Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 314, A QUELQU'UN QU'ON NE NOMME PAS
CCCXV (307).- A UN SECULIER QU'ON NE NOMME PAS.- De la connaissance de soi-même, et l'amour envers Dieu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher et bien-aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir le vrai serviteur de Jésus-Christ et le fidèle observateur de ses commandements, car personne ne peut avoir la vie de la grâce s'il ne les accomplit pas. Ainsi donc, très cher frère, je veux que vous ouvriez l'oeil de votre intelligence sur vous-même pour reconnaître que vous êtes un néant, et. que la seule oeuvre que vous puissiez vous attribuer est le pêché. L'homme, en voyant qu'il n'est rien par lui-même, s'humilie et reconnaît les bienfaits qu'il a reçus; et son amour augmente tellement à mesure qu'il connaît la grandeur de la bonté de Dieu à son égard, qu'il aimerait mieux mourir que de violer les commandements de son très doux Créateur. La sainte crainte qu'il en a le conduit à un ardent amour; et cet amour, nous le puisons dans le sang du Fils de Dieu, qu'il a répandu uniquement pour nous sauver en lavant les souillures du péché. Oh! quelle chose terrible que le péché l combien il déplaît à Dieu! Non seulement il ne l'a pas laissé impuni, mais encore Il en a fait justice sur son propre corps. Qu'il serait [1510] malheureux celui qui ne voudrait pas venger ce pêché sur lui-même!
2. Je vous prie, très cher et très doux Frère, de prendre les deux ailes qui vous feront observer les Commandements de Dieu, et qui vous feront ensuite voler jusqu'à la vie éternelle: l'aile de la haine, de l'horreur du péché et de l'amour-propre, source de tout mal, et l'aile de l'amour de la vertu. Celui qui voit combien la vertu lui est nécessaire, l'aime, parce qu'il voit que Dieu veut qu'il aime la vertus et qu'il déteste le vice. Oh! combien il vous sera doux d'avoir cette vertu, qui délivre de la servitude du démon et donne la liberté, qui délivre de la mort et donne la vie, qui dissipe les ténèbres et donne la lumière! Et le péché, au contraire, conduit l'homme à toute sorte de malheurs; il faut être plein de zèle, et se hâter d'employer avec une sainte ardeur le temps qui vous est accordé à vous et à votre famille. Je vous supplie par l'amour de Jésus crucifié, de fixer sur Dieu le regard de votre âme dans toutes vos actions. Oh! quelle joie et quel bonheur pour votre âme quand viendra le moment où vous appellera la Vérité suprême! Vous vous verrez entouré de vertu, appuyé sur le bâton de la très sainte Croix, qui fait accomplir les saints commandements de Dieu, et vous entendrez enfin cette douce parole: Viens, mon Fils bien-aimé, posséder le royaume du ciel, parce que tu as eu soin de détacher ton coeur des choses du monde, et que tu as élevé ta famille dans ma sainte crainte. Maintenant je te donne le repos parfait, car je récompense toutes les peines que tu as souffertes pour moi. Je n'ajoute rien, mon très cher Frère, si ce [1511] n'est que je supplie l'éternelle Vérité suprême de vous remplir de son éternelle et très douce grâce, afin que vous puissiez croître de vertu en vertu, jusqu'à être prêt à donner votre vie pour lui. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXVI (308). - A QUELQUES JEUNES GENS de Florence, fils adoptifs de dom Giovanni.- De la charité, de l'union, de la force et des vertus qui en procèdent.
(Ces jeunes gens étaient sans doute les fils spirituels de dom Jean des cellules de Vallombreuse, auquel sont adressées les lettres CXVI et CXVII.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir liés du doux lien de la charité, de telle sorte que ni les démons ni les créatures ne puissent jamais vous séparer. C'est ce doux lien qui unit Dieu à l'homme et l'homme à Dieu, quand la nature divine s'unit à la nature humaine; et c'est cet amour ineffable qui donna l'être à l'homme, lorsque Dieu le tira de lui-même en le créant à son Image et ressemblance; et parce que l'âme est faite par pur amour, l'amour accorde les puissances de [1512] notre âme, et les lie toutes ensemble. La volonté excite l'intelligence à voir, parce qu'elle veut aimer quelque chose; et lorsque l'intelligence comprend que la volonté veut aimer, si la volonté est raisonnable, elle lui offre pour objet l'amour ineffable du Père, qui nous a donné le Verbe, son Fils unique, et l'obéissance, l'humilité de ce Fils, qui a supporté avec douceur les peines, les injures, les coups, les mauvais traitements, les outrages, et qui les a soufferts aveu un amour ineffable. Et ce que l'oeil de l'intelligence a vu, sa volonté s'y attache. avec un ardent amour et d'une main puissante; elle dépose dans sa mémoire le trésor qu'elle tire de cet amour, et l'homme devient ainsi envers son Créateur reconnaissant des grâces et des dons qu'il sait avoir reçus de Dieu. Tout ce qu'il a, il ne l'a pas par lui-même, car nous ne sommes que néant, et nous ne pouvons nous attribuer que le pêché.
2. Oh! quelle horrible mort que la faute qui nous prive de la vie! Lorsque l'âme te comprend, elle se revêt d'amour et d'une humilité parfaite; elle trouve et goûte la charité dans la bonté de Dieu, elle voit en elle les dons qu'elle a reçus et qu'elle reçoit continuellement. La connaissance qu'elle a d'elle-même et du pêché, qui vient de la loi mauvaise, qui se révolte sans cesse en elle contre le Créateur, lui fait concevoir la haine et le mépris de la sensualité; et dans cette haine elle trouve la patience, qui la rend capable de supporter les peines, les mépris, les affronts, la faim, la soif, le froid, le chaud, les tentations et les attaques du démon. Elle méprise et fuit le monde avec tous ses plaisirs; elle embrasse l'humilité, qui [1513] est la nourrice de la charité, et elle souffre tout avec une grande patience, parce que la charité, l'amour par excellence, a trouvé l'humilité, qui la nourrit, et la haine de soi-même, qui la sert avec une patience parfaite; elle se venge, et fait justice des ennemis de la divine charité. Ces ennemis sont l'amour-propre, qui s'aime par intérêt, et tout ce qu'il aime, il l'aime pour lui et non pour Dieu, ce sont les plaisirs, les louanges, les dignités, les honneurs, les richesses.
3. Quelle vengeance exerce-t-elle? une si douce, que la langue ne saurait le dire. De l'amour-propre, qui donne la mort, elle vient à l'amour divin, qui donne la vie; des ténèbres, de la haine et du mépris de la vertu, elle arrive à la lumière et à l'amour de la vertu, si bien qu'elle aimerait mieux mourir que de l'abandonner; elle prend tous les moyens, toutes les voies qu'elle peut imaginer pour l'acquérir et la conserver. Et parce que les plaisirs des sens, les délicatesses du corps, les conversations des méchants lui sont nuisibles, elle les fuit de tout son coeur et de toutes ses forces. Elle combat son corps, elle s'en venge en le mortifiant par la pénitence, le jeûne, les veilles, la prière, les disciplines, surtout quand elle voit qu'il en a besoin, c'est-à-dire quand la chair veut se révolter contre l'esprit. Elle se venge de la volonté propre par la mort; elle la tue, en la soumettant aux commandements de Dieu et aux conseils que le Christ, le Fils unique de Dieu, nous a laissés avec ses commandements; elle se revêt ainsi de son éternelle volonté, et traverse courageusement cette mer orageuse en suivant les traces de Jésus crucifié. C'est là le doux lien [1514] qui lie l'âme à son Créateur; c'est lui qui a lié Dieu à l'homme et l'homme à Dieu, quand vous, le Père, vous nous avez donné le Verbe, votre Fils, et que vous avez uni la nature divine à la nature humaine. O mes Fils bien-aimés! ce fut ce lien qui attacha et cloua l'Homme-Dieu sur la Croix. Si l'amour. ne l'eût pas retenu, les clous et la Croix n'auraient pu le faire. L'amour que le Christ a eu pour l'honneur du Père et pour notre salut, la haine, l'horreur qu'il a eue du péché, cet amour et cette haine réunis lui ont fait tirer vengeance de nos iniquités, et il les a punies sur son corps par des peines et des tourmente.
4. Ainsi donc l'âme qui est liée à Jésus crucifié le suit, et se venge de la partie sensitive pour l'honneur de Dieu, pour son salut et celui du prochain. Elle chasse ses ennemis, les vices et la désobéissance, qui lui a fait offenser son Créateur en violant ses commandements; elle ouvre au contraire et reçoit ses amis. Ces amis sont les vraies et solides vertus inspirées par l'amour et la charité parfaite. Un des meilleurs amis que l'âme puisse avoir, c'est la véritable obéissance; on est humble autant qu'on est obéissant, et qu'on observe les saints commandements de Dieu. L'âme se passionne pour cette obéissance, qui consiste à tuer et à détruire sa volonté; et pour la pratiquer davantage, elle veut obéir aux conseils de Jésus-Christ, en prenant dans un Ordre approuvé le joug de la sainte obéissance, Il est certain, mes Enfants, que c'est là le parti le plus sûr. Nous avons beau voir des religieux relâchés qui n'observent pas leur règle, la règle est toujours bonne, parce qu'elle est établie et donnée par l'Esprit-Saint [1515].
5. Si vous croyez donc que Dieu vous appelle à l'obéissance, répondez-lui, et ne vous laissez pas arrêter par ces Ordres qui sont tombés dans la tiédeur et le scandale, car il y a beaucoup de monastères dont on a retranché les abus; et si vous voulez entrer en religion, vous ferez bien et vous honorerez Dieu, pourvu que vous preniez un bon guide. Parmi tous les monastères, je vous recommande celui de Saint-Anthime (Voir la lettre CXI). L'abbé, comme vous le dira dom Giovanni, est un modèle d'humilité, de pauvreté et de charité; il ne voudrait pas être le plus grand, mais le plus petit. Que Dieu, dans son infinie bonté, dispose tout ce qui sera le plus utile à sa gloire et le plus profitable pour vous. Unissez-vous, unissez-vous ensemble, mes Enfants, par la charité supportez mutuellement vos défauts, afin, que vous soyez toujours unis et jamais séparés dans le Christ, le doux Jésus. Aimez-vous, aimez-vous les uns les autres. Vous savez que c'est là le signe que le Christ a laissé à ses disciples, en disant qu'on ne reconnaît les enfants de Dieu qu'à l'union de l'amour que l'homme a pour le prochain dans la perfection de la charité. J'ai éprouvé une grande consolation en apprenant que vous êtes bien unis. Avancez toujours, et ne tournez pas la tête en arrière. Que je puisse parler comme saint Paul, quand il disait à ses disciples qu'ils étaient sa joie, son bonheur, sa couronne. Je vous en conjure, faites en sorte que je puisse le dire aussi. Je termine. Baignez-vous dans le sang da Jésus crucifié, et unissez-vous ensemble par les liens de l'amour. Demeurez [1516] dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus,Jésus amour.
CCCXVII (309). - A DES PRISONNIERS le jeudi saint, à Sienne.- De la vraie patience.- Du péché, et de la miséricorde de Dieu, qui a voulu mourir pour nous.
( Cette lettre fut écrite le Jeudi saint, 9 avril 1377)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baignés par un saint désir dans le sang de Jésus crucifié. C'est sur lui qu'il faut fixer le regard de Votre intelligence; et en le faisant, vous acquerrez la vraie patience. Car le sang de Jésus-Christ nous rappelle nos iniquités, et l'infinie miséricorde, la charité de Dieu; ce souvenir nous fait haïr nos défauts et nos péchés; il nous dit aussi aimer la vertu, Et si vous me demandez, très chers Fils, pourquoi ce sang nous rappelle plus particulièrement nos fautes et la miséricorde divine, je vous répondrai Parce que la mort du Fils de Dieu a été causée par nos péchés.
2. Le péché a été cause de la mort du Christ. Le Fils de Dieu n'avait pas besoin de suivre la voie de la Croix pour entrer dans sa gloire, car le poison du [1517] péché n'était pas en lui, et la vie éternelle lui appartenait; mais nous, malheureux, nous l'avions perdue par nos péchés, et il y avait entre Dieu et nous, une grande guerre. L'homme s'était affaibli et rendu malade en se révoltant contre son Créateur, et il ne pouvait prendre la médecine amère que nécessitait ma faute. Il fallait que Dieu nous donnât le Verbe, son Fils unique, et son ineffable charité unit la nature divine à la nature humaine, l'infini avec le fini, avec notre chair misérable; il est venu souffrir pour nous guérir, notre médecin a été notre Sauveur. Je dis qu'avec son sang, il a guéri nos iniquités; il nous a donné sa chair en nourriture, et son sang précieux en breuvage. Ce sang est d'une si grande douceur, d'une si grande suavité, d'une telle force, d'une telle vertu, qu'il guérit toutes les infirmités, qu'il rappelle de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière, car le péché mortel fait tomber l'âme dans tous ces malheurs. Le péché nous ôte la grâce et la vie; il nous donne la mort, il obscurcit la lumière de l'intelligence, et rend l'homme le serviteur et l'esclave du démon: il lui ôte le calme, et il lui cause une crainte déréglée, car le pécheur craint toujours. Celui qui se laisse dominer par le péché a perdu tout pouvoir. Hélas! combien de maux suivent le péché, combien à cause de lui Dieu permet-il de peines et d'angoisses? Toutes ces misères, toutes ces angoisses, le sang de Jésus crucifié les détruit, parce que ce sang lave l'âme de ses souillures, en les soumettant à la sainte Confession. Dans ce sang s'acquiert la patience; en voyant l'offense que nous avons commise contre Dieu, et le remède qu'il a employé pour nous donner [1518] la vie de la grâce, nous arrivons à la vraie patience. Il est donc bien vrai que Jésus-Christ est un médecin qui nous a donné son sang pour nous guérir.
3. Je dis aussi qu'il est infirme, c'est-à-dire qu'il a pris notre infirmité en prenant notre faiblesse et notre chair mortelle, et c'est sur la chair de son très doux corps qu'ont été punies nos fautes. Il a fait comme la nourrice qui nourrit un enfant malade; elle prend la médecine, parce que l'enfant est trop petit et trop faible pour en supporter l'amertume, il ne peut prendre que du lait. O doux amour Jésus! vous avez fait comme la nourrice; vous avez pris la médecine amère, vous avez supporté les peines, les opprobres, les mauvais traitements, les outrages; vous avez été lié, battu, flagellé à la colonne, attaché, cloué à la Croix, abreuvé d'injures et d'affronts, tourmenté, dévoré par la soif; et pour tout soulagement on vous a donné par dérision du fiel et du vinaigre; et vous avez tout souffert avec patience, en priant pour ceux qui vous crucifiaient, O amour ineffable! non seulement vous avez prié pour ceux qui vous crucifiaient, mais vous les. avez excusés en disant: " Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font." O patience qui surpasse toute patience! Quel est celui qui, au milieu des coups, des supplices, des outrages, de la mort, a jamais pardonné et prié pour ses bourreaux? Vous seul l'avez fait, Seigneur. Il est donc bien vrai que vous avez pris la médecine amère pour nous, pauvres enfants malades; et avec votre mort, vous nous avez donné la vie; en goûtant l'amertume, vous nous avez rendu la douceur. Vous nous tenez sur votre sein comme la nourrice, et vous nous [1519] donnez le lait de la grâce divine; vous avez pris l'amertume pour vous, et nous avons ainsi recouvré la santé. Vous voyez bien qu'il s'est fait malade pour nous.
4. Il s'est fait aussi notre champion, et il est descendu sur le champ de bataille; il a combattu et vaincu les démons. Saint Augustin dit qu'avec sa main désarmée, notre Chevalier a défait nos ennemis; il a chevauché sur le bois de la très sainte Croix. La couronne d'épines était son casque, sa chair flagellée sa cuirasse, les clous de ses mains ses gantelets, la lance de son côté le glaive qui vainquit l'homme, et les clous de ses pieds ses éperons. Vous voyez comme il est bien armé notre Chevalier; nous devons le suivre et reprendre courage dans toutes nos épreuves et nos tribulations. Aussi je vous ai dit que le sang du Christ nous rappelle nos pêchés, et nous montre le remède et l'abondance de la miséricorde divine que nous avons reçue dans son sang. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, car nous ne pouvons autrement participer à sa grâce, ni atteindre la fin pour laquelle nous avons été créés. Vous ne pourriez pas non plus souffrir patiemment votre malheur; car c'est dans la mémoire du Sang que toute chose amère devient douce, et tout fardeau devient léger. Je n'ai pas le temps de vous en dire davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, et souvenez-vous que vous devez mourir, vous ne savez pas quand. Préparez-vous à la confession et à la sainte Communion, afin de pouvoir ressusciter à la grâce avec Jésus-Christ. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXVIII (310).- AU JUIF CONSIGLIO.- Elle l'exhorte à se convertir à la vraie foi en recevant le baptême.
(Le Juif Consiglio était de Padoue, et vint s'établir à Sienne pour prêter à usure. Les Juifs prêtaient à quatre deniers pour livre par mois. Ils avaient des fortunes si monstrueuses, que le peuple les fit chasser de Florence. Saint Bernardin parla aussi contre eux à Sienne.)
LOUANGE A JESUS-CHRIST CRUCIFIE, FILS DE LA GLORIEUSE VIERGE MARIE
1. C'est à vous, très cher et bien-aimé Frère, racheté comme moi par le sang précieux du Fils de Dieu, c'est à vous que j'écris, moi, l'indigne Catherine. Jésus crucifié et sa douce Mère Marie me forcent de vous prier d'abandonner promptement la dureté de votre coeur, de quitter les ténèbres de l'infidélité pour venir recevoir la grâce du saint baptême; car sans le baptême, nous ne pouvons avoir la grâce de Dieu. Celui qui n'a pas le baptême ne participe pas au fruit de la sainte Eglise; il est comme un membre corrompu et retranché de la société des fidèles chrétiens, et il passe de la mort corporelle à la mort éternelle; la peine et les ténèbres seront sa juste punition; car il n'a pas voulu se laver dans l'eau du saint baptême, et il a méprisé le sang du Fils de Dieu, répandu avec tant d'amour.
2. O très cher Frère dans le Christ Jésus, ouvrez les yeux de votre intelligence, et regardez son ineffable [1521] charité, qui vous presse par les inspirations saintes qu'il a mises dans votre coeur. Il vous appelle par ses serviteurs, il vous invite à faire la paix avec lui; il oubliera la longue guerre que vous lui avez faite, les injures qu'il a reçues de vous par votre infidélité. Il est si bon, si doux, notre Dieu, que depuis la loi d'amour, depuis que son Fils est descendu dans la Vierge Marie, et qu'il a répandu l'abondance de son sang sur le bois de la très sainte Croix, nous pouvons recevoir aussi l'abondance de la divine miséricorde. La loi de Moïse était fondée sur la justice et sur le châtiment; la loi nouvelle, donnée par Jésus crucifié dans l'Evangile, est fondée sur l'amour et la miséricorde. Dieu est si doux et si bon, pourvu que l'homme revienne à lui avec foi et humilité, pourvu qu'il croie obtenir la vie éternelle par Jésus-Christ, qu'il semble qu'il ne veuille pas se souvenir des offenses que nous lui faisons, qu'il ne veuille pas nous damner éternellement, mais nous faire toujours miséricorde. Hâtez-vous donc, mon Frère, si vous voulez vous unir à Jésus-Christ; ne dormez plus dans un pareil aveuglement, car Dieu ne veut pas, et je ne veux pas que l'heure de la mort vous trouve aveugle. Mon âme désire vous voir arriver à la lumière du saint baptême, comme le cerf altéré désire l'eau vive. Ne résistez donc plus à l'Esprit-Saint" qui vous appelle, et ne méprisez pas l'amour qu'a pour vous Marie, ni les larmes ni les prières qui sont offertes pour vous; ce serait encourir un trop grand châtiment. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je prie Celui qui est la Vérité suprême de vous éclairer, de vous remplir de sa très sainte grâce, et [1522] d'exaucer mon désir à votre égard, Consiglio. Je vous écris cette lettre, Consiglio, de la part du Christ Jésus. Louange à Jésus crucifié et à sa très douce Mère, la glorieuse Vierge, notre Dame sainte Marie. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXIX.- A MADAME, épouse de Barnabé Visconti.- De la charité et de l'imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ. - Elle la prie de donner l'exemple à son mari, et de le ramener à l'obéissance du Souverain Pontife.
(Béatrix della Scala femme de Barnabé Visconti, seigneur de Milan, eut de son mariage quatorze enfants, cinq garçons et neuf filles. Les historiens la représentent comme ambitieuse et méchante. Voir la lettre LXXIV, adressée à son mari.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Révérende Mère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement d'une ardente charité, afin que vous soyez un moyen, un instrument pour réconcilier votre mari avec le Christ, le doux Jésus, et avec son Vicaire, le Christ de la terre. Je suis persuadée que, si la vertu de la charité est en vous, votre mari ne pourra pas éviter d'en ressentir la chaleur. La Vérité suprême veut que [1523] vous soyez deux dans un même esprit, une même affection, un même désir; et vous ne le pourrez jamais, si vous n'avez pas en vous cet amour.
2. Mais vous me dites: Je n'ai pas cet amour, et sans amour, je n'ai aucun moyen de réussir. Je vous répondrai que l'amour ne s'acquiert que par l'amour. Celui qui veut être aimé doit d'abord aimer, c'est-à-dire avoir la volonté d'aimer; et puis, quand il a cette volonté, il faut qu'il ouvre l'oeil de l'entendement, et qu'il voie où et comment se trouve cet amour. Il le trouve en lui-même. Comment? En reconnaissant son néant, en voyant qu'il n'est pas par lui-même, il attribue à Dieu son existence et toutes les grâces qui y sont ajoutées, c'est-à-dire toutes les grâces, tous les dons spirituels et temporels que Dieu nous faits. Si nous n'étions pas, nous ne pourrions recevoir aucune grâce; et ainsi, tout ce que l'homme possède. il le tient de l'ineffable bonté et charité de Dieu. Quand l'âme a reconnu en elle cette ineffable bonté du Créateur, elle s'anime et s'enflamme tellement de désir, qu'elle se méprise et qu'elle méprise le monde, avec toutes ses délices. Et je ne m'en étonne pas: une des lois de l'amour est que, quand la créature se voit aimée, elle aime aussitôt; et quand elle aime, elle aimerait mieux mourir que d'offenser celui qu'elle aime. Elle se nourrit dans le feu de l'amour:elle s'est vue tant aimée quand elle a reconnu qu'elle a été le champ et la pierre où fut planté l'étendard de la très sainte Croix! Vous savez bien que ni la terre ni la pierre n'auraient pu fixer la Croix, que ni les clous ni la Croix n'auraient pu retenir le Verbe le Fils de Dieu, si l'amour ne l'eût pas attaché. C'est donc [1524] l'amour que Dieu a eu pour notre âme qui a été la pierre et les clous qui l'ont retenu.
3. Voilà le moyen de trouver l'amour. Et puis, quand nous avons trouvé le lieu où est l'amour, comment faut-il aimer? O très douce et révérende Mère! c'est lui qui est la règle, la voie, et il n'y en a pas d'autres. La voie qu'il nous enseigne, nous devons la suivre, si nous voulons marcher à la lumière et recevoir la vie de la grâce; il faut avancer au milieu des peines, des opprobres, des mépris, des persécutions, afin de devenir semblables à Jésus crucifié. Cet Agneau sans tache a méprisé les richesses, les honneurs du monde; et quoiqu'il fût Dieu et homme, comme il était notre règle et notre voie, il nous a enseigné la loi, il l'a observée et ne l'a pas transgressée, Il est si humble et si doux qu'on n'entendit jamais sortir de sa bouche la moindre plainte. Il s'est sacrifié lui-même, et, dans la générosité de son amour, il s'est nourri de notre salut, ne cherchant jamais son intérêt, mais uniquement l'honneur de son Père et le bien des créatures. Il n'a pas fui les peines, il a été même au-devant d'elles. N'est-ce pas admirable de voir le bon et doux Jésus, qui gouverne et nourrit l'univers, se trouver dans un tel dénuement, que jamais personne n'a été pauvre comme lui? Il était si pauvre, que Marie n'eût pas un linge convenable pour envelopper son Fils; et lorsqu'il mourut sur la Croix, il n'avait pas de quoi couvrir sa nudité. Il était nu, parce que le péché nous avait fait perdre le vêtement de la grâce, et il s'est dépouillé de la vie pour nous revêtir. Je dis que l'âme qui aura trouvé l'amour dans l'affection de Jésus crucifié aura honte [1525] de marcher par une autre voie que par celle de Jésus crucifié; elle ne recherchera ni les délices, ni les honneurs, ni les magnificences; mais elle sera en cette vie comme un pèlerin qui ne pense qu'à atteindre le terme de son voyage. S'il est sage, il ne se laisse retarder ni par la prospérité ni par l'adversité qu'il rencontre, mais il avance toujours généreusement vers le but qu'il aime et qu'il espère.
4. Faites de même, très douce Mère et Soeur dans le Christ, le doux Jésus. Je ne veux pas que vous vous arrêtiez aux grandes richesses que vous avez, aux honneurs, aux jouissances plus qu'aux malheurs et aux tribulations qui peuvent venir. Que ni la peine ni le plaisir ne ,vous détournent, mais courez généreusement dans cette voie, n'aimant que la vertu, et vous réjouissant de souffrir, comme Jésus crucifié vous l'a si doucement appris. Usez des choses du monde par nécessité, et non pas avec un attachement déréglé, qui déplairait trop à Dieu. Si vous mettiez votre amour en quelque chose qui est moins que vous, ce serait perdre votre dignité, car la créature devient la même chose que ce qu'elle aime. Si j'aime le péché, qui est un néant, je deviens un néant, et je ne puis m'avilir davantage, car le péché consiste uniquement à aimer ce que Dieu déteste, et à détester ce que Dieu aime. En aimant les choses passagères du monde, et en s'aimant d'un amour sensitif, on pèche; et c'est une chose que Dieu hait et qui lui déplaît tant, qu'il a voulu en faire justice et la punir sur son corps. Il est devenu l'enclume où il a travaillé nos iniquités. Quelle misère et quel aveuglement de la créature, créée à [1526] l'image et ressemblance divine, régénérée à la grâce qu'elle avait perdue par le péché mortel, et rétablie dans sa beauté première par les flots du sang de Jésus-Christ! Elle est si aveugle, qu'elle abandonne cet amour qui l'avait anoblie avec tant de bonté, et qu'elle se met à. aimer les choses qui sont hors de Dieu; elle s'éloigne de lui pour aimer les choses créées, pour s'aimer elle-même sans lui. Et ce ne sont pas les grandeurs et les délices du monde, ni les créatures, qui sont condamnables; c'est l'amour que l'âme y place, en violant par cet attachement le doux commandement de Dieu.
5. Mais, au contraire, quand l'âme se détache d'elle-même et place tout son amour en Jésus crucifié, elle s'élève à la plus haute dignité qu'elle puisse atteindre, puisqu'elle devient une même chose avec son Créateur; et qu'y a-t-il de meilleur que d'être uni à Celui qui est le Bien suprême! Elle ne peut s'attribuer cette grandeur, cette dignité ,mais elle l'attribue à l'amour de Dieu. Une servante qui serait choisie pour épouse par un empereur, aussitôt qu'elle serait unie à lui deviendrait impératrice, non pas par elle-même, puisqu'elle était servante, mais par la puissance de l'empereur. De même, très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, pensez que l'âme qui aime Dieu, de servante qu'elle était, d'esclave rachetée par le sang du sang du Fils de Dieu, devient tellement élevée en dignité qu'on ne peut plus l'appeler servante, mais impératrice, épouse de l'Empereur éternel. La Vérité suprême ne l'a-t-elle pas dit? servir Dieu, ce n'est pas être esclave, c'est régner; car c'est être affranchi de la servitude du péché, c'est devenir libre. Elle est [1527] donc bien puissante, cette union de l'amour et de la vertu, qui à la noblesse de la créature ajoute encore la noblesse du Créateur! L'âme, en se détachant d'elle-même, se dépouille du vieil homme, et se revêt de l'homme nouveau, du Christ, le doux Jésus; elle devient capable de recevoir, de posséder la grâce qui lui fait goûter Dieu en cette vie et en l'autre; enfin elle jouit de son éternelle vision, où elle trouve la paix. le repos parfait, car tous ses désirs sont remplis. En cette vie, elle ne peut avoir la paix, parce que son désir n'est pas satisfait tant qu'elle n'est pas parvenue à l'union de la divine Essence; elle a seulement faim et désir pendant tout son pèlerinage. Elle désire suivre la voie droite, elle a faim d'arriver au terme, au but, et son désir la fait courir dans la voie tracée par Jésus crucifié, dont nous avons parlé; si elle n'aimait pas sa fin, c'est-à-dire Dieu, elle ne chercherait pas à connaître la voie.
6. Je voudrais donc vous voir augmenter le saint et vrai désir de suivre cette voie, qui doit vous conduire au terme. Apprenez qu'elle n'est pas incertaine, ténébreuse, pleine d'épines; c'est une route lumineuse et arrosée du sang de Jésus-Christ, qui est la vraie lumière. Elle n'a pas d'épines, mais elle est pleine de fleurs parfumées et de fruits délicieux; si bien que la créature qui a commencé à suivre cette douce voie, y trouve tant de douceur, qu'elle aimerait mieux mourir que de la quitter. On rencontre bien en cette voie, des épines, les épines nombreuses de la tribulation, les illusions du démon, le monde avec les tourments de l'orgueil, mais l'âme qui se plaît en cette voie ne s'en inquiète pas, elle fait comme celui [1528] qui trouve un rosier: il cueille la rose, et laisse l'épine. Elle fait de même pour les tribulations et les angoisses du monde; elle les laisse derrière elle, et cueille la rose parfumée de la vraie et sainte patience, en fixant le regard de son intelligence sur le sang de l'Agneau, qui donne la vie et nous trace le chemin. Courez donc, ma Mère, courons tous, chrétiens fidèles, attirés par l'odeur de ce sang! Nous nous enivrerons, nous serons consumés et brûlés par la douce charité de Dieu, et nous deviendrons une même chose avec lui; nous ferons comme celui qui, dans son ivresse, ne pense plus à lui, mais à la liqueur qu'il a bue et qui lui reste à boire. Enivrez-vous du sang de Jésus crucifié, puisque vous le pouvez; ne vous laissez pas mourir de soif; n'en prenez pas un peu, mais beaucoup, pour vous enivrer et vous perdre vous-même.
7. Ne vous aimez pas pour vous, mais pour Dieu; n'aimez pas la créature pour la créature, mais seulement pour l'honneur et la gloire du nom de Dieu;. n'aimez pas Dieu pour vous, pour votre utilité, mais aimez Dieu pour Dieu, parce qu'il est la Bonté suprême, si digne d'être aimée. Alors votre amour sera parfait, et non mercenaire. Vous ne pourrez penser qu'à Jésus crucifié, à la liqueur que vous avez bue, c'est-à-dire à la charité parfaite que Dieu vous a témoignée avant la création du monde, en vous aimant avant que vous fussiez; car, s'il ne vous avait point aimée, il ne vous eût pas créée; mais il vous a vue en lui-même par amour, et il a voulu vous donner l'être. Alors toutes vos pensées seront fixées dans cette charité, et vous penserez à ce qui doit vous [1529] désaltérer; vous désirerez ardemment voir et goûter l'éternelle et suprême beauté de Dieu. Nous savons maintenant le lieu où se repose l'amour, et où l'âme trouve le moyen qu'il faut prendre pour l'acquérir. Je vous en conjure par l'amour de Jésus crucifié, ne soyez pas négligente, mais hâtez-vous d'aller dans ce lieu, et de suivre cette voie qui vous est montrée. En le faisant, vous accomplirez en vous le désir et la volonté de Dieu, qui ne cherche et ne veut que votre sanctification.
8. Vous apaiserez aussi mon désir; car moi, pauvre misérable, remplie de péchés et d'iniquités, j'ai faim de votre salut; je le veux pour vous, et afin que vous soyez aussi pour votre mari un moyen de le conduire à la vertu, et de lui faire suivre la voie de la vérité. Invitez-le, engagez-le autant que vous le pourrez à être le vrai fils et le serviteur de Jésus crucifié par son obéissance au Saint-Père, qui le représente. Non, qu'il ne se révolte plus contre lui. Père et Mère bien-aimés, soyez unis dans une même Volonté, un même esprit. Ne comptez pas sur le temps, car le temps n'attend pas. Pensez, pensez que l'oeil de Dieu est fixé sur vous, et que personne ne peut échapper à ses regards c'est votre Dieu, qui n'a pas besoin de vous; il nous a aimés avant, que nous l'aimions, et il s'est. donné lui-même à nous par la grâce, et non par obligation. Je ne veux pas que vous méconnaissiez un si grand bienfait, mais que vous soyez pleine de reconnaissance,. en répondant à la grâce et à la clémence du Saint-Esprit. Je vous prie d'élever et de nourrir vos enfants dans la crainte de Dieu. Ne vous inquiétez pas de leur corps, mais du salut de leur [1530] âme vous savez que Dieu vous en demandera compte au dernier jour. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez à mon ignorance si je vous ai importunée; mais j'ai faim et soif de votre salut plus que je ne pourrais le dire. Votre fidèle serviteur est venu de votre part, et m'a dit de vive voix ce dont vous l'aviez chargé, et j'en ai été bien heureuse. Doux Jésus, Jésus amour.
Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 314, A QUELQU'UN QU'ON NE NOMME PAS