Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 165, A FRÈRE NICOLAS DE MONTALCINO

Lettre n. 166, A FRERE RAINIER DANS LE CHRIST

CLXVI (120). - A FRERE RAINIER DANS LE CHRIST, au couvent de Sainte-Catherine des Frères Prêcheurs, à Pise.- De la force et de la persévérance dans les épreuves et les tentations. Il faut s'appuyer sur la Croix et sur l'espérance du ciel.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mon révérend Père dans le Christ Jésus, par respect pour le très doux Sacrement, mol, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un vrai chevalier combattant contre tous les vices et les tentations pour Jésus crucifié, avec une sainte et véritable persévérance; car c'est la persévérance qui est couronnée. Vous savez bien que [964] c'est en persévérant et en combattant qu'on obtient la victoire. Nous sommes placés on cette vie comme un champ de bataille, et nous devons combattre courageusement, sans fuir et tourner la tête en arrière; mais il faut regarder notre capitaine, Jésus qui persévère toujours, et n'est arrêté ni par les Juifs, qui disent: Descends de la Croix; ni par le démon, ni par notre ingratitude; il persévère cesse pas d'accomplir les ordres de son Père et salut, jusqu'au moment où il retourne a son Père avec la victoire, puisqu'il a tiré le genre humain des ténèbres et lui a rendu la lumière de la grâce en vainquant le démon et le monde avec ses délices, sans rester dans la mort.

2. Cet Agneau a souffert la mort pour nous rendre la vie; par sa mort il a détruit notre mort. Le sang et la persévérance de ce capitaine doivent nous encourager à bien combattre, à supporter les peines, les coups, les injures et les affronts pour son amour, à acquérir la pauvreté volontaire, l'humilité de coeur, l'obéissance complète et parfaite. Celui qui le fera, quand sera dissipé le nuage de son corps, ira avec la victoire dans la cité de la vie éternelle; il aura vaincu le démon, le monde, la chair, qui toujours nous tourmente et combat contre l'esprit: il faut la dompter, la macérer par le jeune, les veilles et la prière; il faut chasser les mauvaises pensées qui se présentent au moyen de bonnes et saintes images, nous représentant continuellement combien est ardent le feu de la charité divine, qui a tout fait pour nous par grâce, et non par devoir. Le Père nous a donné le Verbe, son Fils unique, et le Fils a [965] donné sa vie par amour; il s'est immolé, et son corps déchiré a versé son sang de toute part, et ce sang a lavé les souillures de nos iniquités.

3. Quand l'âme contemple tant d'amour, elle se consume d'amour, et il lui semble qu'elle ne peut pas trop faire en livrant son corps à toutes sortes de peines et de tourments; elle ne croit jamais assez reconnaître tant d'amour et de bienfaits qu'elle a reçus de son Créateur notre Dieu, si bon, nous a aimés sans être aimé. C'est en y pensant que vous chasserez les pensées du démon. Vous pourrez me dire: Vous voulez que je sois un généreux chevalier, et je suis, sur le champ de bataille, attaqué par une foule d'ennemis. Il me faut des armes; dites-moi celles que je dois prendre. Je vous réponds que je ne veux pas que vous soyez sans armes, mais je veux que vous ayez les armes de saint Paul, qui fut un homme comme vous (1Th 5,8): la cuirasse de la vraie et profonde humilité, le plastron de son ardente charité; et, de même que la cuirasse est unie au plastron, et le plastron à la cuirasse, l'humilité garde et nourrit la charité, et la charité nourrit l'humilité ce sont les armes que je vous donne; elles résistent à tous les coups que peuvent frapper le démon, le monde et la chair. Leurs flèches ont beau être empoisonnées, elles ne blessent jamais; car l'âme qui aime Jésus crucifié n'est pas blessée par les flèches du péché mortel, sans le consentement de sa volonté; et sa force est si grande, que ni le démon ni les créatures ne peuvent lui faire violence qu'autant qu'elle le veut bien [966].

4. Il vous faut aussi prendre en main l'épée pour vous défendre de vos ennemis. Cette épée a deux tranchants dont le premier est la haine de vous-même et le regret du temps souvent perdu par notre peu de zèle pour la vertu, par nos misères, nos iniquités, nos offenses envers le Sauveur. Nous devons haïr ces offenses et nous-mêmes, qui les avons commises; et celui qui ressent cette haine veut se venger de sa vie passée et souffrir toutes sortes de peines pour l'amour du Christ et pour l'expiation de ses péchés, punissant l'orgueil par l'humilité, la cupidité et l'avarice par la générosité et la charité, les écarts de la volonté propre par l'obéissance. Ce sont là les saintes vengeances que nous devons exercer quand nous prenons l'épée de la haine et de l'amour. Aussi je suis heureuse, et je me réjouis des bonnes nouvelles que j'ai apprises de vous; car il me semble que vous vous êtes vengé de votre liberté en vous soumettant au joug de la sainte obéissance. Vous ne pourrez mieux faire que de renoncer au monde, à ses plaisirs, à ses délices et à votre propre volonté.

5. Je vous conjure, pour l'amour de Jésus crucifié, de combattre généreusement et avec une sainte persévérance sur ce champ de bataille; ne détournez jamais la tête pour éviter les coups de ]'épreuve et de la tentation; mais tenez ferme avec vos armes; résistez avec elles, et parez tous les coups. Avec l'épée à deux tranchants de la haine et de l'amour vous vous défendrez de vos ennemis. Je veux que l'arbre de la Croix soit planté dans votre coeur et dans votre âme; devenez semblable à Jésus crucifié; cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié; baignez-vous [967] dans le sang de Jésus crucifié, enivrez-vous et revêtez-vous de Jésus crucifié; rassasiez-vous d'opprobres, de honte et d'affronts, en souffrant pour l'amour de Jésus crucifié; fixez votre coeur et votre affection sur la Croix de Jésus-Christ, parce que la Croix est devenue la barque et le port qui vous conduira au port du salut. Les clous sont devenus des clefs pour ouvrir le royaume du ciel. Courage donc, mon Père, mon très cher Frère; ne dormez plus dans le lit de la négligence, mais comme un chevalier généreux et sans crainte, combattez tout adversaire. Dieu vous donnera la plénitude de la grâce; et quand votre vie sera passée, après la fatigue vous arriverez au repos, à la vue de la beauté suprême, éternelle, à la vision de Dieu, où l'âme se repose, délivrée de toute peine, de tout mal, Où elle reçoit le bien véritable, un rassasiement sans dégoût, et une faim sans douleur. Terminez votre vie sur la Croix. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.








Lettre n. 167, AU FRERES LAZZARINI

CLXVII (121).- AU FRERES LAZZARINI, de Pise, de l'Ordre des Frères Mineurs.- Jésus crucifié nous enseigne l'amour envers Dieu, et la haine envers nous-mêmes.

(Frère Lazzarini de Pise, religieux conventuel de Saint François, professait la philosophie à Sienne, Il fut attiré à une vie plus parfaite par sainte Catherine, comme le raconte le P. Barthélemi de Dominici dans sa déposition du procès de Venise. Sainte Catherine adressa un grand nombre de lettres aux religieux de Saint-François. Il n'est resté que celle-ci et la suivante.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher et très aimé Père, Frère et Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, sa servante inutile [968], je vous écris en me rappelant cette douce parole du Christ: «J'ai désiré avec désir faire cette pâque avec vous avant de mourir (Lc 22, 15). Ce saint désir, je le tiens de la grâce divine; car moi je ne suis pas, Dieu seul est Celui qui est; et c'est parce que Dieu a blessé mon âme que j'ose dire ce qu'a dit le Christ: J'ai désiré avec désir que nous fassions la pâque avant de mourir. Ce sera notre douce et sainte pâque dont parle David dans les Psaumes: «Goûtez et voyez.» Il ne semble pas que nous puissions voir Dieu si nous ne le goûtons pas d'abord par cette sainte pâque, si nous ne le goûtons pas par l'amour de son ineffable charité, connaissant et goûtant la bonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre bien, comme le dit l'ardent saint Paul. Dieu est notre sanctification, notre justice, notre repos, et la volonté de Dieu ne veut que notre sanctification. O ineffable dilection et charité! vous avez montré ce désir enflammé en courant, comme un homme ivre et aveugle, à l'opprobre de la Croix. L'aveugle ne voit pas, l'homme ivre non plus, lorsque son ivresse est complète. Ainsi Notre-Seigneur s'est perdu lui-même, parce qu'il était aveugle, enivré de notre salut, sans se laisser arrêter par notre ignorance, notre ingratitude, et l'amour-propre que nous avons pour nous-mêmes. O Jésus, très doux Amour! vous vous êtes [969] laissé aveugler par l'amour, qui ne vous a pas laissé apercevoir nos iniquités, et vous en avez perdu le sentiment. O doux Maître! il semble que vous avez voulu les voir et les punir par votre corps très aimable, en vous livrant au supplice de la Croix, et en restant sur la Croix tout transporté d'amour, pour nous montrer que ce n'est pas pour votre utilité, mais pour notre sanctification, que vous nous aimez.

2. Il est là comme notre règle, notre voie, comme un livre écrit où toute personne ignorante et aveugle peut lire. La première ligne de ce livre est la haine et l'amour: l'amour de l'honneur du Père, et la haine du péché. Ainsi donc, mon très cher et très aimé Frère et Père, par respect pour l'auguste Sacrement, suivons ce livre qui nous montre si doucement le chemin, et, s'il arrive que nous rencontrions dans ce chemin nos trois ennemis, le monde, la chair et le démon, prenons les armes de la haine, comme l'a fait notre Père saint François pour que le mondé ne lui enflât pas le coeur, il choisit la sainte et parfaite pauvreté. Je veux que nous agissions de même. Si le démon de la chair veut se révolter contre l'esprit, il faut le mépriser; il faut affliger et macérer notre corps, comme l'a fait aussi notre Père, qui a toujours couru dans cette route avec zèle et sans négligence. Et si le démon se présente avec ses illusions, ses fantômes, avec la crainte servile, s'il veut envahir notre esprit et notre âme, ne craignons pas, parce que toutes ces choses sont devenues impuissantes par la vertu de la Croix. O très doux amour! puisqu'ils ne peuvent rien qu'autant que Dieu le [970] permet, et puisque Dieu ne veut que notre bien, il ne nous donnera jamais de fardeau au-dessus de nos forces.

3. Courage, courage; ne fuyez pas la peine, et conservez toujours une sainte volonté, qui ne se repose eu autre chose qu'en ce que Dieu aime, et non pas en ce que Dieu hait, Notre volonté, ainsi armée de haine et d'amour, recevra tant de force, que, comme le dit saint Paul, ni le monde, ni le démon, ni la chair, ne pourront nous donner la mort. Souffrons, souffrons, très cher Frère, parce que, plus nous souffrirons ici-bas avec Jésus crucifié, plus nous recevrons de gloire; et aucune peine ne sera plus récompensée que la peine de l'esprit du coeur, car ce sont les plus grandes peines, et celles qui produisent davantage. C'est ainsi qu'il faut goûter Dieu, afin que nous puissions le voir. Je ne vous dis qu'une chose, c'est d'être uni et transformé dans cette douce volonté de Dieu. Courons, très doux Frère, courons tout enchaînés avec le lien de la charité, à Jésus crucifié, sur le bois de la Croix. Moi, Catherine, la servante inutile de Jésus-Christ, je me recommande à vous, et je vous conjure de prier Dieu pour moi, afin que je marche dans la vérité. Jésus, Jésus, Jésus.






Lettre n. 168, A UN GENOIS DU TIERS ORDRE

CLXVIII (122) .- A UN GENOIS DU TIERS ORDRE de Saint-François, qui avait avec une dame une liaison spirituelle dont il souffrait beaucoup.- De la manière d'aimer les créatures.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mon très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [971] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir combattre généreusement, comme un vrai chevalier, avec la lumière et le bouclier de la sainte Foi, pour repousser tous les coups et pour connaître à cette lumière ce qui fortifie l'ennemi et ce qui l'affaiblit, afin que vous preniez le remède qui l'affaiblit, et que vous fuyiez la cause qui le fortifie. Quelle est la cause qui le fortifie? C'est la volonté propre fondée sur l'amour de soi-même. Cet amour affaiblit la volonté, et la fait tourner comme la feuille au vent. La volonté court où l'amour sensitif l'attache; elle consent volontairement à la jouissance de la chose aimée; et c'est dans la volonté qu'est la faute, et non dans les mouvements que donne l'amour sensitif pour faire aimer les choses qui sont en dehors de la volonté de Dieu et de la raison, si la volonté n'y consent pas. Mais la volonté qui suit l'amour-propre fortifie l'ennemi et s'affaiblit elle-même.

2. Qu'est-ce qui fortifie l'âme et affaiblit l'ennemi? C'est notre volonté revêtue de l'amour de la douce volonté de Dieu. Cette volonté est alors si forte que ni le démon ni les créatures ne peuvent l'affaiblir, si elle ne le veut pas elle-même. Et pourquoi est-elle forte? Parce qu'elle s'est volontairement unie à Dieu, qui est l'éternelle et suprême force; elle est ferme et inébranlable, parce que notre Dieu, en qui elle fait sa demeure, est immuable, et elle n'a de mouvement qu'en lui. Et comment l'âme acquiert-elle cette force? Par la doctrine du doux et tendre Verbe, qu'elle regarde à la lumière de la très sainte Foi. Dans sa doctrine et dans son sang elle connaît que [972] la volonté de Dieu ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. C'est pourquoi elle l'aime, elle s'en revêt, elle anéantit sa volonté dans celle de Dieu. Cette volonté rend l'âme prudente; elle ne s'égare pas dans les ténèbres, mais elle règle sa vie avec sagesse et discrétion, toujours attentive à fuir les choses qui nous ravissent Dieu; et, comme elle voit que l'amour sensitif le lui ravit, elle hait la sensualité, et elle aime la raison; elle fait tout à la lumière de la raison; elle aime son Créateur sans limite et sans mesure. Non seulement elle ne veut pas que les choses créées l'arrêtent, mais elle ne veut pas s'arrêter à elle-même, c'est-à-dire à sa propre volonté perverse; et comme elle renonce à elle-même et à toutes les choses créées, qu'elle n 'aime jamais an dehors de la volonté de Dieu, mais qu'elle aime pour Dieu, son amour est bien réglé.

3. Si elle aime la créature, elle l'aime par amour du Créateur, avec ordre et non sans ordre, avec mesure et non sans mesure. Avec quelle mesure? Avec celle de la charité de Dieu. Elle ne prend pas d'autre mesure, afin de n'être pas trompée, comme le sont beaucoup de personnes imparfaites qui se laissent égarer par le démon avec l'appât de l'amour; elles commencent à se régler sur la charité de Dieu, c'est-à-dire à aimer les créatures pour lui, puis elles abandonnent la vraie mesure pour prendre la mesure de la sensualité; et on voit le pauvre aveugle, séduit par l'apparence de la dévotion, perdre Dieu et la prière sainte dont il avait fait sa mère. Il jette à terre les armes qui lui servaient de défense; il affaiblit sa volonté et fortifie ses ennemis; il tombe [973] dans une ruine complète. Il a conçu la mort, et il n'a plus qu'à l'enfanter; il ne s'en aperçoit pas, et ne fuit pas cette créature comme un poison, mais il cherche et suit le poison, les pensées et les mouvements empoisonnés. Nous ne pouvons empêcher qu'ils se présentent, car la chair est prompte à combattre contre l'esprit, et le démon ne doit jamais ce qui doit nous apprendre à sortir de notre négligence et à être vigilant. Le libre arbitre peut lier la volonté, pour qu'elle ne consente pas et qu'elle ne reçoive pas volontairement le démon dans sa demeure. Elle peut fuir, en ne voulant pas s'exposer encore au mal, mais son aveuglement est si grand qu'elle veut attendre qu'un ange tombe du ciel et se précipite en enfer. O maudite affection! comme tu es sortie de ta mesure! O piège perfide! tu entres doucement comme un habile voleur, tu te fais le familier de la maison, et, lorsque tu as aveuglé l'oeil de l'intelligence, tu te montres; et si on ne te voit pas, on sent bien ta corruption.

4. O très cher et très doux Frère dans le Christ, le doux Jésus! servons-nous de la main de la haine avec la contrition du coeur et le regret de la faute, et avec cette main tirons la paille de notre oeil, afin qu'il soit clair et que nous reconnaissions cet ennemi perfide. Que la volonté fuie pour ne pas consentir aux pensées du coeur, et que le corps s'éloigne du danger et de la présence de la créature. Hélas! hélas! attachons-nous à l'arbre de la Croix, et regardons l'Agneau immolé pour nous, et là, nous retrouverons le feu du saint désir, et, avec ce désir, nous retrouverons notre mère, la prière sainte [974], humble, fidèle et persévérante. Sans ces qualités, son sein serait tari, et elle ne pourrait nourrir les vertus, ses enfants, ni l'âme, de sa douceur. Dès que nous aurons retrouvé cette mère, nous aurons retrouvé la mesure de la charité divine, avec laquelle nous devons mesurer l'amour que nous avons pour la créature raisonnable. Nous serons forts, car nous n'aurons plus aucune faiblesse; nous serons courageux, parce que nous aurons étouffé en nous le plaisir féminin, qui rend le coeur pusillanime; nous serons délivrés des ténèbres et nous marcherons dans la lumière, en suivant la doctrine de Jésus crucifié, entièrement protégés par le bouclier de la très sainte Foi. Nous resterons sur le champ de bataille, ne refusant aucune fatigue, et ne tournant jamais la tête en arrière. Toujours persévérants, sans aucune crainte servile, nous regarderons avec une sainte crainte nos ennemis affaiblis; nous serons forts de la force suprême, et nous verrons dans la persévérance la couronne de gloire qui est préparée, non pas à celui qui commence seulement, mais à celui qui persévère jusqu'à la fin.

5. Notre âme sera vêtue ainsi de force et de persévérance, mais pas autrement. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir un vrai combattant, afin que vous puissiez mieux accomplir la volonté de Dieu et mon désir, et vous tirer des circonstances pénibles où vous êtes. Ayez toujours le sang du Christ devant l'oeil de votre intelligence, pour vous exciter au combat; que dans ce sang glorieux, votre volonté s'anéantisse; qu'elle meure, et que par cette mort elle ne puisse plus céder aux tentations du [975] démon, des créatures et de la chair fragile. Fuyez surtout l'occasion, si la vie de votre âme vous est chère: cela fait, ne craignez pas les combats et les attaques du démon, et ne tombez pas dans le trouble de l'esprit; mais supportez avec patience et avec regret la faute qui vient du consentement volontaire et de son accomplissement. Ne soyez pas négligent, mais plein de zèle; préparez-vous à goûter le parfum des vertus et de la vraie et sainte pauvreté pour l'amour de l'humble et pauvre Agneau, et lorsque vous aurez mis la main à la charrue, ne tournez jamais la tête en arrière pour voir le sillon. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Fuyez dans la cellule de la connaissance de vous-même, où vous trouverez la grandeur de la bonté et de la charité divine, qui vous a sauvé de l'enfer. Doux Jésus, Jésus amour [976].






Lettre n. 169, A MAITRE JEAN

CLXIX (123).- A MAITRE JEAN, le troisième, de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin.- Dieu est le souverain bien, et le péché le souverain mal. - Rien en dehors du péché ne peut être appelé un mal.

(Frère Jean Tantucci de Sienne, est appelé le troisième parce qu'il succéda comme prieur des Ermites de Saint-Augustin de Lecceto, à deux autres religieux qui se nommaient aussi Jean. Après avoir été hostile à sainte Catherine, Il devint son disciple le plus fidèle. Il était un des trois confesseurs qui accompagnaient notre sainte avec des pouvoirs extraordinaires. Il était maître en théologie, et docteur de l'université de Cambridge. Il mourut le 4 octobre 1391, et est honoré du titre de bienheureux.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [976] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et anéanti dans le sang de l'Agneau immolé. Ce sang lave et anéantit, c'est-à-dire qu'il tue la volonté perverse. Je dis qu'il lave la face de la conscience, et qu'il tue le ver qui la ronge, parce que ce sang devient un bain, et parce que ce sang n'est jamais sans le feu, et qu'il est mêlé au feu de la divine charité, car il a été répandu par amour. Ainsi le feu avec le sang lave et consume la rouille de la faute qui est dans la conscience, et cette faute est un ver qui ronge la conscience. Lorsque le ver est mort et la face de l'âme lavée, l'amour-propre déréglé disparaît; mais tant que l'amour-propre est dans l'âme, ce ver ne meurt pas, et la lèpre souille toujours la face de l'âme.

2. Nous devons reconnaître que le sang et le feu de l'amour divin nous ont été donnés; nous avons reçu ce sang et ce feu pour notre rédemption, mais nous n'y participons pas tous. Ce n'est pas la faute du sang, du feu et de la douce Vérité première qui nous les a donnés, mais c'est la faute de celui qui ne vide pas son vase pour pouvoir le remplir avec le Sang. Tant que le vase du coeur est plein de l'amour-propre spirituel ou temporel, il ne peut se remplir de l'amour divin, et participer à la vertu du Sang; il ne lave pas sa face, et ne tue pas le ver qui le ronge (977). Il faut donc trouver le moyen de se vider et de se remplir, pour arriver à cette perfection qui tue la volonté propre; car si la volonté est tuée, le ver le sera aussi.

3. Quel sera ce moyen, très cher Fils? Je vous le dirai. Ce sera d'ouvrir l'oeil de notre intelligence pour connaître le souverain bien et le souverain mal. Le souverain bien est Dieu, qui nous aime d'un amour ineffable; cet amour s'est manifesté par le moyen du Verbe, son Fils unique, et le Fils l'a manifesté par son sang. Dans ce sang, l'homme connaît l'amour que Dieu lui porte; et il connaît son propre mal, car la faute est ce qui conduit aux peines éternelles. C'est le péché qui est le mal véritable; il procède de l'amour-propre, et c'est la seule chose qui soit un mal, c'est ce qui a été cause de la mort du Christ. Aussi je vous dis que dans le Sang, nous connaissons le souverain bien de l'amour que Dieu a, et notre véritable mal, car rien n'est mal que la faute, comme je t'ai dit. Aussi les tribulations et les persécutions du monde ne sont pas des maux, pas plus que les injures, les coups, les affronts, les tentations du démon et celle des hommes, les difficultés et les épreuves que les serviteurs de Dieu se causent entre eux. Dieu les permet pour voir si en nous se trouvent la force, la patience et la persévérance finale; et même elles conduisent l'âme à goûter l'éternel et souverain Bien. Nous le voyons clairement dans le Fils de Dieu, qui, étant Dieu et homme, et ne pouvant vouloir aucun mal, n'a choisi pour toute sa vie que les peines, les injures, les tourments, et enfin la mort honteuse de la Croix; et il l'a voulu souffrir [978], parce qu'elle était un bien, et qu'elle punissait nos fautes, qui sont le véritable mal.

4. Quand l'oeil de l'intelligence a ainsi vu et discerné ce qui est la cause du bien, et ce qui est la cause du mal, ce qui est le bien, ce qui est le mal, l'amour suit l'intelligence, et s'empresse d'aimer son Créateur, parce que l'âme connaît dans le Sang son amour ineffable; et elle aime tout ce qu'elle voit lui plaire et l'unir à lui davantage. Alors elle se réjouit des tribulations nombreuses qui l'éprouvent, et elle se prive elle-même de la consolation par amour de la vertu. Elle ne choisit pas elle-même l'instrument de la tribulation qui éprouve sa vertu, mais elle le reçoit de Celui qui l'envoie, c'est-à-dire de Dieu, qui veut uniquement que nous soyons sanctifiés en lui. L'amour vient ainsi de l'amour, et parce que dans cet amour l'oeil de l'intelligence a vu son mal, c'est-à-dire son péché, elle le déteste, et elle désire se venger de ce qui en a été la cause. La cause du péché est l'amour-propre, qui nourrit la volonté déréglée et révoltée contre la raison, et l'âme ne cesse jamais d'exciter et d'augmenter la haine de l'amour sensuel jusqu'à ce qu'il soit mort. Elle devient tout à coup patiente, et ne se scandalise ni de Dieu ni d'elle-même, ni du prochain; elle a pris les armes pour tuer ce sentiment mauvais qui conduit l'âme à un si grand mal, qui lui ôte la vie de la grâce, lui donne la mort et la réduit au néant, puisqu'elle est privée de Celui qui est. Il faut donc qu'elle s'arme du glaive qui la défend contre ses ennemis, et qui tue sa sensualité. Ce glaive a deux tranchants, la haine et l'amour; la main du libre arbitre, qui sait que [979] Dieu donne par grâce et non par obligation, s'en sert pour couper et pour tuer.

5. C'est ainsi, mon Fils, que nous participons à la vertu du sang et à la chaleur du feu. Le sang lave, et le feu consume la rouille du péché; il tue le ver de la conscience. Il ne tue pas réellement la conscience, qui est la garde de l'âme, mais le ver du péché, qui la ronge intérieurement. Nous ne pourrons par un autre moyen et une autre voie arriver à la paix et au repos, ni goûter le sang de l'Agneau sans tache. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir baigné et noyé dans le sang de Jésus crucifié. Levez-vous donc, sortez du sommeil de la négligence, et détruisez la volonté propre dans ce sang précieux. N'écoutez pas la crainte servile, l'amour-propre, le langage des créatures, les murmures et les scandales du monde; mais persévérez avec un coeur généreux, et prenez garde d'agir comme les insensés. Prenez garde aussi de vous scandaliser à l'avenir des serviteurs de Dieu, et de murmurer de leurs oeuvres, parce que c'est un signe que la volonté n'est pas morte; si elle est morte dans les choses temporelles, elle n'est pas encore morte dans les choses spirituelles. Tâchez donc de la faire mourir à tous ses caprices, et que l'éternelle et douce volonté de Dieu vive en vous; c'est à vous d'en juger comme il est dit dans notre leçon. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu.

6. Vous m'écrivez qu'un fils ne peut se passer du lait de sa mère; si vous le voulez, ne tardez donc pas à venir. Vous dites que vous ne voudriez pas [980] manquer à l'obéissance; venez avec la permission, et vous n'y manquerez pas. Vous voilà nécessaire parce que Nanni a dû partir; si vous pouvez venir, j'en serai très heureuse. Doux Jésus, Jésus amour. Recommandez-nous au Bachelier, à frère Antoine, à messire Matthieu et à tous les autres.






Lettre n. 170, A FRERE GUILLAUME D'ANGLETERRE

CLXX (125). - A FRERE GUILLAUME D'ANGLETERRE, des Ermites de Saint-Augustin.- De la lumière parfaite et de la lumière imparfaite. - La mortification du corps doit être seulement le moyen d'arriver à la mortification de la volonté.

(Frère Guillaume d'Angleterre fut un des plus illustres disciples de sainte Catherine. Ses lumières égalaient sa sainteté, et il avait reçu le don de prophétie. Le Pape Urbain VI l'appela auprès de lui, au milieu des difficultés du schisme naissant. Il mourut la même année que sainte Catherine, en 1380.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairé de la vraie lumière. Car sans la lumière nous ne pourrons marcher dans la vole de la vérité, mais nous marcherons dans les ténèbres. Deux lumières sont nécessaires à avoir. La première est celle qui nous [981] a fait connaître les choses fugitives du monde, qui passent toutes comme le vent; mais on ne les connaît bien qu'en connaissant notre propre fragilité qui nous incline, par la loi mauvaise attachée à nos membres, à nous révolter contre le Créateur. Cette lumière est nécessaire à toute créature raisonnable, dans quelque état que ce soit, si elle veut avoir la grâce divine, et participer au fruit du sang de l'Agneau sans tache. C'est la lumière commune que toute personne doit avoir, car celui qui ne l'a pas est en état de damnation. Il n'est pas en état de grâce, parce qu'il n'a pas la lumière; car celui qui ne connaît pas le mal du péché, et ce qui en est la cause, ne peut l'éviter et en détester la cause. De même celui qui ne connaît pas le bien et la cause du bien, c'est-à-dire la vertu, ne peut aimer et désirer le bien. Et lorsque l'âme est parvenue à acquérir la lumière générale, elle ne doit pas s'en contenter, mais elle doit aller avec zèle à la lumière parfaite; car la première est celle des imparfaits, l'autre est celle des parfaits, qui veulent avec la lumière arriver à la perfection.

2. Deux sortes de parfaits marchent à cette lumière parfaite. Ce sont d'abord ceux qui s'appliquent entièrement à châtier leurs corps, en faisant d'âpres et rudes pénitences pour que la sensualité ne se révolte plus contre la raison; ils désirent plus mortifier leur corps que tuer leur propre volonté. Ceux-là se nourrissent à la table de la pénitence; ils sont bons et parfaits. Mais s'ils n'ont pas une grande humilité, s'ils ne s'appliquent pas à voir en tout la volonté de Dieu et non celle des hommes. ils nuisent [982] souvent à leur perfection en blâmant ceux qui ne suivent pas la même voie qu'eux; et cela arrive, parce qu'ils ont mis plus de zèle et d'application à mortifier le corps qu'à tuer la volonté propre. Ceux-là veulent choisir toujours le temps, le lieu et les consolations spirituelles à leur gré, et aussi les tribulations du monde, les attaques du démon. Ils se laissent tromper par la volonté propre qui s'appelle la volonté spirituelle, et ils disent: Je voudrais cette consolation, et non pas les combats et les tentations du démon; ce n'est pas pour moi, mais c'est pour plaire davantage à Dieu; il me semble que j'y parviendrai mieux de cette manière que d'une autre.

3. C'est ainsi que souvent l'âme tombe dans la peine et l'ennui, et devient insupportable à elle-même; elle nuit à sa perfection, et l'infection de l'orgueil la pénètre sans qu'elle s'en aperçoive. Car si elle était véritablement humble et sans présomption, elle verrait bien que la douce Vérité suprême donne la position, le moment, le lieu, la consolation,. la tribulation, selon les besoins de notre salut et selon la perfection à laquelle l'âme est appelée. Elle verrait que toute chose est donnée par amour, et qu'elle doit recevoir toute chose avec amour et respect, comme les seconds qui sont dans cette douce et glorieuse lumière. Ils sont parfaits en toutes les positions où ils se trouvent, et dans tous les événements que Dieu permet; ils acceptent tout avec respect, parce qu'ils jugent qu'ils sont dignes des peines et des scandales du monde, et qu'ils méritent d'être privés de consolation. Comme ils se croient dignes des peines, ils se croient indignes de [983] la récompense qui suit la peine. Ils ont dans la lumière, connu et goûté l'éternelle volonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre bien et notre sanctification en lui; et parce que l'âme l'a connue, elle s'en revêt, et elle ne s'applique qu'à trouver le moyen d'augmenter et de conserver cet état parfait pour l'honneur et la gloire du nom de Dieu. Elle fixe le regard de son intelligence sur Jésus crucifié, qui est la règle, la voie, la doctrine des parfaits et des imparfaits; elle voit le tendre Agneau qui lui donne la doctrine de la perfection, et, en le voyant, elle s'y attache avec amour.

4. La perfection est celle du Verbe, le Fils de Dieu, qui s'est nourri à la table du saint désir, de l'honneur de son Père et de notre salut; et avec ce désir il a couru à la mort honteuse de la Croix. Il n'a reculé devant aucune fatigue, aucune peine; il n'a été arrêté ni par notre ingratitude, ni par notre ignorance qui méconnaissait ses bienfaits, ni par les persécutions des Juifs, ni par les cris, les injures, les outrages du peuple; mais il a tout surmonté, comme notre chef, comme un vrai chevalier, qui est venu nous enseigner la voie, la doctrine et la règle; et il est arrivé à la porte avec la clef de son précieux sang répandu avec l'ardeur de l'amour et avec la haine et l'horreur du péché, comme si ce doux et tendre Verbe nous disait: «Voici que je me suis fait la voie et la porte ouverte avec mon sang. Ne soyez donc pas négligents à me suivre, vous arrêtant dans l'amour de vous-mêmes et dans l'ignorance qui ne connaît pas la voie, et qui veut présomptueusement la choisir selon votre goût, et non selon ma [984] volonté, qui l'a faite. Levez-vous donc, et suivez-moi; car personne ne peut aller au Père, si ce n'est par moi qui suis la voie et la porte (Jn 14, 6)».

5. Alors l'âme embrasée d'amour court à la table du saint désir, et ne s'arrête plus à elle-même; elle ne cherche pas sa propre consolation spirituelle ou temporelle, mais comme une personne qui a entièrement détruit sa propre volonté, dans cette lumière et cette connaissance. Elle ne refuse aucune fatigue, de quelque côté qu'elle vienne, au milieu des peines, des opprobres, des attaques du démon et des murmures des hommes; elle prend sur la table de la Croix la nourriture de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, et ne cherche aucune récompense ni de Dieu ni des créatures. Ceux qui agissent ainsi ne servent pas Dieu pour leur plaisir, ni le prochain selon leur goût et par intérêt, mais ils se renoncent eux-mêmes par pur amour, se dépouillant du vieil homme, c'est-à-dire de la sensualité, pour se revêtir de l'homme nouveau du Christ le doux Jésus, qu'ils suivent avec courage. Ceux-là se nourrissent à la table du saint désir, et ils ont mis plus de zèle à tuer leur volonté propre qu'à tuer ou à mortifier le corps; ils ont bien mortifié leur corps non comme but principal, mais comme moyen, comme secours pour tuer leur volonté. Car la chose importante est et doit être de tuer la volonté, pour qu'elle ne cherche qu'à suivre Jésus crucifié, désirant l'honneur, la gloire de son nom et le salut des âmes.

6. Ceux-là sont toujours dans le calme et la Paix [985],et rien ne les scandalise, parce qu'ils ont éloigné ce qui leur causerait du trouble, c'est-à-dire la volonté. propre. Toutes ces persécutions que le monde et le démon peuvent soulever, ils les foulent aux pieds au milieu du torrent; ils s'attachent aux branches de l'ardent désir, et ils ne se noient pas. Ils se réjouissent de tout, et ne se font pas les juges des serviteurs de Dieu ni d'aucune créature raisonnable; mais ils sont contents de toutes les positions, de tous les moyens qu'ils voient prendre, car ils disent: «Grâces vous soient rendues, ô Père éternel! parce que dans votre maison il y a plusieurs demeures.» Ils aiment mieux cette diversité de moyens que de voir tout le monde suivre la même voie, parce que cette diversité manifeste davantage la grandeur de la bonté de Dieu; ils se réjouissent de tout, et en tirent le parfum de la rose. Quand ils voient faire ce qui est évidemment un péché, ils ne jugent pas, mais ils en ressentent seulement une sainte et vraie compassion, en disant: Aujourd'hui c'est toi; demain, ce sera moi, si la grâce de Dieu ne me conserve. O saintes âmes qui vous nourrissez à la table du saint désir! c'est la lumière qui vous a conduites à vous nourrir de cet aliment divin, à vous revêtir du vêtement de l'Agneau, c'est-à-dire de son amour, de sa charité. Vous ne perdez pas le temps à écouter les faux jugements sur les serviteurs de Dieu ou du monde, et vous ne vous troublez d'aucun murmure contre vous ou contre le prochain. Votre amour est réglé en Dieu, et il ne s'égare pas dans le prochain. C'est parce qu'il est réglé, mon très cher Fils, qu'ils ne se scandalisent jamais de ceux qu'ils aiment. Leur propre sentiment est mort, et ils ne voient en rien la volonté des hommes, mais uniquement celle du Saint-Esprit. Vous voyez bien qu'ils goûtent, dès ici-bas, les arrhes de la vie éternelle.

7. C'est à cette lumière que je voudrais vous voir parvenir, vous et mes autres fils ignorants, car je vois que cette perfection vous manque. Si elle ne vous manquait pas, vous ne vous seriez pas laissé aller au scandale, aux murmures et aux faux jugements; vous n'auriez pas cru et dit que les autres obéissaient à la volonté des créatures, et non pas à celle du Créateur. Mon coeur et mon âme gémissent de vous voir blesser la perfection, à laquelle Dieu vous appelle, avec l'apparence et l'amour de la vertu. C'est là cette zizanie que le démon sème dans le champ du Seigneur; il le fait pour étouffer le bon grain des saints désirs et de la doctrine qui a été semée dans votre champ. Appliquez-vous donc à ne plus faire ainsi, car la grâce de Dieu vous a accordé plus de lumière; il vous a appelé premièrement à mépriser le monde, secondement à mortifier votre corps, troisièmement à chercher son honneur. Ne nuisez donc pas à cette perfection par la volonté spirituelle; mais passez de la table de la pénitence à la table du désir de Dieu, où l'âme est morte à toute volonté, se nourrissant en paix de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, cherchant toujours la perfection, et ne la blessant jamais. C'est parce que je crois que sans la lumière on ne peut y parvenir, et que je vois que vous ne l'avez pas, que je vous ai dit mon désir de vous voir avec la vraie et parfaite lumière. Je vous conjure, par l'amour de Jésus crucifié, le [987] frère Antoine, les autres religieux, et vous surtout, de vous appliquer à l'acquérir, afin que vous soyez du nombre des parfaits et non des imparfaits. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je me recommande à tous. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.







Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 165, A FRÈRE NICOLAS DE MONTALCINO