Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 181, A FRERE ANDRE DE LUCQUES

Lettre n. 182, A BARTHELEMI ET A JACQUES

CLXXXII (136). - A BARTHELEMI ET A JACQUES, ermites au Campo Santo, à Pise. - Du désir de donner sa vie pour l'amour du Christ en se consumant dans le feu de la charité.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mes très chers et bien-aimés Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de nous voir sacrifier notre corps pour le doux nom de Jésus. Oh! combien serait heureuse notre âme, si sa miséricorde nous faisait la grâce de donner pour lui ce qu'il a donné pour nous avec tant d'amour et de charité! O feu qui brûle sans consumer, et qui ne consume dans l'âme que ce qui est séparé de la volonté de Dieu! C'est ce feu qui brûlait l'Agneau sans tache sur le bois de la très sainte Croix. O coeurs endurcis et grossiers, qui peuvent résister à cette ardeur! Je ne m'étonne pas si les saints, qui n'étaient pas aveuglés par l'amour-propre, s'appliquaient tout entiers à connaître la bonté de Dieu et le feu de son ardente charité. La pensée du précieux Sang les faisait courir répandre leur sang. Voyez cette ardeur sans borne de saint Laurent, qui sur son lit de feu est tranquille en présence du tyran. Ah! Laurent, ce feu ne vous suffit donc pas? Il répond que non, parce que son amour est si violent, que les flammes intérieures éteignent les flammes extérieures [1032] .

2. Ainsi donc, mes Fils bien-aimés dans le Christ, le doux Jésus, que vos sentiments et vos désirs ne meurent pas jusqu'au dernier moment de votre vie. Ne dormez pas, et soyez vigilants; et il n'y a pas d'autre moyen de l'être que d'avoir une haine continuelle. De cette haine naît la faim de la justice, qui fait désirer que les animaux même nous punissent; et quand elle est punie, l'âme se purifie dans ces douces flammes, ou elle comprend la bonté de Dieu à notre égard. Lorsqu'elle est plongée dans cet abîme d'amour, lorsqu'elle voit que Dieu veut agrandir son coeur, alors l'oeil de l'intelligence s'ouvre pour comprendre, la mémoire pour retenir, et la volonté s'applique à aimer ce que Dieu aime. L'âme s'écrie: O Dieu aimable, qu'aimez-vous davantage? Et notre Dieu si doux répond: Regarde en toi, et tu trouveras ce que j'aime.

3. Oui, regardez en vous, mes Fils bien-aimés, et vous trouverez, vous verrez avec quelle bonté, avec quel ineffable amour il vous aime et il aime aussi toutes les créatures raisonnables. A cette vue, l'âme transportée s'applique tout entière à aimer ce que Dieu aime davantage, c'est-à-dire ceux qui sont nos frères; et les désirs de son amour sont si grands, qu'elle voudrait donner sa vie pour leur salut et pour leur rendre la vie de la grâce. Elle se nourrit des âmes, et fait comme l'aigle, qui regarde toujours le disque du soleil et s'élève sans cesse; puis il regarde la terre, y prend sa nourriture, et s'en rassasie dans les airs. Ainsi fait la créature: elle regarde en haut où est le Soleil du divin amour, puis vers la terre, c'est-à-dire vers l'humanité du Verbe incarné [1033], du Fils de Dieu; et, en regardant ce Verbe et cette humanité sortie du sein de la douce Marie, elle voit sur cette table la nourriture qu'elle prend; et non seulement elle s'en nourrit sur la terre de l'humanité du Sauveur, mais elle s'élève avec cette nourriture dans la bouche, et elle entre dans l'âme du Fils de Dieu embrasée et consumée d'amour.

4. Elle reconnaît que c'est un feu sorti de la puissance du Père, qui nous donne la sagesse du Fils et la force du Saint-Esprit; et cette force, cette union est si grande, que ni les clous ni la Croix n'auraient pu retenir le Verbe sans ce lien d'amour. L'union est si étroite, que ni la mort ni aucune cause ne peuvent séparer la nature divine de la nature humaine. Oui, je veux que vous preniez cette douce nourriture; et si vous me demandez quelles ailes il faut prendre: les ailes de la haine, de la mort, avec les souffrances, les mépris, les outrages, pour Jésus crucifié. Ne voulez pas, ne désirez pas savoir autre chose que Jésus crucifié; qu'en lui seul soit votre gloire, votre consolation et tout votre repos. Abreuvez-vous, nourrissez-vous de son sang; Dieu voit vos désirs. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1034].






Lettre n. 183, A NICOLAS

CLXXXIII (137). - A NICOLAS, le pauvre de la Romagne, ermite à Florence. - Celui qui aime Dieu doit s'employer au service du prochain, et le secourir au moins par ses prières.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mon bien-aimé Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir vous abandonner entièrement à la divine Providence,. en vous dépouillant de tout amour terrestre et de vous-même, afin que vous soyez revêtu de Jésus crucifié; car vous n'atteindrez pas votre fin si vous ne suivez pas la vie et la doctrine de ce tendre Verbe. Il nous l'enseigne lorsqu'il nous dit: «Personne ne peut venir au Père, si ce n'est par moi (Jn 14,6). - Mais je ne vois pas que vous puissiez bien vous abandonner à lui et vous dépouiller entièrement de vous-même, si vous ne connaissez sa souveraine et éternelle bonté et notre misère.

2. Où trouverons-nous cette connaissance de lui et de nous-mêmes? Au fond même de notre âme. Il faut entrer dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, et ouvrir l'oeil de notre intelligence; et lorsque nous aurons écarté le nuage de l'amour-propre, nous verrons que nous ne sommes rien, surtout dans le moment du combat et de la tentation; car, si nous étions quelque chose, nous nous délivrerions de ces [1035] combats, que nous voudrions éviter. Nous avons donc bien sujet de nous humilier et de nous dépouiller de nous-mêmes, car on ne peut rien espérer du néant. Nous connaîtrons la bonté de Dieu en nous, en voyant que nous sommes créés à son image et ressemblance, afin que nous participions à son bonheur éternel et infini. Nous étions morts à la grâce par le péché du premier homme, et il nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils unique. O amour ineffable! vous avez donné le Fils pour racheter le serviteur, vous avez accepté la mort pour nous rendre la vie. Nous voyons donc bien qu'il est l'éternelle et souveraine Bonté, qui nous aime d'un amour ineffable; car, s'il ne nous aimait pas, il ne nous aurait pas donné un tel Rédempteur. C'est le sang qui nous prouve cet amour. Je veux donc que vous espériez et que vous placiez en lui toute votre confiance, votre amour, vos désirs; mais pensez que nous ne pouvons lui être utiles en aucune manière, car il est notre Dieu, et il n'a pas besoin de nous.

3. Comment lui montrerons-nous donc l'amour que nous avons pour lui? Par le moyen qu'il nous a donné d'exercer en nous la vertu, c'est-à-dire par le prochain, que nous devons aimer comme nous-mêmes, en le secourant dans tous ses besoins, selon les grâces que Dieu nous a faites. Il faut offrir en sa présence d'humbles larmes et de continuelles prières pour le salut du monde entier, et surtout pour le corps mystique de la sainte Eglise, que nous verrions tomber en ruine, si la bonté de Dieu ne l'assistait. Alors vous suivrez la doctrine de Jésus crucifié, qui, pour l'honneur de son Père et pour son salut, a [1036] donné sa vie en courant, tout transporté d'amour, à la mort ignominieuse de la Croix. La souffrance, les outrages et nos ingratitudes ne l'ont point empêché d'accomplir notre salut; nous devons faire de même: rien ne doit nous empêcher de secourir notre prochain dans ses nécessités spirituelles et temporelles, sans nous arrêter à l'utilité ou à la consolation que nous pourrions recevoir; il faut l'aimer et le secourir parce que Dieu l'aime. Vous accomplirez ainsi l'amour du prochain, selon le commandement de Dieu et selon mon désir. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 184, A MESSIRE MATTHIEU

CLXXXIV (138). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne. - Le sang de Jésus-Christ fait naître en nous la charité.

(La maison de la Miséricorde était un hospice fondé au XIIIe siècle par le B. André Gallerani. Ses revenus furent donnés, en 1408, au grand hôpital de la Scala, et le Pape Nicolas V en assigna les bâtiments à l'université de Sienne. Le Père Matthieu on fut nommé recteur le 1er septembre 1373.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mon très cher et très aimé Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir [1037] de vous voir abîmé et consumé dans l'abondance de ce sang, dont le souvenir rend la chaleur et la lumière aux âmes froides et ténébreuses. Il leur donne la générosité et les délivre de la pauvreté; il détruit l'orgueil et inspire l'humilité, et il remplace la dureté par la compassion. O ineffable et tendre Charité! je ne m'étonne pas si, dans votre sang, je trouve la vertu de compassion; car je vois que par une divine compassion vous vous êtes immolé vous-même; vous n'y étiez pas obligé, mais vous avez tiré vengeance de cette odieuse cruauté que l'homme avait eue contre lui-même, lorsque, par le péché, il se rendit digne de mort. Je désire donc vous voir anéanti dans ce fleuve, afin que vous y puisiez la compassion et la miséricorde dont vous avez sans cesse besoin dans votre position. Oui, je désire vous voir pratiquer cette vertu à l'égard des pauvres de Jésus-Christ dans les choses temporelles; mais cela ne me suffit pas, et je vous invite, comme Dieu y invite mon âme, à étendre plus loin vos charitables et ardents désirs, vos regards compatissants et vos larmes; ayez compassion du monde entier en présence de la divine Miséricorde.

2. Dieu lui-même vous enseigne le moyen, lorsque, transporté d'amour et du désir de faire son oeuvre, il dit: Prenez le corps de la sainte Eglise avec ses membres liés et coupés, et mettez-les avec une tendre compassion sur mon corps; sur ce corps où furent travaillées nos iniquités, car c'est lui qui a pris avec tant de peine la cité de notre âme. Et le Père accepta le sacrifice. Nourrissons-nous donc, nourrissons-nous des âmes sur cette table, sur le corps du [1038] doux Fils de Dieu. Nous traverserons ainsi les pénibles et inquiets désirs, les attentes douloureuses, et nous arriverons à ces désirs du coeur qui seront satisfaits, à ces désirs, qui apaisent l'âme quand elle voit s'accomplir ce qu'elle a désiré longtemps. Nous pourrons alors crier au Père, avec joie et douceur, ce que dit la sainte Eglise C'est par notre Seigneur Jésus-Christ que vous nous avez fait miséricorde, en éloignant les loups et en multipliant les agneaux. Oui, mon Père, mon Frère, mon Fils dans le Christ Jésus, secouons le sommeil de la négligence, afin que bientôt nous soyons délivrés de la patte des loups et que nous arrivions à la joie, non pas pour nous, mais pour l'honneur de Dieu seulement. C'est là cette vertu compatissante qu'il faut que nous ayons; et c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir embrasé dans le sang du Fils de Dieu, car c'est son souvenir qui nourrit la vertu de piété et de miséricorde dans notre âme. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 185, A MESSIRE MATTHIEU

CLXXXV (139). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne. - Il faut travailler avec patience au salut des âmes.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [1039] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir porter le fardeau des créatures avec amour et zèle pour l'honneur de Dieu et pour leur salut. Veillez avec la sollicitude d'un bon pasteur sur les brebis qui vous sont ou vous seront confiées, afin que le loup infernal ne les ravisse pas; car, si vous commettiez quelque négligence, vous en seriez ensuite repris. C'est le moment de montrer qui a faim ou non, et qui gémit sur ces morts que nous voyons privés de la vie de la grâce. Sollicitez avec courage et intelligence, avec des prières humbles et continuelles jusqu'à la mort. Sachez que c'est la voie pour connaître la Vérité et pour en devenir l'époux; il n'y en a pas d'autre. Gardez-vous bien de fuir les fatigues, mais recevez-les avec joie, et allez au-devant d'elles par un saint désir; dites: Soyez les bienvenues; et encore: Quelle grâce me fait mon Créateur, en me faisant supporter ces peines pour sa gloire et l'honneur de son nom!

2. L'amertume ainsi deviendra douceur et consolation. Vous offrirez avec ardeur vos larmes et vos soupirs pour les malheureuses brebis qui sont encore entre les mains des démons. Ces soupirs seront votre nourriture, et ces larmes votre boisson. Ne finissez pas autrement votre vie, vous réjouissant et vous reposant sur la Croix avec Jésus crucifié. Je termine. J'ai appris que vous avez été et que vous êtes encore bien malade, et que vous désiriez à cause de cela me voir près de vous. Je ne le puis en ce moment; mais je serai près de vous par de continuelles prières. Je ne veux pour rien au monde [1040] que vous soyez encore malade, afin que vous puissiez mieux travailler. Faites ce que je vous commande; cessez toute pénitence, et prenez au contraire tout ce qui pourra vous fortifier. Je ne vous en dis pas davantage. Le pauvre Jean est venu me trouver (Il y a ici une lacune dans le texte manuscrit)... Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 186, A MESSIRE MATTHIEU

CLXXXVI (140). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne. - Du bon exemple que nous devons au prochain.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un miroir de vertus, afin que vous rendiez véritablement gloire et louange au nom de Dieu, et que vous accomplissiez le bien en vous d'abord, et puis dans le prochain, par l'exemple d'une bonne et sainte vie, par l'enseignement de la parole, et par d'humbles et fidèles prières; pensez que c'est la dette que Dieu exige de vous. Il veut pour lui la gloire et l'honneur de son nom, et pour vous le profit et la récompense. Répondons généreusement à tant d'amour [1041], car nous ne pouvons être à Dieu d'aucune utilité. Tournons-nous vers ce que nous voyons que Dieu aime tant, c'est-à-dire vers le prochain. Que ce soit là le but de tous nos efforts, et ne cherchons autre chose que de nous nourrir des âmes pour l'honneur de Dieu. Et où irons-nous prendre cette douce nourriture? Sur la table de la très sainte Foi, aimant souffrir les peines, les tourments, les injures, les mépris, les affronts, afin de pouvoir nous rassasier de ce glorieux aliment. Mais je ne vois pas que nous puissions le prendre, Si, avant tout, nous n'acquérons pas les vraies et solides vertus. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir un miroir de vertus, et je vous prie de vous appliquer à le devenir. Je ne vous en dis pas davantage.

2. Je vous envoie un privilège avec une bulle d'indulgence du Pape, que j'ai obtenue pour soixante-dix-sept personnes. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 187, A MESSIRE MATTHIEU

CLXXXVII (141). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de l'église de la Miséricorde de Sienne, pendant qu'elle était à Pise. - L'amour de Dieu fait naître la charité envers le prochain.

(Sainte Catherine fit le voyage de Pise en 1375, sur la demande de beaucoup de personnes notables de la ville. Elle s'y attacha de nombreux disciples et maintint le peuple dans l'obéissance au Saint-Siège. (Voir Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. 8.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mon très cher et bien-aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des [1042] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir tout enflammé du feu de l'amour, afin que vous deveniez une même chose avec la douce Vérité suprême. Et vraiment, l'âme qui par amour est unie et transformée en Dieu, fait comme le feu, qui consume en lui l'humidité du bois, et lorsqu'il l'a bien échauffé, il le brûle et le convertit en lui, en lui donnant la couleur, la chaleur et la puissance qu'il a lui-même. De même l'âme qui regarde son Créateur et son ineffable charité, commence par sentir la chaleur de la connaissance d'elle-même; cette connaissance consume l'humidité de l'amour-propre, et la chaleur augmentant, l'âme se jette avec un ardent désir dans la bonté infinie de Dieu, qu'elle trouve en elle. Elle participe alors à son ardeur, et sa vertu, parce qu'elle se nourrit avec délices, des âmes et des créatures raisonnables; elle s'approprie, par l'amour et le désir, la couleur et la douceur des vertus qu'elle tire du bois de la sainte Croix, qui est l'arbre adorable où se repose le fruit divin, l'Agneau sans tache, Dieu et homme tout ensemble. C'est ce fruit délicieux qu'elle voudrait communiquer au prochain; car elle ne pourrait produire et donner un autre fruit que celui qu'elle tire de l'Arbre de vie; elle s'y est greffée par l'amour et le désir, lorsqu'elle a vu et connu la grandeur de la Charité infinie.

2. O mon très cher et très doux Fils dans le Christ Jésus! c'est ce que mon âme souhaite voir en vous [1043], pour que le désir de Dieu et le mien s'y accomplissent. Aussi je vous conjure et je vous commande de vous appliquer sans cesse à consumer l'humidité de l'amour-propre, de la négligence et de l'ignorance. Augmentez en vous le feu d'un saint et violent désir, en vous enivrant du sang du Fils de Dieu. Courons, tout affamés de son honneur et du salut des créatures; prenons hardiment le lien avec lequel il fut lié sur le bois de la très sainte Croix et lions-en les mains de sa justice. Voici le temps de crier, de gémir, de se lamenter; oui, c'est le moment, mon Fils, car l'Epouse du Christ est persécutée par les chrétiens, ses membres révoltés et corrompus; mais ayez courage, parce que Dieu ne méprise pas les larmes, les sueurs, les soupirs qu'on offre en sa présence. Mon âme se réjouit dans sa douleur et tressaille d'allégresse, parce qu'au milieu des épines elle sent l'odeur de la rose qui va s'ouvrir. La douce Vérité première a dit qu'avec cette persécution, s'accompliraient sa volonté et nos désirs. Je me réjouis aussi des bonnes pensées du Christ de la terre au sujet de la sainte croisade, comme de tout ce qui s'est fait ici et de ce qu'y opère la grâce divine. Aidez-moi, mon Fils; enivrez-vous du sang de l'Agneau. Je ne veux pas vous en dire davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, vous reposant toujours à l'ombre de l'arbre de la très sainte Croix. Doux Jésus, Jésus amour [1044].






Lettre n. 188, AU MEME MESSIRE MATTHIEU

CLXXXVIII (142) .- AU MEME MESSIRE MATTHIEU. - Du renoncement à la volonté propre pour se conformer en toutes choses à celle de Dieu.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et anéanti dans le sang de Jésus crucifié, dans ce sang qui enivre tellement l'âme, qu'elle se perd elle-même; elle veut qu'il ne reste rien en elle que ce sang. Le temps, le lieu, la consolation, la tribulation, les injures, les mépris, les outrages, tout ce qui lui arrive, de quelque côté que ce soit, pour elle ou pour les autres, elle ne veut rien choisir, mais elle soumet tout a la volonté de Dieu, qu'elle trouve dans le sang du Christ; car ce sang manifeste cette douce volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Tout ce que Dieu donne ou permet n'a pas d'autre fin. Il donne tout par amour, afin que nous soyons sanctifiés en lui. C'est ainsi que s'accomplit sa vérité.

2. La vérité est qu'il nous a créés pour la gloire et l'honneur de son nom, et pour que nous participions a sa béatitude et à son ineffable charité, dont nous fait jouir parfaitement la vision de Dieu. L'âme a compris et vu avec l'oeil de l'intelligence, la volonté du Père éternel dans le sang du Fils; et c'est pourquoi elle s'anéantit dans le Sang, à la lumière de la [1045] douce volonté de Dieu, qu'elle trouve dans ce sang. Elle n'a jamais de peine, et ne suit sa volonté ni pour elle ni pour les autres; elle ne s'afflige pas de ceux qu'elle perd, parce qu'elle est morte à tous. Que s'applique-t-elle donc à faire? Ce qu'elle trouve dans le Sang. Et qu'y trouve-t-elle? L'honneur du Père et le salut des âmes; car le Verbe ne s'est jamais appliqué à d'autres choses; il s'est placé sur la table de la sainte Croix pour s'y nourrir des âmes, sans craindre aucune souffrance.

3. Nous qui sommes ses membres, humilions-nous donc, nourrissons-nous du sang de l'Agneau immolé et consumé pour nous. En le faisant, nous aurons la vie, et nous goûterons les arrhes de la vie éternelle; nous aurons la lumière, et nous perdrons les ténèbres dans la lumière; nous perdrons tout scandale et tout murmure, et nous ne jugerons pas les autres, sous prétexte de bien ou de mal; mais, étant perdus et anéantis dans le Sang, nous ferons de même pour les autres, et nous serons persuadés que le Saint-Esprit les guide. Il en est autrement de ceux qui sont éprouvés, et qui ne se sont pas entièrement renoncés. Souvent ils ressentent une grande peine en se faisant les juges de la conduite et des actions des serviteurs de Dieu; ils se scandalisent et murmurent; ils font souvent murmurer en communiquant aux autres leur peine et leurs opinions, qu'ils devraient détruire dans le Sang, ou exposer seulement à la personne dont il s'agit, sans en entretenir les autres. S'ils étaient éclairés et anéantis dans le Sang, ils feraient ainsi; mais, parce qu'ils ne sont pas encore arrivés à cette grande perfection [1046] du renoncement de la volonté, nécessaire au serviteur de Dieu, qui doit mourir entièrement au monde, il leur reste des jugements sur des choses spirituelles qu'ils ignorent, et l'ignorance les fait tomber dans des erreurs et des fautes.

4. Courons donc, mon cher et bien-aimé Fils, et jetons-nous tout entiers dans le glorieux et précieux sang du Christ; que rien ne reste en nous qui n'y soit plongé; supportez avec respect et patience la fatigue, les injures, les murmures et toute chose; soyez plein d'amour et de révérence pour les serviteurs de Dieu, les conseillant, mais ne murmurant pas contre eux, et ne faisant pas connaître votre opinion à leur égard. De cette manière nous empêcherons les murmures, au lieu de les occasionner. Agissons ainsi; nous ne le pouvons que dans ce sang; je ne vois pas d'autre moyen; et c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir enivré du sang de Jésus crucifié; c'est un besoin, une nécessité; oui, je veux que nous le fassions; je vous prie et vous conjure de le demander particulièrement à la Vérité suprême pour moi, qui ai besoin de m'anéantir et de me consumer ainsi, afin de recevoir la lumière parfaite pour connaître et voir mes brebis perdues et retrouvées, pour les placer sur mes épaules et les rapporter au bercail.

5. Combien est grande l'ignorance d'une brebis qui ne connaît pas la voix de son pasteur! Vous entendez depuis longtemps la voix du pasteur que vous devriez suivre, et il me semble que vous faites le contraire; vous suivez vos opinions, allant à l'aventure et ne sachant ce que vous dites; vous [1047] écoutez les jugements et les conseils des hommes. Il semble que vous avez perdu la lumière de la Foi; comme si le pasteur qui vous appelle et qui voudrait donner sa Vie pour votre salut vous appelait avec une voix humaine, et non pas avec la divine et douce volonté de Dieu. Que ne peuvent faire oublier à l'âme les paroles des créatures et l'ignorance des brebis qui ne l'accomplissent pas en elle et dans les autres! Voyez ce qu'a fait le très doux Jésus les murmures des Juifs qui se scandalisaient et notre Ingratitude ne l'ont pas empêché d'accomplir l'honneur de son Père et notre salut. Ainsi doit faire celui que Dieu a choisi pour suivre l'Agneau. Il ne doit tourner la tête en arrière pour aucune cause que ce soit; et si les brebis malades, qui devraient être saines, murmurent dans leur égarement, le pasteur ne doit pas abandonner ceux qui sont en danger de mort, et pour lesquels il doit chercher à donner sa vie; il ne doit pas abandonner les aveugles pour ceux qui ont les yeux mauvais.

6. Ne faites pas ainsi, mais voyez les saints qui voyageaient ou restaient en repos, selon ce qui leur paraissait le mieux pour la gloire de Dieu. Soyez persuadé qu'en restant ou en voyageant ils occasionnaient toujours une infinité de murmures (Sainte Catherine eut souvent à se défendre contre ceux qui murmuraient de ses fréquents voyages. (Vie de sainte Catherine, IIIe p., ch. 1. ). Quand ils voyageaient, ils n'en travaillaient pas moins à l'honneur de Dieu; quand ils restaient, ils ne perdaient pas la patience et la lumière de la Foi. Ils n'oubliaient pas la voix de leur pasteur, mais ils [1048] étaient pleins de joie et de courage, parce que plus il y a d'opposition, plus l'oeuvre qu'on fait est parfaite. Soyez donc des brebis fidèles; ne craignez pas votre ombre, et ne croyez pas que j'en laisse quatre-vingt-dix-neuf pour une seule. Je vous dis, au contraire, que pour chacune de celles que je laisse, j'en ai quatre-vingt-dix-neuf qui ne sont connues maintenant que de la Bonté divine, de la Charité incréée; et c'est ce but secret qui me fait supporter la fatigue du voyage, le fardeau des infirmités, le poids des scandales et des murmures, le tout pour la gloire et l'honneur du nom de Dieu. Si je pars ou si je reste, je le fais toujours par sa volonté, et non par celle des hommes. La maladie de mon corps m'a retenue, mais c'est surtout la volonté de Dieu qui m'a empêchée de revenir. Nous reviendrons le plus tôt qu'il nous sera possible et que le Saint-Esprit nous le permettra. Réjouissez-vous de me voir partir ou rester, et que toutes vos pensées se calment, en étant bien persuadé que la Providence fait et fera. toute chose, si je ne suis pas un obstacle par la multitude de mes iniquités, qui nuisent à vous et au monde entier. Je vous conjure, autant que je le sais et que je le puis, de prier Dieu de me donner la lumière parfaite, pour que je meure dans la voie de la vérité. Je termine. Prenez courage dans le Christ, le doux Jésus. Recommandez-nous à tous, et surtout au Bachelier, et à frère Antonio. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1049].






Lettre n. 189, AU PRIEUR

CLXXXIX (143). - AU PRIEUR, et aux Frères de la compagnie de la Vierge-Marie. - Du souvenir de la mort pour conserver la patience dans les tribulations, et la modération dans la prospérité.- De la dévotion à la sainte Vierge -

(Cette Compagnie de la Vierge-Marie remonte à la plus haute antiquité; elle se réunissait dans les souterrains qui cachaient les premiers chrétiens à leurs persécuteurs, et c'est elle qui contribua surtout à la fondation du grand hôpital de la Scala. Les confrères priaient ensemble, et pratiquaient les exercices de la pénitence et de la charité. Beaucoup de saints et de bienheureux furent affiliés à cette compagnie, et sainte Catherine elle-même assistait à ses sermons lorsqu'elle venait soigner les malades de l'hôpital. On montre encore dans les chapelles basses qui servent de réunion à la Compagnie de la Vierge, une pierre où elle avait l'habitude de prendre quelques instants de repos. Au-dessus est cette inscription: Qui giaceva la sposa di Giesu Christo, la serafica madre santa Caterina da Siena. Laus Deo )



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher et doux Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir lié dans le doux lien de la charité. Ce fut ce lien qui attacha et cloua l'Homme-Dieu sur le bois de la très sainte Croix. Vous savez bien que les clous et la Croix n'étaient pas suffisants peut le retenir, si la charité ne l'avait pas retenu; c'est cet aimable et doux lien qui a uni la nature divine à la nature humaine [1050]. Quelle en fut la cause? Le seul amour. C'est l'amour qui nous a fait sortir des mains de Dieu lorsqu'il nous a créés à son image et ressemblance; et quand nous avons perdu la vie de la grâce, c'est par amour qu'il a voulu nous rendre ce que nous avions perdu par notre péché et notre faute. Dieu nous envoya son Fils unique, et voulut que par son sang, nous retrouvions la grâce; et le Fils obéissant courut a la mort ignominieuse de la Croix, tout transporté d'amour pour notre salut.

2. Ainsi tout ce que Dieu a fait et fait pour nous est fait par amour; et l'âme qui regarde cet amour ineffable et infini le contemple surtout avec l'oeil de son intelligence dans le sang de Jésus crucifié, et ce sang lui représente plus qu'aucune autre chose la grandeur de cette ineffable charité. Jésus-Christ a dit lui-même que l'homme ne pouvait pas mieux montrer son amour qu'en donnant sa vie pour son ami ( Jn 15, 13). O inestimable amour! si vous assurez qu'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour son ami, combien devons-nous encore apprécier davantage votre amour envers nous qui étions vos ennemis! Vous avez donné votre vie, et vous avez payé pour nous avec votre sang; cela surpasse tout amour. O doux et tendre Verbe, Fils de Dieu! vous vous êtes fait médiateur; votre mort a rétabli la paix entre l'homme et Dieu; vos clous ont été les clefs de la vie éternelle. Elle est si bien ouverte, qu'elle ne peut être fermée si l'homme ne le veut pas; car l'homme ne peut être forcé à aucun péché [1051] sans son consentement. Le péché est ce qui nous ferme la porte, et nous prive de la fin pour laquelle nous avions été créés. Le péché nous ôte la vie et nous donne la mort; il nous ôte la lumière et nous donne les ténèbres, puisqu'il obscurcit l'oeil de l'intelligence, et ne lui laisse plus voir le soleil ni les ténèbres, les ténèbres de la connaissance de soi-même, où se voit et se trouve la ténébreuse sensualité qui se révolte, et combat toujours contre son Créateur; et parce que l'a me ne voit pas ces ténèbres, elle ne peut connaître l'amour et la lumière de la Bonté divine.

3. J'ai dit que l'âme qui regarde cet amour infini en conçoit un amour sans borne; elle soumet et conforme sa volonté à la volonté de Dieu; elle juge, et voit bien que Dieu ne veut autre chose que notre sanctification, et que s'il envoie ou permet les tribulations, les consolations, les persécutions, les coups, les mépris, les outrages, tout arrive pour que nous soyons sanctifiés en lui, parce que la sanctification ne peut s'obtenir que par les vertus, et que les vertus ne peuvent s'acquérir que par leur contraire. L'âme voit aussi que cet amour ne peut se troubler et se décourager, quelque chose qu'il arrive, perce que ce serait s'affliger de son bien et de la bonté de Dieu, qui le permet pour nous. Il est vrai que la sensualité ne peut souffrir ce qui lui déplaît, mais la raison en triomphe et la soumet comme elle doit.

4. Et comment soumettrons-nous cette sensualité, pour qu'elle ne se révolte pas contre son Créateur? Je vous le dirai. Les jouissances et les tribulations [1052] se modèrent par la douce et sainte pensée de Dieu,, c'est-à-dire, par la méditation continuelle de la mort, que nous trouvons dans la connaissance de nous-mêmes. Nous verrons, mes très chers Fils et Frères dans le Christ, le doux Jésus, que nous sommes tous mortels. Aussitôt que nous sommes créés dans le sein de notre mère, nous sommes condamnés à mort; nous devons mourir, et nous ne savons pas quand et comment. Lorsqu'on voit que la vie est si courte, qu'il faut attendre la mort de jour en jour, et que notre vie est comme sur une pointe d'aiguille, quel est celui qui ne réprimera pas toutes les joies déréglées qui se trouvent dans les vaines et folles joies du monde? je dis qu'il les réprimera, et qu'il ne recherchera pas les honneurs; la fortune, la grandeur, et qu'il ne possédera pas avec avarice les richesses. S'il a des richesses, il sera le distributeur du Christ aux pauvres; il ne voudra pas les posséder et les conserver avec orgueil, mais avec une humilité profonde et sincère, comprenant bien que rien n'est ferme et stable dans cette vie ténébreuse, mais que tout passe comme le vent.

5. S'il rencontre la tribulation, il la supporte patiemment, parce qu'il voit que toutes les tribulations que nous pouvons souffrir en cette vie sont bien petites. Pourquoi petites? Parce que notre temps est petit, parce que les peines passées n'existent plus, et que celles qui vous menacent, vous n'êtes pas sûr de les avoir, puisque vous ne savez pas si la mort ne viendra pas vous en délivrer. Vous n'avez donc à supporter que l'instant présent; et ainsi la pensée de la mort ôte l'impatience dans les [1053] tribulations, et la joie déréglée dans les consolations. Il ne faut pas que cette pensée de la mort soit seule, car elle ferait tomber dans le trouble; il faut lui donner une compagnie, et cette compagnie est l'amour réglé par la sainte crainte de Dieu, c'est-à-dire la volonté d'éviter les vices et les péchés, pour ne pas offenser son Créateur. Le péché n'est pas en Dieu; il n'est pas par conséquent digne d'être aimé et désiré par nous, qui sommes les fils de Dieu, les créatures faites à son image et ressemblance Nous devons aimer ce qu'il aime, et détester ce qu'il déteste; et alors l'oeil de l'intelligence s'ouvre et voit combien il est utile de fuir le vice et d'aimer la vertu. Et quel malheur de faire le contraire! Qu'elle imprudence de dormir dans le péché, lorsque la mort vient si vite et donne l'éternelle damnation, qui est sans remède!

6. Vivre dans la vertu donne, toujours la joie, la paix avec Dieu, la paix avec le prochain. Toute antipathie disparaît, et on ressent cette charité fraternelle qui fait aimer le prochain comme soi-même. Nous devons aimer ainsi nos amis et nos ennemis, comme créatures raisonnables; nous devons désirer leur salut, et nous appliquer autant que nous le pouvons à porter et supporter leurs défauts, détestant leurs vices, mais non pas leurs personnes. Pleurez avec ceux qui pleurent, et réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, c'est-à-dire pleurez avec ceux qui sont dans le péché mortel. On peut bien dire qu'ils sont dans le temps des pleurs et des ténèbres; pleurez avec eux par la compassion, et offrez-les par les saints désirs en présence de Dieu [1054]. Réjouissez-vous avec ceux qui vivent dans la vertu; réjouissez-vous avec eux, non pas en enviant leur bonheur, mais en remerciant saintement la Bonté divine, qui les a tirés des ténèbres et les a conduits à la lumière de la grâce. C'est ainsi que vit dans l'unité et dans l'obéissance au précepte celui qui aime le prochain pour l'amour de Dieu. C'est le signe que le Christ donne pour reconnaître ses enfants et ses disciples. Il disait aux siens: «Aimez-vous les uns les autres, c'est à cela qu'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples (Jn 13,35)». «Celui qui suit cette douce et sainte voie vit dans la grâce, et parvient enfin à l'éternelle vision de Dieu. Aussi, par-dessus toutes choses, mes chers Fils, je vous prie et je vous conjure de vous aimer les uns les autres, car nous devons greffer notre coeur et notre affection sur l'amour de Jésus crucifié. Puisque nous voyons qu'il a tant aimé l'homme, nous devons imiter cet amour, et nous attacher si étroitement à notre prochain, que ni le démon, ni les injures qui nous viendraient du prochain lui-même, ni les faiblesses de notre amour propre, ne puissent jamais nous en séparer et rompre le lien de l'amour. Et parce que l'a me qui ferait autrement serait en état de damnation, je vous ai dit que je désirais vous voir unis clans les liens de la charité, ou vous devez être pour tant de raisons; car vo us avez été créés par le même Dieu, et vous avez été rachetés par le même sang.

7. Et puis la sainte et douce congrégation que vous avez formée porte le doux nom de Marie, qui [1055] est notre avocate, la mère de la grâce et de la miséricorde. Elle n'est pas ingrate envers ceux qui la servent, elle ne les oublie pas, et elle les récompense; elle est comme un char de feu, car elle a conçu en elle le Verbe, le Fils unique de Dieu; elle porte et répand le feu de l'amour, car son Fils est amour. Je vous prie aussi de haïr et d'avoir en horreur le péché d'impureté et toutes les autres fautes, car il ne serait pas convenable de vous souiller en servant Marie, qui est là pureté même. Ne dormez plus, mes Pères, mes Frères et chers Fils; excitez-vous à l'amour de la vertu, à la haine, à l'horreur du péché. Voyez combien le péché est abominable devant Dieu, puisqu'il a voulu que son Fils souffrit la mort et la passion; et Notre-Seigneur a souffert avec tant d'amour les peines, les tourments, les injures, les outrages, et enfin l'opprobre de la Croix! Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, cachez-vous dans ses plaies faites par l'amour. L'ami ne peut mieux montrer son amour qu'en donnant sa vie pour son ami: eh bien, il vous a donné sa vie, en sacrifiant, en immolant son corps. Que vos coeurs s'amollissent dans ce saint temps, qui nous montre l'Agneau sans tache consumé sur la Croix par le feu de la plus ardente charité. Il se donne à vous, à Pâques, comme une douce nourriture. Je vous conjure de vous disposer tous à la sainte Communion, si vous n'avez pas quelque lien qui ne puisse être délié qu'en allant à Rome. Je ne vous en dis pas davantage. Aimez-vous, aimez-vous les uns les autres. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu.

8. Pour moi, votre indigne servante, je me recommande [1056] à vos prières, bien persuadée que vous ne m'oubliez pas; je vous prie et je vous conjure, de la part de Jésus crucifié, d'offrir toutes vos prières et les bonnes oeuvres que Dieu vous permet de faire, et de célébrer le Saint Sacrifice pour la réforme de la douce L'Epouse du Christ, pour la sainte Eglise, pour la paix, l'unité de tous les chrétiens, et particulièrement pour notre cité, afin que Dieu nous envoie une véritable et parfaite union, et que les coupables se purifient des fautes qu'ils ont commises contre notre Sauveur et la sainte Eglise. Priez particulièrement pour que la ruine occasionnée par la guerre des Florentins contre le Saint-Père, à cause de nos péchés, se change, par l'effet de la Bonté divine, en une paix véritable. Je vous, assure que si nos prières continuelles et ferventes n'appellent sur nous la miséricorde divine, nous serons plus en danger que jamais pour nos âmes et nos corps. Frappons donc à la porte de la Miséricorde par la prière et le désir de la paix, et Celui qui est la bonté même ne méprisera pas la voix du peuple qui crie vers lui. N'écoutez le doux et bon Jésus, qui nous enseigne que nous devons frapper et appeler avec une ferme foi d'être exaucés, car sans cela la prière serait inutile. La douce Vérité suprême nous dit: «Frappez, et il vous sera ouvert; demandez, et Il vous sera donné; appelez, et il vous sera répondu. Puisqu'il nous enseigne ce moyen, prenons-le avec un bon et saint zèle, avec une longue et parfaite persévérance. Il l'a dit lui-même, à défaut d'autre moyen, on obtient par l'importunité de la persévérance. Je termine. Doux Jésus, Jésus amour. Marie [1057].







Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 181, A FRERE ANDRE DE LUCQUES