Catéchisme France
1 Dieu a voulu faire, en Jésus Christ, alliance avec l'humanité. Etre croyant, pour les chrétiens, c'est accueillir cette alliance destinée à tous les hommes. L'Eglise en est dépositaire, pour la faire connaître et appeler à y entrer.
Au coeur de cette mission, nous portons, comme évêques, une responsabilité particulière: celle de veiller à ce que la foi en Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, telle qu'elle est aujourd'hui professée et vécue par les communautés chrétiennes, soit conforme à la foi que les apôtres du Christ ont les premiers professée et vécue, jusqu'au martyre. Pour cela nous avons nous-mêmes à recevoir et à transmettre l'Evangile. "Dans l'exercice de leur charge d'enseigner, que les évêques annoncent aux hommes l'Evangile du Christ cette charge l'emporte sur les autres si importantes soient-elles et, dans la force de l'Esprit, qu'ils les appellent à la foi ou les confirment dans la foi vivante; qu'ils leur proposent le mystère intégral du Christ, c'est-à-dire ces vérités qu'on ne peut ignorer sans ignorer le Christ lui-même, et qu'ils leur montrent de même la voie divinement révélée pour rendre gloire à Dieu et par là même obtenir le salut éternel." (CD 12).
2 Le présent catéchisme s'inscrit dans la mission de l'Eglise et dans l'exercice de notre responsabilité d'évêques. Il est d'abord destiné aux adultes catholiques de notre pays, et plus particulièrement encore aux catéchistes, qui concourent à la transmission de la Bonne Nouvelle et contribuent à l'éveil de la foi des enfants et des jeunes. Mais ce livre n'est pas réservé à un groupe déterminé et peut intéresser tous ceux et toutes celles qui désirent s'informer de ce que croient les catholiques.
3 L'Eglise qui naît à la Pentecôte du don de l'Esprit Saint est une Eglise dont le message est d'emblée annoncé dans la multiplicité des langues, puis exprimé, au long de l'histoire, dans la diversité des cultures. A cause de cela, l'Eglise a éprouvé et éprouve le besoin de redire toujours sa foi, reprenant, en des langues et en des cultures différentes, ce qu'elle a fidèlement tenu et professé au cours des siècles.
Cette tâche a été et demeure marquée d'une double exigence. Notre foi, c'est celle que nous recevons des apôtres. Elle ne se réduit pas aux colorations que peuvent lui donner les terrains sur lesquels elle se développe. Dire la foi, et la dire aujourd'hui, c'est la dire en totale fidélité à ce qu'ont proclamé les apôtres. En même temps, la Bonne Nouvelle est destinée à être " entendue " d'hommes et de femmes dont les conditions de vie, la mentalité, les attentes ne cessent d'évoluer. Dire la foi aujourd'hui, c'est s'adresser à des hommes et des femmes bien concrets, que Dieu se propose de rejoindre dans la réalité de leur humanité.
4 Or, nous savons suffisamment combien le paysage humain dans lequel nous vivons a pu se transformer, et continue encore de se modifier. La profondeur des mutations culturelles qui se sont produites en notre siècle (pensons seulement à l'informatique, au développement des médias, à la prolongation généralisée des études... ) fait apparaître plus nécessaire, ou plus souhaitable encore, une présentation renouvelée, en même temps que fidèle, de la foi de toujours.
Il ne faudrait d'ailleurs pas penser que le croyant n'a pas toujours eu à relever, d'une manière ou d'une autre, certains défis. La vraie foi n'est jamais le simple produit de la nature ou de la culture. Elle est don de Dieu et libre réponse du croyant à la Parole que Dieu lui adresse. Elle suppose toujours la conversion. Le croyant rencontre normalement la tentation, et d'abord celle du manque de foi, dont il est arrivé à Jésus de faire reproche à ses disciples.
5 Quelle que soit l'évaluation que l'on peut faire des mutations qui caractérisent notre époque, nous avons la responsabilité d'appeler nos contemporains à la foi en leur proposant l'Evangile. "Aux transformations profondes et complexes d'ordre culturel, politique, éthique et spirituel qui ont fini par donner au tissu social européen une configuration nouvelle, doit correspondre une nouvelle qualité d'évangélisation" (Jean Paul II au symposium des évêques européens, 2 janvier 1986). L'Esprit Saint suscite en nous le désir d'annoncer l'Evangile, et les hommes, dès leur plus jeune âge, ont droit à cette annonce. Nous-mêmes qui sommes chrétiens, nous avons à réentendre les appels de Dieu et ses promesses.
6 "Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n'est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur coeur" (GS 1). Baptisés et croyants, c'est en étant nous-mêmes habités et traversés par les questions que porte avec lui le monde moderne que nous voulons dire à ce même monde le message de l'amour de Dieu. Nous n'avons pas à fuir ses questions et ses préoccupations, car nous savons que notre foi est capable de les affronter. Nous savons aussi que les lumières de cette foi intéressent la recherche commune des hommes et des femmes en quête de plus de vérité et de bonheur. Car la Révélation, en laquelle Dieu communique son propre mystère, est porteuse d'une nouvelle compréhension de l'homme, surtout quand il s'interroge sur lui-même. "L'Eglise sait parfaitement que son message est en accord avec le fond secret du coeur humain quand elle défend la dignité de la vocation de l'homme, et rend ainsi l'espoir à ceux qui n'osent plus croire à la grandeur de leur destin. Ce message, loin de diminuer l'homme, sert à son progrès en répandant lumière, vie et liberté et, en dehors de lui, rien ne peut combler le coeur humain. Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre coeur ne connaît aucun répit jusqu'à ce qu'il trouve son repos en toi." (GS 21).
En rendant compte par ce catéchisme de la foi qu'elle reçoit des apôtres, et qu'elle professe, l'Eglise a donc la conviction de répondre à l'attente profonde de tous ceux qui s'interrogent sur le sens du monde et sur celui de leur propre vie.
7 Notre ministère d'évêques nous met en contact avec ces nombreux chrétiens qui vivent heureusement sous la lumière de l'Evangile, ravivée par le concile Vatican II, et qui sont témoins de l'actualité de la Bonne Nouvelle. Ils le sont de bien des manières, dans une très grande diversité de situations sociales et culturelles, parfois laborieusement, avec l'impression d'aller à contre-courant, souvent aussi avec sérénité et confiance, au sein de véritables communautés où l'on s'encourage mutuellement à croire et à témoigner.
Mais les chrétiens pratiquants ne sont pas les seuls à s'intéresser à ce que représente l'Eglise en notre histoire et en notre société. Ils ne sont pas les seuls à aimer, à regarder, à visiter nos églises et nos cathédrales. La plupart des Français portent les noms des nombreux saints qui ont vécu chez nous au cours des siècles. Ce sont là des signes quand on explore la mémoire de notre peuple, comme d'ailleurs celle des peuples voisins, on y rencontre la foi chrétienne. Cette foi est souvent comme un feu qui couve sous la cendre.
Ce catéchisme voudrait permettre aux catholiques de mieux connaître les richesses variées de leur foi, les repères solides qu'elle propose. Ils continueront ainsi avec encore plus d'assurance et de joie la marche entreprise, en formant une Eglise de croyants et de témoins.
Plus largement, cet ouvrage voudrait aussi rendre compte, à tous ceux et à toutes celles qui le désirent, de "l'espérance qui est en nous" (cf. 1P 3,15).
8 Depuis longtemps nous sommes
ceux sur qui tu n'exerces plus ta souveraineté,
ceux sur qui ton nom n'est plus appelé.
Ah! si tu déchirais les cieux
et si tu descendais...
Is 63,19
9 Au commencement était le Verbe,
la Parole de Dieu,
et le Verbe était auprès de Dieu,
et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement
auprès de Dieu.
Par lui, tout s'est fait,
et rien de ce qui s'est fait
ne s'est fait sans lui.
En lui était la vie,
et la vie était la lumière des hommes;
la lumière brille dans les ténèbres,
et les ténèbres ne l'ont pas arrêtée.
Il était dans le monde,
lui par qui le monde s'était fait,
mais le monde ne l'a pas reconnu.
Il est venu chez les siens,
et les siens ne l'ont pas reçu.
Mais tous ceux qui l'ont reçu,
ceux qui croient en son nom,
il leur a donné
de pouvoir devenir enfants de Dieu.
Dieu, personne ne l'a jamais vu;
le Fils unique,
qui est dans le sein du Père,
c'est lui qui a conduit à le connaître.
Jn 1,1-5 Jn 1,10-12 Jn 1,18
10 Nous voudrions faire connaître la joie de croire en chrétien et la liberté que donne cette foi.
Aujourd'hui, il est vrai, la foi est mise au défi, d'abord par l'indifférence de beaucoup. Et pourtant la foi chrétienne continue de manifester dans la pratique de l'Église, en toutes ses dimensions, de la prière liturgique à l'attention aux exclus et aux petits, même si témoignage porté se montre, en plus d'un cas, inférieur à la parole angélique dont il se réclame.
Avant d'entreprendre cette traversée au long cours que représente un exposé de la foi catholique, il convient de relever ces petits mots situés au début et à la fin de la formulation de base qui en donnée dans le Credo: "Je crois... Amen!" Ces mots relient semble de ce qui est proclamé et qualifient très précisément la nature de cette proclamation, devant Dieu et devant les hommes: une parole tout ensemble d'adhésion et de reconnaissance.
11 Plusieurs tâches ici nous attendent. Montrer d'abord comment l'acte de croire est un acte humain tout à fait fondamental. Puis nous orienter à travers les démarches qui tantôt se tournent vers Dieu, tantôt le refusent. Quand les hommes disent "Dieu", que disent-ils donc? La question est si vitale qu'elle ne souffre pas d'ambiguïtés. Dieu ne se laisse pas confondre avec l'idole, qui aliène l'homme.
Nous aurons alors à esquisser ce qui sera ensuite développé tout au long de l'exposé: comment, dans la Révélation (c'est-à-dire l'Ancien et le Nouveau Testament: l'histoire d'Israël, elle-même accomplie et ouverte par l'événement décisif de la vie, de la mort, de la résurrection de Jésus Christ), c'est Dieu lui-même qui se fait connaître et reconnaître, et invite à vivre de son Esprit, pour le salut du monde. Par cette Révélation l'homme est ressaisi et libéré en tout son être, dans son coeur et dans son intelligence. En même temps, elle le dépasse infiniment et le transforme.
Nous aurons à indiquer enfin ce que cela change de croire en chrétien. Dans ce but, nous regarderons avec courage et sérénité les difficultés rencontrées pour vivre la foi dans le monde d'aujourd'hui.
12 Les hommes et les femmes qui, d'une manière ou d'une autre, entretiennent un rapport avec Dieu sont dits "croyants". Que signifie donc croire?
Dans le langage courant, "je crois" équivaut souvent à "je pense", avec une nuance d'incertitude. Ainsi quand on dit: "Je crois qu'il va faire beau..., ou que je vais obtenir telle situation."
Mais croire peut avoir un tout autre sens et exprimer, au contraire, une certitude. Le verbe se construit alors autrement: non plus "je crois que", mais "je crois... mon ami, mon mari, ma femme..." Il indique la confiance accordée à quelqu'un: on tient pour vraie sa parole. Il s'agit d'une attitude humaine fondamentale. On ne peut pas vivre, en effet, sans "faire crédit" à un certain nombre de personnes.
Croire, c'est plus encore "donner sa foi". Ainsi, dans le mariage, les deux époux font alliance, en mettant leur foi l'un dans l'autre "à la vie et à la mort". Ils se font confiance. Ils croient l'un dans l'autre. Cette foi qu'ils s'accordent mutuellement est l'expression même de leur amour. C'est sur elle qu'ils vont construire leur foyer, en s'ouvrant ensemble à un avenir qu'ils entrevoient chargé de promesses.
13 Qu'en est-il donc de l'acte de croire en Dieu? Pour répondre, il faut savoir de quel Dieu on parle. Il peut arriver que celui qui dit "je ne crois pas en Dieu" ait raison de refuser ce qu'il a en tête ou dans le coeur, à partir de ce mot, et que l'idée qu'il s'en fait, ou dont il hérite, ne soit pas digne du Dieu vrai. C'est alors un faux dieu. Et la Bible, la première, ne cesse de lutter contre les idoles, les faux dieux. Par la Révélation Dieu nous apprend lui-même qui il est. Il nous empêche de le confondre avec les fantasmes de notre imaginaire, de nos désirs et de nos peurs. L'incarnation, la mort sur la croix et la résurrection de Jésus Christ nous font découvrir Dieu au-delà de tout ce que nous aurions pu concevoir.
Il ne s'agit donc plus seulement de croire en "quelque chose qui nous dépasse", mais de croire en Dieu. Il ne s'agit plus seulement d'un Dieu cherché à tâtons par la raison ou les religions humaines, mais du Dieu vivant tel qu'il se révèle dans l'histoire du peuple de l'Alliance dont l'Ancien Testament nous fait le récit. Il s'agit ultimement de Dieu tel qu'il se révèle une fois pour toutes en son Fils Jésus Christ, dans l'Esprit.
14 Ainsi l'acte de croire est purifié. Celui en qui l'on croit sort du "vague". Surtout on ne peut le confondre avec aucune idole ou illusion. L'acte de croire a plutôt trouvé son lieu propre et son assurance: le vrai rapport établi avec l'homme par Dieu lui-même et son Fils Jésus, et une vie nouvelle, dans l'Esprit de Jésus et de son Père. L'acte de croire, ainsi, à Dieu révélé en plénitude par Jésus Christ, n'est pas seulement l'acte d'une intelligence capable d'abstraction, mais d'une intelligence vive, saisie par la Vérité qu'elle cherche. Il porte sur le Dieu éternel qui a fait irruption dans l'histoire. Il tend, dans une espérance active, à se traduire en charité concrète. Acte le plus libre et le plus personnel qui soit, mais aussi acte solidaire, qui réunit les croyants et les tourne en même temps vers Dieu et vers les hommes.
Le chrétien peut dire avec l'Apôtre: "Je sais en qui j'ai mis ma foi..." (2Tm 1,12).
15 La foi chrétienne ne se confond pas avec le sentiment religieux. Elle n'est pas une simple expérience, puisqu'elle naît de la Révélation de Dieu dans l'histoire et qu'elle est l'accueil de cette Révélation. Cependant, les hommes qui adhèrent à la foi chrétienne sont aussi des hommes dotés d'un sens religieux, lié à leur histoire, à leur éducation, à leur société.
L'époque moderne a développé avec beaucoup d'ampleur une critique générale des religions, soupçonnées de maintenir les hommes dans un état d'esclavage, en les livrant à des peurs irrationnelles ou en les persuadant d'échapper à leur condition. Les religions ont été dénoncées comme des créations imaginaires, et l'avènement de la raison moderne, scientifique et instrumentale s'est appuyé sur ce rejet des religions, qui correspondraient plus ou moins à un état attardé de la conscience humaine.
16 Mais un ensemble d'éléments théoriques et pratiques obligent aujourd'hui à réévaluer cette dimension religieuse de l'homme.
Certes, le phénomène religieux est aussi ambigu qu'universel. Le meilleur et le pire s'y côtoient: les idoles et les pratiques les plus aliénantes, comme les démarches les plus épurées dans la quête de Dieu ou de l'Absolu démarches qui, du point de vue de la foi, peuvent être considérées comme des pierres d'attente de l'Évangile.
On sait que là où les religions ont été refoulées, les hommes se sont forgé souvent des religions de remplacement. De nouvelles idolâtries sont nées. Et, par ailleurs, l'histoire contemporaine nous apprend que dans des situations d'oppression et de persécution, la religion aide des hommes et des peuples à lutter pour demeurer libres.
Les religions, dans leurs diversités historiques et géographiques, font partie intégrante de l'existence humaine. Elles viennent la structurer à de multiples niveaux: celui des mythes, transmis par tradition orale ou par des livres sacrés, comme celui des rites et des institutions.
D'une façon encore plus large, il y a dans les religions, sous des formes plus ou moins explicites, une compréhension du monde, de son origine, de son histoire, et surtout une interprétation de l'homme et de son destin. Les religions se rattachent à cet ordre des réalités symboliques qui touchent au mystère de la vie et de la mort, du bien et du mal. Au-delà des critiques justifiées de ce qu'il peut y avoir d'aliénant dans certaines pratiques religieuses, on peut aujourd'hui reconnaître que les religions manifestent une certaine relation de l'homme à ce qui le dépasse et que l'on nomme le sacré ou le divin.
17 Le christianisme respecte ce pressentiment de Dieu qui passe par le "sacré" des religions. L'homme qui se tourne vers Dieu ne part pas de zéro. La sagesse chrétienne reconnaît en lui une ouverture à Dieu, inscrite dans sa structure intérieure, dans ce que Saint Augustin dénomme le "désir" et que Pascal appelle le "coeur".
La pratique de la catéchèse, tout comme l'expérience de l'évangélisation, rejoint les affirmations des théologiens et des philosophes. En se révélant, Dieu vient répondre, d'une certaine manière, à une attente cachée de l'homme. Pour éveiller à la vérité de la foi, il est important de déceler une telle attente, comme jésus le fait souvent dans l'Évangile, notamment avec la Samaritaine rencontrée au puits de Jacob (cf. Jn 4,142).
18 Mais cette réalité sacrée, vers laquelle tend le désir religieux de l'homme, ne s'identifie pas nécessairement avec le Dieu qui parle à Abraham, qui fait alliance avec Moïse et qui se révèle à tous en la personne de Jésus. Comment mesurer la différence qui sépare le "divin" évoqué par les religions de "Dieu" manifesté par la Révélation et exprimé dans la Bible?
La prédication de Paul aux païens d'Athènes peut ici servir de référence. Paul commence par évoquer le "dieu inconnu" que ces païens vénèrent sans le connaître. Il s'appuie donc sur leur expérience religieuse du divin pour les ouvrir à la foi. Car ce "dieu inconnu" s'est fait connaître en Jésus Christ. Cette connaissance est nouvelle parce qu'elle vient de Dieu lui-même et qu'elle est proposée à tous.
La foi n'est pas une vague rencontre avec le divin. "A Dieu qui révèle est due l'obéissance de la foi" (Rm 16,26 cf Rm 1,5 2Co 10,5-6), par laquelle l'homme s'en remet tout entier et librement à Dieu dans "un complet hommage d'intelligence et de volonté à Dieu qui révèle" (concile Vatican I, DS 3008 FC 90) et dans un assentiment volontaire à la révélation qu'il fait."
19 Une telle découverte de Dieu, par la connaissance de foi, en même temps à l'homme la liberté de Dieu. Alors que les religions païennes s'imaginent souvent que l'homme peut, par la magie, utiliser le divin à son profit, la foi chrétienne en Dieu oblige à perdre une telle illusion. C'est Dieu qui choisit librement de faire alliance avec les hommes. Ce n'est pas l'homme qui peut s'élever seul vers le monde divin, par l'extase ou l'ascèse, par des rites de purification ou de passage.
Croire, c'est reconnaître à Dieu la liberté de sortir de lui-même pour venir à nous. Dès l'Ancien Testament, dans les prophéties messianiques, Dieu est désigné comme l'Emmanuel, Dieu avec nous. La foi au Dieu libre de la Révélation passe toujours par l'émerveillement, et non par la peur. Le croyant est appelé à accueillir dans la confiance cette mystérieuse proximité du Dieu très grand.
20 Le mot "Dieu" est lourd d'histoire. Tout ce qu'il évoque spontanément demande à être purifié et converti par la Révélation.
Quand quelqu'un dit "Dieu", a-t-il en fait dans le coeur et dans la tête? Ce peut être l'idée d'un être tout-puissant qui engendre le trouble ou la peur, parce qu'il apporte l'épreuve ou la mort. Le Credo, lui, n'affirme la toute-puissance de Dieu qu'après l'avoir désigné comme Père, et avant d'ajouter qu'il est créateur, auteur d'une création bonne. D'autres fois, l'idée de Dieu est liée à la voix d'une mauvaise conscience, qui accable. Avec le Dieu de la foi, justice et miséricorde ne sont jamais séparées, si bien que le croyant se découvre pécheur en même temps que pardonné et accueilli.
Dans la Bible, pour le peuple de la première Alliance, la question de Dieu est celle de l'unique vrai Dieu. Elle se décide dans un débat, et finalement dans une lutte à mort avec les idoles. Israël, entrant en relation avec les peuples voisins et séduit sans doute par la facilité de leurs religions, connaît périodiquement la tentation de l'idolâtrie. Les prophètes ne cessent de le mettre en garde contre cette séduction et de dénoncer les faux dieux qui la provoquent.
21 La tentation n'est pas moins grande aujourd'hui pour les fidèles du Christ. En effet, les hommes sont capables, même à partir de ce qu'il y a de meilleur, de se faire des idoles personnelles qui les enchaînent à eux-mêmes. Argent, pouvoir, sexe, travail, jeu... peuvent devenir des absolus auxquels tout doit être soumis. Ces idoles cherchent à asservir nos sociétés modernes. Elles sont aussi aliénantes que celles auxquelles s'oppose le Dieu de la Bible. Dans l'idolâtrie, l'homme reste enfermé en lui-même et esclave de ce qu'il idolâtre. La foi, elle, est toujours un acte de liberté: Dieu respecte les hommes et leur liberté. Il ne les manipule pas.
Le Dieu de la Bible ne se laisse pas atteindre "en direct", comme le voudrait le paganisme. La présence de Dieu dans la révélation judéo-chrétienne s'est toujours montrée très différente de la présence immédiate de la divinité, telle que le paganisme pouvait l'envisager. Moïse apprend de Dieu qu'il ne pourra le voir que "de dos", c'est-à-dire seulement par les traces de ses bienfaits (cf. Ex 33,23). Et Élie, à l'affût du passage du Seigneur, ne le rencontre ni dans la violence du vent, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais seulement, de manière à peine perceptible, "dans le murmure d'une brise légère" (cf. 1R 19,4-12).
22 La foi chrétienne comporte ce paradoxe: c'est bien le Dieu caché qui se révèle, c'est bien le Dieu révélé qui demeure le Dieu caché (cf. Is 45,15). Son être et son amour sont toujours au-delà de nos mesures. Dans la Bible, même lorsque Dieu donne son Nom (cf. Ex 3,14), expression de son être, et permet à l'homme de le connaître en vérité pour entrer en relation avec lui, ce Nom demeure ouvert au mystère. Cette ouverture au mystère du Dieu toujours plus grand se manifeste au plus haut point à la Croix, où se révèle la gloire de Dieu, c'est-à-dire sa transcendance, qui n'est pas une transcendance de domination, mais de don. En la personne de son Fils Dieu se donne totalement, et montre "une fois pour toutes" et comment il est pour nous, depuis toujours et à jamais: amour et insondable.
Révélant l'amour de Dieu, qui est tout son être (1Jn 4,7), la Croix est par excellence signe pour la foi. En elle se récapitulent en quelque sorte les multiples signes à travers lesquels Dieu se fait connaître à nous.
23 Dieu se révèle à travers des signes qui sollicitent notre intelligence, en même temps qu'ils respectent notre liberté. Car, dans le signe, il y a suffisamment de lumière pour que notre réponse soit raisonnable et justifiée, et suffisamment d'indétermination pour qu'elle ne soit pas le fait d'une contrainte. Cependant, les chemins qu'il propose pour se faire connaître, ou ceux que peuvent suivre les hommes pour le rejoindre, ne sont pas tous de même nature.
Deux approches sont à distinguer et à situer l'une par rapport à l'autre: celle qui est accessible à la raison, celle que représente la foi.
24 L'Église a sans cesse tenu à défendre l'affirmation de la bonté de la création. De la même manière, elle a souvent rappelé que "Dieu, principe et fin de tout, peut être connu de façon certaine à partir des choses créées, par la lumière naturelle de la raison humaine" (DV 6, citant Vatican I). Certes, la raison humaine peut être blessée et obscurcie par le péché. En effet, le manque d'amour pour Dieu et les hommes prive de lumière et affaiblit le regard. Pourtant cette même raison ne saurait être perdue à ce point que l'homme ne fût plus "capable de Dieu". Dans sa soif de vérité, de bonté, de beauté, il reste ouvert à Dieu.
Cela suppose, il est vrai, que l'on ne réduise pas la raison à sa capacité d'analyser les choses. Elle est habitée par un dynamisme qui lui permet de rejoindre l'intime des êtres et de s'intéresser à leur vérité dernière. Au-delà du souci de la vérité objective des phénomènes, la raison se rapporte à la véritable réalité de l'homme et de Dieu. "Depuis la création du monde, les hommes, avec leur intelligence, peuvent voir, à travers les oeuvres de Dieu, ce qui est invisible: sa puissance éternelle et sa divinité" (Rm 1,20).
25 Bien des démarches permettent en réalité de s'élever à une première connaissance véritable de Dieu, selon un itinéraire qui amène à reconnaître, dans la diversité des perfections créées, la trace du dynamisme créateur dont elles procèdent: qu'il s'agisse des richesses et des beautés du monde, ou de ce qui s'inscrit dans la liberté de l'homme (désir ou souci de perfection, d'infini, d'absolu, de communion vraie, de respect de l'autre, d'avenir de bonheur, de libération des hommes opprimés).
Multiples sont les "voies" qui s'ouvrent vers Dieu et qui, en purifiant le désir, permettent une démarche assurée. Saint Thomas d'Aquin en énumère cinq, qui s'appuient sur la considération du monde et conduisent à la Source première et universelle. D'autres démarches sont possibles: elles s'appuient sur l'expérience de la beauté, ou sur des exigences morales (comme celles de la justice ou de la pratique du bien). D'autres enfin, elles aussi spirituelles et concrètes, partent de l'expérience de l'amour, notamment de cet amour qui s'exprime dans le don.
26 La connaissance de Dieu dont nous avons parlé jusqu'ici est dite "naturelle" ou "rationnelle" parce qu'alors la "raison humaine" se met en quête de Dieu. Cette connaissance peut être l'objet d'un échange entre hommes raisonnables, dans un dialogue où chacun est amené à donner ses raisons, avec l'intention de progresser ensemble dans la découverte de la vérité. Cette connaissance permet d'affirmer un certain nombre de propriétés ou d'attributs de Dieu: l'unicité, l'éternité, l'infinité, l'incompréhensibilité, la Perfection absolue... Ce que nous découvrons avec admiration dans le monde et dans l'humanité nous permet de nous faire une certaine idée de ces attributs de Dieu. "La grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, découvrir leur Auteur" (Sg 13,5).
27 Le croyant, lui, atteste, à partir de sa foi, une connaissance acquise à travers un autre mouvement, inouï et libérateur. Par ce mouvement Dieu lui-même, s'approchant de l'homme, l'a surpris, est venu à sa rencontre, s'est fait reconnaître. Il a ainsi donné visage à ce qui n'était perçu que dans l'obscurité et comme à tâtons. "Il a plu à Dieu dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de sa volonté: par le Christ, Verbe fait les hommes ont, dans le Saint-Esprit, accès auprès du Père, et deviennent participants de la nature divine. Ainsi, par cette révélation, provenant de l'immensité de sa charité, Dieu, qui est invisible, s'adresse aux hommes comme à des amis, et converse avec eux pour les inviter à entrer en communion avec lui et les recevoir en cette communion" (DV 2).
Il s'agit alors de la réponse de l'homme à Dieu par la foi et non plus d'un effort pour aller vers lui. Car c'est Dieu lui-même qui, prenant l'initiative, vient faire alliance avec les hommes, vient leur faire partager toujours davantage sa vie. La louange monte aux lèvres devant l'inconcevable: ce que Dieu désire communiquer, ce n'est rien moins que lui-même.
Cependant, démarches de l'homme en quête de Dieu et de Dieu en quête de l'homme se répondent, même si elles ne sont pas de même ordre. Alors même que l'homme ne cesse de poursuivre le bonheur et de chercher une vérité pour vivre, il reste insatisfait. A son attente, la Révélation que Dieu fait de lui-même répond de manière inespérée, déplaçant et ouvrant le désir de l'homme, afin d'entraîner celui-ci, pour un plus grand bonheur, au-delà de lui-même.
28 "Souvent, dans le passé, Dieu a parlé à nos pères par les prophètes sous des formes fragmentaires et variées: mais, dans les derniers temps, dans ces jours où nous sommes, il nous a parlé par ce Fils qu'il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes" (He 1,1-2).
Si différente qu'elle soit de tout ce qui serait prévisible, de tout ce que le coeur de l'homme aurait pu imaginer (cf 1Co 2,9), la Révélation s'inscrit au sein de l'histoire humaine. La Vérité même est livrée en acte et en personne. Dieu s'atteste dans sa Parole et ultimement dans sa Parole faite chair. L'Éternel fait irruption dans le temps. Le "mystère", c'est-à-dire, au sens premier du mot, le dessein de Dieu, enveloppé dans la création depuis l'origine, se déploie dans les phases successives d'une Alliance, illuminant toute chose d'une lumière toujours plus vive, jusqu'au dévoilement de la gloire même de Dieu "sur le visage du Christ" (2Co 4,6).
29 L'Ancien Testament témoigne de l'Alliance conclue avec le peuple d'Israël. Par son dynamisme le plus profond, celui-ci est orienté vers l'attente d'un sauveur. Cette attente s'accomplit en Jésus, reconnu justement comme Christ et Sauveur, Maître, Seigneur, Fils de Dieu venu en notre chair, mort et ressuscité pour nous.
La foi chrétienne est le libre accueil de cette initiative,divine (cf. DV 5). Elle se nourrit de la méditation sur l'oeuvre et la personne du Christ, mises en relation avec toute l'histoire biblique de création et d'alliance. Le Christ, non seulement accomplit l'attente, mais ouvre le temps des hommes au royaume de Dieu qui advient avec lui: "La profonde vérité que cette Révélation manifeste, sur Dieu et sur le salut de l'homme, resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le Médiateur et la plénitude de toute la.Révélation" (DV 2 cf. DV 4).
30 Croire, quand il s'agit de croire au Dieu de l'Alliance, a donc un contenu bien défini. C'est la réponse due à ce Dieu Autre que son amour conduit à envoyer son Fils pour qu'il soit l'un de nous, et qui fonde solidement notre avenir en se liant à nous à la vie et à la mort. La réponse de foi à la Révélation divine s'appuie sur la réalité la plus solide: la Parole de Celui qui est en acte la Vérité même. Parole de jugement et de promesse. Non pas jugement de condamnation mais lumière permettant de nommer le bien et le mal. Promesse de pardon et gage apporté des réalités espérées.
La "foi" humaine commune (qui s'en remet à autrui, à l'avenir) aussi bien que la foi religieuse vague ou trouble, se trouvent purifiées, précisées, élevées à un autre niveau par la foi proprement chrétienne. Le croyant sait en qui il a mis sa foi: c'est Celui en qui Dieu s'est dit tout entier. Mais il sait aussi à quoi cette foi l'engage. En lui ouvrant les horizons infinis de la vie même de Dieu, elle l'engage à devenir "conforme" à la figure du Serviteur en laquelle, par Jésus, Dieu s'est livré à nous.
31 Ainsi, la foi chrétienne consiste à croire au Christ, à connaître et à reconnaître, dans l'Esprit, Dieu lui-même venu à nous personne du Fils envoyé par le Père. Croire au Christ c'est, pour l'être humain, connaître Dieu en vérité. Comment peut-on rendre compte de cet acte où se croisent de manière singulière l'humain et le divin?
L'acte de foi est un acte surnaturel, libre et raisonnable. Il est surnaturel car il est don de Dieu. Il est libre et raisonnable car il procède d'une décision et d'un acte d'intelligence qui adhère à une vérité reconnue. L'acte de foi n'en est pas moins tout ensemble fruit de la grâce de Dieu et de la liberté humaine. Lorsqu'il est posé en vérité, dans la contemplation du mystère qui se révèle, grâce et liberté intelligente soulèvent le croyant d'un même souffle, l'ouvrent à Dieu et en même temps l'enracinent dans son humanité.
32 La foi comporte une double dimension, personnelle et communautaire. Car l'action prévenante de Dieu, qui suscite la foi au coeur du croyant, n'est pas autre que celle qui traverse l'ensemble de l'histoire des hommes et qui travaille à les unir dans cette foi. C'est à travers son oeuvre au sein de cette histoire, qui devient ainsi "histoire sainte", que Dieu s'est fait connaître. C'est par ceux et celles qui en ont été avant nous les bénéficiaires que la foi nous est devenue accessible. Acte essentiellement personnel, qui fait appel à la liberté et vient aussi bien l'épanouir, la foi naît et grandit toujours au sein d'une communauté.
La communauté croyante, Israël puis l'Église, est le lieu d'accueil de la Révélation, d'habitation de la foi, le lieu où celle-ci s'entretient et se cultive, où s'opèrent ces échanges et ce soutien mutuel sans lesquels elle ne tarderait pas à s'étioler ou à défaillir.
Enfin, acte personnel du sujet croyant, l'acte de foi comporte l'adhésion à un contenu, dont l'essentiel est proposé dans des "symboles", comme le Symbole des Apôtres, ou celui de Nicée-Constantinople, proclamé à la messe des dimanches et des grandes fêtes.
Le mot "symbole" vient d'un mot grec, qui signifie mettre ensemble, réunir. Les symboles de foi manifestent l'unité organique de tout ce qu'énonce cette foi. Mais ils constituent aussi un lieu et un principe de rassemblement dans la même foi de ceux qui le proclament.
33 L'acte personnel du croyant et l'objet auquel il adhère dans la foi sont corrélatifs et indissociablement liés. C'est pourquoi croire au Christ, c'est aussi se mettre en route à sa suite, comme l'ont fait les apôtres. Et croire en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, ainsi que le croyant le déclare dans le Credo, en particulier au cours du baptême, c'est s'engager dans une existence nouvelle, conforme à l'idéal évangélique et modelée sur la figure même du Christ.
Catéchisme France