1930 Casti Connubii 39
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Mais, outre cette ferme indissolubilité, ce bien du sacrement contient d'autres avantages beaucoup plus élevés, parfaitement indiqués par le vocable de sacrement ; ce n'est pas là, en effet, pour les chrétiens, un mot vide de sens en élevant le mariage de ses fidèles à la dignité d'un vrai et réel sacrement de la Loi Nouvelle, Notre-Seigneur, "qui a institué et parfait les sacrements", a fait très effectivement du mariage le signe et la source de cette grâce intérieure spéciale, destinée à "perfectionner l'amour naturel, à confirmer l'indissoluble unité, et à sanctifier les époux". DS 1799
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Et parce que le Christ a choisi pour signe de cette grâce le consentement conjugal lui-même validement échangé entre les fidèles, le sacrement est si intimement uni avec le mariage chrétien qu'aucun vrai mariage ne peut exister entre des baptisés "sans être, du même coup, un sacrement". CIS 1012
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Par le fait même, par conséquent, que des fidèles donnent ce consentement d'un coeur sincère, ils s'ouvrent à eux-mêmes le trésor de la grâce sacramentelle, où ils pourront puiser des forces surnaturelles pour remplir leurs devoirs et leurs tâches, fidèlement, saintement, persévéramment jusqu'à la mort.
Car ce sacrement, en ceux qui n'y opposent pas d'obstacle, n'augmente pas seulement la grâce sanctifiante, principe permanent de vie surnaturelle, mais il y ajoute encore des dons particuliers, de bons mouvements, des germes de grâces ; il élève ainsi et il perfectionne les forces naturelles, afin que les époux puissent non seulement comprendre par la raison, mais goûter intimement et tenir fermement, vouloir efficacement et accomplir en pratique ce qui se rapporte à l'état conjugal, à ses fins et à ses devoirs ; il leur concède enfin le droit au secours actuel de la grâce, chaque fois qu'ils, en ont besoin pour remplir les obligations de cet état.
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Il ne faut pas oublier cependant que, suivant la loi de la divine Providence dans l'ordre surnaturel les hommes ne recueillent les fruits complets des sacrements qu'ils reçoivent après avoir atteint l'âge de raison, qu'à la condition de coopérer à la grâce : aussi la grâce du mariage demeurera, en grande partie un talent inutile, caché dans un champ, si les époux n'exercent leurs forces surnaturelles, et s'ils ne cultivent et ne développent les semences de la grâce qu'ils ont reçues. Mais si, faisant ce qui est en eux, ils ont soin de donner cette coopération, ils pourront porter les charges et les devoirs de leur état, ils seront fortifiés, sanctifiés et comme consacrés par un si grand sacrement. Car comme saint Augustin l'enseigne, de même que, par le Baptême et l'Ordre, l'homme est appelé et aidé soit à mener une vie chrétienne, soit à remplir le ministère sacerdotal, et que le secours de ces sacrements ne lui fera jamais défaut, de même, ou peu s'en faut (bien que ce ne soit point par un caractère sacramentel), les fidèles qui ont été une fois unis par le lien du mariage ne peuvent plus jamais être privés du secours et du lien sacramentels. CIS 1110. Bien plus, comme l'ajouté le même saint Docteur, devenus adultères, ils traînent avec eux ce lien sacré, non certes pour la gloire de la grâce désormais, mais pour l'opprobre du crime, "de même que l'âme apostate, même après avoir perdu la foi, ne perd pas, en brisant son union avec le Christ le Sacrement de la foi, qu'elle a reçu avec l'eau régénératrice du baptême".(St Augustin De nupt. Et concup. l. I, Cap. X)
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Que les époux, non pas enchaînés, mais ornés du lien d'or du sacrement, non pas entravés, mais fortifiés par lui, s'appliquent de toutes leurs forces à faire que leur union, non pas seulement par la force et la signification du sacrement, mais encore par leur propre esprit et par leurs moeurs, soit toujours et reste la vive image de cette très féconde union du Christ avec l'Eglise, qui est à coup sûr le mystère vénérable de la plus parfaite charité.
Si l'on considère toutes ces choses, Vénérables Frères, avec un esprit attentif et une foi vive, si l'on met dans la lumière qui convient les biens précieux du mariage - les enfants, la foi conjugale, le sacrement -, personne ne pourra manquer d'admirer la sagesse, la sainteté et la bonté divines, qui, dans la seule chaste et sainte union du pacte nuptial, ont pourvu si abondamment, en même temps qu'à la dignité et au bonheur des époux, à la conservation et à la propagation. du genre humain.
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Tandis que Nous considérons toute cette splendeur de la chaste union conjugale, il Nous est d'autant plus douloureux de devoir constater que cette divine institution, de nos jours surtout, est souvent méprisée et, un peu partout, répudiée.
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Ce n'est plus, en effet, dans le secret ni dans les ténèbres, mais au grand jour, que, laissant de côté toute pudeur, on foule aux pieds ou l'on tourne en dérision la sainteté du mariage, par la parole et par les écrits, par les représentations théâtrales de tout genre, par les romans, les récits passionnés et légers, les projections cinématographiques, les discours radiophonés, par toutes les inventions les plus récentes de la science. On y exalte au contraire les divorces, les adultères et les vices les plus ignominieux, et, si on ne va pas jusqu'à les exalter, on les y peint sous de telles couleurs qu'ils paraissent innocentés de toute faute et de toute infamie. Les livres mêmes ne font point défaut, que l'on ne craint pas de représenter comme des ouvrages scientifiques, mais qui, en réalité, n'ont souvent qu'un vernis de science, pour se frayer plus aisément la route. Les doctrines qu'on y préconise sont celles qui se propagent à son de trompe comme les merveilles de l'esprit moderne - c'est-à-dire de cet esprit qui, déclare-t-on, uniquement préoccupé de la vérité, s'est émancipé de tous les préjugés d'autrefois, et qui renvoie et relègue aussi parmi ces opinions périmées la doctrine chrétienne traditionnelle du mariage.
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Et, goutte à goutte, cela s'insinue dans toutes les catégories d'hommes, riches et pauvres, ouvriers et maîtres, savants et ignorants, célibataires et personnes mariées, croyants et impies, adultes et jeunes gens ; à ces derniers surtout, comme à des proies plus faciles à prendre, les pires embûches sont dressées.
Tous les fauteurs de ces doctrines nouvelles ne se laissent pas entraîner jusqu'aux extrêmes conséquences de la passion effrénée : il en est qui, s'efforçant de s'arrêter à mi-route, pensent qu'il faut seulement en quelques préceptes de la loi divine et naturelle concéder quelque chose à notre temps. Mais ceux-là aussi, plus ou moins consciemment, sont les émissaires du pire des ennemis qui s'efforce sans cesse de semer la zizanie au milieu du froment. Mt 13,25
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C'est pourquoi Nous, que le Père de famille a préposé à la garde de son champ, Nous que presse le devoir sacré de ne pas laisser étouffer la bonne semence par les mauvaises herbes, Nous considérons comme dites à Nous-même par l'Esprit-Saint les paroles si graves par lesquelles l'apôtre Paul exhortait son cher Timothée :-"Mais toi, veille... ton ministère. Prêche la parole, insiste à temps, à contretemps, raisonne, menace, exhorte en toute patience et en toute doctrine" 2Tm 4,2-5. Si l'on veut échapper aux embûches de l'ennemi, il faut tout d'abord les mettre à nu, et il est souverainement utile de dénoncer ses perfidies à ceux qui ne les soupçonnent pas : Nous préférerions à coup sûr ne point même nommer ces iniquités, "comme il convient aux Saints" Ep 5,3, mais pour le bien et le salut des âmes, il nous est impossible de les taire tout à fait.
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En conséquence, pour commencer par les sources de ces maux, leur racine principale est dans leur théorie sur le mariage, qui n'aurait pas été institué par l'Auteur de la nature, ni élevé par Notre-Seigneur à la dignité d'un vrai sacrement, mais qui aurait été inventé par les hommes. Dans la nature et dans ses lois, les uns assurent qu'ils n'ont rien trouvé qui se rapporte au mariage, mais qu'ils y ont seulement observé la faculté de procréer la vie et une impulsion véhémente à satisfaire cet instinct ; d'autres reconnaissent que la nature humaine décèle certains commencements et comme des germes du vrai mariage, en ce sens que si les hommes ne s'unissaient point par un lien stable, il n'aurait pas été bien pourvu à la dignité des époux, ni à la propagation et à l'éducation des générations humaines. Ceux-ci n'en enseignent pas moins que le mariage lui-même va bien au delà de ces germes, et qu'en conséquence, sous l'action de causes diverses, il a été inventé par le seul esprit des hommes, institué par leur seule volonté.
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Combien profonde est leur erreur à tous, et combien ignominieusement ils s'écartent de l'honnêteté, on l'a déjà constaté par ce que Nous avons exposé en cette encyclique touchant l'origine et la nature du mariage, de ses fins et des biens qui lui sont attachés. Quant au venin de ces théories, il ressort des conséquences que leurs partisans en déduisent eux-mêmes : les lois, les institutions et les moeurs qui doivent régir le mariage, étant issues de la seule volonté des hommes, ne seraient aussi soumises qu'à cette seule volonté, elles peuvent donc, elles doivent même, au gré des hommes, et suivant les vicissitudes humaines, être promulguées, être changées, être abrogées. La puissance génératrice, justement parce qu'elle est fondée sur la nature même, est plus sacrée et va bien plus loin que le mariage : elle peut donc s'exercer aussi bien en dehors du mariage qu'à l'intérieur du foyer conjugal, elle le peut même sans tenir compte des fins du mariage, et ainsi la honteuse licence de la prostituée jouirait presque des mêmes droits que l'on reconnaît à la chaste maternité de l'épouse légitime.
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Appuyés sur ces principes, certains en sont arrivés à imaginer de nouveaux genres d'unions, appropriés, suivant eux, aux conditions présentes des hommes et des temps ; ils veulent y voir autant de nouvelles espèces de mariages : le mariage temporaire, le mariage à l'essai, le mariage amical, qui réclame pour lui la pleine liberté et tous les droits du mariage après en avoir éliminé toutefois le lien indissoluble et en avoir exclu les enfants, jusqu'au moment, du moins, où les parties auraient transformé leur communauté et leur intimité de vie en un mariage de plein droit.
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Bien plus, il en est qui veulent et qui réclament que ces monstruosités soient consacrées par les lois ou soient tout au moins excusées par les coutumes et les institutions publiques des peuples ; et ils ne paraissent pas même soupçonner que des choses pareilles n'ont rien assurément de cette culture moderne dont ils se glorifient si fort, mais qu'elles sont d'abominables dégénérescences qui, sans aucun doute, abaisseraient les nations civilisées elles-mêmes jusqu'aux usages barbares de quelques peuplades sauvages.
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Mais, pour aborder en détail l'exposé de ce qui s'oppose à chacun des biens du mariage, il faut commencer par les enfants, que beaucoup osent nommer une charge fastidieuse de la vie conjugale. A les en croire, les époux doivent avec soin s'épargner cette charge, non point d'ailleurs par une vertueuse continence (permise dans le mariage aussi, quand les deux époux y consentent), mais en viciant l'acte de la nature. Les uns revendiquent le droit à cette criminelle licence, parce que, ne supportant point les enfants, ils désirent satisfaire la seule volupté sans aucune charge ; d'autres, parce qu'ils ne peuvent, disent-ils, ni garder la continence, ni - à raison de leurs difficultés personnelles, ou de celles de la mère, ou de leur condition familiale - accueillir des enfants.
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Mais aucune raison assurément, si grave soit-elle, ne peut faire que ce qui est intrinsèquement contre nature devienne conforme à la nature et honnête. Puisque l'acte du mariage est, par sa nature même destiné à la génération des enfants, ceux qui, en l'accomplissant, s'appliquent délibérément à lui enlever sa force et son efficacité, agissent contre la nature ; ils font une chose honteuse et intrinsèquement déshonnête.
Aussi ne faut-il pas s'étonner de voir les Saintes Ecritures attester que la divine Majesté déteste au plus haut point ce forfait abominable, et qu'elle l'a parfois puni de mort, comme le rappelle saint Augustin : "Même avec la femme légitime, l'acte conjugal devient illicite et honteux dès lors que la conception de l'enfant y est évitée. C'est ce que faisait Onan, fils de Judas, ce pourquoi Dieu l'a mis à mort". (St Augustin De conjug. Adult. L. II, n. 12 Gn 38,8-10 )
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En conséquence, comme certains, s'écartant manifestement de la doctrine chrétienne telle qu'elle a été transmise depuis le commencement, et toujours fidèlement gardée, ont jugé bon récemment de prêcher d'une façon retentissante, sur ces pratiques, une autre doctrine, l'Eglise catholique, investie par Dieu même de la mission d'enseigner et de défendre l'intégrité et l'honnêteté des moeurs, l'Eglise catholique, debout au milieu de ces ruines morales, élève bien haut la voix par Notre bouche, en signe de sa divine mission, pour la chasteté du lien nuptial à l'abri de cette souillure, et elle promulgue de nouveau : que tout usage du mariage, quel qu'il soit dans l'exercice duquel l'acte est privé, par l'artifice des hommes, de sa puissance naturelle de procréer la vie, offense la loi de Dieu et la loi naturelle, et que ceux qui auront commis quelque chose de pareil se sont souillés d'une faute grave.
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C'est pourquoi, en vertu de Notre suprême autorité et de la charge que Nous avons de toutes les âmes, ministère de la confession et tous ceux qui ont charge d'âmes, de ne point laisser dans l'erreur touchant cette très grave loi de Dieu les fidèles qui leur sont confiés, et bien plus encore de se prémunir eux-mêmes contre les fausses opinions de ce genre, et de ne pactiser en aucune façon avec elles. Si d'ailleurs un confesseur, ou un pasteur des âmes - ce qu'à Dieu ne plaise ! - induisait en ces erreurs les fidèles qui lui sont confiés, ou si du moins, soit par une approbation, soit par un silence calculé, il les y confirmait, qu'il sache qu'il aura à rendre à Dieu, le Juge suprême, un compte sévère de sa prévarication ; qu'il considère comme lui étant adressées ces paroles du Christ : "Ce sont des aveugles, et ils sont les chefs des aveugles ; or, si un aveugle conduit un aveugle, ils tombent tous deux dans la fosse". Mt 15,14
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Pour ce qui concerne les motifs allégués pour justifier le mauvais usage du mariage, il n'est pas rare - pour taire ceux qui sont honteux - que ces motifs soient feints ou exagérés. Néanmoins, l'Eglise, cette pieuse Mère, comprend, en y compatissant, ce que l'on dit de la santé de la mère et du danger qui menace sa vie. Et qui ne pourrait y réfléchir sans s'émouvoir de pitié ? Qui ne concevrait la plus haute admiration pour la mère qui s'offre elle-même, avec un courage héroïque, à une mort presque certaine, pour conserver la vie à l'enfant une fois conçu ? Ce qu'elle aura souffert pour remplir pleinement le devoir naturel, Dieu seul, dans toute sa richesse et toute sa miséricorde, pourra le récompenser, et il le fera sûrement dans une mesure non seulement pleine, mais surabondante. Lc 6,38
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L'Eglise le sait fort bien aussi : il n'est pas rare qu'un des deux époux subisse le pêché plus qu'il ne le commet, lorsque, pour une raison tout à fait grave, il laisse. se produire une perversion de l'ordre, qu'il ne veut pas lui-même ; il en reste, par suite, innocent, pourvu qu'alors il se souvienne aussi de la loi de charité, et ne néglige pas de dissuader et d'éloigner du péché son conjoint. Il ne faut pas non plus accuser d'actes contre nature les époux qui usent de leur droit suivant la saine et naturelle raison, si, pour des causes naturelles, dues soit à des circonstances temporaires, soit à certaines défectuosités physiques, une nouvelle vie n'en peut pas sortir. Il y a en effet tant dans le mariage lui-même que dans l'usage du droit matrimonial, des fins secondaires - comme le sont l'aide mutuelle, l'amour réciproque à entretenir et le remède à la concupiscence - qu'il n'est pas du tout interdit aux époux d'avoir en vue, pourvu que la nature intrinsèque de cet acte soit sauvegardée, et, sauvegardée du même coup sa subordination à la fin première.
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Pareillement Nous sommes touché au plus intime du coeur par le gémissement de ces époux qui, sous la pression d'une dure indigence, éprouvent la plus grande difficulté à nourrir leurs enfants.
Mais il faut absolument veiller à ce que les funestes conditions des choses matérielles ne fournissent pas l'occasion à une erreur bien plus funeste encore. Aucune difficulté extérieure ne saurait surgir qui puisse entraîner une dérogation à l'obligation créée par les commandements de Dieu qui interdisent les actes intrinsèquement mauvais par leur nature même. Dans toutes les conjonctures les époux peuvent toujours, fortifiés par la grâce de Dieu, remplir fidèlement leur devoir, et préserver leur chasteté conjugale de cette tache honteuse. Telle est la vérité inébranlable de la pure foi chrétienne, exprimée par le magistère du concile de Trente : "Personne ne doit prononcer ces paroles téméraires, interdites par les Pères sous peine d'anathème : qu'il est impossible à l'homme justifié d'observer les préceptes de Dieu. Car Dieu ne commande pas de choses impossibles, mais en commandant il vous avertit de faire ce que vous pouvez et de demander ce que vous ne pouvez pas, et il vous aide à le pouvoir". DS 1536
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Cette même doctrine a été, de nouveau, solennellement confirmée par l'Eglise dans la condamnation de l'hérésie janséniste, qui avait osé proférer contre la bonté de Dieu ce blasphème : "Certains préceptes de Dieu sont impossibles à observer par des hommes justes, en dépit de leur volonté et de leurs efforts, étant donné leurs forces présentes : il leur manque aussi la grâce par où cette observation deviendrait possible". DS 2001 DS 1954
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Mais il faut encore, Vénérables Frères, mentionner un autre crime extrêmement grave par lequel il est attenté à la vie de l'enfant encore caché dans le sein de sa mère. Les uns veulent que ce soit là chose permise, et laissée au bon plaisir de la mère ou du père ; d'autres reconnaissent qu'elle est illicite, à moins de causes exceptionnellement graves auxquelles ils donnent le nom d'indication médicale, sociale, eugénique. Pour ce qui regarde les lois pénales de l'Etat, qui interdisent de tuer l'enfant engendré mais non encore né, tous exigent que les lois de l'Etat reconnaissent l'indication que chacun d'eux préconise, indication différente, d'ailleurs, selon ses différents défenseurs ; ils réclament qu'elle soit affranchie de toute pénalité. Il s'en trouve même qui font appel, pour ces opérations meurtrières, à la coopération directe des magistrats ; et il est notoire, hélas ! qu'il y a des endroits où cela arrive très fréquemment.
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Quant à l'"indication médicale ou thérapeutique", pour employer leur langage, nous avons déjà dit, Vénérables Frères, combien nous ressentons de pitié pour la mère que l'accomplissement du devoir naturel expose à de graves périls pour sa santé voire pour sa vie même : mais quelle cause pourrait jamais suffire à excuser en aucune façon le meurtre direct d'un innocent ? Car c'est de cela qu'il s'agit ici. Que la mort soit donnée à la mère ou qu'elle soit donnée à l'enfant, elle va contre le précepte de Dieu et contre la voix de la nature : "Tu ne tueras pas !" Ex 20,13 DS 3258 DS 3298 DS 3336-3338. La vie de l'un et de l'autre est chose pareillement sacrée ; personne pas même les Pouvoirs publics, ne pourra jamais avoir le droit d'y attenter.
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C'est sans l'ombre de raison qu'on fera dériver ce droit du jus gladii, qui ne vaut que contre les coupables. Il est absolument vain aussi d'alléguer ici le droit de se défendre jusqu'au sang contre un injuste agresseur (car qui pourrait donner ce nom d'injuste agresseur à un enfant innocent ? ). Il n'y a pas non plus ici ce qu'on appelle le "droit de nécessité extrême", qui puisse arriver jusqu'au meurtre direct d'un innocent. Pour protéger par conséquent et pour sauvegarder chacune des deux vies, celle de la mère et celle de l'enfant, les médecins probes et habiles font de louables efforts : par contre, ils se montreraient fort indignes de leur noble profession médicale ceux qui, sous l'apparence de remèdes, ou poussés par une fausse compassion, se livreraient à des interventions .meurtrières.
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Ces enseignements concordent pleinement avec les paroles sévères que l'évêque d'Hippone adresse aux époux dépravés, qui s'appliquent à empêcher la venue de l'enfant et qui, s'ils n'y réussissent pas, ne craignent pas de le faire mourir. "Leur cruauté libidineuse, ou leur volupté cruelle, dit-il, en arrive parfois jusqu'au point de procurer des poisons stérilisants, et si rien n'a réussi, de faire périr d'une certaine façon dans les entrailles de la mère l'enfant qui y a été conçu : on veut que l'enfant meure avant de vivre, qu'il soit tué avant de naître. A coup sûr, si les deux conjoints en sont là, ils ne méritent pas le nom d'époux ; et si dès le début ils ont été tels, ce n'est pas pour se marier qu'ils se sont réunis, mais bien plutôt pour se livrer à la fornication s'ils ne sont pas tels tous deux, j'ose dire : ou celle-là est d'une certaine manière la prostituée de son mari, ou celui-ci est l'adultère de sa femme". St Augustin, De nupt. Et concupisc. Ch. 15)
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Quant aux observations que l'on apporte touchant l'indication sociale et eugénique, on peut et on doit en tenir compte, avec des moyens licites et honnêtes et dans les limites requises ; mais prétendre pourvoir aux nécessités sur lesquelles elles se fondent, en tuant un innocent, c'est chose absurde et contraire au précepte divin, promulgué aussi par ces paroles : "il ne faut point faire le mal pour procurer le bien". Rm 3,8
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Enfin, ceux qui, dans les nations, tiennent le pouvoir ou élaborent les lois, n'ont pas le droit d'oublier qu'il appartient aux pouvoirs publics de défendre la vie des innocents par des lois et des pénalités appropriées, et cela d'autant plus que ceux dont la vie est en péril et menacée, ne peuvent se défendre eux-mêmes, et c'est assurément le cas, entre tous, des enfants cachés dans le sein de leur mère. Que si les autorités de l'Etat n'omettent pas seulement de protéger ces petits, mais que, par leurs lois et leurs décrets ils les abandonnent et les livrent même aux mains de médecins ou d'autres pour que ceux-ci les tuent, qu'ils se souviennent que Dieu est juge et vengeur du sang innocent qui de la terre, crie vers le ciel. Gn 4,10
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Il faut enfin réprouver ce pernicieux usage qui regarde sans doute directement le droit naturel de l'homme à contracter mariage, mais qui se rapporte aussi réellement, d'une certaine façon au bien de l'enfant. Il en est, en effet, qui, trop préoccupés des fins eugéniques, ne se contentent pas de donner des conseils salutaires pour assurer plus sûrement la santé et la vigueur de l'enfant - ce qui n est certes pas contraire à la droite raison -, mais qui mettent la fin eugénique au-dessus de toute autre, même d'ordre supérieur, et qui voudraient voir les pouvoirs publics interdire le mariage à tous ceux qui, d'après les règles et les conjectures de leur science, leur paraissent, à raison de l'hérédité, devoir engendrer des enfants défectueux, fussent-ils d'ailleurs personnellement aptes au mariage. Bien plus, ils veulent qu'en pareil cas la loi impose, de gré ou de force, la stérilisation par intervention médicale, et cela, non pas comme sanction portée par l'autorité pour une faute déjà commise ou comme précaution contre de criminelles récidives, mais, à l'encontre de tout droit et de toute justice, par l'attribution aux magistrats civils d'un pouvoir qu'ils n'ont jamais eu et ne sauraient légitimement avoir.
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Tous ceux qui agissent de la sorte oublient complètement que la famille est plus sacrée que l'Etat, et que, surtout, les hommes ne sont pas engendrés pour la terre et pour le temps, mais pour le ciel et l'éternité. Il n'est certes pas permis que des hommes d'ailleurs capables de se marier, dont, après un examen attentif, on conjecture qu'ils n'engendreront que des enfants défectueux, soient inculpés d'une faute grave s'ils contractent mariage, encore que, souvent, le mariage doive leur être déconseillé.
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Les magistrats n'ont d'ailleurs aucun droit direct sur les membres de leurs sujets : ils ne peuvent jamais ni pour raison d'eugénisme, ni pour aucun autre genre de raison, blesser et atteindre directement l'intégrité du corps, dès lors qu'aucune faute n'a été commise, et qu'il n'y a aucune raison d'infliger une peine sanglante. Saint Thomas d'Aquin enseigne la même chose lorsque, se demandant si les juges humains peuvent infliger du mal à un homme pour prévenir des maux futurs, il le concède pour quelques autres maux, mais il le nie à bon droit et avec raison pour ce qui concerne la lésion du corps : "Jamais, suivant le jugement humain, personne ne doit, sans avoir commis une faute, être puni d'une peine meurtrissante ; on ne peut ni les tuer, ni les mutiler, ni les frapper". II-II 108,4 ad.2
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Au surplus, les individus eux-mêmes n'ont sur les membres de leur propre corps d'autre puissance que celle qui se rapporte à leurs fins naturelles ; ils ne peuvent ni les détruire, ni les mutiler, ni se rendre par d'autres moyens inaptes à leurs fonctions naturelles, sauf quand il est impossible de pourvoir autrement au bien du corps entier : tel est le ferme enseignement de la doctrine chrétienne, telle est aussi la certitude que fournit la lumière de la raison.
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Mais, pour en venir à un autre chef d'erreurs, qui concerne la foi conjugale, tout péché contre l'enfant a pour conséquence que l'on pèche aussi, d'une certaine façon, contre la fidélité conjugale, ces deux biens du mariage étant étroitement liés entre eux. Mais, en outre, il faut compter autant de chefs d'erreurs et de déformations vicieuses contre la fidélité conjugale, que cette même foi conjugale comprend de vertus domestiques la chaste fidélité des deux époux, l'honnête subordination de la femme à son mari, enfin une ferme et vraie charité entre eux.
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Ils altèrent donc premièrement la foi conjugale, ceux qui pensent qu'il faut condescendre aux idées et aux moeurs d'aujourd'hui sur une amitié fausse et non exempte de faute avec des tierces personnes ; qui réclament que l'on concède aux époux une plus grande licence de sentiment et d'action dans ces relations extérieures d'autant plus (à leur sens) que beaucoup ont un tempérament sexuel auquel ils ne peuvent satisfaire dans les limites étroites du mariage monogame. Aussi la rigidité morale des époux honnêtes, qui condamne et réprouve toute affection et tout acte sensuel avec une tierce personne leur apparaît-elle comme une étroitesse surannée d'esprit et de coeur, comme une abjecte et vile jalousie. C'est pourquoi ils veulent que l'on considère comme tombées en désuétude, ou qu'à coup sûr on les y fasse tomber, toutes les lois pénales qui ont été portées pour maintenir la fidélité conjugale.
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Le noble coeur des époux chastes n'a besoin que d'écouter la voix de la nature pour répudier et pour réprouver ces théories comme vaines et honteuse ; et cette voix de la nature trouve assurément une approbation et une confirmation tant dans ce commandement de Dieu : "Tu ne commettras point l'adultère" Ex 20,14 que dans la parole du Christ : "Quiconque arrête sur une femme des regards de concupiscence a déjà commis l'adultère dans son coeur". Mt 5,28 Nulle habitude humaine, aucun exemple dépravé, aucune apparence de progrès de l'humanité ne pourront jamais infirmer la force de ce précepte divin. Car, de même que le seul et unique "Jésus- Christ qui était hier et qui est aujourd'hui, sera toujours dans les siècles des siècles" He 13,8, de même demeure la seule et unique doctrine du Christ, dont ne passera pas même une virgule jusqu'à ce que tout s'accomplisse. Mt 5,18
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Les mêmes maîtres d'erreurs, qui ternissent l'éclat de la fidélité et de la chasteté nuptiales, n'hésitent pas à attaquer la fidèle et honnête subordination de la femme à son mari. Nombre d'entre eux poussent l'audace jusqu'à parler d'une indigne servitude d'un des deux époux à l'autre ; ils proclament que tous les droits sont égaux entre époux ; estimant ces droits violés par la "servitude" qu'on vient de dire, ils prêchent orgueilleusement une émancipation de la femme, déjà accomplie ou qui doit l'être. Ils décident que cette émancipation doit être triple, qu'elle doit se réaliser dans le gouvernement de la vie domestique, dans l'administration des ressources familiales, dans la faculté d'empêcher ou de détruire la vie de l'enfant. Et ils l'appellent sociale, économique, physiologique : physiologique, car ils veulent que les femmes soient à leur gré affranchies des charges conjugales et maternelles de l'épouse (ce qui n'est pas émancipation, mais crime détestable, Nous l'avons suffisamment montré) ; économique : ils entendent par là que la femme, même à l'insu de son mari, et contre sa volonté puisse gérer librement ses affaires les administrer sans se soucier autrement de ses enfants, de son mari et de toute sa famille ; sociale enfin : et par là ils enlèvent à la femme les soins domestiques, ceux des enfants et ceux de la famille, pour que, ceux-là négligés, elle puisse se livrer à son génie naturel, se consacrer aux affaires et occuper des charges, même les charges publiques.
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Mais ce n'est pas là une vraie émancipation de la femme, et ce n'est pas là non plus cette digne liberté conforme à la raison, qui est due à la noble tâche de la femme et de l'épouse chrétienne ; c'est bien plutôt une corruption de l'esprit de la femme et de la dignité maternelle, un bouleversement aussi de toute la famille, par où le mari est privé de sa femme, les enfants de leur mère, la maison et la famille tout entière d'une gardienne toujours vigilante. Bien plus, c'est au détriment de la femme elle-même que tourne cette fausse liberté et cette égalité non naturelle avec son mari ; car si la femme descend de ce siège vraiment royal où elle a été élevée par l'Evangile dans l'intérieur des murs domestiques, elle sera bien vite réduite à l'ancienne servitude (sinon en apparence, du moins en réalité) et elle deviendra - ce qu'elle était chez les païens -, un pur instrument de son mari
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Mais quant à cette égalité des droits qui est si exaltée et que l'on réclame si vivement, il faut la reconnaître dans les choses qui sont propres à la personne et à la dignité humaines, qui accompagnent le pacte nuptial et qui sont impliquées par la vie conjugale. En ces choses-là, chacun des deux époux jouit assurément des mêmes droits et il est tenu à la même obligation dans les autres choses, une certaine inégalité et une juste proportion sont nécessaires, celles qu'exigent le bien de la famille ou l'unité et la stabilité nécessaires d une société domestique ordonnée.
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Si parfois, cependant, les conditions sociales et économiques de la femme mariée doivent se modifier en quelque manière, à cause du changement qui s'est introduit dans la forme et les usages des relations humaines, il appartient aux pouvoirs publics d'adapter les droits civils de la femme aux nécessités et aux besoins de notre époque, en tenant compte de ce qu'exigent le tempérament différent du sexe féminin, l'honnêteté des moeurs, le bien commun de la famille, et pourvu que l'ordre essentiel de la société domestique soit sauvegardé. Cet ordre a été institué par une autorité plus haute que l'autorité humaine, savoir par l'autorité et la sagesse divines, et ni les lois de l'Etat, ni le bon plaisir des particuliers ne sauraient le modifier.
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Mais les ennemis les plus récents de l'union conjugale vont plus loin encore : à l'amour véritable et solide, fondement du bonheur conjugal et de la douce intimité, ils substituent une certaine correspondance aveugle des caractères, et une certaine union des coeurs, qu'ils appellent sympathie ; quand celle-ci prend fin, ils enseignent que le lien se relâche par lequel seul les coeurs sont unis, et qu'il se dénoue tout à fait. Mais n est-ce pas là, en toute vérité, édifier la maison sur le sable ? Dès que celle-ci sera exposée aux flots des adversités, dit Notre-Seigneur, elle sera aussitôt ébranlée et elle croulera : "Et les vents ont soufflé, et ils se sont rués sur cette maison et elle est tombée, et sa ruine a été grande" Mt 7,27. Mais, au contraire, la maison qui aura été établie sur la pierre, savoir sur la charité entre les époux, et consolidée par l'union délibérée et constante des coeurs, ne sera pas ébranlée par aucune adversité, et à plus forte raison ne sera-t-elle pas renversée.
1930 Casti Connubii 39