Histoire des Conciles - seizième concile oecuménique


Concile de Ferrare - 1438 -

dix-septième concile oecuménique

(tome I, colonnes 907 à 913)


FERRARE (Concile oecuménique de), l'an 1438. Ce fut le pape Eugène IV qui convoqua ce concile, en le transférant de Bâle par sa bulle du 1er janvier 1438. Le bienheureux Nicolas Albergati, cardinal de Sainte-Croix, en fit l'ouverture le 8 du même mois, et deux jours après il tint une session préliminaire, dans laquelle la translation du concile à Ferrare fut proclamée, et le concile de Bâle, avec tout ce qu'il avait fait depuis la translation, ou qu'il ferait à l'avenir, fut déclaré nul, à l'exception de ce qui pourrait y être traité avec les Bohémiens, pendant un mois encore, touchant la communion sous les deux espèces. Dans le même temps le cardinal Julien Césarini, qui avait présidé au concile de Bâle, quitta cette ville pour se rendre à Ferrare avec quatre prélats seulement du concile, qui se rendirent à l'appel d'Eugène IV.

Ce pontife, étant de son côté parti de Bologne, où il était en ce moment, fit son entrée solennelle à Ferrare le 27 janvier, et le 8 du mois suivant il tint une congrégation à laquelle se trouvèrent tous les cardinaux, les évêques et les docteurs présents à Ferrare. Il s'y plaignit des prélats de Bâle, et déclara que, quoiqu'il se crut fort innocent, si néanmoins il se trouvait, ainsi que les siens, coupable de quelque faute, il se soumettait volontiers à la correction des Pères; après quoi il les exhorta à se conduire eux-mêmes avec tant de régularité qu'ils servissent à tous de modèle. Le plus ancien des cardinaux, Jourdain des Ursins, le remercia au nom de ses collègues, et lui promit leur active coopération. Le plus ancien des archevêques, qui était celui de Ravenne, parla de même au nom de tous les autres prélats.

Le 10 février, dans une autre congrégation générale, en présence du cardinal Jourdain des Ursins, que le pape avait nommé président du concile, on arrêta dans quel rang et dans quel ordre chacun serait assis. Il se tint encore deux autres congrégations générales, pour préparer le décret de la seconde session qui eut lieu le 15 février. Le pape y présida, ayant avec lui soixante-douze évêques. On y lut le décret par lequel le pape, après avoir déduit fort au long tout ce qu'il avait fait pour porter à la paix les prélats de Bâle, prononçait, avec l'approbation du concile, la nullité de tous leurs actes, et déclarait tous ceux qui continueraient cette assemblée, de quelque dignité qu'ils fussent, frappés d'excommunication et sujets aux autres peines marquées dans la bulle de translation; ordonnant à tous ceux qui étaient à Bâle pour le concile, d'en sortir dans trente jours, sous les mêmes peines, et aux magistrats, officiers et habitants de cette ville de les en chasser après ce terme expiré, sous peine d'excommunication, et d'interdit pour le peuple, défendant enfin, avec de semblables menaces, d'introduire aucune marchandise ou autre chose nécessaire à la vie dans cette ville de Bâle, si ceux qui y tenaient concile persistaient dans leur opiniâtreté.

Le cardinal de Sainte-Croix, après avoir fait, comme nous l'avons dit, l'ouverture du concile, s'était rendu à Venise pour saluer de la part du pape l'empereur de Constantinople, Jean Paléologue, à son débarquement. Ce prince débarqua en effet avec sa suite le 8 février, fit son entrée à Venise le lendemain, et le 4 mars il arriva à Ferrare. Le patriarche de Constantinople n'entra lui-même à Ferrare que trois jours après, avec une partie des métropolitains et des évêques députés au concile. Marc, archevêque d'Éphèse, devait y porter la parole en leur nom. Ils étaient au nombre de vingt et un; mais ils s'étaient associé un nombre considérable d'archimandrites et d'autres personnages distingués de leur clergé, de sorte que leur nombre total s'élevait environ à sept cents.

On convint de part et d'autre de tenir la première séance publique le 9 avril, qui, cette année 1438, tombait le mercredi saint. On s'assembla dans la cathédrale de Saint-Georges, suivant l'ordre qui avait été réglé. Devant le grand autel, sur un trône magnifique, était le livre des Évangiles, avec les clefs de saint Pierre et de saint Paul, qu'on avait apportées de Rome. Au côté droit de l'autel s'assit le pape, sur un trône plus élevé que les autres et surmonté d'un dais. Plus bas était le trône de l'empereur d'Occident, mais vide. Vis-à-vis, du côté gauche de l'autel, qui était le côté droit pour qui entrait dans l'église, était placé le trône de l'empereur de Constantinople; plus bas, on établit le siège du patriarche, mais sans dais, et sans autre ornement qu'un tapis de pourpre qui le couvrait. Ensuite étaient disposés le long de l'église, de part et d'autre, des sièges pour tous ceux qui devaient avoir rang au concile. Du côté des Latins, outre les cardinaux, les archevêques et les évêques, qui étaient au nombre d'environ cent soixante, il y avait des abbés, des généraux d'ordres, des docteurs et une foule d'ecclésiastiques. On y voyait aussi des ducs, des marquis, des comtes et des ambassadeurs de quelques princes.

Après que les Latins eurent chanté la messe du Saint-Esprit, l'empereur et les prélats grecs, qui avaient de leur côté célébré l'office suivant leur rit, arrivèrent dans l'église, et s'y rangèrent à la gauche de l'autel. Toute l'assemblée se leva, par honneur, lorsque les Orientaux parurent. Le jeune Démétrius, despote de la Morée, s'assit sur un petit siège auprès de l'empereur, son frère. On avait préparé, au-dessous du patriarche de Constantinople, des places destinées aux vicaires des trois autres patriarches d'Orient qui n'avaient pu se rendre. Isidore, métropolitain de Kiow, en Russie, vicaire du patriarche d'Antioche avec Marc, évêque d'Éphèse, ne put occuper pour le moment le siège qui lui était destiné, puisqu'il n'arriva qu'au mois d'août de cette année, amenant avec lui quelques évêques de sa nation. A la suite de ces prélats furent placés les autres métropolitains grecs, et après ceux-ci leurs suffragants. Venaient aussi les dignitaires de l'Église de Constantinople, les abbés, les prêtres et les moines du mont Athos. Au pied du trône de Jean Paléologue, furent assis les ambassadeurs de l'empereur de Trébisonde; ceux du grand-duc de Moscovie, du prince des Ibériens, des hospodars de Servie et de Valachie, et les principaux officiers de l'empereur lui-même. On fit asseoir aux deux côtés du patriarche ses cinq assistants ou diacres, qu'on appelait staurophores ou porte-croix, parce qu'ils avaient sur leurs bonnets des croix qui les distinguaient des autres. L'historien grec dit qu'à cette première séance il se trouvait environ deux cents évêques, ce qui, avec les cent soixante du côté des Latins, en suppose trente ou quarante de celui des Grecs.

Les membres du concile ne se réunirent ce jour-là que pour proclamer la bulle du pape, qui annonçait, comme on en était convenu, que, du consentement exprès de l'empereur et du patriarche de Constantinople, et de tous les Pères qui se trouvaient à Ferrare, le concile convoqué pour la réunion des deux Églises était ouvert dans cette ville, et qu'on accordait à tous ceux qui devaient y assister quatre mois pour s'y rendre ou y envoyer leurs représentants. Cette bulle déclarait en même temps excommuniés tous ceux qui, après s'être dispensés de déférer à cette invitation, refuseraient de se soumettre aux décrets de cette sainte assemblée. Le patriarche Joseph de Constantinople, qui avait plus de quatre-vingts ans, étant malade, ne put assister à la séance, mais il envoya ses lettres d'adhésion.

Comme les princes d'Occident, tous attachés au pape Eugène IV, cherchaient néanmoins à lui réconcilier les prélats de Bâle, il vint de ce côté beaucoup moins d'évêques qu'on n'aurait pu en attendre. Parmi les prélats français, on en trouve trois des États du duc de Bourgogne, quatre de ceux du duc d'Anjou, comte de Provence et roi de Sicile, et un seul de la province de Normandie, soumise à l'Angleterre, il est vrai que ce dernier, qui était l'évêque de Bayeux, signa au nom de l'archevêque de Rouen comme au sien, et en ceux de l'évêque de Lisieux, son collègue, et de l'abbé de Saint-Michel.

Depuis cette séance, qui ne compte pas encore parmi les sessions proprement dites du concile oecuménique de Florence commencé à Ferrare, jusqu'au mois d'octobre, on se tint dans une espèce d'inaction, parce que les Grecs voulaient attendre la fin des démêlés du pape avec le concile de Bâle. On agita néanmoins dans quelques conférences particulières, qui furent tenues dans cet intervalle, la question du purgatoire; et les Grecs ne furent pas éloignés de s'accorder sur ce point avec les Latins. Seulement ils ne convenaient pas que ces âmes souffrent d'un feu proprement dit comme celui de l'enfer, quoiqu'ils admissent qu'elles expient leurs péchés par la tristesse et d'autres peines, surtout par la privation de la vue de Dieu, et qu'elles peuvent être soulagées par le saint sacrifice qu'on offre pour elles, par les aumônes et par les prières de l'Église. On discuta encore sur l'état où se trouvent les âmes des saints en attendant la résurrection générale, et sur ce que cette dernière ajouterait à leur gloire comme au supplice des réprouvés.

Cependant les Grecs s'ennuyèrent d'attendre les autres prélats latins, particulièrement ceux de Bâle, dont aucun ne vint au temps marqué. De plus, la peste survint à Ferrare, et Denys, évêque de Sardes, vicaire du patriarche de Jérusalem, en mourut. Enfin les quatre mois de sursis étant écoulés, on résolut de commencer les sessions du concile, et la première se tint le 8 octobre de la même année 1438.

Ire Session. Elle eut lieu non dans l'église cathédrale, mais dans la chapelle du palais où logeait le pape, parce que celui-ci était malade. Pour porter la parole, on avait choisi parmi les Grecs trois prélats, savoir: Marc d'Éphèse, Isidore de Kiow et Bessarion de Nicée, à qui furent adjoints trois prêtres de marque; et parmi les Latins, le cardinal Julien, celui de Sainte-Croix, l'archevêque de Rhodes, l'évêque de Forli, et deux moines, docteurs en théologie. Bessarion fit en grec une harangue qui nous a été conservée tout entière. Après avoir dépeint la joie que ressentaient tous les fidèles dans l'espérance de voir bientôt réunis les membres divisés de l'Église, il louait beaucoup le pape, l'empereur et le patriarche du zèle qu'ils faisaient voir pour la conclusion de la paix, et les exhortait à persévérer dans les mêmes dispositions. Il parla jusqu'au soir, et la session fut remise au samedi suivant.

IIe Session. Dans cette session, qui fut tenue le 11 octobre, André, archevêque de Rhodes, traita le même sujet que Bessarion, et avec une égale abondance de paroles, de sorte que son discours dura aussi jusqu'au soir. Cependant avant de se séparer on examina l'ordre qu'on observerait dans les discussions, les matières qu'on y traiterait, la forme qu'on leur donnerait; et l'on convint de faire usage de la forme dialectique, pour plus de brièveté et de précision, en accordant aux Grecs l'initiative pour la session prochaine.

IIIe Session. Elle se tint le mardi 14 octobre (1); et Marc d'Éphèse, après avoir recommandé la charité que l'on devait garder dans les discussions, fit entendre qu'il s'attacherait avant le reste à traiter de l'addition Filioque faite au symbole. André de Rhodes répondit, de la part des Latins, qu'il réclamait en sa faveur la même indulgence, et que, s'il lui échappait quelque expression dure, on devrait l'imputer plutôt à l'objet de la discussion qu'aux personnes mêmes. Il voulut ensuite traiter de l'addition faite au symbole, mais l'évêque d'Éphèse l'arrêta, en lui disant qu'il n'était pas encore temps de répondre sur cet article; et, après avoir insinué que l'Église romaine avait négligé par le passé les moyens de la paix qu'elle souhaitait à présent, il dit que cette paix ne pouvait se faire si l'on n'ôtait entièrement les principes de discorde. Il finit par demander qu'avant de rien faire on lût les définitions des conciles précédents. André de Rhodes répondit à son discours, qu'il réduisit à cinq chefs. " J'admire, dit-il, sur le second chef, comment vous avez oublié la sollicitude que l'Église romaine a toujours eue pour l'Église orientale. Quant à ce que vous dites (en troisième lieu), que l'Église romaine rappelle aujourd'hui la paix entre elle et vous, cela est véritable et ne saurait être contesté. " En répondant au cinquième chef, André de Rhodes répliqua que l'Évangile devait encore avoir la préférence sur les définitions des Pères.

(1) M. Rohrbacher dit septembre; c'est une erreur.

L'évêque d'Éphèse convint de nouveau de la charité actuelle de l'Église romaine; mais il ajouta que pour cela même elle devait ôter la cause de la division, qui était, disait-il, l'addition faite au symbole. L'évêque de Rhodes lui fit observer à son tour que cette addition n'était pas une cause de division, puisque la paix avait subsisté longtemps et s'était rétablie plusieurs fois, sans que cette addition eût été supprimée. Il s'offrit enfin de prouver deux choses: l'une, que ce n'était pas une addition; l'autre, que si c'en était une, elle était juste et nécessaire.

IVe Session. La quatrième session, 15 octobre, se passa tout entière à disputer sur la manière de procéder: on remit la décision à une commission de six membres.

Ve Session, 16 octobre. On lut les définitions des conciles de Nicée, d'Éphèse, de Chalcédoine et d'autres, et les Grecs cherchèrent à en conclure que ces conciles avaient défendu de rien ajouter au symbole. Le cardinal Julien répondit à l'orateur des Grecs, en produisant un exemplaire fort ancien des actes du second concile de Nicée, où se trouvait exprimée la procession du Saint-Esprit, telle que la croit l'Église latine.

VIe Session, 20 octobre. André de Rhodes fit voir, par un long discours, que ce que les Grecs prétendaient être une addition, n'était ni une addition ni un changement, mais une simple explication de ce qui est contenu dans le principe, duquel on le tire par une conséquence nécessaire: ce qu'il prouva par le témoignage des Pères grecs, et entre autres de saint Chrysostome, qui dit que le Fils possède tout ce qu'a le Père, excepté la paternité, conformément à ces paroles du Fils de Dieu: " Tout ce que mon Père a est à moi. "

VIIe Session, 25 octobre. Le même évêque continua à parler seul sur la même matière, et répondit aux autorités alléguées par Marc d'Éphèse. Il fit voir que, lorsque les conciles défendent de présenter à ceux qui viennent au christianisme une foi différente de celle qui est exprimée dans le symbole, ils ne défendent pas d'enseigner plus clairement la même foi qui y est renfermée; et que le deuxième concile général, appelé de Constantinople, avait ajouté au symbole de Nicée beaucoup de paroles, et cela pour exprimer contre de nouveaux hérétiques des vérités de foi qui n'étaient pas marquées si distinctement.

VIIIe et IXe Sessions, 1er et 4 novembre. Bessarion de Nicée parla pour les Grecs, et insista toujours sur ce raisonnement, qu'il n'était point défendu d'expliquer la foi, mais qu'il était défendu d'insérer des explications dans le symbole, et que le troisième concile général d'Éphèse l'avait défendu.

Xe Session, 8 novembre. Le cardinal Julien fit des observations très solides sur la défense portée par le concile d'Éphèse, et dit qu'il en fallait venir à un point plus essentiel, c'est-à-dire, au sentiment des Latins sur la procession du Saint-Esprit; car si ce dogme est vrai, dit-il, on a donc pu le mettre dans le symbole pour expliquer un mystère que l'on a voulu combattre. L'évêque de Forli vint à l'appui de ce raisonnement, et soutint que non seulement il n'y avait aucune loi qui défendît d'ajouter quelque explication au symbole, mais même qu'il ne pouvait y en avoir qui fit cette défense à l'Église; que cette défense ne regardait que des particuliers qui voudraient faire ces additions sans autorité.

XIe Session, 11 novembre. Le même évêque observa que ce qui avait donné lieu aux Pères du concile d'Éphèse de faire cette défense, était le faux symbole des nestoriens, que le concile avait condamné; que ce concile ne défendait pas seulement de faire des additions au symbole, mais encore de proposer de nouvelles expositions de foi, et qu'ainsi, si l'on étendait cette défense à l'Église ou au concile, ce dernier droit devrait donc être refusé à l'Église comme le premier.

XIIe Session, 15 novembre. Cette nouvelle session se passa tout entière, de la part de Marc d'Éphèse, à incidenter sur l'affaire de Charisius (au concile général d'Éphèse), et d'autres accessoires, essayant par une foule de questions captieuses de surprendre le cardinal Julien, sans pouvoir y réussir. Au contraire, le cardinal releva une contradiction flagrante dans la réponse des Grecs. Ceux-ci soutenaient que, d'après le concile d'Éphèse, il était permis à tous les particuliers d'exposer leur foi en tels termes qu'ils voudraient, et en même temps, suivant l'interprétation qu'ils donnaient aux paroles de ce concile, ce même concile refusait ce droit aux évêques, aux clercs et aux laïques, c'est-à-dire à tout le monde.

XIIIe Session, 27 novembre. Les ambassadeurs du duc de Bourgogne, à la tête desquels étaient quatre évêques, se présentèrent au concile, rendirent leurs hommages au pape, firent la lecture de leurs pouvoirs, et prirent place parmi les Latins, sans témoigner aucune attention pour l'empereur des Grecs. Ce prince, irrité d'une conduite dont on ne peut en effet deviner les raisons, menaça de quitter le concile, si ces envoyés ne rendaient à sa dignité les honneurs qui lui étaient dus. Le patriarche de Constantinople, prélat extrêmement doux et modéré, tempéra ces premiers transports d'indignation. On parla aux Bourguignons, on prit des mesures avec eux, et il fut réglé que, dans la session suivante, ils salueraient l'empereur; ce qu'ils exécutèrent d'assez mauvaise grâce. Paléologue dissimula, et ce procédé n'eut point de suites fâcheuses.

XIVe Session, 4 décembre. Marc d'Éphèse, reprenant ses arguties, dit d'un ton dogmatique qu'on avait perdu déjà beaucoup trop de temps à faire de longs discours, qu'il fallait désormais tendre à la brièveté, et donner les plus simples réponses aux questions précises qu'il lui restait à faire. Le cardinal Julien lui repartit aussitôt qu'à chacune de ses paroles il en opposerait mille, et l'effet suivant de près la menace, il parla avec une telle abondance d'expressions, qu'il occupa tout le reste de la séance, sans laisser à son adversaire le temps de rien lui répliquer.

XVe Session, 8 décembre. Marc d'Éphèse crut avoir sa revanche en faisant un long discours, pour prouver qu'il n'était permis de faire au symbole aucune addition; et comme on lui avait objecté le concile de Constantinople, qui avait ajouté au symbole de Nicée, il soutint en désespoir de cause que cette défense n'existait que depuis le concile d'Éphèse. Le cardinal Julien lui produisit alors un ancien exemplaire d'une lettre du pape Libère à saint Athanase, qu'il venait de recevoir de Vérone, et dans laquelle on lisait que le concile de Nicée lui-même avait défendu de rien ajouter, retrancher ou changer au symbole, sous peine de déposition contre les évêques et les clercs, et d'anathème contre les moines et les laïques. Ainsi la prétention de Marc d'Éphèse, que cette défense ne datait que du troisième concile général, se trouvait ruinée une fois de plus. Cette lettre fit une grande impression sur Bessarion de Nicée.

XVIe Session, 10 janvier 1439. La peste s'étant déclarée à Ferrare, le pape proposa aux Grecs de transférer le concile à Florence. L'empereur et le patriarche y ayant consenti, Eugène IV fit lire dans le concile la bulle de translation, et six jours après il partit pour Florence. Le patriarche et l'empereur s'y rendirent aussi de leur côté, et de ce moment le concile fut repris à Florence.

Comme aucun décret ne fut publié à Ferrare, soit sur la discipline, soit sur la foi, ou ne peut considérer les actes de ce concile que comme les préliminaires de celui de Florence. Au fond, ces deux conciles n'en font qu'un, et ne sont pas même distingués l'un de l'autre dans la plupart des collections. Hist. de l'Egl. gallic., l. XLVIII; Hist. univ. de l'Eglise cathol., l. LXXXII. Voy. FLORENCE, l'an 1439.



Concile de Florence - 1439 - 1445 -

dix-septième concile oecuménique

(tome I, colonnes 917 à 922)


FLORENCE (Concile oecuménique de), l'an 1439. Ce concile, à proprement parler, ne fut que la continuation de celui de Ferrare. On fera donc bien de consulter, pour le commencement, l'article FERRARE.

La première session se tint le 26 février. Le patriarche de Constantinople n'ayant pu s'y trouver, parce qu'il était malade, le cardinal Julien et l'empereur des Grecs furent les seuls qui y parlèrent, et qui convinrent qu'il fallait chercher quelque expédient pour se réunir.

IIe et IIIe Sessions, 2 et 5 mars. On y agite la matière touchant la procession du Saint-Esprit. Jean de Montenegro, provincial des dominicains, et théologien des Latins, prouva par l'Écriture, par la tradition et par de solides raisonnements, que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils: il expliqua ce qu'on devait entendre par le terme de procession, et dit que procéder était recevoir son existence d'un autre. Marc d'Éphèse étant convenu de cette proposition, Jean, argumentant de là, dit: Celui de qui le Saint Esprit reçoit l'être dans les personnes divines, en reçoit aussi la procession. Or, l'Esprit-Saint reçoit l'être du Fils; donc il en reçoit aussi la procession, suivant la propre signification de ce terme. Mais Marc ayant nié que le Saint-Esprit reçût l'être du Fils, Jean le prouva par plusieurs arguments, et, en particulier, par quelques textes de saint Épiphane; aux passages de saint Basile que son adversaire lui opposait, il oppose à son tour les mêmes passages, tels qu'ils se lisaient dans plusieurs exemplaires; et il réfuta si pleinement toutes les objections de Marc, qu'il le réduisit au silence.

IVe Session, 7 mars. Le même théologien montra dans plusieurs exemplaires de saint Basile, qu'on avait apportés exprès de Constantinople, que ce saint docteur dit en termes formels, dans le livre troisième contre Eunomius, que le Saint-Esprit ne procède pas seulement du Père, mais aussi du Fils.

Ve VIe et VIIe Sessions, 10, 14 et 17 mars. On agita ce qui regardait l'autorité et les témoignages de saint Basile.

VIIIe et IXe Sessions, 21 et 24 mars. Jean y parla longtemps avec beaucoup d'érudition et de netteté. Il fit voir que, de tous les Pères grecs qui ont parlé de la procession du Saint-Esprit, plusieurs ont dit en termes formels ou équivalents, qu'il procède du Père et du Fils; et que tous ceux qui ont dit qu'il procède du Père, n'ont jamais exclu le Fils. Comme Marc d'Éphèse et plusieurs autres Grecs avec lui inféraient de la croyance des Latins que ceux-ci admettaient deux principes, au lieu d'un seul, le provincial démontra par nombre d'autorités, empruntées des Latins eux-mêmes, que telle n'était pas leur croyance, mais qu'ils avaient, au contraire, toujours enseigne que le Père et le Fils sont un seul et même principe du Saint-Esprit. En outre, il expliqua comment on peut entendre ces deux prépositions per et ex, dont on se sert pour marquer la procession du Saint-Esprit; et il donna par écrit le précis de son discours.

Les Grecs furent partagés: les uns étaient pour l'union; de ce nombre étaient l'empereur et Bessarion de Nicée: les autres y étaient opposés; Marc d'Éphèse était de ces derniers. On entama des négociations: on examina l'écrit de Jean. Marc le taxait d'hérésie; Bessarion, au contraire, dit hautement qu'il fallait rendre gloire à Dieu, et avouer de bonne foi que la doctrine des Latins était la même que celle des anciens Pères de l'Église grecque, et qu'on devait expliquer ceux qui avaient parlé plus obscurément, par les autres qui s'étaient expliqués avec clarté. Il justifia ensuite, dans un long discours que nous avons dans les actes du concile, le sentiment des Latins sur la procession du Saint-Esprit, réfuta les objections des Grecs, et finit en exhortant ses confrères à l'union: son sentiment fut appuyé par celui de George Scholarius, un des théologiens grecs.

L'empereur étant convenu avec le pape que l'on nommerait de part et d'autre des personnes pour donner leur avis sur les moyens de parvenir à l'union, on proposa divers avis, dont aucun ne fut accepté par les deux partis. Après plusieurs négociations, on dressa, sur la procession du Saint-Esprit, une profession de foi, dans laquelle il est dit: " Nous, Latins et Grecs, confessons, etc., que le Saint-Esprit est éternellement du Père et du Fils; et que de toute éternité il procède de l'un et de l'autre, comme d'un seul principe (1), et par une seule production qu'on appelle spiration. Nous déclarons aussi que ce que disent les saints docteurs et les Pères, que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils, doit être pris en ce sens que le Fils est, comme le Père et conjointement avec lui, le principe du Saint-Esprit. Et parce que tout ce qu'a le Père, il le communique à son Fils, excepté la paternité, qui le distingue du Fils et du Saint-Esprit, aussi est-ce de son Père que le Fils a reçu de toute éternité cette vertu productive par laquelle le Saint-Esprit procède du Fils comme du Père. "

(1) On trouve ici condamnée d'avance l'erreur de M. F Lamennais (Esquisse d'une phil.), reproduite par M. l'abbé Maret dans sa Théodicée, qui consiste à admettre en Dieu trois principes, au lieu d'un seul qu'a toujours reconnu l'Église catholique. Cette inexactitude de doctrine ou de langage, pour ne rien dire de pire, a été victorieusement combattue dans les Annales de Philosophie chrétienne, année 1846, après avoir été signalée pour la première fois dans l'opuscule intitulé: M. Lamennais réfuté par lui-même, par M. l'abbé Ad. Ch. Peltier.

Cette définition fut lue, approuvée et signée, le 8 juin, des uns et des autres, à l'exception de Marc d'Éphèse qui persévéra dans son obstination. Ensuite ils se donnèrent tous le baiser de paix, en signe de leur réunion. Cette affaire étant terminée, on traita la question du pain azyme, et les Grecs convinrent qu'on pouvait consacrer avec cette sorte de pain, comme avec le pain levé. Il en fut de même sur la croyance par rapport au purgatoire: on convint que les âmes des véritables pénitents, morts dans la charité de Dieu, avant d'avoir fait de dignes fruits de pénitence, sont purifiées après leur mort par les peines du purgatoire, et qu'elles sont soulagées de ces peines par les suffrages des fidèles vivants, comme sont le sacrifice de la messe, les aumônes et les autres oeuvres de piété.

On contesta longtemps sur la primauté du pape; enfin les évêques grecs dressèrent un projet que le pape et les cardinaux agréèrent; il est conçu ainsi: " Touchant la primauté du pape, nous avouons qu'il est le souverain pontife et le vicaire de Jésus-Christ, le pasteur et le docteur de tous les chrétiens, qui gouverne l'Église de Dieu, sauf les privilèges et les droits des patriarches d'Orient. "

Après plusieurs conférences, le décret d'union fut dressé le 6 juillet, et on le mit au net, en grec et en latin. Le pape le signa, et, après lui, les cardinaux au nombre de dix-huit; deux patriarches latins, celui de Jérusalem et celui de Grade; deux évêques ambassadeurs du duc de Bourgogne; huit archevêques, quarante-sept évêques, à la vérité presque tous italiens; quatre généraux d'ordre; quarante et un abbés. Du côté des Grecs, l'empereur Jean Paléologue signa le premier, et, après lui, les vicaires des patriarches d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem. Celui de Constantinople était mort peu auparavant. Plusieurs métropolitains signèrent en leurs noms et au nom d'un autre absent.

Ce décret porte en substance: 1. que le Saint Esprit reçoit de toute éternité son être du Père et du Fils en même temps, et qu'il procède de l'un et de l'autre comme d'un seul principe; 2. que l'addition faite au symbole de ce mot, Filioque, est légitime, comme étant devenue une explication nécessaire du dogme; 3. que la consécration de l'Eucharistie peut également se faire sur le pain fermenté et sur le pain azyme, et que chaque Église doit suivre là-dessus son usage particulier; 4. que les âmes de ceux qui meurent avant d'avoir satisfait par de dignes fruits de pénitence, quoiqu'en état de grâce, sont soumises aux peines du purgatoire, et peuvent être soulagées par le saint sacrifice, par les prières et les autres bonnes oeuvres des vivants; que celles qui n'ont rien à expier, sont aussitôt admises dans le ciel au bonheur de voir Dieu; et que celles qui sortent de ce monde avec un péché mortel, ou même avec le seul péché originel, descendent en enfer, pour y souffrir des peines diverses; 5. que le saint-siège apostolique et le pontife romain a la primauté sur tout l'univers, qu'il est le successeur de saint Pierre, prince des apôtres, et le vrai vicaire de Jésus-Christ, qu'il est le chef de l'Église entière, le père et le docteur de tous les chrétiens, et que Notre-Seigneur lui a remis dans la personne de saint Pierre le plein pouvoir de paître, de régir et de gouverner l'Église universelle, comme le prouvent les actes des conciles oecuméniques et les sacrés canons. Enfin le concile assigne au patriarche de Constantinople le second rang après le pontife romain; le troisième au patriarche d'Alexandrie; le quatrième à celui d'Antioche, et le cinquième à celui de Jérusalem, en conservant à chacun ses droits et ses privilèges. Ce décret fut publié au nom du pape, et daté de la neuvième année de son pontificat. Les Grecs, au nombre de trente, partirent de Florence le 26 août, et ils arrivèrent à Constantinople le 1er février 1440.

Cependant, après leur départ, le pape continua son concile. Ce fut dans cette première session, qui se tint le 4 septembre, que les Pères de Bâle, qui avaient déposé le pape Eugène, furent traités par ce pape d'hérétiques et de schismatiques. Dans la deuxième, le 22 novembre, il fit un décret très étendu pour réunir les Arméniens à l'Église romaine. Outre la foi de la Trinité et de l'Incarnation, expliquées par les conciles généraux qui y sont indiqués, il contient encore la forme et la matière de chaque sacrement, exposées un peu autrement que les Grecs et plusieurs théologiens ne les expliquaient. Dans la troisième, le 23 mars 1441, il déclare Amédée antipape, hérétique, schismatique, et tous ses fauteurs criminels de lèse-majesté, promettant toutefois le pardon à ceux qui se reconnaîtraient avant cinquante jours. Dans la quatrième, le 5 février 1442, on fit un décret de réunion avec les jacobites; il fut signé par le pape et huit cardinaux. L'abbé André, député du patriarche Jean, reçut et accepta ce décret au nom de tous les jacobites éthiopiens, et promit de le faire exactement observer. Dans la cinquième et dernière, le 26 avril 1442, le pape proposa la translation du concile à Rome; mais on n'y tint que deux séances. On y fit des décrets touchant la réunion des Syriens, des Chaldéens et des Maronites à l'Église romaine.

" On dispute, dit le savant P. Berthier, si cette assemblée représentait véritablement l'Église universelle, quand les Grecs furent partis, et en particulier quand on publia le décret célèbre pour l'union des Arméniens. C'est en France plus qu'ailleurs qu'on a traité cette question, qui entre dans la controverse des sacrements. Or, il semble que le départ des Grecs n'empêchait pas l'oecuménicité du concile, au temps de la réunion des Arméniens, puisque, durant son séjour à Florence, l'empereur Jean Paléologue avec son conseil y avait donné un plein consentement; puisqu'il y avait encore alors en cette ville deux des plus célèbres prélats de l'Église grecque, savoir, Isidore de Russie et Bessarion de Nicée, qui pouvaient bien être censés représenter les suffrages des autres évêques d'Orient; puisqu'au concile de Trente le cardinal du Mont, qui en était un des présidents, assura que le concile de Florence avait duré près de trois ans encore après le départ des Grecs. Et ce cardinal apportant cette raison, afin d'autoriser les définitions contenues dans les décrets donnés pour les jacobites et les Arméniens, montrait suffisamment par là qu'il regardait le concile de Florence, dans sa continuation depuis le départ des Grecs, comme un concile oecuménique. Enfin le pape Eugène et tous les Pères qui étaient à Florence se donnèrent aux Arméniens comme formant encore l'assemblée de l'Église universelle; le décret même en fait foi: apparemment qu'ils ne prétendirent pas tromper les députés de cette nation, et apparemment aussi que leur autorité peut bien l'emporter sur celle de quelques théologiens français fort modernes, qui ont voulu douter de ce point...

" Mais il y a un autre point beaucoup plus considérable, sur lequel on a aussi disputé en France, et qui regarde le fond même, l'état et l'essence du concile de Ferrare et de Florence, pris dans son tout, c'est-à-dire, durant l'assemblée des Latins et des Grecs. Quelques-uns ont cru que ce concile n'avait jamais été véritablement et proprement oecuménique. Tel fut autrefois le sentiment du cardinal de Lorraine, qui s'en expliqua d'une manière assez vive, au temps même du concile de Trente. " Mais, reprend sur cela le P. Alexandre, l'opinion de ce grand prélat n'oblige pas les théologiens français de retrancher le concile de Florence de la liste des conciles généraux; car jamais l'Église gallicane ne s'est récriée contre ce concile, jamais elle n'a mis d'opposition à l'union des Grecs ni à la définition de foi publiée à Florence, au contraire, elle a toujours fait profession de la respecter. A la vérité les évêques de la domination du roi n'eurent pas permission d'aller à Ferrare et à Florence, mais ils y furent présents d'esprit et de volonté; ils entrèrent dans les intérêts de cette union tant désirée entre les deux Églises... sans compter que plusieurs prélats de l'Église gallicane, mais établis dans les provinces qui n'étaient pas encore réunies à la Couronne, assistèrent en personne à ce concile. " Le même auteur prouve ensuite très au long que l'assemblée de Florence fut générale par la convocation, la célébration, la représentation de l'Église universelle, en un mot, dit-i1, par l'autorité: et il répond ensuite à toutes les objections.

" Ce sentiment du docteur dominicain est aussi celui de M. de Marca, de M. Bossuet, de la faculté de théologie de Paris, et de tout le clergé de France. " Hist. de l'Église gallic., l. XLVIII.

Si l'on fait dépendre l'oecuménicité du concile de Florence de la présence de quelques prélats grecs, nous ne voyons pas pourquoi on admettrait comme oecuménique le concile de Trente, où l'Église d'Orient n'a pas du tout été représentée. Que l'on consente enfin à reconnaître que l'oecuménicité des conciles dépend surtout de la déclaration du saint-siège, et l'on pourra dire quelque chose de mieux que de dire il semble, sur un fait qui paraîtra alors si simple et si à l'abri de toute contestation.



Histoire des Conciles - seizième concile oecuménique