1930 Casti Connubii 78
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Nous venons, Vénérables Frères, de défendre les deux premiers biens du mariage chrétien, que les actuels ennemis de la société s'efforcent de ruiner. Mais, comme le troisième de ces biens, le sacrement, l'emporte de beaucoup sur les précédents, il n'y a rien d'étonnant à ce que nous voyions les mêmes hommes assaillir surtout, avec plus d'âpreté encore, son excellence. Et tout d'abord, ils présentent le mariage comme une chose absolument profane et purement civile, et qui ne saurait en aucune façon être confiée à la société religieuse, l'Eglise du Christ, mais à la seule société civile. Ils ajoutent alors que le pacte nuptial doit être libéré de tout lien indissoluble, que les séparations d'époux, ou divorces, doivent, en conséquence, être non seulement tolérées mais sanctionnées par la loi. D'où il résultera finalement que, dépouillée de toute sainteté, l'union conjugale sera reléguée au rang des choses profanes et civiles.
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Ils décrètent principalement à ce sujet ce premier point : que l'acte civil même doit être considéré comme le vrai contrat nuptial (ce qu'ils appellent mariage civil) l'acte religieux ne sera plus qu'une addition au mariage civil, le maximum de la concession qu'on puisse faire au peuple trop superstitieux. Ils veulent ensuite que sans aucun blâme les catholiques puissent s'unir conjugalement avec les non- catholiques, sans tenir aucun compte de la religion ni demander le consentement de l'autorité religieuse. Le second point, qui suit celui-là, consiste à excuser les divorces complets et à louer et promouvoir les lois civiles qui favorisent la rupture du lien.
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Pour ce qui regarde le caractère religieux de toute union conjugale, et plus particulièrement celui du mariage chrétien et du sacrement, l'encyclique de Léon XIII, que Nous avons rappelée souvent, et que Nous avons déjà faite expressément Nôtre, en a traité avec plus de développement et en a donné de graves raisons: aussi y renvoyons-Nous ici, et jugeons-Nous bon de n'en reprendre maintenant que quelques données.
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La seule lumière de la raison - surtout si l'on scrute les antiques monuments de l'histoire, si l'on interroge la conscience constante des peuples, si l'on consulte les institutions et les moeurs des nations - suffit à établir qu'il y a dans le mariage naturel lui-même quelque chose de sacré et de religieux, "non adventice, mais inné, non reçu des hommes, mais inséré par la nature même", parce que ce mariage "a Dieu pour auteur, et qu'il a été, dès le principe, comme une image de l'Incarnation du Verbe de Dieu" . Le caractère sacré du mariage, intimement lié avec l'ordre de la religion et des choses saintes, ressort en effet soit de son origine divine, que Nous avons rapportée plus haut, soit de sa fin qui est d'engendrer et de former pour Dieu les enfants, et de rattacher pareillement à Dieu les époux par l'amour chrétien et l'aide mutuelle soit enfin du devoir naturel de l'union conjugale elle-même, instituée par la très sage Providence du Dieu Créateur, et qui est de Servir, pour transmettre la vie, d'une sorte de véhicule, par où les parents deviennent comme des instruments de la toute-puissance divine.
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Une nouvelle cause de dignité s'y ajoute, venant du sacrement, qui rend le mariage des chrétiens de beaucoup le plus noble, et qui l'élève à une si haute excellence qu'il a apparu à l'Apôtre comme un grand mystère, digne de toute vénération. Ep 5,32 He 13,4
Ce caractère sacré du mariage et sa haute signification de la grâce et de l'union entre le Christ et l'Eglise, exigent des futurs époux une sainte révérence envers le mariage chrétien, une sainte vigilance et un saint zèle pour que le mariage auquel ils se disposent se rapproche le plus possible de l'archétype du Christ et de l'Eglise.
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Ils se mettent bien en défaut à cet égard, et parfois non sans risquer leur salut éternel, ceux qui s'engagent témérairement dans les unions mixtes, dont l'amour maternel et la maternelle prévoyance de l'Eglise, pour des raisons très graves, détourne les siens - comme on le voit par de nombreux documents y compris le canon du Code qui décrète ceci : "L'Eglise prohibe très sévèrement le mariage entre deux personnes baptisées, dont une est catholique et dont l'autre est adhérente à une secte hérétique ou schismatique ; que s'il y a péril de perversion pour l'époux catholique et pour les enfants, le mariage est interdit par la loi divine elle-même" CIS 1060. Si l'Eglise, quelquefois, pour des raisons de temps, de choses, de personnes, ne refuse point de dispenser de ces sévères prescriptions (le droit divin étant sauf, et le péril de perversion ayant été écarté dans toute la mesure possible), il arrivera toutefois difficilement que l'époux catholique ne subisse en ce genre de mariage aucun détriment.
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Il n'est pas rare qu'il en résulte pour les enfants de déplorables défections religieuses, ou, du moins, un glissement rapide en ce qu'on appelle l'indifférence religieuse, si proche de l'infidélité et de l'impiété. Ajoutons que les mariages mixtes rendent beaucoup plus difficile cette vivante unanimité qui reproduit le mystère que nous avons dit, savoir l'union ineffable de l'Eglise avec le Christ.
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Elle y fera facilement défaut, cette étroite union des coeurs qui, signe et note de l'Eglise du Christ, doit être pareillement le signe, la gloire et l'ornement du mariage chrétien. C'est que la divergence des esprits et des volontés sur les vérités et les sentiments religieux, les plus essentiels et les plus élevés parmi ceux qui sont proposés à la vénération des hommes, entraîne d'ordinaire la rupture ou tout au moins le relâchement du lien qui unit leurs âmes. Il faut craindre par suite, en pareil cas, que ne s'affaiblisse l'amour des époux et que, par suite, ne soient entamés le bonheur et la paix de la famille qui viennent surtout de l'union des coeurs. Car, selon la définition de l'ancien Droit Romain : "Les noces sont la conjonction de l'homme et de la femme, la mise en commun de toute leur vie, la communauté parfaite du droit divin et du droit humain". (Modestinus : (in Dig. Liv 23,II : de ritu nuptiarum) l. I régularum.)
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Mais, comme Nous l'avons déjà relevé, Vénérables Frères, ce qui empêche surtout cette restauration et cette perfection du mariage, établies par le Christ Rédempteur, c'est la facilité sans cesse croissante des divorces. Bien plus, les fauteurs du néopaganisme, nullement instruits par une triste expérience, continuent à s'élever avec une âpreté toujours nouvelle contre l'indissolubilité sacrée du mariage et contre les lois qui la favorisent ; ils insistent pour obtenir l'autorisation légale du divorce, afin qu'une autre loi, et une loi plus humaine, se substitue aux lois vieillies et périmées.
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En faveur du divorce ils font d'ailleurs valoir des causes aussi nombreuses que variées, les unes fondées sur une tare ou un défaut personnel, les autres appuyées sur les choses elles- mêmes (ils appellent les premières des causes subjectives, et les secondes des causes objectives) : bref tout ce qui peut rendre la vie en commun trop pénible et désagréable. Ces causes de divorces et ces dispositions légales, ils veulent les justifier par de multiples raisons tout d'abord le bien des deux époux, soit que l'un soit innocent et qu'en conséquence il ait le droit de se séparer du coupable, soit qu'il soit criminel, et qu'il doive, pour ce motif, être écarté d'une union pénible et contrainte ; puis le bien des enfants, dont l'éducation est viciée ou demeure sans fruit parce que, scandalisés par les discordes des parents et leurs autres méfaits, ils sont trop facilement détournés de la voie de la vertu ; le bien commun de la société enfin, qui réclame d'abord la totale extinction des mariages incapables de réaliser ce que la nature a en vue ; qui réclame ensuite la légalisation des séparations conjugales, soit pour éviter les crimes que laissent aisément craindre la vie en commun ou les rapports continus de ces époux, soit pour mettre fin aux affronts infligés, avec une fréquence croissante, aux tribunaux et à l'autorité des lois, étant donné que les époux, pour obtenir la sentence désirée en faveur de leur divorce, ou bien commettent à dessein les délits pour lesquels le juge, aux termes de la loi, pourra rompre leur lien, ou bien, devant le juge, qui sait fort bien à quoi s'en tenir, s'accusent insolemment, avec mensonge et parjure, d'avoir commis ces délits.
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Les fauteurs du divorce clament qu'il faut absolument conformer les lois à ces nécessités, aux conditions changées des temps, aux opinions des hommes, aux institutions et aux moeurs des Etats : autant de raisons qui, même prises à part, mais surtout réunies en faisceau, leur semblent prouver surabondamment que le divorce, dans certains cas précis, doit absolument être autorisé. D'autres vont encore plus loin : à leur sens, le mariage est un contrat purement privé, et, comme tous les autres contrats privés, il doit être absolument abandonné au consentement et au jugement privé des deux contractants et, par suite, pouvoir se rompre pour n'importe quelle cause.
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Mais contre toutes ces insanités se dresse, Vénérables Frères, une loi de Dieu, irréfragable, très amplement confirmée par le Christ, une loi qu'aucun décret des hommes, aucun plébiscite, aucune volonté des législateurs ne pourra affaiblir : "Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare point" Mt 19,6. Que si, prévariquant, l'homme a opéré cette séparation, son acte est sans aucune valeur ; et il en résultera ce que le Christ a lui-même clairement confirmé : "Quiconque renvoie son épouse et en prend une autre commet un adultère ; et quiconque prend la femme renvoyée par son mari commet un adultère" Lc 16,18. Ces paroles du Christ s'appliquent à n'importe quel mariage, même seulement naturel et légitime ; car cette indissolubilité convient à tout vrai mariage, qui, par elle, pour ce qui est de la rupture du lien, est soustrait à ce bon plaisir des parties et à toute puissance séculière.
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Il faut pareillement rappeler le jugement solennel par lequel le concile de Trente a réprouvé ces choses sous peine d'anathème: Si quelqu'un dit qu'à cause de l'hérésie, ou à cause des difficultés de la vie en commun, ou à cause de l'absence systématique d'un époux, le lien du mariage peut être rompu ; qu'il soit anathème" DS 1805, et :"Si quelqu'un dit que l'Eglise s'est trompée quand elle a enseigné et lorsqu'elle enseigne, conformément à la doctrine évangélique et apostolique, qu'à raison de l'adultère d'un des époux le lien du mariage ne peut être rompu et qu'aucun des deux, même l'époux innocent, ne peut, du vivant de l'autre époux, contracter un autre mariage, et que celui, qui, ayant renvoyé sa femme adultère, en prend une autre, commet un adultère, et pareillement, celle qui, ayant renvoyé son époux, s'est unie à un autre : qu'il soit anathème" DS 1807.
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Que si l'Eglise ne s'est pas trompée et si elle ne se trompe pas quand elle a enseigné et quand elle continue à enseigner Ces choses, et s'il est certain, en conséquence, que le lien du mariage ne peut être rompu même pas par l'adultère, il est évident que toutes les autres causes, beaucoup plus faibles, de divorce, que l'on pourrait présenter et que l'on a coutume de présenter, ont bien moins de valeur, et qu'il n'en faut tenir aucun compte.
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Au surplus, il est facile de réfuter les arguments que Nous avons entendu tirer d'un triple chef contre la fermeté du lien conjugal. Tous ces inconvénients sont écartés et tous les périls éliminés si, en ces conjonctures extrêmes, l'on permet la séparation imparfaite, c'est-à-dire ne comportant pas la rupture du lien : l'Eglise l'autorise par les claires formules des canons qui légifèrent sur la séparation du lit, de la table et de l'habitation CIS 1128-1132. C'est aux lois sacrées qu'il appartiendra de statuer sur les causes de ce genre de séparation, sur ses conditions, ses modalités, ainsi que sur les précautions à prendre pour assurer l'éducation des enfants et le salut de la famille, et pour parer dans la mesure du possible aux inconvénients qui pourraient en résulter, soit pour le conjoint, soit pour y les enfants, soit pour la communauté civile elle-même. Ce sera là aussi, du moins en partie, l'affaire des lois civiles, à savoir pour ce qui regarde l'aspect et les effets civils de cette séparation.
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Tous les arguments que l'on a coutume d'apporter pour établir l'indissolubilité de l'union conjugale et que nous avons indiqués plus haut, ont manifestement la même valeur non seulement pour exclure la nécessité ou la possibilité du divorce, mais aussi pour refuser à quelque magistrat que ce soit le pouvoir de l'accorder : à tous les avantages de l'indissolubilité, correspondent autant de dommages de l'autre côté, dommages très pernicieux tant pour les individus que pour la société humaine tout entière.
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Et, pour revenir aux enseignements de Notre prédécesseur, il est à peine nécessaire de dire que les divorces sont la source d'autant de maux que l'indissolubilité conjugale apporte avec elle de bienfaits. Nous voyons en effet d'un côté, avec le lien intact, les foyers calmes et paisibles ; de l'autre, la perspective d'une séparation prochaine, le péril même d'un divorce éventuel rendre précaire l'union conjugale, y introduire, en tout cas, des soupçons pleins d'anxiété. D'un côté, la bienveillance mutuelle et la communauté des biens merveilleusement affermies ; de l'autre, misérablement affaiblies par la possibilité même de la séparation. D'un côté, de très opportunes garanties pour la chaste fidélité conjugale ; de l'autre, de pernicieuses excitations offertes à l'infidélité. D'un côté, la venue des enfants, leur protection, leur éducation efficacement protégées ; de l'autre, sujettes aux plus graves dommages. D'un côté, la porte étroitement fermée aux inimitiés entre les familles et entre les proches ; de l'autre, les occasions qui s'en multiplient. D'un côté, les semences de discordes plus facilement étouffées ; de l'autre, jetées plus largement et plus abondamment. D'un côté, surtout, la dignité et la fonction de la femme, aussi bien dans la société civile que dans la société domestique, heureusement restaurées et remises en honneur ; de l'autre, indignement humiliées, car les épouses encourent alors le péril "après avoir servi à assouvir la passion de leurs maris, d'être laissées comme à l'abandon" .
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Et parce que, pour conclure par ces très graves paroles de Léon XIII, "rien n'est si puissant que la corruption des moeurs pour perdre les familles et pour ruiner la force des Etats, il est facile d'apercevoir que les divorces représentent le plus funeste des dommages pour la prospérité des familles et des Etats, car ils naissent de la dépravation générale des moeurs, et, l'expérience en fait foi, ils ouvrent la voie et la porte aux habitudes les plus vicieuses de la vie privée et de la vie publique. Et il deviendra évident que ces maux sont plus graves encore si l'on considère qu'aucun frein ne réussira à maintenir dans des limites précises ou déterminées à l'avance l'usage des divorces. La force des exemples est bien grande ; celle des appétits plus grande encore ; leurs excitations auront forcement ce résultat que le désir morbide du divorce se communiquant de proche en proche, gagnera de plus en plus les âmes telle une maladie qui se répand par contagion ; tel un fleuve qui, franchissant ses digues, inonde tout".
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C'est pourquoi, comme on le lit dans cette même encyclique, "Si les choses ne changent pas, les familles et la société humaine devront craindre sans cesse qu'on en arrive misérablement à mettre toutes choses en question et en péril" . A quel point se sont vérifiées ces prévisions formulées il y a cinquante ans, on en a la preuve dans la corruption qui grandit de jour en jour, et dans la dépravation inouïe de la famille dans les régions où le communisme domine sans conteste.
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Jusqu'ici, Vénérables Frères, Nous avons admiré avec respect ce que, dans sa suprême sagesse, le Créateur et Rédempteur du genre humain a décidé au sujet du mariage ; Nous avons déploré en même temps qu'un aussi pieux dessein de la divine Bonté soit maintenant, un peu partout, contrecarré et rendu vain par les passions, les erreurs et les vices de l'humanité. Il est temps que Nous tournions Notre esprit, avec une sollicitude paternelle, vers la recherche des remèdes opportuns, pour éliminer les abus si pernicieux que Nous avons énumérés, et pour rétablir partout le respect dû au mariage.
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A cet effet, il est utile tout d'abord de rappeler cette vérité tout à fait certaine, aphorisme courant en philosophie et même en théologie : à savoir que, pour ramener à son état primitif et conforme à sa nature une chose, quelle qu'elle soit, qui en a dévié, il est indispensable de revenir à l'idée divine qui, comme l'enseigne le Docteur Angélique I-II 91,1-2, est le modèle de toute rectitude. C'est pourquoi Notre prédécesseur d'heureuse mémoire Léon XIII dénonçait l'erreur des naturalistes par ces paroles si graves : "C'est une loi de la divine Providence que les institutions qui ont Dieu pour auteur se vérifient d'autant plus utiles et salutaires qu'elles restent davantage dans leur état primitif, intégralement et sans changement. C'est qu'en effet le Dieu créateur de toutes choses savait fort bien ce qui convenait à l'établissement et à la conservation de chacune de ses oeuvres. Il les a toutes par sa volonté et son intelligence, ordonnées de telle sorte que chacune d'elles put atteindre convenablement sa fin Mais si la témérité et la malignité des hommes veulent changer ou troubler l'ordre si providentiellement établi alors les institutions les plus sages et les plus utiles commencent à devenir nuisibles, ou bien elles cessent d'être utiles, soit qu'elles aient perdu, par ce changement, leur vertu bienfaisante, soit que Dieu lui même préfère infliger ce châtiment à l'orgueil et à l'audace des hommes".
Il faut donc, pour rétablir dans le mariage l'ordre normal, que tous méditent la pensée divine sur ce sujet et s'efforcent de s'y conformer.
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Mais, comme à cette tâche s'oppose surtout la force de la concupiscence rebelle, qui est assurément la cause principale des fautes commises contre les saintes lois du mariage, et comme il est impossible à l'homme d'acquérir la maîtrise sur ses passions s'il ne se soumet d'abord lui-même à Dieu, c'est à réaliser cette soumission qu'il devra premièrement s'appliquer selon l'ordre divinement établi. Car c'est une loi inébranlable que quiconque se soumet à Dieu a la joie, avec le concours de la grâce, de pouvoir dominer ses passions et la concupiscence ; quiconque, au contraire se révolte contre Dieu, éprouve douloureusement la guerre intestine que la violence des passions déchaîne en lui.
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Saint Augustin explique en ces termes la sagesse de cette disposition : "Il convient, en effet, que ce qui est inférieur soit soumis à ce qui est supérieur : celui qui veut dominer ce qui lui est inférieur doit se soumettre à ce qui lui est supérieur à lui-même. Reconnais l'ordre, cherche la paix. "A Dieu ta propre soumission ; à toi la soumission de la chair". Quoi de plus juste ? Quoi de plus beau ? Tu es soumis, toi, à ce qui est plus grand que toi ; ce qui est plus petit que toi, t'est soumis à toi. Sers donc, toi, celui qui t'a fait, afin d'être servi toi-même par ce qui a été fait pour toi. Voici en effet un ordre que nous ne connaissons pas, un ordre que nous ne recommandons pas : "La soumission de la chair à toi, et ta propre soumission à Dieu !" celui que nous recommandons, le voici "A Dieu, ta propre soumission, et à toi la soumission de la chair". Que si tu méprises la première loi "A Dieu ta propre soumission", tu n'obtiendras jamais que se vérifie la seconde : "A toi la soumission de la chair". Toi qui n'obéis pas à Dieu, tu es torturé par l'esclave". (St Augustin Enarrat. In Ps 118)
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Le bienheureux Docteur des Nations lui-même, sous le souffle de l'Esprit-Saint, atteste cet ordre établi par la divine Sagesse ; après avoir rappelé les sages de l'antiquité, qui, ayant connu avec certitude l'existence du Créateur de toutes choses, avaient cependant refusé de l'adorer et de lui rendre un culte, il poursuit en ces termes : "C'est pourquoi Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs, à l'impureté, en sorte qu'ils déshonorent leurs corps". Il dit encore : "C'est pourquoi Dieu les a livrés aux passions honteuses" Rm 1,24-26, car "Dieu résiste aux superbes, et il donne aux humbles sa grâce" Jc 4,6, sans laquelle, comme l'enseigne le même Docteur des Nations, l'homme ne peut dompter la concupiscence rebelle. Rm 7 Rm 8
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Et dès lors, puisque les mouvements impétueux de la concupiscence ne pourront jamais être refrénés comme il le faut, si l'âme elle-même ne rend d'abord à son Créateur l'humble hommage de la piété et de la révérence, il est par- dessus tout nécessaire qu'une profonde et véritable piété pénètre tout entiers ceux qui s'unissent par le lien sacré du mariage, piété qui anime toute leur vie, et qui remplisse leur esprit et leur volonté du plus profond respect envers la souveraine Majesté de Dieu.
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C'est donc, de la part des pasteurs, agir excellemment, et conformément au plus pur esprit chrétien pour éviter que les époux ne s'écartent de la loi divine dans le mariage, que les exhorter par dessus tout à rester fidèles à la pratique de la piété et de la religion, à se donner tout entiers à Dieu à implorer avec assiduité son secours ; à fréquenter les sacrements ; à entretenir et à développer toujours en eux mêmes des dispositions de piété et de dévotion envers Dieu.
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Ils se trompent grandement, au contraire, ceux qui, dédaignant ou négligeant les moyens qui dépassent la nature, croient, par la pratique et les découvertes des sciences naturelles (savoir ; de la biologie, de la science des transmissions héréditaires, et d'autres semblables), pouvoir amener les hommes à refréner les désirs de la chair. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille faire peu de cas de ces moyens naturels ; car il n'y a qu'un seul auteur de la nature et de la grâce, Dieu, qui a disposé les biens de l'ordre naturel et de l'ordre surnaturel pour le service et l'utilité des hommes. Les fidèles peuvent donc et doivent s'aider aussi des moyens naturels. Mais c'est se tromper que de croire ces moyens suffisants pour assurer la chasteté de l'union conjugale, ou de leur attribuer une efficacité plus grande qu'au secours de la grâce surnaturelle.
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Cette conformité de l'union conjugale et des moeurs aux lois divines, sans laquelle aucune restauration efficace du mariage n'est possible, suppose que tous puissent discerner ces lois avec facilité, pleine certitude, et sans aucun mélange d'erreur. Or, tout le monde voit à combien d'illusions on donnerait accès, et combien d'erreurs se mêleraient à la vérité, si on abandonnait à chacun le soin de faire cette découverte à la seule lumière de la raison, ou grâce à l'interprétation privée de la vérité révélée. Cette considération vaut sans doute pour nombre d'autres vérités de l'ordre moral, mais son importance est extrême quand il s'agit de l'union conjugale où l'attrait de la volupté peut facilement s'emparer de la fragile nature humaine, la tromper et la séduire. Et cela d'autant plus que l'observation de la loi divine exige des conjoints des sacrifices parfois difficiles et prolongés, auxquels, l'expérience en témoigne, un homme faible oppose autant d'arguments qu'il lui en faut pour s'excuser de ne point observer la loi divine.
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Aussi, pour que ce ne soit pas une fiction ou une déformation de la loi divine, mais une vraie et authentique connaissance de cette loi qui éclaire les esprits et dirige les moeurs des hommes, il est nécessaire qu'à la dévotion envers Dieu et au désir de le servir s'ajoute une filiale et humble obéissance envers l'Eglise. C'est, en effet, Notre- Seigneur lui-même qui a établi l'Eglise maîtresse de vérité, même en ce qui regarde la conduite et l'ordre des moeurs, bien qu'en cette matière beaucoup de choses ne soient pas, par elles-mêmes, inaccessibles à la raison humaine. Car, si pour les vérités naturelles de la religion et des moeurs, Dieu a joint la révélation à la lumière de la raison, afin que "même dans la condition présente du genre humain tous puissent connaître aisément, avec une certitude ferme et sans mélange d'erreur" DS 3005 ce qui est juste et vrai, il a pareillement établi, dans le même but, l'Eglise comme gardienne et maîtresse de toute la vente, tant religieuse que morale
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Que les fidèles lui obéissent donc, pour prémunir leur intelligence contre l'erreur et leurs moeurs contre la corruption, et qu'ils lui soumettent leur esprit et leur âme. Et pour ne pas se priver eux-mêmes d'un secours accordé par Dieu avec une si grande bonté, il leur faut nécessairement pratiquer cette obéissance non seulement à l'égard des définitions plus solennelles de l'Eglise, mais aussi, proportion gardée, à l'égard des autres constitutions et décrets qui proscrivent ou condamnent certaines opinions comme dangereuses ou mauvaises. DS 3015-3020
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En conséquence, dans les questions qui sont soulevées aujourd'hui par rapport au mariage, que les fidèles ne se fient pas trop à leur propre jugement, et qu'ils ne se laissent pas séduire par cette fausse liberté de la raison humaine que l'on appelle autonomie.
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Rien ne convient moins en effet à un chrétien, digne de ce nom, que de pousser l'orgueilleuse confiance en sa propre intelligence jusqu'à ne donner son assentiment qu'à ce que lui aura révélé l'étude des principes intrinsèques des choses ; jusqu'à regarder l'Eglise, envoyée cependant par Dieu pour enseigner et régir toutes les nations, comme médiocrement informée des choses présentes et de leurs aspects actuels, ou même jusqu'à n'accorder son assentiment et son obéissance qu'aux définitions plus solennelles dont Nous avons parlé, comme si l'on pouvait prudemment penser que les autres décisions de l'Eglise sont entachées d'erreur ou qu'elles n'ont pas un fondement suffisant de vérité et d'honnêteté. C'est, au contraire, le propre des vrais chrétiens, savants ou non, de se laisser gouverner et conduire, en tout ce qui concerne la foi et les moeurs, par la sainte Eglise de Dieu, par son suprême Pasteur, le Pontife Romain, qui est lui-même dirigé par Notre-Seigneur Jésus-Christ.
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En conséquence, comme il faut tout ramener à la loi et aux pensées divines pour que la restauration du mariage se réalise partout et de façon durable, il est souverainement important que les fidèles soient bien instruits du mariage, par un enseignement oral ou écrit, non point une fois en passant, ni à la légère, mais fréquemment et solidement, au moyen d'arguments clairs et convaincants, afin que ces vérités saisissent vivement l'esprit et pénètrent jusqu'au fond des coeurs. Qu'ils sachent et considèrent souvent quelle sagesse, quelle sainteté, quelle bonté envers les hommes Dieu a montrées, soit en instituant le mariage, soit en le garantissant par de saintes lois, et, plus encore, en l'élevant d'une façon merveilleuse à la dignité de sacrement, par quoi une source si abondante de grâces est ouverte aux époux chrétiens, qui peuvent ainsi, chastement, fidèlement, réaliser les hautes fins du mariage, pour leur bien et leur salut personnel et le salut de leurs enfants, et aussi pour le bien et le salut de la société civile et du genre humain tout entier.
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Or, si les adversaires actuels du mariage n'épargnent rien - discours, livres, brochures, ni toutes sortes d'autres procédés - pour pervertir les esprits, corrompre les coeurs, ridiculiser la chasteté conjugale, et exalter les vices les plus honteux, vous devez bien plus encore, Vénérables Frères, vous que l'"Esprit Saint a placés comme évêques pour régir l'Eglise de Dieu, acquise par lui au prix de son sang" Ac 20,28, vous devez vous engager à fond pour un effort contraire. Par vous-mêmes, par les prêtres soumis à votre obédience, et même par ces laïques d'élite rassemblés pour aider l'apostolat hiérarchique, en cette Action Catholique si vivement désirée et recommandée par Nous, vous devez tout mettre en oeuvre pour opposer la vérité à l'erreur, la splendeur de la chasteté au vice honteux, la liberté des enfants de Dieu à la servitude des passions Jn 8,32 Ga 5,13 ; enfin, à la coupable facilité des divorces, l'indéfectibilité de la vraie charité dans le mariage, et le sacrement de la fidélité conjugale inviolé jusqu'à la mort.
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Ainsi les chrétiens pourront-ils de toute leur âme rendre grâces à Dieu de se sentir contraints avec tant de force et de douceur à fuir au plus loin toute idolâtrie de la chair et tout ignoble esclavage du plaisir. Ils se détourneront avec horreur, ils mettront la plus grande vigilance à s'éloigner de ces criminelles conceptions qui, pour la honte de la dignité humaine, se répandent en ce moment même, de vive voix ou par écrit, sous le nom de "mariage parfait", et qui font de ce soi-disant mariage parfait un "mariage dépravé", comme on l'a dit aussi fort justement.
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Ce salutaire enseignement et cette science religieuse du mariage chrétien n'ont aucun rapport avec cette éducation physiologique exagérée par laquelle, de nos jours, de soi- disant réformateurs de la vie conjugale prétendent rendre service aux époux : ils s'étendent longuement sur ces questions de physiologie, mais ce qu'on enseigne ainsi, c'est bien plutôt l'art de pécher avec astuce que la vertu de vivre avec chasteté.
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Aussi ferons-Nous Nôtres, de toute Notre âme, Vénérables Frères, les paroles de Notre Prédécesseur Léon XIII, d'heureuse mémoire, dans sa Lettre encyclique sur le Mariage chrétien, adressée aux évêques du monde entier : "Ne négligez aucun effort, y disait-il, usez de toute votre autorité pour garder dans toute son intégrité et toute sa pureté, parmi les Populations qui vous sont confiées, la doctrine que le Christ Notre-Seigneur et les Apôtres, interprètes de la volonté divine, nous ont transmise, que l'Eglise catholique a conservée, elle aussi, religieusement, et qu'elle a ordonné à tous les chrétiens d'observer jusqu'à la fin des temps"
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Mais l'enseignement de l'Eglise, si excellent soit-il, ne suffit pas à lui seul à rétablir la conformité du mariage à la loi de Dieu. Même quand les époux sont instruits de la doctrine du mariage, il leur faut, en outre, une très ferme volonté d'observer les saintes lois de Dieu et de la nature concernant le mariage. Quelles que soient les théories que d'aucuns veulent soutenir et propager par la parole et par la plume, il est une décision qui doit être, chez les époux, ferme, constante, inébranlable : celle de s'en tenir, sans hésitation, en tout ce qui concerne le mariage, aux commandements de Dieu : en s'entraidant toujours charitablement, en gardant la fidélité de la chasteté, en n'ébranlant jamais la stabilité du lien conjugal, en n'usant jamais que chrétiennement et saintement des droits acquis par le mariage, surtout dans les premiers temps de l'union conjugale, afin que, si par la suite les circonstances exigent la continence, il leur soit, pour s'y être habitués déjà l'un et l'autre, plus facile de la garder.
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Pour concevoir cette ferme volonté, pour la conserver et pour la faire passer en acte, il sera fort utile aux époux chrétiens de méditer souvent sur leur état et de se rappeler soigneusement le sacrement qu'ils ont reçu. Qu'ils se souviennent sans cesse qu'en vue des devoirs et de la dignité de leur état ils ont été sanctifiés et fortifiés par un sacrement spécial, dont la vertu efficace, tout en n'imprimant pas de caractère, dure cependant perpétuellement. Qu'ils méditent, dans cette vue, ces paroles si consolantes à coup sûr du saint cardinal Bellarmin, qui formule ainsi pieusement le sentiment que partagent avec lui d'autres théologiens éminents : "Le sacrement de mariage peut se concevoir sous deux aspects : le premier, lorsqu'il s'accomplit, le second, tandis qu'il dure après avoir été effectué. C'est, en effet, un sacrement semblable à l'Eucharistie, qui est un sacrement non seulement au moment où i1 s'accomplit, mais aussi durant le temps où il demeure ; car, aussi longtemps que les époux vivent, leur société est toujours le sacrement du Christ et de l'Eglise" (S.Rob Bellarmin De controversiis, t. III ; De matr, controvers II, ch. VI).
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Mais pour que la grâce de ce sacrement produise son plein effet, elle requiert la coopération des époux, dont Nous avons déjà parlé et qui consiste à faire tout ce qui est en eux pour remplir leur devoir avec zèle. De même, en effet, que, dans l'ordre de la nature les énergies que Dieu a répandues ne se manifeste dans leur pleine vigueur que si les hommes les mettent en oeuvre par leur propre travail et leur propre industrie, sous peine de n'en retirer aucun avantage, ainsi que les forces de la grâce qui, du sacrement, ont jailli dans l'âme et qui y demeurent, doivent-elles être fécondées par la bonne volonté et le travail des hommes. Que les époux se gardent donc de négliger la grâce du sacrement, qui est en eux 1Tm 4,14 ; mais qu'ils s'appliquent avec soin à l'observation de leurs devoirs, si laborieuse qu'elle soit, et qu'ils expérimentent ainsi la force, croissant chaque jour davantage, de cette grâce.
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Et s'il arrive qu'ils sentent peser plus lourdement sur eux les labeurs de leur condition et de leur vie, qu'ils ne perdent pas courage, mais qu'ils s'appliquent à eux-mêmes ce que l'apôtre saint Paul écrivait au sujet de l'Ordre à son très cher disciple Timothée, tout près d'être découragé par les fatigues et par les avanies : "Je te recommande de ressusciter la grâce de Dieu, qui est en toi par l'imposition de mes mains. Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de crainte, mais un esprit de force, d'amour et de sagesse". 2Tm 1,6-7
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