Catéchisme France 178
178 La parole de Jésus frappe d'emblée par son autorité (cf Mc 1,22). Cette autorité apparaît dans la certitude que Jésus manifeste d'être le porteur définitif du salut. Elle apparaît dans la puissance qu'il a d'ouvrir les coeurs, d'éclairer les intelligences, de pardonner les péchés, de guérir les corps, de chasser les démons, de maîtriser les éléments (cf. Mc 4,39-41). Elle se manifeste aussi par la manière dont Jésus s'engage dans ce qu'il dit. C'est d'ailleurs cela qui suscite les adhésions, mais aussi les refus.
Cette autorité de la parole de Jésus s'appuie sur une affirmation inouïe, celle d'une relation unique avec Dieu, qu'il appelle son Père. Il parle et agit au propre nom de celui-ci, "avec la puissance de l'Esprit" (Lc 4,14). Cette autorité manifeste, pour celui qui reconnaît la voix de Jésus qu'en lui c'est véritablement Dieu qui parle.
179 Jésus a vécu selon la Loi de Moïse mais il se permet de la reprendre, non pour l'abroger mais pour l'accomplir (cf. Mt 5,17).
Dans le discours sur la montagne, il propose une exigence supérieure à celle de la Loi sur quelques points importants (cf. Mt 5-7). A la question posée sur la possibilité de répudier une épouse, Jésus, agissant comme interprète de la Loi, répondra: "C'est en raison de votre endurcissement que Moïse vous a concédé de renvoyer vos femmes. Mais au commencement, il n'en était pas ainsi" (Mt 19,8). Jésus change les traditions des hommes au nom du dessein divin qui était inscrit dans la Création originelle. En même temps, il prend de la distance par rapport à des pratiques extérieures et des jugements qui, non seulement, sont un joug que personne n'a pu porter (cf. Ac 15,10), mais risquent d'écraser les plus petits et les plus faibles. Dans la controverse sur le pur et l'impur, il rétablit le vrai sens des pratiques (cf. Mt 15,10-20). Dans l'épisode des vendeurs chassés du Temple (cf. Mc 11,15-19), Jésus marque son autorité en rappelant l'importance et le sens du Temple: "L'Écriture ne dit-elle pas: Ma maison s'appellera maison de prière pour toutes les nations?" (Mc 11,17).
180 "Qui donc peut pardonner les péchés, sinon Dieu seul?" (Mc 2,7). Or, à deux occasions au moins, Jésus déclare ce pardon de la manière la plus formelle: au paralytique de Capharnaüm (cf. Mt 9,1-8) et à la pécheresse venue baigner ses pieds de larmes chez Simon le pharisien (cf. Lc 7,36-50). Dans ces deux épisodes, l'audace de la parole de pardon prononcée par Jésus fait sursauter les auditeurs. Jésus, quand il pardonne au paralytique, ne se justifie pas en invoquant l'autorité de Dieu. Il parle de lui-même et confirme son pouvoir de pardonner par celui qu'il a de guérir.
181 Appelés par Jésus, les pêcheurs du lac quittent leur barque et leur père pour se consacrer au Royaume à la suite du Maître. "Celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi" (Mt 10,37). La relation à Jésus est première, avant les affections les plus légitimes de la famille. Il demande que l'on perde sa vie à cause de lui (cf. Mt 10,39). Il proclame que la décision de fond que l'on prend à son égard a valeur définitive et ultime. Se décider pour ou contre lui, c'est se décider pour ou contre Dieu. Les disciples sont ainsi invités à faire "à cause de lui" ce qu'il n'est légitime de faire qu'à cause de Dieu.
182 Ce Jésus, dont le comportement et la Parole sont uniques, qui est-il en définitive? Israël attendait le Messie, ne serait-ce pas lui?
Au début de son ministère, à la synagogue de Nazareth, Jésus s'applique à lui-même un passage d'Isaïe (cf. Lc 4,18-21) où il affirme être le Prophète annoncé. A l'adresse de Jean Baptiste, Jésus souligne la correspondance entre les promesses messianiques et ce,qui se passe depuis qu'il a commencé à annoncer le Royaume, revendiquant ainsi la qualité de Messie (cf. Mt 11,3-5); mais il est Messie serviteur, celui qui deviendra le Serviteur souffrant.
C'est lui le Messie de Dieu, objet des espérances d'Israël et dont toute l'histoire Sainte a annoncé et préparé la venue: "Je ferai avec vous une Alliance éternelle, qui confirmera ma bienveillance envers David" (Is 55,3 cf. Lc 1,31).
183 Mais Jésus évite tout ce qui pourrait créer une confusion avec un messianisme temporel. Il tient à se retrouver du côté des pauvres et des exclus; il est venu pour les pécheurs (cf. Lc 5,32). Il se méfie de l'enthousiasme ambigu des foules et demande à ses proches le secret sur sa véritable identité (cf. Mc 9,9-10).
Jésus pose la question de son identité à ses disciples quand Il les interroge sur la mission qu'ils ont effectuée en son nom: "Et Vous, que dites-vous? Pour vous, qui suis-je?" (Mt 16,15). Pour Pierre, comme pour l'Église et pour chaque chrétien, la réponse "Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant" (Mt 16,16), réponse qui est une révélation venue du Père des cieux, est indissociable de la mission que Dieu veut leur confier. L'Évangile présente d'autres confessions de foi (cf. Mc 15,39 Jn 4,42 Jn 6,68-69). L'expression "Fils de Dieu" ne déploiera tout son sens au regard des disciples qu'à travers l'épreuve de la passion et sous la lumière de Pâques et de Pentecôte.
184 Mais, dès le temps de sa vie terrestre, Jésus, quant à sa relation à Dieu, se présente bien comme le Fils. Il l'appelle "Père" et entretient avec lui une relation d'intimité unique: "Le Père et Moi, nous sommes un" (Jn 10,30). Cette relation privilégiée, Jésus l'exerce toute sa vie dans la prière, qui constitue la respiration de son existence et dans laquelle intervient l'Esprit, comme le souligne Saint Luc. "Jésus exulta de joie sous l'action de l'Esprit Saint, et il dit: Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange (...) Tout m'a été confié par mon Père; personne ne connaît qui est le Fils sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler" (Lc 10,21-22). Au cours de l'agonie, Jésus emploie de manière bouleversante une appellation filiale, "Abba", pour s'adresser à Dieu (Mc 14,36). Le nom de "Fils" est l'expression la plus juste de la vérité profonde de Jésus.
185 "A partir de ce moment", où Pierre avait reconnu en Jésus "le Messie, le Fils du Dieu vivant", celui-ci "commença à montrer à ses disciples qu'il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup (...), être tué et le troisième jour ressusciter" (Mt 16,21). Cette annonce fut refusée par Pierre, qui montrait ainsi qu'il avait encore beaucoup à découvrir de la révélation qu'il avait reçue du Père. C'est alors que les évangiles situent l'épisode de la transfiguration de Jésus sur la montagne, devant trois témoins, Pierre, Jacques et Jean (cf. Mt 17,1-9 Mc 9,2-10 Lc 9,28-36). A côté de Jésus, environné de lumière, apparaissent ces deux témoins de l'Alliance que sont Moïse et Élie.
La seconde lettre de Saint Pierre gardera l'écho émerveillé de cet événement: "Pour vous faire connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, nous n'avons pas eu recours aux inventions des récits mythologiques, mais nous l'avons contemplé lui-même dans sa grandeur. Car il a reçu du Père l'honneur et la gloire quand est venue sur lui., de la gloire rayonnante de Dieu, une voix qui disait: Celui-ci est mon Fils bien-aimé. En lui j'ai mis tout mon amour" (2P 1,16-17).
Jésus a donc manifesté, pendant quelques instants, sa gloire de Fils, et a confirmé la confession de foi de Pierre. Mais la Transfiguration prélude aussi à "l'exode" que sera la passion de Jésus à Jérusalem (cf. Lc 9,30-31), et prépare les disciples à mieux traverser cette épreuve.
La Transfiguration, enfin, anticipe en quelque sorte la venue du Christ en gloire, "qui transformera nos pauvres corps à l'image de son corps glorieux" (Ph 3,21).
Le mystère de la Transfiguration occupe une place importante dans la tradition des Églises d'Orient, dont la piété s'est toujours nourrie avec prédilection de la figure du Christ rayonnant la lumière de sa divinité.
186 Dès le début de son ministère Jésus rencontre la contradiction de la part de certains juifs, "scribes et pharisiens", "chefs des prêtres", "anciens",... ceux qui ne peuvent admettre la nouveauté de son message, si fortement marqué par la miséricorde de Dieu. Tout au long de sa prédication, ils se manifestent de plus en plus comme ses adversaires déclarés. Progressivement, parmi ses auditeurs, le clivage se durcit entre ceux qui croient et ceux qui refusent de croire. La condamnation à mort sera l'aboutissement de ce refus.
L'évangile selon Saint Jean présente même toute la prédication de Jésus comme un long procès qui aboutit à sa mort. La.dernière montée à Jérusalem s'accomplit dans un climat tel qu'il devient manifeste que Jésus marche vers la mort habituellement réservée aux prophètes. Mais il ne dévie pas de sa mission. Aussi le "juste" va-t-il tomber aux mains des pécheurs et sceller de son sang l'annonce du Royaume à laquelle il a consacré sa vie. Il révélera ainsi de manière définitive qui il est véritablement et quel salut il est venu apporter aux hommes.
187 Dans les évangiles, les récits de la passion et de la résurrection de Jésus tiennent une place considérable. La foi de l'Eglise a toujours vu et célébré dans l'événement pascal, avec sa double face de souffrance et de gloire, le sommet de la Révélation, et la confirmation de tout ce qui avait été déjà perçu par les disciples quant à l'identité divine de Jésus. Cette Pâque, qui trouve son accomplissement dans le don de l'Esprit de Pentecôte, est l'oeuvre de l'amour du Père et de l'amour du Christ, plus forts que la haine des hommes pécheurs et que la mort elle-même.
188 C'est la Pâque de notre salut,
c'est lui qui, en tant d'hommes,
souffrit tant de maux;
c'est lui qui en Abel fut assassiné,
en Isaac fut enchaîné,
en Jacob fut jeté en terre étrangère,
en Joseph fut vendu, en Moïse fut exposé,
en l'agneau fut immolé, en David fut traqué,
dans les prophètes fut méprisé.
C'est lui qui, en une vierge, prit chair,
sur le bois fut crucifié, en terre fut enseveli,
d'entre les morts ressuscita,
et au plus haut des cieux fut élevé.
C'est lui l'agneau sans voix,
c'est lui l'agneau égorgé
c'est lui l'enfant de Marie.(...)
C'est lui qui du troupeau fut tiré,
et à la mort fut mené, et le soir fut immolé
et la nuit inhumé.
C'est lui qui sur le bois ne fut point broyé,
en terre ne se corrompit pas,
d'entre les morts ressuscita et ressuscita l'homme
du fond de la tombe
jusqu'au plus haut des cieux.
Méliton, évêque de Sardes (Asie Mineure), mort vers 190.
189 Jésus sait bien qu'il monte vers sa mort (cf. Mc 10,32-34). Cette mort, il ne la subit pas comme une fatalité. Il l'accepte en toute liberté et lui donne sens. Il en fait le don de sa vie (cf. Jn 15,13).
190 C'est au cours du dernier repas partagé avec ses disciples qu'il révèle le sens de sa mort. Il prend le pain et le vin et leur dit: "Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi. (...) Cette coupe est la nouvelle Alliance établie par mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi" (1Co 11,24-25).
Son corps et son sang signifient la totalité de sa personne, donnée aux siens sous une double forme: d'une part, l'institution de l'eucharistie; d'autre part, son corps livré et son sang versé sur la croix pour le pardon des péchés. Les deux dons sont liés au point de n'en faire qu'un seul. L'eucharistie exprime le sens même que Jésus a voulu donner à sa mort: il donne sa vie pour que nous ayons la Vie. Mais ce don de sa vie que Jésus a réalisé sur la croix, ce don plénier de l'amour divin, il nous est effectivement communiqué dans eucharistie. A chaque fois que nous mangeons ce pain et que nous buvons à cette coupe (cf. 1Co 11,25), nous recevons en nourriture de vie celui qui a accompli sa Pâque, celui qui a été "livré pour nos fautes et [qui est] ressuscité pour notre justification!" (Rm 4,25). Par la célébration de l'eucharistie, le mystère de sa croix et de sa résurrection restera perpétuellement présent et agissant dans la vie des croyants. A la Cène, Jésus scelle l'identité entre son enseigne la manifestation suprême sera la croix.
191 C'est aussi au cours de ce dernier repas que Jésus lave les pieds de ses disciples (cf. Jn 13,1-15). Selon Saint Jean, qui nous rapporte la scène? ce geste d'humble service est une annonce prophétique de ce que Jésus va faire sur la croix. Par le baptême de sa passion et de sa mort, il va rendre aux hommes le service suprême: les laver, les purifier par son sang, pour qu'ils "aient part" (cf. Jn 13,8) avec lui. Mais en accomplissant ce geste, Jésus nous donne aussi un exemple, afin que nous fassions, nous aussi, comme il a fait pour nous (cf. Jn 13,15). Ceux qui reçoivent l'eucharistie sont appelés à l'amour et au service fraternel, jusqu'à donner leur vie pour leurs frères.
192 Jésus parle de sa mort comme d'un sacrifice, et en fait une Alliance nouvelle par rapport à la première Alliance. Sa mort sera un sacrifice d'obéissance et d'amour. Ce sacrifice, c'est l'accueil total par Jésus de l'amour du Père: au coeur même de ce qui peut, le plus, éloigner l'homme de Dieu (la souffrance et l'approche de la mort), Jésus sait que le Père l'aime et il reçoit cet amour comme l'appui d'une confiance que rien n'ébranlera. Ce sacrifice, c'est le don total de lui-même au Père, pour ses frères, dans l'accomplissement jusqu'au bout du double commandement qui résume la Loi et les Prophètes: aimer Dieu et son prochain. Toute la vie de Jésus a été une existence pour le Père et pour ses frères. De même, sa mort est une mort "pour la multitude" (Mc 14,24) selon ce qui avait été annoncé (cf. Is 53,11-12), c'est-à-dire pour tous, "pour nous". Ce "pour nous" est inscrit dans toute l'attitude de Jésus: il deviendra la base de la réflexion de l'Écriture et de l'Église sur la Rédemption.
Accueil total et don total, le sacrifice de Jésus est la manifestation suprême de son amour pour le Père. Il s'y révèle vraiment comme le Fils, qui est en relation avec le Père dans l'unité d'un même Esprit: "Poussé par l'Esprit éternel, Jésus s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache" (He 9,14).
Par ce sacrifice, Jésus révèle le sens du sacrifice chrétien, qui met en oeuvre notre passage (Pâque) en Dieu dans la communion fraternelle, à quelque prix que ce soit, fût-ce au prix de la souffrance et de la mort.
193 Après ce dernier repas Jésus entre en agonie, c'est-à-dire en une lutte intérieure entre le désir de ne pas être livré à la "domination des ténèbres" (Lc 22,53), d'échapper à la mort sanglante qui s'annonce, et celui d'accomplir jusqu'au bout la volonté du Père et la mission reçue. Jésus avoue qu'il est "triste à en mourir" (Mt 26,38), il demande alors l'aide de la présence et de la prière de trois des siens. Ceux qui avaient été les témoins de sa transfiguration deviennent aujourd'hui les témoins de sa défiguration. En cette scène douloureuse de combat et de tentation, en cette heure d'angoisse, Jésus partage la détresse de tout homme devant la mort.
Ainsi, nous parlons "d'agonie" pour désigner les heures douloureuses de souffrance physique et morale qui précèdent immédiatement la mort.
Gethsémani est surtout à comprendre dans la perspective de ce qui est l'enjeu même de la passion: le salut de l'humanité. L'agonie de Jésus révèle à la fois sa souffrance devant le refus opposé par l'homme à l'Alliance que Dieu lui offre, et son union avec le Père dans sa volonté de racheter le monde.
A la différence de ses disciples, qui ne peuvent s'empêcher dormir, Jésus donne l'exemple d'une prière incessante, répétant mêmes paroles: "Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite" (Mt 26,42).
194 Jésus est alors arrêté sur les indications du traître Judas. Il comparaître dans un double procès: juif d'abord, au cours duquel Sanhédrin, le Grand Conseil, présidé par Caïphe, l'accuse formellement de blasphème, pour avoir répondu "Vous dites bien, je le suis" à la question "Tu es donc le Fils de Dieu?"; puis romain, avec la comparution devant Pilate, le gouverneur de la province, qui seul a le droit de condamner à mort et de faire exécuter la sentence. ce double "procès", qui n'est pas sans rappeler le thème du "procès" entre Dieu et son peuple dans l'Ancien Testament (cf. Os 4,1), les évangélistes, dont les récits de la passion sont d'une discrétion toute de pudeur, montrent que la mort de Jésus est le fait des hommes, de tous les hommes, qui se sont unis dans la même complicité pécheresse pour mettre Jésus à mort. Jésus est le juste la vie et le témoignage étaient devenus insupportables à leurs yeux. Il est l'Innocent condamné.
"Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ, ce qui a été commis durant sa passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les juifs vivant alors, ni aux juifs de notre temps. S'il est vrai que l'Église est le nouveau peuple de Dieu, les juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture.(...) D'ailleurs, comme l'Église l'a toujours tenu et comme elle le tient, le Christ, en vertu de son immense amour, s'est soumis volontairement à la passion et à la mort à cause des péchés de tous les hommes et pour que tous les hommes obtiennent le salut" (NAE 4).
195 Pourquoi donc Jésus est-il mort sur la croix? Il faut distinguer deux sens à ce "pourquoi". A cause de quoi ou de qui? A cause des hommes pécheurs qui ont condamné Jésus à mort. C'est d'ailleurs ce que dit Pierre dans le discours de la Pentecôte: "Ce même Jésus que vous avez crucifié, Dieu a fait de lui le Seigneur et le Christ" (Ac 2,36). En vue de quoi? Pour que Jésus accomplisse sa mission de salut, de réconciliation des hommes avec Dieu et pour leur donner la vie éternelle: "Hérode et Ponce Pilate, avec les païens et le peuple d'Israël, ont accompli tout ce que tu avais décidé d'avance, dans ta puissance et ta sagesse" (Ac 4,27-28). Ainsi s'expriment dans leur prière les apôtres et les premiers chrétiens!
196 La foi peut scruter les données historiques de la mort de Jésus, transmises fidèlement par les évangiles, afin de mieux comprendre le sens de la Rédemption. On voit alors à l'oeuvre, simultanément, et la liberté des hommes, dont le péché va jusqu'à mettre à mort l'innocent, et la liberté souveraine de Jésus qui s'engage à l'intérieur même des fruits amers du péché pour y faire triompher l'amour: "Celui qui n'a pas connu le péché, Dieu l'a pour nous identifié au péché des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu" (2Co 5,21).
La mise à mort de Jésus est bien le "jugement", au sens où l'évangile selon Saint Jean en parle: dans le meurtre de l'innocent par excellence (comme par la suite, avec la mise à mort des martyrs, à commencer par Étienne), paraît en pleine lumière la manière dont le péché mène à la mort. L'attitude et la parole de Jésus affirment l'amour du Père pour tous et l'étendue de sa miséricorde. Mais cela choque ceux qui ne voient pas comment, en aimant comme le Père aime, aussi bien le pécheur, la femme perdue, l'étranger, l'exclu que le juste, Jésus accomplit la Loi et le culte en esprit et en vérité.
Non seulement Jésus est jugé et condamné par les autorités religieuses et politiques, après avoir été trahi par judas, mais il est bafoué et torturé par les soldats, hué à mort par la foule qui lui préfère Barabbas, délaissé par les siens et renié par Pierre, le premier de ses disciples. Abandonné à sa solitude, il fait l'expérience de l'échec et de la contradiction totale.
Ainsi l'oeuvre de mort est le fait des hommes; l'oeuvre de vie est le fait de Dieu. Seulement le dessein d'amour de Dieu (cf. 1Jn 4,10) a fait servir cette mort à la réconciliation et au salut de ceux-là mêmes qui l'ont infligée. Il "fallait" que Jésus, pour accomplir sa mission, accepte de se livrer aux mains des pécheurs.
Le langage anthropomorphique de l'Écriture, qui exprime le dessein de Dieu, ne doit pas conduire à penser que ceux qui ont livré Jésus ont été seulement les exécutants passifs et irresponsables d'un scénario écrit d'avance. Le plan de Dieu s'est réalisé dans l'histoire, cette histoire que fait la liberté des hommes.
197 Jésus est condamné à subir la mort en croix, supplice des esclaves et des criminels de droit commun. Supplice infamant, en même temps qu'atroce. Sur la croix, il prononce quelques paroles, rapportées par l'un ou l'autre des récits évangéliques, mais dont il faut tenir ensemble le sens. Ainsi les paroles de détresse, en particulier le "mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" (Mt 27,46 Mc 15,34). Ce grand cri, que la tradition juive applique au Juste souffrant, est l'expression de l'abîme où peut descendre l'homme qui se sent abandonné de Dieu, mais il est aussi une prière confiante, dans la mesure où Jésus reprend ici la première phrase du psaume 21, dont la seconde partie est une proclamation d'espérance au fond même du malheur, un abandon filial.
La parole de Jésus en croix a été, à travers toute la Tradition de l'Église, la consolation de ceux qui souffrent de toutes les formes humaines de détresse et d'injustice, aux limites d'une espérance possible. Il n'y a pas de détresse, ni d'abandon humain que Jésus ne soit venu rejoindre sur la croix. En lui, Dieu est vraiment avec nous, partageant chacune des souffrances humaines. En lui, l'incessant cri de détresse de l'humanité monte vers Dieu. Cependant, la souffrance de Jésus est un abîme dont aucun être humain n'a sondé toute la profondeur: il est "l'Agneau de Dieu qui porte le péché du monde" (Jn 1,29).
Le dernier souffle de Jésus s'accompagne à nouveau d'un grand cri, manifestant qu'il donne librement sa vie, qu'on ne la lui arrache pas (cf. Jn 10,18) et le centurion romain, qui sait comment meurent d'épuisement et d'étouffement les crucifiés, comprend et peut s'écrier: "Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu!" (Mc 15,39).
198 Saint Luc et Saint Jean donnent à la mort de Jésus un éclairage complémentaire. Chez Luc, Jésus pardonne à ses bourreaux (cf. Lc 23,34), promet le paradis "aujourd'hui" au malfaiteur repentant (23,43), et sa dernière parole est un mot d'abandon confiant en entre les mains du Père: "Père, entre tes mains je remets mon esprit" (23,46). Jean, de son côté, nous rapporte l'émouvante parole de Jésus à sa mère et au disciple qu'il aimait: "Femme, voici ton fils. (...) Voici ta mère" (Jn 19,26-27). Et il remit l'esprit, après avoir dit: "Tout est accompli" (Jn 19,30).
Jésus a manifesté sur la croix une confiance filiale absolue envers le Père, ainsi qu'un amour infini pour tous, les ennemis comme les êtres les plus chers dans une détresse et un abandon que nous avons peine à imaginer.
199 "Scandale et folie"... "Puissance et sagesse"
"Nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les peuples païens. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu'ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie est puissance de Dieu et sagesse de Dieu" (1Co 1,23-24). Cette parole de Paul rappelle le mouvement de conversion qui est sans cesse à réaliser pour reconnaître le Sauveur en un homme crucifié. La croix a été, est et restera toujours un scandale et une folie. Et pourtant "la folie de Dieu est plus sage que l'homme, et la faiblesse de Dieu est plus forte que l'homme" (1Co 1,25).
Pour demeurer au pied de la croix, il faudra toujours une conversion du regard: "Ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé" (Jn 19,37).
Une telle mort n'inspire pas seulement le respect, elle révèle l'être de Jésus, son lien filial au Père. Car, assumée en toute liberté, par amour et par obéissance à la mission reçue du Père, elle est révélation de la gloire de Dieu lui-même. Elle est le témoignage ultime et inépuisable que "Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas" (Jn 3,16). L'évangile selon Saint Jean invite déjà à cette contemplation, par sa manière de relier élévation de Jésus sur la croix et élévation glorieuse de Jésus ressuscité. "Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai à moi tous les hommes" (Jn 12,32). Jésus, couronné d'épines, règne en vérité sur le bois de la croix. La blessure du côté ouvert, d'où il sort du sang et de l'eau, exprime toute la fécondité de cette mort pour l'Église (cf. Jn 19,31-37).
200 Après sa mort Jésus a été mis au tombeau, c'est-à-dire caché dans le sein de la terre, signe qu'il est vraiment mort. Selon la tradition juive, l'homme, après la mort, descendait aux enfers, au shéol, lieu symboliquement placé sous la terre, là où les morts dépourvus de corps menaient une ombre de vie, exclus de la présence de Dieu. Le Nouveau Testament nous dit que Jésus "est allé proclamer son message à ceux qui étaient prisonniers de la mort" (1P 3,19 cf. Ep 4,9-10).
Ces données du Nouveau Testament, qui s'expriment à travers une représentation du monde largement marquée par son époque, sont à l'origine d'un article du Credo "Il est descendu aux enfers". L'affirmation comporte un double aspect. D'une part, Jésus est descendu dans le royaume de la mort, avec tout ce que celle-ci comporte d'obscurité et d'opacité. Il est allé au coeur de notre impuissance et en a brisé les sceaux. D'autre part, la descente de Jésus dans les enfers signe sa victoire sur cette mort et sur les puissances du mal qui, depuis les origines, régnaient sur l'humanité. Il a vaincu les enfers en rachetant l'humanité qui l'a précédé dans l'histoire. Les premiers chrétiens se sont demandé: pourquoi le Christ est-il venu si tard et comment a-t-il pu racheter l'immense foule des hommes venus avant lui!? La descente aux enfers de Jésus dit la dimension universelle de ce qu'il a accompli: toutes les Générations sont rachetées par sa mort.
201 La résurrection de Jésus est le fondement et l'objet par excellence de la foi et de l'espérance chrétiennes. "Si le Christ n'est pas ressuscité, déclare Saint Paul, notre message est sans objet, et votre foi est sans objet" (1Co 15,14). Les chrétiens sont chargés, à la suite des apôtres, d'annoncer au monde cette "bonne nouvelle" "Christ est ressuscité!"
Lorsque Paul veut "rappeler" aux Corinthiens la "Bonne Nouvelle" qu'il leur a annoncée et par laquelle ils seront "sauvés" (cf. 1Co 15,1-2), il leur dit: "je vous ai transmis ceci, que j'ai moi-même reçu: le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, et il a été mis au tombeau; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, et il est apparu à Pierre, puis aux Douze; ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois - la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont morts -, ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. Et, en tout dernier lieu, il est même apparu à l'avorton que je suis" (1Co 15,3-8).
202 Dans cette profession de foi, que Paul a lui-même reçue de la tradition antérieure, se trouvent d'emblée les affirmations majeures du Nouveau Testament sur la résurrection du Christ.
Avant la mention de la résurrection, il y a celle de la mort et de la mise au tombeau: Jésus est réellement mort. Cette mort est une mort "pour nos péchés". Victoire sur la mort, la Résurrection sera victoire sur le péché et réconciliation de l'homme avec Dieu pour qu'il retrouve la vie.
Quant à la résurrection elle-même, elle fait l'objet de plusieurs affirmations. D'abord le fait: Jésus, mort, s'est "levé" d'entre les morts. C'est arrivé le "troisième jour": cette expression, de valeur chronologique, est aussi à comprendre en fonction de l'accomplissement des prophéties (cf. Os 6,1-2 Mt 12,40 et le signe de Jonas; Mt 26,61 Mc 15,29 Jn 2,19-20 et le signe du Temple). Cette résurrection le troisième jour s'est accomplie "conformément aux Écritures": la résurrection de Jésus est située dans l'économie du salut, et les Écritures trouvent leur sens dans l'événement de la résurrection. Paul fait ensuite appel aux témoins.
203 Personne n'a assisté à la résurrection de Jésus. Celle-ci a d'abord été annoncée par un messager de Dieu, un ange (ou deux anges, selon Luc). Devant la pierre roulée du tombeau, "Vous, soyez sans crainte! déclare-t-il. je sais que vous cherchez Jésus le Crucifié. Il n'est pas ici, car il est ressuscité, comme il l'avait dit. Venez voir l'endroit où il reposait. Puis, vite, allez dire à ses disciples: Il est ressuscité d'entre les morts; il vous précède en Galilée: là vous le verrez!" (Mt 28,5-7).
Ces paroles de l'ange s'adressent aux femmes qui étaient présentes lorsque le corps de Jésus avait été mis au tombeau (cf. Mt 27,61 Mc 15,47). Le premier jour de la semaine, ce sont elles qui viennent, les premières, à la tombe et la trouvent vide; ce sont elles qui, les premières, reçoivent l'annonce de la résurrection. Elles ne font pas partie, par la suite, des témoins officiels, au même titre que les apôtres, mais c'est d'elles que ceux-ci ont reçu le premier message.
204 Le tombeau vide, découvert par les femmes, par Pierre et le disciple que Jésus aimait, est un signe, en soi négatif, de la résurrection. Les évangiles le savent. Ils évoquent l'interprétation des grands prêtres, qui chercheront à le faire passer pour le résultat une supercherie des disciples, qui auraient, de nuit, fait disparaître le corps. Aussi ce signe du tombeau vide ne doit-il pas être paré de l'ensemble du témoignage, et en particulier du récit des apparitions.
Il n'en est pas moins un signe essentiel de l'événement de résurrection. Par sa disparition inexplicable du tombeau, le corps de Jésus manifeste qu'il a échappé à l'ordre des phénomènes, tel que nous l'expérimentons, et à la loi universelle de la corruption. L'ordre du monde, dont nous avons l'expérience, connaît ici une rupture Le corps de Jésus est déjà le lieu du grand retournement qui sera celui de tout l'univers à la fin des temps. Le tombeau vide témoigne de la continuité entre le corps mortel de Jésus et son corps glorieux, malgré la discontinuité radicale de ces deux états.
205 Si personne n'a assisté à la sortie du tombeau, Jésus ressuscité s'est donné à voir "aux témoins que Dieu avait choisis d'avance", comme le déclarera Pierre chez Corneille, "à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d'entre les morts" (Ac 10,41).
Les disciples de Jésus n'ont cessé d'attester avec force et persévérance, et même au péril de leur vie, avoir vu Jésus vivant. "Il a été vu", ou encore, comme on peut aussi traduire "il s'est donné à voir" (1Co 15,5-7). Telle est la manière dont cette expérience, avec sa dimension sensible, est généralement exprimée. On ne peut suspecter la sincérité des témoins. Pour autant, il faut se garder de réduire cette "vision" à une vision ordinaire. En effet, si l'expérience sensible des disciples atteste bien la réalité corporelle du Ressuscité (cf. Lc 24,36-43 Jn 20,24-27), elle manifeste également que le corps du Christ ressuscité ne se laisse plus enclore dans les limites du monde physique où pourtant très réellement il se montre. Il n'est pas arrêté par les portes closes de la peur (cf. Jn 20,19 Jn 20,26), pas plus qu'il n'est resté emprisonné par la pierre du tombeau. Il peut se laisser toucher par Thomas (cf. Jn 20,27), mais il refuse qu'on mette les mains sur lui. Il se fait reconnaître par Madeleine en l'appelant par son nom, mais il lui interdit de le toucher, en voulant le retenir (Jn 20,16-17).
206 La résurrection de Jésus n'est pas un retour à son mode de vie antérieur, le nôtre, établi sous la loi de la mort. A cet égard la résurrection de Jésus diffère radicalement d'une résurrection provisoire, comme celle de Lazare ou de telle ou telle autre accomplie par Jésus (cf. Saint Thomas d'Aquin, Somme théologique III 53,3). "Ressuscité d'entre les morts, le Christ ne meurt plus; sur lui la mort n'a plus aucun pouvoir" (Rm 6,9).
Ainsi est-ce toujours sur une initiative gratuite de sa part que Jésus rend son corps, au-delà de la mort, visible à des hommes et des femmes qui ne sont pas ressuscités. Les récits d'apparitions insistent fortement sur l'originalité absolue de la présence de Jésus. Il se rend présent et il disparaît selon un mode nouveau, autre que ses modes anciens de rencontre, et pourtant c'est bien lui! De telle sorte que ses disciples pourront attester pour la suite des générations l'identité entre le Crucifié et le Ressuscité.
On retrouve dans les récits d'apparitions un certain nombre d'éléments communs: Jésus se rend d'abord présent sans être reconnu. Il provoque soit l'étonnement, soit la crainte. Puis Jésus parle pour se faire reconnaître, donnant, par exemple, une leçon sur les Écritures (cf. Lc 24,27.44-47) afin de montrer que ce qui a été annoncé par la Loi, les Prophètes et les Psaumes, s'est accompli en lui; ou bien, il se fait reconnaître par un geste qui lui est propre: fraction du pain (cf. Lc 24,30-31) ou pêche miraculeuse (cf. Jn 21,1-14); ou encore, il fait identifier son corps crucifié (cf. Lc 24,39-43 Jn 20,27-29). Jésus veut ainsi montrer qu'à travers la nouveauté radicale de son statut de Ressuscité il demeure le même. Le Ressuscité est toujours le Crucifié! Ranimée! et éclairée par Jésus, la foi des apôtres renaît et leur permet de le reconnaître. Il s'agit bien d'une reconnaissance, puisque Jésus ne se manifeste qu'à ceux qui l'ont déjà connu au temps de son ministère public. Plusieurs récits, enfin, comportent un envoi en mission.
Catéchisme France 178