Catéchisme France 92
92 Il ne faut pas concevoir la Création à la manière dont se fabriquent les objets du monde, par la transformation d'une chose en une autre. Affirmer que Dieu est créateur, c'est dire qu'il fait exister ce qui existe, y compris la matière. Dieu crée "à partir de rien" (ex nihilo). Dieu, autrement dit, n'est pas un démiurge, une sorte d'architecte du monde, comme l'ont conçu certaines philosophies ou religions. Tout ce qui existe dépend de lui et trouve en lui seul son fondement dernier. Tout est don gratuit de sa part, propre à susciter reconnaissance et action de grâces.
Il ne faut pas non plus se représenter la Création comme l'instant "zéro" où tout aurait commencé. Car elle ne s'inscrit pas à l'intérieur du temps, qui lui-même en dépend. La Création est le commencement absolu et du monde et du temps.
Quel que soit l'intérêt des recherches et théories des astrophysiciens sur cet "instant zéro", elles ne concernent pas directement ce dont parle la doctrine de la Création. Les premières se situent du côté du "comment?", les secondes du côté du "par qui?" et du "pourquoi?". Sans doute s'agit-il du même et unique univers. Et c'est pourquoi la science et la foi peuvent et doivent continuer à s'interroger, tout en évitant les empiétements regrettables de théologiens qui imposeraient aux savants une vision du monde, on de scientifiques qui nieraient Dieu au nom de la science.
93 Le monde n'est pas créé une fois pour toutes, comme si Dieu, la Création terminée, n'avait plus qu'à s'en retirer. Il ne cesse pas d'assurer l'existence du monde. "Tous, ils comptent sur toi pour recevoir leur nourriture au temps voulu. Tu caches ton visage: ils s'épouvantent; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle: ils sont créés tu renouvelles la face de la terre" (Ps 103,27 Ps 103,29-30). La Création est donc un événement toujours actuel. L'acte créateur se renouvelle à chaque instant pour maintenir l'existence du monde. Sans cette action incessante de Dieu, tout retomberait dans le néant.
Dans ces perspectives, il n'est pas difficile de concevoir qu'il n'y ait pas d'incompatibilité entre la doctrine de la Création et les théories de l'évolution. A ce propos aussi, le point de vue de la foi et celui de la science ne sont pas les mêmes. Dieu, "cause première" de tout ce qui existe, ne supprime pas les "causes secondes", celles qui permettent de rendre compte de l'enchaînement des phénomènes. C'est à ces dernières que se réfèrent les théories de l'évolution, quand elles essaient de tracer l'histoire de l'apparition des différentes formes de vie ou espèces vivantes, du moins tarit que ces théories ne sortent pas de leur domaine.
94 Dieu ne s'identifie pas à son oeuvre, comme le conçoit le panthéisme, et pourtant il ne lui est pas extérieur comme peut l'être un architecte ou un artisan. Mais il confie à l'homme une oeuvre à poursuivre pour que, par son travail et son art, il contribue au perfectionnement du monde créé. Notre connaissance de la Création est portée par une tradition qui parle aussi de l'Alliance que Dieu a voulu instituer avec les hommes qu'il a créés, en les associant à son oeuvre.
Ainsi entendue et contemplée dans la foi, la Création suscite la prière et la louange. En entrant dans la fournaise préparée pour leur supplice, les trois jeunes gens, dont les prédictions ont irrité le roi Nabuchodonosor, chantent, pleins de confiance, la puissance de Dieu capable de les délivrer: "Toutes les oeuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur: A lui, haute gloire, louange éternelle!" (Da 3,57 et suiv., cf. Ps 18,1-35).
95 Dans la même foi émerveillée, saint François d'Assise compose son "Cantique des créatures":
"Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures et singulièrement pour notre frère messire le soleil qui nous donne le jour et la lumière.
Il est beau, et rayonnant d'une grande splendeur, il est ton symbole, ô Seigneur Très-Haut.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre soeur la lune et les étoiles. Tu les as formées dans les cieux, claires, précieuses et belles.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour mon frère le vent et pour l'air, et le nuage, et la sérénité, et pour tout temps par quoi tu soutiens toutes les créatures.
Loué soit mon Seigneur, pour notre frère le feu. Par lui tu illumines la nuit, il est beau, généreux et fort.
Loué soit mon Seigneur, pour notre terre qui nous soutient, nous nourrit et produit toutes sortes de fruits, de fleurs diaprées et l'herbe...
Sois loué, mon Seigneur, à cause de notre soeur la mort corporelle à qui nul homme vivant ne peut échapper...
Louez et bénissez mon Seigneur, rendez-lui grâces et servez-le avec une grande humilité."
96 Le Dieu qui a choisi et continue de choisir son peuple, pour être son Dieu et le sanctifier, n'appartient à personne. Tout plutôt lui appartient: "Toute la terre m'appartient", déclare-t-il à Moïse (Ex 19,5). "Au Seigneur, le monde et sa richesse, reprend le psalmiste, la terre et tous ses habitants! C'est lui qui l'a fondée sur les mers et la garde inébranlable sur les flots" (Ps 23,1-2). La terre, mais aussi le ciel, c'est-à-dire cela même qui est son domaine propre et qui nous échappe: "Les choses visibles et invisibles", comme le déclare le Credo. La puissance créatrice de Dieu n'est pas limitée au seul monde visible.
97 En parlant de "choses visibles et invisibles", la foi chrétienne nous renvoie tout en même temps à ce qui relève de l'expérience sensible et à ce qui la dépasse. Aux yeux de la foi, les réalités invisibles ne sont pas moins réelles que celles qui sont visibles. Si nos sens ne peuvent les atteindre, elles ne relèvent pas pour autant de l'imagination.
Parmi les créatures invisibles dont parle la Bible, et qu'honore la Tradition chrétienne, il y a les anges. Leur nom signifie "messagers". Nous les connaissons surtout à travers leur mission d'envoyés de Dieu.
Certes, les anges ont d'abord pour mission de rendre gloire à Dieu (cf. Ps 102,20 Ps 148,2 etc.). Mais leur fonction est aussi de nous rappeler que, dans l'histoire, les interventions de Dieu elles-mêmes comportent toujours une part de mystère. Il faut qu'elles nous soient annoncées "d'en haut" pour nous être accessibles. C'est ainsi que les anges jouent leur rôle à la Nativité du Sauveur et à la Résurrection.
98 Créatures spirituelles, les anges ne sont pas des demi-dieux. Associés au Christ dans son oeuvre de salut (cf. He 1,14), ils lui sont totalement soumis (cf. Ep 1,19-22).
Dès les premiers siècles l'Église a dû s'opposer aux débordements de certaines spéculations qui s'étaient auparavant développées dans le judaïsme sur le monde des anges. Plus près de nous, une certaine imagerie a pu susciter un malaise, qui a parfois conduit, par réaction, à un complet silence sur les anges. Pendant ce temps, de nouvelles spéculations se développent sur "l'invisible" en dehors des véritables références chrétiennes
Comme souvent, le chemin de la foi se trace entre deux écueils. Contre toute tendance réductrice, la foi ne peut oublier la place tenue par les anges dans la Révélation (même si, dans l'interprétation des textes bibliques, on doit tenir compte des facteurs littéraires et de ce qui peut relever des représentations générales de l'époque). Contre toute inflation sur la puissance du monde de "l'invisible", elle doit se rappeler fermement qu'il n'y a pas de salut ailleurs qu'en Jésus Christ (cf. Ac 4,12).
99 Béni soit Dieu,
le Père de notre Seigneur Jésus Christ.
Dans les cieux il nous a comblés
de sa bénédiction spirituelle en Jésus Christ.
En lui, il nous a choisis
avant la création du monde,
pour que nous soyons, dans l'amour,
saints et irréprochables sous son regard.
Il nous a d'avance destinés
à devenir pour lui des fils par Jésus Christ
voilà ce qu'il a voulu
dans sa bienveillance
à la louange de sa gloire,
de cette grâce dont il nous a comblés
en son Fils bien-aimé,
qui nous obtient par son sang
la rédemption, le pardon de nos fautes.
Elle est inépuisable,
la grâce par laquelle Dieu nous a remplis
de sagesse et d'intelligence
en nous dévoilant le mystère de sa volonté,
de ce qu'il prévoyait dans le Christ
pour le moment où les temps seraient accomplis
dans sa bienveillance,
il projetait de saisir l'univers entier,
ce qui est au ciel
et ce qui est sur la terre,
en réunissant tout sous un seul chef, le Christ.
En lui, Dieu nous a d'avance destinés
à devenir son peuple;
car lui, qui réalise tout ce qu'il a décidé,
il a voulu que nous soyons
ceux qui d'avance avaient espéré
dans le Christ
à la louange de sa gloire.
Dans le Christ, vous aussi,
vous avez écouté la parole de vérité,
la Bonne Nouvelle de votre salut;
en lui, devenus des croyants,
vous avez reçu la marque de l'Esprit Saint.
Et l'Esprit que Dieu avait promis,
c'est la première avance qu'il nous a faite
sur l'héritage dont nous prendrons possession,
au jour de la délivrance finale,
à la louange de sa gloire.
Ep 1,3-14
100 C'est en référence à la foi constante de l'Église et à sa source principale, l'enseignement du Christ, que doit être affirmée l'existence d'esprits mauvais.
L'Écriture fait allusion à une "chute" originelle de certains anges (cf. 2P 2,4 Jud 1,6). A ces esprits mauvais elle confère divers noms: Lucifer, Belial, Beelzeboul, et surtout Satan. Ces noms sont en rapport avec leur action maléfique (le Satan est l'Adversaire). En Israël, ces esprits sont souvent mis en rapport avec les cultes païens environnants, voire avec les tyrans qui, sur terre, en sont comme la figure vivante (cf. Is 14,12).
L'existence des esprits mauvais est attestée également dans les évangiles (cf. Mt 25,41 Mc 1,13 Lc 22,31 Jn 13,27 etc.). Elle rejoint aussi l'expérience que nous faisons de forces cachées qui peuvent peser sur nos libertés, et marquer aussi la vie des sociétés, si souvent impuissantes à réaliser leurs desseins.
101 Cependant plus encore qu'à propos des anges serviteurs de Dieu et du Christ, l'Eglise a toujours combattu les spéculations qui aboutiraient à mettre une limite à la toute-puissance du Créateur, en établissant en face de Dieu certains esprits mauvais (ou l'un d'eux) qui auraient été depuis toujours en rivalité avec lui, comme s'il y avait à l'origine de tout deux principes, l'un bon (Dieu), l'autre mauvais (quel que soit le nom qui peut lui être donné). Les esprits mauvais sont des êtres créés bons par Dieu, qui se sont pervertis et ont perverti leur mission. L'opposition qu'ils représentent en face d'un Dieu essentiellement bon est liée à une "chute", assimilable à un péché (cf. 2P 2,4 Jud 1,6).
Alors que les bons anges sont associés à l'oeuvre du Christ, les esprits mauvais, ou démons, viennent lui faire obstacle. Dans le Notre Père, jésus enseigne à ses disciples à demander au Père de ne pas les exposer à la tentation et de les délivrer du Mauvais (cf. Mt 6,13).
Cependant l'Évangile annonce la victoire définitive du Christ sur toutes les formes du mal. Par lui la Création est restituée à sa destination première (cf. Mt 12,28), et l'homme rendu à sa liberté de fils de Dieu.
102 Le message de la Création traverse toute la Bible. Dieu ne cesse, en effet, de rappeler à son peuple que tout procède de lui. A Israël, qui fait l'expérience d'être créé comme peuple, Dieu se révèle de plus en plus comme "Créateur du ciel et de la terre".
Cette révélation fait tout spécialement l'objet de deux récits qui figurent au début du livre de la Genèse.
Dans ces deux récits s'exprime la même foi au Dieu créateur. Mais leur dualité littéraire manifeste que, sur la Création, plusieurs approches sont possibles, peut-être nécessaires, si l'on ne veut pas réduire la Révélation à un simple tableau "objectif" des commencements et premiers jours du monde. La leçon des récits est autre. Elle va beaucoup plus profond. Elle ne dit pas comment, concrètement, cela s'est passé. Les sciences de la nature peuvent nous aider à comprendre les origines et les évolutions. La vérité biblique nous dit pourquoi et selon quel dessein Dieu a créé l'univers.
103 L'histoire, dans laquelle tout l'univers est engagé, la Bible nous la propose comme étant tout entière conduite par Dieu, à partir d'une origine qui remonte, peut-on dire, au-delà de la nuit des temps. Telle est précisément l'affirmation fondamentale des récits de la Création.
Les récits de Création sont nécessairement formulés avec les ressources de langage disponibles au temps de leur rédaction. On ne s'étonnera pas d'y trouver les traces d'un langage symbolique et même mythique.
On sait d'ailleurs aujourd'hui que les mythes sont à distinguer des simples fables. Ils peuvent être porteurs d'expériences humaines et de vérités profondes: de celles qui précisément ne se laissent pas enserrer dans les réseaux de la simple raison. C'est notamment le cas de tout ce qui concerne l'origine: ce qu'il s'agit de connaître est alors fondateur de nos connaissances ultérieures.
Dans un langage qui n'est pas celui de la science moderne, les récits bibliques de Création ouvrent sur une histoire appelée à passer par des lieux connus (la Chaldée, le mont Horeb... ) et des dates repérables (sortie d'Égypte, institution de la royauté, exil à Babylone... ) avec, au centre, la montée à Jérusalem, à "l'heure" du Christ: celle de sa Pâque. Celle-ci est la clé de toute cette histoire, en même temps que de son origine et de sa fin.
104 Le premier récit de la Création (cf. Gn 1,1-2,4) atteste d'abord le caractère absolument unique de l'acte créateur. Le mot hébreu que nous traduisons par "créa" est réservé à cet acte premier qui ne peut être confondu avec aucun autre. Il est toujours là, précédant tout ce qui pourra se faire ou advenir: "Au commencement, Dieu créa..." L'acte créateur est tout autre chose que le premier maillon d'une chaîne. Nous ne pouvons le connaître qu'à travers le récit qui nous l'annonce, en le recevant toujours de nouveau dans la foi, l'action de grâce et la louange.
La singularité et la perfection intérieure de l'acte créateur sont aussi signifiées par l'évocation des sept jours. La Création s'achève avec le regard que Dieu porte sur elle. Il "se repose" et se complaît dans cette Création, foncièrement "bonne", oeuvre de son amour.
L'acte créateur est d'une telle plénitude qu'il ne sera jamais possible de le confondre avec l'histoire du monde et des hommes qui en découle. Il vient la fonder.
105 Le premier récit de la Création, éclairé par l'ensemble de l'Écriture et de la Tradition, comporte cependant un autre enseignement fondamental.
Le récit de la Genèse évoque déjà, au premier jour du monde, le souffle (Esprit) de Dieu planant au-dessus des eaux (cf. Gn 1,2) et le psalmiste chante: "Tu envoies ton souffle [ton Esprit]: ils sont créés; tu renouvelles la face de la terre" (Ps 103,30). N'est-ce pas déjà indiquer que la Création, oeuvre de sagesse, est oeuvre de l'Esprit de Dieu?
On note que c'est le même mot hébreu que traduisent les deux mots français "souffle" et "esprit".
106 Mais la Création se révèle aussi dès le premier récit, comme l'oeuvre d'une Parole qui dispose toute chose avec ordre, dans la clarté, chaque être vivant selon son espèce (cf. Gn 1,21). Saint Jean, dans le prologue de son évangile, "montre le Verbe, c'est-à-dire à la fois la Parole et l'Intelligence de Dieu, déjà là mystérieusement à l'oeuvre: Par lui, tout s'est fait, et rien de ce qui s'est fait ne s'est fait sans lui (Jn 1,3). Et le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, la gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité" (Jn 1,14).
Dès les récits de la Création sont posés plusieurs éléments fondamentaux qui constitueront la Loi. Celle-ci, en effet, sera faite de "Paroles" qui, comme celles qui président à la Création, viendront "ordonner" la vie des hommes. Elle aussi récusera la confusion. Elle insistera sur l'obligation de rendre à chacun ce qui lui revient: à Dieu d'abord, aux hommes ensuite et à toutes les créatures de Dieu. On sait que les dix commandements sont littéralement les dix "Paroles".
On peut donc entrevoir dans le premier récit de la Genèse la présence et l'action de l'Esprit Saint, de "l'Esprit créateur", et celle du Verbe de Dieu. Si le Credo attribue au Père plus directement l'acte créateur, celui-ci n'en est pas moins l'oeuvre de l'indivisible Trinité
107 La création des cieux, de la terre et de tous les êtres vivants prépare celle de l'homme qui est, pour ainsi dire, le chef-d'oeuvre de Dieu, celui qui va le plus parfaitement pouvoir rayonner quelque chose de sa splendeur et entrer en pleine communion avec lui. "Dieu dit: Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance. [...] Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme" (Gn 1,26-27). A l'image de Dieu, l'être humain est doué d'intelligence et de liberté. Il est capable d'aimer, et d'abord son Créateur: "La Bible nous enseigne que l'homme a été créé à l'image de Dieu, capable de connaître et d'aimer son Créateur, qu'il a été constitué seigneur de toutes les créatures terrestres, pour les dominer et pour s'en servir, en glorifiant Dieu" (GS 12).
L'homme est la "seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même" (GS 24). Homme et femme, créés dans l'altérité, c'est-à-dire dans la capacité du don qui les fait se reconnaître l'un par l'autre et entrer en dialogue, ils portent chacun la même et unique image divine.
Rempli d'admiration, le psalmiste peut chanter: "Qu'est-ce que l'homme pour que tu penses à lui, le fils d'un homme, que tu en prennes souci? Tu l'as voulu un peu moindre qu'un dieu, le couronnant de gloire et d'honneur; tu l'établis sur les oeuvres de tes mains, tu mets toute chose à ses pieds" (Ps 8,5-7).
108 C'est ce statut tout à fait particulier de l'homme qu'exprime la doctrine de la création directe de l'âme par Dieu. Non pas que l'âme puisse être créée indépendamment du corps. Elle est "par elle-même et essentiellement, forme du corps humain" (conciles de Vienne, 1311-1312, et du Latran V, 1513-1521; DS 902 DS 1440; FC 265 et 267). Ce langage, qui n'est plus le nôtre, dit que l'âme est, par rapport au corps, un peu comme la pensée par rapport au langage qui l'exprime. "Corps et âme, mais vraiment un, l'homme est, dans sa condition corporelle même, un résumé de l'univers des choses qui trouvent ainsi, en lui, leur sommet, et peuvent librement louer leur Créateur" (GS 14).
Dieu entretient un rapport direct de Créateur et de Père avec chaque être humain, dès sa conception, comme avec cet être destiné par lui à refléter sa gloire. Et c'est justement ce rapport unique et personnel avec Dieu qui fait de l'âme humaine une réalité personnelle par excellence, unique (cf DS 1440 FC 267). L'âme de chacun d'entre nous n'est pas une participation à "l'âme du monde", comme certains courants de pensée tendent à la concevoir. Elle n'est pas davantage appelée à transiter dans un autre être, comme l'affirme la doctrine de la réincarnation. Elle est unique, comme l'amour que Dieu porte à chaque personne humaine.
109 Homme, pourquoi te méprises-tu tellement,
alors que tu es si précieux pour Dieu?
Pourquoi, lorsque Dieu t'honore ainsi,
te déshonores-tu à ce point?
Pourquoi cherches-tu comment tu as été fait
et ne recherches-tu pas en vue de quoi tu es fait?
Est-ce que toute cette demeure du monde que tu vois
n'a pas été faite pour toi?
C'est pour toi
que la lumière se répand et dissipe les ténèbres,
c'est pour toi que la nuit est réglée,
Pour toi que le jour est mesuré;
pour toi que le ciel rayonne des splendeurs diverses
du soleil, de la lune et des étoiles,
pour toi que la terre est émaillée
de fleurs, d'arbres et de fruits;
Pour toi que cette foule étonnante
d'animaux été créée,
dans l'air, dans les champs, dans l'eau si belle,
pour qu'une lugubre solitude ne gâte pas
la joie du monde nouveau.
En outre, le Créateur cherche ce qu'il peut
bien ajouter ta dignité:
il dépose en toi son image,
afin que ce image visible
rende présent sur terre le Créateur invisible,
et il te confie la gérance des biens terrestres,
afin qu'un aussi vaste domaine
n'échappe pas au représentant du Seigneur.
Saint Pierre Chrysologue, évêque de Ravenne (Italie), mort en 451
110 La Parole créatrice de Dieu met tout en ordre pour le bien de l'homme. "Les grands monstres marins, tous les êtres vivants qui vont et viennent et qui foisonnent dans les eaux [...], tous les oiseaux qui volent [...], les bestiaux [...], et toutes les bestioles de la terre" (Ga 1,21-25) sont là pour être "soumis" à l'homme, à son bénéfice. Bien sûr aussi les plantes de la terre, dont il recueillera les fruits. Mais également, le soleil, la lune, les étoiles, qui sont là pour le guider, pour lui permettre de s'orienter dans le temps et dans l'espace. Ainsi les astres eux-mêmes, dont le cours semble imposer sa loi aux hommes, et qui ont été souvent divinisés par ceux qu'ils fascinaient, perdent leur pouvoir magique. Ils sont déjà, comme des instruments de mesure du temps, mis gracieusement par Dieu au service de l'homme (cf. Gn 1).
La Création tout entière est ordonnée à l'heureuse réussite et au bonheur éternel de l'homme. Elle est, de la part de Dieu, bénédiction et grâce.
111 Cependant l'homme lui-même ne tient toute sa dignité royale que de sa nature "d'image" de Dieu (cf. Gn 1,26-27). Il ne garde toute sa grandeur qu'en "rendant" à Dieu cette gloire reçue de lui. Car la Création n'a pas son couronnement dans l'homme, mais dans la joie que Dieu lui-même trouve dans son oeuvre et qui remplit le septième jour. Le sabbat d'Israël commémorera ce "repos" bienheureux du Dieu créateur en y faisant participer toute la Création, Il vient rappeler à l'homme qu'il est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu pour la louange du Créateur.
Le dimanche chrétien est célébré le lendemain du Sabbat: le huitième jour, c'est-à-dire le premier jour de la Création nouvelle. Il reprend des éléments substantiels du Sabbat, mais il est centré sur la Pâque du Christ.
La Création ne trouve donc pas son achèvement dans le travail de l'homme ni,, chez l'homme, dans la réalisation de soi. Le souvenir de cette vérité sauvegarde la liberté et la dignité de l'être humain, qui reste alors ouvert sur l'infini de Dieu et de ses promesses de bonheur.
112 Le premier récit de la Création situe l'homme à l'intérieur de l'oeuvre divine qui établit le monde en face du Créateur et différent de lui. Il s'achève dans le repos heureux du septième jour. Le second récit (Gn 2,4-3,24) s'ouvre plutôt sur l'histoire de libertés fragiles, et ceci dès l'origine du monde.
Mises en garde par le Créateur, ces libertés ne tardent pas à faillir, avant d'entrer dans une longue histoire, où ne cesseront de se relayer épreuves et joies, chutes et relèvements, éloignements et rapprochements du Dieu de vie.
Dans ce second récit du livre de la Genèse, l'être humain est envisagé d'emblée dans le cadre de l'histoire de la terre dont il fait partie. "De la poussière du sol" il a, en effet, été "pétri". Mais il est aussi animé du "souffle de vie" qui vient de son Créateur, et chargé de soigner le "jardin" mis à sa disposition (cf. Gn 2,7-15).
En grec, jardin se dit paradeisos. D'où le terme de paradis par lequel le jardin du récit de la Création se voit aussi désigné. Comme l'Éden dans lequel le texte le dit situé (cf Gn 2,8), il évoque alors traditionnellement l'état de bonheur dans lequel nos premiers parents ont d'abord été créés par Dieu.
Comme dans le premier récit, l'être humain est établi dans la différence sexuelle de l'homme et de la femme. Cette différence sexuelle n'affecte en aucune manière la semblable dignité des deux. En effet, "l'homme s'attachera à sa femme, et tous les deux ne feront plus qu'un" (Gn 2,24).
En hébreu, homme se dit ish et femme se dit isha. Ces mots permettent de souligner l'identité de nature de l'homme et de la femme (cf Gn 2,23). Mais l'homme est aussi appelé Adam parce qu'il est "tiré du sol" (adama) et la première femme est appelée Ève (c'est-à-dire la Vivante) parce qu'elle est la mère de tous les vivants (cf Gn 3,20).
113 Établi dans sa condition de créature, l'homme va pouvoir construire sa vie dans la vérité, au milieu de cette création qui lui est confiée.
Il aura d'abord à y trouver sa place. "Où es-tu?": telle est la première question qu'entend Adam après sa transgression (Gn 3,9). La question que Dieu lui adresse l'éveille à lui-même et à la responsabilité qui lui revient: se situer, d'abord en face de cette voix qui l'interpelle, mais également en face des autres hommes et de tous les êtres de la création. La voix de Dieu le rappelle à lui-même pour l'introduire sur le chemin d'une liberté responsable.
Si l'homme est établi au-dessus des autres êtres et s'il est appelé, dans ce sens, à en être "le maître" en "soumettant" la terre (cf. Gn 1,28), c'est pour les conduire, avec lui, à leur fin. Ce n'est pas pour les écraser. La création lui est confiée pour être "cultivée" par lui comme un jardin précieux. L'homme, qui reconnaît en Dieu celui qui l'a créé, sait que sa vie et le monde lui sont chaque jour remis comme un don à faire fructifier.
114 Les récits des premiers chapitres de la Genèse célèbrent la beauté de la Création et révèlent la magnificence du Créateur. Ils font connaître le dessein premier de celui-ci à l'égard de l'homme: un dessein tout entier d'harmonie et de bonheur. Mais l'histoire sur laquelle ils ouvrent se manifeste rapidement comme une histoire dramatique.
Dieu met l'homme (Adam) en garde contre la tentation de s'instituer auteur et maître du bien et du mal, du bonheur et du malheur. De cette folle prétention, qui l'enfermerait dans sa volonté dominatrice, il est protégé par un interdit: "Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin; mais quant à l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n'en mangeras pas; car, le jour où tu en mangeras, tu seras condamné à mourir" (Gn 2,16-17). Cet interdit rappelle à l'homme qu'il n'est pas son propre créateur et qu'il a à recevoir de Dieu la connaissance du bien et du mal.
La source de tous les malheurs est, chez l'homme, de se détourner de son Créateur, en récusant toute forme de dépendance par rapport à lui. Lorsqu'il ne reconnaît pas cette dépendance, il est amené à vouloir tout régenter, en écrasant tout ce qui n'entre pas dans ses desseins.
115 Comment l'homme a-t-il pu, dès l'origine, être amené à cette aberration de vouloir être "comme des dieux" (Gn 3,5)? Sans doute, par la possibilité qu'il y a dans un esprit créé de s'exalter jusqu'à se considérer comme l'égal de son Créateur. Mais aussi par le jeu puissant de l'illusion, de la tromperie, du mensonge représentés dans le récit de la Genèse par le serpent.
Le serpent est la figure des forces séductrices et des "tentations" du paganisme environnant: la puissance de la fécondité en Canaan, celle du pouvoir politique en Égypte.
Dans le récit, le mal n'est pas "expliqué". Il est plutôt campé, mis en scène. L'homme y a sa pleine responsabilité.
Rien dans le récit de la Genèse n'autorise l'idée que la femme aurait une responsabilité plus grande que celle de l'homme ou que, sans elle, l'homme n'aurait pas péché. Si Adam rejette la responsabilité sur sa femme (cf. Gn 3,12), c'est le signe de la détérioration de sa relation avec elle.
L'homme et la femme sont responsables de la faute. Mais derrière leur choix, il y a une voix séductrice, opposée à Dieu (cf. Gn 3,5), un accusateur de l'homme (cf. Jb 1,11 Jb 2,5-7) qui, par envie, le fait chuter dans la mort (cf. Sg 2,24). L'Écriture et la Tradition de l'Église voient en cet être un ange déchu, appelé Satan ou Diable.
116 La transgression de l'interdit dont était marqué l'arbre de la connaissance du bien et du mal est à l'origine d'un monde "cassé". La souffrance en est le signe: celle qui accompagne l'engendrement des générations successives (car, si aujourd'hui il est des "enfantements sans douleur", les parents savent ce qu'il en coûte de "mettre au monde" des enfants, en leur assurant l'éducation nécessaire); mais aussi la "peine" que suppose la production des biens dont nous avons besoin: "C'est à la sueur de ton visage que tu gagneras ton pain" (Gn 3,19).
Toutefois, cette condition, marquée par la mort ("tu es poussière et tu retourneras à la poussière" Gn 3,19), n'est pas celle d'un être voué à la fatalité. Dans la présentation qui en est faite à travers le récit de la chute, l'être humain est plutôt renvoyé aux limites constitutives de la créature. Il saura qu'il n'est pas un dieu.
Rétabli ainsi dans sa vérité, l'être humain pourra, au sein même de sa vie de souffrance et de labeur, entendre la promesse de salut, déjà mystérieusement formulée au milieu du récit. "Je mettrai, déclare Dieu au serpent, une hostilité entre la femme et toi, entre sa descendance et ta descendance: sa descendance te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon" (Gn 3,15).
Ce verset a pu être qualifié de protévangile, du grec protos qui signifie premier. La Tradition chrétienne a reconnu dans ce passage l'annonce du Fils de Marie, vainqueur définitif du péché et de la mort.
117 Dans l'Ancien Testament le récit de la chute d'Adam ne trouve un écho direct que dans le livre de la Sagesse (cf. Sg 2,24).
En revanche, ce péché d'origine tient une place capitale dans l'enseignement de saint Paul: "Par un seul homme, Adam, le péché est entré dans le monde, et par le péché est venue la mort" (Rm 5,12). C'est ainsi que l'Apôtre résume le contenu du récit de la Genèse.
Par sa transgression, reprendra le concile de Trente, Adam a "perdu la sainteté et la justice dans lesquelles il avait été établi" (DS 1511 FC 275). L'harmonie dans laquelle il se trouvait avec Dieu, avec lui-même et avec le monde a été perdue, ainsi que le don de l'immortalité. L'humanité demeure affectée par ce péché d'origine. Chacun en est atteint et marqué, du fait même de son appartenance à la famille humaine.
118 Par le péché d'origine la nature humaine a été gravement blessée. Cependant elle n'a pas été totalement corrompue. L'image de Dieu a été ternie, comme elle l'est toujours, par le péché. Elle n'a pas été, et n'est jamais, détruite.
L'homme demeure capable d'accueillir le salut, la "justice" nouvelle dans laquelle Dieu s'est proposé de le rétablir en Jésus Christ. L'image de Dieu, ternie par le péché, est restaurée dans son intégrité par l'oeuvre de Celui qui est, par nature, la parfaite "image du Dieu invisible", son Père (Col 1,15). C'est sur cette image que les hommes sont destinés à se laisser remodeler par la foi et par le baptême. Le Fils unique de Dieu devient ainsi "l'aîné d'une multitude de frères" (Rm 8,29). La liberté, affectée elle aussi par le péché originel, doit être libérée, comme elle le sera effectivement par l'oeuvre du Christ (cf. Ga 5,1). Mais, si elle a besoin d'être régénérée, elle n'a pas besoin d'être recréée. C'est le même homme qui, par le baptême, recouvrera justice et sainteté. Cet homme ainsi rétabli dans la communion avec Dieu est véritablement habité par la grâce sanctifiante, tout en gardant une propension au péché (que la tradition théologique appelle concupiscence).
La concupiscence ne doit pas être limitée à la convoitise sexuelle. C'est, plus généralement, la tendance à chercher ses intérêts ou sa satisfaction au détriment de la juste ordonnance de sa vie dans son rapport à Dieu, au monde et aux autres.
119 Les Pères de l'Église d'Orient ne cessent d'exalter la grandeur de l'homme, cette grandeur de l'homme créé par Dieu à son image et à sa ressemblance, et appelé à la divinisation.
La tradition occidentale n'a cessé d'entretenir la même doctrine. Mais elle a simultanément conduit une longue méditation sur la signification et la portée de la chute d'Adam, en relation avec un approfondissement de la doctrine de la grâce. Telle fut tout particulièrement l'oeuvre de saint Augustin (354-430), dont la pensée est reprise dans le concile de Carthage (418; cf. DS 225-230 FC 521-526) et le deuxième concile d'Orange (529; cf. DS 371-378 FC 272-273 FC 541-544).
120 En face de la gnose manichéenne qui situait le mal dans la Création même et qui cherchait le salut dans un savoir ésotérique, Augustin avait appris de la Bible que toute la Création, y compris la matière, est sortie bonne des mains de Dieu. Le mal provient du péché commis par l'homme dans l'histoire. Dès lors, le salut n'est pas à chercher en dehors de l'histoire, mais plutôt en son sein, dans une conversion, réponse à l'appel de Dieu venu également dans l'histoire nous sauver. Cette leçon demeure d'actualité à une époque soumise aux séductions de toutes sortes de formes d'ésotérisme ou d'occultisme.
Plus tard, Augustin eut à s'opposer au moine Pélage pour qui le péché d'Adam ne nous serait proposé dans la Bible que comme exemple d'un péché à éviter, en laissant à notre liberté tout le pouvoir de le faire. Augustin trouvait dans son expérience personnelle, mais aussi dans le témoignage du Nouveau Testament, notamment chez saint Paul, une vision moins naïvement optimiste des choses. Notre liberté et notre volonté, sans être totalement détruites, sont prises dans une histoire qui pèse sur chacune de nos décisions. Ainsi l'Apôtre peut-il s'exclamer: "Je ne comprends pas ce que j'accomplis, car ce que je voudrais faire, ce n'est pas ce que je réalise; mais ce que je déteste, c'est cela que je fais. [...] Si je fais ce que je ne voudrais pas, alors ce n'est plus moi qui accomplis tout cela, c'est le péché, lui qui habite en moi" (Rm 7,15-20).
L'évêque d'Hippone a été amené à mettre en lumière deux vérités complémentaires. D'une part, le mal n'est pas une fatalité inscrite dans la Création, comme si la doctrine du péché originel était là pour nous disculper. D'autre part, cette même doctrine contribue à tempérer le jugement écrasant que nous pourrions porter sur nos fautes, ou celles des autres hommes; elle nous empêche de "sataniser" l'histoire, aussi bien que de sacraliser ceux qui la font.
121 Surtout, la doctrine du péché originel ne doit pas être séparée de celle qui nous fait connaître l'oeuvre du Christ. Saint Paul n'évoque le péché d'Adam que pour faire valoir, dans toute sa profondeur et dans toute son extension, l'oeuvre du Christ. "Adam préfigurait celui qui devait venir" (Rm 5,14). Celui-là devait être porteur d'une grâce sans commune mesure avec la faute. "Le don gratuit de Dieu et la faute n'ont pas la même mesure" (Rm 5,15). "Là où le péché s'était multiplié, la grâce a surabondé" (Rm 5,20). Elle prévient et relève l'homme pécheur pour l'habiter et le sanctifier. Et en même temps qu'elle pénètre au plus intime de chacun, elle enveloppe l'humanité tout entière.
Le Christ est le nouvel Adam, "l'aîné d'une multitude de frères" (Rm 8,29), chef de l'humanité nouvelle, réconciliée avec Dieu, en même temps qu'avec elle-même et avec toute la Création. En effet, "Dieu a voulu que dans le Christ toute chose ait son accomplissement total. Il a voulu tout réconcilier par lui et pour lui, sur la terre et dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix" (Col 1,19-20). Dans cette humanité nouvelle les chrétiens sont introduits par le baptême, qui libère du péché originel et fait don de la vie du Ressuscité.
Catéchisme France 92