Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 329, A LA COMTESSE BENEDETTA

Lettre n. 330, A LA COMTESSE BENEDETTA

CCCXXX.- A LA COMTESSE BENEDETTA, fille de Jean d'Agnolino Salimbeni.- De la charité parfaite et de l'amour du monde. - Des fleurs et des fruits que doit produire notre âme.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite charité. Cette charité est un vêtement nuptial, qui recouvre notre nudité et cache notre honte, c'est-à-dire le péché, qui fait naître la honte. Elle le détruit et le consume par en chaleur; et sans ce vêtement, nous ne pouvons entrer dans la vie éternelle, à laquelle nous sommes appelés. Qu'est-ce que la charité? un amour ineffable que l'âme tire de son Créateur quelle aime de toute son affection, de toutes ses forces. Je dis qu'elle le tire de son Créateur, et c'est la vérité. Mais comment? avec l'amour, parce que l'amour ne s'acquiert qu'avec l'amour et par l'amour. Mais tu me diras, très chère Fille Quel moyen prendre pour trouver et acquérir cet amour? Je te répondrai: Tout amour s'acquiert avec la lumière, parce que la chose qu'on ne voit pas, on ne la connaît pas; et. ne la connaissant pas, on ne l'aime pas: il faut donc avoir la lumière pour voir et connaître ce que tu dois aimer. Et parce que la lumière [1575] nous est nécessaire, Dieu pourvoit à nos besoins en nous donnant la lumière de l'intelligence, qui est la partie la plus noble de l'âme, avec la prunelle intérieure de la très sainte Foi. Je dis cependant que la personne qui offense son créateur n'est pas, ne vit pas sans amour et sans lumière; car l'âme, qui est faite d'amour et créée par amour à l'image et ressemblance de Dieu, ne peut vivre sans amour, et elle n'aimerait pas sans lumière.

2. Si l'âme veut aimer, il faut qu'elle voie; mais sais-tu ce que c'est que voir et aimer pour les personnes du monde? c'est voir les ténèbres et l'obscurité. Et dans cette nuit profonde, l'âme ne discerne pas la vérité; son amour est mortel, car il lui donne la mort, en lui ôtant la vie de la grâce. Mais pourquoi ce qu'elle voit est-il obscur? parce qu'elle a fixé ses yeux dans l'obscurité des choses passagères du monde; elle les regarde en dehors de Dieu, et non pas dans sa bonté; elle les regarde avec un amour sensitif, et cet amour sensitif n'excite l'intelligence à ne voir et connaître que les choses sensibles. Cet amour, qui se nourrit de la lumière de l'intelligence, qu'il excite comme nous l'avons dit, cet amour lui donne la mort en commettant la faute et en lui ôtant la vie de la grâce, car hors de Dieu, on ne peut aimer et voir rien qui ne donne la mort. Celui qui s'aime doit s'aimer en lui et pour lui, c'est-à-dire reconnaître qu'il tient de sa bonté l'être et toute chose. Tu vois bien que tous aiment et voient, parce que sans aimer et sans voir, il est impossible de vivre. Mais combien est différent l'amour des hommes du monde, qui donne la mort, de l'amour des serviteurs de Dieu, qui [1576] donne la vie! Puisque l'amour qui vient de l'éternel et suprême Amour donne la vie de la grâce, la lumière que possède l'oeil de l'intelligence doit l'ouvrir la lumière de la très sainte Foi, et le fixer sur l'amour ineffable que Dieu nous a montré; et alors l'amour, en se voyant aimé, ne peut s'empêcher d'aimer ce que l'intelligence voit et connaît en vérité. O très chère Fille, ne vois-tu pas que notre âme est un arbre d'amour, car nous sommes faits par amour?

3. Cet arbre est si bien fait, que personne ne peut l'empêcher de croître et lui enlever ses fruits, s'il ne veut pas. Et Dieu a donné à cet arbre un ouvrier qui le cultive pour lui plaire; cet ouvrier est le libre arbitre. Si l'âme n'avait pas cet ouvrier, elle ne serait pas libre; et n'étant pas libre, elle aurait une excuse à son péché; mais elle ne peut en avoir, parce que personne, ni le monde, ni le démon, ni la chair fragile ne peut la forcer à la moindre faute, si elle ne veut pas, car cet arbre a pour lui la raison dont le libre arbitre peut se servir; il a l'oeil de l'intelligence, qui connaît et voit la vérité, quand le nuage de l'amour-propre ne l'obscurcit pas. Avec cette lumière, l'ouvrier voit où doit être planté l'arbre: car, s'il ne le voyait pas, et s'il n'avait pas cette douce faculté de l'intelligence, l'ouvrier aurait une excuse, et pourrait dire: J'étais libre, mais je ne voyais pas où je devais planter mon arbre, si c'était en haut ou en bas, Mais il ne peut le dire, parce qu'il a l'intelligence qui voit et la raison qui est un lien de l'amour légitime, qui peut se lier et se greffer sur l'Arbre de vie, sur le Christ, le doux Jésus. il doit donc planter son arbre où l'oeil de l'intelligence [1577] a vu le lieu et la terre la plus favorable pour lui faire produire des fruits de vie. Très chère Fille, si l'ouvrier, le libre arbitre, plante l'arbre ou il doit être planté, c'est-à-dire dans la terre de la véritable humilité, non pas sur la montagne de l'orgueil, mais dans la vallée de l'humilité, il produit alors les fleurs embaumées des vertus; et surtout il produira cette belle fleur de la gloire et de la louange du nom de Dieu, et toutes ses oeuvres, qui sont de douces fleurs, de doux fruits, en recevront le parfum.

4. C'est cette fleur, très chère Fille, qui fait fleurir vos vertus. Dieu la veut pour lui; mais il veut que le fruit soit pour nous. De cet arbre il veut seulement des fleurs de gloire, c'est-à-dire que nous rendions gloire et honneur à son nom, et il nous donne le fruit, car il n'a pas besoin de nos fruits. Il ne lui manque rien, puisqu'il est Celui qui est, tandis que nous sommes ceux qui ne sommes pas, et nous avons besoin de lui. Nous ne sommes pas par nous-mêmes, mais par lui; il nous a donné l'être et toute grâce ajoutée à l'être, et nous ne pouvons lui être utile en aucune manière. Et comme l'éternelle et souveraine Bonté voit que l'homme ne vit pas de fleurs, mais seulement de fruits, car la fleur nous ferait mourir, et le fruit nous fait vivre, alors il prend la fleur pour lui, et nous donne le fruit. Si la créature ignorante veut se nourrir de fleurs, c'est-à-dire, si elle prend pour elle-même la gloire et la louange qu'elle doit à Dieu, elle se prive de la vie de la grâce, et se donne la mort éternelle; elle meurt, si elle ne se convertit pas, c'est-à-dire, si elle ne prend pas le fruit pour elle, et si elle ne donne pas à. Dieu la fleur, c'est-à-dire [1578] dire la gloire. Lorsque notre arbre est bien planté, il croît tellement, que la cime de l'arbre, c'est-à-dire l'affection de l'âme, ne se voit plus de la terre, parce qu'elle est unie au Dieu infini par l'amour.

5. O très chère Fille! je veux te dire dans quel champ se trouve cette terre, afin que tu ne te trompes pas. La terre est la véritable humilité, et le lieu où elle se trouve est le jardin fermé, parce que l'âme qui est dans la cellule de la connaissance d'elle-même, s'y renferme et n'ouvre pas, c'est-à-dire qu'elle n'aime pas les délices du monde, qu'elle ne cherche pas les richesses, mais plutôt la pauvreté volontaire; elle ne les cherche, ni pour elle ni pour les autres, et elle ne se complaît pas dans les créatures, mais uniquement dans le Créateur. Et quand le démon lui offre des pensées mauvaises, qui troublent son esprit et lui inspirent des craintes déraisonnables, alors elle n'ouvre pas: c'est-à-dire qu'elle ne les arrête pas, et ne veut pas savoir d'où elles viennent. Elle ne les discute pas, et n'égare pas son coeur dans le trouble et la confusion; mais elle se renferme avec la compagnie de l'espérance, avec la lumière de la très sainte Foi, avec la haine et le mépris de la sensualité, se jugeant indigne de la paix et du repos de l'esprit par humilité; elle se croit digne de la guerre et indigne de la récompense, c'est-à-dire qu'elle se croit digne de la peine qu'elle éprouve. Dans le temps des grands combats, elle contemple toujours Jésus crucifié, se réjouissant d'être avec lui sur la Croix, et cette pensée chasse toutes les autres. C'est là le doux lieu ou se trouve la terre de la véritable humilité [1579].

6. Lorsque la cime de l'arbre, c'est-à-dire l'affection de l'âme qui suit l'intelligence, a connu Jésus crucifié, elle connaît dans le Verbe l'abîme de son ardente charité, parce que c'est par son moyen que s'est manifesté l'amour que Dieu a pour nous. L'âme connaît le Verbe dans la connaissance d'elle-même, quand elle voit qu'elle est une créature raisonnable créée à l'image et ressemblance de Dieu, et régénérée dans le sang de son Fils unique. Alors son coeur s'unit au coeur de Jésus crucifié, parce que l'amour attire l'amour c'est-à-dire que par l'amour bien réglé, qui l'élève au-dessus des affections sensibles, il attire à lui l'amour embrasé de Jésus crucifié, parce que notre coeur, quand il se remplit de l'amour divin, fait comme l'éponge, qui attire l'eau à elle; mais elle ne le pourrait pas, si elle n'était pas mise dans l'eau, quoique sa nature soit de s'en remplir. Je dis de même que, malgré la disposition de notre coeur à aimer, si la lumière de la raison et la main du libre arbitre ne le prennent pas, et ne l'unissent pas au feu de la charité divine, il ne s'emplira jamais de la grâce de Dieu; mais s'il s'y unit, il s'en remplira. C'est pourquoi je dis que c'est de l'amour et par l'amour que vient l'amour.

7. Lorsque le vase du coeur est plein, le jardinier arrose l'arbre avec l'eau de la divine charité du prochain, qui est une rosée, une pluie bienfaisante qui rafraîchit le pied de l'arbre et la terre de la véritable humilité. Elle engraisse le sol et le jardin de la connaissance de soi-même, parce qu'alors cette connaissance est fortifiée de la connaissance de la bonté de Dieu à son égard. Tu sais bien que si l'arbre n'est pas [1580] bien arrosé par la rosée et par la pluie, s'il n'est pas réchauffé par l'ardeur du soleil, il ne produira pas de fruits, il ne sera pas parfait, mais imparfait. De même l'âme, qui est un arbre, si, lorsqu'elle est plantée, elle n'est pas arrosée par la pluie de la charité du prochain et par la rosée de la connaissance de soi-même; si elle n'est pas réchauffée par les rayons du soleil de la grâce divine, elle ne portera pas de fruits de vie, et son fruit n'atteindra pas la maturité.

8. Lorsque l'arbre est grand, il étend ses rameaux, et présente son fruit au prochain, le fruit des humbles et ferventes prières, les exemples d'une sainte et bonne vie; il les étend aussi loin qu'il peut, assistant le prochain de ses biens temporels avec un coeur généreux et libéral, simplement et sans détour, accomplissant ce qu'il a promis, et rendant avec une affectueuse charité, tous les services qu'il peut rendre, dès qu'il aperçoit quelques besoins. La charité ne cherche pas son intérêt; elle ne se cherche pas pour elle, mais elle se cherche pour Dieu, pour offrir des fleurs de gloire et de louange à son nom. Elle ne cherche pas Dieu pour elle, mais Dieu pour Dieu, parce qu'il est digne de notre amour par sa bonté. Elle n'aime pas, ne cherche pas, ne sert pas le prochain par intérêt, mais seulement pour Dieu, pour acquitter la dette qu'elle ne peut payer à Dieu en lui étant utile; car, comme je te l'ai dit, nous ne pouvons pas être utiles à Dieu, et alors Dieu nous donne le prochain comme un moyen d'exercer la vertu, et de montrer l'amour que nous avons pour Dieu, l'éternelle Douceur [1581].

9. Cette charité goûte la vie éternelle; elle consume et détruit toutes nos iniquités, et nous donne la lumière parfaite avec la vraie patience. Elle nous rend forts et persévérants, si bien que nous ne tournons jamais la tête pour regarder le sillon; mais nous persévérons jusqu'à la mort, nous réjouissant d'être sur le champ de bataille pour Jésus crucifié, et contemplant toujours son sang pour nous animer à combattre comme de vaillants chevaliers. Aussi cette charité. est si utile, si nécessaire et si délectable, que sans elle nous serons toujours dans l'amertume, et nous recevrons la mort. Notre honte sera découverte, et au dernier jour du jugement, nous serons confondus en présence de tout l'univers, devant les anges et les habitants du ciel, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, où la charité est parfaite et générale, parce que chacun partage et goûte la félicité des autres par l'amour. Il faut donc nous attacher à cette douce reine, et revêtir le vêtement nuptial de la charité. Il faut avec un ardent et saint désir se disposer à la mort pour s'unir à cette reine des vertus; et quand nous l'aurons, il faut vouloir souffrir jusqu'à la mort toutes les peines, de quelque côté qu'elles nous viennent, afin de la conserver et de l'augmenter dans le jardin de notre âme.

10. Je ne vois pas d'autre voie et d'autre moyen; et c'est pourquoi t'ai dit que je désirais te voir fondée dans la vraie et parfaite charité. Je te prie par l'amour de Jésus crucifié d'y travailler autant que tu le pourras, et tu n'auras pas besoin de craindre d'une crainte servile, et d'avoir peur des vents contraires que font naître le démon et les créatures pour [1582] empêcher notre salut; car, dès que l'arbre est dans la vallée, il est à l'abri des vents. Sois donc humble et douce de coeur. Je ne t'en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 331, A MADAME BIANCINA

CCCXXXI.- A MADAME BIANCINA, femme de Jean d'Agnolino Salimbeni.- De l'amour déréglé de nous-mêmes et du monde.- De la bonté divine, qui seule peut satisfaire et pacifier notre âme. -



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillée de l'amour du monde et de vous-même; vous ne pourrez autrement vous revêtir de Jésus crucifié, car il n'y a aucune ressemblance, entre Dieu et le monde. Celui qui aime le monde aime l'orgueil, et Dieu aime l'humilité: il cherche les honneurs, la puissance, la grandeur, et Dieu les méprise, car il a choisi pour lui la honte, les mépris, les injures, la faim, la soif, le chaud, le froid, et jusqu'à la mort ignominieuse de la Croix; par cette mort il a rendu honneur à son Père, et nous a rétablis dans la grâce. Il cherche à plaire aux créatures sans craindre de déplaire à son [1583] Créateur, et le Christ béni n'a jamais cherché autre chose que d'obéir à son Père pour notre salut. Il a embrassé et revêtu la pauvreté volontaire, tandis que le monde cherche les richesses. Il y a donc une grande différence, et nécessairement, le coeur qui est vide de Dieu, est plein du monde. Aussi notre Sauveur a dit: " Personne ne peut servir deux maîtres; s'il sert l'un, il méprisera l'autre. " Nous devons donc avoir bien soin de refuser notre coeur au monde, à ce tyran; mais nous devons le donner librement et sans réserve à Dieu, en l'aimant avec vérité, parce qu'il est notre Dieu, qui nous regarde sans cesse, et voit les secrets cachés de notre coeur.

2. Combien nous serions fous et insensés, si, sachant que Dieu nous voit, que sa justice punit toute faute et récompense tout bien, nous étions assez aveugles pour attendre sans crainte le temps que nous n'avons pas, et que nous ne sommes pas sûrs d'avoir! Nous allons toujours nous attachant: si Dieu nous coupe une branche, nous en prenons une autre. Nous craignons plus de perdre les créatures et les choses qui passent comme le vent, que nous ne craignons de perdre Dieu. Tout cela vient de l'amour déréglé que nous leur donnons. En les tenant et les possédant en dehors de la volonté de Dieu, nous goûtons, en cette vie, les arrhes de l'enfer, parce que Dieu a permis que celui qui s'aime d'un amour déréglé devienne insupportable à lui-même. Il est toujours en guerre dans son âme et dans son corps; il souffre de ce qu'il a par la crainte de le perdre, et pour le conserver, il se fatigue la nuit et le jour; il souffre aussi de ce qu'il n'a pas, parce qu'il désire l'avoir, et ne [1584] peut y parvenir. Et ainsi l'âme n'est jamais tranquille au milieu des choses du monde, parce qu'elles sont toutes moindres qu'elle: elles sont faites pour nous, et nous ne sommes pas faits pour elles; mais nous sommes faits pour Dieu, pour jouir de son éternel et souverain bonheur.

3. Dieu seul peut donc satisfaire l'âme; c'est en lui qu'elle s'apaise et se repose. Tout ce qu'elle peut vouloir et désirer, elle le trouve en Dieu; et en le trouvant, elle trouve aussi la sagesse qui sait donner, et la volonté, qui veut donner les choses utiles à son salut. Nous l'avons bien éprouvé; non seulement il nous donne quand nous demandons, mais il nous a donné avant que nous fussions, et sans que nous l'en ayons prié; il nous a créés à son image et ressemblance, et il nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils. L'âme trouve sa paix en lui, et pas ailleurs, parce qu'il est Celui qui est, la suprême Richesse, la suprême Puissance, la suprême Bonté, la suprême Beauté. C'est un bien ineffable dont personne ne peut apprécier la bonté, la grandeur, les délices; lui seul peut se comprendre et s'estimer. Il sait, il peut, il veut satisfaire et contenter tous les saints désirs de celui qui veut se dépouiller du monde et se revêtir de lui. Il ne faut donc plus dormir, très chère Mère; mais il faut secouer notre sommeil, car le temps nous rapproche sans cesse de la mort. Les choses temporelles et passagères, et les créatures, je veux que vous les ayez pour votre usage, les aimant et les gardant comme des choses qui vous sont prêtées et qui ne vous appartiennent pas. Vous le ferez en détachant votre coeur, mais pas autrement. Il [1585] faut le faire, si nous voulons participer au fruit du sang de Jésus crucifié. C'est parce que je sais qu'il n'y a pas d'autre voie que je vous ai dit que je désirais voir votre coeur dépouillé du monde; et il me semble que Dieu vous y invite sans cesse. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 332, A MADAME ISA

CCCXXXII. - A MADAME ISA, fille de Jean d'Agnolino Salimbeni.- De la fidélité à la grâce, et de la force dans le service de Dieu.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une épouse ferme et fidèle, sans être agitée comme la feuille par le vent. Je ne veux pas que votre âme et votre saint désir cèdent au vent contraire de la tribulation et de la persécution, que suscitent le monde et le démon; mais surmontez tout par l'amour de la vertu, la persévérance et le souvenir du sang de Jésus-Christ. Que les discours des créatures et leurs mauvais conseils ne vous détournent jamais de votre dessein. Alors vous serez une épouse fidèle, et, fermement appuyée sur la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, vous ne perdrez pas la force, et la parole ne faiblira pas sur vos lèvres: vous la trouverez, au contraire, car les vertus [1586] et l'ardeur ne doivent pas diminuer en celui qui désire et veut bien faire, mais elles doivent augmenter. Je me rappelle que dans le monde vous vous faisiez craindre; vous fouliez aux pieds les propos et les caprices des hommes, et c'est tout ce que mérite ce monde misérable. Votre vertu maintenant ne doit pas avoir moins de force, et au lieu d'une parole, vous devez en avoir douze pour répondre hardiment aux propos du démon, qui veut empêcher votre salut. Si vous gardez le silence, vous serez reprise au dernier jour; il vous sera dit: " Sois maudite, parce que tu as gardé le silence (Is 6,5). " N'attendez pas un si dur reproche. Je suis persuadée que, si vous voulez suivre l'Agneau abandonné et immolé sur la Croix, dans la voie des peines, des outrages, des opprobres et des injures, vous ne garderez pas le silence.

2. Je veux donc que vous suiviez le Christ, votre Epoux, et que vous descendiez avec un ardent et saint désir sur ce champ de bataille nouveau, pour y combattre avec persévérance jusqu'à la mort, en disant: " Je puis tout par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie (Phil 4,13). " Au commencement vous sentirez les épines mais ensuite vous recueillerez le fruit, et goûterez la gloire de l'honneur de Dieu. Courage donc; ayez une véritable et sainte persévérance, et n'hésitez jamais. Il me semble, quand à l'habit, qu'il faut suivre ce que l'Esprit-Saint demande par votre bouche, sans vous laisser influencer par personne, et sans vous inquiéter de ce qu'on dira (Il s'agissait sans doute de l'habit du tiers ordre de Saint-Dominique. Dans un bref d'Urbain VI, en date du 27 mas 1380, une indulgence plénière pour l'heure de la mort est accordée à cinquante tertiaires de Sienne, et Isa, fille de Jean d'Agnolino, est nommée la première) [1587]. Cela ne diminuera en rien votre dévotion pour votre glorieux Père saint François; elle augmentera même, et vous n'en serez pas moins libre. Il y aurait plutôt de l'inconvénient à revenir sur ce qui est commencé. Quant à la comtesse, je crois que, si elle pouvait venir à la Roche avant mon arrivée, ce serait bien; nous ferions ensuite ce que le Saint-Esprit nous ferait faire. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 333, A MADAME MITARELLA

CCCXXXIII.- A MADAME MITARELLA, femme de Louis Mogliano, sénateur de Sienne, en 1373.- De la crainte et de l'amour que Dieu demande de nous.- Deux choses sont nécessaires pour conserver en nous la foi en Dieu, surtout dans l'adversité.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère et bien aimée Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous salue et je vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir devant Dieu une servante fidèle, c'est-à-dire [1588] pleine de cette foi qui met la paix et la joie dans notre âme. C'est cette douce foi qu'il faut avoir, cette foi dont notre Sauveur a dit: " Si vous aviez de la fol gros comme un grain de sénevé, et que vous disiez à cette montagne d'avancer, elle avancerait (Mt 17,19) ". C'est dans cette foi, bien-aimée Soeur que je vous prie de persévérer. En m'annonçant l'accident qui est arrivé au Sénateur, et qui vous a causé, il me semble, une grande frayeur (Ce sénateur de Sienne avait probablement couru quelque grand danger dans une des émeutes populaires très fréquentes à cette époque.), vous m'avez dit que vous n'aviez de foi et d'espérance que dans les prières des servi. tours de Dieu. Je vous prie, de la part de Dieu et du doux Amour Jésus, de rester toujours dans cette douce et sainte foi. O douce et sainte foi qui nous donne la vie! Si vous conservez cette sainte foi, jamais votre coeur ne connaîtra la tristesse, car la tristesse vient uniquement de la foi que nous plaçons dans les créatures. Les créatures sont des choses fragiles et périssables, et notre coeur ne peut jamais se reposer que dans une chose ferme et durable. Quand notre coeur s'appuie sur la créature, ce n'est pas sur une chose solide; car aujourd'hui l'homme est vivant, et demain il est mort. Il faut donc, si nous voulons avoir le repos, que notre coeur et notre âme se reposent par la foi et l'amour en Jésus crucifié. Alors nous verrons notre âme se remplir de joie. O très doux Amour Jésus!

2. Ma soeur, ne craignez pas les créatures; le Christ béni a dit: " Ne craignez pas les hommes, qui ne [1589] peuvent tuer que le corps; mais craignez-moi; car je peux tuer l'âme et le corps (Mt 10,28). " Craignons Celui qui dit qu'il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. O ineffable charité de Dieu, qui menace d'abord, en nous disant qu'il peut tuer le corps et l'âme, pour nous faire humilier et rester dans sa sainte crainte! O bonté de Dieu, qui, pour consoler l'âme, dit ensuite qu'il ne veut pas que nous mourions, mais que nous vivions en lui! Ma bien-aimée Soeur, vous montrerez que vous vivez, quand votre volonté sera unie et semblable à volonté de Dieu; cette douce volonté vous donnera la foi et l'espérance, qui fait vivre en Dieu.

3. Si vous voulez vivifier cette sainte foi, je vous prie de vous rappeler deux choses. La première, c'est que Dieu ne peut vouloir que notre bien: pour nous donner le vrai bien, il s'est donné lui-même jusqu'à la mort honteuse de la Croix, parce que nous avions été privés de ce bien par le péché. Il s'est humilié doucement lui-même pour nous rendre la grâce et ôter de nous l'orgueil. Il est donc bien vrai que Dieu ne veut que notre bien. La seconde chose est que vous croyiez fermement que tout ce que nous causent la vie ou la mort, la maladie ou la santé, la richesse, la pauvreté, les injures qui nous sont faites par nos amis, nos parents, ou par quelque créature, je veux que vous croyiez que c'est par la permission de Dieu; car il ne tombe pas une seule feuille d'arbre sans sa volonté. Ne craignez donc rien; Dieu ne nous donne que ce que nous pouvons [1590] porter, et jamais plus; recevons tout avec respect, ma bien-aimée Soeur, nous jugeant indignes du bonheur qu'on a en souffrant pour Dieu. Et parce que le démon veut vous effrayer du mal que vous craignez, prenez sur-le-champ les armes de la Foi, croyant que nous serons délivrés par Jésus crucifié. Vous resterez ainsi dans la joie parfaite, bien persuadée, comme nous l'avons dit, que Dieu ne veut que notre bien. Espérez en Jésus crucifié, et ne craignez rien. Je ne vous dis pas autre chose que de faire vos oeuvres avec l'amour et la crainte de Dieu. Rappelez-vous que vous devez mourir, et vous ne savez pas quand; et l'oeil de Dieu est ouvert sur vous pour voir toutes vos oeuvres. O doux Jésus, donnez-nous la mort avant que nous vous offensions. Loué soit Jésus-Christ.








Lettre n. 334, A MADAME ORIETTA SCOTTA

CCCXXXIV. - A MADAME ORIETTA SCOTTA, à la croix de Caneto, à Gênes.- De la patience et de ses effets. - Du renoncement à la volonté propre.

(Ce fut cette dame qui donna l'hospitalité à sainte Catherine revenant d'Avignon, en 1376. Notre sainte resta un mois à Gênes, avec ses nombreux disciples, et y fit plusieurs miracles, (Vie de mainte Catherie, II p., ch. VIII )



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Mère et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des [1591] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Cette patience montre si nous aimons véritablement ou non, notre Créateur; car elle est la moelle de la charité, et il n'y a pas de charité sans patience, et de patience sans charité. C'est une vertu si belle, si nécessaire à notre salut, que sans elle nous ne pouvons plaire à Dieu, ni recevoir le fruit des peines que Dieu permet pour notre salut. Sans elle aussi nous goûterons en cette vie les arrhes de l'enfer. Cette vertu nous montre la lumière qui est dans l'âme qui la possède, c'est-à-dire qu'elle montre que l'âme, avec la lumière de la très sainte Foi, a vu et connu que Dieu ne veut autre chose que son bien, et que tout ce qu'il donne ou permet en ce monde, est pour notre sanctification. Dès que l'âme l'a reconnu, elle devient patiente, car elle se dit à elle-même: quand la sensualité veut se révolter par impatience: Veux-tu donc te plaindre de ton bien? Tu ne peux pas, tu ne dois pas te plaindre, mais tu dois souffrir généreusement pour la gloire et l'honneur du nom de Dieu.

2. La patience fait naître une grande douceur au fond de l'âme; elle est forte, et elle éloigne toute impatience et toute affliction; elle est persévérante, et aucune fatigue ne lui fait tourner la tète en arrière, mais elle avance toujours à la suite de l'humble Agneau, dont la patience et la douceur furent si grandes, qu'on ne l'entendit jamais se plaindre. Elle se conforme à Jésus crucifié, en se revêtant de sa doctrine et en se rassasiant d'opprobres. Elle triomphe de la colère en la foulant aux pieds par la douceur elle ne se laisse abattre par aucune fatigue, parce qu'elle est unie à la charité; elle ne prend pas le bien d'autrui; elle donne, au contraire, généreusement. Rien ne lui est trop précieux pour ne pas le donner; mais elle se prive de tout avec une douce patience; elle s'enivre du sang de Jésus crucifié pour se perdre elle-même, et plus elle se perd, plus elle se trouve unie et lié à la douce volonté de Dieu, méprisant le monde avec toutes ses délices, se plaisant à suivre la voie de la véritable humiliation, et embrassant la pauvreté volontaire par de saints et véritables désirs.

3. O ma très chère Mère et Fille! voici le temps d'embrasser cette vraie et solide vertu. Vous voyez que le monde poursuit d'injures et de reproches ceux qui aiment la vérité. Il faut donc être patients dans les injures et les peines que nous éprouverons; mais nous devons aussi avoir grande compassion des autres, et nous élever seulement contre le péché de celui qui offense. Très chère Mère et Fille, fut-il jamais plus juste de pleurer et de gémir sur les offenses faites à Dieu; avons-nous jamais vu le monde plongé dans de pareilles ténèbres? et cela à cause de l'amour de nous-mêmes, qui a tout empoisonné, tout corrompu. Qui aura la patience, aura la charité parfaite, et quand on a la charité parfaite, on gémit, et on doit gémir plus de ce mal qu'on voit, que de ses propres peines et de ses afflictions. Hélas! ne voyez-vous pas que notre Foi est souillée par:des chrétiens marqués du signe de Jésus-Christ! ils perdent dans les ténèbres de l'hérésie le sang du Christ. Nous devons en gémir amèrement, et cette douleur doit faire [1593] oublier toute autre douleur. Je vous invite à souffrir avec une vraie patience, à vous offrir vous-même à Dieu par une humble et continuelle prière. Ne dormons plus, mais secouons le sommeil, car il est temps de se lever. Donnez-vous tout entière en vous dépouillant de toute affection, de tout attachement. Attachez-vous à l'arbre de vie; à l'humble Agneau sans tache, où vous trouverez la vertu de patience et toutes les autres vertus, qui sont arrosées et mûries par ce sang. Oh! combien est heureuse l'âme qui, en souffrant avec force et courage, se revêt de vertu! La langue est incapable de l'exprimer; mais faites-en l'expérience, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, dans ce sang qui rend douce toute chose amère, et légers tous les fardeaux. Ce sang nous apprend à gouverner les biens temporels, comme vous l'avez fait et comme vous le faites toujours, en ennoblissant pour vous les malheureux et ceux qui sont dans le besoin.

4. Maintenant soumettez à ce sang précieux votre volonté propre, faites-en le sacrifice à Dieu; lorsque vous l'aurez fait, vous le montrerez par la vertu de la patience, vous ne pourrez pas le montrer autrement. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Mettez votre force dans le Christ, le doux Jésus. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Bénissez et saluez tous les vôtres, et faites prier particulièrement pour la sainte Eglise et pour le Christ de la terre, Doux Jésus, Jésus amour [1594].






Lettre n. 335, A MADAME LARIELLA

CCCXXXV.- A MADAME LARIELLA, femme de messire Cieccolo Caracciolo, de Naples.- Nous devons mettre notre espérance en Dieu. et non dans les créatures; cette espérance vient de l'amour.

(Lariella est sans doute le diminutif de Laura. comme Cieccolo est celui de Francesco. Le comte Caracciolo s'attira la disgrâce de la reine de Naples par sa fidélité à Urbain VI, dont il était parent.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir placer votre affection et votre espérance en Dieu seul, et mettre votre confiance en lui et non dans les créatures, car on peut appeler maudit celui qui met sa confiance dans l'homme. Oh! quel malheur pour notre âme, et comme est vaine l'espérance que nous mettons autre part qu'en Dieu! des paroles ne pourraient jamais l'exprimer. Cette espérance est vaine et passagère, car c'est en vain que se fatigue celui qui cherche les délices, les honneurs et les richesses du monde. Qu'est-ce qui nous montre qu'elle est vaine? Le peu de sûreté que nous y trouvons. Quand nous croyons les posséder, elles nous échappent, ou par une disposition de la Providence qui nous les ôte pour notre bien, ou par la mort, qui nous fait quitter cette ténébreuse vie. Souvent [1595] nous croyons gagner beaucoup et parvenir à une haute position, et nous perdons ce que nous avions; ou, si nous le conservons, ce n'est pas sans une grande peine, et nous avons tellement peur de le perdre, que la vie devient insupportable, Il est donc bien insensé l'homme qui met là son espérance.

2. Je dis que cette espérance est nuisible, parce qu'elle ôte la puissance, la liberté, et qu'elle rend esclave. Si nous aimons d'un amour déréglé les créatures et les choses créées en dehors de Dieu, nous péchons. En offensant Dieu, nous nous rendons esclaves du péché, qui est un néant, et des choses créées, qui sont toutes moindres que nous, car elles sont toutes créées pour nous servir, et nous, nous sommes faits pour servir Dieu. Mais nous faisons tout le contraire nous les servons, et nous ne servons pas notre Créateur. Elles nous privent alors de la lumière, et ne nous laissent pas voir et discerner la vérité. Car, comme l'oeil malade ne peut regarder la lumière, l'oeil de l'âme, lorsqu'elle est tombée dans cette infidélité et cette maladie de l'amour déréglé, perd tellement la lumière, qu'elle ne peut plus se connaître et connaître Dieu, c'est-à-dire la Bonté infinie, et sa propre misère. Elle perd la richesse des vertus, parce qu'elle est séparée de la charité à laquelle toutes les vertus sont unies. Elle n'a plus l'amour de Dieu et du prochain; elle ne sert que par intérêt; elle n'a plus l'humilité véritable, car elle n'a d'autre désir et d'autre jouissance que d'avoir une grande réputation et un haut rang. Toute son étude est de plaire aux créatures, et elle aime mieux leur être agréable que d'être agréable au Créateur. Si elle [1596] reçoit une injure, elle la supporte avec impatience; et si elle rend service à son prochain ou à ses parents, sans qu'elle en tire quelque profit ou quelque honneur, elle en est fâchée, et cesserait volontiers de leur être utile.

3. C'est là ce que fait l'amour-propre, et vous savez bien que c'est la vérité. Vous l'avez peut-être éprouvé vous-même, à l'occasion du séjour de messire Cieccolo ici. Vous en êtes un peu contrariée; mais si vous le voyiez récompensé de ses services, et recevoir un peu de la fumée du monde, c'est-à-dire un peu de gloire humaine, vous le seriez moins. Je crois que vous vous affligez plus des propos qui vous inquiètent et de ce vain honneur du monde, que vous ne désirez son propre avantage. Ce n'est pas bien, c'est un grand défaut, qui offense Dieu; votre âme et votre corps en souffrent, et vous lui causez aussi de la peine. Je ne veux pas qu'il en soit ainsi. Ce serait une preuve que vous avez mis votre espérance et votre affection dans les créatures et les honneurs du monde plus que dans le Créateur, et cela ne doit pas être. Vous devez au contraire être courageuse, et mépriser les sottises du monde en désirant les biens du ciel et l'honneur de Dieu plutôt que les biens frivoles de la terre et les honneurs qui peuvent vous en revenir. Je veux qu'il en soit ainsi. Répondez à ceux qui vous diront le contraire, que tout votre désir est de voir messire Cieccolo servir fidèlement, de tout son coeur, de toute son âme, le Christ de la terre et la sainte Eglise, sans penser à l'avancement, aux grandeurs et à l'intérêt, mais seulement à l'honneur de Dieu, et à ce que doit un fils [1597] à son père. Alors ses services seront agréables à Dieu, et ils vous seront glorieux et utiles: je dis utiles par les grâces que vous obtiendrez, et que Dieu veut que nous cherchions avec un grand zèle. Vous le ferez si vous mettez votre espérance en Dieu, mais pas autrement. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir mettre votre amour et votre espérance uniquement en lui; et vous devez le faire, puisque vous voyez qu'il est si nuisible de la mettre en soi, ou dans la créature, ou dans les choses créées, en dehors de Dieu; cette malheureuse espérance plonge l'âme dans de nombreuses afflictions. Combien est différente l'espérance que l'homme met en Dieu! car l'espérance procède de l'amour. Toujours la créature espère en celui qu'elle aime: si elle aime la créature, elle espère dans la créature; si elle aime son Créateur, elle espère uniquement en lui, et l'amour, le sentiment de la charité, met toujours une grande joie dans le coeur qui la possède.

4. Oui, l'espérance donne une grande joie; tous les trésors de la charité se trouvent dans l'espérance, parce qu'elle vient d'elle. Elle est humble et douce pour ceux qui l'injurient; elle est patiente à souffrir les tribulations, de quelque manière que Dieu les lui envoie; bien plus, elle désire souffrir pour Jésus crucifié, et elle cherche sa gloire dans ses opprobres; c'est là qu'elle se repose, et elle ne veut se glorifier en rien autre chose, parce qu'elle ne cherche pas sa propre gloire, mais la gloire du nom de Dieu. La charité ne cherche pas ses intérêts, et ses services ne sont pas mercenaires, parce qu'elle sert par amour, et non à cause du profit qu'elle [1598] attend; elle éloigne toute amertume, parce qu'elle s'est dépouillée de la volonté propre pour se revêtir de la douce Volonté de Dieu, et c'est la volonté propre qui seule fait souffrir la créature. Cette vertu est si douce, si délectable, qu'elle fait paraître douces les choses amères; les grands fardeaux deviennent petits, et les contrariétés agréables; elle ôte à l'âme le poids de la terre et le lui rend léger; elle l'éloigne de la société des hommes, et la fait converser avec les Bienheureux.

5. Cette espérance, fondée sur la charité, est si utile, qu'elle rapporte au centuple. L'homme donne oa volonté seule, et il reçoit le centuple, la charité, avec laquelle il obtient la vie éternelle. C'est ce que disait le Christ au glorieux saint Pierre qui lui demandait: " Maître, nous avons laissé tout pour vous; que nous donnerez-vous?" Le Christ répondait: Tu as bien fait, Pierre. Comme si la douce Vérité disait: Autrement tu ne pourrais pas me suivre. Celui qui ne renonce pas à sa propre volonté ne peut suivre Jésus crucifié. Puis il ajoute: " Je vous donnerai le centuple, et vous posséderez la vie éternelle. " La charité est donc bien utile, et nulle vertu ne peut l'être davantage. Elle rend l'homme libre et souverain, puisqu'elle le tire de l'esclavage du péché et lui assujettit la sensualité. Celui qui est maître de lui-même devient maître du monde, parce qu'il méprise ses grandeurs et ses délices, parce qu'il voit que tous ses biens sont sans consistance et sans durée; il en retire son espérance pour la placer en son Créateur, qui seul est sûr et immuable, et qui rien peut nous être ôté, si nous ne le voulons pas [1599].

6. Oh! combien est heureuse cette âme qui a mis son coeur et son amour en Dieu, qui est sa béatitude! Dès qu'elle possède Dieu, elle ne s'inquiète de rien, et elle ne tombe pas dans l'impatience si elle vient à perdre un mari, des enfants, son rang, les honneurs et les richesses du monde, parce qu'elle les possède, non pas comme des choses qui lui appartiennent, mais comme des choses prêtées; son seul bien est la grâce divine. Elle ne s'inquiète pas des propos des hommes, et pour leur plaire, elle ne veut offenser Dieu en aucune façon. Elle ne fait pas comme les personnes faibles, qui, pour plaire aux créatures, déplaisent au Créateur par leur vanité, tout en l'offensant sur d'autres points par leur sensualité. Elles résistent à la grâce que Dieu avait faite à leur âme de ne pas aimer à se parer de curieux et délicats vêtements, et à se parfumer le visage. Lorsqu'elles sont dans leur intérieur, elles ne paraissent pas s'inquiéter de leur personne; mais pour plaire elles forcent la nature et se révoltent contre la grâce, voulant paraître aussi bien que les autres, sans crainte d'offenser Dieu et de nuire à leur âme; et quand on les reprend, elles répondent: Je ne le fais pas pour moi, mais pour plaire à mon mari et ne pas me montrer plus triste que les autres. Elles se trompent, et ne savent pas où se trouve la vertu, à cause de la complaisance qu'elles ont pour elles-mêmes. Mais celle qui est dans la charité le sait bien; comme nous l'avons dit, elle se dépouille de toute vanité et choisit ce qui est honnête, quels que soient la position, le moment et le lieu où elle se trouve. En toute chose elle considère Dieu, et ce qu'elle fait, elle le fait avec [1600] sa sainte crainte. Elle participe au sang de Jésus crucifié, parce qu'elle a déchargé sa conscience dans la sainte Confession avec la contrition, le regret de ses fautes et une entière satisfaction; elle reçoit ainsi la vie de la grâce.

7. Quelle différence, très chère Mère, entre ceux qui espèrent véritablement en Dieu et ceux qui n'y espèrent véritablement en Dieu et ceux qui n'y espèrent pas! Aucune comparaison n'est possible. Que dirons-nous donc? Nous dirons que les uns jouissent du vrai bonheur, et que les autres sont dans une profonde misère. Nous devons donc quitter avec grand soin tout amour sensitif, et nous occuper sans cesse de la douce pensée de Dieu et du Sang répandu pour nous avec tant d'amour. Nous devons montrer l'amour que nous avons pour lui par notre charité envers notre prochain, que nous assisterons dans tous ses besoins; nous aimerons aussi entendre la parole de Dieu, veiller, prier sans cesse; nous aimerons tout pour Dieu, et rien sans lui. C'est à cela que je veux voua voir apporter tout votre zèle, afin que vous puissiez recevoir l'éternel et souverain bien qui vous est préparé. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1601]







Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 329, A LA COMTESSE BENEDETTA