Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 344, A MADAME RABES

Lettre n. 345, A MADAME LOUISE DE GRANELLO

CCCXLV.- A MADAME LOUISE DE GRANELLO.- De l'amour de Dieu, et de l'amour de nous-mêmes. - De l'utilité des épreuves.

(Cette dame était de la famille des Tholomei, de Sienne)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et [1644] parfaite charité; car sans la charité, aucun acte de vertu n'aurait en lui la vie. Toute vertu vit par la charité; c'est cette mère qui enfante les vertus, non pas mortes, mais pleines de la vie de la grâce. Cette douce charité possède la lumière de la très sainte Foi; et à cause de l'amour qu'elle a pour son Créateur, elle croit fermement que Dieu ne veut autre chose que son bien, et que tout ce qu'il donne et permet est pour sa sanctification. Cette connaissance et cette lumière qu'elle reçoit de l'ardeur de la charité la rend patiente; elle ne se scandalise et ne se trouble de rien de ce qui lui arrive, elle le reçoit au contraire avec respect. O très chère Fille et Soeur dans le Christ, le doux Jésus! il me semble que la Bonté divine permet bien des fatigues, des ennuis, des tentations du démon pour votre bien, non pas pour que vous soyez vaincue, mais pour que vous soyez victorieuse. Ces peines et ces combats vous rendent bien nécessaire cet amour éclairé par la lumière de la très sainte Foi. Si vous l'avez, l'amertume vous deviendra d'une douceur extrême, et les fardeaux pesants vous paraîtront légers, parce que vous connaîtrez à la lumière que Dieu vous donne tout pour votre bien, et vous ne pourrez pas vous plaindre de votre bien. Mais vous me direz: Puisqu'il est si doux et si nécessaire d'avoir cette charité, comment l'avoir, et où la trouver? Je vous répondrai en deux mots, que l'amour ne peut venir que de l'amour, et que, sans la lumière, on ne peut le trouver. Car en marchant sans la lumière, nous marcherons où il n'est pas, et nous marcherons ainsi dans les ténèbres.

2. Il faut donc éloigner de nous ce qui nous prive [1645] de la lumière, c'est-à-dire l'amour-propre, qui est un nuage qui nous empêche de voir et de connaître la vérité de ce que nous devons aimer. Ce nuage fait aimer dans les ténèbres, aimer hors de Dieu, non d'un amour raisonnable, mais d'un amour sensuel. Il faut donc dissiper ce nuage en nous détachant par la haine et le mépris, de cette loi mauvaise, qui combat toujours contre l'esprit avec l'amour coupable et déréglé; et lorsque l'oeil de l'intelligence est éclairé par la lumière de la Foi, il se fixe sur l'amour ineffable que Dieu nous a montré par le moyen du Verbe incarné, son Fils unique. Ce doux et tendre Verbe, l'Agneau sans tache, nous l'a montré avec son sang, et l'âme s'enivre de ce sang qu'elle voit répandu avec tant d'amour. Par ce sang, elle connaît la Vie éternelle, Dieu, qui pour accomplir sa vérité dans nos âmes, et nous donner la fin pour laquelle nous avons été créés, permet que nos ennemis, le monde, le démon et notre chair nous tourmentent, uniquement pour que notre coeur ne mette pas sa fin dans le monde et la sensualité, mais pour qu'il s'éloigne des épines cruelles du monde, qui nous déchirent, et de ses plaisirs éphémères, qui passent comme le vent. Oh! combien est insensé celui qui met là son désir et son affection! Il ne faut jamais le faire; la créature raisonnable doit prendre les choses du monde pour ce qu'elles valent, et pas davantage. Elle doit les aimer et les conserver pour Dieu, et non pas sans Dieu, elle doit s'en servir comme de choses prêtées, qui ne lui appartiennent pas, en s'attachant aux vertus qu'on trouve dans la charité, cette charité que fait naître dans l'âme la lumière; [1646] car par cette lumière, l'âme connaît qu'elle est aimée de Dieu. Vous voyez donc que de l'amour par la lumière, vient l'amour.

3. Mais où le trouverons-nous? dans la sainte connaissance de nous-mêmes, en nous voyant aimés avant que nous fussions, parce que l'amour que Dieu a eu pour nous l'a forcé à nous créer à son image et ressemblance. Nous trouvons en nous le sang qui a manifesté l'amour que Dieu nous porte; et dans ce sang, nous recevons notre rédemption, car après avoir perdu l'être de la grâce, nous avons été régénérés à la grâce. Nous sommes le vase qui a reçu ce sang, puisqu'il a été uniquement répandu pour nous. Ne quittons donc jamais la demeure de la connaissance de nous-mêmes; et dans cette lumière, par l'ardeur de la charité qui nous vient de la lumière, nous souffrirons avec une vraie et solide patience, ne méprisant, ne fuyant jamais les peines, de quelque manière qu'elles viennent; mais les acceptant avec amour, parce que nous voyons que c'est par amour que Dieu les donne et non par haine, non pour nuire à notre salut, mais pour nous le rendre facile. Je veux donc, très chère et très douce Fille, que vous vous appliquiez avec un grand zèle à acquérir cet amour à la lumière de la Foi. Demeurez dans les sentiments de la charité: autrement vos vertus ne seraient pas vivantes, mais mortes, et nous goûterions, en cette vie, les arrhes de l'enfer.

4. Comme je sais qu'il n'y a pas d'autres moyens, je vous ai dit que je désirais vous voir affermie dans la vraie et parfaite charité. Elle vous fera supporter toutes vos peines; et Dieu, qui ne méprise pas les [1647] saints désirs et les peines que vous souffrirez pour la gloire et la louange de son nom, éloignera la peine, et nous conduira au but, au terme désiré, si nous triomphons nous-mêmes de la volonté propre en l'unissant à la douce volonté de Dieu. Je ne veux pas que vous tombiez dans le trouble et le désespoir à cause des illusions et des tentations que le démon veut vous donner, en mettant dans votre esprit de laides images et des pensées déshonnêtes; mais embrassez la très sainte Croix avec une foi vive et une ferme espérance, où vous verrez que Dieu les permet par amour, et qu'il ne vous donne pas plus que vous ne pouvez porter. Je veux que vous sachiez bien qu'aucune tentation, aucune pensée, quelque laide qu'elle soit, n'est un péché, pourvu que nous n'y consentions pas volontairement en nous y complaisant. Conservons donc notre volonté en méprisant ces pensées, et fortifions-la dans l'éternelle et douce volonté de Dieu, avec le souvenir du sang de Jésus crucifié.

5. Bannissez toute peine de votre esprit, et laissez-moi porter devant Dieu le poids de vos ennuis, pourvu que de votre côté, vous ne résistiez pas à Dieu, qui vous appelle par ces épreuves. Pratiquez la vertu, et recourez souvent à la sainte Confession; aimez à entendre la parole de Dieu et la sainte messe, quand vous le pouvez, au moins les jours prescrits par l'Eglise, Souffrez généreusement, espérant que si Dieu est pour vous, le démon et les créatures ne pourront rien contre vous. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je rends [1648] grâce à la Bonté divine, et je vous remercie de l'aumône que vous avez faite, et qu'il semble que vous voulez faire aux serviteurs de Dieu, les religieux, qui, en priant, nous obtiennent des biens infinis pour quelques biens finis. Faites toujours votre devoir, autant que vous le pourrez. Vous devez être la providence des pauvres, de ceux qui n'ont rien, car les pauvres sont les mains qui, avec la charité de l'aumône, ouvrent les portes du ciel. Soyez donc pleine de zèle pour votre salut. Doux Jésus, Jésus amour.

Fait à Sienne, le 27 du mois d'août 1378.






Lettre n. 346, A MADAME STRICCA

CCCXLVI.- A MADAME STRICCA, femme de Cionne Salimbeni.- De la vertu de patience.- La tribulation et la prospérité nous viennent de Dieu pour notre bien.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la servante fidèle de notre Créateur, affermie dans la vraie et sainte patience. Pensez qu'autrement vous ne pourrez pas plaire à Dieu. Nous sommes des pèlerins et des voyageurs en cette vie, et nous courons sans cesse vers la mort. Il faut avoir la lumière de la très sainte Foi, parce que sans elle, les ténèbres nous empêcheraient d'atteindre [1649] notre fin; mais il faut une foi vivante, c'est-à-dire de saintes et bonnes oeuvres, parce que les saints disent que la Foi sans les oeuvres est morte. Croyons donc que Dieu est Dieu, qu'il nous a créés à son image et ressemblance, qu'il nous a donné le Verbe, son Fils unique, né du sein de la douce Vierge Marie, et mort sur le bois de la très sainte Croix pour nous délivrer de la mort, et nous donner la vie de la grâce que nous avions perdue par la désobéissance d'Adam. Nous avons tous, par l'obéissance du Verbe, contracté la grâce, comme nous avons tous contracté la mort par le premier péché. Aussitôt que l'âme a si doucement acquis la lumière de la Foi, elle voit que Dieu nous aime d'un amour ineffable, et que, pour nous donner l'espérance de notre résurrection au dernier jour du jugement, il nous a manifesté sa résurrection.

2. L'âme se passionne pour cette lumière et ce doux amour que Dieu lui porte, et elle commence à voir de la même manière, que Dieu ne veut autre chose que notre sanctification, et que tout ce qu'il donne ou permet dans cette vie, il le fait pour cette fin. Les tribulations et les consolations, les injures, les mépris, les affronts, les persécutions du monde, les tentations du démon, la faim, la soif, les infirmités, la pauvreté, la prospérité, les délices, il permet tout pour notre bien. Il permet la richesse pour que nous soyons les bienfaiteurs des pauvres; il permet les délices et les honneurs, non pas pour que nous levions la tête avec orgueil, mais pour que nous nous humiliions au contraire davantage, en reconnaissant saintement la divine Bonté. La pauvreté et les tribulations [1650], de quelque côté qu'elles viennent, il nous les donne pour que nous parvenions à la vraie et parfaite patience, pour que nous connaissions le peu de fermeté et de sûreté du monde, et que nous en éloignions notre affection et nos désirs pour les mettre uniquement en Dieu, et pratiquer les vraies et solides vertus. Nous recevrons ainsi le fruit de toutes nos peines; car toutes les peines que nous supporterons pour son amour seront récompensées et nous mériteront le ciel, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, et la faim sans peine. Saint Augustin dit qu'on n'y connaît pas le dégoût de la satiété et la peine de la faim, et que dans l'autre vie, tout bien est récompensé comme toute faute punie (S. Aug., Médit., ch. XXII).



3. Celui qui a cette foi vive enfante les vraies et saintes vertus; il est vraiment patient à supporter toute peine et toute fatigue pour Dieu et pour la rémission de ses péchés; il les reçoit même avec respect, parce qu'il considère celui qui les donne, pourquoi il donne et à qui il donne. Quel est celui qui donne? C'est Dieu, l'éternelle et souveraine Bonté, qui donne non par haine, mais par un véritable amour. Il dit à ses disciples: " Je vous envoie pour être persécutés et martyrisés dans le monde, non par haine, mais par amour. Cet amour, que mon Père a eu pour moi, je l'ai pour vous. Il m'aimait d'un tendre amour, et il ne m'a pas moins envoyé souffrir la peine honteuse de la très sainte Croix. " Et pourquoi donne-t-il? Je l'ai dit, par amour pour notre sanctification [1651], afin que nous soyons sanctifiés en lui. Et qui sommes-nous, nous qui avons reçu les peines? Nous sommes ceux qui ne sommes pas; par notre faute, nous avons mérité mille enfers, si nous pouvions les souffrir; et, puisque nous avons offensé un bien infini, nous avons encouru une peine infinie. Mais Dieu, dans sa miséricorde, nous punit dans le temps fini et nous donne une peine finie; car la tribulation ne dure pas plus que cette vie, et toute peine est petite, puisque le temps est si court.

4. Le temps, pour nous, disent les saints, n'est qu'une pointe d'aiguille. La vie de l'homme n'est rien, tant elle est peu de chose. Toute peine est petite; celle qui est passée, nous ne l'avons plus, et celle qui doit venir, nous ne sommes pas sûrs de l'avoir, puisque nous ne sommes pas sûrs d'avoir le temps de la souffrir. Le présent n'est donc qu'un point, et pas davantage. Ainsi, ma très douce Fille, secouons notre sommeil et ne dormons plus; mais suivons avec une foi vive, les traces de Jésus crucifié, avec une vraie et sainte patience. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Je ne voua dis rien de plus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour[1652].






Lettre n. 347, A MADAME FRANCESCHINA

CCCXLVII.- A MADAME FRANCESCHINA, à Lucques.- Elle l'exhorte à être la servante et la fille de Jésus-Christ, à aimer sa croix, et à croître toujours dans la charité.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère et bien-aimée Soeur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie servante et fille du doux et bon Jésus, toute baignée et toute revêtue du sang du Fils de Dieu, afin que vous soyez dépouillée de tout vêtement d'amour-propre, de toute négligence et de toute Ignorance. Je veux que vous imitiez la douce et tendre Madeleine, qui ne pouvait se détacher de l'arbre de la très sainte Croix, mais qui s'enivrait toujours, se couvrait du sang du Fils de Dieu, et s'en remplissait tellement la mémoire, le coeur et l'intelligence, que jamais il ne lui fut possible d'aimer autre chose que Jésus-Christ. Je veux que vous agissiez ainsi jusqu'au dernier moment de votre vie, croissant de vertu en vertu, et employant toujours vos journées comme le bon pèlerin, qu'aucune fatigue ne fait regarder en arrière. Ne vous arrêtez pas dans la négligence, mais prenez le bâton de la très sainte Croix, qui fait naître et soutient toutes les vertus; regardez l'Agneau immolé avec tant d'amour pour [1653] nous, que vous devez l'aimer aussi, et détruire par l'ardeur de cet amour toute froideur, toute dureté de coeur, et tout amour-propre qui se trouve dans votre âme.

2. Oh! comment pourra faire l'épouse pour ne pas suivre les traces de son Epoux, c'est-à-dire souffrir avec amour et marcher dans la voie des peines, quelle que soit la manière dont Dieu vous les envoie? Levez-vous donc avec une sainte patience et une véritable humilité, pour suivre le doux Agneau, avec un coeur généreux et plein d'amour; sacrifiez-vous pour lui comme il s'est sacrifié pour nous, lorsque, pour nous donner la vie de la grâce, il a perdu la vie de son corps. Pour nous prouver son amour, il a ouvert son côté, et après sa mort, il nous a encore baignés de son sang. Voulez-vous être sans crainte? cachez-vous dans la blessure de ce côté, et ne vous éloignez jamais de son coeur. Si vous y entrez une fois, vous y trouverez tant de joie, de douceur, que vous ne voudrez jamais le quitter; car c'est un trésor de parfum et de miséricorde, et cette miséricorde donne la grâce et conduit à la vie éternelle, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans peines, et la joie entière, parfaite et sans mélange. C'est là que sont apaisés tous les besoins et les désirs de la créature.

3. O ineffable et infinie Charité! qui vous a forcée à nous donner un pareil trésor? C'est votre amour sans bornes qui vous a fait créer votre créature sans y être obligé; car nous vous devons tout, et vous ne nous devez rien, Mais, bien-aimés Soeur dans le Christ, le doux Jésus, songez que l'âme ne peut parvenir [1655] à ce bonheur de voir Dieu, si elle ne s'efforce d'abord dans cette vie à le goûter par un sincère et ardent amour. Cet amour renferme et fait naître toutes les vertus. La vertu ne manque jamais à l'âme qui est blessée par la flèche de la divine charité; et cette charité s'acquiert à la table de la très sainte Croix, où l'Agneau sans tache est la table, la nourriture et le serviteur. Comment l'âme pourrait-elle ne pas aimer son doux Sauveur, en se voyant tant aimée de lui? L'habitude de l'amour est de rendre amour pour amour, et de transformer celui qui aime en celui qui est aimé. Aussi l'âme, l'épouse du Christ, qui se voit aimée de lui, montre qu'elle veut le payer de retour; elle veut souffrir les peines et les opprobres pour l'amour de lui, et elle se transforme et devient une même chose avec lui par l'amour et le désir. Elle aime ce que Dieu aime, elle déteste ce que Dieu déteste, parce qu'elle voit que le doux Jésus a mis tout son bonheur à porter la croix de bien des peines pour l'honneur de son Père et notre salut, pour se nourrir et se désaltérer des âmes. Il faut le faire aussi, afin de lui devenir semblables. Courons donc, et ne dormons plus dans le lit de la négligence; mais courons vers le bien véritable. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1655].






Lettre n. 348, A MADAME MELLINA

CCCXLVIII.- A MADAME MELLINA, femme de Barthélemi Balbani, à Lucques.- De l'amour parfait que nous devons avoir pour Dieu, et de celui que nous devons avoir pour toutes les créatures.

(La tradition veut qu'en 1375, pendant son séjour à Lucques, sainte Catherine ait reçu l'hospitalité de la famille Balbani, une des plus puissantes de la ville.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Ma Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris et je t'encourage dans son précieux sang, avec le désir de te voir unie et transformée dans l'ardeur de la divine charité, tellement qu'aucune créature, qu'aucune chose ne puisse jamais t'en séparer. Tu sais, ma chère et bien-aimée Fille, que, pour unir deux choses, il faut qu'il n'y ait entre elles aucun obstacle qui empêche leur parfaite union. Pense aussi que Dieu ne veut entre lui et toi, aucun amour de toi-même ou de quelque créature, car Dieu nous aime sans partage, généreusement, gratuitement, sans obligation, sans avoir été d'abord aimé, L'homme ne peut aimer de cet amour, car il est toujours tenu d'aimer par devoir, puisqu'il est toujours l'objet des bienfaits et de la bonté de Dieu. Nous devons donc l'aimer d'un amour reconnaissant, et cet amour doit être sincère, généreux, en n'aimant rien [1656] en dehors de Dieu, ni créature ni chose créée, spirituellement ou temporellement. Et si tu me dis: Comment puis-je avoir cet amour? je te répondrai, ma Fille, que nous ne pouvons l'avoir qu'en le puisant à la source de la Vérité suprême. A cette source tu trouveras la dignité, la beauté de ton âme; tu verras le Verbe, l'Agneau Immolé qui s'est donné à toi pour nourriture et pour rançon, uniquement poussé par le feu de sa charité, et non par les services de l'homme dont il n'avait reçu que des offenses. Je dis donc que l'âme qui regarde à cette source devient altérée et affamée de vertus; elle y boit aussitôt, ne voyant, n'aimant plus ni elle ni autre chose pour elle-même, mais voyant tout dans la fontaine de la bonté de Dieu, aimant pour lui tout ce qu'il aime, et rien sans lui. L'âme, lorsqu'elle a vu l'infinie bonté de Dieu, pourrait-elle s'empêcher de l'aimer? C'est à cela que semble nous Inviter la douce Vérité suprême, nous criant dans le Temple, de toute l'ardeur de son amour: " Qui a soif vienne à moi et boive, car je suis la fontaine d'eau vive. " Tu vois bien, ma Fille, que tous ceux qui ont soif sont invités. Notre-Seigneur ne dit pas, celui qui n'a pas soif, mais, celui qui a soif.

2. Dieu demande que nous portions le vase du libre arbitre avec la soif et la volonté d'aimer. Allons donc à la fontaine de la douce bonté de Dieu, comme nous l'avons dit. Dans cette fontaine nous trouverons la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, où l'homme puise avec son vase, et tire l'eau de la grâce divine, qui seule peut donner la vie éternelle; mais pense que pour suivre cette voie, Il faut nous défaire de tout [1657] fardeau. Aussi je ne veux pas que tu conserves de l'affection pour moi, ou pour quelque créature, si ce n'est en Dieu. Je te dis cela parce que je vois, d'après ce que tu m'écris, que tu as souffert de mon départ; mais je veux que tu suives l'exemple de la Vérité suprême, que l'amour de sa Mère et de ses disciples n'a pas empêchée de courir à la mort honteuse de la Croix. Il a laissé Marie et ses disciples, et il les aimait bien cependant, pour l'honneur de Dieu et le salut des créatures. Les Apôtres se sont aussi séparés, parce qu'ils ne s'arrêtaient pas à eux-mêmes; ils renonçaient à leur propre consolation pour louer et glorifier Dieu, pour se nourrir et se rassasier des âmes. Il faut croire qu'au temps de la tribulation, ils seraient restés bien volontiers avec Marie, qu'ils aimaient tendrement; mais ils se sont tous éloignés, parce qu'ils ne s'aimaient pas, et qu'ils n'aimaient pas le prochain et Dieu pour eux-mêmes. ils aimaient Dieu parce qu'il est digne d'être aimé, parce qu'il est infiniment bon, et ils aimaient en Dieu le prochain et toutes choses.

3. C'est ainsi qu'il faut vous aimer et aimer les autres. Ne songez qu'à l'honneur de Dieu et au service du prochain. Si vous éprouvez quelque tristesse de voir partir ceux que vous aimez, vous ne vous laisserez pas au moins abattre; votre amour doit être véritablement fondé sur l'honneur de Dieu, et s'arrêter plus au salut des âmes qu'à vous-mêmes. Faites en sorte de ne plus vous affliger à mon sujet, car ce serait là un obstacle qui vous empêcherait de vivre avec Jésus crucifié et de lui ressembler. Dieu s'est donné généreusement, et il nous demande la même [1658] chose. C'est pourquoi je t'ai dit que je voulais que toi et mes autres Filles vous soyez unies et transformées en Dieu par l'amour, vous séparant de toute affection qui pourrait s'y opposer, et ne conservant que celle de la divine charité. Cette douce et glorieuse affection ne divise jamais, mais elle unit. Elle fait comme le maître qui bâtit un mur avec beaucoup de pierres: ces pierres s'appellent un mur quand la chaux les a unies; mais s'il n'avait pas pris ce moyen, elles seraient tombées, et se seraient brisées et séparées plus que jamais. Pense aussi que notre âme doit s'unir à toutes les créatures par l'amour et le désir de leur salut, afin qu'elles aient part au sang de l'Agneau; alors le mur est solide: il y a beaucoup de créatures, mais elles ne font plus qu'une. Il semble que saint Paul nous y invite, lorsqu'il dit qu'il y en a beaucoup qui courent vers le prix, mais qu'un seul le gagne (1 Co 9,24): c'est celui qui prend le moyen de la divine charité.

4. Tu peux me dire, comme les disciples à Jésus-Christ leur disant: " Un peu de temps, et vous ne me verrez plus; un peu de temps, et vous me verrez. " Ils disaient alors entre eux: " Que veut-il dire par ces mots: Un peu de temps, et vous ne me verrez plus; un peu de temps, et vous me verrez?" Tu peux me dire aussi: Pourquoi dire que Dieu ne veut pas de lien, et dire ensuite qu'il doit y en avoir? Je te répondrai que je parle du lien de la divine charité: ce lien n'est pas un lien, car il ne fait qu'un avec la chose qu'il unit, comme il arrive au bois qu'on met dans le feu. Diras-tu alors que le bois est bois? ne fait-il pas [1659] une même chose avec le feu? Mais si tu prenais le lien de l'amour-propre, ce serait un lien qui nous priverait de Dieu et nous conduirait au néant; car le péché n'est que néant; et tous les péchés ne sont fondés que sur l'amour-propre, sur les plaisirs et les jouissances hors de Dieu, tandis que la charité enfante et vivifie toute vertu. L'amour-propre au contraire, engendre tous les vices, donne la mort, et détruit toute vertu dans l'âme. Aussi Je vous ai dit que Dieu ne voulait pas de lien, et que toute affection qui n'est pas fondée sur la véritable charité ne dure pas. Courez donc, mes bien-aimées Filles, et ne dormons plus. J'ai eu compassion de vos peines, et je vous en indique que le remède: c'est d'aimer Dieu sans partage; et si vous voulez m'aimer aussi, moi, pauvre misérable, je veux vous dire où vous me trouverez, afin que vous ne vous éloigniez jamais du véritable amour. Allez à cette douce, à cette adorable Croix (Sainte Catherine fait peut-être allusion au célèbre crucifix appelé le sacro vollo, qu'on dit peint par Nicodème, et qu'on vénère dans la cathédrale de Lucques depuis le VIIIe siècle.) avec la bonne et tendre Madeleine; là vous trouverez l'Agneau, vous me trouverez, et vous pourrez nourrir et satisfaire tous vos désirs.

5. Voilà de quelle manière je veux que vous me cherchiez, moi et toute chose créée. Que ce soit là votre étendard et votre consolation, et ne pensez pas que mon éloignement diminue mon affection et mou zèle pour votre salut; je m'en occupe même plus absente que présente. Ne savez-vous pas que les [1660] saints Apôtres, après le départ du Maître, le connurent et l'aimèrent davantage, parce qu'ils jouissaient de son humanité, et ne cherchaient pas autre chose. Mais lorsqu'Ils furent privés de sa présence, ils purent connaître et comprendre sa bonté; la Vérité suprême leur dit: " Il est bon que je m'en aille; autrement vous ne recevriez pas le Consolateur. " Moi je vous dis de même: Il était bon que je m'éloignasse de vous, afin que vous cherchiez Dieu en vérité et sans partage. Je vous assure que vous y gagnerez, en méditant en vous-mêmes les paroles et la doctrine que vous avez reçues; et vous recevrez ainsi la plénitude de la grâce par la grâce même de Jésus-Christ. Je ne vous écris pas plus longuement parce que je n'ai pas le temps de le faire. J'adresse cette lettre à toi surtout, Mellina, puis à Catherine, à Mme Claire, à Mme Barthélemi, à Mme Lagine et à Mme Colombe. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 349, A MADAME COLOMBE

CCCXLIX.- A MADAME COLOMBE, à Lucques.- Du bon exemple que nous devons donner.- Comment on perd et on retrouve Notre-Seigneur.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Bien-aimée Soeur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des [1661] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir comme un champ fertile qui reçoive la semence de la parole divine, et porte du fruit pour vous et pour les autres. Maintenant, que vous avez vieilli dans le monde et que vous êtes dégagée des liens du siècle, vous devez être un modèle de vertu pour les jeunes, qui sont encore attachées au monde par les. liens du mariage. Hélas! hélas! je m'aperçois que nous sommes une terre stérile qui laisse étouffer la semence de la parole divine par les épines et par les ronces des affections déréglées et des désirs du monde; nous suivons la voie de ses jouissances et de ses délices, cherchant plus à plaire aux créatures qu'au Créateur. Et ce n'est pas assez de nous faire si grand tort à nous-mêmes: là où nous devrions donner des exemples de vertu et d'honnêteté, nous donnons des exemples de péché et de vanité. Il semble que, comme le démon, qui n'a pas voulu tomber seul, mais qui a voulu en entraîner beaucoup d'autres, nous voulons perdre aussi les autres avec nous dans les mêmes vanités, les mêmes plaisirs et les mêmes complaisances. Vous devez, puisque votre position ne le demande pas, vous retirer des vaines joies et des fêtes du monde, et vous appliquer à en retirer ceux qui veulent y aller; vous le devez par amour de la vertu et de votre salut: et, au contraire, vous y invitez les jeunes personnes qui voudraient se retirer et ne pas y aller, parce qu'elles voient que c'est offenser Dieu. Je ne m'étonne donc pas si le fruit ne paraît pas, et si la semence est étouffée, comme je l'ai dit.

2. Peut-être vous voudrez vous excuser, en disant: [1662] Il faut plaire à mes parents et à mes amis; sans cela ils se fâcheraient et se scandaliseraient à mon sujet. Ainsi, la crainte et une complaisance coupable nous ôtent la vie, nous donnent souvent la mort; elles nous éloignent de la perfection à laquelle Dieu nous appelait. Dieu n'admet pas cette excuse, car nous ne devons pas plaire aux hommes en ce qui offense Dieu et notre âme; nous devons les aimer et les servir dans les choses seulement qui sont selon Dieu et selon notre état. Hélas! pauvres misérables que nous sommes, ce ne sont pas les parents, les amis ou quelques créatures qui nous ont rachetés; non, c'est le seul Jésus crucifié, cet Agneau qui s'est immolé avec tant d'amour; il a été percé pour se donner à nous comme un bain, une médecine, une nourriture, un vêtement, un lit où nous pouvons nous reposer. il n'a pas écouté l'amour de lui-même et son bien-être; mais il a choisi les peines, les souffrances, les outrages; il s'est abaissé volontairement pour l'honneur de son Père et notre salut. Il ne convient pas que nous, misérables, nous suivions, une autre voie que celle de la douce Vérité suprême.

3. Vous savez bien que Dieu ne se trouve pas dans les délices et dans les jouissances. Nous voyons que quand notre Sauveur fut perdu dans le Temple en allant à la fête, Marie rie put le retrouver parmi ses amis et ses parents; mais elle le trouva dans le Temple, où il discutait avec les docteurs. Il l'a fait pour nous donner un exemple, car il est la règle, la voie que nous devons suivre. Comprenez pourquoi il s'est perdu pendant la fête, et apprenez, très chère Soeur, que Dieu ne se trouve pas dans les fêtes, les danses [1663], les jeux, les noces, les plaisirs: y aller est un moyen, une occasion de le perdre, en tombant dans les fautes,les péchés et l'amour des jouissances déréglées. Mais lorsque nous avons ainsi perdu Dieu par la grâce, quel est le moyen de le retrouver? Le voici: accompagner Marie pour le chercher avec elle, en nous repentant amèrement de la faute commise envers notre Créateur par complaisance pour la volonté des créatures. Il faut aller au temple, c'est là qu'il se trouve. Que notre coeur se lève donc avec repentir, et qu'il aille au temple de son âme; c'est là qu'on se connaît soi-même, et, en reconnaissant son néant, il connaîtra en lui la bonté de Dieu, qui est Celui qui est. La volonté se lèvera avec zèle pour aimer ce que Dieu aime, pour détester ce qu'il déteste; et alors elle condamnera en elle-même la mémoire, qui a reçu les plaisirs et les jouissances du monde, et qui n'a pas reçu et gardé les grâces, les dons et les grands bienfaits dont Dieu nous a comblés avec tant d'amour. Elle condamnera son intelligence, qui a cherché plus à connaître la volonté des créatures et à écouter les opinions du monde que la volonté de son Créateur, tellement que la volonté, l'amour sensitif, s'est mis à aimer et à désirer les choses sensibles, grossières, qui passent comme le vent. Il ne faut pas faire ainsi; mais il faut s'appliquer à connaître la volonté de Dieu, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification, car c'est pour cela qu'il nous a donné la vie. Il vous a séparée du monde parce que vous vous y perdiez par votre amour et vos désirs déréglés. Avez-vous plus d'une âme? Non. Si vous en aviez deux, vous pourriez en donner une[1664] à Dieu et l'autre au monde. Vous n'avez aussi qu'un corps, et c'est bien peu de chose.

4. Donnez aux pauvres de vos biens temporels, soumettez-vous au joug de la sainte et vraie obéissance; tuez, tuez votre volonté, afin que vous ne soyez pas si enchaînée à vos parents; mortifiez votre corps, et ne recherchez pas tant les délicatesses. Méprisez-vous vous-même, ne regardez pas tant à la noblesse et à la richesse, car il n'y a que la vertu qui nous rend nobles, et les richesses de Cette vie sont une bien triste pauvreté, quand nous les possédons avec un amour déréglé en dehors de Dieu. Rappelez-vous ce que disait le glorieux saint Jérôme, qui semble ne pouvoir jamais assez recommander aux veuves de ne pas rechercher les délices, de rie pas aimer les plaisirs, de ne pas orner leur visage, d'éviter de riches et élégants vêtements, et de fuir la société des personnes frivoles et dissolues, mais de se retirer dans leur cellule. Elles doivent faire comme, la tourterelle, qui, lorsque son compagnon est mort, gémit toujours et vit solitaire, sans vouloir d'autre compagnie (Bestiaires du moyen âge, Mélanges d'archéologie, t. III, p.262.). Très chère et très aimée Soeur, ne connaissez plus maintenant que Jésus crucifié; mettez tout votre bonheur à le suivre par la voie des opprobres, de l'humilité, de la douceur; unissez-vous à l'Agneau par les liens de la charité. Mon âme désire que vous, la vraie fille et l'épouse choisie de Jésus-Christ, vous soyez un champ fertile et non stérile, rempli des fruits des véritables vertus. Courez, courez, car le temps est court et le chemin [1665] est long; quand même vous auriez le monde entier, le temps n'en poursuivrait pas moins son cours. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez-moi si j'ai trop parlé; c'est l'amour et le zèle que j'ai pris pour votre salut qui m'ont pressée de le faire. Soyez persuadée que je le désire plus que je ne puis le dire. Que Dieu vous remplisse de sa très douce grâce. Doux Jésus, Jésus amour.







Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 344, A MADAME RABES