Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 218, A SOEUR JEANNE DE CAPO

Lettre n. 219, A LA MEME SOEUR JEANNE

CCXIX (173).- A LA MEME SOEUR JEANNE, et à ses autres filles, à Sienne.- De la mansuétude de Jésus-Christ; de la douceur qu'il nous a enseignée par son exemple.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chères et bien-aimées Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, l'Agneau doux et sans tache, qui fut immolé, non par la force des clous et de la lance, mais par la force de l'amour et de la charité infinie qu'il avait et qu'il a pour la créature. O charité ineffable de notre Dieu! vous m'avez enseigné votre doux amour, et vous me l'avez montré non seulement par des paroles, car vous disiez que vous s'aimiez pas beaucoup les paroles, mais encore par des actes qui vous plaisent davantage, et que vous demandez de vos serviteurs. Et que m'avez-vous enseigné, charité incréée de mon Dieu? Vous m'avez enseigné que je devais souffrir patiemment comme l'Agneau, non seulement les paroles dures, mais encore les persécutions injustes[1191], les injures et les mauvais traitements. Et vous voulez qu'à son exemple je sois innocente et sans tache, c'est-à-dire sans nuire au prochain ni à aucun de mes frères, non seulement à ceux qui ne me persécutent pas, mais à ceux qui m'accablent d'injures; et vous voulez que nous priions pour eux comme pour des amis choisis qui nous ont été toujours bons et profitables. Non seulement vous voulez que nous soyons patients et doux au milieu des injures et des pertes temporelles, mais généralement dans tout ce qui est contraire à notre volonté, comme vous-mêmes vous n'avez voulu faire en rien votre volonté, mais celle de votre Père. Comment donc pourrions-nous nous révolter contre la Bonté divine? En voulant l'accomplissement de notre volonté coupable. Comment ne voudrions-nous pas l'accomplissement de la volonté de Dieu?

2. O très doux Amour Jésus! faites que toujours votre volonté s'accomplisse en nous comme elle est accomplie dans le ciel par les anges et par les saints. C'est cette douceur, mes bien-aimées Filles dans le Christ Jésus, que notre doux Sauveur veut trouver en vous. Oui, que votre coeur calme et tranquille soit content de tout ce que Dieu ordonne et fait à notre égard. Ne voulons pas le lieu et le temps selon notre caprice, mais- acceptons-les selon son bon plaisir; et alors notre âme, ainsi dépouillée de tout vouloir et revêtue de la volonté de Dieu, est très agréable à Dieu, son maître. Et comme un cheval libre, elle court avec ardeur, de grâce en grâce, de vertu en vertu; aucun frein, aucun lien ne l'empêche de courir, car elle a coupé l'appétit déréglé et le [1192] désir de la volonté, qui sont les freins et les liens qui empêchent l'âme de courir dans les voies spirituelles.

3. Les affaires de la croisade vont de mieux en mieux, et l'honneur de Dieu grandit chaque jour. Et vous, grandissez sans cesse en vertu; approvisionnez le vaisseau de vos âmes, car notre temps s'approche. Prenez courage, et bénissez Françoise de la part de Jésus-Christ et de la mienne; dites-lui qu'elle travaille avec zèle, pour que je la trouve grandie en vertu quand je reviendrai. Bénissez et encouragez tous mes enfants dans le Christ. Ces jours-ci est arrivé l'ambassadeur de la reine de Chypre, qui s'est entretenu avec moi (Eléonore, reine de Chypre, fille du prince d'Antioche, et veuve du roi Pierre Ier, gouvernait cette île pendant la minorité de son fils. Elle était particulièrement intéressée à la croisade, parce qu'elle était plus exposée que tout autre aux attaques des infidèles.); il va trouver le Saint-Père, le Christ sur terre, pour le presser au sujet de la croisade. Le Saint-Père a aussi envoyé à Gênes pour presser à ce sujet. Que notre doux Sauveur vous donne son éternelle bénédiction. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1193].






Lettre n. 220, A CATHERINE DE L'HOPITAL

CCXX (174). - A CATHERINE DE L'HOPITAL, et à Jeanne de Capo. - Combien il faut déplorer les outrages contre Dieu et contre l'Eglise.

(Dello spedallucio. Ce petit hôpital, situé prés du couvent de Saint-Dominique, servait autrefois aux religieux de l'Ordre. Il était sans doute occupé, au XIVe siècle, par les tertiaires malades. Cette compagne de sainte Catherine vivait encore à l'époque du procès de Venise, en1411. Le P. Thomas Caffarini en parle avec éloges dans sa déposition.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Mes très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de nous voir affermies dans une patience véritable et dans une humilité profonde, afin que vous puissiez suivre le doux Agneau sans tache, car vous ne pouvez pas le suivre d'une autre manière. Voici le moment, mes chères Filles, de montrer si nous avons des vertus, et si vous êtes ses enfants. Il faut souffrir avec patience les persécutions, les calomnies, les injures et les outrages de toutes les créatures; il faut le faire avec une humilité sincère, sans se scandaliser, s'impatienter, sans lever la tête avec orgueil contre personne. Vous savez bien que c'est la doctrine qui nous a été donnée, et que c'est sur la Croix qu'il faut se nourrir de l'honneur de Dieu et du salut des âmes avec une [1194] vraie et sainte patience. Oh! oui, mes douces Filles, je vous invite de la part de la Vérité suprême à éloigner de vous le sommeil de la négligence et de l'amour-propre, et à offrir d'humbles et continuelles prières dans les veilles et la connaissance de vous-mêmes; car le monde périt sous le poids de ses iniquités et par les outrages qu'il fait à la douce Epouse du Christ. Rendons honneur à Dieu et service au prochain. Hélas! vous et les autres servantes de. Dieu, ne pensez qu'à sacrifier votre vie dans les soupirs et dans les larmes, car il n'y a pas d'autre moyen d'apaiser la colère de Dieu que nous voyons prête à éclater sur nous.

2. O mes Filles, que je suis à plaindre! je crois que c'est moi, misérable, qui suis cause de tous ces maux par mon ingratitude et les fautes que j'ai commises envers mon Créateur. Hélas! hélas! quel est ce Dieu, qui est offensé par ses créatures? C'est Celui qui est l'éternelle Bonté, Celui dont la charité a créé l'homme à son image et ressemblance, et le fait renaître à la grâce, après son péché, dans le sang du tendre Agneau sans tache, son Fils unique. Et quel est cet homme mercenaire et ignorant qui offense son Créateur? Nous sommes ceux qui ne serions rien par nous-mêmes, si Dieu ne nous avait pas créés; et par nous-mêmes, nous sommes pleins de misère, et il semble que nous ne cherchons que les moyens d'offenser Dieu et la créature en haine du Créateur. Nous voyons de nos yeux misérables persécuter dans la sainte l'Eglise de Dieu, ce précieux sang qui nous a donné la vie. Que nos coeurs se brisent donc dans l'angoisse du désir! Que la vie [1195] quitte nos corps! il vaut mieux mourir que de voir tant d'outrages contre Dieu. Moi, je meurs toute vivante, et je demande la mort à mon Créateur sans pouvoir l'obtenir; il me serait meilleur de mourir que de vivre, pour ne pas voir cette grande ruine qui afflige et qui menace encore les chrétiens. Servons-nous des armes de la sainte prière, car je ne vois pas d'autres ressources. Voici le temps de la persécution pour les serviteurs de Dieu, qui doivent se cacher dans les cavernes de la connaissance d'eux-mêmes, en criant miséricorde vers Dieu par les mérites du sang de son Fils. Je ne veux pas en dire davantage; car si je m'écoutais, mes Filles, je ne finirais pas, tant que Dieu me laisserait un souffle de vie.

3. Maintenant je te dirai, Andréa, que ce n'est pas celui qui commence qui reçoit la couronne de gloire, mais celui qui persévère jusqu'à la mort. O ma Fille! tu as commencé à mettre la main à la charrue de la vertu en t'éloignant du péché mortel et de son vomissement; il faut donc persévérer pour recevoir la récompense de la peine que souffre ton âme, en voulant réprimer sa jeunesse, et l'empêcher de devenir un membre du démon. Hélas! ma Fille, tu ne penses pas que tu serais un membre du démon, si tu t'endormais dans la fange de l'impureté. La miséricorde de Dieu a retiré ton âme et ton corps des misères où tu étais plongée. Il ne faut pas être oublieuse et ingrate, parce qu'il t'arriverait malheur, et que le démon reviendrait avec sept compagnons plus terribles que la première fois. Tu montreras que tu as reconnaissante de la grâce que tu [1196] as reçue, en étant forte contre les attaques du démon, contre le monde et la chair qui te tourmentent, en persévérant dans la vertu. Ma Fille, si tu veux triompher dans les combats, attache-toi à l'arbre de la très sainte Croix par l'abstinence, par les veilles et la prière; baigne-toi par le saint désir dans le sang de Jésus crucifié. Tu acquerras ainsi la vie de la grâce, tu feras la volonté de Dieu, tu satisferas l'ardent désir que j'ai de te voir une véritable servante de Jésus crucifié. Oui, je t'en conjure, sors de l'enfance, et prends pour époux le Christ, qui t'a rachetée de son sang. Si tu veux vivre dans le monde, Il faut attendre que tu puisses le faire comme le veut l'honneur de Dieu et ton bien. Sois soumise et obéissante jusqu'à la mort, et n'abandonne jamais la direction de Catherine et de Jeanne. Je sais qu'elles ne te conseilleront et ne te diront jamais rien qui ne soit utile à l'honneur de Dieu et au salut de ton âme et de ton corps. Si tu ne le fais pas, j'en aurai un grand chagrin, et ta en retireras peu de profit. J'espère de la bonté de Dieu que tu agiras de telle manière, que Dieu y trouvera son honneur, toi une récompense, et moi une grande consolation, Catherine et Jeanne, je vous recommande bien de travailler à l'honneur de Dieu et à son salut jusqu'à la mort. Mes douces Filles, voici le moment de. peines, et ces peines deviennent des consolations par Jésus crucifié. Je m'arrête. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1197].






Lettre n. 221, A CATHERINE DE L'HOPITAL

CCXXI (1175).- A CATHERINE DE L'HOPITAL, et à Jeanne, à Sienne. - Combien il est nécessaire de se dépouiller de notre volonté.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des filles obéissantes et unies dans une vraie et parfaite charité. L'obéissance et l'amour dissiperont vos peines et vos ténèbres; car l'obéissance détruit ce qui cause vos peines, c'est-à-dire la volonté propre et mauvaise qui meurt dans la sainte et véritable obéissance. Les ténèbres sont dissipées et consumées par le feu de la charité et de l'union, car Dieu est la charité véritable et l'éternelle lumière. Celui qui prend pour guide cette lumière ne peut se tromper de chemin. Aussi je veux, mes très chères Filles, puisque cela est si nécessaire, que vous vous appliquiez à perdre vos volontés et à acquérir cette lumière. C'est cette doctrine que je me rappelle bien vous avoir toujours donnée, quoique vous l'ayez peu retenue. Ce que vous n'avez pas fait, très douces Filles, je vous conjure de le faire, et si vous ne le faites pas, vous m'affligerez beaucoup, moi, misérable, qui suis digne de toute peine. Il nous faut faire ce que firent [1198] les saints Apôtres, lorsqu'ils eurent reçu le Saint-Esprit ils se séparèrent les uns des autres et de leur douce Mère Marie. Nous pouvons croire que tout leur bonheur était d'habiter ensemble, et pourtant ils renoncèrent à. ce bonheur pour chercher l'honneur de Dieu et le salut des âmes; et quand Marie les quitta, ils ne pensèrent pas que son amour diminuerait et qu'ils en seraient oubliés. C'est la règle qu'il faut prendre pour nous-mêmes.

2. Je sais la grande consolation que vous donne ma présence; mais, pour pratiquer la véritable obéissance, Vous devez, pour l'honneur de Dieu et le salut des âmes, ne pas chercher votre propre consolation, et ne pas donner prise au démon, qui vous fait croire que vous êtes privées de l'affection et de l'amour que j'ai pour vos âmes et vos corps. S'il en était autrement, vous n'auriez pas raison, car je vous assure que je ne vous aime que pour Dieu. Pourquoi donc ressentir une peine déraisonnable pour des choses qu'il faut faire nécessairement? Oh comment ferons-nous donc dans les grandes circonstances, si nous faiblissons ainsi dans les petites? Dieu nous unit et nous sépare, selon que le moment le demande. Notre doux Sauveur veut et permet que nous soyons séparés pour son honneur. Vous êtes à Sienne; Cecca et Nonna sont à Montepulciano; frère Barthélemi et frère Matthieu ont été vous rejoindre, et resteront; Alessia et soeur Bruno sont à Montjove, éloigné de dix-huit milles de Montepulciano; elles restent avec la comtesse et avec Mme Isa; frère Raymond, frère Thomas, soeur Thomme, Lisa et moi, nous sommes à la Roche, parmi les brigands, et nous avons tant de démons incarnés à [1199] manger (Expression ordinaire à sainte Catherine, qui exhortait tout le monde à se nourrir des âmes sur la table de la sainte Croix. Elle employait ses disciples à la conversion des pécheurs. (Vie de sainte Catherine; 110 p.., ch. 7.), que frère Thomas prétend qu'il en a mal à l'estomac, et pourtant il ne peut s'en rassasier. Ils y prennent profit de plus en plus, et ils sont bien récompensés de leurs peines. Priez la Bonté divine de leur donner de bons morceaux, bien doux et bien amers; pensez que l'honneur de Dieu et le salut des âmes y gagnent beaucoup. Pouvez-vous vouloir ou désirer autre chose? En le faisant, vous ne pourrez faire une chose qui soit plus agréable à l'éternelle volonté de Dieu et à la mienne. Courage donc, mes Filles; commencez à faire le sacrifice de vos volontés à Dieu, et ne demandez pas toujours le lait des enfants, lorsqu'il faut avec les dents du désir, mordre du pain dur et même moisi, s'il en est besoin. Je termine. Liez-vous dans les doux liens de la charité; vous montrerez par là que vous êtes mes Filles, et pas autrement. Prenez courage dans le Christ, le doux Jésus, et fortifiez toutes mes autres filles, etc. Nous reviendrons le plus tôt que nous pourrons, selon le bon plaisir de la Bonté divine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1200].






Lettre n. 222, A SOEUR ALESSIA

CCXXII (176).- A SOEUR ALESSIA, et à soeur Cecca .- De la persévérance, et des deux manières de la perdre, et de s'éloigner de la perfection.

(Soeur Alessia ou Alexis fut une des plus fidèles compagnes de sainte Catherine; elle était de Sienne, et de la famille de Saracini. Devenue veuve elle consacra tous ses biens aux bonnes oeuvres, et revêtit l'habit des tertiaires de Saint-Dominique. Le B. Raymond en fait l'éloge dans sa Légende, IIIe p., ch. 1. La soeur Cecca ou Francesca était veuve de Clément Gori, noble siennois. Ses quatre enfants entrèrent dans l'ordre de Saint-Dominique. Elle mourut à Rome, en 1383, et fut enterrée dans l'église de la Minerve.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constantes et persévérantes dans la vertu, afin que vous ne tourniez pas la tête en arrière pour regarder la charrue. On peut regarder en arrière de deux manières. D'abord, lorsqu'une personne qui est sortie de la fange du monde, tourne la tête pour le plaisir de sa volonté, et fixe le regard de son intelligence sur ce qu'elle avait abandonné; celle-là n'avance pas, et retourne à son vomissement pour reprendre ce qu'elle avait rejeté. Aussi le Christ dit que a personne ne doit se tourner en arrière pour regarder la charrue, c'est-à-dire ne pas se tourner pour regarder ses plaisirs [1201] passés, ni se complaire dans ce qu'on a fait soi-même, mais l'attribuer à la bonté de Dieu. Il faut donc avancer par la persévérance dans la vertu, et ne pas se tourner en arrière, mais vers la connaissance de soi-même, où se trouve la grandeur de la bonté de Dieu. Cette connaissance dépouille l'âme de l'amour-propre et la revêt d'une sainte haine et d'un amour de Dieu qui fait chercher uniquement Jésus crucifié; non pas les créatures, les choses créées ou soi-même, d'une manière sensible, mais le seul Jésus crucifié, dont on aime et on désire les opprobres.

2. Celui qui s'y applique et qui arrache la racine de l'amour-propre marche en avant et ne tourne pas la tête en arrière; mais si cette racine n'est pas entièrement arrachée spirituellement et temporellement, il tournera bientôt la tête de la seconde manière: S'il le fait cette fois, ce n'est pas pour les délices du monde; quand l'Ame a commencé à mettre la main à la charrue de la perfection, cette perfection consiste principalement à se renoncer en toute chose et à tuer sa volonté, plus encore dans les choses spirituelles que dans les choses temporelles, car l'âme a rejeté les choses temporelles, mais elle s'applique aux choses spirituelles. Dans cet état de perfection, l'âme aime véritablement son Créateur et les créatures pour lui, plus ou moins, selon qu'elles l'aiment. Je dis donc que si la racine de l'amour-propre n'est pas entièrement arrachée de cette âme, elle tournera la tête en arrière de la seconde manière, et elle nuira à sa perfection car, ou elle lui nuit en aimant la créature sans mesure, tandis qu'elle devrait seulement aimer Dieu ainsi, et aimer [1202] la créature comme le veut et le demande le Créateur; ou elle ralentira son amour envers la créature, qu'elle aimait particulièrement. Cette diminution de l'amour, qui vient de la faute de ceux qu'on aime, ne peut exister sans diminuer l'amour qu'on a pour Dieu; mais quand elle arrive aux murmures, au scandale par l'éloignement de la personne qu'on aime, ou par la privation de la consolation, elle devient coupable, et ceux qui agissent ainsi tournent la tête en arrière en ralentissant la charité envers le prochain.

3. Ce n'est donc pas là le chemin de la perfection, mais c'est la persévérance. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir constantes et persévérantes dans la vertu. J'ai vu que vous étiez au milieu des loups menaçants, et qu'aucune de vous n'était forte et ne faiblissait pas; j'ai vu tourner la tête en arrière à celles que je croyais capables de lutter contre les vents et de résister à tout jusqu'à la mort; je croyais qu'elles ne détourneraient pas, non seulement le visage, mais encore le regard. C'est une preuve que la racine n'est pas entièrement arrachée; car, si elle était arrachée, nous ferions ce que doivent faire les vrais serviteurs de Dieu, que les épines, les ronces, les murmures, les conseils, les créatures, les menaces et la crainte des parents ne font jamais reculer; nous suivrions Jésus crucifié dans la prison et dans la mort, nous suivrions ses traces en portant le joug de la vraie et sainte obéissance à la règle. Je ne dis pas cela pour moi, car si ces personnes voulaient m'obéir, je ne le voudrais pas. Non, je ne m'en afflige pas pour moi, mais pour le tort qu'elles font à la perfection [1203] de leur âme; car, pour moi, j'en profite; c'est encore un moyen de connaître mon ignorance et l'ingratitude, qui m'empêchent de bien choisir le moment et de comprendre les grâces que j'ai reçues de mon Créateur; elle me font donc pratiquer la vertu. Mais je n'ai pas voulu me taire, parce que la mère est obligée de dire ce qui est utile à ses enfants. Je vous ai enfantées, vous et les autres, avec bien des larmes et bien des sueurs; et je vous enfanterai jusqu'à la mort, comme Dieu m'en fera la grâce dans ces jours de douce solitude que Dieu donne, à moi et à cette pauvre famille de la Vérité suprême. Il semble qu'il veut que je renouvelle les provisions du vaisseau de mon âme, en ne recevant de consolation que de mon Créateur, et en m'appliquant à chercher et à connaître la douce vérité, en criant et en priant en la présence de Dieu pour le salut du monde entier. Que Dieu nous donne, à vous, à moi et à tous, la grâce de le faire avec un grand zèle.

4. Recommandez à Theopento qu'il prie Dieu pour nous, maintenant qu'il est dans sa cellule, pendant que nous sommes voyageurs et pèlerins sur cette terre, où nous goûtons le lait et les épines de Jésus crucifié. Dites-lui qu'il lise cette lettre. Que celui qui a des oreilles écoute, que celui qui a des yeux voie, que celui qui a des pieds marche sans tourner la tête en arrière; oui, qu'il marche en avant, à la suite de Jésus crucifié, et que ses mains accomplissent de saintes et vraies bonnes oeuvres, fondées sur Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1204].






Lettre n. 223, A SOEUR ALESSIA

CCXXIII (177).- A SOEUR ALESSIA.- De la manière d'arriver à la perfection.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, etc., moi, ton indigne et misérable Mère, je désire que tu arrives à la perfection pour laquelle Dieu t'a choisie. Il me semble que pour y arriver, il faut marcher avec ordre, et non pas sans direction; il faut faire toutes nos oeuvres avec mesure et sans mesure. Il convient d'aimer Dieu sans mesure; l'amour que nous avons pour lui doit être sans bornes, sans limites, sans exception; mais pour arriver à la perfection de l'amour, il faut régler ta vie. La première règle est de fuir la conversation de toute créature, à moins que la charité ne le réclame; il faut aimer beaucoup le prochain et le rechercher peu; et même, avec les personnes que tu aimes d'un amour spirituel, il faut parler avec mesure. Si tu ne le fais pas, pense que cet amour sans mesure que tu dois avoir pour Dieu en souffrira, car sa créature finie lui sera un obstacle. Tu l'aimeras de l'amour sans mesure que tu devais à Dieu; ce sera un obstacle à ta perfection, car, même spirituellement, tu dois aimer avec mesure.

2. Que ton amour soit comme un vase que tu emplis dans une fontaine, et qui te sert à boire dans [1205] cette fontaine (). Si tu retires ton amour de Dieu, qui est la fontaine d'eau vive, si tu ne bois pas continuellement en lui, ton vase deviendra vide; ce sera une preuve que tu ne bois pas pleinement en Dieu. Quand la personne que tu aimes te cause quelque peine, ou par les rapports que tu as avec elle, ou par la privation des consolations que tu avais l'habitude d'en recevoir, ou par quelques autres circonstances qui se présentent, si tu souffres alors d'autre chose que de l'offense qui est faite à Dieu, c'est une preuve manifeste que cet amour est encore imparfait, et que tu bois hors la fontaine. Comment donc rendre parfait cet amour, qui est imparfait? Le moyen est de corriger et de châtier les mouvements de ton coeur par la connaissance de toi-même, par la haine et le mépris de ton imperfection, c'est-à-dire en te reprochant d'être assez grossière pour donner à la créature l'amour que tu devais tout entier à Dieu, pour aimer la créature sans mesure, et Dieu avec mesure. Car l'amour de la créature doit avoir pour mesure celui de Dieu, et non les consolations spirituelles ou temporelles. Ainsi, efforce-toi d'aimer tout en Dieu et de corriger tes affections mal réglées.

3. Fais-toi, ma Fille, deux habitations: l'une dans ta cellule, pour ne pas aller causer de tous les côtés, et pour n'en sortir que par nécessité, par obéissance à la prieure, ou par charité. Fais-toi une autre habitation spirituelle que tu porteras toujours avec toi c'est la cellule de la vraie connaissance de toi-même. Tu y trouveras la connaissance de la bonté de Dieu [1206] à ton égard; ce sont deux cellules dans une; et, en étant dans une, il ne faut pas quitter l'autre, car l'âme tomberait ainsi dans le trouble ou la présomption. Si tu ne connaissais que toi-même, tu tomberais dans le découragement; si tu ne connaissais que la bonté divine, tu tomberais dans la présomption. Il faut donc que les deux connaissances soient unies l'une à l'autre et ne fassent qu'une même chose. En agissant ainsi, tu arriveras à la perfection; car, par la connaissance de toi-même, tu acquerras la haine de ta propre sensualité, et par cette haine tu deviendras un juge, tu t'assoiras sur le tribunal de ta conscience; tu jugeras et tu ne laisseras passer aucun défaut sans en faire justice.

4. Cette connaissance est la source de l'humilité, qui ne se glorifie et ne se scandalise aussi de rien; mais l'âme est patiente, et supporte avec joie les injures, la perte des consolations et toutes sortes de peines, de quelque côté qu'elles viennent. La honte lui paraît une gloire, et les grandes persécutions un repos; elle s'en réjouit, parce qu'elle y voit la punition de cette loi mauvaise de la volonté sensitive qui se révolte toujours contre Dieu, et parce qu'elle devient semblable à Jésus crucifié, qui est la voie et la doctrine de la vérité. Dans la connaissance de Dieu tu trouveras le feu de la divine charité.

5. Où seras-tu heureuse? sur la Croix avec l'Agneau sans tache, en cherchant son honneur et le salut des âmes par d'humbles et continuelles prières. C'est là qu'est toute notre perfection. Il y a encore bien des choses à faire, mais celle-là est la principale; et nous [1207] en recevons tant de lumières, que nous ne pouvons nous tromper dans les petites actions qui en dépendent.

6. Réjouis-toi, ma Fille, de partager les opprobres du Christ, et veille sur les mouvements de ta langue pour qu'elle ne réponde pas quelquefois aux mouvements de ton coeur; mais cache ce que tu as dans le coeur, par haine et par mépris pour toi-même. Fais que tu sois la plus petite des plus petites; soumets-toi avec patience et humilité à toute créature pour Dieu. Ne t'excuse pas, mais reconnais ta faute; tu triompheras ainsi du vice dans ton âme et de celle de la personne à laquelle tu parles avec humilité. Règle bien ton temps; veille la nuit après avoir pris le sommeil nécessaire à ton corps, et le matin va prier à l'Eglise sans t'occuper de frivolités jusqu'à l'heure fixée. Ne change rien à tout ton règlement, si ce n'est par nécessité, par obéissance ou par charité. Après l'heure des repas, recueille-toi un peu, puis occupe-toi de quelque travail manuel qui pourra t'être utile. A l'heure de vêpres, tu iras sans t'arrêter, et tu feras ce que le Saint-Esprit te fera faire; mais tu reviendras, et tu soigneras ta vieille mère avec zèle, tu la fourniras de tout ce dont elle a besoin; c'est là ton devoir. Tâche d'ici à mon arrivée de faire tout ce que je désire. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1208].






Lettre n. 224, A SOEUR ALESSIA

CCXXIV (178). - A SOEUR ALESSIA, de l'Ordre de Saint-Dominique, pendant qu'elle était à La Roche. Il faut, à la lumière de la Foi, suivre la voie de Jésus-Christ.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir suivre la doctrine de l'Agneau sans tache, d'un coeur libre et dépouillé de la créature, et revêtu du Créateur, à la lumière de la très sainte Foi; car sans cette lumière tu ne pourras marcher dans la voie droite de l'Agneau sans tache immolé pour nous. Oui, mon âme désire vous voir toi et les autres, fortes et courageuses, ne tournant pas la tête au moindre vent qui souffle. Prends garde de tourner la tête en arrière, mais va toujours devant toi en te rappelant la doctrine qui t'a été donnée. Visite chaque jour le jardin de ton âme à la lumière de la Foi, pour en arracher les épines qui étoufferaient la bonne semence, et pour remuer la terre, c'est-à-dire pour dépouiller ton coeur. Ce dépouillement est absolument nécessaire. Bien souvent j'ai vu ceux qui semblaient dépouillés, et je les ai trouvés vêtus, en m'arrêtant plus à leurs oeuvres qu'à leurs paroles: les paroles trompent souvent, mais les oeuvres montrent la réalité. Je veux donc que ta sois véritablement dépouillée, pour suivre [1209] Jésus crucifié: et tâche surtout d'habituer ta bouche au silence. Je me suis aperçue, il me semble, que ta compagne ne l'observait pas bien. C'est pour moi un grand chagrin; si mon Créateur veut que je l'aie, je le supporterai avec joie, mais je ne puis être contente de l'offense qui est faite à Dieu.

2. Tu m'écris qu'il semble que Dieu te pousse dans l'oraison à prier pour moi; j'en rends grâce à la Bonté divine, qui témoigne tant d'amour à mon âme si misérable. Tu me dis de t'écrire si je suis dans la peine, et si j'ai ressenti mes infirmités habituelles. Je te répondrai que Dieu a pourvu à tout, à l'intérieur; et à l'extérieur, pour le corps, il y a pourvu très bien pendant l'Avent, en adoucissant les peines par des lettres. Il est vrai que la Bonté divine a voulu que les peines fussent plus graves qu'à l'ordinaire; mais, si elle les a rendues plus graves, elle a voulu aussi que Lisa fût guérie en même temps que frère Santi, qui était malade et sur le point de mourir (Vie de Sainte Catherine, IIe p., ch. 8 ). Maintenant sa santé s'est améliorée comme par miracle, et on peut dire qu'il est guéri.

3. Il semble que mon Epoux, qui est la Vérité éternelle, a voulu faire une douce expérience à l'intérieur et à l'extérieur de moi-même, sur les choses qui se voient et qui ne se voient pas; et celles qui ne se voient pas sont bien plus nombreuses que celles, qui se voient; mais il a mis tant du sien dans cette expérience, que la langue est incapable de le raconter. Aussi je veux que les peines soient ma nourriture, les larmes mon breuvage; et les sueurs mes parfums [1210]. Oui, je veux que les peines m'engraissent; les peines me guériront, les peines me donneront la lumière, les peines couvriront ma nudité, les peines me dépouilleront de tout amour-propre spirituel et temporel. La peine que m'a causée la privation de la consolation de toute créature, m'a rappelé mon manque de vertu, et m'a fait connaître mon imperfection et la lumière parfaite de la douce vérité de Celui qui veille sur tout, et qui s'arrête aux saints désirs et non pas aux personnes. Il n'a pas retiré sa bonté de dessus moi, malgré mon ingratitude, mon peu de lumière, mon ignorance; mais il n'a écouté que lui-même, et il est souverainement bon.

4. Je te prie par l'amour de Jésus crucifié, ma Fille bien-aimée, de ne pas ralentir tes prières, de les redoubler même, car j'en ai plus grand besoin que tu ne crois. Remercie aussi la bonté de Dieu pour moi, et demande-lui qu'il me fasse la grâce de donner ma vie pour lui, qu'il m'ôte s'il lui plaît le fardeau de mon corps, car ma vie n'est guère utile aux autres; elle est plutôt pénible et à charge à tout le monde, de loin et de près, à cause de mes péchés. Que Dieu, dans sa bonté, me délivre de mes nombreux défauts, et que, pendant le peu de temps qui me reste, il me fasse vivre tout embrasée de l'amour de la vertu. Que j'offre dans mes peines, de douloureux et ardents désirs en sa présence, pour le salut de tous les hommes et pour la réforme de la sainte Eglise. Réjouis-toi, réjouis-toi sur la Croix avec moi, car la Croix est un lit où se repose l'âme, une table où elle savoure la nourriture et le fruit de la patience dans le calme et la paix [1211].

5. Ce que tu m'as écrit m'a beaucoup consolée. J'espère que cette personne changera de vie, et qu'elle ne se conduira plus avec la vanité du coeur qu'elle a eue jusqu'à présent. Quant aux enfants qui marchent à la lumière du saint baptême, que Dieu leur donne sa très douce grâce; mais qu'il leur donne la mort, s'ils ne doivent pas être bons. Bénis-la, et encourage-la dans le Christ, le doux Jésus. Dis-lui qu'elle vive dans la sainte et douce crainte de Dieu, et qu'elle lui soit reconnaissante de la grâce qu'elle a reçue; cette grâce n'est pas petite, mais bien grande. Si elle était ingrate, elle déplairait bien à Dieu, et peut-être qu'elle serait bientôt punie.

6. Je vous recommande ceux que vous savez. Je n'en ai eu aucune nouvelle, et je n'en sais pas la raison. Que la volonté de Dieu soit faite. Notre Sauveur m'a placée dans une 11e que les vents frappent de tous les côtés. Réjouis-toi de tout en Jésus crucifié; il nous éloigne l'une de l'autre. Renferme-toi dans la cellule de la connaissance de toi-même. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.







Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 218, A SOEUR JEANNE DE CAPO