Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 291, AU SEIGNEUR ANTOINE DE CIOLO

Lettre n. 292, A PIERRE

CCXCII (284). - A PIERRE, fils de Jacques Attacusi Tholomei, de Sienne.- De la bassesse de ceux qui servent le monde, et de la dignité de ceux qui servent Dieu.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher et très aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir l'ami et[1441] le serviteur de Jésus crucifié; car nous ne pouvons autrement plaire à Dieu, et nous sommes obligés de le faire par reconnaissance. Toute créature raisonnable est obligée de l'aimer, car nous n'avons reçu de Dieu que des services, de grâces, des bienfaits; il nous a aimés sans être aimé de nous. Nous n'étions pas, et il nous a crées à son image et ressemblance; nous avions perdu la grâce par la désobéissance d'Adam, et il nous a donné le Verbe, son Fils unique, par amour seulement; car, au lieu de l'avoir servi, nous l'avions offensé par le péché. Nous étions en guerre avec Dieu, et ce Dieu offensé nous a donné le Verbe son Fils pour être notre rançon, notre médiateur, pour apaiser cette grande guerre avec le précieux sang de l'Agneau. Son obéissance a détruit la désobéissance d'Adam, et comme par la désobéissance nous avons contracté le péché, par l'obéissance du Fils de Dieu nous avons contracté la grâce; et la grâce que nous recevons par le moyen du Verbe est infinie; car toutes les fois que l'homme pèche, et recourt au sang de Jésus-Christ avec douleur et regret de sa faute, il reçoit miséricorde par ce sang, qui nous est appliqué dans le sacrement de pénitence; puisqu'en vomissant les souillures de nos iniquités, c'est-à-dire en nous confessant fidèlement et sincèrement à un prêtre, il nous donne par l'absolution le sang de Jésus-Christ; et ce sang lave la lèpre des péchés et des défauts qui sont en nous. Cette grâce, Dieu nous la fait par amour et sans y être obligé. Nous sommes donc tenus de l'aimer; nous devons l'aimer, si nous voulons éviter l'éternelle damnation [1442].

2. Mais remarquez une chose: ceux qui agissent contre le Sang, ou qui s'unissent à ceux qui le persécutent, en poursuivant de leurs injures, de leurs mépris et de leurs outrages l'Epouse de Jésus-Christ, ceux-là, s'ils ne se convertissent pas, ne participeront jamais au fruit du Sang; ils auront beau s'excuser sur les défauts de ceux qui distribuent le Sang, et dire: Nous poursuivons seulement les fautes des mauvais pasteurs, comme le disent tant de faux chrétiens qui semblent vouloir plaire à Dieu en persécutant son Eglise, cette excuse ne leur servira de rien. Admettons que ces ministres soient des démons incarnés remplis de misères, nous ne devons pas nous faire les justiciers et les bourreaux du Christ. Ce sont les oints du Seigneur, qui veut se réserver le droit d'en faire justice par lui ou par ceux qu'il en a chargés. Aucun pouvoir temporel, aucune loi civile ne peut empêcher celui qui l'usurpe d'encourir la mort de son âme. Dieu ne le veut pas, et celui qui le fait ne montre pas son amour pour le Créateur, mais sa haine. Il est bien ignorant et bien misérable, celui qui se voit tant aimée, et qui n'aime pas; et la patience de Dieu est bien grande pour supporter une telle iniquité. N'oublions donc pas de servir et d'aimer notre Créateur, car nous sommes tenus de l'aimer; et ce n'est pas une honte de le servir, car, servir Dieu, ce n'est pas être esclave, c'est régner; plus on le sert, plus on se soumet à lui, et plus on est maître de soi-même. On n'est pas sous la dépendance du néant, c'est-à-dire du péché, et il ne peut pas arriver de plus grand malheur à l'homme que de se faire le serviteur et l'esclave du péché; car il perd [1443] l'être de la grâce, il sert le néant et devient un néant.

3. Qu'il est donc malheureux, l'homme assez insensé, assez privé de toute lumière pour s'avilir au point d'abandonner son Créateur et de servir le démon, le monde, ses délices qui passent, et sa propre sensualité? Il ne sert plus cette Bonté infinie qui l'aime d'un amour ineffable, ce doux et glorieux Maître qui l'a racheté, non pas avec de l'or et de l'argent, mais avec le précieux sang de son Fils unique. Personne ne peut se refuser à lui; car nous sommes vendus, et nous ne pouvons plus nous vendre au démon ni aux créatures, en les servant hors de Dieu. Nous sommes bien obligés de servir notre prochain, mais jamais en ce qui est contraire à la volonté de Dieu, Oh! combien est glorieuse cette puissance que l'âme acquiert en servant son Créateur! Elle règne sur le monde entier, dont elle méprise les lois et les usages; elle règne sur elle-même, et ne se laisse jamais commander par la colère, par l'impureté, par aucun vice; mais elle les domine tous par l'amour de la vertu.

4. Il y en a beaucoup qui possèdent des villes et des châteaux, et ne se possèdent pas eux-mêmes; mais toute puissance sans celle-là, est misérable et dure peu; on l'exerce mal, sans consulter la raison et la justice, en n'écoutant que la sensualité, l'amour de soi-même et les caprices des autres. Ce n'est pas alors la justice, mais l'injustice; car la justice ne veut pas être corrompue par l'amour-propre, par les présents, l'argent et les flatteries des hommes, et celui qui l'aime voudra plutôt mourir que d'offenser

Dieu en cela ou en autre chose; c'est un serviteur fidèle, et il est maître de lui-même en gouvernant la sensualité et le libre arbitre par la raison. Puisque aimer et servir Dieu est si noble, si nécessaire à notre salut, puisque le contraire entraîne tant de danger et de misère, je le veux et je vous en conjure, très cher Frère, servez Dieu de tout votre coeur, de toute votre âme. Ne comptez pas sur le temps, vous n'êtes pas sûr de l'avoir, car nous sommes tous condamnés à mort, et nous ne savons pas le moment; nous ne devons pas perdre le temps présent à cause de celui qui est incertain.

5. Et parce que nous avons dit que nous sommes obligés d'aimer Dieu, j'ajoute que celui qui aime doit être utile à celui qu'il aime, et le servir, Mais je vois que nous ne pouvons être utiles à Dieu. Quel profit lui cause notre bien? quel tort lui fait notre mal? Que devons-nous donc faire? Nous devons rendre gloire et louange à son nom, orner notre vie de vertus, et nous fatiguer pour le prochain; nous devons travailler à lui être utile, le servir en toutes les choses qui sont selon Dieu, et supporter ses défauts avec une charité bien entendue et non pas déréglée. L'amour déréglé fait quelquefois commettre des fautes pour sauver le prochain, ou pour lui plaire; il ne doit pas en être ainsi, car l'amour bien réglé en Dieu ne veut jamais sacrifier son âme. même pour sauver le monde entier. S'il était possible, en commettant un péché, d'assurer la vie éternelle à toutes les créatures raisonnables, il ne faudrait pas le faire; mais on doit sacrifier la vie du corps pour l'âme de son prochain. et sa fortune pour sauver son corps. C'est ainsi, c'est [1445] par le moyen du prochain que nous devons aimer Dieu, et montrer que nous l'aimons.

6. Vous savez bien ce que le Christ disait à saint Pierre: " Pierre, m'aimes-tu " Et Pierre répondait qu'il savait bien qu'il l'aimait. Et, après trois fois, le Sauveur ajouta: "Si tu m'aimes, pais mes brebis. " Il semblait lui dire: C'est à cela que je verrai si tu m'aimes; tu ne peux m'être utile, mais tu peux secourir ton prochain, le nourrir et lui donner à la sueur de ton front, la sainte et vraie doctrine. Nous devons donc aussi le secourir selon nos aptitudes, les uns par l'enseignement, les autres par la prière, d'autres par leur fortune; et celui qui n'en a pas peut le faire par ses amis, afin que nous exercions tous la charité, et que nous nous servions des moyens que Dieu nous a donnés. C'est ce que je vous demande par grâce et par miséricorde. Je vous redis la parole du Christ e Pierre, aimes-tu ton Créateur, et m'aimes-tu? il faut alors me servir dans ton prochain, qui a besoin et qui souffre. " Il faut le faire de tout notre pouvoir, en cherchant toujours l'honneur de Dieu, et sans jamais l'offenser.

7. J'ai appris que Louis des Vignes de Capoue, frère de Frère Raymond, a été pris par les gens du Préfet lorsqu'il était avec les troupes de la Reine (Louis des Vigne était au services de la reine de Naples, et combattait pour l'Eglise; il faisait partie d'une troupe qui allait attaquer Viterbe, et qui fut battue par le préfet de Rome, Français de Vico, en guerre avec Grégoire XI.). On l'a taxé à quatre mille florins, et il est dans l'impossibilité de les donner, car il est pauvre. Je vous [1446] prie donc et je vous conjure, au nom de l'ineffable charité que Dieu nous a montrée en répandant pour toute créature le sang de son Fils, de vous employer autant que vous le pourrez auprès du Préfet, afin que, par amour pour Jésus crucifié, le fasse grâce et miséricorde à son prisonnier, et ne lui demande pas ce qu'il ne peut donner. Dites-lui que c'est une aumône qui lui obtiendra de Dieu le temps de corriger sa vie, et d'arriver à la vertu, à la paix, au repos de l'âme et du corps, et surtout au respect et à l'obéissance de la sainte Eglise, comme un bon serviteur et un fidèle chrétien. Et après cela il jouira de la vie éternelle, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, et la faim sans peine. Et moi, je m'engage envers lui et envers vous, tant que je vivrai, à offrir sans cesse des prières, des larmes, des désirs pour votre salut, autant que Dieu m'en fera la grâce. Je n'ai pas d'autre chose à vous donner. Faites cela pour lui et pour moi, par amour de Jésus crucifié; vous montrerez ainsi les sentiments que vous avez pour lui, pour moi, pour le Frère Raymond, qui est le père de mon âme. Saluez de ma part le Préfet, et dites-lui de suivre les traces de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1447] .






Lettre n. 293, A GABRIEL DE DAVINO PICCOLOMINI

CCXCIII (285).- A GABRIEL DE DAVINO PICCOLOMINI.- De la vertu de persévérance, et des armes que nous devons employer pour vaincre nos ennemis.



(L'illustre famille des Piccolomini a donné à l'Eglise trois papes, quatre cardinaux, quatorze archevêques et vingt et un évêques. Gabriel Piccolomini était très dévoué à sainte Catherine. Son fils, le bienheureux Jean Piccolomini fut aussi son disciple. Il mourut dans l'ordre de Saint-Dominique, le 20 août 1410.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir constant et persévérant dans la vertu, de manière que jamais tu ne détournes la tête en arrière: autrement tu ne pourrais pas être agréable à Dieu et recevoir le fruit du sang de l'humble Agneau sans tache, car la persévérance seule est couronnée. Et si tu me dis, très cher Fils Comment puis-je avoir cette constance et cette persévérance? j'ai tant d'ennemis autour de moi, le monde, les créatures, qui me poursuivent de leurs injures et de leurs murmures, et ma propre sensualité, qui se révolte si souvent contre la raison! je te répondrai que, pour vaincre ces ennemis, il faut des armes et du courage; il faut entrer généreusement sur le champ de bataille, ne pas craindre la mort et [1448] aimer la gloire qui suit le combat. Ou!, nous sommes sur le champ de bataille pour combattre nos ennemis, c'est-à-dire le monde, la chair et le démon; nous ne pourrons pas combattre sans armes et parer les coups qu'on nous donnera. Quelle arme faut-il donc avoir? une épée. Il faut aussi avoir la cuirasse de la vraie charité, qui résiste aux coups du monde de différentes manières, aux tentations nombreuses du démon et aux attaques de la chair, qui se révolte contre l'esprit; il faut que la cuirasse soit couverte d'une cotte d'armes vermeille, c'est-à-dire du sang de Jésus crucifié; uni et mêlé au feu de la divine charité. 2. Il faut que ce sang paraisse, c'est-à-dire que tu le confesses devant toute créature, et que tu te montres par de bonnes et saintes oeuvres, par des paroles s'il le faut, et ne pas faire comme les insensés, qui rougissent devant le monde de reconnaître Jésus crucifié, et de se déclarer ses serviteurs; ceux-là ne veulent pas revêtir la cotte de mailles. Quelle honte pour le monde de ne pas oser reconnaître le Christ et son sang, qui nous a rachetés avec tant d'amour! Et ils ne rougissent pas de leurs iniquités, qui les privent si malheureusement du prix du Sang, qui ternissent la beauté de leur âme, leur font perdre leur dignité, et les rendent semblables à des animaux grossiers. Ils deviennent les serviteurs et les esclaves du péché, et ils ne s'aperçoivent pas qu'ils ont perdu la lumière de la raison; ils vont comme des aveugles et des insensés, s'attachant aux choses du monde, qu'ils ne peuvent jamais retenir, parce qu'elles passent comme le vent. Elles nous quittent, ou nous les quittons, lorsque le souverain Juge nous appelle et [1449] que l'âme est séparée du corps. S'ils ne se convertissent pas pendant la vie ou à l'heure de la mort, et personne ne doit être assez ignorante pour attendre ce moment, car nous ne savons pas comment et quand nous mourrons, s'ils ne se convertissent pas, ils sont privés des biens de la terre et de ceux de ciel; ils tombent dans l'éternelle damnation.

3. Aussi je ne veux pas, mon Fils, puisqu'ils courent un si grand danger, que tu leur ressembles. Mais arme-toi, comme je te l'ai dit; sois constant, persévérant dans ce combat jusqu'à la mort, sans jamais craindre. Il faut avoir aussi à la main pour te défendre Je glaive de la haine et de l'amour, l'amour de la vertu et la haine du vice; et avec ce glaive, tu frapperas le monde, en détestant ses honneurs, ses délices, ses pompes, ses vanités, son orgueil infini. Tu frapperas tes persécuteurs avec la vraie patience que tu acquerras par l'amour de la vertu; tu frapperas le démon, parce que la charité seule le frappe, et le chasse de l'âme comme la mouche est chassée par la vapeur de l'eau qui bout. Tu frapperas aussi la sensualité et ta faiblesse par la haine que tu trouveras dans la sainte connaissance de toi-même, et par l'amour de ton Créateur, que tu acquerras par la connaissance de Dieu en toi; c'est cet amour qui te fera combattre.

4. Tu dois avoir sans cesse devant les yeux de ton intelligence, Jésus crucifié se glorifiant dans ses opprobres et dans ses peines; tu verras en lui la gloire qui est préparée pour toi et pour ceux qui le servent. Dans cette gloire, tu trouveras et tu recevras la récompense de tout ce que tu auras souffert pour la [1450] gloire et l'honneur de son nom. C'est ainsi, très cher Fils que tu parviendras à la vertu parfaite, que tu vaincras ta faiblesse et que tu persévéreras jusqu'à la mort. Sans la persévérance, notre arbre ne peut produire aucun fruit. C'est pourquoi je t'ai dit que je désirais te voir constant et persévérant, afin que tu ne tournes jamais la tête en arrière. Je ne t'en dis pas davantage. Je t'ai parlé d'armes pour que tu sois prêt quand se lèvera l'étendard de la très sainte Croix. J'ai voulu te faire connaître les armes les meilleures, et il faut que tu commences à t'en servir parmi les chrétiens, pour quelles ne soient pas rouillées quand tu marcheras contre les infidèles. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 294, A PIERRE

CCXCIV (286).- A PIERRE, fils de Thomas Bardi, de Florence. Lettre écrite en extase.- La foi doit être accompagnée des oeuvres, et tonte bonne oeuvre est récompensée.

(La famille Bardi est une des plus illustres de Florence. Pierre Bardi fut un des dix du gouvernement, en 1395. )



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE




1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairé de [1451] la lumière de la très sainte Foi, et revêtu de la parfaite espérance. Vous ne pourrez autrement plaire à notre Créateur et participer à la vie de la grâce, car la Foi vive n'est jamais sans les oeuvres (Jc 2,17). Si la Foi était sans les oeuvres, elle serait morte, et n'enfanterait que des vertus mortes et stériles. Car celui qui n'a pas la lumière de la Foi est privé de la vertu de charité; et sans la charité, tout le bien, tous les actes de vertu qu'on fait ne servent pas pour la vie éternelle; il ne faut pas cependant cesser de les faire, parce que tout bien est récompensé et toute faute punie. Le bien fait en péché mortel, et privé par conséquent de la lumière de la très sainte Foi, ne profite pas pour la vie éternelle; mais il profite pour d'autres choses, et attire les grâces de Dieu. La Bonté divine ne veut pas que le bien fait par l'homme soit inutile, et il le récompense, quelquefois en nous donnant le temps de nous convertir, quelquefois en mettant dans les coeurs de ses serviteurs le désir de notre salut, et en nous aidant par ce désir et par leurs prières à sortir des ténèbres du péché mortel, et à revenir à l'état de grâce. Il le récompense encore dans les choses temporelles, lorsque l'homme par sa faute se rend incapable de recevoir des grâces spirituelles. Vous voyez donc que tout bien est récompensé, et que nous ne devons jamais cesser de faire le bien; mais nous devons nous appliquer à le faire en état de grâce, pour qu'il soit fait à la lumière de la Foi; c'est à cette lumière que naissent les vraies vertus, qui donnent à l'âme la vie de la grâce [1452].

2. O glorieuse lumière! qui délivres l'âme des ténèbres, et la dépouilles de l'espérance qu'elle met en soi-même, dans le monde, les enfants et les créatures, pour la revêtir de la véritable espérance qu'elle place en Jésus crucifié. L'âme ne craint jamais qu'il lui manque quelque chose, parce qu'à la lumière de la Foi, elle a connu la bonté de Dieu à son égard; elle voit que Dieu est tout-puissant, et qu'il peut la secourir, qu'il est très sage et qu'il sait comment le faire, qu'il est très bon et qu'il veut le bien de sa créature raisonnable. Celui qui espère en lui, Dieu ne l'abandonne jamais; il nous assiste selon que nous espérons en ses largesses, et il mesure ses dons à nos espérances. Si l'homme se connaît à la lumière de la Foi, il ne se confie pas en lui-même et en ce qu'il possède; car il connaît son néant, et il voit que, si ce qu'il aime était à lui réellement, il le posséderait selon son désir. Mais il veut être riche, il est souvent pauvre; quand il souhaite la santé et une longue vie, il devient malade, et le temps lui échappe. Bien fou et bien malheureux est celui qui met son espérance dans l'homme! car il doit voir qu'il n'a rien par lui-même, et que le monde et l'homme ne le servent que par intérêt. Celui donc qui met en eux son espérance est toujours trompé; rien ne lui réussira; en voulant s'enrichir et donner de la fortune à ses enfants, il appauvrira son âme. L'existence lui devient insupportable, parce qu'il désire ce qu'il ne doit pas désirer; et comme sa volonté s'égare à vouloir ce qu'il n'a pas, il est toujours dans la peine, parce qu'il est privé du Bien suprême, qui apaise, calme et rassasie l'âme[1453].

3. O mon Frère, mon très cher Fils, ouvrez l'oeil de l'intelligence à la lumière de la très sainte Foi, afin de connaître le néant, la vanité du monde et l'infinie bonté de Dieu, qui seul est fidèle, immuable, qui seul nourrit et rassasie l'âme dans son ardente charité, qui la revêt d'espérance. Elle espère en son doux Créateur, et sait bien que la Bonté divine voit ses besoins: elle lui offre ses désirs, ses besoins; elle le sort de tout son coeur, de toutes ses forces. Elle travaille pour sa famille, elle l'aide et l'assiste autant qu'elle peut, et selon les lois de la conscience; mais elle laisse faire le reste à la divine Bonté, en qui elle a mis son espérance, parce qu'elle connaît à la lumière de la Foi toute la tendresse de sa providence. Je ne vois pas comment vous pourriez échapper àla fange du monde sans la lumière de la Foi, d'où vient l'espérance de la charité, qui fait goûter à l'âme les arrhes de la vie éternelle, parce que sa volonté est revêtue de la douce volonté de Dieu.

4. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir éclairé de la lumière de la très sainte Foi et revêtu de l'espérance parfaite. Et je vous prie de le faire, vous et votre femme, par amour de Jésus crucifié, afin de ne pas être en état de damnation, Et si vous ne l'avez pas fait autrefois, je veux que vous le fassiez maintenant. Ne tardez pas à vous occuper de votre salut, car le temps ne vous attend pas; vous ne devez pas non plus l'attendre et faire comme le corbeau, qui crie: Cras, cras, demain, demain. Ceux qui perdent le temps disent aussi toujours: Je le ferai demain; et ils arrivent la mort sans s'en apercevoir. Ils demandent alors du temps, et ils ne peuvent [1454] en obtenir; ils ont dépensé celui qu'ils avaient, à vivre dans l'avarice et la débauche, à souiller leur esprit et leur corps; ils ont profané Je sacrement de mariage, et ils ont fait leur Dieu de leurs enfants. Dans leur aveuglement, ils mettent leur espérance où ils ne doivent pas la mettre, et ils vont ainsi de chute en chute, tellement que, s'ils ne se convertissent pas, s'ils n'expient pas leur faute par la contrition du coeur, la confession et la satisfaction autant qu'ils le peuvent, car Dieu ne leur demande pas l'impossible, ils arrivent à. l'éternelle damnation. Je veux donc que vous sortiez de votre sommeil avant que vienne la mort. Ne perdez pas ce désir, cette lumière, que Dieu vous a donnés; mais augmentez-les par la pratique des vertus, par la lumière de la Foi et la sainte espérance. Ne pensez pas que la divine Providence puisse jamais vous abandonner; mais elle vous secourra toujours si vous espérez en elle dans tous vos besoins. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 295, A JEAN TRENTA

CCXCV (287). - A JEAN TRENTA, et à sa femme, à Lucques. - Elle les exhorte à l'union, à la concorde et à l'imitation de Jésus-Christ.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Jean, mon très cher Frère et Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des [1455] serviteurs de Dieu, je vous bénis et je vous encourage dans le précieux sang de son Fils. Mon Fils, j'ai désiré avec désir vous voir, vous, votre famille, et surtout votre femme, si parfaitement unis dans les liens de la vertu, que ni les démons ni les créatures ne puissent jamais vous séparer. O ma Fille et mon Fils bien-aimés, qu'il ne vous paraisse pas pénible et dur de faire quelque chose pour Jésus crucifié. Ne serait-ce pas une grande ignorance, une grande insensibilité de coeur, de voir la souveraine, l'éternelle Grandeur, le Christ, descendre jusqu'à notre humanité, et ne pas nous humilier! Ne voyez-vous pas le Christ, pauvre, s'humilier dans une crèche, entre deux animaux, et repousser toute pompe, toute gloire humaine? Ce qui fait dire à saint Bernard, nous montrant l'humilité profonde et la pauvreté du Christ pour confondre notre orgueil: "Rougis donc, homme superbe qui cherches les honneurs, les délices et les pompes du monde! Tu crois peut-être que ton Roi, le doux Agneau, a nu des palais somptueux et une cour brillante? Non; la douce Vérité suprême ne l'a pas voulu. Pour notre exemple et notre règle, Notre-Seigneur a choisi une pauvreté si grande, qu'il n'avait pas un morceau d'étoffe convenable pour s'envelopper; et comme il faisait bien froid, un animal soufflait sur le corps de l'enfant; et jusqu'au dernier instant de sa vie, sur le lit de la Croix, il fut si nu, qu'il disait: Les oiseaux ont un nid, et les renards une tanière; mais le Fils de la Vierge n'a pas où reposer sa tête (Lc 9,58).[1456]"

2. O pauvres misérables que nous sommes! Mon doux Frère, ma Soeur, est-ce que vos coeurs ne sont pas assez touchés pour résister à toutes les illusions du démon et à tous les propos des créatures? Donnez-vous donc généreusement à Pieu, et suivez dans la paix et l'union les traces de notre doux Sauveur, qui nous dira cette douce parole: Venez. mes enfants- Pour mon très doux amour, vous avez quitté les désirs déréglés de la terre; je vous remplirai et je vous comblerai des biens du ciel; je vous donnerai le centuple, et vous posséderez la vie éternelle. Quand la douce Vérité vous donne-t-elle le centuple? Quand elle répand dans vos âmes sa très ardente charité. C'est là ce doux centuple sans lequel nous ne pouvons avoir la vie éternelle, mais avec lequel elle ne peut nous être enlevée. Oui, je vous conjure de ne pas affaiblir, mais d'augmenter les saintes résolutions, les bons désirs que Dieu vous a donnés; c'est ce que désire mon âme. Je termine. Que Dieu vous donne sa douce, son éternelle bénédiction. Moi, l'inutile servante, je me recommande à vous- Moi Jeanne Pazzi (Jeanne Pazzi, compagne de sainte Catherine lui servit de secrétaire pour cette lettre.), et toutes les autres, nous demandons toutes à Dieu de mourir d'amour. Doux Jésus, Jésus amour [1457].






Lettre n. 296, A BARTHOLE USIMBARDI

CCXCVI (288).- A BARTHOLE USIMBARDI, à Florence.- De la charité, de l'humilité et de la vraie persévérance.

(Barthole Usimbardi était un des disciples de sainte Catherine, à Florence. Il appartenait à une des plus nobles familles de cette ville.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir brûler dans la fournaise de la charité divine, afin que tout amour-propre soit consumé en vous, et que vous vous appliquiez uniquement à. plaire à votre Créateur, ne vous inquiétant pas de ce que disent les créatures, ni des injures, des mépris et des reproches que vous en recevez mais inclinant humblement la tête devant tout ce que la Bonté divine voudra permettre. Pour être fort contre les tentations et les attaques du démon, ayez une volonté ferme de n'y jamais consentir, mais d'aimer uniquement et de servir votre Créateur. En faisant ainsi, vous serez persévérant jusqu'à la mort, et vous recevrez enfin la récompense de toutes vos fatigues, qui est, nous dit saint Paul, incomparablement plus grande que tout ce que nous pouvons souffrir en cette vie [1458].

2. Réjouissez-vous, mon doux Fils de ce que vous avez encore reçu le sang de Jésus-Christ en grande abondance; car j'ai obtenu du Saint-Père l'indulgence plénière de la mort pour beaucoup de mes enfants. Vous êtes du nombre, ainsi que François et sa femme; mais je ne ferai faire pour tous qu'une expédition de cette grâce, afin d'éviter les difficultés et la dépense. Ne vous tourmentez pas si vous n'avez pas d'écrit, la parole du Vicaire de Jésus-Christ doit vous suffire; et au moment de la mort vous pourrez demander au prêtre l'absolution de la faute et de la peine, comme il peut et doit vous la donner. Croyez, mon Fils, avec une foi vive et une ferme espérance qu'avec cette indulgence, en quittant cette vie bien confessé et bien repentant de vos fautes, votre âme, ira pure et préparée pour la vie éternelle, comme le jour où elle a reçu le saint baptême.

3. Je veux donc que vous changiez de vie, et que vous la régliez entièrement sur la volonté de Dieu. Mettez votre coeur et votre affection en lui; méprisez le monde, et n'en usez que par nécessité. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1459].






Lettre n. 297, A BARTHOLE USIMBARDI

CCXCVII (289). - A BARTHOLE USIMBARDI, à sa femme, madame Orna, à François Pépin, tailleur, et à sa femme, madame Agnès, de Florenco.- Elle les exhorte à la vertu de charité, et à suivre la croix de Jésus-Christ.

(Le mot tailleur peut bien n'être qu'une indication de profession. Les corps de métiers avaient le pas sur la noblesse dans la république de Florence.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir brûlés et consumés dans le feu de la charité. Ce feu, en brûlant, ne consume pas, mais engraisse l'âme; elle l'unit et la transforme en lui, le feu de l'amour divin. L'âme voit qu'elle a reçu de Dieu l'être uniquement par amour, et que, par amour aussi, Dieu lui accorde toutes les grâces et tous les dons qui sont ajoutés à l'être. Elle voit ensuite que, par amour, Dieu le Père nous a donné le Verbe son Fils pour qu'il payât nos dettes, et qu'il nous tirât de l'obscure prison et de la servitude du démon, dont l'homme ne pouvait pas sortir. Ce Verbe divin, en devenant homme mortel, descendit sur le champ de bataille pour nous. Il défit le démon, brisa l'obscure prison, et nous tira de la malheureuse servitude où, depuis si longtemps, le [1460] genre humain était plongé; il nous ouvrit avec la Croix, la porte de la vie éternelle. Il a fait tout cela par amour. Puisqu'il nous a montré la voie et ouvert la porte, il ne nous reste plus qu'à avancer, Nous pouvons marcher en toute assurance sous l'étendard glorieux de la Croix, et nos ennemis seront épouvantés et vaincus. Notre Dieu nous attend avec amour, et nous invite à venir jouir de lui, le souverain Bien.

2. O amour ineffable, charité infinie, feu de la divine charité! quel est le coeur qui, en se voyant aimé avec tant d'ardeur, ne se brisera pas d'amour, et ne se transformera pas tout en lui? Ce coeur serait trop dur, plus dur que le diamant, s'il résistait àune telle flamme. Je veux donc, mes très chères Filles, dame Orsa et dame Agnès, que vous quittiez le sommeil de la négligence, et que vous contempliez avec l'oeil de l'intelligence, ce foyer d'amour. Je vous dis la même chose, mon Fils François; et lorsque vous aurez vu, vous serez forcé d'aimer; et lorsque vous aimerez, tous les fardeaux vous seront légers pour Dieu; et aussitôt votre amour s'étendra sur votre prochain, c'est ce que Dieu aime le plus; vous satisferez ainsi à l'amour de Dieu et du prochain. Le temps me presse, et je vous dis seulement de mettre votre force en Jésus crucifié et de vous baigner dans son très doux sang. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1461].








Lettre n. 298, A BARTHOLE USIMBARDI

CCXCVIII (290). - A BARTHOLE USIMBARDI, et à François Pépin, de Florence.- Elle les exhorte à la reconnaissance envers Dieu, d'ou viennent toutes les vertus.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir pleins de reconnaissance pour les bienfaits que vous avez reçus de notre Créateur, afin que la source de la piété coule en vous. Cette reconnaissance vous rendra zélés à pratiquer la vertu. Car, de même que l'ingratitude rend l'âme paresseuse et négligente, de même la douce habitude nous rend avares du temps, et nous ne passons pas un instant sans travailler. De cette gratitude procède toute véritable vertu. Qui nous donne la charité? qui nous rend humbles et patients? la seule gratitude. Car celui qui voit la grande dette qu'il a contractée envers Dieu s'applique à. vivre vertueusement, parce qu'il sait que Dieu ne nous demande pas autre chose. Aussi, mes doux enfants, rappelez-vous avec zèle tous les nombreux bienfaits que vous avez reçus de lui, afin d'acquérir parfaitement cette mère des vertus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1462].






Lettre n. 299, A FRANÇOIS PEPIN

CCXCIX (291).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Elle les exhorte à acquérir les vertus, et à mépriser le monde.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


Très cher Fils et très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus- Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir aimer la vertu, car vous ne pouvez pas autrement avoir la vie de la grâce et participer au sang du Fils de Dieu. Puisque cela est si nécessaire, il faut absolument extirper les vices en nous. et planter la vertu; il faut faire violence à nos passions sensitives, et nous dire à nous-mêmes: Je veux plutôt mourir qu'offenser mon Créateur et perdre la beauté de mon âme. Je veux qu'il en soit ainsi, mes très chers enfants. Soyez. des miroirs de vertus, foulez aux pieds le monde avec toutes ses délices, et suivez Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1463].







Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 291, AU SEIGNEUR ANTOINE DE CIOLO