Catéchisme France 497
497 Pour répondre à la question: "Qu'est-ce qui est bon pour l'homme?", il faut savoir ce qu'est l'homme. Si l'on met l'accent sur la force de ses besoins instinctifs plus ou moins régulés par la raison ou si on le considère comme une personne douée d'intelligence et de liberté, mais vouée à une mort définitive, les réponses seront différentes. Dans le premier cas, les camps nazis et le goulag ne sont pas loin. Mais la réponse sera encore toute différente si l'homme est perçu comme créé à l'image de Dieu, appelé par le Christ à partager la vie divine.
Une réflexion morale élaborée met en jeu des questions philosophiques et religieuses fondamentales à propos desquelles les hommes sont très loin d'être d'accord. Derrière toute morale se profile, au, moins implicitement, une l'homme. La réponse n'est pas simple, car l'homme est un mystère à ses propres yeux.
Pourtant, dans nos sociétés pluralistes, avec des religions, des philosophies et même des morales différentes, il doit être possible de trouver des terrains de rencontre.
498 Heureusement des forces d'unité blocs de pays antagonistes sont amenés éviter de détruire la planète. Les pays riches du nord sont conduits bon gré mal gré, à partager avec les pauvres du sud, sinon leur prospérité elle-même s'évanouira. La menace de notre puissance démesurée devrait nous acculer à une sagesse commune. L'expérience montre d'ailleurs que les hommes peuvent s'entendre sur un certain fond commun de ce qui est à promouvoir et de ce qui est à éviter. La Déclaration universelle des droits de l'homme représente un grand progrès à cet égard.
Jean-Paul II s'y réfère souvent comme une base commune pour le bien de l'humanité, tout en situant la source des Droits de l'homme en Dieu dont il est l'image. Les droits de l'homme sont loin d'être respectés par tous ceux qui s'en réclament. Du moins demeurent-ils pour tous un appel. Ils sont comme une expression commune de la Loi naturelle.
499 La loi morale apparaît comme un éclairage extérieur sur le vrai bien de l'homme. Mais l'homme bénéficie aussi d'un éclairage intérieur sur le bien, qui est la conscience.
Il existe en chacun comme une aide à pressentir où sont le bien et le mal conscience. Par elle, chacun, éclairé par discerner ce qui est bon pour lui et pour les autres.
Le concile Vatican II souligne fortement le rôle et la noblesse de la conscience morale: "Au fond de sa conscience, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d'aimer et d'accomplir le bien et d'éviter le mal, au moment opportun résonne dans l'intimité de son coeur: 'Fais ceci, évite cela.' Car c'est une loi inscrite par Dieu au coeur de l'homme; sa dignité est de lui obéir, et c'est elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. C'est d'une manière admirable que se découvre à la conscience cette loi qui s'accomplit dans l'amour de Dieu et du prochain. Par fidélité à la conscience, les chrétiens, unis aux autres hommes, doivent chercher ensemble la vérité et la solution juste de tant de problèmes moraux que soulèvent aussi bien la vie privée que la vie sociale" (GS 16).
500 Mais bien des problèmes se posent ici. D'abord l'homme peut voir où est le bien et cependant faire le mal. C'est précisément en cela que réside le mal moral, la faute: faire le mal, en le sachant et en y consentant. Il y a en effet une blessure dans le coeur de l'homme. L'élan spontané vers le bien, vers la vie, est comme blessé par une secrète complicité avec le mal. Notre coeur est habité par une sorte d'opposition spontanée contre Dieu et contre la loi de vie qu'il nous propose. Cédant à notre orgueil, nous prétendons décréter ce qui est bien pour nous et ce qui est mal, sans tenir compte de ce que sont vraiment le bien et le mal. Cette attitude spontanée qui nous situe en défiance par rapport à Dieu, à notre vrai bien, au sens authentique de la vie, est une consé! quence du péché originel.
501 L'engagement moral de l'homme n'est donc pas simplement une affaire d'intelligence. Il concerne tout son être, sa volonté, son affectivité.
La liberté de l'homme rencontre des contraintes. Elle est handicapée, freinée par toutes sortes de pesanteurs, de séquelles d'une éducation mal faite, d'habitudes anciennes, par les exemples mauvais de l'entourage, certaines structures déshumanisantes de la société, sans compter la secrète complicité du coeur avec le mal dont nous venons de parler.
Aussi la vie morale est un combat incessant dans le coeur des hommes et dans le monde. Le combat engage la liberté de chacun: nul ne peut se permettre de juger le coeur des autres. On comprend l'appel du Christ: "Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés" (Lc 6,37). Personne n'est à même de mesurer la liberté de l'autre dans le bien comme dans le mal. Autre chose est de juger les comportements et les situations car il n'est pas vrai que tout est acceptable. juger les comportements, c'est se conduire en homme. Mais juger les personnes, c'est se prendre pour Dieu.
La liberté est donnée comme un germe à faire grandir plus que comme une réalité pleinement constituée. Il faut en quelque sorte l'aider à se développer, à s'exercer en vue du bien. Chacun, s'il veut vivre en homme, doit progressivement apprendre à "libérer sa liberté" des chaînes qui l'entravent. Ce n'est facile pour personne. Certains auront plus de mal que d'autres à se libérer, mais leur coeur peut rester droit et ouvert à la conversion. C'est pourquoi le Christ ose dire aux pharisiens: "Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu" (Mt 21,31).
502 Si, malgré les protestations de notre conscience, nous continuons à faire ce qu'elle réprouve, la conscience s'émousse. Parfois, complètement faussée, elle fonctionne à l'envers en décrétant bonnes les pires déviations. Plus la conscience droite l'emporte, plus les personnes et les groupes s'éloignent d'une décision aveugle et tendent à se conformer aux normes objectives de la moralité. Toutefois, il arrive souvent que la conscience s'égare, par suite d'une ignorance invincible, sans perdre pour autant sa dignité. Mais il arrive aussi que l'homme se soucie peu de rechercher le vrai et le bien, et que l'habitude du péché rende peu à peu sa conscience presque aveugle (cf. GS 16). La conscience a donc besoin d'être formée. Nous sommes responsables devant notre conscience, ultime témoin de Dieu auprès de nous. Mais nous sommes responsables aussi de notre conscience. Pour qu'elle soit droite et vraie, il nous faut la tenir en éveil, l'exercer dans les décisions concrètes et la tester, en quelque sorte, en la confrontant à la loi.
Où aller chercher une loi morale qui conduira au bien authentique de l'homme et de la communauté humaine? Tant de systèmes s'offrent aux hommes, et si différents!
503 La loi civile a pour but de promouvoir le bien commun, dans le respect des personnes. Elle est juste à deux conditions: qu'elle soit fondée sur la loi morale naturelle, en référence à ce qui est le vrai bien de tout l'homme et de tout homme; qu'elle réglemente le domaine de la vie sociale sans s'immiscer dans celui des consciences.
Dans une société pluraliste, il arrive que la loi se contente de traduire un consensus des citoyens au niveau le plus bas, c'est-à-dire des moindres exigences, par exemple en matière de solidarité et de politique familiale. Il arrive même que la loi civile, par faiblesse devant une opinion publique déformée, légalise des pratiques illicites complètement opposées aux Droits de l'homme, comme l'apartheid ou l'avortement. En ce cas, la première condition fait défaut, la loi est donc injuste.
Les pouvoirs totalitaires violent non seulement la loi morale mais aussi les consciences par des lois injustes, par exemple en supprimant le droit à la liberté d'expression ou à la liberté religieuse.
504 Ainsi, ce qui est légal n'est pas toujours moral. Le chrétien ne peut se résoudre à voir en désaccord légalité et moralité. C'est pourquoi le concile Vatican II demande aux laïcs, d'une part de travailler à ce que les lois civiles soient conformes à la loi morale (cf. AA 14), d'autre part d'obéir aux lois justes, car elles obligent en conscience (cf. CD 19).
La loi morale déborde de loin les limites de la loi civile. C'est elle qui juge la loi civile et non l'inverse. Mais où et comment la conscience et la réflexion des hommes pourront-elles trouver la lumière nécessaire pour juger la loi civile sous l'angle moral?
Les Droits de l'homme sont un point de repère de grande valeur mais inégalement admis. Tant d'obstacles empêchent de percevoir le vrai bien de l'homme et de l'humanité.
Les juifs et les chrétiens savent reconnaître combien est précieuse, même d'un simple point de vue humain, la révélation de la Loi de Dieu exprimée dans le Décalogue, les dix commandements, que beaucoup appellent la loi de Moïse.
505 Tout l'Ancien Testament est préparation à la venue du Christ. A la lumière de la Résurrection, il peut se lire comme le livre des fiançailles entre Dieu et son peuple, ce qui colore évidemment toute sa recherche éthique.
Par ailleurs, la loi inscrite par Dieu dans le coeur de l'homme ne s'oppose évidemment pas à la loi de Moïse Ce que les hommes, depuis les origines jusqu'à Moïse ont pu découvrir et formuler de la morale, apparaît comme une première ébauche de la Loi de Dieu.
Mais avant de nous arrêter à la loi du peuple de l'Alliance, il nous faut apporter quelques précisions sur l'action morale. La morale éclaire l'engagement de chaque personne vis-à-vis d'une autre personne, de la communauté où elle se trouve, ou de Dieu.
506 Le jugement moral considère la valeur objective des situations et des comportements. Mais l'engagement personnel relève de la décision morale. Il faut donc examiner maintenant la structure d'une décision morale, caractéristique de tout acte humain délibéré.
Le champ de la morale est celui de la liberté.
Les animaux n'ont pas de morale. Leur conduite est réglée par leur vie instinctive. Les spécialistes disent des choses passionnantes sur leur comportement; niais ce ne sont pas des comportements libres. La question morale ne se pose qu'au niveau d'actes humains au plein sens du mot, conscients et libres, responsables.
Si l'éveil du sens moral apparaît par et dans l'amour, la morale n'existe qu'avec la liberté. Elle ne joue que là où vit une liberté, souvent partielle, mais liberté tout de même. Et une conduite morale tend à développer cette liberté, à rendre l'homme plus responsable, plus aimant, plus homme.
507 C'est dans le "coeur" de l'homme, au sens de la Bible, dans son moi profond, que surgissent le bien et le mal (cf. Mt 15,19). C'est pourquoi l'élément décisif d'une conduite morale, après la liberté, c'est l'intention par laquelle l'homme s'oriente vers son bien, sa finalité.
Une mauvaise intention empêche toujours les comportements d'être bons moralement.
Pour qu'un acte soit bon, il faut que la nature même de l'acte, c'est-à-dire son objet, soit bonne. Tuer (sauf cas de légitime défense), voler, mentir à quelqu'un qui a le droit à la vérité, commettre l'adultère, sont par nature des actes mauvais.
508 La bonne intention est très importante, mais ne suffit pas Il faut encore prendre les moyens adéquats pour atteindre le bien visé.
C'est une bonne chose d'apporter de la nourriture à ceux qui ont faim. Mais si, pour le faire, je vide le garde-manger du voisin pendant son week-end, mon acte est mauvais. Ce que je fais, ici un vol, est un mal et le demeure malgré ma bonne intention. Celle-ci n'innocente pas le vol, ni ne le transforme en bienfaisance.
La fin ne justifie pas les moyens. Ceux-ci doivent être cohérents avec l'action menée et la bonne intention. Poser un acte mauvais, même avec une bonne intention, reste moralement mauvais.
509 Les circonstances peuvent évidemment influencer la qualification morale d'un acte: il faut examiner l'action entreprise dans tout son environnement.
Un syndicat de la Santé, pour défendre les droits bafoués des aides-soignants, peut déclencher légitimement une grève du personnel; cela peut être juste et même méritoire. Mais lors d'une grave épidémie, les circonstances sont telles qu'il pourrait devenir immoral de déclencher ou de maintenir une grève à ce moment-là.
La moralité d'un acte exige que ses diverses composantes soient bonnes en même temps: objet, intention, moyens employés, circonstances. Si un seul de ces éléments est mauvais, l'action sera moralement mauvaise, même si, à celui qui agit, une erreur de bonne foi enlève la responsabilité morale du mal.
510 Ces rappels seraient pourtant insupportables s'ils réduisaient l'action de l'homme à une vérification systématique analogue au "check-up" des pilotes d'avion avant le décollage. En fait, le dynamisme de l'action et l'amour du vrai et du bien permettent de tenir ensemble tous ces éléments. Souvent d'ailleurs, l'habitude d'agir bien conduit à intégrer ces données. C'est cette habitude dynamique que l'on appelle traditionnellement vertu.
Un certain sens spirituel permet à l'homme droit de percevoir cc qui est juste et bon dans le maquis des situations concrètes. Cette aptitude à faire les bons choix s'appelle la vertu de prudence, au sens noble du mot, qui n'a rien à voir avec le manque de courage. Au contraire, elle allie l'intelligence de l'analyse, le don de soi et le risque lucide qui, lui, engage la personne dans l'action. Il ne s'agit pas simplement de savoir où est le bien, mais de trouver l'énergie pour l'accomplir, de trouver assez d'amour de Dieu de soi-même et du prochain pour agir vraiment bien.
511 A côté de la prudence, les moralistes évoquent volontiers d'autres dynamismes qui aident à agir bien, efficacement et avec joie, dans les grandes affaires de la vie: la justice qui aide à rendre à chacun son dû, la tempérance qui aide à user avec une saine modération des biens et des plaisirs de la vie, et la force qui aide à affronter les difficultés et les épreuves de la vie. Comme toutes les réalités morales, ces "vertus" demandent à être exercées sous peine de s'atrophier.
512 La littérature a souvent mis en scène le drame de l'homme en proie au remords. Les psychanalystes ont pris le relais en mettant en lumière le poids d'une culpabilité écrasante. Aujourd'hui la tendance spontanée est de déculpabiliser. Mais faut-il déculpabiliser à tout prix?
Ce n'est pas de cette culpabilité que parle l'Évangile: "La vérité vous rendra libres" (Jn 8,32). La vérité du péché reconnu est un premier pas vers le pardon. Loin de refouler la culpabilité, elle la reconnaît. Et l'aveu rend au pécheur, pour une part, sa dignité. En faisant la vérité, il redevient un homme responsable, libre. Pourtant, pour que sa responsabilité ne l'écrase pas, il faut qu'il expérimente, en réponse à son aveu, le pardon de l'autre qu'il a blessé par son péché. Ce pardon dans la vérité est source de joie: "Heureux l'homme dont la faute est enlevée, et le péché remis!" (Ps 31,1).
Mais si l'autre ne lui pardonne pas? S'il ne se pardonne pas à lui-même? Qui pourra lui dire en vérité: "Tes péchés sont pardonnés" (Lc 7,48) et le rendre à la liberté? Ce ne sont pas le refoulement ni la négation qui libèrent de la faute, c'est la vérité, mais une vérité portée par l'amour qui fait revivre.
513 Tout homme qui fait le mal consciemment et volontairement est en faute. Même sans la loi (de Dieu), des païens "montrent que l'oeuvre voulue par la loi est inscrite dans leur coeur; leur conscience en témoigne également ainsi que leurs jugements intérieurs qui tour à tour les accusent et les défendent" (Rm 2,15).
Mais c'est dans une perspective religieuse que le péché prend toute sa mesure, dans le refus de Dieu qu'est le refus de sa loi de vie, de même que la miséricorde et la grâce prennent toute leur mesure dans l'accueil du don de Dieu.
514 L'homme, créé à l'image de Dieu, trouve en lui-même, et dans une réflexion intelligente sur le monde où il est inséré, la source du bien vivre, de la morale telle que le Créateur l'a voulue pour lui. Cependant la foi lui fait franchir un seuil. Elle affirme que Dieu intervient dans l'histoire des hommes.
Après une très longue préparation du cosmos tout entier, après la recherche tâtonnante des hommes depuis les origines, Dieu s'est choisi un peuple: il a fait Alliance avec Israël. Il l'a choisi par pure libéralité. Il l'a appelé à être son peuple à lui, un peuple saint. Il l'a libéré de la servitude d'Égypte. Pour l'aider à s'affranchir de la servitude plus menaçante du péché, il lui a donné sa Loi. Puis, "lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils" (Ga 4,4) pour nous appeler à devenir ses enfants (cf. 1Jn 3,1-2) et à vivre en fils et filles de Dieu par le don de son Esprit (cf. Rm 8,14-15).
515 La Loi de Dieu n'est pas une suite d'interdits. Elle est une Loi de sainteté, de liberté et de vie. Le Décalogue articule l'amour de Dieu et l'amour du prochain; il place au coeur de la morale et de la relation avec l'autre une recherche spirituelle et religieuse. La Table des dix commandements est toujours présentée dans l'Ancien Testament comme liée à l'acte par lequel Dieu libère son peuple: "Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison d'esclavage" (Ex 20,2). Le peuple consacré à Dieu doit être saint comme Dieu: "Soyez à moi, saints, car je suis saint, moi, le. Seigneur; et je vous ai distingués du milieu des peuples pour que vous soyez à moi" (Lv 20,26).
Cette loi de sainteté est une loi de vie parce qu'elle guide l'homme et l'humanité sur le chemin difficile de son accomplissement. Moïse disait au peuple d'Israël: "Je te propose aujourd'hui de choisir ou bien la vie et le bonheur, ou bien la mort et le malheur. Écoute les commandements que je te donne aujourd'hui: aimer le Seigneur ton Dieu, marcher dans ses chemins, garder ses ordres, ses commandements et ses décrets. Alors, tu vivras [...]. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance" (Dt 30,15-16.19).
516 La "loi de Moïse" n'est donc pas, quant au contenu, globalement différente de la Loi naturelle, qu'elle explicite en quelque sorte. Elle est comme symbolisée dans le Décalogue qui en est le sommet. Dans nombre de détails, elle est tributaire des coutumes du temps et engagée dans des détails qui ne pouvaient servir qu'à Israël. Dans ses prescriptions cultuelles, elle est presque entièrement caduque. Dans son orientation morale, la Loi sera parachevée par le Christ.
Cette loi de vie est aussi déjà une loi d'amour: "Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta force" (Dt 6,5 cf. Jos 23,11). Les prophètes reprendront constamment cet appel à l'amour du Seigneur comme source de la vie de tout homme; le psaume 118 est une sorte d'hymne à la Loi comme expression de l'amour du Seigneur.
517 Les prophètes reprochent aussi à Israël ses infidélités aux exigences de l'Alliance. En ces infidélités mêmes, Israël se montre encore figure de l'humanité, notre figure, à chaque fois que nous péchons. Mais Dieu demeure fidèle et toujours prêt à la miséricorde. Au point que les prophètes en viennent à annoncer une Alliance nouvelle et éternelle: "Je mettrai ma Loi au plus profond d'eux-mêmes; je l'inscrirai dans leur coeur. je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple" (Jr 31,33). "Je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J'enlèverai votre coeur de pierre et je vous donnerai un coeur de chair. Je mettrai en vous mon esprit alors vous suivrez mes lois, vous observerez mes commandements et vous y serez fidèles" (Ez 36,26-27).
518 En Christ s'accomplit la promesse transmise par Ézéchiel. Empli de l'Esprit, Jésus est l'homme au coeur nouveau. Il vit les béatitudes. En lui est scellée une Alliance nouvelle et éternelle dont la loi est l'amour déposé dans les coeurs par l'Esprit Saint (cf Rm 5,5). Cet amour, loin d'évacuer les commandements, les accomplit et leur donne pleine signification.
La Loi nouvelle est d'abord la grâce de l'Esprit Saint diffusée dans le coeur des fidèles, remarque saint Thomas d'Aquin. Ceci est capital. Nous ne sommes pas sauvés par la pratique de la Loi. Nous sommes sauvés par grâce, gratuitement, par le don de Dieu qui nous aime sans attendre que nous en soyons dignes. "Voici à quoi se reconnaît l'amour: ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, c'est lui qui nous a aimés" (1Jn 4,10).
Sauvés par grâce (cf. Rm 3,24-25), nous avons à répondre à notre salut, en vivant désormais sous le souffle de l'Esprit. Dans toutes les situations complexes de la vie terrestre, nous devons chercher à "reconnaître quelle est la volonté de Dieu: ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait" (Rm 12,2).
519 La charte de la morale chrétienne est tracée par saint Paul, dans l'épître aux Galates: "Vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour satisfaire votre égoïsme; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres. Car toute la Loi atteint sa perfection dans un seul commandement, et le voici: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde: vous allez vous détruire les uns les autres. je vous le dis: vivez sous la conduite de l'Esprit de Dieu; alors vous n'obéirez pas aux tendance égoïstes de la chair. Car les tendances de la chair s'opposent à l'esprit, et les tendances de l'esprit s'opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire ce que vous voudriez. Mais en vous laissent conduire par l'Esprit, vous n'êtes plus sujets de la Loi. On sait bien à quelles actions mène la chair: débauche, impureté, obscénité, idolâtrie, sorcellerie, haines, querelles, jalousie, colère, envie, divisions, sectarisme rivalités, beuveries, gloutonnerie et autres choses du même genre. je vous préviens, comme je l'ai déjà fait: ceux qui agissent de cette manière de recevront pas en héritage le royaume de Dieu. Mais voici ce que produit l'Esprit: amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi, Face à tout cela, il n'y a plus de loi qui tienne. Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passion! s et ses tendances égoïstes. Puisque l'Esprit nous fait vivre, laissons-nous conduire par l'Esprit" (Ga 5,13-25).
520 Le Christ se défend d'abolir la Loi. Il l'accomplit, ce qui n'est pas la même chose (cf. Mt 5,17). Il en redresse les déformations (par exemple à propos du mariage). Il en radicalise les exigences (par exemple à propos du pardon, de l'adultère, de l'amour des ennemis, etc.). Quand un jeune homme riche lui demande que faire pour accéder à la vie éternelle, Jésus rappelle les commandements, puis il l'invite à aller au-delà (cf. Mc 10,19). L'évangile qui parle le plus de l'amour, celui de Jean, est celui qui parle le plus des commandements: "Si vous m'aimez, vous resterez fidèles à mes commandements" (Jn 14,15). "Si vous êtes fidèles à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour" (Jn 15,10). La "loi du Christ" (Ga 6,2) appelle le chrétien à donner sa vie comme le Christ. On comprend alors mieux le mot de saint Augustin: "Aime et fais ce que tu veux", aime le Seigneur et l'Esprit dynamisera ta liberté pour accueillir dans ta vie la volonté de Dieu.
La vie selon l'Esprit n'abolit donc pas la Loi: elle l'intègre et la dépasse. Les saints donnent l'exemple d'une vie selon l'Esprit, d'une vie inspirée par la loi d'amour. Ils "oublient" la Loi, non parce qu'ils s'estiment au-dessus d'elle, mais parce qu'ils l'accomplissent sans avoir besoin de s'y référer. Un peu comme des époux très aimants ne pensent même pas à faire appel à leurs devoirs et à leurs droits.
521 Si la "loi du Christ" accomplit la loi de Moïse, celle-ci reprend et explicite la Loi naturelle. Aussi cette loi du Christ illumine le chemin de tous les hommes, et pas seulement celui des chrétiens.
L'enseignement du concile Vatican II montre le lien fondamental entre Jésus Christ et tous les hommes: "Le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, s'est lui-même fait chair et est venu habiter la terre des hommes. Homme parfait, il est entré dans l'histoire du monde, l'assumant et la récapitulant en lui. C'est lui qui nous révèle que Dieu est charité (l Jn 4,8) et qui nous enseigne en même temps que la loi fondamentale de la perfection humaine, et donc de la transformation du monde, est le commandement nouveau de l'amour. A ceux qui croient à la divine charité, il apporte ainsi la certitude que la voie de l'amour est ouverte à tous les hommes et que l'effort qui tend à instaurer une fraternité universelle n'est pas vain. Il nous avertit aussi que cette charité ne doit pas seulement s'exercer dans des actions d'éclat, mais, et avant tout, dans le quotidien de la vie" (GS 38).
522 "Si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera" (Mt 16,24-25). Le monde est un monde de lutte. L'égoïsme et le péché tiennent de solides bastions dans les coeurs et dans la société. L'amour du Christ n'a vaincu le péché et la haine qu'en allant jusqu'au bout (cf. Jn 13,1), jusqu'à la mort, et la mort par la croix. Ainsi la résurrection du Christ marque le triomphe de l'amour, mais le chemin qui y mène passe par la croix.
"Le serviteur n'est pas plus grand que son maître. Si l'on m'a persécuté, on vous persécutera vous aussi" (Jn 15,20). La vie chrétienne se déploie sous le signe de la croix et de la résurrection. Toute conversion est mort à soi-même pour accéder à une vie pour Dieu, une vie offerte et consacrée (cf. Jn 17,19). Pas plus que la souffrance, la croix n'a de signification par elle-même; c'est l'amour qui lui donne sens: "Il faut que le monde sache que j'aime mon Père, et que je fais tout ce que mon Père m'a commandé" (Jn 14,31), dit Jésus à la veille de sa mort.
523 A la suite du Christ, le baptême nous introduit dans ce mystère de mort et de résurrection.
Aussi pour le renouvellement des promesses du baptême à la vigile pascale, la liturgie reprend la solennelle proclamation de saint Paul aux Romains: "Nous tous, qui avons été baptisés en Jésus Christ, c'est dans sa mort que nous avons été baptisés. Si, par le baptême dans sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c'est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, de même que le Christ, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d'entre les morts. [...]. Et si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. Nous le savons en effet: ressuscité des morts, le Christ ne meurt plus; sur lui la mort n'a plus aucun pouvoir. Car il est mort, et c'est au péché qu'il est mort une fois pour toutes; lui qui est vivant, c'est pour Dieu qu'il est vivant. De même vous aussi: pensez que vous êtes morts au péché, et vivants pour Dieu en Jésus Christ" (Rm 6,3-4.8-11).
524 Chacun peut entendre la voix de Dieu dans le secret de sa conscience. Mais Dieu a voulu "que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel" (LG 9). Par le baptême, nous sommes agrégés au peuple de Dieu, membres vivants de son Corps, l'Église. C'est en Église que tous, nous avons à vivre notre vocation de fils et de filles de Dieu.
Les chrétiens d'hier, comme une "nuée de témoins", entraînent à marcher à leur suite les fidèles d'aujourd'hui. Ils inscrivent dans le réel humain les exigences et les signes évangéliques. Ils aident à discerner les appels de Dieu et à écouter la Parole de celui qui, aujourd'hui encore, veut guider son peuple sur les chemins de la vie.
En étant membres actifs de leurs paroisses ainsi que des associations de fidèles, ceux-ci pourront acquérir une formation plus adaptée, développeront leur sens de la communion ecclésiale et nourriront leur vie spirituelle.
525 Pour le service de son peuple, le Seigneur a confié spécialement à ses pasteurs une tâche d'accompagnement, de discernement et d'enseignement pour le bien de tous: "Celui qui vous écoute, m'écoute; celui qui vous rejette me rejette" (Lc 10,16). Ce service des pasteurs s'exerce selon des modalités différentes.
Quand il s'agit des requêtes fondamentales de la vie selon l'Évangile, le magistère de l'Église les rappelle "à temps et à contretemps" (2Tm 4,2). A certaines époques et dans certains domaines, où s'obscurcit la conscience collective, par exemple sur la vie éternelle ou sur le mariage, l'Église doit avoir la lucidité et le courage des prophètes pour rappeler les desseins de Dieu. Elle affronte alors inévitablement l'incompréhension, l'hostilité, même de la part de certains fidèles. Cependant que d'autres, même parmi les incroyants, s'y retrouvent volontiers. Mais plus elle se heurte aux idées reçues, plus elle doit manifester le respect et la miséricorde du Seigneur envers les personnes. Les grandes lignes du sens chrétien de l'homme et de la communauté, valables toujours et partout, sont exprimées, par exemple, dans la première partie de la Constitution pastorale du concile Vatican II l'Église dans le monde de ce temps.
Quant aux problèmes nouveaux et très complexes qui se posent aujourd'hui à nos sociétés, l'Église n'a pas, pour en juger, compétence universelle. Pourtant, quand ces problèmes ont une incidence morale (pensons à la bioéthique, à la vie économique, au chômage, au développement, à la solidarité... ), l'Église ne peut se dispenser d'intervenir pour apporter les éléments d'un discernement moral.
526 Le concile Vatican II a donné comme une charte de l'intervention et du rôle de l'Église dans ces domaines.
S'interrogeant sur le sens et la valeur de l'activité des hommes d'aujourd'hui, le Concile répond: "L'Église, gardienne du dépôt de la Parole divine, où elle puise les principes de l'ordre religieux et moral, n'a pas toujours, pour autant, une réponse immédiate à chacune de ces questions; elle désire toutefois joindre la lumière de la Révélation à l'expérience de tous, pour éclairer le chemin où l'humanité vient de s'engager" (GS 33).
Ainsi, dans l'écoute des hommes compétents et en dialogue avec eux, l'Église veut tracer les chemins nouveaux à la lumière de l'Évangile et du sens chrétien de l'homme. Elle constitue peu à peu ce corps de réflexion et de ligne d'action dont la doctrine sociale de l'Église est un des éléments les plus importants. Le pape et les évêques précisent ces positions en fonction des événements (encycliques, exhortations, déclarations, etc.).
527 Les pasteurs de l'Église, assistés par l'Esprit, doivent écouter le peuple de Dieu et les hommes de leur temps. Les fidèles laïcs qui, eux aussi, sont assistés par l'Esprit, ont le droit et le devoir - selon leurs compétences - de dialoguer avec leurs pasteurs, et d'exprimer leur opinion sur les grandes questions en débat (cf. LG 37).
"C'est à leur conscience [de laïcs], préalablement formée, qu'il revient d'inscrire la loi divine dans la cité terrestre. Qu'ils attendent des prêtres lumières et forces spirituelles. Qu'ils ne pensent pas pour autant que leurs pasteurs aient une compétence telle qu'ils puissent leur fournir une solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à eux, ou que telle soit leur mission. Mais plutôt, éclairés par la sagesse chrétienne, prêtant fidèlement attention à l'enseignement du magistère, qu'ils prennent eux-mêmes leurs responsabilités" (GS 43).
Mais ils doivent écouter dans la foi leurs pasteurs et s'informer de l'enseignement de l'Église sur les problèmes vitaux dans lesquels l'homme est engagé. En effet, les évêques - et d'une doivent être reçus par tous comme manière toute spéciale le pape les docteurs authentiques de la foi (cf. LG 25).
Catéchisme France 497