1979 Catechesi Tradendae
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LA CATECHESE a toujours été considérée par l'Eglise comme l'une de ses tâches primordiales, car, avant de remonter vers son Père, le Christ ressuscité donna aux Apôtres une ultime consigne: faire de toutes les nations des disciples et leur apprendre à observer tout ce qu'il avait prescrit (1). Il leur confiait ainsi la mission et le pouvoir d'annoncer aux hommes ce qu'ils avaient eux-mêmes entendu, vu de leurs yeux, contemplé, touché de leurs mains, du Verbe de vie (2). Il leur confiait en même temps la mission et le pouvoir d'expliquer avec autorité ce qu'il leur avait appris, ses paroles et ses actes, ses signes et ses commandements. Et il leur donnait l'Esprit pour accomplir cette mission.
1- Mt 28,19-20
2- 1Jn 1,1
Très vite on a appelé catéchèse l'ensemble des efforts entrepris dans l'Eglise pour faire des disciples, pour aider les hommes à croire que Jésus est le Fils de Dieu afin que, par la foi, ils aient la vie en son nom (3), pour les éduquer et les instruire dans cette vie et construire ainsi le Corps du Christ. L'Eglise n'a cessé d'y consacrer ses énergies.
3- Jn 30,31
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Les derniers Papes lui ont donné une place éminente dans leur sollicitude pastorale. Par ses gestes, sa prédication, son interprétation autorisée du Concile Vatican II - qu'il considérait comme le grand catéchisme des temps modernes -, par sa vie entière, mon vénéré prédécesseur Paul VI a servi la catéchèse de l'Eglise d'une manière particulièrement exemplaire. Il a approuvé, le 18 mars 1971, le "Directoire général de la Catéchèse" préparé par la S. Congrégation pour le Clergé, un Directoire qui demeure le document de base pour stimuler et orienter le renouveau catéchétique dans toute l'Eglise. Il a institué le Conseil international de la catéchèse en 1975. Il a défini magistralement le rôle et la signification de la catéchèse dans la vie et la mission de l'Eglise lorsqu'il s'est adressé aux participants au Ier Congrès international de catéchèse, le 25 septembre 1971 (4), et il est revenu explicitement sur ce sujet dans l'Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi (5). Il a voulu que la catéchèse, celle surtout qui s'adresse aux enfants et aux jeunes, fût le thème de la IVe Assemblée générale du Synode des Evêques (6), célébrée pendant le mois d'octobre 1977, à laquelle j'ai eu moi-même la joie de participer.
4- AAS 63 (1971), pp. 758-764.
5- EN 44 EN 45-48 EN 54
6- On sait que , selon le Motu proprio Apostolica sollicitudo du 15 septembre 1965 (AAS 57 (1965), pp. 775-780), le Synode des Evêques peut se réunir en Assemblée générale, en Assemblée extraordinaire ou en Assemblée spéciale. Dans la présente Exhortation apostolique, les simples mots de "synode" ou de "Pères synodaux", ou d'"Aula synodale", se réfèreront toujours, à moins d'indications contraires, à la IV ème Assemblée générale du Synode des Evêques, tenue à Rome en octobre 1977, sur la catéchèse.
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A l'issue du Synode, les Pères remirent au Pape une documentation très riche, comprenant les diverses interventions faites au cours de l'Assemblée, les conclusions des groupes de travail, le Message qu'avec son consentement ils avaient envoyé au peuple de Dieu (7) et surtout l'imposante série de "Propositions" ou ils exprimaient leur avis sur un très grand nombre d'aspects de la catéchèse à l'heure actuelle.
7- Cf. Synodus Episcoporum, De catechesi hoc nostro tempore tradenda praesertim pueris atque iuvenibus, Ad Populum Dei Nuntius, Cité du Vatican, 28 octobre 1977 ; cf. L'Osservatore Romano 30 octobre 1977, pp. 3-4.
Ce Synode a travaillé dans une atmosphère exceptionnelle d'action de grâces et d'espérance. Il a vu dans le renouveau catéchétique un don précieux de l'Esprit Saint à l'Eglise d'aujourd'hui, un don auquel, partout dans le monde, les communautés chrétiennes, à tous les niveaux, répondent avec une générosité et un dévouement inventif qui suscitent l'admiration. Le nécessaire discernement pouvait dès lors s'opérer sur une réalité bien vivante et bénéficier dans le peuple de Dieu d'une grande disponibilité à la grâce du Seigneur et aux directives du Magistère.
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C'est dans le même climat de foi et d'espérance que je vous adresse aujourd'hui, Vénérables Frères, chers Fils et chères Filles, cette Exhortation apostolique. D'un thème extrêmement vaste elle ne retiendra que quelques aspects, plus actuels et plus décisifs, pour affermir les heureux fruits du Synode. Elle reprend pour l'essentiel les considérations que le Pape Paul VI avait préparées en utilisant largement les documents laissés par le Synode. Le Pape Jean-Paul Ier - dont le zèle et les dons de catéchiste nous ont tous émerveillés - les avait recueillies et s'apprêtait à les publier lorsqu'il fut brusquement rappelé à Dieu. A nous tous, il a donné l'exemple d'une catéchèse axée sur l'essentiel et populaire à la fois, faite de gestes et de paroles simples, capables de toucher tous les coeurs. Je reprends donc l'héritage de ces deux Pontifes pour répondre à la demande des Evêques formulée expressément à l'issue de la IVe Assemblée générale du Synode et accueillie par le Pape Paul VI dans son discours de clôture (8). Je le fais aussi pour accomplir un des devoirs majeurs de ma charge apostolique. La catéchèse a toujours été une préoccupation centrale dans mon ministère de prêtre et d'évêque.
8- Cf. AAS 69 (1977), p. 633.
Je désire ardemment que cette Exhortation apostolique, adressée à toute l'Eglise, affermisse la solidité de la foi et de la vie chrétienne, donne une nouvelle vigueur aux initiatives en cours, stimule la créativité - avec la vigilance requise - et contribue à répandre dans les communautés la joie de porter au monde le mystère du Christ.
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La IVe Assemblée générale du Synode des Evêques a souvent insisté sur le christocentrisme de toute catéchèse authentique. Nous pouvons retenir ici les deux significations du mot, qui ne s'opposent pas ni ne s'excluent, mais plutôt s'appellent et se complètent.
On veut souligner d'abord qu'au coeur de la catéchèse nous trouvons essentiellement une Personne, celle de Jésus de Nazareth, "Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité" (9), qui a souffert et qui est mort pour nous et qui maintenant, ressuscité, vit avec nous pour toujours. C'est Jésus qui est "le Chemin, la Vérité et la Vie" (10), et la vie chrétienne consiste à suivre le Christ, "sequela Christi".
9- Jn 1,14
10- Jn 14,6
L'objet essentiel et primordial de la catéchèse est, pour employer une expression chère à saint Paul et chère à la théologie contemporaine, "le Mystère du Christ". Catéchiser, c'est en quelque sorte amener quelqu'un à scruter ce Mystère en toutes ses dimensions: "Mettre en pleine lumière la dispensation du Mystère... Comprendre, avec tous les saints, ce qu'est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, (connaître) l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance et (entrer)... dans toute la Plénitude de Dieu" (11). C'est donc dévoiler dans la Personne du Christ tout le dessein éternel de Dieu qui s'accomplit en elle. C'est chercher à comprendre la signification des gestes et des paroles du Christ, des signes réalisés par lui, parce qu'ils cachent et révèlent à la fois son Mystère. En ce sens, le but définitif de la catéchèse est de mettre quelqu'un non seulement en contact mais en communion, en intimité avec Jésus-Christ: lui seul peut conduire à l'amour du Père dans l'Esprit et nous faire participer à la vie de la Trinité Sainte.
11- Ep 3,9 Ep 3,18-19
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Mais le christocentrisme, en catéchèse, signifie aussi qu'à travers elle on veut transmettre non point chacun sa propre doctrine ou celle d'un autre maître, mais l'enseignement de Jésus-Christ, la Vérité qu'il communique ou, plus exactement, la Vérité qu'il est (12). Il faut donc dire que, dans la catéchèse, c'est le Christ, Verbe incarné et Fils de Dieu, qui est enseigné - tout le reste l'est en référence à lui; et seul le Christ enseigne, tout autre le fait dans la mesure ou il est son porte-parole, permettant au Christ d'enseigner par sa bouche. La constante préoccupation de tout catéchiste, quel que soit le niveau de ses responsabilités dans l'Eglise, doit être de faire passer, à travers son enseignement et son comportement, la doctrine et la vie de Jésus. Il ne cherchera pas à arrêter à lui-même, à ses opinions et attitudes personnelles, l'attention et l'adhésion de l'intelligence et du coeur de celui qu'il catéchise; il ne cherchera surtout pas à inculquer ses opinions et ses options personnelles comme si elles exprimaient la doctrine et les leçons de vie du Christ. Tout catéchiste devrait pouvoir s'appliquer à lui-même la mystérieuse parole de Jésus: "Ma doctrine n'est pas de moi, mais de Celui qui m'a envoyé" (13). C'est ce que fait saint Paul en traitant une question de première importance: "J'ai reçu du Seigneur ce qu'à mon tour je vous ai transmis" (14). Quelle fréquentation assidue de la Parole de Dieu transmise par le Magistère de l'Eglise, quelle familiarité profonde avec le Christ et avec le Père, quel esprit de prière, quel détachement de soi-même doit avoir un catéchiste pour pouvoir dire: "Ma doctrine n'est pas de moi"!
12- Jn 14,6
13- Jn 7,16 C'est là un thème cher au quatrième Evangile cf. Jn 3,34 Jn 8,28 Jn 12,49-50 Jn 14,24 Jn 17,8 Jn 17,14
-14 1Co 11,23 : le mot "transmettre" employé ici par saint Paul a lui-même été répété souvent dans l'Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi pour décrire l'action évangélisatrice de l'Eglise, par exemple EN 4 EN 15 EN 78 EN 79.
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Cette doctrine n'est pas un corps de vérités abstraites, elle est communication du Mystère vivant de Dieu. La qualité de Celui qui l'enseigne dans l'Evangile et la nature de son enseignement dépassent de toutes manières celles des "maîtres" en Israël, grâce au lien unique qui existe entre ce qu'il dit, ce qu'il fait et ce qu'il est. Il n'en demeure pas moins que les Evangiles relatent clairement des moments ou Jésus "enseigne". "Jésus a fait et enseigné" (15) dans ces deux verbes qui introduisent le livre des Actes, saint Luc unit et distingue à la fois deux pôles dans la mission du Christ.
15- Ac 1,1
Jésus a enseigné. C'est le témoignage qu'il donne de lui-même: "Chaque jour j'étais assis dans le Temple à enseigner" (16). C'est l'observation pleine d'admiration des évangélistes surpris de le voir enseigner en tout temps et en tout lieu, d'une façon et avec une autorité inconnues jusqu'alors: "De nouveau les foules se rassemblent auprès de lui et, selon sa coutume, de nouveau il les enseignait" (17); "Et ils étaient frappés de son enseignement, car il les enseignait comme ayant autorité" (18). C'est aussi ce que constatent ses ennemis, pour en tirer un motif d'accusation et de condamnation: "Il soulève le peuple, enseignant par toute la Judée, depuis la Galilée, ou il a commencé, jusqu'ici" (19).
16- Mt 26,55 Jn 18,20
17- Mc 10,1
18- Mc 1,22 Mt 5,2 Mt 11,1 Mt 13,54 Mt 22,16 Mc 2,13 Mc 4,1 Mc 6,2 Mc 6,6 Lc 5,3 Lc 5,17 Jn 7,14 Jn 8,2 etc.
19- Lc 23,5
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Celui qui enseigne ainsi mérite à un titre unique le nom de "Maître". Que de fois, tout au long du Nouveau Testament et spécialement dans les Evangiles, ce titre de Maître ne lui est-il pas donné (20)! Ce sont évidemment les Douze, les autres disciples, les foules d'auditeurs qui l'appellent "Maître", avec un accent à la fois d'admiration, de confiance et de tendresse (21). Même les Pharisiens et les Sadducéens, les Docteurs de la Loi, les Juifs en général, ne lui refusent pas cette désignation: "Maître, nous voulons que tu nous fasses voir un signe" (22); "Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle?" (23). Mais c'est surtout Jésus lui-même, en des moments particulièrement solennels et très significatifs, qui s'appelle Maître: "Vous m'appelez Maître et Seigneur et vous dites bien, car je le suis" (24); il proclame la singularité, le caractère unique de sa condition de Maître: "Vous n'avez qu'un Maître" (25): le Christ. On comprend que, au cours de deux mille ans, dans toutes les langues de la terre, des hommes de toute condition, race et nation lui aient donné avec vénération ce titre, répétant à leur façon le cri de Nicodème: "Nous le savons, tu viens de la part de Dieu comme un Maître" (26).
20- Dans près de cinquante endroits des quatre Evangiles, ce titre, hérité de toute la Tradition judaïque, mais revêtu ici d'une signification nouvelle que le Christ lui-même cherche souvent à mettre en lumière, est attribué à Jésus.
21- entre autres Mt 8,19 Mc 4,38 Mc 9,38 Mc 10,35 Mc 13,1 Jn 11,28
22- Mt 12,38
23- Lc 10,25 Mt 22,16
24- Jn 13,13-14 Mt 10,25 Mt 6,18 et par.
25- Mt 23,8 Saint Ignace d'Antioche reprend cette affirmation et la commente ainsi : "Nous avons reçu la foi, c'est pourquoi nous tenons bon afin d'être reconnus disciples de Jésus Christ, notre unique Maître" (Epistula ad Magnesios, IX,1 : Funk 1,239).
26- Jn 3,2
Cette image du Christ Enseignant, à la fois majestueuse et familière, impressionnante et rassurante, image dessinée par la plume des évangélistes et souvent évoquée ensuite par l'iconographie depuis le premier âge chrétien (27) tant elle est saisissante, j'aime l'évoquer à mon tour au seuil de ces considérations sur la catéchèse dans le monde d'aujourd'hui.
27- La représentation du Christ Docteur dans l'attitude d'enseigner apparaît déjà dans les catacombes romaines. Elle est abondamment utilisée dans les mosaïques de l'art romano-bysantin du IIIè et du IVè siècles. Elle formera un motif artistique prédonimant dans les sculptures des grandes cathédrales romanes et gothiques du moyen âge.
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Je n'oublie pas, ce faisant, que la majesté du Christ Enseignant, la cohérence et la force persuasive uniques de son enseignement ne s'expliquent que parce que ses paroles, ses paraboles et ses raisonnements ne sont jamais détachables de sa vie et de son être même. Dans ce sens, toute la vie du Christ fut un continuel enseignement: ses silences, ses miracles, ses gestes, sa prière, son amour de l'homme, sa prédilection pour les petits et les pauvres, l'acceptation du sacrifice total sur la croix pour la rédemption du monde, sa résurrection sont l'actuation de sa parole et l'accomplissement de la révélation. Si bien que pour les chrétiens le crucifix est une des images les plus sublimes et les plus populaires de Jésus Enseignant.
Toutes ces considérations, qui sont dans le sillage des grandes traditions de l'Eglise, raffermissent en nous la ferveur envers le Christ, le Maître qui révèle Dieu aux hommes et l'homme à lui-même; le Maître qui sauve, sanctifie et guide, qui est vivant, qui parle, secoue, émeut, redresse, juge, pardonne, marche quotidiennement avec nous sur le chemin de l'histoire; le Maître qui vient et qui viendra dans la gloire.
C'est seulement dans une profonde communion avec lui que les catéchistes trouveront lumière et force pour un renouveau authentique et souhaitable de la catéchèse.
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L'image du Christ Enseignant s'était imprimée dans l'esprit des Douze et des premiers disciples, et la consigne: "Allez... de toutes les nations faites des disciples" (28) a orienté toute leur vie. Saint Jean en rend témoignage dans son Evangile quand il rapporte les paroles de Jésus: "Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son Maître, mais je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait connaître" (29). Ce ne sont pas eux qui ont choisi de suivre Jésus, mais c'est Jésus qui les a choisis, qui les a gardés avec lui et les a établis, dès avant sa Pâque, pour qu'ils aillent et portent du fruit et pour que leur fruit demeure (30). C'est pourquoi, après la résurrection, il leur confie de façon formelle la mission de faire de toutes les nations des disciples.
28- Mt 28,19
29- Jn 15,15
30- Jn 15,16
L'ensemble du livre des Actes des Apôtres témoigne qu'il ont été fidèles à leur vocation et à la mission reçue. Les membres de la première communauté chrétienne y apparaissent "assidus à l'enseignement des Apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières" (31). On trouve là sans aucun doute l'image permanente d'une Eglise qui, grâce à l'enseignement des Apôtres, naît et se nourrit continuellement de la Parole du Seigneur, la célèbre dans le sacrifice eucharistique et en donne le témoignage au monde dans le signe de la charité.
31- Ac 2,42
Lorsque les adversaires prennent ombrage de l'activité des Apôtres, c'est parce qu'ils sont "contrariés de les voir enseigner le peuple" (32) et l'ordre qu'ils leur donnent est de ne plus enseigner au nom de Jésus (33). Mais nous savons que, précisément sur ce point, les Apôtres ont estimé juste d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes (34).
32- Ac 4,2
33- Ac 4,18 Ac 5,28
34- Ac 4,19
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Les Apôtres ne tardèrent pas à partager avec d'autres le ministère de l'apostolat (35). Ils transmettent à leurs successeurs la tâche d'enseigner. Ils la confiént aussi aux diacres dès leur institution: Etienne, "rempli de grâce et de puissance", ne cesse d'enseigner, mû par la sagesse de l'Esprit (36). Les Apôtres s'adjoignent dans la tâche d'enseigner "beaucoup d'autres" disciples (37); et même de simples chrétiens dispersés par la persécution s'en vont "de lieu en lieu en annonçant la parole de la Bonne Nouvelle" (38). Saint Paul est le héraut par excellence de cette annonce, d'Antioche jusqu'à Rome, ou la dernière image que nous avons de lui dans les Actes est celle d'un homme "enseignant ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ avec pleine assurance" (39). Ses nombreuses lettres prolongent et approfondissent son enseignement. Et les lettres de Pierre, de Jean, de Jacques et de Jude sont autant de témoins de la catéchèse de l'âge apostolique.
35- Ac 1,25
36- Ac 6,8 cf. aussi Philippe catéchissait le fonctionnaire d'une reine d'Ethiopie Ac 8,26 et suiv.
37- Ac 15,35
38- Ac 8,4
39- Ac 28,31
Les Evangiles, qui, avant d'être écrits, ont été l'expression d'un enseignement oral transmis aux communautés chrétiennes, portent plus ou moins clairement une structure catéchétique. Le récit de saint Matthieu n'a-t-il pas été appelé l'Evangile du catéchiste et celui de saint Marc l'Evangile du catéchumène?
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L'Eglise continue cette mission d'enseignement des Apôtres et de leurs premiers collaborateurs. Se faisant elle-même jour après jour disciple du Seigneur, elle est appelée à juste titre "Mère et Educatrice" (40). De Clément de Rome à Origène (41), l'âge post-apostolique voit naître des oeuvres remarquables. Puis on assiste à ce fait impressionnant: des Evêques et des Pasteurs, parmi les plus prestigieux, surtout aux IIIe et IVe siècles, considèrent comme une partie importante de leur ministère épiscopal de prononcer des instructions ou de composer des traités catéchétiques. C'est l'époque de Cyrille de Jérusalem et de Jean Chrysostome, d'Ambroise et d'Augustin, celle ou l'on voit fleurir, sous la plume de tant de Pères de l'Eglise, des ouvrages qui demeurent pour nous des modèles.
40- Cf. Encyclique Mater et Magistra du pape Jean XXIII (AAS 53 (1961), p. 401) : l'Eglise est "mère", car elle engendre sans cesse de nouveaux enfants par le baptême et fait grandir la famille de Dieu ; elle est "éducatrice", car elle fait en sorte que ses enfants croissent dans la grâce de leur baptême en nourrissant leur sensus fidei par l'enseignement des vérités de la foi.
41- Cf. par exemple : la lettre de S. Clément de Rome à l'Eglise de Corinthe, la Didachè, la "Lettre des Apôtres", les écrits de S. Irénée de Lyon (Demonstratio Apostolicae praedicationis et Adversus haereses), de Tertulien (De baptismo), de Clément d'Alexandire ("le Pédagogue"), de S. Cyprien (Testimonia ad Quirinum), d'Origène (Contra Celsum), etc.
Comment serait-il possible d'évoquer ici, même très brièvement, la catéchèse qui a soutenu la diffusion et le cheminement de l'Eglise aux diverses époques de l'histoire, dans tous les continents, et dans les contextes sociaux et culturels les plus variés? Certes, les difficultés n'ont jamais manqué. Mais la Parole du Seigneur a accompli sa course à travers les siècles, s'est répandue et a été glorifiée, selon les termes de l'Apôtre Paul (42).
42- 2Th 3,1
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Le ministère de la catéchèse puise des énergies toujours nouvelles dans les Conciles. Le Concile de Trente constitue à cet égard un exemple à souligner: il a donné à la catéchèse une priorité dans ses constitutions et dans ses décrets; il est à l'origine du "catéchisme romain" qui porte aussi son nom et qui constitue une oeuvre de premier ordre comme résumé de la doctrine chrétienne et de la théologie traditionnelle à l'usage des prêtres; il a suscité dans l'Eglise une organisation remarquable de la catéchèse; il a stimulé les clercs à leurs devoirs d'enseignement catéchétique; il a entraîné, grâce à de saints théologiens tels saint Charles Borromée, saint Robert Bellarmin ou saint Pierre Canisius, la publication de catéchismes, véritables modèles pour ce temps-là. Puisse le Concile Vatican II susciter de nos jours un élan et une oeuvre semblables!
Les missions constituent aussi un terrain privilégié pour la mise en oeuvre de la catéchèse. Ainsi, depuis près de deux mille ans, le peuple de Dieu n'a cessé de s'éduquer dans la foi, suivant des formes adaptées aux diverses conditions des croyants et aux multiples conjonctures ecclésiales.
La catéchèse est intimement liée à toute la vie de l'Eglise. Non seulement l'extension géographique et l'augmentation numérique mais aussi, et davantage encore, la croissance intérieure de l'Eglise, sa correspondance avec le dessein de Dieu, dépendent essentiellement d'elle. Des quelques expériences que nous venons d'évoquer dans l'histoire de l'Eglise, plusieurs leçons - parmi beaucoup d'autres - méritent d'être mises en évidence.
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Il est manifeste d'abord que, pour l'Eglise, la catéchèse a toujours été un devoir sacré et un droit imprescriptible. D'une part, c'est bien un devoir, né d'une consigne du Seigneur et qui incombe surtout à ceux qui, dans la Nouvelle Alliance, reçoivent l'appel au ministère de Pasteurs. D'autre part, on peut également parler de droit: d'un point de vue théologique, tout baptisé, du fait même de son baptême, possède le droit de recevoir de l'Eglise un enseignement et une formation qui lui permettent d'accéder à une véritable vie chrétienne; dans la perspective des droits de l'homme, toute personne humaine a le droit de chercher la vérité religieuse et d'y adhérer librement, c'est-à-dire soustraite "à toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu'en cette matière religieuse nul ne soit forcé d'agir contre sa conscience ni empêché d'agir... selon sa conscience" (43).
43- DH 2
C'est pourquoi l'activité catéchétique doit pouvoir s'accomplir dans des circonstances favorables de temps et de lieux, avoir accès aux mass media et à des instruments de travail appropriés, sans discrimination envers les parents, les catéchisés ou les catéchistes. Actuellement ce droit est certes de plus en plus reconnu, au moins au plan de ses grands principes, comme en témoignent des déclarations ou conventions internationales, dans lesquelles - quoi qu'il en soit de leurs limites - on peut reconnaître les voeux de la conscience d'une grande partie des hommes d'aujourd'hui (44). Mais ce droit est violé par de nombreux Etats au point que donner, faire donner la catéchèse ou la recevoir devient un délit passible de sanction. C'est avec force que, en union avec les Pères du Synode, j'élève la voix contre toute discrimination dans le domaine de la catéchèse, en même temps que je lance à nouveau un pressant appel aux responsables pour que cessent totalement ces contraintes qui pèsent sur la liberté humaine en général, et sur la liberté religieuse en particulier.
44- Cf. Déclaration universelle des Droits de l'Homme (ONU), du 10 décembre 1948, art. 18 ; Pacte International relatif aux droits civils et politiques (ONU), du 16 décembre 1966, art. 4 ; Acte final de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en
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La seconde leçon regarde la place même de la catéchèse dans les projets pastoraux de l'Eglise. Plus celle-ci se montre capable, au niveau local ou universel, de donner la priorité à la catéchèse - sur d'autres oeuvres et initiatives dont les résultats seraient plus spectaculaires - plus elle trouve dans la catéchèse un affermissement de sa vie interne de communauté de croyants et de son activité externe comme missionnaire. L'Eglise, en ce XXe siècle finissant, est invitée par Dieu, et par les événements qui sont autant d'appels de la part de Dieu, à renouveler sa confiance dans l'action catéchétique comme dans une tâche tout à fait primordiale de sa mission. Elle est invitée à consacrer à la catéchèse ses meilleures ressources en hommes et en énergies, sans ménager efforts, fatigues et moyens matériels, afin de mieux l'organiser et de former un personnel qualifié. Ce n'est pas là un simple calcul humain, c'est une attitude de foi. Et une attitude de foi se réfère toujours à la fidélité de Dieu qui ne manque jamais de répondre.
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Troisième leçon: la catéchèse a toujours été et restera une oeuvre dont l'Eglise tout entière doit se sentir et se vouloir responsable. Mais les membres de l'Eglise ont des responsabilités distinctes, qui découlent de la mission de chacun. Les Pasteurs, en vertu même de leur charge, ont, à divers niveaux, la plus haute responsabilité pour la promotion, l'orientation, la coordination de la catéchèse. Le Pape, pour sa part, a une vive conscience de la responsabilité première qui lui incombe en ce domaine: il y trouve des motifs de préoccupation pastorale mais surtout une source de joie et d'espérance. Les prêtres, les religieux et les religieuses ont là un terrain privilégié de leur apostolat. Les parents gardent, à un autre niveau, une responsabilité singulière. Les maîtres, les divers ministres de l'Eglise, les catéchistes et, par ailleurs, les promoteurs des communications sociales ont tous, à des degrés divers, des responsabilités très précises dans cette formation de la conscience croyante, formation importante pour la vie de l'Eglise, et qui rejaillit sur la vie dé la société elle-même. L'un des meilleurs fruits de l'Assemblée générale du Synode consacrée entièrement à la catéchèse serait d'éveiller, dans toute l'Eglise et dans chacun de ses secteurs, une conscience vive et agissante de cette responsabilité différenciée mais commune.
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Enfin la catéchèse a besoin d'un renouveau continu dans un certain élargissement de son concept même, dans ses méthodes, dans la recherche d'un langage adapté, dans la mise à profit de nouveaux moyens de transmission du message. Ce renouveau n'a pas toujours une valeur égale et les Pères synodaux ont voulu reconnaître avec réalisme, à côté d'un progrès indéniable dans la vitalité de l'activité catéchétique et d'initiatives prometteuses, les limites ou même les "déficiences" de ce qui a été réalisé jusqu'à présent (45). Ces limites sont particulièrement graves lorsqu'elles risquent de porter atteinte à l'intégrité du contenu. Le "Message au peuple de Dieu" a bien souligné que, dans la catéchèse, "d'une part, la répétition, devenue routine, qui s'oppose à tout changement, et d'autre part l'improvisation inconsidérée, qui aborde les choses avec légèreté, sont aussi dangereuses l'une que l'autre" (46). La routine porte à la stagnation, à la léthargie et, en définitive, à la paralysie. L'improvisation engendre le désarroi des catéchisés et de leurs parents lorsqu'il s'agit d'enfants, les déviations de toute sorte, la rupture et finalement la ruine totale de l'unité. Il importe que l'Eglise fasse preuve aujourd'hui - comme elle a su le faire à d'autres époques de son histoire - de sagesse, de courage et de fidélité évangéliques dans la recherche et la mise en oeuvre de voies et de perspectives nouvelles pour l'enseignement catéchétique.
45- Cf. Synodus Episcoporum, De Catechesi hoc nostro tempore tradenda praesertim pueris atque iuvenibus, Ad Polulum Dei Nuntius, nn. 1 et 4 : loc. cit. pp. 3-4 et 6-7 ; cf. L'Osservatore Romano, 30 octobre 1977, p. 3.
46- Ibid., n. 6 : loc. cit., pp. 7-8.
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La catéchèse ne peut être dissociée de l'ensemble des activités pastorales et missionnaires de l'Eglise. Elle n'en a pas moins une spécificité sur laquelle la IVe Assemblée générale du Synode des Evêques, dans ses travaux préparatoires et dans son déroulement, s'est souvent interrogée. La question préoccupe aussi l'opinion publique, dans l'Eglise et au-dehors.
Ce n'est pas ici le lieu de donner une définition rigoureuse et formelle de la catéchèse, suffisamment illustrée dans le "Directoire général de la Catéchèse" (47). Il revient aux spécialistes d'en enrichir toujours davantage le concept et les articulations.
47- S. Congrégation pour le Clergé, Directoire général de la Catéchèse, nn. 17-35 : AAS 64 (1972), pp. 110-118.
Face aux incertitudes de la pratique, rappelons simplement quelques jalons essentiels, d'ailleurs déjà solidement établis dans des documents de l'Eglise, pour une compréhension exacte de la catéchèse et sans lesquels on risquerait de ne pas en saisir toute la signification et la portée.
Globalement, on peut retenir ici que la catéchèse est une éducation de la foi des enfants, des jeunes et des adultes, qui comprend spécialement un enseignement de la doctrine chrétienne, donné en général de façon organique et systématique, en vue de les initier à la plénitude de la vie chrétienne. A ce titre, sans se confondre formellement avec eux, elle s'articule sur un certain nombre d'éléments de la mission pastorale de l'Eglise, qui ont un aspect catéchétique, qui préparent la catéchèse ou qui en découlent: première annonce de l'Evangile ou prédication missionnaire par le kérygme pour susciter la foi; apologétique ou recherche des raisons de croire; expérience de vie chrétienne; célébration des sacrements; intégration dans la communauté ecclésiale; témoignage apostolique et missionnaire.
Rappelons tout d'abord qu'entre catéchèse et évangélisation il n'y a ni séparation ou opposition, ni identification pure et simple, mais des rapports étroits d'intégration et de complémentarité réciproque.
L'Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi du 8 décembre 1975, sur l'évangélisation dans le monde moderne, soulignait à juste titre que l'évangélisation - dont le but est de porter la Bonne Nouvelle à toute l'humanité pour qu'elle en vive - est une réalité riche, complexe et dynamique, faite d'éléments ou, si l'on préfère, de moments, essentiels et différents entre eux, qu'il faut savoir embrasser du regard, dans l'unité d'un seul mouvement (48). La catéchèse est l'un de ces moments - et combien remarquable - de tout le processus d'évangélisation.
48- EN 17-24
1979 Catechesi Tradendae