Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 349, A MADAME COLOMBE

Lettre n. 350, A MADAME FRANCESCHINA, A MADAME CATHERINE

CCCL.- A MADAME FRANCESCHINA, A MADAME CATHERINE, et à deux autres compagnes spirituelles, à Lucques.- De la fidélité à suivre Jésus-Christ dans la voie de la sainte Croix.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chères et bien-aimées Filles et Soeurs dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans le sang de son Fils unique, avec le désir de vous voir de vraies filles et des épouses consacrées à l'Epoux éternel, qui a donné pour nous sa vie avec tant d'amour. Faites de même, et suivez généreusement, avec un ardent désir, l'étendard de la très sainte Croix; suivez ses traces dans la voie des peines, des tourments et des tendres désirs. Un fils doit toujours aimer, suivre son père, et une épouse son époux: [1666] s'il est dans la peine, elle partage sa peine; s'il est dans la joie, elle partage sa joie. C'est ce que disait l'apôtre saint Paul de lui-même: " Je me réjouis avec ceux qui se réjouissent, et je pleure avec ceux qui pleurent (Rm 12,15). " Ainsi fait l'âme qui est dans la charité parfaite; et en faisant ainsi elle accomplit en elle la parole de l'apôtre saint Paul; et, comme elle partage la tribulation, c'est-à-dire la Croix du Christ, elle partagera les consolations, c'est-à-dire qu'elle sera dans la gloire avec le Christ. N'est-il pas juste que Dieu lui donne son héritage, puisqu'elle a renoncé à l'héritage et aux soins du monde? Elle a laissé les plaisirs et les consolations de la terre pour suivre la Croix de Jésus crucifié, pour embrasser les peines, les opprobres et les outrages par amour pour lui. C'est à ce feu, mes très chères Filles, que l'âme doit aller enflammer ses désirs, et elle ne doit avoir d'autre jouissance; car toute autre voie est obscure et ténébreuse, elle conduit l'âme à la mort éternelle. Ne soyez donc pas négligentes, mais empressées dans cette douce et droite voie du Christ Jésus. il vous dit: " Je suis la voie, la vérité, la vie; celui qui va par moi va par la lumière, et non par les ténèbres, et il parvient à la véritable vie, qui ne lui sera jamais ôtée." Point d'ignorance et d'amour-propre en vous, car c'est ce qui empêche l'âme de courir, ce qui l'enchaîne dans la voie et la fait regarder toujours en arrière.

2. La véritable épouse, la fille du Christ, a bien soin de ne pas regarder en arrière, mais elle court [1667] toujours en avant avec l'huile de la véritable humilité, avec le feu de l'ardente charité. C'est là sa continuelle étude, et elle le montre en servant fidèlement son très doux Sauveur. Je vous en conjure par l'amour de Jésus crucifié, puisque notre doux et bon Jésus est si aimable et si généreux, n'hésitons plus; rachetons par notre zèle la brièveté de temps, et réparons par un saint repentir le temps souvent perdu avec bien de la négligence, et de cette manière nous regagnerons le temps qui n'est plus. Je ne vous dis pas autre chose. Je prie la Vérité suprême de vous faire croître de vertu en vertu, jusqu'à ce que vous arriviez à ce terme où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans peine, la joie sans tristesse, ou Je bonheur est sans mélange. Que la paix de Dieu soit toujours dans vos âmes. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 351, A MADAME BARTHELEMI

CCCLI.- A MADAME BARTHELEMI, femme de Salvatico, de Lucques.- C'est de l'amour de Dieu que viennent la patience et le désir de souffrir.- Du renoncement à la volonté, et de la persévérance.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère et très aimée Soeur dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang; avec le désir de vous voir toujours vous reposer [1668] et vous nourrir sur le sein de la charité; car je sais que sans le lait de cette glorieuse mère, personne ne peut avoir la vie. Elle est si douce, si agréable à l'âme qui la goûte, que toute chose amère devient douce, et tout fardeau léger; et je n'en suis pas surprise, car celui qui est dans la charité et l'amour est en Dieu. Saint Jean l'a dit: a Dieu est charité, et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu en lui (1Jn 4,16). Dès qu'on a Dieu, on ne peut avoir aucune amertume, car il est le souverain bonheur, la douceur, la joie parfaite. C'est pourquoi les serviteurs de Dieu se réjouissent toujours; ils se réjouissent lorsqu'ils souffrent de la faim, de la soif, de la pauvreté, lorsqu'ils sont affligés, éprouvés, persécutés par les créatures. Toutes les langues se déchaîneraient contre le serviteur de Dieu, qu'il ne s'en inquiéterait pas; il se réjouit de toute chose, parce qu'il possède Dieu, qui est tout son repos, et parce qu'il goûte le lait de la divine charité.

2. Comme un enfant qui attire à lui le lait du sein de sa mère, celui qui aime Dieu l'attire à lui par le moyen de Jésus crucifié. Pour suivre toujours ses traces, il veut suivre la voie des opprobres, des peines et des injures; il ne veut se plaire qu'en Jésus crucifié, et il fuit toute autre gloire que celle de la Croix. Ceux-là disent avec saint Paul: " Je me glorifie dans les tribulations pour l'amour de Jésus-Christ, mon Seigneur, par qui le monde est crucifié pour moi, et par qui je suis crucifié pour le monde (Gal 6,14) ". Alors [1669] l'âme s'attache au bois de la Croix, et élève le regard du saint désir pour contempler cet amour infini qui a porté notre Sauveur à répandre son sang de toutes les parties de son corps. Je ne m'étonne plus alors si l'âme est patiente. dans les tribulations, puisque par amour, elle a volontairement renoncé aux consolations du monde, et qu'elle s'est passionnée pour les peinés et les persécutions. Elle a vu que c'était le vêtement que le Fils de Dieu avait choisi comme le plus précieux et le plus glorieux qu'il pouvait trouver. C'est cette belle perle dont parle notre doux Sauveur: l'homme qui l'a trouvée doit tout vendre pour l'acheter. Quelle est cette chose qui est à nous, que Dieu nous a donnée, et que le démon et les créatures ne peuvent nous enlever? La volonté.

3. À qui vendrons-nous le trésor de notre volonté? à Jésus crucifié: c'est-à-dire que nous renoncerons généreusement et avec patience à notre volonté propre, qui, une fois qu'elle est en Dieu, est un trésor; et avec ce trésor nous achèterons la perle précieuse des tribulations, et nous mériterons par la vertu de patience, la récompense dont nous jouirons au festin de la vie éternelle. C'est à cette nourriture, à cette table, à ce lait que je vous invite. ma très douce Fille,. et je vous conjure de faire tous vos efforts pour y parvenir. Sortez du sommeil de la négligence, parce que je ne veux pas que vous soyez trouvée à dormir, quand la Vérité suprême vous appellera. O doux et tendre appel, qui nous délivre du fardeau de notre corps, de cet obstacle qui se révolte toujours contre son Créateur par ses désirs et ses mouvements déréglés, et qui se fait notre dieu par son amour coupable! [1670] Notre aveuglement est si grand, que nous ne regardons plus notre néant, et que dans notre orgueil nous croyons passer par la porte étroite avec le fardeau de cet attachement au monde, qui est la mort de notre âme.

4. Je veux donc que nous nous déchargions du poids de la vanité du monde et de l'amour de nous-mêmes. Savez-vous pourquoi il est dit que la porte par laquelle nous devons passer est étroite? Parce que nous devons étouffer notre amour et nos désirs pour les jouissances et les consolations du monde, et nous transformer tout entiers dans cette maternelle charité. Je dis aussi que nous devons baisser la tête, parce que la porte est basse, et qu'en la relevant, nous nous la briserions. Baissons donc la tête avec une sainte et véritable humilité, en voyant que Dieu s'est humilié jusqu'à nous. Vous devez vous regarder, et je veux que vous vous regardiez comme la plus vile des créatures, et que rien ne vous fasse détourner la tête, ni les illusions du démon, ni les paroles que vous entendrez dire par votre mari, ou par quelqu'autre personne.

5. Persévérez courageusement dans votre sainte entreprise. Vous savez que le Christ a dit de ne pas regarder derrière soi, quand on a mis la main à la charrue, car la persévérance seule est couronnée. A l'exemple de la tendre Madeleine, embrassez avec amour la sainte Croix, et vous y trouverez les douces et royales vertus, parce que nous y trouvons l'Homme-Dieu. Pensez que l'ardeur. de la charité a fait une telle violence à son corps adorable, que le sang a coulé de tous ses membres, et avec tant [1671] d'amour et de patience, qu'on n'entendit pas cet Agneau proférer une seule plainte. Il est toujours humble, méprisé, abreuvé d'opprobres. Que votre coeur et votre âme se consument d'amour sur le sein de la charité par le moyen de la chair de Jésus crucifié; autrement vous ne pourrez en goûter et posséder la vertu, car il est la voie, et il est la vérité, et celui qui la suit ne peut être trompé. Oui, quand même le monde entier serait contre vous, il faut avoir un coeur fort et généreux, ne pas détourner la tête, mais parer tous les coups, le bouclier à ta main.

6. Vous savez qu'un bouclier a trois parties; il faut aussi avoir en vous trois vertus. D'abord la haine et le regret de la faute que vous avez commise envers votre Créateur, surtout autrefois, lorsque voua étiez un démon, puisque vous suiviez ses traces. Il faut ensuite avoir l'amour, en contemplant la bonté de Dieu, qui vous a aimée non par devoir, mais par grâce et à cause de son ineffable amour. Il n'a pas séparé votre âme de votre corps au moment où vous étiez révoltée contre lui; mais le doux Jésus vous a tirée des mains du démon, et vous a fait rentrer en grâce. Et aussitôt que vous aurez parfaitement cet amour et cette haine, vous verrez naître la troisième vertu, c'est-à-dire une patience qui vous empêchera de vous plaindre des paroles et des injures qui vous fieront dites, des peines qui vous seront faites; et non seulement vous n'éprouverez pas d'impatience, mais vous les supporterez avec joie, vous les recevrez avec respect, vous regardant indigne d'une pareille grâce.

7. Avec le bouclier de la haine, de l'amour et de la vraie patience, aucune attaque du démon ou des créatures ne pourra vous nuire, parce que ces vertus sont trois colonnes puissantes qui protègent et soutiennent la faiblesse de l'âme. La douce Madeleine a si bien pris le moyen, qu'elle s'oublie elle-même pour se revêtir généreusement de Jésus crucifié; elle ne retourne pas à ses richesses, à ses grandeurs, à ses vanités; elle a perdu tout amour du monde, et elle n'a plus d'autre soin et d'autre pensée que de suivre Jésus-Christ. Aussitôt qu'elle a mis son affection en lui, et qu'elle s'est connue elle-même, elle embrasse et prend la vote de l'abaissement; elle se méprise elle-même, parce qu'elle ne voit pas d'autre moyen de le suivre et de lui plaire. Elle se regarde comme la plus vile créature qui soit au monde. Dans le transport de son amour, elle ne fait pas attention si elle est seule ou accompagnée; si elle avait réfléchi, elle ne serait pas restée au milieu des soldats de Pilate; mais elle va seule, elle reste au sépulcre. L'amour l'empêche de se dire: Ne pensera-t-on pas, ne dira-t-on pas du mal de moi, car je suis belle et d'un haut rang. Non, elle n'y songe pas, elle cherche seulement à trouver et à suivre son Maître. C'est cette compagne que je vous donne et que je veux que vous suiviez; car elle sait si bien la voie, qu'elle peut nous l'apprendre. Courez, ma Fille, courez, mes Filles; ne dormez plus, car le temps fuit et n'attend pas. Je ne veux pas en dire davantage. Encouragez Mme Colombe; je m'adresse à elle comme à vous, et aussi à Mme Jeanne d'Azzolino. Mille bénédictions à Mme Melina, à Catherine, à Mme Lagma et à toutes [1673] mes autres Filles dans le Christ Jésus. Qu'elles ne s'étonnent pas et ne s'affligent pas si je ne leur ai point écrit. Je les unis toutes ensemble, et je fais ainsi parce que les plantes nouvelles ont plus besoin de soins que les autres. Toutes vous saluent dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 352, A PETRONILLE

CCCLII. - A PETRONILLE, fille de Masello Pepe, de Naples.- Elle l'exhorte à se dépouiller de toute affection mondaine, et à se revêtir de Jésus-Christ. - Des vierges sages et des vierges folles.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir le coeur dépouillé de l'amour du monde et de toi-même; tu ne pourras autrement te revêtir de Jésus crucifié, car le monde et Dieu n'ont aucun rapport ensemble. Le monde aime l'orgueil, et Dieu l'humilité; il cherche les honneurs, la puissance, la grandeur, et le Christ béni les a méprisés; il a embrassé les outrages, les mépris, les injures, la faim, la soif, le froid, le chaud, et enfin la mort honteuse de la Croix. Par cette mort, il a rendu gloire à son Père, et nous avons été rétablis dans la grâce. Le [1674] monde cherche à plaire aux créatures, sans craindre de déplaire au Créateur, et le Christ n'a pas cherché autre chose que d'obéir à son Père pour notre salut. Il a embrassé et revêtu la pauvreté volontaire, et le monde poursuit sans cesse les richesses. Il y a donc entre eux une grande différence; et il est nécessaire que le coeur vide de Dieu suit plein du monde, et que le coeur vide du monde soit plein de Dieu. Notre Sauveur a dit: " Personne ne peut servir deux maîtres; il en servira un, et méprisera l'autre. " Nous devons donc avoir un grand soin de fuir la tyrannie du monde pour donner à Dieu notre coeur libre de tout obstacle et de tout faux amour, parce qu'il est Dieu, dont le regard, toujours fixé sur nous, voit les secrets de notre coeur.

2. Quelle serait notre folie, notre aveuglement, si, sachant que Dieu nous voit, et que sa justice punit tout mal et récompense tout bien, nous n'avions aucune crainte de lui, si nous comptions sur le temps que nous n'avons pas et que nous ne sommes pas sûrs d'avoir. Nous différons pourtant toujours. Si Dieu coupe une branche, nous nous attachons à une autre, et nous craignons plus de perdre les créatures et les choses qui passent comme le vent, que nous ne nous inquiétons de perdre Dieu. Cela vient de l'amour déréglé que nous leur portons, Et en les ayant, en les possédant ainsi en dehors de la volonté de Dieu, nous goûtons en cette vie, les arrhes de l'enfer. Dieu a permis que celui qui aime ainsi soit insupportable à lui-même et ne jouisse d'aucun repos dans son âme et dans son corps, car il souffre de ce qu'il a par la crainte de le perdre, et pour le conserver il se fatigue [1675] nuit et jour; il souffre aussi de ce qu'il n'a pas, parce qu'il désire l'avoir, et se désespère de ne pas réussir. Ainsi l'âme n'est jamais tranquille au milieu de toutes les choses du monde, parce qu'elles lui sont toutes inférieures. Elles sont faites pour nous, et nous ne sommes pas faits pour elles; nous sommes faits pour Dieu, pour que nous goûtions son éternelle et souveraine félicité. Dieu seul peut satisfaire l'âme.

3. C'est en lui qu'elle s'apaise et se repose, car tout ce qu'elle peut désirer et vouloir, elle le trouve en Dieu; elle y trouve aussi la sagesse, qui sait, et la volonté, qui veut donner; et nous en avons la preuve: car Dieu, non seulement nous accorde ce que nous lui demandons, mais il nous a donné avant que nous fussions; il n'a pas attendu notre prière pour nous créer à son image et ressemblance, et pour nous faire renaître à la grène dans le sang de son Fils. L'âme trouve sa paix en lui, et non pas dans un autre, car Il est la souveraine Richesse, la souveraine Sagesse, la souveraine Bonté, la souveraine Beauté; c'est un bien inestimable; personne ne peut apprécier se bonté, sa grandeur, sa félicité; lui seul se comprend et s'estime. Il peut, il sait, il veut satisfaire et combler tous les saints désirs de celui qui veut se dépouiller du monde et se revêtir de lui. Je ne veux donc pins que nous dormions, très chère Fille; secouons notre sommeil, car le temps nous approche continuellement de la mort. Les choses passagères du monde et les créatures, il faut nous en servir en les aimant et en les gardant comme des choses prêtées qui ne sont pas à tua. Tu le feras en t'en détachant, mais pas autrement [1676]. Il faut s'en détacher, sI nous voulons participer au sang de Jésus crucifié. Je sais qu'il n'y a pas d'autre voie, et je t'ai dit que je désirais voir ton coeur détaché de l'amour du monde.

4. Débarrasse-toi donc de ces liens, ma chère Fille, afin que tu puisses être la vraie servante de Jésus crucifié, et que tu suives sa très douce volonté. Cette volonté t'invite aux noces de la vie éternelle, parce qu'elle ne veut autre chose que ta satisfaction; mais remarque, très chère Fille, qu'il faut être comme les vierges prudentes, et non pas comme les vierges folles, qui attendirent au dernier moment pour garnir leur lampe, et qui, à cause de leur négligence, trouvèrent la porte fermée; tandis que les vierges prudentes, parce qu'elles attendaient la venue de l'Epoux et qu'elles l'aimaient, se pourvurent avant son arrivée. Et toi, tu dois être l'épouse fidèle, tu dois porter la lampe de ton cour; cette lampe doit être étroite par le bas, et large par le haut: étroite pour le monde, et large pour Dieu; et dedans tu dois mettre l'huile de la véritable humilité, le feu de la plus ardente charité avec la lumière de la très sainte Foi; et de cette manière, tu trouveras la porte ouverte, la porte du ciel, qui est fermée aux vierges folles qui attendent le moment de la mort, lorsqu'elles n'ont plus le temps. La porte ouverte, tu trouveras l'éternel l'Epoux, qui te recevra en lui-même; tu partageras sa beauté, sa bonté, sa sagesse, sa clémence, son éternelle et souveraine richesse, qui ne tarit jamais. Il est la nourriture qui rassasie l'âme, et en la rassasiant, Il lui donne faim; mais cette faim est sans peine, ce rassasiement sans dégoût [1677].

5. Réjouis-toi, ma Fille, d'habiter cette douce patrie; et ce bonheur, tu l'acquerras avec la lumière, le feu et l'huile de l'humilité dont je t'ai parlé, avec l'humble et fervente prière. Applique-toi aux veilles de la nuit, fuis les conversations, renferme-toi dans ta cellule, retranche les paroles oiseuses et les vains souvenirs du monde, dont la corruption empoisonne l'âme; mortifie ton corps par le jeûne et par la pénitence. Evite de te vêtir et de te coucher délicatement, pour que ton coeur ne s'abandonne pas à la vanité, et que la chair ne se révolte pas contre l'esprit; triomphe de toi-même par une sainte haine et une ferme résolution d'être véritablement à Dieu. Fais que. la raison combatte sans relâche la sensualité, le démon et le monde, qui, je le sais, te préparent de grands combats. Mais ne crains rien, et ne te laisse pas abattre par l'épreuve; combats généreusement, en te rappelant que tu peux tout par Jésus crucifié; et dans les tentations qui viendront, n'abandonne jamais tes pieux exercices, et ne te laisse pas troubler, car aucune tentation n'est une faute si la volonté n'y consent pas. Conserve ta volonté pure, en l'unissant à la douce volonté de Dieu, et tu te réjouiras d'être sur la Croix avec ton Epoux. Ne te plais qu'en la Croix de Jésus crucifié, en le suivant par la voie des peines, des opprobres, des mépris et des outrages.

6. Remplis ta mémoire du souvenir du précieux sang, et dans ce sang toute chose amère deviendra douce, tout fardeau deviendra léger, et il n'y aura pas de peines et de grandes tribulations que tu ne puisses porter. Il me semble que tu as besoin de ce souvenir [1678], car tu es entrée dans le champ de bataille de la tribulation par la mort de ton frère; mais cette mort doit te réjouir plutôt que t'affliger, car il a fourni sa course, et il a été la vie de ton âme. Tu ne dois donc pas te plaindre de son bien et du tien, mais au contraire rendre gloire et louange au nom de Dieu. Laisse les morts ensevelir les morts, et suis Jésus crucifié. Je n'ajoute rien ici. Quant au désir que tu as d'être tout à fait religieuse, je me réjouis de l'apprendre, et je serai heureuse si tu sais et si tu veux fouler aux pieds le monde, sous le joug de la sainte obéissance. J'ai répondu à Néri sur les moyens qu'il me semble que tu dois prendre (Néri Landoccio, disciple de sainte Catherine, fut envoyé par elle à Naples. auprès de la reine Jeanne. (Voir la lettre CCLXXII.); il t'en informera. Prends bien en toi-même la résolution d'être la vraie servante de Jésus crucifié. Je ne te dis rien de plus. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Recours souvent à la sainte confession, et fréquente quelquefois les servantes de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1679].






Lettre n. 353, A TROIS DAMES NAPOLITAINES

CCCLIII.- A TROIS DAMES NAPOLITAINES, ses filles spirituelles.- Des effets de la charité, et comment nous devons consumer notre vie dans les gémissements pour la sainte Eglise.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermies dans la parfaite charité, afin que vous soyez les vraies nourrices et gouvernantes de vos âmes, parce que jamais nous ne pourrons nourrir notre prochain, si nous ne nourrissons notre âme de vraies et solides vertus; si elle ne s'attache d'abord au sein de la divine charité, où elle trouve un lait d'une céleste douceur. Mes très chères Soeurs, il vous faut faire comme fait l'enfant qui veut du lait: il prend le sein avec sa main, y met ses lèvres, et attire le lait au moyen de la chair. Il faut faire de même, si nous voulons nourrir notre âme; nous devons nous attacher au sein de Jésus crucifié, où est la source de la charité, et nous y puiserons le lait qui nourrit l'âme avec toutes les vertus qui en naissent, au moyen de sa chair, c'est-à-dire de son humanité; car c'est l'humanité qui a souffert, et non la divinité. Nous ne pourrons pas prendre ce lait maternel de la charité sans souffrir. Il y a bien des manières de souffrir. Souvent nous souffrons [1680] beaucoup des combats du démon, ou des persécutions des créatures qui nous maltraitent et nous injurient. Ce sont là des peines, mais non pour l'âme qui se nourrit sur ce doux et glorieux sein, où elle puise l'amour, et voit en Jésus crucifié l'amour ineffable que Dieu nous a montré au moyen de ce doux et tendre Fils; et dans cet amour, elle trouve la haine du péché et de la loi mauvaise, qui combat toujours contre l'esprit.

2. Mais ce qui surpasse toutes les peines que souffre l'âme arrivée à cet amour et à cette haine, ce sont les cruels et ardents désirs qu'elle a pour le salut du monde entier. La charité la rend malade avec ceux qui sont malades, et bien portante avec ceux qui sont en santé; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent c'est-à-dire qu'elle gémit avec ceux qui gémissent dans le péché mortel, et qu'elle est heureuse avec ceux qui sont en état de grâce. Alors elle a pris la chair de Jésus crucifié, et elle porte la Croix avec lui. Ce n'est pas une peine afflictive qui dessèche l'âme, mais une peine qui l'engraisse, parce qu'elle se plaît et s'applique à suivre sa doctrine et ses traces, et elle goûte le lait de la douceur divine. Et comment l'a-t-elle pris? avec la bouche du saint désir. Et si elle pouvait avoir ce lait sans peine, et acquérir toutes les vertus qui reçoivent la vie de ce lait d'une ardente charité, elle ne le voudrait pas, mais elle aimerait mieux y parvenir en souffrant pour l'amour de Jésus crucifié, parce qu'il lui semble que, sous un chef couronné d'épines, il ne doit pas y avoir de membre délicat, et qu'il faut porter avec lui des épines, ne les choisissant pas à son [1681] gré, mais les recevant de son Chef. En agissant ainsi, ce n'est pas elle qui souffre, c'est son Chef, Jésus crucifié, qui souffre pour elle. Oh! combien est douce la charité, cette douce mère! Elle ne cherche pas son intérêt, elle ne le cherche pas pour elle, mais pour Dieu, et ce qu'elle aime, ce qu'elle désire, elle l'aime et le désire en lui et pour lui; et hors de lui elle ne veut rien avoir. Dans toutes les positions où elle se trouve, elle emploie son temps à faire la volonté de Dieu. Si elle est séculière, elle veut être parfaite dans son état; si elle est soumise à la vie religieuse, elle devient un ange de la terre; elle ne souhaite, elle n'aime rien du siècle et des richesses temporelles, et elle ne veut rien posséder elle-même, parce qu'elle voit que ce serait contre le voeu de pauvreté volontaire. Dans quelque position que l'âme se trouve, elle est comme une veuve; elle a toujours en elle la charité, et en se nourrissant sur le sein de Jésus crucifié, elîs goûte le lait délicieux avec un ardent désir et une parfaite lumière, parce qu'elle a quitté les ténèbres du coupable et misérable amour-propre.

3. Voici le temps, très chères Soeurs, de se perdre soi-même, de ne plus se chercher pour soi, mais pour Dieu, d'aimer le prochain pour Dieu, et Dieu pour lui-même, parce qu'il est l'éternelle et souveraine Bonté, parce qu'il est digne d'être aimé, servi et désiré par nous. Il faut connaître en lui la vérité pour l'annoncer, la fortifier dans les coeurs des créatures raisonnables, et sans crainte servile. Voici le moment où il faut que vous et les autres serviteurs de Dieu vous vous prépariez à souffrir: pour la vérité. Cet amour, que vous avez trouvé sur le sein de Jésus [1682] crucifié, il faut le manifester à l'égard du prochain, en vous offrant devant Dieu avec amour et compassion, par des larmes, des veilles, par d'humbles et continuelles prières. Nous devons consumer notre vie dans les gémissements et la douleur, jusqu'à ce que nous voyions se dissiper les épaisses ténèbres où sont plongés ceux qui devraient donner la lumière dans le corps mystique de la sainte Eglise. Sacrifions donc notre vie, que nos yeux versent des torrents de larmes, et que nos désirs poussent des cris sur ces morts, afin qu'ils s'éloignent de la mort et qu'ils arrivent à la vie. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






Lettre n. 354, A MADAME JEANNE DE CORRADO

CCCLIV.- A MADAME JEANNE DE CORRADO .- Elle l'exhorte à se dépouiller de l'amour sensible des créatures.

(Jeanne de Corrado était la mère d'Etienne Maconi, le disciple et le secrétaire de sainte Catherine. Elle était de la famille de Bandinelli, d'où sortit le pape Alexandre III, et un grand nombre de cardinaux et d'hommes illustres.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang [1683], avec le désir de vous voir habiter la cellule de la connaissance de vous-même, afin que vous puissiez arriver à l'amour parfait; car je sais que celui qui n'aime pas son Créateur ne peut lui plaire, parce qu'il est amour, et qu'il ne veut autre chose que l'amour. L'âme trouve cet amour dans la connaissance d'elle-même; elle voit qu'elle n'est pas, et qu'elle reçoit l'existence par grâce, et non par obligation, ainsi que les bienfaits que Dieu y ajoute dans son ineffable amour. Elle voit alors que la bonté de Dieu à son égard est si grande, qu'aucune parole ne peut l'exprimer. En se voyant tant aimée, elle ne peut s'empêcher d'aimer; elle aime Dieu et la raison; elle hait la sensualité, qui veut trop s'attacher au monde, et qui aime plus les honneurs, les richesses et les créatures qui lui plaisent, que le Créateur. Ceux qui mettent ainsi leur bonheur dans les jouissances du monde aiment leurs enfants, un mari, une mère, un père d'un amour trop sensible; et cet amour est un obstacle entre l'âme et Dieu, parce qu'il empêche de connaître le vrai et suprême amour.

2. La douce Vérité a dit: " Celui qui n'abandonne pas son père, sa mère, ses soeurs, ses frères et lui-même, n'est pas digne de moi (Mt 10,37). " Les vrais serviteurs de Dieu le savent bien, et ils détachent leur coeur et leur âme du monde, de ses pompes, de ses délices, et de toute créature hors de Dieu. Ce n'est pas qu'ils n'aiment les créatures, mais ils les aiment seulement pour Dieu, en tant qu'elles sont des créatures infiniment aimées par leur Créateur; et, comme [1684] ils détestent la partie sensitive qui se révolte en eux contre Dieu, ils la détestent aussi dans le prochain, parce qu'ils voient qu'elle offense la souveraine Bonté. Je veux que vous fassiez de même, très chère Mère dans le Christ Jésus je veux que vous aimiez la bonté de Dieu en vous, et son infinie charité, que vous trouverez dans la cellule de la connaissance de vous-même. Dans cette cellule vous trouverez Dieu; et comme Dieu renferme en lui tout ce qui participe à l'être, vous trouverez en lui la mémoire, qui reçoit et peut conserver le trésor des bienfaits de Dieu. Vous y trouverez l'intelligence, qui nous fait participer à la sagesse du Fils de Dieu, en nous faisant connaître et comprendre sa volonté, qui ne veut autre chose que notre sanctification; et en voyant cela, l'âme ne peut se plaindre et se troubler de ce qui arrive, car elle sait que toute chose vient de la providence de Dieu et de son amour infini.

3. Avec cette connaissance je veux, et je vous en conjure par l'amour de l'Agneau immolé, que vous vous guérissiez du chagrin et de la peine que vous cause le départ d'Etienne. Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, parce que ce voyage ne sera pas sans profit pour son âme et pour la vôtre, et parce que, grâce à Dieu, vous le reverrez bientôt. Je dis aussi que dans la connaissance de vous-même, vous trouverez la douce clémence du Saint-Esprit, qui se donne tout entier, et qui n'est autre chose qu'amour; tout ce qu'il fait, il le fait par amour. Vous trouverez cet amour dans votre âme, parce que la volonté n'est autre chose que l'amour; toutes ses affections, tous ses mouvements sont réglés par l'amour; elle aime [1685] et elle hait ce que l'oeil de l'intelligence a vu et compris, Il est donc bien vrai, très chère Mère, que dans la cellule de votre âme vous trouverez Dieu tout entier, qui lui donne tant de douceur, de paix et de consolation, que rien ne peut la troubler, parce qu'elle est remplie de la volonté de Dieu.

4. L'âme devient alors véritablement un jardin plein des fleurs odoriférantes du saint désir. Au centre est planté l'arbre de la très sainte Croix, ou se repose l'Agneau sans tache, qui verse son sang pour baigner et arroser ce doux et glorieux jardin; et il rapporte les fruits mûrs des vraies et solides vertus. Si vous voulez la patience, c'est là que vous la trouverez, si douce, que jamais en n'entendit l'Agneau pousser la moindre plainte. Vous trouverez l'humilité en voyant Dieu humilié jusqu'à l'homme, et le Verbe humilié jusqu'à la mort honteuse de la Croix. Si c'est la charité que vous cherchez, il est la force de l'amour et de la charité qui l'a tenu attaché et cloué sur la Croix. Les clous et la Croix ne pouvaient retenir l'Homme-Dieu sans la force de la charité. Je ne m étonne pas que l'âme, qui est devenue un jardin par la connaissance d'elle-même, soit forte contre le monde entier, puisqu'elle s'est unie, elle s'est faite une même chose avec la Force suprême. Elle commence véritablement à goûter ici-bas les arrhes de la vie éternelle; elle est maîtresse du monde, puisqu'elle le méprise. Les démons craignent d'approcher de cette âme, parce qu'elle brûle du feu de la charité. Ainsi, courage, très chère Mère; je ne veux plus que vous dormiez dans la négligence et dans l'amour sensitif; mais réveillez-vous avec un ardent [1686] amour, pour vous baigner dans le sang du Christ, pour vous cacher dans les plaies de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Je suis certaine que, si vous restez dans votre cellule, vous ne trouverez que Jésus crucifié. Dites aussi à Corrado de faire de même. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.







Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 349, A MADAME COLOMBE