Catéchisme France 122
122 La doctrine du péché originel nous dit quelque chose de fondamental et de toujours actuel.
Nous sommes en quelque sorte précédés par le mal, du fait de notre appartenance à la famille humaine, représentée en son origine par Adam. Telle est la condition faite par le péché originel à tout fils et à toute fille d'homme.
Créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, l'homme a péché, en se détournant de son Créateur, pour se faire lui-même semblable à lui. Cette faute se situe dans l'histoire, aux origines de l'histoire humaine. La conséquence en est que l'homme a été blessé dans son amitié avec Dieu, dans son union aux autres hommes, dans l'unité avec lui-même et il a perdu le don de l'immortalité.
Tout homme qui vient à l'existence reçoit dès lors une humanité blessée. Le petit enfant n'est pas pécheur personnellement mais, du fait de son appartenance au genre humain, il est marqué par ce péché d'origine.
123 Cependant, le péché n'est pas le dernier mot du rapport de l'humanité avec Dieu. Celui-ci n'a pas abandonné l'homme qui s'était, par sa faute livré à la perdition. "Comme il avait perdu ton amitié en se détournant de toi, déclare une des prières eucharistiques, tu ne l'as pas abandonné au pouvoir de la mort." Par le Christ, l'humanité est réconciliée avec Dieu, avec la Création et avec elle-même.
Le péché originel est, de la part de l'homme, rupture de cette Alliance initiale et fondatrice qu'est la Création, avec la "justice originelle" dans laquelle elle était établie. Mais Dieu ne tarde pas à offrir à l'homme de rentrer en grâce avec lui: cette grâce de la réconciliation qui trouve son accomplissement dans le Christ. Par le baptême, les chrétiens sont introduits dans cette grâce et dans cette vie nouvelle données dans la Nouvelle Alliance, fruit de l'oeuvre rédemptrice de Jésus.
Parce qu'elle est inséparable de l'affirmation dogmatique assurant que, dans la grâce du Christ, le salut est offert à tous les hommes, la doctrine du péché originel est une invitation à accueillir la Bonne Nouvelle du Christ et, comme le fait le chant pascal de l'Exultet à la veillée du Samedi saint, à chanter la miséricorde de Dieu.
124 L'attention portée au péché originel n'est pas destinée à détourner notre regard de nos péchés personnels, "actuels", ceux sont "signés" par nous.
De même que le péché originel n'est connu que par la Révélation, en rapport avec le projet de Dieu sur l'homme créé par lui, de même les péchés personnels, qui ponctuent la vie des hommes, ne se laissent découvrir pour ce qu'ils sont que dans la foi, en rapport avec la connaissance que cette foi donne de Dieu. C'est pourquoi sans doute l'idée de péché a de plus en plus de mal à trouver place dans la culture sécularisée de nos contemporains.
En effet, si le péché est une faute, il est aussi autre chose que faute car il ne concerne pas seulement le domaine d'une éthique précisant ce qui est "convenable" ou non dans la société; ce domaine demeure une "affaire d'hommes". Le péché, lui, concerne, à l'intérieur de nos affaires d'hommes, notre rapport à Dieu tel que ce Dieu nous est connu dans sa Révélation. Dieu fait Alliance avec nous; le péché est rupture de cette Alliance. Dieu nous donne sa Loi pour que nous puissions vivre; le péché est désobéissance à la loi de vie. Dieu nous révèle dans le Christ l'absolu amour; le péché est refus de cet amour. Dieu nous "a marqués du Saint-Esprit" et nous appelle à nous "laisser guider intérieurement" par lui; le péché "contriste" "le Saint-Esprit de Dieu" (cf. Ep 4,23.30). Le péché se réfère toujours finalement à l'histoire, qui est celle de Dieu-avec-nous. Il est toujours une l'Alliance et de l'amour du Christ.
125 Dans ce sens, le péché est, au sens propre, objet de révélation. Il est dévoilé, en même temps qu'il est "dénoncé". Pour le connaître, il faut commencer par en être arraché, par ne plus être sous sa "loi", qui est toujours celle du mensonge. Il faut aussi dépasser la tendance spontanée à toujours vouloir se justifier ou à se complaire dans un sentiment malsain de culpabilité, l'une et l'autre attitudes refermant l'homme sur lui-même.
Dans la Bible, il revient généralement aux prophètes de dévoiler le péché, au nom de la Parole de Dieu dont ils sont porteurs. Ils rappellent le "rêve" que Dieu avait fait pour l'homme, et plus particulièrement pour son peuple: le bonheur, l'avenir qu'il avait conçu. Ce Dieu, lié d'amour à ce peuple, souffre de ses égarements. Mais les prophètes dévoilent aussi les racines du péché cachées dans le coeur de l'homme.
Un exemple typique du péché, débusqué par le prophète, est celui que raconte le deuxième livre de Samuel: l'adultère de David et la dénonciation par le prophète Nathan (cf. 2S 11-12). Un autre exemple est celui du crime perpétré par le roi Achaz et sa femme Jézabel pour s'emparer de la vigne de Naboth. Ce forfait est dénoncé par le prophète Élie (cf. 1R 21).
126 Fou désir d'être "comme des dieux", dissimulation, parjure, semence de mort, voilà comment le péché ne cesse de nous être montré dans la Bible. Il est le chemin inverse de celui sur lequel le Créateur avait "au commencement" engagé l'homme. Le sol ferme et fécond qui lui était offert se dérobe sous les pieds du pécheur.
Par le péché, c'est toute la Création qui se voit "livrée au pouvoir du néant" (Rm 8,20), c'est-à-dire de l'illusion ou du mensonge qui finissent par porter la mort. Ainsi la mort, ce grand ennemi de l'homme, ce suprême scandale qui ferme tous les horizons, est venue dans le monde par le péché (cf. Rm 5,12). Elle est aussi "le dernier ennemi" que doit détruire le nouvel Adam (cf. 1Co 15,26).
127 La Révélation dévoile l'existence du péché dans la vie humaine. Mais, parce qu'il s'agit de l'homme, il ne suffit pas d'en admettre théoriquement la réalité. De même qu'il est objet de dénonciation, le péché est essentiellement objet d'aveu, ou de confession. "Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous égarons nous-mêmes et la vérité n'est pas en nous. [...] Si nous disons que nous ne sommes pas pécheurs, nous faisons de lui [Jésus] un menteur et sa Parole n'est pas en nous" (1Jn 1,8-10).
Cependant, antérieurement à la confession de notre péché, et de manière encore plus fondamentale, l'Église nous invite à professer la miséricorde infinie de Dieu et la rémission des péchés.
Dieu ne nous dévoile notre péché et la servitude qu'il engendre que pour nous en délivrer. La Parole de révélation ne dénonce les complicités nouées dans les obscurités de notre coeur que pour y faire pénétrer la lumière et nous remettre sur le droit chemin de la vie véritable. Le Saint-Esprit, qui "a parlé par les prophètes", est donné à l'Église pour opérer, en elle et par elle, au bénéfice de tous ceux qui veulent bien entendre son message, "la rémission des péchés". "Je crois en l'Esprit Saint, à la sainte Église catholique, à la communion des saints, à la rémission des péchés", confessons-nous d'un seul mouvement dans le Symbole des Apôtres.
128 Dire et faire advenir la vérité, au service de la compréhension, de la concorde, de l'amitié, de la paix, telles sont les oeuvres de l'esprit humain. Mais cet esprit peut se pervertir dans la convoitise, le mensonge, le meurtre, etc. Dans ces "oeuvres mauvaises" (cf Jn 3,19) l'homme a donc une responsabilité: la foi chrétienne, nous l'avons dit, n'entretient pas une conception fataliste du mal, comme s'il était inscrit dans la nature des choses.
Cependant le mal moral, avec lequel chacun de nous entretient certaines complicités, déborde ce qui peut être mis au compte de nos libertés individuelles. La foi, prenant appui sur la parole biblique, parle de Satan, Accusateur, Tentateur, diable, dont jésus lui-même nous dit qu'il est "homicide depuis l'origine", en même temps que "menteur et père du mensonge" (Jn 8,44).
129 Satan porte dans l'Écriture les traits d'une personne douée d'intelligence et de liberté. Mais il ne les détient que pour les pervertir. Il en est de lui comme du mensonge dont il est le "père". Le mensonge est, en effet, différent de la simple erreur. C'est la perversion de la vérité. L'action de Satan est ainsi essentiellement destructrice, porteuse de mort, "homicide".
Les chrétiens ne sont pas à l'abri de ses assauts (cf 1P 5,8). Mais ils savent que le Christ est victorieux de toutes les forces du mal. Satan, vaincu, n'a pas de pouvoir ultime sur nous si nous ne le lui accordons. Le chrétien ne peut désespérer, pas plus qu'il ne doit recourir à des pratiques magiques pour essayer d'échapper au mal. Il peut compter sur la prière de l'Église. C'est en particulier dans les prières d'exorcisme que celle-ci demande à Dieu d'éloigner de l'homme l'emprise de Satan.
130 La Bible ne prétend pas dissiper toutes les obscurités liées à la question du mal. Elle n'empêche pas celui-ci de demeurer une véritable pierre d'achoppement sur la route commune des hommes. Mais la Parole de Dieu nous permet de ne pas nous laisser écraser ou simplement révolter par lui.
En manifestant son lien avec le péché, la foi empêche d'en faire un "problème" extérieur à nous, comme si nous pouvions en "avoir raison", et être ainsi quittes avec lui, alors qu'il sera toujours scandale pour la raison.
La foi ne fait pourtant pas considérer tout mal comme un effet direct, et pour ainsi dire mécanique, du péché personnel. jésus refuse de voir dans la cécité d'un aveugle de naissance la conséquence de son péché ou de celui de ses parents (cf. Jn 9,1-3). Le livre de Job exprime clairement le scandale des souffrances qui fondent sur l'innocent. Cause d'un tel scandale, la Shoah, c'est-à-dire l'extermination systématique des juifs par les nazis, a été, en ce siècle, un événement qui a blessé l'humanité tout entière et dont on n'aura sans doute jamais fini de sonder les profondeurs.
131 Mais la Bible nous apprend que, si le mal fait partie des questions qui habitent, au plus profond, l'esprit et le coeur de l'homme, il ne demeure pas non plus indifférent à Dieu. Non seulement Dieu porte le souci du pauvre, de la veuve et de l'orphelin, mais il revêt lui-même en son Fils la figure du Serviteur souffrant. Lui, le juste par excellence, a consenti à subir la plus ignominieuse des morts.
Dieu ne veut pas le malheur. "Dieu n'a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir des êtres vivants" (Sg 1,13). Aussi son Fils est venu la combattre dans une sorte de corps à corps, afin qu'elle soit "engloutie" dans sa victoire (cf. 1Co 15,54).
Nous n'avons pas à vouloir "expliquer" le mal. Mais, à la lumière du combat mené contre lui par Dieu, la foi interdit de s'y résigner. En dévoilant les ressorts secrets du péché, en assurant l'assistance de l'Esprit, elle convie plutôt à s'associer à l'oeuvre du Christ. Plus que d'en traiter théoriquement, elle pousse à "traiter" le mal pratiquement, de manière en quelque sorte médicale. Tel est l'exemple que donne Jésus dans l'Évangile, à travers les nombreux miracles opérés par lui.
La vraie réponse au scandale du mal, le chrétien la trouve dans la croix (cf. Lc 23), dans la prière d'abandon entre les mains de Dieu et l'offrande de soi comme participation au sacrifice du Christ. Mais la réponse est aussi le combat pour la justice, joint à l'exercice de la charité.
132 Devant les assauts du mal, au sein même des obscurités dans lesquelles il jette, la foi puise sa résistance et son courage dans la promesse du salut.
Ce salut est annoncé dans la victoire remportée sur le serpent par la descendance de la femme (cf. Gn 3,15), victoire effectivement acquise par le Fils de Marie.
Jésus, nouvel Adam, apporte l'assurance de la victoire définitive sur le péché et sur la mort.
"Si Dieu est pour nous, s'exclame saint Paul, qui sera contre nous? Il n'a pas refusé son propre Fils, il l'a livré pour nous tous: comment pourrait-il avec lui ne pas nous donner tout? Qui accusera ceux que Dieu a choisis? Puisque c'est Dieu qui justifie. Qui pourra condamner? Puisque Jésus Christ est mort; plus encore: il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, et il intercède pour nous. Qui pourra nous séparer de l'amour du Christ? La détresse? L'angoisse? La persécution? La faim? Le dénuement? Le danger? Le supplice? L'Écriture dit en effet: C'est pour toi qu'on nous massacre sans arrêt, on nous prend pour des moutons d'abattoir. Oui, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J'en ai la certitude: ni la mort, ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le présent ni l'avenir, ni les astres, ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur" (Rm 8,31-39).
133 Dans l'histoire des hommes, l'initiative de Dieu
La promesse et l'assurance du salut, qui soutiennent le croyant au sein des combats à mener contre le péché et les puissances de mort à l'oeuvre dans le monde, s'inscrivent dans une histoire singulière. Cette histoire est tout entière suspendue à une initiative de Dieu: le choix d'un peuple, Israël, destiné à devenir "son" peuple (cf. Lv 26,12 Dt 32,9 etc.). C'est le mystère de "l'élection". Israël est le peuple "élu".
L'histoire de ce peuple commence avec la vocation d'Abraham (cf. Gn 12,1 et suiv.) et l'alliance conclue avec lui (cf. Gn 17). Elle se poursuit avec sa descendance: Isaac, Jacob...
Elle trouve un nouveau départ avec l'appel de Moïse (cf. Ex 3), pour la libération de son peuple, sa sortie de la servitude d'Égypte et la mise à part de ce même peuple qui lui est confié: "Et maintenant, si vous entendez ma voix et gardez mon Alliance, vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples - car toute la terre m'appartient - et vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte" (Ex 19,5).
134 Plus tard, les rois sont l'objet d'un nouveau choix, qu'il s'agisse de Saül, de David ou de Salomon... L'Alliance est renouvelée avec la dynastie davidique et scellée par les paroles prophétiques de Nathan à David: "Je te donnerai un successeur dans ta descendance, qui sera né de toi, et je rendrai stable sa royauté [...]. Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi, ton trône sera stable pour toujours" (2S 7,12-16). Cette Alliance est continuellement rappelée par la voix des prophètes Isaïe, Jérémie, Ézéchiel... qui sont aussi choisis à cet effet, comme le sont également les prêtres et les lévites pour oeuvrer à la sanctification du peuple.
Principe et soutien de la vie du peuple élu, l'Alliance est renouvelée périodiquement (cf. Dt 27,1-26 Dt 31,10-13) et surtout aux moments particulièrement importants de l'histoire: ainsi avec Josué sur le mont Ébal (cf. Jos 8,30-35), ou à Sichem à la veille de sa mort (cf. Jos 24,1-8); ainsi lors de la dédicace du Temple par Salomon (cf. 1R 8,14-29 1R 8,52-61); ainsi en lien avec la réforme de Josias (cf. 2R 23,1 et suiv.) ou après la reconstruction de la muraille de Jérusalem par Néhémie (cf. Ne 8).
135 Toute l'histoire d'Israël (qui comprendra aussi des "sages") se déroule donc sous le motif et à la lumière d'une élection, c'est-à-dire d'un choix. C'est pourquoi, en dépit des nombreux péchés qui s'y commettent, cette histoire peut être appelée sainte. Le mystère de l'élection d'Israël, avec l'assurance que "les dons de Dieu et son appel sont irrévocables" (Rm 11,29), continue de plonger Paul, après sa conversion au Christ, dans la stupeur, mais aussi dans l'émerveillement et la louange.
"Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la science de Dieu! Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables! Qui a connu la pensée du Seigneur? Qui a été son conseiller? Qui lui a donné en premier, et mériterait de recevoir en retour? Car tout est de lui, et par lui, et pour lui. A lui la gloire pour l'éternité! Amen" (Rm 11,33-36).
136 L'Élu par excellence est Jésus, le Christ, le "Fils bien-aimé" du Père, comme le désigne au moment de son baptême la voix venue du ciel: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé; en lui j'ai mis tout mon amour" (Mt 3,17).
Jésus sera, à son tour, l'auteur "d'appels" réalisés avec la même autorité, le même pouvoir créateur que celui du Dieu d'Israël. "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis", déclare-t-il à ses disciples (Jn 15,16).
Par lui, avec lui et en lui, ceux-ci vont constituer, dans l'Église, "la race choisie [élue], le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu" (1P 2,9).
Le "nouveau" peuple de Dieu, l'Église, ne se substitue pas à l'ancien, Israël, sur lequel il est venu se "greffer" (cf Rm 11,24). Il témoigne plutôt de l'accomplissement aujourd'hui, en Christ, des promesses dont le peuple juif demeure porteur.
137 Peuple élu, tout entier établi sous le régime de la miséricorde, les chrétiens demeurent en même temps dans l'émerveillement et dans la confusion. Ils n'ont pas, en effet, à s'enorgueillir de la connaissance des mystères de Dieu que leur foi leur apporte, et encore moins des oeuvres qu'elle les pousse à accomplir. "Qu'as-tu que tu n'aies reçu?", doivent-ils continuellement s'entendre demander. "Et, si tu l'as reçu, pourquoi te vanter comme si tu ne l'avais pas reçu?" (1Co 4,7).
Le privilège que leur foi ne peut manquer de représenter à leurs propres yeux leur assigne aussi une responsabilité. Comme déjà Israël, ils ont charge d'être, au milieu du monde (au milieu de ce que la Bible appelle "les nations"), les témoins du Dieu unique, vivant et vrai. Ce Dieu ne leur appartient pas. Parce qu'il est le Dieu unique, il est le Dieu de tous les hommes. De chacun il attend, dans la patience, la conversion et la reconnaissance aimante.
Les chrétiens peuvent aussi devenir un scandale si leur existence contredit manifestement la foi dont ils se réclament.
138 Le choix de Dieu, en se donnant à son peuple, est d'instaurer avec lui et, par lui, avec l'humanité, une sorte de pacte d'amour.
L'alliance du Sinaï sans cesse remémorée
L'idée d'Alliance scande ainsi l'ensemble de la Parole biblique de Révélation. Elle trouve son expression majeure et comme son modèle dans la manifestation de Dieu à Moïse sur le Sinaï, avec la promulgation de la Loi, résumée dans les dix commandements (cf. Ex 19-24).
Israël, le peuple de Dieu, ne cesse de repasser dans sa mémoire cette histoire d'Alliance dont il tient son origine, afin de continuer d'y inscrire sa marche. Pour rendre hommage au Dieu qui l'a fait sortir d'Égypte et qui l'a établi sur la Terre promise, l'Israélite est convié à faire mémoire de l'histoire de ses Pères.
Au moment notamment de l'offrande à Dieu des prémices de la terre, le fils d'Israël déclare: "Mon père était un Araméen vagabond, qui descendit en Égypte: il y vécut en émigré avec son petit clan..." (Dt 26,5 et suiv.).
139 Dans la mémoire d'Israël étaient inscrits des souvenirs encore plus anciens, que coloraient naturellement ses propres expériences, toutes marquées par le fait de l'Alliance: alliance avec Abraham, accompagnée d'une descendance "aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer" (Gn 22,17), alliance à travers laquelle devaient être "bénies toutes les familles de la terre" (Gn 12,3); alliance antérieure encore avec Noé, symbolisée par l'arc dans la nuée, "signe de l'alliance, dit Dieu, entre moi et la terre" (Gn 9,13); alliance qui se profile déjà effectivement dans les récits de création... Ces alliances successives ne s'annulent pas l'une l'autre, mais témoignent de la persévérance de Dieu dans ses desseins.
Ces récits des premières pages de la Bible ouvrent le dessein divin d'alliance sur des perspectives universelles. Universalité soulignée encore au moment de la vocation d'Abraham: "Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai celui qui te méprisera. En toi seront bénies toutes les familles de la terre" (Gn 12,2-3).
A travers l'Alliance singulière qu'il établit avec le peuple élu par lui, Dieu se met, en effet, à la recherche de tous les hommes. Il le manifestera de manière toujours plus claire.
140 L'histoire du peuple de l'Alliance, racontée par la Bible, est faite, pour une part, de ses infidélités. C'est une histoire par bien des points dramatiques. Mais les prophètes maintiennent la foi ancrée sur la fidélité sans faille de Dieu qui se "souvient" de son amour (cf. Gn 8,1 Gn 9,15 Lc 1,54). Et le prophète Jérémie annonce une "Alliance nouvelle", destinée à devenir éternelle (Jr 31,31).
Cette nouvelle Alliance est scellée sur la croix, dans le sang de Jésus, confirmée par la Résurrection, et réalisée par le don du Saint Esprit. "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis", avait déclaré Jésus avant d'entrer dans sa passion (Jn 15,13). C'est cet amour qui fonde et soutient l'Alliance indéfectible établie par Dieu avec les hommes. C'est elle que les chrétiens célèbrent dans l'eucharistie: "Prenez et buvez-en tous", dit le prêtre sur la coupe à la suite de Jésus, "car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l'Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés".
Comme le peuple de la première Alliance, les chrétiens ne cessent de vivre, dans la prière et l'action de grâce, de cette histoire d'Alliance sur laquelle est édifiée leur foi. Mais ce retour en arrière les projette aussi en avant. En effet, l'Esprit leur est donné pour que passe dans leur vie et dans le monde cet amour qui est à la source de l'Alliance et qui en résume tout le contenu.
141 Oui! Un enfant nous est né,
un fils nous a été donné;
l'insigne du pouvoir est sur son épaule
on proclame son nom:
"Merveilleux-Conseiller, Dieu fort,
Père-à-jamais, Prince-de-la-paix."
Is 9,5
142 Pendant les jours de sa vie mortelle,
il a présenté, avec un grand cri
et dans les larmes,
sa prière et sa supplication
à Dieu qui pouvait le sauver de la mort;
et, parce qu'il s'est soumis en tout,
il a été exaucé.
Bien qu'il soit le Fils,
il a pourtant appris l'obéissance
par les souffrances de sa passion;
et, ainsi conduit à sa perfection,
il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent
la cause du salut éternel.
Car Dieu l'a proclamé grand prêtre
selon le sacerdoce de Melchisédech.
He 5,7-9
143 Les chrétiens sont ceux qui ont mis leur foi en Jésus de Nazareth. Ils ont engagé leur vie à sa suite. Ils le confessent, autrement dit le proclament, lui que Dieu "a ressuscité d'entre les morts" (Ac 3,15), comme Fils de Dieu et comme Sauveur, comme Seigneur et Christ, Messie de Dieu. Telle est la foi des apôtres exprimée dès le début de l'Évangile: "Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, le Fils de Dieu" (Mc 1,1). Telle est la tradition unanime de l'Église exprimée dans le symbole de la foi crois en un seul Seigneur, Jésus Christ, le Fils unique de Dieu.
En nous envoyant son Fils, le Dieu de l'Alliance accomplit sa promesse et vient sceller une Alliance nouvelle et définitive avec "humanité, Alliance par laquelle nous sommes libérés du péché et nous pouvons entrer dans une communion de vie avec Dieu, la vie éternelle. C'est pourquoi Saint Jean de la Croix a pu affirmer que Dieu nous a tout dit en son Verbe, c'est-à-dire sa propre Parole qui est son Fils: Dieu n'a plus de révélation nouvelle à nous faire. "Si tu le regardes bien, fait dire Saint Jean de la Croix à Dieu le Père, tu y trouveras tout; parce qu'il est toute ma parole, ma réponse, toute ma vision et révélation, que je vous ai manifestée en vous le donnant pour frère, pour compagnon, pour maître, pour prix et pour récompense. Écoutez-le: car je n'ai plus de foi à révéler ni de choses à manifester" (Montée du Carmel 11,22). En même temps qu'il nous disait tout, Dieu nous donnait tout, puisqu'en son Fils il se donnait lui-même. Nous devons donc inlassablement regarder et écouter Jésus, le Christ Notre Seigneur, afin de le suivre.
144 Que Jésus soit vrai Dieu et vrai homme (cf. DS 294), "livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification" (Rm 4,25), c'est-à-dire pour notre salut, l'Église, depuis sa naissance, n'a cessé de lutter avec toute son énergie pour la sauvegarde de cette donnée fondamentale du témoignage apostolique. Tenir cette vérité se confond avec son existence même. "Si le Christ n'est pas ressuscité, déclarait déjà Saint Paul, notre message est sans objet, et votre foi est sans objet" (1Co 15,14). Mais que signifierait cette affirmation, si nous ne nous préoccupions pas de savoir qui est ce Christ dont Saint Paul annonce la résurrection?
Pour croire en Jésus comme Christ, il faut connaître la vie, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth, telles que les évangiles les rapportent. Ses paroles et ses actes d'homme ont manifesté qu'il y a en lui plus que l'homme. Ils le dévoilent comme le Messie promis et annoncé par les prophètes. Dans la lumière de l'événement pascal et grâce au don de l'Esprit Saint, le mystère de l'origine divine et humaine de Jésus a achevé de se dévoiler aux yeux des disciples et son itinéraire parmi nous a déployé toute sa signification.
C'est dans cette perspective que les évangiles ont été écrits, par des hommes qui ont été témoins des événements de la vie de Jésus, et qui ont cru que Jésus était le Messie. Ils ont vu le signe de son mystère dans toute sa vie terrestre. En ouvrant les évangiles, nous sommes invités à regarder et à écouter Jésus vraiment homme, afin de le reconnaître et de l'aimer comme le Sauveur, le Seigneur et le Fils de Dieu. Nous sommes appelés à nous laisser initier par les évangiles au regard de foi qu'ils portent sur le mystère de Jésus.
145 Quel chemin va donc être le nôtre? Nous recueillerons ce que le Nouveau Testament nous dit de la venue en notre monde de Jésus, Christ et Fils de Dieu. Puis nous suivrons longuement l'itinéraire qu'emprunte Jésus au cours de sa vie publique, jusqu'à sa Pâque et au don de l'Esprit de Pentecôte.
Il restera alors à déployer encore les richesses des mystères entrevus: les enseignements et les actes de Jésus, sa passion, sa résurrection et la Pentecôte ont révélé que Dieu est Père, Fils et Esprit; la Tradition de l'Église a reconnu et approfondi dans sa foi ce mystère de Dieu Trinité; elle a aussi, dans les conciles, défini l'identité du Christ comme vrai Dieu et vrai homme, et réfléchi au mystère central de la rédemption et du salut.
Ce chemin de la Tradition ecclésiale sera aussi le nôtre.
146 S'intéresser à l'identité de quelqu'un c'est toujours s'intéresser à son origine. Il était inévitable que la question se pose à propos de Jésus. D'où venait-il? Qui était-il au regard de Dieu avant sa manifestation parmi les hommes? La réponse est nette: en Jésus, Dieu ne s'est pas donné un Fils, il nous a donné son Fils, celui qui appartient depuis toujours à son être même. Cette réponse s'exprime de manière différente dans les diverses traditions de l'Église apostolique.
147 Le point de départ de la foi de Paul est l'expérience du chemin de Damas, où il a vu le Seigneur ressuscité (cf. 1Co 9,1 et 15,8). Mais sa réflexion sur le Christ s'exprime très vite dans le thème de l'envoi du Fils dans notre chair: "Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils" (Ga 4,4 cf. Rm 8,3). Cet envoi s'inscrit, pour Paul, dans une très large perspective, qui englobe à la fois le commencement et la fin de l'histoire du salut, la Création et la Parousie.
S'il est vrai que dans le Christ
on se réconforte les uns les autres,
si l'on s'encourage dans l'amour,
si l'on est en communion dans l'Esprit,
si l'on a de la tendresse et de la pitié,
alors, pour que ma joie soit complète,
ayez les mêmes dispositions, le même amour,
les mêmes sentiments;
recherchez l'unité.
Ne soyez jamais intrigants ni vantards,
mais ayez assez d'humilité
pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes.
Que chacun de vous ne soit pas préoccupé
de lui-même, mais aussi des autres.
Ayez entre vous les dispositions
que l'on doit avoir dans le Christ Jésus:
Lui qui était dans la condition de Dieu,
il n'a pas jugé bon de revendiquer
son droit d'être traité à l'égal de Dieu;
mais au contraire, il se dépouilla lui-même
en prenant la condition de serviteur.
Devenu semblable aux hommes
et reconnu comme un homme à son comportement,
il s'est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu'à mourir,
et à mourir sur une croix.
C'est pourquoi Dieu l'a élevé au-dessus de tout;
il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms,
afin qu'au Nom de Jésus,
aux cieux, sur terre et dans l'abîme,
tout être vivant tombe à genoux,
et que toute langue proclame:
"Jésus Christ est le Seigneur",
pour la gloire de Dieu le Père.
Ph 2,1-11
148 C'est ainsi que l'hymne liturgique de l'épître aux Philippiens décrit, en une longue séquence, l'abaissement de celui qui était "de condition divine" et qui prit "la condition de serviteur". S'étant "dépouillé lui -même" jusqu'à l'obéissance de la mort en croix, le Christ Jésus a été "élevé" par Dieu "au-dessus de tout" (cf Ph 2,6-11). Son itinéraire prend place entre une origine et une fin qui sont en Dieu.
L'hymne de l'épître aux Colossiens, elle, chante le Fils, qui est "l'image du Dieu invisible, le premier-né par rapport à toute créature, car c'est en lui que tout a été créé (...) et tout subsiste en lui car Dieu a voulu que dans le Christ toute chose ait son accomplissement total. Il a voulu tout réconcilier par lui et pour lui, sur la terre et dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix" (Col 1,15-20 cf. aussi He 1,2-3).
La longue prière de bénédiction qui ouvre l'épître aux Éphésiens (Ep 1,3-14) élargit encore le rôle du Christ en nous faisant pénétrer dans le mystérieux domaine de ce qui précède toute la Création. Le dessein de Dieu est de tout réunir "sous un seul chef, le Christ" (Ep 1,10). Il s'agit d'une élection de tous les hommes dans la grâce de Dieu, accomplie dans le Christ "avant la création du monde" (Ep 1,4). Ainsi, dès avant la création du monde, Dieu est le Père de Jésus Christ, puisque celui-ci est le Verbe éternel descendu jusqu'à nous. Paul anticipe dans l'éternité de Dieu l'appellation de Jésus comme Christ et Seigneur.
149 D'après le témoignage du quatrième évangile, la vie de Jésus plonge en Dieu: il est sorti de Dieu, le Père qui l'a envoyé, et il va vers Dieu (cf. Jn 13,3 Jn 14,3-4). Dans ce même évangile Jésus se dit lui-même et se nomme. Son "je" y est particulièrement fréquent et lié à la formule "je suis" (cf Jn 4,26 Jn 6,35 etc.), parfois employée de manière absolue et évoquant la révélation du nom de Dieu à Moïse (cf Jn 8,28 Jn 13,19 Ex 3,14). La réponse qu'il apporte aux questions sur son identité et son origine invite toujours à regarder plus loin, aussi bien en avant qu'en arrière: "Nul n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel" (Jn 3,13), et la gloire qu'il obtient au terme de son itinéraire est celle qu'il avait auprès du Père avant la création du monde (cf. Jn 17,5).
Dans le prologue de son évangile, Saint Jean remonte en Dieu jusqu'à ce commencement plus absolu que celui de la Genèse, où le Verbe était, où il préexistait, à la fois auprès de Dieu et Dieu lui-même. Puis il nous livre cette affirmation, appelée à inspirer l'enseignement de l'Église dans toute la suite de son histoire: "Le Verbe s'est fait chair" (Jn 1,14). Le prologue se termine par ces paroles qui disent, à la fois, qui est Jésus, d'où il vient, et pourquoi il est venu: "Dieu, personne ne l'a jamais vu; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c'est lui qui a conduit à le connaître" (Jn 1,18).
Catéchisme France 122