Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 210, A LA MEME

Lettre n. 211, A LA MEME

CCXI (165) .- A LA MEME.- La lumière de la foi est nécessaire pour connaître l'éternelle vérité. - Des deux lumières, générale et particulière.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la vraie et parfaite lumière, afin que tu puisses connaître la vérité dans sa [1169] perfection. Oh! combien est nécessaire cette lumière, ma très chère Fille! Sans elle nous ne pouvons suivre la voie de Jésus crucifié, qui est une voie lumineuse où se trouve la vie; sans elle nous marcherions dans les ténèbres et nous vivrions dans les tempêtes et l'amertume.

2. En réfléchissant bien, je vois qu'on peut avoir cette lumière de deux manières. D'abord une lumière générale que toute créature raisonnable doit posséder pour voir et connaître ce qu'elle doit aimer, et a qui elle doit obéir; elle voit à la lumière de l'intelligence, avec la pupille de la sainte Foi, qu'elle est obligée d'aimer et de servir son Créateur, de l'aimer de tout son coeur, de tout son âme, sans partage, et d'obéir aux commandements de la loi, qui veut que nous aimions Dieu par-dessus toute chose et le prochain comme nous-mêmes. C'est par là qu'il faut tous commencer. Cette lumière générale nous est nécessaire, et sans elle nous serions dans la mort; nous serions privés de la vie de la grâce, et nous suivrions la voie ténébreuse du démon. Mais il y a une autre lumière qui n'est pas séparée de celle-ci; elle lui est unie, et c'est par la première qu'on arrive à la seconde. Ceux qui observent les commandements de Dieu parviennent à une lumière plus parfaite; ils quittent l'imperfection par l'ardeur et la sainteté du désir, et ils embrassent la perfection en observant les commandements et les conseils mentalement et actuellement. Cette lumière doit se développer par la faim et le désir de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, en contemplant, avec la lumière, la lumière du doux et tendre Verbe, que l'âme goûte l'amour ineffable [1170] que Dieu a pour sa créature, cet amour qu'il nous a montré par le moyen du Verbe, qui a couru tout transporté d'ardeur à la mort honteuse de la Croix, pour l'honneur de son Père et pour notre salut.

3. Quand l'âme a connu cette vérité avec la lumière parfaite, elle s'élève au-dessus d'elle-même et de toute affection sensible; elle s'élance avec de violents et tendres désirs pour suivre les traces de Jésus crucifié, au milieu des peines, des opprobres, des mépris, des persécutions du monde, et quelquefois au milieu de celles des serviteurs de Dieu, qui l'éprouvent sous prétexte de vertu, et elle cherche avec faim l'honneur de Dieu et le salut des âmes. Elle savoure tant cette glorieuse nourriture, qu'elle se méprise et qu'elle méprise le reste; elle ne cherche que cela, et s'oublie. C'est dans cette lumière parfaite que vivaient ces glorieuses vierges et ces saints qui se plaisaient uniquement à la table de la sainte Croix pour prendre cette nourriture avec l'Epoux de leurs âmes. Ainsi donc, ma bien-aimée Fille et ma douce Soeur dans le Christ, le doux Jésus, puisque Dieu nous a fait tant de grâces, et a été si miséricordieux en nous mettant au nombre de celles qui ont passé de la lumière générale à la lumière particulière, puisqu'il nous a tracé la voie parfaite des conseils, nous devons suivre cette voie douce et droite avec perfection, et ne pas tourner la tête en arrière pour quelque cause que ce soit. Nous ne devons pas avancer à notre manière, mais à la manière de Dieu, en souffrant et en évitant le péché jusqu'à la mort.

4. L'âme échappe ainsi aux mains du démon; c'est la voie et la règle que t'a enseignée l'éternelle Vérité [1171]; Il l'a écrite sur son corps en grosses lettres, pour que personne, quelque faible que soit son intelligence, ne puisse avoir d'excuse; et il l'a écrite non pas avec de l'encre, mais avec son sang. Tu vois combien les initiales de ce livre sont belles et grandes, comme elles montrent la vérité du Père, l'amour ineffable avec lequel nous avons été créés: c'est uniquement pour nous faire participer à son éternel et souverain bonheur. Ce Maître est monté dans la chaire de la Croix pour que nous puissions mieux l'entendre et pour que nous ne disions pas: Il nous enseigne d'en bas, et non pas d'en haut. Non; il est monté sur la Croix, et il s'est sacrifié pour glorifier l'honneur de son Père, et pour rétablir sur cette Croix la beauté de nos âmes. Que notre coeur se livre donc à cet amour, puisé dans le livre de vie. Perds-toi entièrement toi-même, et plus tu te perdras, pies tu te retrouveras. Dieu ne méprisera pas ton désir, il te dirigera, il t'enseignera ce que tu dois faire; il éclairera celui auquel tu es soumise pour que tu' agisses par son conseil. L'âme doit toujours être dans une sainte crainte, et se réjouir de faire tout ce qu'elle fait, en recourant à la prière et à l'obéissance.

5. Tu m'as écrit et j'ai compris par ta lettre que c'était pour toi une épreuve, non pas petite, mais peut' être plus grande que tontes les autres, de te sentir d'un côté appelée intérieurement de Dieu à des choses nouvelles, et de l'autre, de voir que ses serviteurs s'y opposent en disant que ce n'est pas bien. Je te plains beaucoup, parce que je ne connais pas de peine plus grande que cette crainte que l'âme a d'elle-même, quand elle ne veut pas résister à Dieu et qu'elle voudrait [1172] faire aussi la volonté de ses serviteurs se fiant plus à leur lumière et à leur science qu'a la sienne; et il lui semble que c'est impossible. Je vais te répondre simplement, selon la faiblesse et la bassesse de mon intelligence. Ne te détermine pas de toi-même, mais réponds comme tu te sens appelée. Si tu vois une âme en péril, et que tu puisses la secourir ne ferme pas les yeux, mais applique-toi avec un grand zèle à l'assister jusqu'à la mort, et ne t'inquiète pas de ce qu'on a pu te dire, ni du silence qu'on garde, ni d'aucune autre chose, pour qu'il ne te soit pas dit ensuite: «Malheur à toi, qui n'a pas parlé (Is 6,5).» Il faut prendre pour principe pour unique fondement la charité de Dieu et du prochain: tous les autres exercices sont des instruments et des matériaux placés sur ce fondement; et on ne doit pas, par amour pour les instruments et les matériaux, abandonner ce fondement de l'honneur de Dieu et de l'amour du prochain.

6. Travaille donc, ma Fille, dans ce champ, où tu vois que Dieu t'appelle à travailler, ne prends pas de peine et d'ennui de ce qu'on peut dire, mais supporte-le avec courage. Crains et sers Dieu sans penser à toi-même, et ne t'inquiète pas de ce que peuvent dire les créatures, ci ce n'est pour en avoir compassion Quant au désir que tu as de quitter la maison et de venir à Rome, abandonne-le à la volonté de ton Epoux. Si c'est son honneur et ton salut, il t'en donnera le moyen, et ce sera d'une manière à laquelle tu ne pensais pas et que tu n'aurais jamais imaginé. Laisse-lui [1173] tout faire; perds-toi, mais prends garde de ne te perdre que sur la Croix. C'est là que tu te trouveras parfaitement; mais tu ne pourras le faire qu'avec la lumière parfaite. C'est pourquoi je t'ai dit que je désirais te voir avec une vraie et parfaite lumière, autre que la lumière générale, comme nous l'avons expliqué. Ne dormons plus en nous abandonnant au sommeil de la négligence; gémissons, par d'humbles et continuelles prières, sur le corps mystique de la sainte Eglise et sur le Vicaire de Jésus-Christ. Ne cessons de prier pour lui, afin que Dieu lui donne la lumière et la force pour résister aux attaques des démons incarnés, qui s'aiment eux-mêmes et qui veulent souiller notre foi; c'est le temps de pleurer.

7. Pour ce qui est de ma visite, prie l'éternelle bonté de Dieu qu'elle fasse ce qui sera utile à l'honneur et au salut des âmes, surtout maintenant, que je vais à Rome accomplir la volonté de Jésus crucifié et de son Vicaire. Je ne sais quelle route je prendrais Prie le Christ, le doux Jésus qu'il me conduise par celle qui conviendra le mieux à sa gloire, à la paix et au repos de nos âmes. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1174].






Lettre n. 212, A MADAME LAPA, SA MERE

CCXII (166).- A MADAME LAPA, SA MERE.- Elle l'exhorte à la vertu de patience, et a la résignation à la volonté de Dieu.

(Lapa, mère de sainte Catherine, était de la famille Piagenti. Elle fut mariée a Jacques Benincasa, et en eut vingt-cinq enfants. Devenue veuve, elle prit l'habit du tiers ordre de Saint-Dominique, comme le prouve un bref de Grégoire XI, qui lui est adressé, ainsi qu'à Lisa, sa belle-fille. On lit: Viduis Senensibus sororibus de Poenitentia B. Dominici. Lapa vécut jusqu'à une extrême vieillesse, comme sainte Catherine le lui avait prédit. (Voir Vie de sainte Catherine, II. p., ch. VIII et la Lettre du B. E. Maconi.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Ma très chère Mère dans le Christ, Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie servante de Jésus crucifié, affermie dans la vraie patience; car sans la patience, nous ne pouvons plaire à Dieu. Dans la patience nous montrons le désir de l'honneur de Dieu et du salut des âmes; cette vertu fait voir aussi que l'âme est revêtue de la douce volonté de Dieu, car elle se réjouit de tout, elle est contente de tout ce qui lui arrive. Aussi la créature qui est revêtue de ce doux vêtement, possède toujours la paix et se plaît à souffrir pour la gloire et la louange du nom de Dieu;elle se donne elle-même, avec ses enfants, ses biens, sa vie pour l'honneur de Dieu. Je veux que vous agissiez ainsi, ma très chère [1175] Mère; offrez votre volonté et votre indigne, votre misérable fille pour le service et l'honneur de Dieu, pour le salut des âmes, avec une vraie et bonne patience, vous nourrissant du fruit de la très sainte Croix avec cet humble et tendre Agneau: et alors rien ne vous paraîtra pénible. Dépouillez-vous de l'amour-propre sensitif, parce que c'est le moment de travailler à l'honneur de Dieu et au service du prochain. En vous dépouillant de l'amour-propre, vous marcherez avec joie et sans peine. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 213, A MADAME LAPA SA MERE

CCXIII (167). - A MADAME LAPA SA MERE, et ma soeur Cecca, au monastère de Sainte-Agnès de Montepulciano, pendant qu'elle était à la Roche. Du renoncement à la volonté et aux consolations, à l'exemple des apôtres et de la bienheureuse Vierge Marie.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Ma très chère Mère et ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtues du feu de la divine charité, tellement que toutes les peines, les souffrances, la faim, la soif, les persécutions, les injures, les mépris, les mauvais [1176] traitements, les affronts soient supportés par vous avec une vraie patience, à l'exemple de l'Agneau immolé et consumé pour nous, quand il courut avec tant d'amour à la mort ignominieuse de la Croix. Imitez Marie, notre douce Mère: lorsque les saints Apôtres cherchaient l'honneur de Dieu et le salut des âmes en suivant les traces de son doux Fils, elle consentit à se priver de leur présence, quoiqu'elle les aimât beaucoup, et elle resta seule comme une pauvre étrangère; et les disciples, qui l'aimaient aussi avec une grande tendresse, partirent avec joie, et allèrent souffrir pour l'honneur de Dieu, et endurer les persécutions et les supplices des tyrans. Si vous leur demandiez: Pourquoi partiez-vous avec joie et quittiez-vous Marie? ils vous répondraient: Parce que nous nous étions renoncés nous-mêmes, et que nous nous étions passionnés pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes.

2. Je veux, ma très chère Mère et ma Fille, que vous fassiez de même; et si vous ne l'avez pas fait jusqu'à présent, je veux que vous vous enflammiez du feu de la divine charité, recherchant toujours l'honneur de Dieu et le salut des âmes: autrement vous serez toujours dans la peine et la tribulation, et vous m'affligerez beaucoup. Vous savez bien, ma très chère Mère, que votre misérable fille n'est pas sur terre pour autre chose; c'est à cela que m'a destinée le Créateur. Je sais que vous êtes contente de me voir lui obéir. Je vous en prie, si je reste plus que vous ne le voudriez, n'en soyez pas fâchée, car je ne puis faire autrement; je suis persuadée que si vous connaissiez l'affaire, vous me diriez vous-même [1177] de rester. Je suis ici pour remédier à un grand scandale, si je le puis. Ce n'est pas la faute de la comtesse. Priez donc tous Dieu et la glorieuse Vierge Marie pour que nous réussissions; et vous, Cecca et Justina, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, parce que c'est le moment de montrer la vertu de vos âmes. Que Dieu vous donne à toutes sa douce et éternelle bénédiction. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 214, A MADAME LAPA, SA MERE

CCXIV (168).- A MADAME LAPA, SA MERE.- Elle désire lui voir la vraie connaissance d'elle-même, et de la bonté de Dieu à son égard



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Ma très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie connaissance de vous-même et de la bonté de Dieu en vous, parce que, sans cette vraie connaissance, vous ne pourrez participer à la vie de la grâce. Vous devez avec un saint et véritable zèle vous appliquer à comprendre votre néant, et à reconnaître que tout ce que vous êtes, vous le tenez de Dieu, avec tant de dons et de grâces que vous avez reçus de lui, et que vous en recevez tous les jours. C'est de cette manière [1178] que vous serez reconnaissante, et que vous acquerrez une vraie et sainte Patience; vous ne prendrez pas les petites choses pour les grandes, mais les grandes vous paraîtront petites à souffrir pour Jésus crucifié.

2. Il n'y a de bon chevalier que celui qui a fait ses preuves sur le champ de bataille. De même votre âme doit s'éprouver au milieu des combats de la tribulation; il faut qu'elle donne des preuves de patience, qu'elle ne tourne pas la tête en arrière par impatience, et quelle ne se scandalise pas de ce que Dieu permet. Alors elle pourra se réjouir, et attendre la vie éternelle dans la paix et l'allégresse; car elle se reposera sur la Croix, elle se fortifiera dans les peines et les opprobres de Jésus crucifié, et elle pourra attendre avec raison l'éternelle vision de Dieu. Le Christ en a fait la promesse: ceux qui souffriront les persécutions et les tribulations de cette vie seront ensuite rassasiés, consolés, illuminés dans l'éternelle vision de Dieu. Ils goûteront pleinement et sans mesure sa douceur; même dans cette vie, Dieu commencera à consoler ceux qui souffrent pour lui. Mais sans la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, nous ne pourrons jamais arriver à ce bonheur. Je vous prie donc, autant que je le sais et que je le puis de vous appliquer à l'acquérir, afin que nous ne perdions pas le fruit de nos peines. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1179].






Lettre n. 215, A MADAME LAPA, SA MERE

CCXV (169).- A MADAME LAPA, SA MERE, avant son retour d'Avignon.- Elle cherche à lui faire supporter avec patience son éloignement, parce que l'honneur de Dieu et le salut des âmes le demandent.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Ma bien-aimée Mère dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne et misérable petite fille, Catherine, vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu. J'ai désiré avec un grand désir vous voir la mère véritable non seulement de mon corps, mais aussi de mon âme. Je pense que si vous aimiez plus mon âme que mon corps, toute tendresse exagérée mourrait en vous, et vous ne souffririez pas tant d'être privée de ma présence corporelle. Vous en auriez au contraire de la consolation, et vous voudriez pour l'honneur de Dieu, souffrir la peine que je vous cause, en pensant qu'il s'agit de l'honneur de Dieu: en travaillant à l'honneur de Dieu, j'augmente la grâce et la vertu de mon âme. Il est donc bien vrai, ma très douce Mère, qu'en aimant plus mon âme que mon corps, vous serez consolée au lieu d'être affligée. Je veux que vous écoutiez Marie, cette douce Mère qui, pour l'honneur de Dieu et le salut de nos âmes, nous a donné son Fils mort sur le bois de la très sainte Croix. Et quand Marie resta seule, après l'ascension de Notre-Seigneur, elle resta avec les disciples. Il est bien certain que c'était pour elle et pour les disciples une grande consolation, et que ce fut [1180] une grande peine lorsqu'il fallut les quitter pour la gloire et l'honneur de son Fils et pour le bien du monde entier. Elle y consentit, et elle voulut qu'ils partissent; elle préféra la peine de leur départ à la consolation de leur présence à cause de l'amour qu'elle avait pour l'honneur de Dieu et pour notre Salut.

2. Profitez de son exemple, ma chère Mère. Vous savez qu'il faut que je suive la volonté de Dieu, et je sais que vous voulez que je la suive. Sa volonté a été que je parte, et ce départ n'a pas été sans dessein secret de sa providence et sans résultats bien utiles. Si je suis resté, c'est par sa volonté et non par la volonté de l'homme; et celui qui dira le contraire se trompe, et n'est pas dans la vérité. Il faut que j'aille, en suivant ses traces de la manière et au moment qu'il plaira à son ineffable bonté; et vous, comme ma bonne et douce Mère, vous devez être contente et ne pas vous affliger de souffrir toute sorte de peines pour l'honneur de Dieu, pour votre salut et pour le mien. Rappelez-vous ce que Vous faisiez pour les biens temporels, lorsque vos enfants s'éloignaient de vous pour acquérir des richesses; et maintenant que c'est pour acquérir la vie éternelle vous en souffrez tant que vous dites que vous allez mourir si je ne vous réponds pas bien vite. Cela vient de ce que vous aimez plus la partie de moi-même que j'ai tirée de vous que celle qui me vient de Dieu, c'est-à-dire la chair dont vous m'avez revêtue. Elevez, élevez donc un peu votre coeur et votre amour vers la douce et très sainte Croix, qui adoucit toute peine, Consentez à souffrir un peu de peine passagère pour éviter [1181] la peine infinie que méritent nos péchés; fortifie-vous dans l'amour de Jésus crucifié, et ne croyez pas être abandonnée de Dieu, ni de moi. Vous serez consolée, et vous le serez abondamment. La peine n'est pas si grande que sera grande la joie. Nous reviendrons avec la grâce de Dieu; et nous serions déjà de retour, sans l'obstacle que nous a causé la maladie grave de Néri (Cette lettre est écrite de Gênes, où Nèri fut guéri miraculeusement par les prières de sainte Catherine. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. VIII.). Maître Jean et frère Barthélemy aussi ont été malades. Je termine. Nous nous recommandons à vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 216, A SOEUR CATHERINE, SOEUR URSULE

CCXVI (170). - A SOEUR CATHERINE, SOEUR URSULE, et aux autres dames de Pise. - L'âme unie à Dieu par la charité ne peut en être séparée par aucune tribulation et par aucune attaque du démon.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mes Filles bien-aimées dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baignées et anéanties dans le sang de l'Agneau immolé, parce que je vois que dans ce sang, nous avons la vie. Aussi je veux, mes très chères Filles, que vous ouvriez l'oeil de votre intelligence pour regarder dans le [1182] vase de la connaissance de vous-mêmes. Oui vous trouverez en vous un vase qui reçoit le glorieux et précieux sang, parce qu'au sang est uni la nature divine mêlée au feu de la charité; et l'aine qui regarde dans le vase de la connaissance de soi-même trouve ce sang, que Dieu a donné par le moyen de son Fils. Mais parce que ce sang n'a été versé que pour le péché, l'âme y trouve la connaissance de soi-même; et en se voyant pleine de défauts, elle voit encore dans ce sang la divine justice; car c'est pour punir le péché commis que ce sang a été répandu. Alors l'âme comprend que l'éternelle volonté de Dieu ne cherche et ne veut autre chose que sa sanctification; s'il avait voulu autre chose que notre bien, il ne nous eût pas donné ainsi la vie.

2. Contemplez-vous dans le sang que vous trouverez en vous-mêmes. Fixez, fixez l'oeil de votre intelligence sur la puissance du Père, que vous trouvez dans ce sang par l'union de la nature divine à la nature humaine. Vous y trouverez encore la sagesse du Fils et dans cette sagesse vous connaîtrez son éternelle et souveraine bonté et notre profonde misère, parce que vous trouverez la clémence de l'Esprit-Saint, qui a été le lien qui unit Dieu à l'homme et l'homme à Dieu, et qui a cloué et fixé le Verbe sur le bois de la très sainte Croix. C'est ainsi que votre volonté fortifiera et augmentera son amour, et vous vous lierez tellement avec Jésus crucifié, que ni le démon ni les créatures ne pourront jamais vous en Séparer; mais tout ce qui vous arrivera de contraire vous fortifiera dans l'amour et l'union de Dieu et du prochain, car la vertu s'éprouve [1183] par les contraires, et plus l'âme est éprouvée, plus son union avec le Créateur est parfaite. Il vous semble quelquefois que les tribulations vous séparent de l'union et de la vertu il n'en est rien; elles sont même un moyen d'accroître cette union et cette vertu; car l'âme sage qui est revêtue du sang de Jésus crucifié, quand elle se voit persécutée et foulée aux pieds par le monde, se sépare davantage du monde; et si ce sont des combats qui viennent du démon, ils sont cause qu'elle s'humilie, qu'elle secoue le sommeil de la négligence et qu'elle arrive à un zèle plus parfait. Si vous êtes sages et prudentes, ces épreuves dissiperont toute ignorance, et vous concevrez une connaissance et une lumière qui vous procureront la grâce d'avoir non seulement la lumière en vous, mais encore de la répandre au dehors par vos exemples et le reflet de vos vertus sur toutes les autres créatures; et vous accomplirez ainsi la parole de notre Sauveur, qui nous commande d'être une lampe ardente qui répand la lumière et non les ténèbres.

3. Ainsi donc, mes Filles bien-aimées, que je ne vous trouve plus endormies dans les ténèbres de l'amour-propre; mais soyez remplies d'un amour ineffable qui vous fera chercher vous-mêmes pour Dieu, le prochain pour Dieu, et Dieu pour Dieu, car il est l'éternelle et souveraine Bonté, digne d'être aimée et de n'être pas offensée par nous. Je termine. Aimez-vous les unes les autres, mes très chères et bien-aimées Filles, et liez-vous par les liens d'une véritable et ardente charité. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1184].






Lettre n. 217, A FRANÇOISE

CCXVII (171). - A FRANÇOISE, fille de François Tholomei, religieuse de l'ordre de Saint-Dominique, lorsqu'elle était malade.- De la patience dans les infirmités, et les épreuves que Dieu lui envoie. - Cette patience s'acquiert par l'amour et la considération de la divine bonté.

(Françoise Tholomei fut convertie par les exhortations de sainte Catherine. avec sa soeur Ginocchia. Elles prirent l'habit de tertiaire, et moururent en odeur de sainteté. (Vie de sainte Catherine, Ire p., ch. VII .)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang. avec le désir de te voir une vraie et sainte patience, afin que tu portes avec courage la maladie et tout ce que Dieu permet qu'il t'arrive, comme doit le faire une véritable servante et épouse de Jésus crucifié. Oui, l'épouse ne doit pas oublier la volonté de son époux. Mais remarque bien, ma très chère Fille, que jamais ta volonté ne sera unie et soumise à celle de Dieu, si tu ne regardes pas, à la lumière de la très sainte Foi, combien tu as été aimée de lui; en te voyant aimée, tu ne pourras t'empêcher de l'aimer, et en l'aimant, tu détesteras la sensualité, qui rend impatiente l'âme qui l'aime; et dès que tu la détesteras tu deviendras patiente, parce que tu te connaîtras à la lumière. Mais où trouveras-tu cet amour? Dans le sang de l'humble Agneau sans tache, qui, pour laver [1185] la face de son Epouse, a couru à la mort. honteuse de la Croix; et par le feu de sa charité il l'a purifiée de sa faute, en la lavant dans l'eau du saint baptême. Ce baptême n'agit en nous que par la vertu du Sang, et le Sang a été la couleur qui a rendu vermeille la face de l'âme, qu'avait rendue toute pâle la faute d'Adam. Tout cela s'est fait par amour.

2. Tu vois donc que le sang te montre l'amour de Dieu pour toi. Il est l'éternel Epoux qui ne meurt jamais; il est la souveraine sagesse, la souveraine puissance, la souveraine clémence, la souveraine bonté, tellement que le soleil lui-même est ravi de sa beauté. Il est la souveraine pureté, ai bien que plus l'âme qui est son épouse, s'approche de lui, plus elle devient pure et libre de tout péché, plus elle respire le parfum de la virginité; et aussi l'épouse, qui voit combien il aime la pureté, s'applique à s'approcher de lui pal' le moyen qui peut l'unir plus parfaitement à lui. Quel est ce moyen? C'est la prière humble, fidèle et persévérante. Je dis humble, par la connaissance d'elle-même; persévérante, par la persévérance des saints désirs, et fidèle par la connaissance que tu asile Dieu, en voyant qu'il est fidèle et qu'il peut te donner ce que tu demandes; car il est la souveraine sagesse qui sait, et la souveraine clémence qui veut te donner plus que ta ne sais demander.

3. Quand ainsi tu seras parvenue à une patience parfaite, en tout lieu, en tout temps, en tout état que tu te trouves et que tu te trouveras, dans la maladie ou dans la santé, dans les combats ou dans le repos, il ne faudra pas croire que les épreuves souillent l'âme quand la volonté ne les reçoit avec aucun [1186] plaisir. Si l'âme sent que la volonté ne les aime pas elle doit prendre courage, et ne pas se laisser aller au trouble et aux ennuis de l'esprit; mais elle doit voir que Dieu les permet pour lui donner l'humilité, pour la conserver et l'augmenter en elle. Je veux que tu fasses ainsi. Réjouis-toi, réjouis-toi, ma Fille, de ce que Dieu, dans sa miséricorde t'a jugée digne de souffrir pour lui; pense que tu n'en as pas digne et en le faisant, tu te soumettras en toute chose à la volonté de ton doux Epoux, tu accompliras en toi la volonté de Dieu et le désir de mon âme; car je t'ai dit que je désirais te voir une véritable et sainte patience; je t'en conjure et je le veux. Que ton très doux Epoux veuille bien t'en faire la grâce pour encore un peu de temps. Je ne t'en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 218, A SOEUR JEANNE DE CAPO

CCXVIII (172). - A SOEUR JEANNE DE CAPO, et à soeur Françoise, à Sienne.- De la vertu de charité et de ses effets.

(Jeanne de Capo était disciple de sainte Catherine, et l'accompagna lorsque le Pape Grégoire XI l'envoya négocier la paix à Florence. Elle fut guérie miraculeusement du mal de pied qui l'empêchait de marcher. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. XI )



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mes très chères et bien-aimées Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine la servante et [1187] l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir toutes enflammées et consumées du feu de la divine charité, de sorte que tout amour-propre, toute froideur de coeur, toutes ténèbres d'esprit soient bannis de vos âmes. C'est là l'effet de la divine charité, qui agit sans cesse et ne se lasse jamais. Elle est comme l'usurier, qui gagne toujours avec le temps: s'il dort il gagne, s'il mange il gagne; quoi qu'il fasse il gagne, et ne perd jamais le temps; ce n'est pas l'usurier, c'est le trésor du temps qui rapporte. Ainsi fait l'épouse qui aime le Christ, lorsqu'elle est enflammée de la divine charité; elle gagne toujours, et n'est jamais oisive; elle dort, et la charité travaille; qu'elle mange, qu'elle dorme, qu'elle veille, tout lui profite. O charité pleine de joie! tu es cette mère qui nourrit les enfants des vertus sur ton sein; tu es plus riche que toutes les richesses; et l'âme qui se revêt de toi ne peut être pauvre. Tu lui donnes la beauté, car tu la rends une même chose avec toi, puisque, comme dit saint Jean, Dieu est charité, et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu en lui (1Jn 4,16).

2. O Filles bien-aimées! la joie, le bonheur de mon âme, regardez l'excellence et la dignité que vous avez reçues de Dieu par le moyen de cette mère, la charité. Si l'amour que Dieu a eu pour sa créature l'a forcé de nous tirer de lui-même, et de nous donner son image et sa ressemblance, c'est uniquement pour que nous soyons heureux, pour [1188] que nous le goûtions, et pour que nous participions à son éternelle beauté. Il ne nous a pas fait des animaux sans intelligence et sans mémoire, mais il nous a donné la mémoire pour retenir ses bienfaits, l'intelligence pour comprendre son éternelle volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification, et la volonté pour l'aimer. Le regard de l'intelligence comprend que la volonté du Verbe est que. nous suivions la voie de la très sainte Croix, en supportant les peines, les mauvais traitements, les mépris, les injures pour Jésus crucifié, qui est en nous et nous fortifie; la volonté se lève aussitôt, embrasée par le feu de la charité, et elle court aimer ce que Dieu aime, haïr ce que Dieu hait, si bien qu'elle ne veut chercher, désirer et embrasser que l'éternelle et souveraine volonté de Dieu. Parce qu'elle a vu et compris que Dieu ne veut que notre bien, et qu'il aime à être suivi dans. la voie de la Croix, elle est contente et se réjouit de ce que Dieu permet; elle accepte la maladie, la pauvreté, les injures, ou des commandements insupportables et indiscrets; elle se réjouit de toutes ces choses, pares qu'elle voit que Dieu les permet pour son utilité et sa perfection.

3. Et je ne m'étonne pas si elle est libre de toute peine, car elle a éloigné d'elle la chose qui cause la peine, c'est-à-dire sa volonté fondée sur l'amour-propre, et qu'elle a revêtu la volonté de Dieu, fondée sur la charité. Si vous me dites: Ma Mère, comment nous en revêtir? Je vous répondrai Par la haine et par l'amour. L'amour vous revêtira d'amour. Celui qui prend un vêtement se dépouille du vieux [1189] par haine, et il prend le nouveau par amour; et, mes chères Filles, est-ce ce vêtement qui revêt? Non, c'est l'amour; car le vêtement ne changerait pas si la créature n'en voulait pas, un autre par amour. Où pourrons-nous trouver cette haine? dans la seule connaissance de nous-mêmes. En voyant votre néant vous perdrez tout orgueil, et vous concevrez unè humilité sincère. Cette connaissance fait trouver la lumière et la grandeur de la bonté de Dieu, et son ineffable et salutaire charité, qui ne nous est pas cachée. Elle était cachée à nos esprits grossiers avant que le Verbe, le Fils unique de Dieu, s'incarnât; mais depuis qu'il a voulu être notre frère en se revêtant de notre grossière humanité, il s'est manifesté à nous, et il a été élevé de terre pour que le feu de son amour fût aperçu de toute créature, et qu'il attira par sa force tous les coeurs. Oui, il est bien vrai que l'amour transforme, et qu'il fait une seule chose de celui qui aime et de celui qui est aimé.

4. Appliquez-vous donc, mes chères Filles, à étendre les bras de votre amour, pour prendre et retenir dans votre mémoire ce qu'a compris votre intelligence. De cette manière, vous accomplirez le désir de Dieu et le mien en vous. Je vous verrai embrasées, consumées, revêtues du feu de la divine charité. Faites, faites que vous vous nourrissiez du précieux Sang, pour que notre moment vienne bientôt. Ne vous étonnez pas si nous ne sommes pas encore venues; nous viendrons bientôt, s'il plaît à la bonté divine - Le service de l'Eglise et la volonté du Saint-Père ont un peu retardé mon arrivée. Je vous [1190] conjure et je vous commande, mes Filles et mes Fils, de prier, d'offrir vos saints et ardents désirs en la présence de Dieu pour la sainte Eglise, car elle est bien persécutée. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.







Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 210, A LA MEME