1988 Christifideles laici 51
51
Quant à ce qui est de la participation à la mission apostolique de l'Eglise, il est certain qu'en vertu du Baptême et de la Confirmation, la femme comme l'homme participe à la triple fonction de Jésus-Christ, Prêtre, Prophète et Roi, et, par conséquent, est habilitée et engagée dans l'apostolat fondamental de l'Eglise: l'évangélisation. D'autre part, dans l'accomplissement précisément de cet apostolat, la femme est invitée à user de ses propres "dons": avant tout, le don qui est sa dignité personnelle elle-même, le don de la parole, du témoignage de sa vie, et puis les dons liés à sa vocation féminine.
Dans la participation à la vie et à la mission de l'Eglise, la femme ne peut recevoir le sacrement de l'Ordre, et donc, ne peut remplir les fonctions propres du sacerdoce ministériel. C'est là une disposition que l'Eglise a toujours reconnue dans la volonté précise, totalement libre et souveraine, de Jésus-Christ qui a appelé des hommes seulement à être ses Apôtres(188); c'est une disposition qui peut s'éclairer par le rapport entre le Christ Epoux et l'Eglise son Epouse(189). Nous sommes dans le concept de la fonction, non de la dignité et de la sainteté. On doit, en fait, affirmer: "Même si l'Eglise possède une structure "hiérarchique", cette structure est cependant totalement ordonnée à la sainteté des membres du Christ"(190).
188- CF. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration sur la question de l'admission des femmes au sacerdoce ministériel Inter insigniores (15 octobre 1976) ; AAS 69 (1977), 98-116
189- MD 26
190- MD 27 ; "L'Eglise est un corps différencié, dans lequel chacun a sa fonction ; les tâches sont distinctes et elles ne doivent pas être confondues. Elles ne justifient aucune supériorité des uns sur les autres ; elle ne fournissent aucun prétexte à la jalousie. Le seul charisme que l'on peut désirer, c'est la charité (Cf. 1Co 12-13). Les plus grands dans le Royaume des cieux, ce ne sont pas les ministres, mais les saints" (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration sur la question de l'admission des femmes au sacerdoce ministériel Inter insigniores (15 octobre 1976) ; AAS 69 (1977) 115).
Mais, comme le disait déjà Paul VI, si "nous ne pouvons changer l'attitude de Notre Seigneur, ni l'appel qu'Il adresse aux femmes, nous pouvons tout de même reconnaître et promouvoir le rôle de la femme dans la mission évangélisatrice et dans la vie de la communauté chrétienne" (191).
191- Paul VI, Discours au Comité pour l'Année Internationale de la Femme (18 avril 1975) ; AAS 67 (1975), 266
Il est bien nécessaire que nous passions de la reconnaissance théorique de la présence active et responsable de la femme dans l'Eglise à sa réalisation pratique. C'est dans ce sens très précis qu'il faut lire cette Exhortation qui s'adresse aux fidèles laics, par la spécification voulue et répétée "hommes et femmes". Au surplus, le Code de Droit Canon contient de nombreuses dispositions sur la participation de la femme à la vie et à la mission de l'Eglise: ce sont des dispositions qui demandent à être connues plus largement, et, tout en respectant les différences des sensibilités culturelles et des nécessités pastorales, réalisées avec plus d'à-propos et de netteté.
Que l'on songe, par exemple, à la participation des femmes aux Conseils pastoraux diocésains et paroissiaux, comme également aux Synodes diocésains et aux Conciles particuliers. C'est en ce sens que les Pères du Synode ont écrit: "Que les femmes participent à la vie de l'Eglise sans aucune discrimination, même pour les consultations et l'élaboration de décisions"(192). Et encore: "Les femmes, qui ont déjà une place importante dans la transmission de la foi et dans l'accomplissement de services de tout genre dans la vie de l'Eglise, doivent être associées à la préparation des documents pastoraux et des initiatives missionnaires; elles doivent être reconnues comme des coopératrices de la mission de l'Eglise dans la famille, dans la profession et dans la société civile"(193).
192- Propositio 47
193- Propositio 47
Dans le domaine plus spécial de l'évangélisation et de la catéchèse, il faut promouvoir plus vivement la tâche complémentaire qui est celle de la femme dans la transmission de la foi, non seulement dans la famille, mais aussi dans les lieux les plus divers de l'éducation et, de façon plus générale, partout ou il s'agit d'accueillir la Parole de Dieu, sa compréhension et sa communication, y compris par le moyen de l'étude, de la recherche et de l'enseignement de la théologie.
A mesure que se développera son engagement dans le travail d'évangélisation, la femme sentira plus vivement le besoin d'être évangélisée. Ainsi, par les yeux illuminés de la foi (cf. Ep 1,18), la femme pourra distinguer ce qui correspond vraiment à sa dignité personnelle et à sa vocation de tout ce qui, fût-ce sous le prétexte de "dignité" et au nom de la "liberté" et du "progrès", amène la femme à ne pas favoriser le renforcement des véritables valeurs, mais, au contraire, à se rendre responsable de la dégradation morale des personnes, des milieux et de la société. Opérer un pareil "discernement" est une urgence historique qu'on ne saurait repousser et, en même temps, c'est une possibilité et une exigence qui découlent de la participation de la femme chrétienne au ministère prophétique du Christ et de son Eglise. Le "discernement" dont parle à plusieurs reprises l'apôtre Paul n'est pas seulement appréciation des réalités et des événements à la lumière de la foi; il est aussi décision concrète et engagement actif, non seulement dans l'Eglise, mais encore dans la société humaine.
On peut affirmer que tous les problèmes de notre temps dont il était déjà question dans la seconde partie de la Constitution conciliaire Gaudium et spes problèmes que le temps écoulé depuis n'a aucunement résolus ni simplifiés exigent la présence active des femmes et, précisons-le, leur contribution typique et irremplaçable.
En particulier, deux grandes tâches confiées à la femme méritent d'être rappelées à l'attention de tous.
En premier lieu, celle de donner toute sa dignité à la vie d'épouse et de mère. De nouvelles possibilités se présentent à la femme aujourd'hui pour une compréhension et une réalisation plus riche des valeurs humaines et chrétiennes impliquées dans la vie conjugale et dans l'expérience de la maternité; l'homme lui-même mari et père peut être amené à se corriger des diverses formes d'absentéisme ou de présence épisodique ou insuffisante, mieux, à nouer des relations nouvelles et significatives de communion interpersonnelle, grâce, précisément, à l'intervention intelligente, amoureuse et ferme de la femme.
Une autre tâche est celle d'assurer la dimension morale de la culture, c'est-à-dire une dimension vraiment humaine, conforme à la dignité de l'homme dans sa vie personnelle et sociale. Le Concile Vatican II a, semble-t-il, fait le lien entre la dimension morale de la culture et la participation des laïcs à la mission royale du Christ: "Que les laïcs unissent leurs forces pour apporter aux institutions et aux conditions de vie dans le monde, quand elles provoquent au péché, les assainissements convenables, pour qu'elles deviennent toutes conformes aux règles de la justice et favorisent l'exercice des vertus au lieu d'y faire obstacle. En agissant ainsi, les laïcs imprégneront de valeur morale la culture et les oeuvres humaines"(194).
194- LG 36
Dans la mesure ou la femme participe activement et de façon responsable au fonctionnement des institutions, dont dépend la sauvegarde de la priorité qu'on doit donner aux valeurs humaines dans la vie des communautés politiques, les paroles du Concile que nous venons de citer définissent un champ d'apostolat important de la femme: dans toutes les dimensions de la vie de ces communautés, depuis la dimension socio-économique jusqu'à la dimension socio-politique, il faut respecter et promouvoir la dignité personnelle de la femme et sa vocation spécifique: dans le domaine non seulement individuel mais aussi communautaire, non seulement dans des formes laissées à la liberté responsable des personnes, mais encore dans les formes garanties par les lois civiles justes.
"Il n'est pas bon que l'homme soit seul; je veux lui faire une aide qui lui soit assortie" (Gn 2,18). A la femme Dieu Créateur a confié l'homme. Assurément l'homme a été confié a tout homme, mais d'une façon particulière il a été confié à la femme, parce que précisément la femme, grâce à l'expérience spéciale de sa maternité, semble dotée d'une sensibilité spécifique pour l'homme et pour ce qui constitue son véritable bien, à commencer par la valeur fondamentale de la vie. Qu'elles sont grandes, les possibilités et les responsabilités de la femme en ce domaine, en un temps ou le développement de la science et de la technique n'est pas toujours inspiré et mesuré selon la véritable Sagesse, avec le risque inévitable de "déshumaniser" la vie humaine, surtout quand elle exigerait un amour plus intense et un accueil plus généreux!
Lorsqu'elle met ses dons au service de l'Eglise et de la société, la femme, tout à la fois, trouve son véritable épanouissement personnel sur lequel on insiste tant de nos jours et apporte sa contribution originale à la communion ecclésiale et au dynamisme apostolique du peuple de Dieu.
Dans la même perspective, il faut parler aussi de l'homme, et non seulement de la femme.
52
Au cours des réunions du Synode, plus d'une voix a exprimé la crainte qu'une insistance excessive sur la condition et le rôle des femmes puisse aboutir à un oubli inacceptable: l'oubli des hommes. Effectivement, en diverses situations ecclésiales, on a à déplorer l'absence ou la présence insuffisante des hommes, dont un certain nombre se soustrait à ses propres responsabilités ecclésiales, de sorte que, seules, des femmes s'emploient à y faire face: ainsi, par exemple, pour la participation à la prière liturgique à l'église, l'éducation et en particulier la catéchèse des enfants, la présence aux rencontres religieuses et culturelles, la collaboration aux initiatives de charité et aux entreprises missionnaires.
Un effort pastoral s'impose donc en vue d'obtenir la présence coordonnée des hommes et des femmes pour que soit rendue plus complète, plus harmonieuse et plus riche la participation des fidèles laïcs à la mission salvifique de l'Eglise.
La raison fondamentale qui exige et explique la présence coordonnée et la collaboration des hommes et des femmes n'est pas uniquement que cela assure, comme nous venons de le dire, un surcroît de signification et d'efficacité à l'action pastorale de l'Eglise; ni, moins encore, que cela correspond à un aspect sociologique de la convivialité humaine faite, naturellement, d'hommes et de femmes. C'est, tout d'abord, qu'ainsi se réalise le dessein originel du Créateur qui, "dès le commencement", a voulu que l'être humain soit "comme l'unité de deux" et qui a créé l'homme et la femme comme la première communauté de personnes, la racine de toute autre communauté, et, en même temps, comme un "signe" de cette communauté interpersonnelle d'amour qui constitue le mystère de la vie intime du Dieu Unique et Trinitaire.
C'est particulièrement pour cela que le mode le plus commun et le plus capillaire, et en même temps le plus fondamental, pour assurer cette présence coordonnée et harmonieuse des hommes et des femmes dans la vie et dans la mission de l'Eglise, c'est l'accomplissement des tâches et l'exercice des responsabilités du couple et de la famille chrétienne, dans lequel transparaît et se communique la variété des diverses formes d'amour et de vie: la forme conjugale, paternelle et maternelle, filiale et fraternelle. Comme le dit l'exhortation Familiaris consortio: "Si la famille chrétienne est une communauté dont les liens sont renouvelés par le Christ à travers la foi et les sacrements, sa participation à la mission de l'Eglise doit se réaliser d'une façon communautaire; c'est donc ensemble que les époux, en tant que couple, les parents et les enfants, en tant que famille, doivent vivre leur service de l'Eglise et du monde... La famille chrétienne, par ailleurs, édifie le Royaume de Dieu dans l'histoire à travers les réalités quotidiennes qui concernent et qui caractérisent sa condition de vie: c'est dès lors dans l'amour conjugal et familial vécu dans sa richesse extraordinaire de valeurs et avec ses exigences de totalité, de fidélité et de fécondité que s'exprime et se réalise la participation de la famille chrétienne à la mission prophétique, sacerdotale et royale de Jésus-Christ et de son Eglise"(195).
195- FC 50
En se plaçant dans cette perspective, les Pères du Synode ont rappelé le sens que doit assumer le sacrement de Mariage dans l'Eglise et dans la société pour éclairer et inspirer toutes les relations entre l'homme et la femme. C'est dans ce sens qu'ils ont souligné "la nécessité urgente que chaque chrétien vive et annonce le message d'espoir contenu dans la relation entre l'homme et la femme. Le sacrement de Mariage qui consacre cette relation dans sa forme conjugale et la révèle comme signe de la relation du Christ avec son Eglise, contient un enseignement de grande importance pour la vie de l'Eglise; cet enseignement, par l'intermédiaire de l'Eglise, doit atteindre le monde d'aujourd'hui; toutes les relations entre l'homme et la femme doivent s'inspirer de cet enseignement. L'Eglise doit utiliser ces richesses encore plus largement"(196). Les mêmes Pères ont à juste titre relevé que "l'estime de la virginité et le respect de la maternité doivent tous deux être revalorisés"(197), afin, encore une fois, de favoriser le développement des vocations diverses et complémentaires dans le contexte vivant de la communion et au service de sa croissance incessante.
196- Propositio 46
197- Propositio 47
53
L'homme est appelé à la joie, mais, chaque jour, il fait l'expérience de très nombreuses formes de souffrances et de douleurs. Aux hommes et aux femmes frappés de formes de souffrance et de douleur si variées, les Pères du Synode se sont adressés dans leur Message final en ces termes: "Vous, les abandonnés, vous qui êtes rebutés par notre société de consommation, malades, handicapés, pauvres, affamés, les émigrés, les exilés, les prisonniers, les chômeurs, les personnes âgées, les enfants abandonnés et les personnes seules, vous, victimes de la guerre et de toute sorte de violence, conséquences de notre société permissive: l'Eglise participe à votre souffrance qui vous conduit au Seigneur, qui vous associe à sa Passion rédemptrice, qui vous fait vivre à la lumière de sa Rédemption. Nous comptons sur vous pour enseigner au monde entier ce qu'est l'amour. Nous ferons tout notre possible pour que vous trouviez la place à laquelle vous avez droit dans la société et dans l'Eglise"(198).
198- VIIème Ass. Gén. Ord. Synode des Evêques (1987), Per Concilii semitas ad Populum Dei Nuntius, 12.
Dans le contexte d'un monde sans frontières comme celui de la souffrance humaine, tournons nous vers tous ceux qui sont frappés par la maladie sous ses différentes formes: les malades, en effet, sont l'expression la plus fréquente et la plus commune de l'homme qui souffre.
A tous et à chacun s'adresse l'appel du Seigneur: Les malades eux aussi sont envoyés comme des ouvriers dans sa vigne. Le poids qui fatigue les membres du corps et ébranle la sérénité de l'âme, loin de les détourner d'aller travailler à la vigne, les invite à vivre leur vocation humaine et chrétienne et à participer à la croissance du Royaume de Dieu sous des modalités nouvelles et même plus précieuses. Les paroles de l'apôtre Paul doivent devenir leur programme et, tout d'abord, elles sont une lumière qui fait briller à leurs yeux le sens de grâce de leur situation elle-même: "Ce qu'il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l'accomplis dans ma propre chair, pour son Corps qui est l'Eglise" ( Col 1,24). C'est en faisant cette découverte que l'Apôtre est arrivé à la joie: "Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous" ( Col 1,24). Pareillement, beaucoup de malades peuvent devenir porteurs de "la joie de l'Esprit Saint au milieu de bien des épreuves" ( 1Th 1,6) et être témoins de la Résurrection de Jésus. Comme l'a exprimé un handicapé au cours de son intervention dans une séance du Synode, "il est très important de mettre en lumière le fait que les chrétiens qui vivent dans des situations de maladie, de souffrances, de vieillesse, sont invités par Dieu non pas seulement à unir leur propre douleur à la Passion du Christ, mais aussi à accueillir dès maintenant en eux-mêmes et à transmettre aux autres la force de renouveau et la joie du Christ ressuscité (cf. 2Co 4,10-11 1P 4,13 Rm 8,18 cf. suiv.)"(199).
199- Propositio 53
L'Eglise, de son côté, comme on le lit dans la Lettre Apostolique Salvifici doloris, "elle qui naît du mystère de la rédemption dans la Croix du Christ, a le devoir de chercher à rencontrer l'homme d'une façon particulière sur le chemin de la souffrance. En cette rencontre, l'homme "devient le chemin de l'Eglise" et c'est là l'un des chemins les plus importants"(200). L'homme qui souffre est le chemin de l'Eglise, parce qu'il est, avant tout, le chemin du Christ Lui-même, bon Samaritain, qui "ne passe pas son chemin", mais qui "a compassion de lui..., s'approche de lui..., bande ses plaies..., prend soin de lui" (Lc 10,32-34).
200- SD 3
La communauté chrétienne a transcrit, de siècle en siècle, dans l'immense multitude des personnes malades et souffrantes, la parabole du bon Samaritain, en révélant et en communiquant l'amour de guérison et de consolation du Christ. Cela s'est fait par le moyen du témoignage de la vie religieuse consacrée au service des malades et par l'engagement infatigable de toutes les personnes qui s'occupent des services de la santé. Aujourd'hui, même dans les hôpitaux et les maisons de soins catholiques, on voit s'accroître, jusqu'à devenir parfois totale et exclusive, la présence des fidèles laïcs, hommes et femmes: c'est justement eux, médecins, infirmiers et infirmières, tout le personnel de la santé et les aides bénévoles, qui sont appelés à être l'image vivante du Christ et de son Eglise dans l'amour envers les malades et les souffrants.
54
Il faut que cet héritage si précieux que l'Eglise a reçu de Jésus-Christ, "médecin de la chair et de l'âme"(201), ne diminue pas, mais qu'il soit de plus en plus mis en valeur et enrichi grâce à une reprise et un nouvel élan de l'action pastorale pour et avec les malades et les personnes qui souffrent. Ce doit être une action capable de soutenir et de promouvoir attention, présence, écoute, dialogue, partage et assistance concrète apportés à la personne dans les moments ou, par la maladie et la souffrance, est mise à rude épreuve non seulement sa confiance dans la vie mais aussi sa foi même en Dieu et en son amour de Père. Ce renouveau pastoral trouve son expression la plus signifiante dans la célébration sacramentelle avec et pour les malades, comme force dans la douleur et dans la faiblesse, comme espérance dans le désespoir, comme lieu de rencontre et de fête.
201- S. Ignace d'Antioche, Ad Ephesios, VII,2 ; S. Ch. 10,64.
Un des objectifs fondamentaux de cette action pastorale renouvelée et intensifiée, qui ne peut pas ne pas englober, et de façon coordonnée, toutes les composantes de la communauté ecclésiale, c'est de considérer le malade, l'handicapé, la personne qui souffre, non pas simplement comme bénéficiaire de l'amour et du service offerts par l'Eglise, mais aussi comme sujet actif et responsable de l'oeuvre d'évangélisation et de salut.
Dans cette perspective, l'Eglise a la bonne nouvelle à publier à l'intérieur de la société et des cultures qui, ayant perdu le sens de la souffrance humaine, "censurent" tous les discours qui parlent de cette réalité de la vie. La bonne nouvelle, c'est l'annonce que souffrir peut avoir un sens positif pour l'homme et pour la société elle-même, étant donné que souffrir est orienté à devenir une forme de participation à la souffrance salvifique du Christ et à sa joie de ressuscité, que c'est donc une force de sanctification et d'édification de l'Eglise.
L'annonce de cette bonne nouvelle devient crédible lorsqu'elle n'est pas seulement un discours dit du bout des lèvres, mais passe à travers le témoignage de la vie, que ce soit celui de tous ceux qui prennent soin de la santé des malades, des handicapés et de ceux qui souffrent, mais aussi celui des malades eux-mêmes, rendus plus conscients et responsables de leur place et de leur tâche dans l'Eglise et pour l'Eglise.
Pour que la "civilisation de l'amour" puisse fleurir et porter du fruit dans le monde immense de la douleur humaine, il sera utile de relire et aussi de méditer à nouveau la Lettre Apostolique Salvifici doloris, dont nous rappelons ici la conclusion: "Il est donc nécessaire qu'au pied de la Croix du Calvaire se rassemblent en esprit tous ceux qui souffrent et qui croient au Christ, en particulier ceux qui souffrent à cause de leur foi en Lui, crucifié et ressuscité, afin que l'oblation de leurs souffrances hâte la réalisation de la prière du Sauveur Lui-même pour l'unité de tous. Que se rassemblent là aussi les hommes de bonne volonté, car sur la Croix se tient le "Rédempteur de l'homme", l'Homme de douleur qui a assumé en lui les souffrances physiques et morales des hommes de tous les temps, afin qu'ils puissent trouver dans l'amour le sens salvifique de leurs souffrances et des réponses fondées à toutes leurs interrogations. Avec Marie, Mère du Christ, qui se tenait au pied de la Croix, nous nous arrêtons près de toutes les croix de l'homme d'aujourd'hui. Nous invoquons tous les saints qui au cours des siècles ont participé spécialement aux souffrances du Christ. Nous leur demandons de nous soutenir. Et nous demandons à vous tous qui souffrez de nous aider. A vous précisément qui êtes faibles, nous demandons de devenir une source de force pour l'Eglise et pour l'humanité. Dans le terrible combat entre les forces du bien et du mal dont le monde contemporain nous offre le spectacle, que votre souffrance unie à la Croix du Christ soit victorieuse!"(202).
202- SD 31
55
Les ouvriers de la Vigne sont tous les membres du Peuple de Dieu: les prêtres, les religieux et les religieuses, les fidèles laïcs, tous ceux qui sont à la fois objet et sujet de la communion de l'Eglise et de la participation à sa mission de salut. Tous et chacun, nous travaillons à l'unique Vigne du Seigneur commune à tous, avec des charismes et des ministères divers et complémentaires.
Déjà sur le plan de l'être, avant même celui de l'agir, les chrétiens sont les sarments de l'unique vigne féconde, qui est le Christ; ils sont les membres vivants de l'unique Corps du Seigneur, édifié dans la force de l'Esprit. Sur le plan de l'être: cela ne veut pas dire seulement par la vie de grâce et de sainteté, qui est la première et la plus abondante source de la fécondité apostolique et missionnaire de notre Sainte Mère l'Eglise; cela signifie aussi par le moyen de la sainteté de vie qui caractérise les prêtres et les diacres, les religieux et les religieuses, les membres des instituts séculiers, les fidèles laïcs.
Dans l'Eglise-Communion, les états de vie sont si unis entre eux qu'ils sont ordonnés l'un à l'autre. Leur sens profond est le même, il est unique pour tous: celui d'être une façon de vivre l'égale dignité chrétienne et la vocation universelle à la sainteté dans la perfection de l'amour. Les modalités sont tout à la fois diverses et complémentaires, de sorte que chacune d'elles a sa physionomie originale et qu'on ne saurait confondre, et, en même temps, chacune se situe en relation avec les autres et à leur service.
Ainsi l'état de vie du fidèle laïc a comme trait spécifique son caractère séculier et il réalise un service ecclésial en attestant et en rappelant, à sa manière, aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, le sens que les réalités terrestres et temporelles possèdent dans le dessein salvifique de Dieu. A son tour, le sacerdoce ministériel représente la garantie permanente de la présence sacramentelle, dans la diversité des temps et des lieux, du Christ Rédempteur. L'état religieux témoigne du caractère eschatologique de l'Eglise ou, en d'autres termes, de sa tension vers le Royaume de Dieu, qui est préfiguré et en quelque sorte anticipé et déjà goûté par les voeux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance.
Tous les états de vie, tant dans leur ensemble que chacun d'eux par rapport aux autres, sont au service de la croissance de l'Eglise; ce sont des modalités diverses qui s'unifient profondément dans le "mystère de communion" de l'Eglise et qui se coordonnent, avec un profond dynamisme, dans sa mission unique.
De cette façon, le mystère unique et identique de l'Eglise révèle et revit, dans la diversité des états de vie et dans la variété des vocations, l'infinie richesse du mystère du Christ. Comme se plaisent à le répéter les Pères, l'Eglise est comme un champ ou l'on trouve une merveilleuse, une fascinante variété d'herbes, de plantes, de fleurs et de fruits. Saint Ambroise écrit: "Un champ produit beaucoup de fruits, mais le meilleur est celui qui produit des fruits et des fleurs. Or le champ de l'Eglise porte en abondance les uns et les autres. Ici, vous pouvez voir la virginité se mettre à fleurir, là, le veuvage manifester son austérité comme les forêts dans la plaine; ailleurs, la riche moisson des noces bénies par l'Eglise remplir les immenses greniers du monde d'une abondante récolte, et les pressoirs du Seigneur Jésus déborder comme des fruits d'une vigne florissante, fruits qui sont la richesse des noces chrétiennes"(203).
203- S. Ambroise, De virginitate, VI,34 ; PL 16,288. Cf. S. Augustin, Sermo CCCIV,III,2 ; PL 38,1396.
56
La riche variété de l'Eglise trouve sa dernière manifestation à l'intérieur de chacun des états de vie. Ainsi à l'intérieur de l'état de vie laïque se trouvent différentes "vocations", en d'autres termes, des chemins spirituels et apostoliques différents qui concernent chacun des fidèles laïcs. Dans le sillon d'une vocation laïque "commune", fleurissent des vocations laïques "particulières". A ce propos, nous pouvons mentionner ici l'expérience spirituelle qui a mûri récemment dans l'Eglise et a produit une floraison de différentes formes d'Instituts séculiers: aux fidèles laïcs, mais aussi aux prêtres eux-mêmes, s'est ouverte la possibilité de pratiquer les conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté et d'obéissance par le moyen des voeux ou de promesses, en conservant pleinement leur condition propre de laïcs et de clercs(204). Comme l'ont noté les Pères du Synode: "L'Esprit suscite encore d'autres formes d'offrande de soi même auxquelles se consacrent des personnes qui restent entièrement dans la vie laïque"(205).
204- Cf. Pie XII, Const. Ap. Provida Mater (2 février 1947) ; AAS 39 (1947), 114-124 ; CIC 573
205- Cf. Paul VI, Lettre Ap. Sabaudiae gemma (29 janvier 1967) ; AAS 59 (1967), 113-123.
Nous pouvons conclure en relisant une belle page de Saint François de Sales, qui a tant promu la spiritualité des laïcs(206). Parlant de la "dévotion", c'est-à-dire de la perfection chrétienne ou de "la vie selon l'Esprit", il présente d'une manière simple et splendide la vocation de tous les chrétiens à la sainteté et, en même temps, la forme spécifique dans laquelle la réalise chaque chrétien: "Dieu commanda à la création, aux plantes de porter leurs fruits, chacune selon son genre (Gn 1,11) : ainsi commande-t-il aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Eglise, qu'ils produisent des fruits de dévotion, un chacun selon sa qualité et vocation. La dévotion doit être différemment exercée par le gentilhomme, par l'artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée; et non seulement cela, mais il faut accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier... C'est une erreur, même une hérésie, de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. Il est vrai, Philothée, que la dévotion purement contemplative, monastique et religieuse, ne peut être exercée en ces vocations-là; mais aussi, outre ces trois sortes de dévotion, il y en a plusieurs autres, propres à perfectionner ceux qui vivent en états séculiers... Ou que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer à vie parfaite"(207).
207- S. François de Sales, Introduction à la vie dévote : Oeuvres complètes, Monastère de la Visitation, Annecy 1893, III, 19-21.
Se situant dans la même ligne, le Concile Vatican II écrit: "Cette spiritualité des laïcs doit revêtir des caractéristiques particulières suivant les conditions de vie de chacun: vie conjugale et familiale, célibat et veuvage, état de maladie, activité professionnelle et sociale. Chacun doit donc développer sans cesse les qualités et les dons reçus et en particulier ceux qui sont adaptés à ses conditions de vie et se servir des dons personnels de l'Esprit Saint"(208).
208- AA 4
Ce qui vaut des vocations spirituelles vaut aussi, et en un certain sens à plus forte raison, de l'infinie variété des modalités selon lesquelles tous les membres de l'Eglise, et chacun d'eux, sont des ouvriers qui travaillent dans la Vigne du Seigneur, édifiant le Corps mystique du Christ. En vérité, chacun est appelé personnellement, dans l'unicité de son histoire personnelle, à apporter sa propre contribution pour l'avènement du Royaume de Dieu. Aucun talent, fût-ce le plus petit, ne peut rester caché et inutilisé (cf.Mt 25,24-27).
L'apôtre Pierre nous adresse cet avertissement: "Ce que chacun de vous a reçu comme don de la grâce, mettez-le au service des autres, comme de bons gérants de la grâce de Dieu sous toutes ses formes" (1P 4,10).
57
L'image évangélique de la vigne et des sarments nous révèle un autre aspect fondamental de la vie et de la mission des fidèles laïcs: l'appel à grandir, et à mûrir sans cesse, à porter toujours plus de fruit.
Comme un vigneron diligent, le Père prend soin de sa vigne. La présence empressée de Dieu est ardemment implorée par Israël qui fait cette prière: "Dieu de l'univers, reviens! Du haut des cieux regarde et vois, visite cette vigne: protège-la, celle qu'a plantée ta main puissante" (Ps 80,15-16). Jésus à son tour parle de l'oeuvre du Père: "Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l'enlève; tout sarment qui donne du fruit, Il le nettoie, pour qu'il en donne davantage" ( Jn 15,1-2).
La vitalité des sarments dépend de leur insertion dans la vigne, qui est Jésus-Christ: "Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire" (Jn 15,5).
L'homme est interpellé dans sa liberté par l'appel de Dieu à croître, à mûrir et à porter du fruit. Il ne peut pas ne pas répondre, il ne peut pas ne pas assumer sa responsabilité. Et c'est à cette responsabilité, effrayante et exaltante, que font allusion ces paroles de Jésus: "Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est comme un sarment qu'on a jeté dehors, et qui se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent" (Jn 15,6).
En ce dialogue entre Dieu qui appelle et la personne interpellée dans sa responsabilité se situe la possibilité, et même la nécessité, d'une formation intégrale et permanente des fidèles laïcs, à laquelle les Pères du Synode ont consacré à juste titre une large part de leur travail. En particulier, après avoir décrit la formation chrétienne comme "un processus personnel continuel de maturation dans la foi et de ressemblance au Christ, selon la volonté du Père, sous la conduite de l'Esprit Saint", ils ont clairement affirmé que "la formation des fidèles laïcs doit se situer parmi les priorités du diocèse et trouver sa place dans les programmes d'action pastorale, de sorte que tous les efforts de la communauté (prêtres, laïcs, religieux) convergent à cette fin"(209).
209- Propositio 40
1988 Christifideles laici 51