Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 299, A FRANÇOIS PEPIN

Lettre n. 300, A FRANÇOIS PEPIN

CCC (292).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence.- De la persévérance, et du renoncement à la volonté propre.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constant et persévérant dans la vertu, afin que vous receviez la couronne de gloire, qui ne se donne pas à. celui qui commence seulement, mais à. celui qui persévère jusqu'à. la mort. Aussi je veux que vous grandissiez et que vous persévériez dans la vertu jusqu'à la mort, et qu'aucune tribulation, aucune attaque du démon ou des créatures ne vous fassent tourner la tête en arrière. Baignez-vous dans le sang du Christ, en anéantissant et en tuant toute volonté propre, toute passion sensitive; et alors vous serez fort, et rien ne pourra vous ébranler, parce que vous aurez pour fondement la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, et vous recevrez la récompense de vos fatigues. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1464].






Lettre n. 301, A FRANÇOIS PEPIN

CCCI (293). - A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à sa femme, madame Agnès. - Des vrais serviteurs de Jésus-Christ. - Du souvenir des bienfaits de Dieu et de nos défauts.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils et très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir les vrais serviteurs de Jésus crucifié, constants et persévérants jusqu'à la mort, afin que vous receviez la couronne de gloire, qui ne se donne pas à celui qui commence seulement, mais à celui qui persévère jusqu'à. la fin. Je veux donc que vous vous appliquiez avec zèle à courir dans la voie de la vérité, vous efforçant toujours d'avancer de vertu en vertu. Ne pas avancer, c'est reculer, car l'âme ne peut jamais rester stationnaire. Et comment pourrons-nous, très cher Fils, augmenter le feu du saint désir? en mettant du bois sur le feu. Mais quel bois? le souvenir des nombreux et infinis bienfaits de Dieu, qui sont innombrables, et surtout le souvenir du sang versé par le Verbe, son Fils unique, pour nous montrer l'amour ineffable que Dieu a pour nous; en nous rappelant ce bienfait et tant d'autres, nous verrons augmenter notre amour [1465].

2. Il faut aussi considérer nos nombreux et innombrables défauts, les péchés que nous avons commis contre Dieu; il faut les regretter, les pleurer amèrement en comprenant combien a été grande la miséricorde de Dieu envers nous, puisqu'il ne nous a pas fait engloutir par la terre, ou dévorer par les bêtes féroces. C'est ainsi que vous mettrez du bois pour augmenter le feu; la vue des bienfaits nous donnera l'amour de la vertu, et celle de nos iniquités nous fera concevoir la haine du vice et de la sensualité qui en est cause. De cette manière nous persévérerons jusqu'à. la mort, en avançant toujours, et alors vous serez les vrais serviteurs de Jésus crucifié. Je vous disais que c'était là mon désir pour vous, et je vous conjure de le faire pour l'amour de Jésus crucifié, afin que je voie s'accomplir en vous la volonté de Dieu et mon désir. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.





Lettre n. 302, A FRANÇOIS PEPIN

CCCII (294).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Nous devons marcher dans cette vie comme des pèlerins, avec patience, persévérance et mépris du monde.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils et très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave [1466] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de bons et vrais pèlerins. Car pour toute créature raisonnable, la vie est un pèlerinage; ici-bas n'est pas notre fin le but que nous devons atteindre, et pour lequel nous avons été créés, est la vie éternelle. Aussi je veux que nous suivions la voie qui a été tracée, c'est-à-dire la doctrine de Jésus crucifié. Celui qui la suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il arrive à. la parfaite lumière. Nous devons donc être comme des pèlerins que les plaisirs ou les difficultés du chemin ne détournent et n'arrêtent pas, mais qui marchent toujours jusqu'à ce qu'ils soient arrivés au terme.

2. Il faut faire de même, très chers Fils; nous sommes entrés dans ce chemin de la doctrine du doux et tendre Verbe, pour arriver à Dieu le Père; nous trouvons des passages mauvais, nous rencontrons les injures et les outrages des créatures, les attaques du démon. Il ne faut pas pour cela nous arrêter et tourner la tête en arrière par impatience, mais il faut surmonter tout généreusement, avec la lumière de la Foi; il faut humblement baisser la tête sous la douce volonté de Dieu, qui, pour nôtre bien, permet ces moments difficiles, afin de pouvoir nous mieux récompenser. Car, comme le dit le glorieux apôtre saint Jacques: " Heureux celui qui supporte la tentation;car quand il aura été éprouvé, il recevra la couronne de vie (Jc 1,12)." Et saint Paul dit: " Il n'y aura de couronné que celui qui aura vaillamment combattu (2 Rim 2,5) [1467]. " Réjouissez-vous donc quand vous êtes tourmentés par les démons et les créatures, puisqu'ils vous préparent ainsi la couronne. Marchez avec persévérance dans le chemin de la vérité. Que les plaisirs, les honneurs, les jouissances que le monde vous promet, et que notre chair fragile désire, ne vous engagent jamais à vous arrêter pour jouir; mais, comme de vrais pèlerins, faites semblant de ne rien voir, et poursuivez votre voyage avec courage jusqu'à la mort, afin d'arriver au terme. Je vous prie de le faire par amour pour Jésus-Christ. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.





Lettre n. 303, A FRANÇOIS PEPIN

CCCIII (295).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- De la sainte crainte de Dieu, qui détruit la crainte servile.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermis dans la sainte crainte de Dieu, parce que sans cette crainte, vous ne pourrez participer a la vie de la grâce. Cette sainte crainte chasse la crainte servile qui était dans l'âme, et lui donne une telle assurance, que pour accomplir la volonté de Dieu, elle ne craint pas de déplaire aux [1468] hommes; elle ne redoute ni les reproches, ni les mauvais traitements, ni les outrages. Elle ne craint pas de perdre sa fortune, sa vie même, pourvu qu'elle rende au nom de Dieu la gloire qui. lui est due; elle a détaché son regard de la terre pour le fixer sur son Créateur, et suivre avec zèle les traces de Jésus crucifié. Toutes ses oeuvres sont dirigées et réglées selon la volonté de Dieu; elle demeure dans les liens de la charité avec toutes les créatures raisonnables. Tout bien, toute paix, tout repos découlent de cette sainte et douce crainte, et elle donne la perfection à. l'âme qui l'a prise pour fondement. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir affermis dans cette sainte crainte, et je vous prie de le faire pour l'amour de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 304, A FRANÇOIS PEPIN

CCCIV (296).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à madame Agnès, sa femme.- De quelle manière la raison doit vaincre la sensualité.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillés de vous-mêmes et revêtus de Jésus crucifié, morts à toute volonté, à [1469] toute complaisance humaine, afin que la douce vérité vive seule en vous. Car je ne vois pas que vous puissiez autrement persévérer dans la vertu; et en ne persévérant pas, vous ne recevrez pas la couronne de la béatitude, et vous perdrez ainsi le fruit de vos fatigues.

2. Je veux donc, mes doux Fils, qu'en toute chose vous vous étudiiez, à tuer cette volonté sensitive, qui veut toujours se révolter contre Dieu; et voici le moyen de la tuer: il faut que la raison siège sur le tribunal de votre conscience, et ne laisse jamais passer la moindre pensée contraire à Dieu sans la reprendre sévèrement. Que l'homme sépare en lui la sensualité et la raison; que la raison prenne le glaive à deux tranchants, le glaive de la haine du vice et de l'amour de la vertu, et que par son moyen, il réduise la sensualité en esclavage, déracinant et détruisant le vice et les mouvements déréglés dans son âme. Il faut qu'il ne donne jamais à la sensualité, son esclave, ce qu'elle lui demande, mais qu'il la foule aux pieds par l'amour de la vertu. Si elle veut dormir, Il faut recourir aux veilles et à l'humble prière; si elle veut manger, il faut jeûner; si elle veut écouter la concupiscence, il faut prendre la discipline; si elle veut s'abandonner à la négligence, il faut faire de saints exercices; si elle se laisse entraîner par sa fragilité ou par les illusions du démon à des pensées déshonnêtes, il faut la reprendre sévèrement, l'effrayer par le souvenir de la mort, et chasser par de saintes pensées, les pensées coupables.

3. Il faut ainsi en toute chose vous faire violence à vous-mêmes, mais toujours avec discrétion, en [1470] tenant compte des besoins de la nature, afin que le corps, comme instrument, puisse aider l'âme à servir Dieu. De cette manière, par la violence que vous ferez à cette loi de votre chair et de votre volonté propre, vous aurez la victoire de tous les vices, et vous acquerrez toutes les vertus, Mais je ne vois pas que vous puissiez le faire, tant que vous serez revêtus de vous-mêmes. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous en voir dépouillés, et revêtus de Jésus crucifié; et je vous conjure de vous appliquer à le faire, afin que vous soyez ma gloire. Soyez:deux miroirs de vertu en la présence de Dieu; quittez toute négligence et toute ignorance que je vois encore en vous; ne me causez pas de peine, mais de la joie. J'espère de la bonté de Dieu que vous me donnerez cette consolation. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 305, A FRANÇOIS PEPIN

CCCV (597).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Il faut fuir la société des pécheurs, et rechercher celle des serviteurs de Dieu.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang [1471], avec le désir de vous voir éclairés de la vraie lumière, afin que vous persévériez dans la vertu Jusqu'à la mort. Sans cette lumière, mes amis, vous marcherez dans les ténèbres, et vous ne connaîtrez pas la vérité les choses douces vous paraîtront amères, et les amères, douces. Mais en ayant la lumière, nous serons prudents, et nous fuirons tout ce qui peut diminuer en nous la vertu et l'amour parfait que nous devons avoir pour notre Créateur. Avec cette lumière, nous verrons combien est dangereuse la société de ceux qui vivent sans la crainte de Dieu; car elle cause notre ruine, elle abrutit la conscience, elle éloigne la prière, qui nourrit; elle chasse l'abstinence, empêche la ferveur et développe l'amour de vains plaisirs du monde. Elle nous ravit la sainte humilité, détruit la retenue, excite les passions et obscurcit l'oeil de l'intelligence, au point que l'âme paraît ne pas avoir commencé à connaître son Créateur. Et ainsi, peu à peu, la créature change sans s'en apercevoir; l'ange terrestre devient un démon de l'enfer. Où est la pureté d'autrefois? où est le désir de souffrir pour Dieu? où sont les larmes que vous aviez coutume de répandre en la présence de Dieu avec d'humbles et continuelles prières? où est cette charité fraternelle que vous aviez pour toute créature raisonnable? Rien n'est resté, parce que le démon a tout volé par le moyen de ses serviteurs.

2. Je ne veux pas, mes très chers et doux enfants, que cela vous arrive; mais que votre conversation soit toujours avec ceux qui craignent et aiment Dieu en vérité. Ceux-là. sont un moyen de réchauffer nos coeurs et d'en amollir la dureté, en nous parlant doucement [1472] de Dieu, de sa bonté infinie, de sa charité envers nous. On se communique la lumière les uns aux autres, en s'entretenant de la doctrine de Jésus crucifié et de la vie des saints; on méprise toutes les passions sensuelles, on embrasse avec une sainte modestie l'humilité, et l'humiliation, sa soeur, en se méprisant soi-même: ainsi profite la société des serviteurs de Dieu, tandis que tout le mal vient de la société des serviteurs du monde. Le Saint-Esprit a dit, par la bouche du Prophète " Tu seras saint avec les saints, innocent avec les Innocents, élu avec les élus, et méchant avec les méchants (Ps 27,26). Je veux donc que vous ayez un grand soin de fréquenter toujours les serviteurs de Dieu, et de fuir ceux du monde comme le feu. Ne vous fiez pas à vous-mêmes, en disant: Je suis fort, et je ne crains pas qu'ils me fassent tomber. Non, ne le dites pas, pour l'amour de Dieu; mais reconnaissons que si Dieu ne nous soutenait pas, nous serions de véritables démons. N'avons-nous pas un exemple qui doit nous faire toujours trembler? Je suis persuadée que, si vous avez la vraie lumière, vous accomplirez pour cela et pour le reste la volonté de Dieu et mon désir, mais pas autrement. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir éclairés de la lumière parfaite. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1473].






Lettre n. 306, A FRANCOIS PEPIN

CCCVI (298).- A FRANCOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à dame Agnès, sa femme.- De la persévérance dans l'amour de Dieu.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir augmenter en vous le feu du saint désir, de peur que, n'avançant pas, vous reculiez, et que, reculant, vous deveniez digne d'un jugement plus sévère que si vous n'aviez jamais été touché; car il sera plus demandé à celui qui aura plus reçu. Je veux donc que vous sortiez courageuse. ment du sommeil de la négligence, et que vous soyez plein de zèle pour augmenter en vous la lumière; car si la lumière augmente, l'amour augmentera, et si l'amour augmente, les vertus et les bonnes oeuvres augmenteront aussi jusqu'à la mort; et alors vous ferez ce qui vous est demandé, c'est-à-dire que vous aimerez Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme vous-même.

2. Et toi, Agnès, je te dirai aussi, tâche d'augmenter en toi la faim de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, et de répandre des torrents de larmes avec d'humbles et continuelles prières en présence de Dieu pour le salut du monde entier, et surtout pour la réforme de la douce Epouse du Christ, que nous [1474] voyons exposée à tant de ténèbres et de ruines. Je n'en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 307, A JEAN DE PARME

CCCVII (209).- A JEAN DE PARME, à Rome, le 23 octobre.- Le corps de Jésus-Christ est le livra où nous pouvons tout apprendre.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondé sur la Pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus; car autrement l'édifice ne serait pas solide, et le moindre vent contraire le renverserait. Mais l'âme qui est fondée sur cette douce Pierre vive, c'est-à-dire qui suit la doctrine de Jésus crucifié, ne périt jamais. Quelle est cette doctrine qu'enseigne le doux et tendre Verbe, qui est appelé la Pierre vive? ou nous l'enseigne-t-il? Ce n'est pas au milieu des délices et des plaisirs du monde, mais sur la table de la très sainte Croix. Elle nous enseigne à aimer Dieu en vérité, en détestant le vice et la sensualité, cause du vice, et en aimant la vertu et Dieu, cause de toute vertu. Elle nous enseigne à obéir aux commandements de la loi, elle nous fait aimer les conseils, et nous donne le désir de les acquérir sur [1475] la table de la très sainte Croix, ou l'âme se revêt de la charité de Dieu et du prochain. Mais considérez qu'on ne peut apprendre sans la lumière et sans le livre.

2. Nous avons besoin que l'oeil de l'intelligence soit éclairé de la lumière de la très sainte Foi, et que le livre soit écrit. C'est par l'Ecriture que nous apprenons la doctrine. Si nous regardons bien, très cher Frère, nous verrons que Dieu nous a donné l'oeil de l'intelligence. et intérieurement la lumière de la Foi, qui ne peut nous être enlevée ni par le démon ni par les créatures, si nous ne la perdons nous-mêmes par l'amour-propre. Il nous a donné le livre écrit, le Verbe, le Fils de Dieu; il a été écrit sur le bois de la Croix, non pas avec de l'encre, mais avec du sang; et les initiales sont les très douces et très sacrées plaies du Christ. Et quel est l'ignorant et l'esprit grossier qui ne saura pas lire ce livre? personne, excepté ceux qui s'aiment eux-mêmes, et cela non pas par défaut de science, mais par défaut de volonté. Ce qui est écrit à ses pieds percés nous invite à fixer en lui notre affection, en nous dépouillant de toute volonté déréglée, et en ne cherchant et ne voulant que Jésus crucifié.

3. Celui qui veut aller au Père par le moyen de la Parole Incarnée écrite sur ce livre, doit désirer souffrir sans l'avoir mérité, souffrir les peines du corps et de l'esprit, les tentations nombreuses que Dieu permet, les attaques du démon et des créatures; il doit tout supporter pour la gloire et l'honneur de son nom; et en suivant cette voie, il accomplira en lui cette parole de notre doux Sauveur, qui disait [1476]: " Personne ne peut aller au Père, si ce n'est par moi (Jn 14,6). i Il est la voie et la vérité, et celui qui va par lui marche dans la lumière et ne s'égare pas dans les ténèbres. De cette manière il perce les pieds de son affection, et en suivant la voie de la vérité il arrive au côté de Jésus crucifié, où il trouve la vie de la grâce. Il a dépouillé l'amour du vieil homme par la sainte haine du vice et de la passion sensitive; et cette haine, il l'a trouvée dans le livre divin, car Notre-Seigneur a tant bai le péché, qu'il a voulu le punir sur son corps. Il trouve aussi l'amour sincère des vraies et solides vertus dans son coeur ouvert, car cette blessure nous a montré cet ardent amour; elle nous a fait un bain de son sang, et ce sang était mêlé au feu de la divine charité, puisqu'il a été répandu par amour; c'est par amour pour l'honneur de son Père et pour notre salut que le Christ a couru avec transport à la mort honteuse de la Croix, afin d'accomplir les ordres de son Père.

4. Vous voyez donc bien la doctrine qu'il nous enseigne sur la tahle de la Croix; il nous apprend à être humble et doux de coeur. Avec cette humilité et cette douceur nous observerons les doux commandements de Dieu. et nous leur obéirons. Où les avons-nous trouvés? dans ce livre. Avec quelle lumière? avec la lumière de la très sainte Foi. Et en ayant ainsi faim de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, nous recevrons en nous la vie de la grâce. Peu à peu nous lirons sur la tête couronnée d'épines de Jésus crucifié, et sur sa bouche; nous couronnerons d'épines notre [1477] volonté, qui est elle-même une épine qui déchire et tourmente l'âme lorsqu'elle est en dehors de la douce volonté de Dieu. Cette douce tête couronnée d'épines de Jésus crucifié nous fait perdre cette douloureuse épine, et alors nous trouvons la paix dans sa bouche abreuvée du fief et du vinaigre de nos iniquités. Nos Iniquités ont été un fiel amer et un vinaigre qui nous ont ôté la force de la grâce; mais notre âme, en devenant semblable à Notre-Seigneur et en se revêtant de la douce volonté de Dieu, goûte la paix qu'il nous a acquise au prix de tant d'amertume, en pacifiant Dieu avec l'homme, qui était depuis longtemps son ennemi. Car, comme le dit le glorieux saint Paul, " le Christ béni est notre paix, il s'est fait le médiateur entre Dieu et l'homme (1 Tim 2,5; 2 Co, 5,18). " Le doux apôtre nous exhorte à nous réconcilier et à faire notre paix avec lui, puisqu'il est venu pour être notre médiateur.

5. En suivant cette voie douce et droite, nous recevrons le fruit de cette paix en cette vie, nous mangerons les miettes de la grâce, et dans la vie éternelle, nous jouirons de la nourriture abondante et parfaite qui rassasie parfaitement, sans laisser rien à désirer. C'est ce que veut nous apprendre le glorieux docteur, saint Augustin lorsqu'il dit que le rassasiement y est sans dégoût, et la faim sans peine. La peine est bien loin de la faim, et le dégoût du rassasiement; car dès que l'âme a goûté la paix, et qu'elle est arrivée à ce bonheur, elle a lu et elle lit sans cesse dans les mains clouées du Fils de Dieu, le moyen de faire toutes ses [1478] oeuvres spirituelles et mentales, suivant la volonté de Dieu, en les faisant toutes pour la gloire de son nom. Si elle fait une oeuvre spirituelle, elle s'applique à la faire selon la charité divine; son coeur y est toujours uni par tous les exercices qu'on peut employer pour arriver à la vertu, autant que Dieu le permet et qu'elle le peut. Elle fait tout avec la sainte crainte de Dieu et en s'attachant à la Croix. Le vrai serviteur de Dieu ne voudrait pas vivre sans souffrir. il veut prendre sa croix et suivre le Christ avec vérité, constance, patience et persévérance jusqu'à la mort, parce qu'il a pris pour fondement la Pierre vive, et qu'il a appris la doctrine dans le livre divin dont nous avons parlé, au moyen de la lumière de la très sainte Foi. Les peines ne l'empêchent pas de persévérer dans la vertu; elles sont au contraire sa joie, à l'exemple de l'humble Agneau, qui n'a pas craint la souffrance et la mort pour nous sauver et pour obéir à son Père. Il n'a pas été arrêté par notre ingratitude et par les Juifs, qui lui disaient Descends de la Croix, et nous croirons en toi. C'est de Jésus crucifié qu'il apprend la persévérance; mais s'il n'avait pas pour fondement cette Pierre vive, il tournerait la tète en arrière; il craindrait son ombre, et succomberait en toute occasion.

6. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir fondé sur la Pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus; je vous conjure de le faire, et je suis persuadée que si vous lisez dans ce doux livre, le livre qui vous trouble ne vous fera aucun mal. Si ce livre s'écarte de la vérité et de la doctrine des sainte approuvée par la sainte Eglise, laissez-le, ou faites-le corriger, et ne [1479] vous en servez plus. Contentez-vous de ceux que vous savez être certainement conformes à la vérité. SI votre conscience est inquiète, et si le démon vous dit, pour vous troubler: Vois combien de temps tu as été dans l'erreur; tu crois avoir servi Dieu, et tu as servi le démon, tu lui as été agréable; vous ne devez pas l'écouter, mais vous devez voir à la lumière, que Dieu regarde seulement la bonne et sainte volonté qui nous fait agir. Admettons que le livre ne soit pas selon Dieu: c'est la seule volonté mauvaise qui fait le péché, c'est la volonté qui fait le péché ou la vertu, selon qu'elle aime l'un ou l'autre. Vous ne devez donc pas vous affliger à ce sujet, mais vous devez vous rassurer en homme généreux, et chasser cette amertume avec la douceur de l'humble Agneau. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 308, A MARC BINDI

CCCVIII (300).- A MARC BINDI, marchand.- De la vertu de patience et de la manière de l'acquérir.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondé dans la vraie et sainte patience. Sans elle nous ne pouvons plaire à Dieu, et nous perdons le fruit de nos peines. Cette glorieuse [1480] vertu de la patience est donc bien nécessaire; et si vous me dites, très cher Frère: J'ai de grandes épreuves, je ne me sens pas assez fort pour avoir cette patience, et je ne connais pas les moyens de l'acquérir; je vous répondrai que tous ceux qui veulent écouter la raison peuvent l'avoir; mais je reconnais aussi que nous sommes faibles et fragiles par nous-mêmes, selon la sensualité, surtout quand l'homme s'aime beaucoup lui-même, et qu'il s'attache aux créatures et aux biens de ce monde. Car, lorsqu'il les aime dune manière trop sensible, s'il les perd il en éprouve une peine insupportable. Mais Dieu est notre force; et si nous voulons, avec notre raison, avec la puissance de la volonté et la main du libre arbitre, triompher de notre faiblesse, Dieu ne méprisera pas la violence que nous nous ferons à nous-mêmes, pour ne pas nous plaindre sans mesure; il tient compte des saints désire. et nous donnera cette douce et solide vertu; nous supporterons toutes les peines avec une vraie et sainte patience. Vous voyez donc que tout le monde peut l'avoir, s'il veut user de la raison que Dieu lui a donnée, et ne pas écouter seulement sa faiblesse. Ne serait-ce pas une chose bien honteuse, si nous, des créatures raisonnables, noua ne nous servions pas plus de notre raison que les animaux. Ils ne peuvent se servir de la raison, puisqu'ils n'en ont pus; mais nous, qui l'avons, nous devons nous en servir; et en ne nous en servant pas, nous devenons impatients, nous nous scandalisons des choses que Dieu nous envoie, et ainsi nous l'offensons.

2. Quel moyen devons-nous prendre pour avoir cette patience? Car je puis et je dois l'avoir, et si je [1481] ne l'ai pas, j'offenserai Dieu. Il y a quatre choses principales qu'il faut rechercher et acquérir. Je dis d'abord qu'il faut avoir la lumière de la Foi, car c'est par la lumière de la Foi qu'on acquiert toute vertu; et sans cette lumière, nous marcherions dans les ténèbres comme l'aveugle, pour lequel le jour devient la nuit. Il en est de même pour l'âme qui n'a pas cette lumière: ce que Dieu a fait par amour comme un jour plus brillant que la lumière, elle le prend pour les ténèbres de la haine, en s'imaginant que Dieu permet par haine les tribulations et les fatigues qu'elle éprouve. Vous voyez donc bien qu'il faut avoir la lumière de la très sainte Foi. Le second moyen d'avoir la patience s'acquiert avec cette lumière, c'est-à-dire qu'il faut croire en vérité, et non seulement croire, mais être bien certain que tout ce qui a l'être procède de Dieu, excepté le péché, qui est un néant. C'est la volonté coupable de l'homme qui commet le péché, Dieu ne le fait pas; mais tout le reste, ce qui arrive par le feu, par l'eau, par un accident, quelconque, tout vient de lui. Aussi le Christ dit dans l'Evangile, qu'il ne tombe pas une feuille d'arbre sans sa providence; il dit encore que tous les cheveux de notre tête sont comptés, et qu'il n'en tombe pas un sans qu'il le sache (Lc 21,18). S'il parle ainsi des choses insensibles, combien plus ne doit-il pas avoir soin de nous, ses créatures raisonnables! Aussi, tout ce que donne et permet sa providence, c'est dans un but mystérieux, par amour, et non par haine.

3. La troisième chose qu'il faut voir et connaître à [1482] la lumière de la Foi, c'est que Dieu est l'éternelle et souveraine Bonté, et qu'il ne veut autre chose que notre bien. Sa volonté est que nous soyons sanctifiés en lui; tout ce qu'il donne et permet est pour cette fin. Si nous doutions qu'il ne veuille autre chose que notre bien, je vous dirais que ce doute devient impossible en regardant le sang de l'humble Agneau sans tache. Le Christ déchiré, accablé, tourmenté par la soif sur la Croix, nous montre que son Père nous aime d'un amour ineffable, puisque par amour pour nous, qui étions devenus ses ennemis par le péché, il nous a donné sa vie, en courant avec transport à la mort honteuse de la Croix. Quelle en fut la cause? l'amour qu'il avait pour notre. salut. Vous voyez donc bien que le Sang doit nous empêcher de douter que Dieu ne veuille autre chose que notre bien. Et comment la souveraine Bonté pourrait-elle faire autre chose que le bien? C'est impossible. L'éternelle Providence ne peut cesser un instant d'être Providence. Celui qui nous a aimés avant que nous fussions, Celui qui nous a créés à son image et ressemblance ne peut s'empêcher de nous aimer, et de pourvoir à tous les besoins de notre âme et de notre corps. Dieu aime toujours ses créatures en tant que créatures; il n'y a que le péché qu'il déteste en nous; et s'il permet pendant cette vie que nous souffrions de différentes manières dans nos corps ou dans nos biens temporels, c'est qu'il voit que nous en avons besoin, Il est comme un bon médecin qui donne la médecine nécessaire à notre maladie: il le fait pour punir nos fautes dans cette vie, afin de les moins punir dans l'autre, ou pour exercer en nous la vertu de patience, comme [1483] il le fit à l'égard de Job, qu'il éprouva en lui ôtant ses fils, tout ce qu'il possédait, et en affligeant son corps d'une maladie qui engendrait des vers. Il lui laissa ma femme, qui était sa croix, et qui l'accablait de reproches et d'injures. Et lorsque Dieu eut bien éprouvé sa patience, il lui rendit le double de ce qu'il avait perdu. Job, dans tous ses malheurs, ne se plaignait jamais, et il disait: " Dieu me l'a donné, Dieu me l'a ôté; que son saint nom soit béni. "

4. Quelquefois Dieu permet ces malheurs pour que nous nous connaissions nous-mêmes, et que nous connaissions aussi l'inconstance et la fragilité du monde. Tout ce que nous possédons, la vie, la santé, une femme, des enfants, des richesses, les honneurs et les plaisirs du monde, il faut les posséder comme des choses que Dieu nous a prêtées pour notre usage, mail qui ne nous appartiennent pas; nous devons nous en servir en conséquence. Cela est évident, puisque nous ne pouvons rien garder qui soit à nous et qui ne puisse nous être enlevé, excepté la grâce de Dieu. Cette grâce, ni le démon, ni les créatures, ni tous les malheurs ne peuvent nous l'enlever, si nous ne le voulons pas. Quand l'homme connaît bien la perfection de la grâce et l'imperfection du monde et de la vie corporelle, il déteste le monde avec ses délices et sa propre fragilité, qui souvent lui fait perdre la grâce lorsqu'il aime d'une manière sensuelle; et il aime la vertu, qui est le moyen de nous conserver dans la grâce. Vous voyez donc bien que Dieu permet ces choses par amour, afin que nous méprisions généreusement le monde, et que nous cherchions avec une sainte ardeur Les biens éternels. Oui, abandonnons [1484] la terre avec ses corruptions, et cherchons le ciel Nous n'avons pas été faits pour nous nourrir de terre, mais nous sommes en cette vie, comme des pèlerins pour avancer sans cesse vers notre but, qui est la vie éternelle, au moyen des vraies et solides vertus; et nous ne devons pas noue laisser arrêter sur la route par les joies et les plaisirs que le monde nous offre, ni par l'adversité; mais nous devons marcher avec courage, sans nous attarder par des joies déréglées ou l'impatience. Nous devons triompher de tous ces obstacles par la patience et la sainte crainte de Dieu. Cette épreuve vous était très nécessaire. Dieu vous a donné le désir de vous délivrer de vos liens, et de purifier votre conscience; le monde vous tirait d'un côté, et Dieu de l'autre. Maintenant Dieu, par amour pour votre salut, vous a délié; il vous donne la vie, si vous savez la prendre. Il a donné à vos enfanta la vie éternelle, et vous, il vous y appelle par le trésor de la tribulation, non pas pour que vous en soyez privés, mais pour que, pendant le temps qui vous reste, vous reconnaissiez vos fautes et sa bonté.

5. La quatrième chose qu'il faut avoir pour pouvoir arriver à la vraie patience est celle-ci: considérer nos péchés et nos défauts, combien nous avons offensé Dieu, qui est le bien suprême, infini. La plus petite de nos fautes mérite une peine infinie; nous sommes mille fois dignes de l'enfer, et nous devons comprendre combien nous sommes malheureux d'avoir ainsi offensé notre Créateur. Et quel est le Créateur que nous avons offensé? C'est Celui qui est le bien suprême, et nous ne sommes rien par nous-mêmes, L'être et toutes les grâces qui y sont ajoutées, nous les [1485] tenons de lui; et quoique nous soyons malheureux par notre faute, et que nous méritions une peine infinie, sa miséricorde veut bien nous punir en cette vie, parce qu'en souffrant maintenant avec patience, nous expions et nous méritons, tandis qu'il n'en est pas de même des peines que l'âme endure dans l'autre vie. Les peines du purgatoire la purifient, mais ne lui acquièrent pas de mérites. Nous devons donc supporter volontiers ces petites épreuves je dis petites, à cause de la brièveté du temps, car la peine n'est pas plus longue que la vie. Et combien dure-t-elle, la vie? un instant. La peine est donc bien courte? Elle n'est rien lorsqu'elle est passée; et pour celle qui nous menace, nous ne sommes pas certains d'avoir le temps de la souffrir, car nous devons mourir, et nous ne savons pas quand. Nous n'avons donc à supporter que la peine du moment présent, et pas davantage.

6. Souffrons donc avec une grande joie, car tout bien est récompensé, et toute faute punie. Saint Paul dit que les souffrances de cette vie ne sont pas comparables à la gloire future de l'âme qui souffre avec patience. C'est ainsi que vous pourrez acquérir la vertu de la vraie patience. La patience acquise par amour, à la lumière de la très sainte Foi, fera fructifier vos peines: autrement vous perdriez à la fois les biens de la terre et les biens du ciel; vous ne devez pas en douter. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans la vraie et sainte patience, et je vous conjure de le faire. Souvenez-vous du sang de Jésus crucifié, et toute amertume deviendra douce, tout fardeau deviendra léger. Ne [1486] prétendez pas choisir le lieu et le temps à votre gré; mais soyez content de ce qu'il plaît à Dieu de vous donner. J'ai bien compati à ce qui vous est arrivé, et l'épreuve m'a semblé bien forte; c'est cependant la Providence qui vous l'envoie, et pour votre salut. Je vous prie de prendre courage, et de ne pas vous laisser abattre sous la douce main de Dieu. Je termine en vous disant de savoir apprécier le temps, pendant que vous l'avez. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.







Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 299, A FRANÇOIS PEPIN