Cyprien - 2. Danger des richesses;
Les ornements affectés, le luxe des vêtements, le soin des formes du corps ne conviennent qu'à des courtisanes; les femmes qui se parent le plus sont celles qui ont perdu toute pudeur, Ainsi, dans les Ecritures où Dieu vous a laissé ses enseignements, nous trouvons la description de la cité prostituée. Elle est parée avec magnificence, elle brille sous ses ornements, mais elle doit périr avec eux, ou plutôt à cause d'eux. Et, dit le texte sacré, un des sept anges qui portaient les sept fioles s'approcha de moi en disant: viens, je te montrerai la condamnation de la grande courtisane assise sur des eaux nombreuses qui a fait partager sa corruption aux rois de la terre. Et il me conduisit en esprit, et je vis une femme assise sur la bête, et cette femme était couverte d'un manteau de pourpre; elle étincelait d'or, de diamants et de perles; elle tenait dans sa main une coupe d'or pleine des blasphèmes, des impuretés et des fornications de toute la terre (Apoc., XVII). Que les vierges chastes et pures fuient ces ornements, ces habits, ces parures qui ne peuvent convenir qu'à des femmes perdues. Les filles de Sion aussi portaient des parures d'or et d'argent, elles se revêtaient d'habits somptueux, vivaient dans un luxe coupable et s'éloignaient de Dieu, pour se plonger dans les délices du .siècle; aussi l'Esprit-Saint les reprend par la bouche d'Isaïe. Les filles de Sion, dit-il, marchent la tête haute; elles font (19) signe avec leurs yeux, elles traînent de longues robes et se balancent sur leurs pieds. Mais le Seigneur humiliera les orgueilleuses filles de Sion; il les dépouillera de leurs vêtements somptueux, il enlèvera tous leurs ornements, et leur chevelure bouclée, et leurs bandeaux, et leurs agrafes, et leurs bracelets, et leurs colliers, et leurs camées, et leurs chaînes, et leurs anneaux, et leurs pendants d'oreilles, et leurs voiles de soie mêlés d'or et d'hyacinthe. Au lieu de parfums elles respireront la poussière, au lieu de ceinture elles auront une corde, au lieu de l'or dont elles chargeaient leur front, une tête dépouillée de cheveux ( Isaïe, III). Tels sont les désordres que Dieu condamne; voilà d'après lui, ce qui a corrompu les filles de Sion et leur a fait abandonner le culte du Dieu véritable. Elles se sont élevées pour tomber; leurs parures ont attiré sur elles des outrages de tout genre; revêtues de soie et de pourpre, elles n'ont pu revêtir le Christ; parées d'or, de perles et de colliers, elles ont perdu les vrais ornements du coeur et de l'âme. Qui ne fuirait avec dégoût ce qui a causé la mort des autres? Qui rechercherait ce qui a été pour son frère un trait meurtrier? Si quelqu'un, après avoir épuisé une coupe, Venait à mourir, vous comprendriez que ce breuvage était empoisonné. Si quelqu'un mourait après avoir mangé d'un certain aliment, vous diriez: cette nourriture est mortelle et vous vous garderiez bien de manger ou de boire ce qui peut donner la mort. Mais quel aveuglement, quelle folie de vouloir ce qui a été et sera toujours si funeste, de penser que ce qui fut mortel pour les autres sera pour vous sans danger!
Dieu n'a pas donné aux toisons des brebis la couleur du vermillon ou de la pourpre. Dieu n'a pas enseigné l'art de teindre et de colorer la laine avec des sucs d'herbes et des coquillages. Dieu n'a pas inventé ces étranges édifices de diamante et de perles enchâssés dans l'or, qui cachent une tête (21) dont il est l'auteur. Chose étrange, l'oeuvre divine disparaît et, au-dessus, l'invention du diable s'étale avec audace. Dieu a-t-il voulu qu'on perçât les oreilles de ces pauvres enfants, qui ne soupçonnent rien encore de la malice du siècle, pour y suspendre je ne sais quelles graines qui les fatiguent de leur poids? Ce sont là les inventions des anges apostats, lorsque, précipités sur la terre, ils perdirent leur céleste vigueur. Ce sont eux qui ont enseigné l'art funeste et corrupteur d'étendre sur les paupières une couleur noire, de donner aux joues un éclat menteur, de changer la couleur des cheveux, d'enlever au visage et â la tête tout ce qu'ils ont de naturel et de vrai. Et ici, avec cette autorité que me donne mon caractère, avec cette charité que je trouve dans mon coeur, je m'adresse non-seulement aux vierges, mais aux veuves et aux femmes mariées, et je leur dis qu'elles ne doivent jamais altérer l'oeuvre divine avec ces fards, ces couleurs empruntées, ces compositions en un mot qui n'ont d'autre effet que de corrompre la nature. Dieu a dit: Faisons l'homme à notre image et à noIre ressemblance, et on osera changer et dénaturer l'ouvrage de Dieu! C'est un attentat contre Dieu que de réformer et de transfigurer son oeuvre. Sachons-le bien, ce qui naît vient de Dieu; les changements sont l'oeuvre du démon. Un peintre représente avec des couleurs qui rivalisent avec la nature le visage, les traits, l'extérieur d'un homme; son oeuvre est terminée. Un autre peintre, se croyant plus habile, vient jeter de nouvelles couleurs sur le tableau pour le corriger: quelle injure pour le premier artiste! Quel sujet d'une juste indignation! Et vous croyez que votre audace téméraire restera impunie et que l'artiste suprême ne vengera pas son offense?
Malgré le fard impur qui vous couvre, vous ne vous êtes pas écartée, avec les hommes, des lois de la pudeur: c'est possible.
Mais vous avez flétri, profané les dons de Dieu, par suite vous êtes pire qu'une adultère. En croyant parer et embellir votre corps, vous vous rendez coupable d'un attentat contre (23) l'oeuvre divine, d'une prévarication contre la vérité. Jetez dehors le vieux levain, nous dit l'apôtre, afin que vous soyez une nouvelle pâte, comme vous êtes des azymes; car le Christ, notre pâque, a été immolé. Célébrons donc nos fêtes, non avec le vieux levain, le levain de la malice et de l'iniquité, mais avec les azymes de la sincérité et de la vérité (I Cor., V). Or, est-ce être fidèle à la sincérité et à la vérité que de souiller la nature par des couleurs empruntées et de se servir du fard pour faire de la vérité un mensonge?
Le Seigneur a dit: Vous ne pouvez faire un seul cheveu noir ou blanc (Mat., V) et vous voulez être plus fort que la parole divine! Avec une audace et un mépris sacrilège, vous souillez vos cheveux. Fatal présage! vous leur donnez un reflet de l'enfer, et vous profanez votre tète, la partie la plus noble de votre corps. Nous lisons dans l'Apocalypse: La tête elles cheveux du fils de l'homme étaient blancs comme la laine ou la neige (Apoc., II); et vous, vous détestez les cheveux blancs, vous repoussez la couleur qui est celle de la tête du Seigneur.
Ne craignez-vous pas, je vous le demande, vous qui agissez ainsi, qu'au jour de la résurrection, votre créateur ne vous reconnaisse pas et que, lorsque vous vous avancerez pour recevoir la couronne promise, il ne vous exclue et ne vous repousse? Ne craignez-vous pas, qu'avec la rigueur d'un censeur et d'un juge, il ne vous dise: Ce n'est pas là mon ouvrage; cette image n'est pas la mienne, tu as souillé ton corps par des couleurs menteuses, tu as donné à tes cheveux une teinte adultère, le mensonge a défiguré ton visage, il en a corrompu les traits; cette face n'est pas la tienne. Tu ne pourras pas voir Dieu, car tes yeux ne sont pas son oeuvre, mais celle du démon. Tu as voulu marcher sur ses traces, en donnant à tes yeux l'éclat et la bigarrure de ceux du serpent; (25) tu as pris les couleurs de l'ennemi, va donc brûler avec lui. Je vous le demande, les serviteurs de Dieu ne doivent-ils pas se préoccuper de ces dangers? ne doivent-ils pas les craindre jour et nuit?
Que les femmes mariées n'invoquent pas trop le vain prétexte de plaire à leurs époux: en les donnant pour excuse, elles n'en feraient tout au plus que les complices d'une coupable faiblesse. Quant aux vierges (et c'est à elles que s'adresse cet écrit), si elles usent de ces ornements funestes, je crois qu'il ne faut plus les compter parmi les vierges. Semblables à des brebis atteintes de la contagion, on doit les éloigner du saint troupeau, afin que leur contact ne souille pas les autres et que, perdues elles-mêmes, elles ne les entraînent pas dans leur ruine. En un mot, puisque nous cherchons les avantages de la continence, évitons tout ce qui peut porter dans nos âmes le ravage et la mort.
Je ne dois pas omettre des usages que le relâchement a introduits parmi nous et qui sont devenus le fléau des moeurs pures et chastes. Il en est qui ne rougissent pas d'assister aux noces et de mêler des paroles déplacées à ces entretiens où la licence s'introduit en toute liberté. Elles disent, elles entendent des choses inconvenantes; elles observent; elles participent à des conversations honteuses, à des festins où, la chaleur du vin enflammant les passions, rend la femme capable de tout souffrir et l'homme capable de tout oser. Que va-t-elle faire aux noces celle qui n'a pas la pensée de se marier? Quel plaisir, quelle joie peut-elle y trouver celle dont les goûts sont si différents? Qu'y voit-on? qu'y apprend-on? Oh! qu'une vierge manque à sa vocation en gaspillant de la sorte le trésor de pureté qu'elle portait dans son âme! Sans doute elle peut être encore vierge de corps et d'esprit;mais ses yeux, ses oreilles, sa langue ont perdu leur virginité.
Que dire, de celles qui fréquentent les bains publics? qui exposent aux regards des curieux des corps voués à la pudeur? en se mêlant ainsi aux hommes, ne fournissent-elles pas au (27) vice un coupable aliment? n'allument-elles pas des désirs impurs à qui elles ont l'air de s'offrir en pâture?
Que chacun, direz-vous, examine son intention; pour moi je ne veux qu'une chose, refaire mon corps et le purifier: - Cette excuse ne vous justifie pas. Loin de laver, un bain semblable salit; il ne purifie pas le corps, il le souille. Vous ne jetez sur personne des regards impudiques; mais on en jette sur vous. Vous ne donnez pas à vos yeux le plaisir de la volupté; mais ce plaisir vous l'offrez à d'autres et vous partagez leurs souillures. Le bain devient une sorte de théâtre; le vice s'y montre même avec plus d'impudeur. Là on laisse à la porte toute retenue; avec ses habits, on dépose toute décence; une jeune fille ne s'y montre que pour y perdre sa virginité. Considérez ensuite si, revêtue de vos habits et rendue à la vie ordinaire, vous conservez au milieu des hommes la même modestie, vous qui avez reçu de si funestes leçons. Ne vous étonnez donc pas si l'Eglise pleure souvent sur les vierges, si elle gémit sur leurs détestables erreurs. Ainsi se déflore la plus belle des vertus ainsi la continence chrétienne perd sa gloire, sa dignité, son honneur.
Je viens de vous parler des pièges que l'ennemi dresse sur votre route, des artifices par lesquels il cherche â vous séduire. Oui, en prenant trop de soin de leur toilette, en donnant à leurs démarches trop de liberté, les vierges perdent le plus beau de leurs privilèges; elles tombent dans le déshonneur, veuves avant d'être mariées, infidèles, noir à un époux terrestre, mais au Christ. Aussi elles seront punies de leur prévarication et d'autant plus sévèrement que la couronne qui leur était promise était plus belle.
Écoutez-moi donc, ô vierges, écoutez-moi comme un père qui vous donne ses enseignements et ses avis, comme un ami fidèle qui ne veut que vos intérêts.
Soyez telles que Dieu vous a faites: conservez les traits que le Créateur vous a donnés; un visage sans fard, un cou sans (29) ornement, un corps simplement vêtu. N'ensanglantez pas vos oreilles, ne chargez pas vos bras et votre cou de bracelets et de colliers précieux; ne mettez pas vos pieds dans des entraves d'or, ne souillez vos cheveux d'aucune couleur étrangère; que vos yeux soient toujours dignes de voir Dieu. Baignez-vous chastement avec des personnes de votre sexe. Évitez les noces, évitez ces festins où la débauche répand sa contagion. Sachez résister à l'attrait d'un vêtement, vous qui êtes vierge et servante de Dieu; sachez résister à l'éclat de l'or, vous qui avez vaincu et votre chair et le monde: Quand on a triomphé des grandes difficultés, on doit compter pour rien les petits obstacles. Elle est étroite et pénible la route qui mène à la vie; il est dur et abrupte le sentier qui conduit à la gloire (Mat., VII). C'est par ce chemin que montent les martyrs, les vierges, les justes de tout genre. Fuyez les chemins larges et spacieux: là se trouvent des charmes et des plaisirs qui donnent la mort; là le démon flatte pour tromper; il sourit pour nuire; il séduit pour tuer. Le martyr reçoit la plus belle couronne, la seconde vous est réservée. De même que le martyr oublie la chair et le siècle, qu'il se prive de toutes les délicatesses et de tous les plaisirs, de même, vous qui posséderez dans la gloire la seconde récompense, vous devez être, dès ici-bas, les émules des martyrs. Il n'est pas facile d'atteindre les hauteurs. Que de sueur, que de travail pour arriver au sommet d'une montagne! Qu'est-ce donc que monter au ciel? Mais rappelez-vous la récompense et votre travail vous paraîtra bien peu de chose. Le Seigneur promet à celui qui persévère l'immortalité, la vie éternelle, son propre royaume.
Persévérez ô vierges, persévérez dans votre vocation, ménagez vos intérêts les plus chers; votre chasteté vous donne droit à une grande récompense et à de grands privilèges.
Voulez-vous savoir les maux que vous fait éviter la continence, et. les biens qu'elle vous procure? Écoutez, c'est le Seigneur (31) qui parle à la première femme: Je multiplierai tes tristesse et tes gémissements; tu enfanteras tes fils dans la douleur, tu suivras partout ton époux et c'est lui qui sera ton maître (Gen., III). Vous êtes à l'abri de cette sentence; vous n'avez à craindre ni la tristesse ni les gémissements des femmes, ni les douleurs de l'enfantement; vous n'avez pas à subir l'autorité d'un mari votre maître et votre chef c'est le Christ; il remplit auprès de vous l'office d'époux; votre vie est étroitement unie à la siennes Le Seigneur a dit: Les enfants de ce siècle engendrent et sont engendrés; ceux qui auront part à la résurrection glorieuse et à l'héritage céleste ne contracteront plus de mariages; ils n'auront plus à subir les rigueurs de la mort; car, devenus enfants de la résurrection, ils seront semblables aux anges de Dieu (Luc., XX). Ce que nous serons uni jour, vous l'êtes déjà; vous jouissez, dès cette vie, de la gloire de la résurrection; vous traversez le siècle sans en partager la corruption. En persévérant dans fa chasteté, Ô vierges, vous ressemblez aux anges de Dieu. Conservez donc précieusement votre trésor et marchez toujours dans la voie où vous êtes généreusement entrées.
Donc, encore une fois, que la vierge ne fasse pas consister sa parure dans les colliers et dans les vêtements, mais dans l'innocence des moeurs. Qu'elle marche le regard fixé vers le Ciel et Dieu, et qu'elle n'abaisse pas sur les jouissances de la chair ou les biens terrestres des yeux qui ne doivent chercher que les splendeurs éternelles. Le premier ordre de Dieu a prescrit l'accroissement et la génération; le second a conseillé la continence. Quand la terre était encore nouvelle et sans habitants, le genre humain dut se propager et se multiplier par la génération; maintenant que l'univers est peuplé, ceux qui en sont capables doivent vivre dans la continence et se priver des plaisirs de la chair en vue du royaume céleste. Ce (33) n'est pas un ordre du Seigneur, mais un conseil; il n'en fait pas une obligation, mais il laisse à chacun l'usage de sa liberté. De plus, comme dans le royaume de son Père il y a plusieurs demeures, il nous indique les plus glorieuses. C'est vers ce but que vous dirigez vos pas; en réprimant les désirs charnels, vous vous assurez la meilleure place dans le Ciel. Il est vrai que tous ceux qui se présentent à la fontaine baptismale y dépouillent le vieil homme par la grâce du bain salutaire. Introduits par l'Esprit-Saint dans une vie nouvelle, ils se purifient, par une seconde naissance, de leurs anciennes souillures. Mais les effets de la régénération se manifestent plus complètement en vous, puisque les désirs charnels s'éteignent dans vos coeurs; vous ne conservez plus que ces saintes aspirations qui vous élèvent à la vertu et à la gloire. Écoutez l'apôtre que le Seigneur a appelé son vase d'élection, Paul, chargé de nous révéler les décrets d'en haut: Le premier homme, dit-il, est né du limon de la terre; le second vient du ciel. Ceux qui naissent de la terre ressemblent au premier, ceux qui viennent du ciel au second. De même que nous avons porté t'image de l'homme terrestre, portons celle de l'homme céleste (I Corint., XV). Il est donné à la virginité, à l'innocence, à la sainteté, à la vérité de reproduire cette image. Elles la reproduisent, ces âmes d'élite qui se rappellent la règle du Seigneur, qui marchent scrupuleusement dans les voies de la justice, fermes dans leur foi, humbles dans leur crainte, prêtes à tout supporter, souffrant les injures sans se plaindre, faciles à pardonner, maintenant, au sein de la société chrétienne, les liens de la concorde et de la, paix fraternelle.
Tels sont les devoirs que vous devez comprendre, aimer, accomplir, ô pieuses vierges, vous qui, consacrées à Dieu et au Christ, avez choisi la meilleure part et marchez à notre tête dans les voies du Seigneur. Vous qui (35) êtes plus avancées en âge, instruisez les plus jeunes; vous plus jeunes, prêtez votre ministère à vos aînées; rivalisez d'ardeur avec celles de votre âge; encouragez-vous mutuellement et cherchez à devancer vos compagnes dans l'arène de la perfection. Travaillez avec courage; avancez soutenues par la grâce; arrivez heureusement au port. La seule chose que je vous demande c'est de vous souvenir de moi quand vous recevrez la récompense de votre virginité. (37)
1. Origine des dieux du Paganisme; - 2. Les augures; - 3. Le Dieu véritable; - 4. Le Messie.
Les dieux qu'adore le vulgaire ne sont pas des dieux véritables: je vais le démontrer. Il est des rois qui laissèrent de grands souvenirs et qui, à cause de cela, furent honorés après leur mort. On leur éleva des temples, on leur dressa des statues pour conserver leurs traits; on finit par leur immoler des victimes et par instituer, en leur honneur, des jours de fête. Cet usage se transmit aux générations suivantes: ainsi ce qui n'avait été dans le principe qu'une consolation devint un culte. Confirmons cette vérité par des faits. Mélicerte et Leucothéa sont précipités dans la mer, et deviennent des divinités marines. Castor et Pollux meurent à tour de rôle pour revivre. Esculape est frappé de la foudre et se relève Dieu. Hercule, brûlé sur le mont OEtna, a droit aux honneurs divins. Apollon, avant d'habiter l'Olympe, a gardé les troupeaux d'Admète. Neptune bâtit les murs de Troie et, ouvrier malheureux, il ne reçut pas le prix de son travail. On visite dans la Crête l'antre de Jupiter; on y montre son tombeau. Tout le monde sait qu'il chassa Saturne de son royaume: l'exilé vint chercher un asile sur le sol ita1ien, qui dut à cette aventure le nom de (39) Latium (De latere, cacher ). C'est lui qui enseigna à son nouveau peuple l'art de tracer des caractères et de graver une effigie sur des pièces de monnaie; de là le nom de Saturne donné au trésor public. Il s'occupa aussi de travaux champêtres; c'est pour cela qu'on le représente sous les traits d'un vieillard portant une faux.
Janus lui donna l'hospitalité: Janus qui a laissé son nom au Janicule et au premier mois de l'année. On le représente avec un double visage, parce que, placé entre l'année qui finit et celle qui commence, il semble les regarder toutes les deux.
Les Maures adorent aussi leurs rois. Ils ne prennent pas même la peine d'en déguiser le nom. Aussi le culte varie avec les provinces: tous ne reconnaissent pas le même dieu; chacun adore les siens, selon la tradition des ancêtres. Ces faits sont attestés par Alexandre le Grand dans la lettre qu'il écrivit à sa mère: effrayés par sa puissance, les prêtres lui livrèrent le secret de ces hommes devenus dieux; ils lui dirent que c'étaient des ancêtres et des rois dont le souvenir s'était conservé et à qui on avait ensuite offert un culte et des sacrifices.
Si autrefois il est né des dieux, pourquoi n'en voyons-nous plus paraître de nos jours? Jupiter serait-il trop vieux? Junon serait-elle stérile? Comment pourriez-vous croire que les dieux peuvent quelque chose pour les Romains quand ils n'ont pu défendre contre nos armes leurs propres adorateurs? - Mais les Romains ont aussi des divinités à leur service. C'est Romulus devenu dieu, grâce au parjure de Proculus; c'est Picus, Tibérinus, Pilumnus, Cousus, ce dieu de la. fraude, que Romulus, après l'enlèvement des Sabines, voulut qu'on invoquât comme le dieu des bons conseils. Tatius inventa la déesse des Cloaques et lui dressa des autels. Hostilius honora de la même manière la Crainte et la Pâleur. Bientôt après, la Fièvre fut placée au nombre des divinités, en compagnie des courtisanes Acca et Flora. Mais, quand il s'agit d'enrichir le vocabulaire céleste, (41) l'imagination des Romains va bien plus loin. Ils ont le dieu Viduus, qui rend l'âme veuve en la séparant du corps. Comme il est de sinistre présage, on ne lui permet pas d'habiter l'enceinte des villes; mais on le place dehors, on l'exile en quelque sorte, et le culte qu'on lui rend ressemble beaucoup plus à une condamnation qu'à un hommage. Ils ont le dieu Scansus, qui favorise ceux qui montent; Forculus qui préside aux portes, Limentinus aux seuils, Cardea aux gonds, et Suburbana à la triste séparation opérée par la mort.
Tels sont les dieux romains. Quant aux autres ils sont de provenances diverses: Mars nous vient de la Thrace; Jupiter de la Crète; Junon d'Argos, de Samos ou de Carthage; Diane de la Tauride; la mère des dieux du mont Ida., Je rie parle pas des divinités ou plutôt des monstres de l'Égypte. Certes, si ces dieux avaient eu la moindre puissance, ils auraient conservé le royaume de leurs adorateurs et leurs propres autels. Et pourtant, nous voyons â Rome les Pénates vaincus, qu'Énée emporta dans son exil. Nous voyons la Vénus chauve, beaucoup plus dégradée par la perte de ses cheveux que par la blessure que lui fit Diomède.
Qu'on ne dise pas que ces divinités donnent la puissance; la puissance, elle semble varier selon les lois d'un aveugle hasard. Dans l'antiquité, nous la voyons entre les mains des Assyriens, des Mèdes, des Perses, des Grecs, des Égyptiens. La marche des événements la transmit au Romains; mais vous ne sauriez, sans rougir, étudier l'origine de cet empire. Un peuple de scélérats et de vagabonds se retranche dans un asile et se multiplie par l'impunité. Romulus, son digne chef, inaugure son règne par un fratricide. Comme il faut des femmes à ses nouveaux sujets, il a recours à la guerre; ils trompent, ils enlèvent: on dirait des bêtes féroces. Pour eux, le mariage consiste à briser les liens de l'hospitalité et à porter les armes contre leurs beaux-pères.
Parmi les dignités romaines la première est le consulat (43) or, le consulat commence comme la royauté. Brutus tue ses fils pour rehausser par un forfait sa dignité nouvelle. Ce n'est donc ni la religion, ni les auspices, ni les augures qui ont produit l'accroissement de la puissance romaine; mais des circonstances heureuses qui changeront à leur tour. Certes Régulus consulta les auspices, et il mourut captif. Mancinus fut fidèle à la religion, et il passa sous le joug. Avant la bataille de Cannes, les poulets de Paul - Emile mangeaient de bon appétit, et il fut tué. César agit bien autrement: comme les augures et les auspices s'opposaient à ce qu'il fit partir sa flotte pour l'Afrique avant la fin de l'hiver, il s'en moqua et, après une navigation heureuse, il remporta la victoire.
Voici la raison de toutes ces erreurs qui, en obscurcissant la vérité, trompent et séduisent le vulgaire. Des esprits perfides errent dans les airs. Dépouillés de la vigueur céleste par leur contact avec la terre, il sont souillés de tous les vices d'ici-bas. Perdus eux-mêmes, ils ne cessent de perdre; dépravés, ils veulent inoculer leur dépravation. Les poètes les désignent sous le nom de génies, et Socrate disait qu'un de ces esprits était toujours à ses côtés pour l'éclairer et le diriger. De là vient la puissance des Mages pour les choses ridicules ou pernicieuses. Hostanès, le premier d'entre eux, dit qu'on ne peut pas voir la forme du Dieu véritable et que son trône est environné par des anges. Platon est d'accord avec lui: il reconnaît l'existence d'un seul Dieu et appelle les autres anges ou démons. Telle est aussi l'opinion d'Hermès Trismegistus: il enseigne l'existence d'un seul Dieu, que nous ne pouvons ni voir ni comprendre.
Or ces esprits se cachent sous les statues et sous les images consacrées; ils inspirent les devins, ils animent les entrailles des victimes, dirigent in vol des oiseaux, gouvernent les sorts, font parler les oracles, mêlent toujours l'erreur à la vérité; car, sujets eux-mêmes à l'erreur, ils trompent sans cesse. Ce sont eux qui altèrent l'existence, qui troublent le sommeil, qui se glissent inaperçus dans les corps et effrayent les âmes. Bien (45) plus, ils torturent les membres, débilitent la santé, amènent ta maladie, afin de s'attirer des adorateurs, de voir leurs autels chargés de présents et de s'engraisser de l'odeur des sacrifices; puis ils abandonnent leur victime et paraissent l'avoir guérie ils guérissent, en effet, quand ils cessent de nuire.
L'unique occupation de ces esprits mauvais consiste à éloigner les hommes de Dieu, à leur faire quitter la religion véritable pour se les attacher. Condamnés à un supplice éternel, ils cherchent à entraîner dans leur disgrâce ceux qu'ils ont déjà entraînés dans leur révolte. Cependant, lorsque nous leur commandons au nom du Dieu vivant, ils cèdent, ils, avouent leur faiblesse et se retirent des corps qu'ils obsédaient. On les voit, à notre voix, et par l'effet de nos exorcismes, cruellement tourmentés par une puissance mystérieuse; un feu secret les dévore et, sous 1'étreinte. de la douleur, ils s'agitent, ils poussent des cris, des gémissements, des supplications. Nous leur demandons d'où ils viennent q où ils vont; et ils;le disent en présence-de leurs adorateurs. ils sortent, ou tout d'un coup ou par degrés, du corps qu'ils torturaient, selon l'énergie de la foi du patient ou l'abondance de la grâce divine. C'est pour cela qu'ils excitent la haine du peuple contre le nom chrétien: ils veulent que les hommes nous haïssent avant de nous connaître, car s'ils nous connaissaient, loin de nous condamner, ils viendraient grossir nos rangs.
Un Dieu unique gouverne cet univers: la majesté et la puissance suprêmes ne peuvent appartenir qu'à un seul. Ce qui se passe sur la terre nous aidera à comprendre cette vérité. Le partage du pouvoir n'a-t-il pas toujours amené des discordes sanglantes? Nous voyons Etéocle et Polynice oublier les liens du sang qui les unissaient; la haine qu'ils s'étaient vouée les suit jusque dans la mort, elle se communique à leurs bûchers qui brûlent en se divisant. Rémus et Romulus, conçus par le même sein, se trouvent à l'étroit dans un seul royaume. Pompée et César étaient parents, mais l'ambition brisa ces liens (47) fragiles. Ne vous étonnez pas de trouver cette loi dans l'humanité alors qu'elle est dans toute la nature. Les abeilles n'ont qu'un roi, les troupeaux qu'un chef ou un guide. A plus forte raison faut-il qu'il n'y ait dans ce monde qu'un seul maître qui commande à toutes les créatures, règle les événements par sa sagesse et les accomplit par sa puissance. Ce Dieu ne peut être vu, son éclat le dérobe à nos regards; il ne peut être saisi, sa nature spirituelle échappe à notre main; il ne peut être compris, il est trop élevé au-dessus de notre intelligence. Pour nous en faire une juste idée, disons qu'il est inaccessible à notre raison.
Quel temple érigerons-nous à ce Dieu qui remplit l'univers? Enfermerons-nous tant de majesté dans un petit édifice, alors que l'homme habite une demeure plus grande? Non, c'est notre âme, c'est notre coeur qui doit lui servir de temple. Ne cherchez pas son nom, il s'appelle Dieu. Ici-bas nous avons besoin de différents noms pour désigner la multitude des objets; mais Dieu est unique, son nom est Dieu. Il est donc un et tout entier répandu partout. Le vulgaire, dans bien des circonstances, lui rend hommage, lorsque l'âme s'élève naturellement vers son auteur. Nous entendons souvent dire: ô Dieu! Dieu nous voit; je vous recommande à Dieu; Dieu me le rendra; ce que Dieu veut; si Dieu le permet. Quel crime de ne vouloir pas reconnaître celui qu'il est impossible d'ignorer!
Je vais parler maintenant du Messie et montrer comment le salut nous est arrivé par lui.
Les Juifs, dans le principe, étaient en grâce avec Dieu: c'est parmi eux que se trouvaient les justes et les vrais serviteurs du Très-Haut; aussi leur royaume fut florissant et leur race se perpétua à travers les siècles. Mais plus tard, trop confiants dans les mérites de leurs pères, ils se laissèrent aveugler par l'esprit d'orgueil et de révolte, méprisèrent les préceptes divins et perdirent la grâce dont ils étaient les dépositaires. Eux- mêmes sont là pour attester leurs égarements; et s'ils se taisent les faits ne parlent que trop. Exilés de leur patrie, (49) dispersés, vagabonds, ils errent sur le sol étranger. Tout cela était prédit. Dieu avait annoncé qu'au déclin du monde il se choisirait, dans toutes les nations, dans tous les peuples, dans tous les pays, des adorateurs beaucoup plus fidèles et que ce nouveau peuple recevrait le dépôt de la grâce que les Juifs avaient perdu par leur infidélité.
L'auteur et le dispensateur de cette grâce, le maître de la loi, le Verbe, fils de Dieu est envoyé sur la terre. C'est lui qui éclairait les anciens prophètes et qui devait être le docteur du genre humain. Il est la vertu, la raison, la sagesse, la gloire de Dieu. Il descend dans le sein d'une vierge, il se revêt de notre chair par l'opération du Saint-Esprit. Ainsi la nature divine se trouve unie à la nature humaine. Tel est notre Dieu, tel est le Christ qui, médiateur entre Dieu et l'homme, a revêtu l'homme pour le conduire à son Père. Le Christ a voulu prendre les faiblesses de l'homme, afin que l'homme possédât les perfections du Christ. Les Juifs connaissaient sa venue: les prophètes n'avaient cessé de la prédire; mais il y a deux avènements: Dans le premier, le Christ fait homme s'est conduit en homme; dans le second, il manifestera sa divinité. Les Juifs n'ont pas compris le premier avènement où le Christ a caché sa majesté sous le voile de la souffrance; ils n'attendent que le second où il se montrera avec tout son pouvoir. Ce défaut d'intelligence est le châtiment de leurs crimes. Indignes de la vie spirituelle, leur aveuglement a été si grand qu'ils l'ont eue sous leurs yeux et qu'ils n'ont pu la voir.
Cependant Jésus-Christ, selon les oracles des prophètes, chassait, d'une seule parole, les démons du corps des hommes; il ranimait les paralytiques, purifiait les lépreux, éclairait les aveugles, redressait les boiteux, ressuscitait les morts, commandait aux éléments, soumettait à son empire les vents, la mer, les puissances infernales. Les Juifs, qui ne voyaient en lui qu'un homme à cause de la bassesse apparente de son corps, reconnurent à ses miracles qu'il n'était pas un homme ordinaire. (51)
Les chefs de la nation, qu'il avait souvent confondus par sa sagesse et sa doctrine, cédant à une aveugle colère, l'arrêtent et le livrent à Ponce Pilate, qui gouvernait alors la Syrie au nom des Romains. Ils s'assemblent tumultueusement et ils demandent à grands cris qu'il meure sur la croix. Lui-même avait prédit tous ces événements. Les prophètes aussi avaient dit que le Christ devait souffrir, non pour subir la mort mais pour la vaincre, et ils avaient ajouté, qu'après sa Passion, il remonterait au ciel, pour manifester sa divinité. Les faits ont réalisé la prophétie. Attaché à la croix, Jésus, sans l'aide du bourreau, expira de lui-même et, le troisième jour, il ressuscita d'entre les morts. Il se montra de nouveau à ses disciples tel qu'il était auparavant; il se fit reconnaître par eux; il leur fit toucher son corps sacré et, pendant quarante jours, il les initia aux mystères de la vie spirituelle qu'ils devaient révéler à tous les peuples. Alors, entouré d'une nuée lumineuse, il monta au ciel, afin de présenter à son Père l'homme qu'il avait aimé, qu'il avait arraché à la mort en prenant sa nature. Mais il descendra de nouveau sur la terre, à. la fois juge et vengeur, pour punir le démon et juger le genre humain.
Telle est la doctrine que les apôtres, répandus dans l'univers, annoncèrent aux peuples pour les arracher à l'erreur et les éclairer des rayons de la vérité. Ils agissaient par l'ordre de Dieu. Pour donner plus de poids à leur prédication, on emploie contre eux, les tourments, les croix, tous les genres de supplices. La douleur, cette épreuve suprême de la vérité, ne leur est pas épargnée. Ainsi le Christ, qui est venu donner la vie aux hommes, reçoit le double témoignage et de la voix et du sang. Tel est notre maître, notre chef, notre guide: il est pour non le principe de la lumière, l'auteur du salut; c'est lui qui promet aux croyants et son Père et le royaume céleste. Disciples du Christ, nous partageons son bonheur et sa gloire si nous marchons sur ses traces.
Cyprien - 2. Danger des richesses;