je recevrai de vous spirituellement le doux corps du Fils de Dieu.

4. Moi, soeur Alessia (Soeur Alessia avait servi de secrétaire à sainte Catherine; elle termine la lettre en son nom.),je vous conjure de demander au doux Agneau qu'il me fasse vivre avec vous, et me transforme dans l'amour de Dieu et dans la connaissance de moi-même. Je me recommande à vous mille fois. Je m'étonne que vous ne nous ayez pas donné de vos nouvelles, comme je vous en avais prié; d'après ce que j'ai entendu dire, il y aurait beaucoup de mortalité. Recommandez-moi à frère Thomas. S'il y a de la mortalité, et si c'est l'avis de frère Thomas, vous pourriez venir tous les deux. Je termine. Je vous recommande votre frère Thomas, ainsi que vos autres frères et soeurs ou filles. Je vous prie d'écrire une lettre à dame Gemmina, car vous méritez des reproches de ne lui avoir pas donné signe de vie depuis votre départ. Que loué soit Jésus crucifié! Aimez-vous, aimez-vous les uns les autres [950].








Lettre n. 161, AU FRERE BARTHELEMI DOMINICI

CLXI (115). - AU FRERE BARTHELEMI DOMINICI, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, lorsqu'il était lecteur à Florence. - De l'amour et des bienfaits de Dieu.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher et très aimé Père par respect pour le très doux Sacrement, et mon Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir brûlé, embrasé, consumé dans son ardente chanté, sachant que celui qui est brûlé et consumé par cette charité ne se voit plus lui-même; c'est ce que je veux que vous fassiez. Je vous invite à entrer dans un océan paisible et profond par cette très ardente charité. Voici ce que j'ai trouvé de nouveau, non pas que cet océan soit nouveau, mais ce qui est nouveau, c'est le sentiment de mon âme à cette parole: Dieu est amour. Comme un miroir représente le visage de l'homme, et le soleil sa lumière sur toute la terre, cette parole montre à mon âme que toutes ses oeuvres sont tout amour; car elles viennent uniquement de l'amour, et il le dit lui-même: Je suis Dieu amour.

2. De là naît une lumière qui éclaire le mystère ineffable du Verbe incarné. Car c'est par la force de l'amour qu'il s'est donné avec une humilité si grande qu'elle confond mon orgueil, et qu'elle apprend à ne pas nous arrêter à ses oeuvres, mais seulement à [951] l'amour enflammé du Verbe qui s'est donné à nous. Il nous dit de faire comme celui qui aime quand l'ami lui apporte un présent, il ne regarde pas la main pour ce qu'elle donne, mais il ouvre l'oeil de l'amour, et il regarde le coeur et l'affection; c'est ce que nous devons faire quand l'éternelle et souveraine Bonté visite notre âme; elle la visite par d'immenses bienfaits. Faites aussitôt que la mémoire reçoive ce que l'intelligence comprend dans la divine charité. Que la volonté s'excite par d'impétueux désirs à recevoir et à contempler le coeur consumé du doux Jésus; vous serez délivré de tout chagrin et de toute peine. Ce fut ce qui consola les saints disciples, lorsqu'ils furent obligés do quitter Marie, et do se séparer les uns des autres pour semer la parole de Dieu, et ils le firent avec joie. Courez donc, courez, courez.

3. Quant à l'affaire de Benincasa, je ne puis répondre si je ne suis pas à Sienne. Remerciez messire Nicolas de la charité qu'il a eue pour eux. Alessia, Cecca et moi nous nous recommandons mille fois à vous dans notre misère. Dieu soit toujours dans votre âme! Amen, Jésus, Jésus.

CATHERINE, la servante des serviteurs de Dieu [952].









Lettre n. 162, A FRÈRE BARTHELEMI

CLXII (116)- A FRÈRE BARTHELEMI, de l'ordre des Frères Prêcheurs, à Florence. - Comment l'âme qui aime Dieu triomphe de toute adversité et de toute tentation.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher et très aimé Frère et Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et je vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir anéanti et embrasé dans le feu de l'ardente charité de Dieu, dépouillé de votre mauvais vêtement, et vêtu, couvert du feu de l'Esprit-Saint. Ce vêtement est si fort et si solide, que le coeur qui en est revêtu ne mollit et ne faiblit jamais; et il est capable de supporter les coups et les persécutions du monde, du démon et de la chair, qui ne peuvent. l'atteindre intérieurement, perce que le vêtement de la charité résiste. L'amour, c'est-à-dire l'Esprit-Saint, triomphe de tout; il est la lumière qui chasse les ténèbres, il est la main qui soutient le monde.

2. Je me souviens qu'il y a peu de temps, il me disait: " Je suis Celui qui soutient et gouverne le monde; je suis le médiateur qui unit la nature divine à la nature humaine, je suis la main puissante qui tient l'étendard de la Croix, et qui en a fait un lit où est attaché et cloué l'Homme-Dieu. Et sa force est si grande que si le lien de la charité, le feu de l'Esprit-Saint, ne l'eût pas attaché, les clous eussent [953] été insuffisants pour le retenir. O doux Amour, ineffable Charité! vous êtes le ministre et le serviteur des plus viles créatures. Quel coeur pourra se défendre de se dépouiller du vêtement du vieil homme, du vêtement de l'amour-propre, et ne courra pas à un tel foyer pour revêtir l'homme nouveau! Hélas! les coeurs tièdes, froids et négligents ne le feront pas, et cela vient de la racine mauvaise de l'amour-propre. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir anéanti et revêtu de la force et de la plénitude de l'Esprit-Saint, perce que l'âme qui a détache son affection d'elle-même, et qui la perd dans le désir parfait de Dieu, ne tombe pas dans ce défaut, et en est délivrée.

3. Je vous prie donc, mon cher Fils, puisque l'Esprit l'a dit, de porter généreusement le vêtement puissant qui résiste à tous les coups. O amour! le Verbe s'est donné en nourriture, et le Père est le lit ou l'âme se repose par l'amour. Rien ne nous manque donc; ce vêtement de feu nous préserve du froid, cette nourriture nous empêche de mourir de faim, et ce lit nous défend contre la fatigue. Soyez, soyez passionné pour Dieu; dilatez votre âme et votre conscience en lui. Ne vous contentez pas de prendre le strict nécessaire, puisque nous voyons que sa générosité est si grande. Nous sommes des pèlerins, et le Verbe incarné nous accompagne dans notre pèlerinage; il se donne à nous en nourriture pour nous faire avancer avec courage; et il est de si bonne compagnie à l'âme qui le suit, qu'au moment de la mort, il nous fait trouver notre repos dans la mer pacifique de la divine Essence, où nous recevrons 954 l'éternelle vision de Dieu. Il me semble que c'est ce qu'a voulu dire la douce Vérité sur l'arbre de la très sainte Croix, lorsque le Christ disait: In manus tuas Domine, commendo spiritum meum, Seigneur, je remets mon esprit en vos mains.

4. O doux Jésus! vous étiez dans le Père, et non pas nous; car nous étions des membres corrompus, privés de la grâce par le péché; et vous parliez pour nous, parce que dans votre union intime avec l'homme, qui était devenu une même chose avec vous, vous regardiez comme à vous ce qui était à nous, ô Feu d'amour! Je ne veux pas en dire davantage; car je ne cesserais pas jusqu'à la mort, tant que je ne verrais pas votre coeur se briser. J'ai reçu votre lettre, et j'ai compris ce que vous me disiez du doute que vous avez, et bientôt Dieu nous fera la grâce d'en causer ensemble. Je suis persuadée que la divine Providence ne vous fera pas rester sans fruit; vous obtiendrez ce fruit abondamment à votre insu, et par une humilité profonde. Je veux que vous le fassiez, et je vous le demande avec tendresse comme à un fils; et moi, votre pauvre et misérable mère, je vous offrirai et je vous présenterai au Père, le Dieu éternel. Si jamais j'ai été affamée de votre âme, c'est bien surtout aujourd'hui. Vous avez pu vous en apercevoir à Pâques, et c'est tous les jours Pâques maintenant; vous ne pouvez être sans moi, car je suis continuellement près de vous pour le saint désir.

5. Quant au voyage de Rome, je crois que Dieu vous fera la grâce d'y aller, car je vois la volonté de frère Thomas incliner de ce côté. Notre Christ sur [955] terre vient prochainement, comme je l'ai appris; c'est pourquoi je vous prie et je vous conjure de venir le plus tôt possible. Vous m'avez fait savoir que messire Nicolas était mort, ainsi que Mme Lippa; et j'en ai eu grande joie, parce que tout s'est fait par la Providence de Dieu. Sachez si Mme Lippa laisse quelque chose par testament, et si vous pouvez obtenir quelque secours pour sainte-Agnès; travaillez-y, car il y a de grands besoins. J'ai écrit à Monabilia et à Madeleine; l'Evêque ne m'a pas répondu. Je vous prie d'aller le trouver; forcez-le à faire ce que je lui demande, et qu'il vous donne tout ce qu'il peut vous donner; prenez, car il y a de pressantes nécessités. Parlez également à Nicolas Soderini le plus tôt que vous le pourrez, et faites en sorte qu'ils donnent. Dites à Élisabeth, à Christophana et à toutes les autres, qu'elles prennent mille fois courage dans le Christ Jésus, qu'elles courent généreusement à la suite du doux Époux, le Christ Jésus. Priez-les de me pardonner d'avoir oublié la manne que je leur avais promise. Dites à Nicolino Strozzi qu'il avance de vertu en vertu, car celui qui n'avance pas recule; encouragez-le beaucoup de ma part. Vous savez que le jour où Dieu a épousé le genre humain avec sa chair, nous avons été de nouveau lavés dans le Sang et unis à sa chair. Anéantissez-vous, consumez-vous dans le feu du saint désir. Demeurez dans la sainte dilection de Dieu. Alessia, Catherine et moi, la pauvre Cecca, nous nous recommandons bien à vous. Jésus, Jésus! Catherine, la servante inutile des serviteurs de Dieu, frère Raymond et frère Thomas se recommandent à vous [957].








Lettre n. 163, FRERE BATHELEMI DOMINICI

CLXIII (117).- FRERE BATHELEMI DOMINICI, et à FRERE THOMAS D'ANTONIO, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, quand ils étalent à Pise.- Il faut s'anéantir dans le sang de Jésus-Christ pour faire de grandes choses en l'honneur de Dieu.

(Frère Thomas d'Antonio est le même frère Thomas Caffarini dont nous avons parlé. Lettre CXLVIII page 387.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mes très chers et très aimés Pères, par respect pour le très doux Sacrement, et mes bien aimés Frères dans le très précieux et très généreux Sang, votre très cher Père et vos Frères vous envolent mille saluts, vous encouragent et vous bénissent dans cette ardente Charité qui a tenu attaché et cloué le Christ sur la Croix. O Feu, abîme de charité! vous êtes un feu qui toujours brûle et ne se consume jamais; vous êtes plein de joie, de douceur, de félicité. Pour le coeur blessé de cette flèche, toute amertume paraît douce, tout fardeau devient léger. O doux Amour! qui nourrit et engraisse notre âme! Nous disions qu'il brûlait sans consumer; mals il faut dire qu'il brûle, consume, détruit tous les défauts, toute l'ignorance, toutes les négligences qui sont dans l'âme; car la charité n'est point oisive, mais elle opère de grandes choses. Pour moi, Catherine, la servante inutile, je me meurs de désirs, en considérant le fond de mon âme, dans les gémissements [957] et la douleur, perce que je vois et je sens notre ignorance, notre négligence, notre refus d'aimer Dieu, lorsqu'il nous accorde tant de grâces avec tant d'amour.

2. Ainsi donc, très chers Frères, ne soyez pas ingrats et oublieux; car la source de la piété pourrait bien se tarir en vous. O négligents! négligents! sortez de ce coupable sommeil! Allons, et recevons notre Roi, qui vient à nous avec humilité et douceur, à nous, orgueilleux! Voici le maître de l'humilité qui vient assis sur une ânesse. Notre Sauveur a voulu nous apprendre une des raisons qui l'ont fait venir ainsi c'était pour nous faire comprendre que, comme il a pris notre humanité à cause du péché, il faut prendre l'ânesse de notre humanité, la monter et nous en rendre maître, à son exemple. Et il n'y a vraiment entre nous et la bête aucune différence, puisque par le péché la raison devient animal. O Vérité ancienne! qui nous avez enseigné le moyen! Je veux, a-t-elle dit, que tu montes cette ânesse et que tu te possèdes toi-même dans l'humilité et la douceur. Mais comment monterons-nous, très doux Amour? Avec la haine de la négligence et l'amour de la vertu.

3. N'en disons pas davantage, car nous aurions trop de choses à dire, et je ne le peux pas; mais faisons cela, mes Fils et mes Frères; le canal est ouvert et se répand. Nous avons besoin d'approvisionner la barque de notre âme; allons puiser à ce doux canal, c'est-à-dire au coeur, à l'âme, au corps de Jésus-Christ. Il répand ses largesses avec tant d'amour, que nous pourrons remplir abondamment [958] nos âmes. Je vous le dis, hâtez-vous de regarder à la fenêtre, car la souveraine Bonté a préparé les moyens et les circonstances pour faire de grandes choses. Aussi, je vous ai dit d'être pleins de zèle pour augmenter en vous le saint désir; et ne vous contentez pas de petites choses, car Dieu en veut de grandes. Je vous annonce que le Pape envoie ici un de ses vicaires c'est le père spirituel de cette comtesse qui est morte à Rome, et il a refusé d'être évêque par vertu (Il s'agit du saint ermite espagnol Alphonse de Vadadatera, qui fut confesseur de sainte Brigitte. Sainte Brigitte mourut à Rome le 23 juillet 1373. (Voir Gigli, t. I, page 692.). il est venu me trouver de la part du Saint-Père, en me disant que je devais prier particulièrement pour lui et la sainte Eglise, et, pour signe de sa mission, il m'a apporté la sainte indulgence plénière. Réjouissez-vous donc et soyez dans l'allégresse, parce que le Saint-Père a commencé à tourner ses regards vers l'honneur de Dieu et la sainte Église. Lorsque vous verrez le jeune homme qui vous remettra cette lettre, ajoutez foi à tout ce qu'il vous dira. Il a un grand désir d'aller au Saint Sépulcre, et il va maintenant trouver le Saint-Père pour lui et pour quelques personnes religieuses et séculières.

4. J'ai écrit une lettre au Saint-Père (Cette lettre écrite à Grégoire XI a été perdue.), et je le conjure, par l'amour du très doux Sang. de nous permettre de livrer nos corps à toutes sortes de tourments. Priez l'éternelle et souveraine Vérité que, si le bien le demande, sa miséricorde nous fasse cette grâce, à nous et à vous, afin que nous puissions [959] donner notre vie pour lui en bonne compagnie. Je suis persuadée que, si c'est le meilleur, Dieu nous l'accordera. Je ne vous en dis pas davantage. Alessia se recommande à vous mille fois, avec le désir de vous retrouver et de vous voir embrasés d'une ardente charité; elle s'étonne beaucoup de ce que vous ne lui avez pas encore écrit. Que Dieu nous conduise dans le lieu où nous nous verrons face à face avec notre Dieu.

5. Alessia la négligente voudrait bien s'envelopper dans cette lettre pour pouvoir vous visiter. Mme Giovanna vous envoie mille bénédictions, et vous prie de vous souvenir d'elle en présence de Dieu. Jésus, Jésus, Jésus, Moi, Catherine, la servante inutile de Jésus-Christ, je vous encourage et je vous bénis mille fois. - CATHERINE. - Marthe vous supplie de prier Dieu pour elle. Recommandez-nous à frère Thomas, à votre prieur et à tous les autres. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 164, A FRERE THOMAS D'ANTONIO

CLXIV (118).- A FRERE THOMAS D'ANTONIO, de Sienne, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. - Des conditions d'une bonne prière.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir mourir de cette mort qui [960] donne la vie et la grâce à l'âme, c'est-à-dire de la peine que causent l'offense de Dieu et la perte des âmes. Je veux que cette douce peine augmente continuellement en vous; elle vient de la douleur de la charité divine. Loin d'affecter l'âme, elle l'engraisse, perce que la compassion la fait tenir continuellement en la présence de Dieu, par une humble et fidèle prière, pour lui demander le salut du monde entier, pour le supplier d'éclairer l'aveuglement de ceux qui sont ensevelis dans la mort du péché mortel, et de rendre parfaits ses serviteurs. Cette prière est humble, perce qu'elle vient de la connaissance que l'homme a de lui-même; il voit qu'il n'aurait pas l'être si Dieu ne l'avait pas fait et créé. Elle est continuelle, parce qu'elle vient de la connaissance de la bonté de Dieu à son égard; il voit que Dieu agit continuellement en lui, en le comblant de grâces et de bienfaits. Elle est fidèle, parce qu'il espère en vérité; il croit avec une foi vive et ferme que Dieu sait, peut et veut exaucer nos justes demandes, et nous donner les choses nécessaires à notre salut. C'est cette prière qui vole et arrive jusqu'à l'oreille de Dieu, et qui est toujours écoutée; mais je ne vois pas qu'elle puisse être faite par un coeur froid. Aussi, je vous disais que je désire vous voir mourir de ce violent désir que l'âme a pour Dieu. Oui, mon très cher Fils, souffrons de tous les besoins que nous voyons dans la sainte Eglise. Que votre désir gémisse sur ces morts, et ne cessons pas jusqu'à ce que Dieu jette sur eux un regard de miséricorde.

2. Le Saint-Père Urbain VI m'a accordé une indulgence [961] plénière pour vous et pour plusieurs autres, à la condition que, dans les confessions et les prédications, vous engagerez le peuple à faire tout son possible pour que la Commune rende ce qui est dû au Saint-Père, et l'aide dans une si grande nécessité. Vous y êtes obligé, vous et tous les autres frères auxquels l'indulgence est accordée. Annoncez donc courageusement la vérité. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 165, A FRÈRE NICOLAS DE MONTALCINO

CLXV (119). - A FRÈRE NICOLAS DE MONTALCINO, de l'Ordre des Frères Prêcheurs. - Les traces de Jésus-Christ sont les épreuves supportées pour son amour. - La croix sert d'échelle pour arriver à la charité parfaite.

(Frère Nicolas de Montalcino fut un religieux d'une grande vertu. Il mourut en 1398, et on lui donna dans son ordre le titre de bienheureux.)



AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ ET DE LA DOUCE MARIE




1. Mon très cher et très aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir assis à la table de la très sainte Croix, où se trouve l'Agneau sans tache qui s'est fait la nourriture, la table et le serviteur. En voyant que l'âme ne peut se réjouir et se rassasier d'une autre nourriture, je dis qu'il faut [962] aller par la voie qu'il a montrée lui-même. Et quelle a été cette voie? Ce fut ce dont il s'est nourri, les peines les opprobres, les affronts, les outrages jusqu'à la mort honteuse de la Croix. Nous devons y monter pour nous unir à notre objet. C'est ce que fait l'âme lorsqu'elle a vu la voie tracée par son Maître. Oh! qui pourra comprendre cet amour si parfait qui lui a fait faire de lui-même, c'est-à-dire de son corps, une échelle pour nous retirer des peines et nous procurer le repos?

2. O mon Fils bien-aimé! qui ne sait que les commencements de la route sont fatigants? Mais quand on est arrivé aux pieds de l'affection, de la haine et de l'amour, toute chose amère devient douce; car le premier échelon du corps de Jésus-Christ sont les pieds. C'est ce qu'il a enseigné une fois à une des servantes (). " Ma fille, disait-il, élève-toi au-dessus de toi-même, et monte en moi. Pour que tu puisses monter, je t'ai fait une échelle, lorsque j'ai été cloué sur la Croix oui, monte d'abord aux pieds, c'est-à-dire à l'affection et au désir: car, comme les pieds portent le corps, l'affection porte l'âme. A ce premier degré tu te connaîtras toi-même. Tu arriveras ensuite à l'ouverture de mon côté, et par cette ouverture je te montrerai mon secret; tu verras que ce que j'ai fait, je l'ai fait par amour. Votre âme s'y enivrera, vous goûterez dans la paix l'Homme-Dieu, et vous trouverez l'ardeur de la divine charité. Vous connaîtrez l'infinie bonté de Dieu, et quand nous nous connaîtrons nous-mêmes, quand nous connaîtrons [963] sa bonté, nous arriverons à la paix de la bouche. L'âme goûte alors une telle paix, un tel repos; elle est élevée si haut, qu'aucun malheur qui arrive ne peut l'atteindre. Jésus est le doux lit ou l'âme se repose, C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir assis a la table de la très sainte Croix.

3. Courage, mon Fils; ne soyons plus négligents, car le temps des fleurs est venu. Ayez un grand soin de vos brebis, et ne vous éloignez pas. a moins que l'obéissance ne vous y oblige. Dites à ces dames qu'elles se reposent sur la Croix avec leur Epoux, Jésus crucifié. Dites a frère Jean de s'abandonner et de s'étendre sur la Croix pour le Christ. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.







Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 156, A FRÈRE BARTHELEMI DOMINICI