Cyprien - 7. Leur crime;
Tels sont les hommes que nous devons fuir; la parole du Seigneur est formelle: Ce sont des aveugles, dit-il, et des conducteurs d'aveugles. Si un. aveugle conduit un autre aveugle, tous deux tomberont dans la fosse (Matt., XV.). Si un homme est séparé de l'Église, évitez-le, fuyez-le. C'est un pervers, un pécheur, condamné par sa propre conduite. Eh quoi! il s'imagine être avec le Christ, celui qui agit contre les prêtres du Christ, qui se sépare de l'assemblée du clergé et du peuple du Christ? Armé contre l'Église, il combat l'institution de Dieu. Ennemi de l'autel et du divin sacrifice, perfide envers la foi, sacrilège envers la religion, serviteur désobéissant, fils impie, frère révolté, il méprise les évêques de Dieu, il abandonne ses prêtres et il dresse un autel étranger; il fait monter vers le Ciel une prière sacrilège, il profane par un sacrifice menteur la sainteté de l'hostie divine. Il ne sait donc pas que ceux qui s'élèvent contre l'ordre divin sont punis de leur audacieuse témérité? Coré, Dathan et Abiron, révoltés contre Aaron et Moïse, avaient voulu s'attribuer l'honneur d'offrir à Dieu des sacrifices; à l'instant même, ils reçurent leur châtiment: la terre s'entrouvrit sous leurs pas et les engloutit vivants dans ses profondeurs. La justice divine ne se contenta pas de frapper ceux qui furent les auteurs de la sédition; mais deux cent cinquante hommes qui avaient partagé leur crime, en s'attachant à leur parti, périrent consumés par le feu du Ciel. Dieu nous montre par ce châtiment terrible que les méchants, en cherchant à détruire l'ordre divin, s'attaquent à Dieu lui-même. Il en fut de même du roi Osias. Malgré la loi divine et les (137) résistances du grand prêtre Azarias, il porta la main à l'encensoir et s'arrogea par la violence le droit de sacrifier. Le châtiment ne se fit pas attendre.: frappé par la colère divine, son front fut souillé de la lèpre. Ainsi cette partie du corps où Dieu imprime un caractère sacré pour désigner ses élus, porta les traces de-la vengeance céleste. Les fils d'Aaron placèrent sur l'autel un feu profane: ils furent frappés de mort en présence du Dieu qu'ils avaient offensé. Ils imitent ces grands coupables ceux qui s'attachent à des doctrines étrangères, méprisent la tradition divine et lui substituent leurs propres folies. Le Seigneur s'élève contre eux dans son Évangile: Vous rejetez l'ordre de Dieu pour établir vos traditions (Marc, VII.).
Ce crime est pire que celui des apostats qui, admis à la pénitence, cherchent à fléchir la justice du Ciel par leurs expiations. Chez ceux-ci on cherche l'Église, on implore son pardon; chez les hérétiques on lui résiste en face. Un apostat a pu céder à la violence; l'hérétique, de son plein gré persévère dans le crime. En succombant dans la persécution, on ne nuit qu'à soi-même; en se mettant à la tête d'une hérésie ou d'un schisme, on entraîne la multitude et on la trompe. Dans le premier cas, il n'y a danger que pour une seule âme, dans le second, que d'âmes se perdent! Celui qui tombe comprend sa faute, il la déplore amèrement; mais l'hérétique se glorifie de son crime, il s'y complaît, il sépare les enfants de la mère, les brebis du pasteur, il profane les' sacrements institués par Dieu lui-même. Le premier ne pèche qu'une fois, le second tous les jours. Enfin l'apostat peut encore recevoir la palme. du martyre et par suite la couronne céleste; mais le sectaire, mis à mort hors de l'Église, n'a droit à rien.
Ne vous étonnez pas, mes frères bien-aimés, de voir des confesseurs tomber dans l'hérésie: ce n'est pas plus étonnant que d'en voir d'autres commettre des fautes graves. La (139) confession du nom de Jésus-Christ ne nous garantit pas des embûches du démon, pas plus qu'elle n'éloigne entièrement de nous, pendant cette vie, les tentations, les périls, les séductions du siècle. S'il en était ainsi, nous ne verrions pas, chez des hommes qui ont confessé la foi, ces fraudes, ces impuretés, ces adultères qui arrachent parfois nos gémissements. et nos larmes. Pour être confesseur, on n'est ni plus grand, ni plus saint, ni plus cher à Dieu que Salomon. Tant qu'il marcha dans la voie du Seigneur, Salomon conserva son amitié; en quittant le droit chemin, il perdit la grâce divine, selon cette parole de l'Écriture: Le Seigneur excita Satan contre Salomon lui-même. De là cette autre parole: Soyez fidèle, de peur qu'un autre ne reçoive votre couronne (Apoc., III). Dieu nous parlerait-il de la perte de la. couronne de la sainteté, si en perdant la sainteté nous ne perdions infailliblement la couronne?
La confession du nom chrétien est le commencement de la gloire, mais elle n'assure pas définitivement la récompense céleste; elle rehausse notre dignité, mais sans nous conduire au couronnement de l'édifice. Il est écrit: Celui qui persévèrera jusqu'à la fin sera sauvé; donc tout ce qu'on fait avant la fin est un degré par lequel on arrive au faîte du salut. Mais ce n'est pas encore le salut.
Vous êtes confesseur de la foi, c'est bien; mais prenez garde, le péril est encore plus grand, parce que l'ennemi est plus furieux. Vous êtes confesseur de la foi: raison de plus pour vous attacher à l'Évangile du Seigneur, vous qui n'avez mérité votre gloire que par l'Évangile. Le Seigneur a dit: On demandera beaucoup à celui qui a beaucoup reçu. Plus on est élevé en dignité, plus on doit être fidèle. Que personne ne périsse par l'exemple d'un confesseur de la foi; que personne ne trouve dans ses moeurs des leçons d'injustice, d'orgueil, de (141) perfidie. Vous êtes confesseur, soyez donc humble et patient, soyez modeste et réservé dans votre conduite; soyez digne du nom que vous portez et imitez le Christ dont vous proclamez la divinité. Jésus a dit: Celui qui s'élève sera abaissé et celui qui s'abaisse sera élevé. Lui-même, le Verbe, la Puissance, la Sagesse du Père, a été élevé parce qu'il s'est abaissé sur la terre. Comment donc., aimerait-il l'orgueil, lui qui nous fait un précepte de l'humilité et qui, à cause de cette humilité, a reçu de son père le plus sublime de tous les noms?
Vous êtes confesseur du Christ; encore une fois, c'est bien; mais alors ne blasphémez pas la majesté et la divinité, du Christ. Votre langue lui a rendu témoignage, qu'elle ne soit donc plus un instrument de médisance, de troubles, de haines, de discordes. Qu'elle ne distille plus sur les fidèles et sur les prêtres de Dieu le venin de la calomnie, assaisonné de quelques mots d'éloge. Du reste, sachez-le bien, si vous reprenez votre vie coupable et criminelle, si vous perdez par vos mauvaises moeurs le mérite de votre confession, si vous souillez votre vie par des vices honteux, si, en un mot, désertant l'Église où vous avez reçu votre titre de confesseur, vous brisez les liens de l'unité et imprimez à votre foi première la flétrissure de la perfidie, vous compteriez en vain sur votre confession pour arriver à la récompense céleste. Loin de là, vous ne méritez que de plus graves châtiments. Le Seigneur choisit Judas et le plaça parmi ses apôtres, et cependant Judas trahit son maître; niais la fidélité et, la fermeté des apôtres ne furent pas ébranlées parce que le traître s'éloigna de leur société. Il en est de même parmi nous: la sainteté et la dignité des confesseurs restent les mêmes, malgré la défection de quelques-uns. L'apôtre saint Paul va au-devant de cette objection: Quelques-uns d'entr'eux, dit-il, firent défection; est-ce que leur infidélité anéantit la foi en Dieu? non. Dieu est la vérité même et tout homme est menteur (Rom., III.). Une partie des confesseurs, et c'est la meilleure et la (143) plus nombreuse, demeure ferme dans sa croyance, ferme dans la loi et dans les préceptes du Seigneur. Certes, ils ne s'éloignent pas de l'Église ceux qui se souviennent qu'ils y ont reçu la grâce par la miséricorde de Dieu. Ils se séparent de ceux qui confessèrent autrefois avec eux le nom de Jésus-Christ, et leur foi n'en est que plus glorieuse. Ils évitent la contagion du crime, pour jouir des purs reflets de la lumière évangélique, et ils ont d'autant plus de mérite à conserver la paix du Christ qu'ils sont sortis vainqueurs de leurs combats avec le démon.
Je vous en supplie, mes frères bien-aimés, si c est possible, qu'aucun de vous ne périsse: c'est là que tendent mes conseils et mes exhortations. Que l'Église, notre mère, fière de sa fécondité, renferme dans son sein tout un peuple ne formant qu'un seul corps, n'ayant qu une seule et même foi. Si certains schismatiques, auteurs de toutes nos dissensions, s'obstinent dans leur aveugle démence et repoussent nos conseils salutaires, vous, du moins, dont la simplicité a été surprise, vous, séduits un instant par les artifices de l'erreur, brisez ces liens perfides où vous êtes enveloppés, sortez de ces sentiers ténébreux, reconnaissez la route qui conduit directement au Ciel. Écoutez l'apôtre: Nous vous prescrivons, au nom de Jésus-Christ, de vous séparer des frères qui marchent en dehors de toute règle et non selon la tradition qu'ils ont reçue de nous. Ne vous laissez pas égarer, dit-il encore, par des paroles trompeuses; car c'est à cause de cela que Dieu a fait tomber sur le peuple rebelle le poids de sa colère. Ne participez donc pas à leurs erreurs (II Thess., III).
Éloignez-vous des transgresseurs de la loi, que dis-je, fuyez-les, de peur qu'unis à eux dans la voie de l'erreur et du crime vous ne quittiez le chemin véritable et ne partagiez leur châtiment. Dieu est un, le Christ est un, l'Église est une, la foi est une, et le peuple chrétien, uni par le ciment de la (145) charité, ne forme qu'un seul corps. L'unité ne peut être scindée sans cesser d'être, de même qu'un corps ne peut être coupé par fragments sans périr. L'enfant qu'on retire du sein de sa mère ne peut vivre et respirer seul; il perd la substance qui le nourrissait. L'Esprit-Saint nous dit: Quel est l'homme qui veut vivre et voir de longs jours? Que le mal ne souille jamais votre langue, que vos lèvres ne prononcent aucune parole insidieuse. Évitez le mal et faites le bien; cherchez la paix et suivez-la toujours (Ps. XXXIII). L'enfant de la paix doit rechercher la paix et la conserver, précieusement; celui qui connaît et aime les liens de la charité doit interdire à. sa langue toute parole haineuse.
La veille de sa Passion, le Seigneur ajouta à tous ses enseignements cette parole admirable: Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix. Tel est l'héritage qu'il nous a légué: il fait dépendre toutes ses promesses et toutes ses récompenses de la conservation de la paix. Si nous sommes les héritiers de Jésus-Christ, persévérons dans la paix qu'il nous a laissée; si nous sommes les fils de Dieu, suivons la paix. Bienheureux les hommes pacifiques, dit-il, car ils seront appelés les fils de Dieu (Matt., V.). Oui, les fils de Dieu doivent aimer la paix; ils doivent être doux et humbles de coeur, simples dans leurs paroles, unis dans une même affection, fidèles à conserver les liens de la charité, et de la concorde. Cette union existait sous les apôtres, et c'est ainsi que le peuple de Dieu, à son origine, persévéra dans la charité. La sainte Écriture nous l'atteste: Or la multitude des croyants ne formait qu'un coeur et une âme. Et dans un autre endroit: Les apôtres, étroitement unis, persévéraient dans la prière, avec Marie, mère de Jésus et les proches parents du Sauveur (Act., I). C'est ainsi que, leurs prières étaient efficaces; c'est ainsi qu'ils pouvaient obtenir de la Miséricorde (147) divine tout ce qu'ils demandaient. Parmi nous, l'esprit d'union a diminué en raison directe des bonnes oeuvres. Autrefois, les fidèles vendaient leurs maisons et leurs terres, et contents des trésors qu'ils s'assuraient dans le Ciel, ils déposaient aux pieds des apôtres le prix de leurs possessions pour les distribuer aux indigents. Mais aujourd'hui nous ne prélevons pas même la dîme sur notre patrimoine, et malgré la parole du Seigneur qui nous dit: Vendez, nous achetons, et nous augmentons sans cesse nos possessions.
Voilà., mes frères, ce qui affaiblit parmi nous la vigueur de la foi; voilà ce qui enlève au peuple fidèle sa force et son énergie. Le Seigneur avait sans doute en vue notre époque, lorsqu'il disait: Quand le fils de l'homme viendra, pensez-vous qu'il trouvera la foi sur la terre(Luc, XVIII)? Cette parole ne se réalise que trop. La foi a cessé d'inspirer la crainte de Dieu, les devoirs de la justice, l'esprit de charité, les bonnes oeuvres. Personne ne pense avec crainte à l'avenir, au jour du Seigneur, au jugement de Dieu; personne ne prévoit les supplices réservés aux incrédules, les tourments éternels qui doivent être le partage des faux frères. Nous craindrions, si nous avions la foi.- Comment craindre quand on ne croit pas? - En croyant, nous nous tiendrions sur nos gardes et nous éviterions le danger.
Réveillons-nous, mes frères bien-aimés, et secouant le sommeil de notre ancienne paresse, efforçons-nous d'observer et d'accomplir les préceptes du Seigneur. Écoutez-le lui-même: Ceignez vos reins, tenez dans vos mains des lampes allumées; soyez comme des serviteurs qui attendent leur maître à son retour des noces, prêts à lui ouvrir la porte dès qu'il frappera. Bienheureux les serviteurs que le maître trouvera éveillés (Luc, XII).
Soyons toujours prêts à partir, afin que lorsque l'heure sera venue, nous ne soyons retenus par aucun embarras. Que notre lampe, alimentée par les bonnes oeuvres, brille sans cesse, afin qu'elle nous conduise de la nuit de ce siècle à l'éternelle lumière. Tenons-nous sur nos gardes, en attendant la venue subite du Seigneur, afin que, lorsqu'il frappera à la porte, notre foi se présente pour recevoir la récompense promise à ceux qui veillent. Si nous observons fidèlement ces préceptes, si nous suivons cette ligne de conduite, malgré la ruse du démon, nous ne serons pas surpris pendant notre sommeil, mais, serviteurs vigilants, nous régnerons dans le royaume du Christ. (151)
1. Exhortation à la pudeur; - 2. Éloge de cette vertu; - 30 L'impureté; - 4. Obligation de pratiquer la chasteté; - 5. Excellence de la virginité; - 6. Exemples; - 7. Nécessité de combattre; - 8. Moyens de conserver la pudeur; - 9. Parure des femmes; - 10. Conseils.
Je crois remplir mon devoir, mes frères, en vous exposant chaque jour les leçons de l'Évangile, pour vous faire avancer dans la science et dans l'esprit de foi. Quoi de plus utile dans l'Église de Dieu, quoi de plus en harmonie avec les fonctions épiscopales, que de rappeler aux fidèles les enseignements divins et de les conduire par là aux royaume des Cieux? Tel est le devoir que je m'efforce de remplir, quoique absent. Par mes, lettres, je me transporte au milieu de vous; je vous parle, je vous instruis comme à l'ordinaire; je vous exhorte surtout à enraciner profondément la foi dans votre âme, afin de résister aux assauts de l'ennemi. Si je puis obtenir ce résultat, je ne me plaindrai plus de mon absence. Ce n'est pas assez pour nous de vous citer les paroles de l'Écriture, nous joignons à ces enseignements nos voeux et nos prières, afin que le Seigneur (169) vous ouvre le trésor de ses grâces et qu'il vous donne la force d'accomplir ses préceptes. C'est un grand mal de connaître la volonté du Seigneur et de ne pas la mettre en pratique.
L'exhortation la plus pressante que je puisse vous adresser, - car, avant toutes choses, je désire votre perfection, -c'est que vous soyez fidèles à pratiquer dans toute sa rigueur la vertu de chasteté. Je sais que vous le faites. Vous n'ignorez pas, en effet, que vous êtes le temple du Seigneur, les membres du Christ, la demeure de l'Esprit-Saint. Dieu vous appelle à l'espérance des biens éternels; il répand la foi dans votre âme; il vous prédestine au salut. Fils de Dieu, frères du Christ, l'Esprit-Saint se plaît à sanctifier vos âmes. Élevez-vous donc au-dessus de la chair, puisque le baptême vous adonné une nouvelle vie; attachez-vous à la chasteté, puisque le Christ lui-même l'a consacrée, et qu'en mourant pour vous, il l'a rendue en quelque sorte incorruptible.
L'apôtre appelle l'Église l'épouse du Christ; or, je vous le demande, quelle doit être la pudeur des membres de l'Église, puisqu'elle conserve sa virginité, même dans son union avec le céleste époux? Si les limites de ce traité ne s'y opposaient, je ferais de cette vertu un long panégyrique; mais à quoi bon, puisque, vous la pratiquez? En vous attachant à elle, vous rehaussez son éclat; en suivant ses maximes, vous faites son éloge; vous contribuez à sa gloire, elle contribue à la vôtre, et vous vous enrichissez mutuellement. Elle vous montre la règle des bonnes moeurs, vous lui offrez en échange vos oeuvres saintes; vous manifestez par votre conduite toute l'étendue de sa puissance, elle manifeste, à son tour, la sainteté de vos désirs. Ainsi la loi divine forme un tout complet: les oeuvres complètent les préceptes, les préceptes inspirent les oeuvres; on dirait les membres d'un même corps.
La pudeur est l'honneur des corps, l'ornement des moeurs, la sainteté des sexes, le lien de la continence, la source de la (171) chasteté, la paix des ménages, le principe de la concorde. La pudeur ne cherche à plaire qu'à elle-même. Toujours modeste, elle est la mère de l'innocence. Elle se juge assez belle si elle peut déplaire au vice. Elle ne cherche pas les ornements; c'est en elle qu'elle les trouve. Elle nous rend agréables à Dieu et nous unit intimement au Christ. Elle apaise les combats de la chair et nous donne la paix véritable. Bienheureuse elle-même, elle communique sa félicité à ceux en qui elle réside: ses ennemis la contemplent avec respect, et ils l'admirent d'autant plus qu'ils ne peuvent la vaincre.
Telle est la vertu que les hommes et les femmes doivent rechercher avec ardeur. Par suite, ils doivent détester l'impureté, sa mortelle ennemie: l'impureté, qui plonge dans la dégradation et dans la fange ceux qui suivent son impulsion funeste; l'impureté, qui s'attaque à la fois et au corps et à l'âme. Elle fait de l'homme un esclave, en détruisant en lui les bonnes moeurs. D'abord séduisante et, par cela même, plus nuisible, elle porte un coup mortel à la vertu et à la fortune. Que dis-je? elle va jusqu'à répandre le sang. Elle enflamme toutes les passions; elle pervertit les consciences honnêtes. Mère de l'impénitence, fléau de l'avenir, opprobre des familles, elle brise les liens du sang, substitue aux enfants légitimes ses propres enfants et détourne en leur faveur des héritages qui deviennent ainsi le prix de la corruption. Souvent même, dans ses ardeurs insensées, elle renverse l'ordre de la nature et cherche, non le plaisir véritable, mais des débauches monstrueuses. Revenons à la pudeur.
Le premier degré de cette vertu se trouve chez les vierges, le second chez les personnes qui vivent dans la continence, le troisième chez les personnes mariées. Quels que soient ses de-grés elle est toujours glorieuse. Oui, c'est une gloire d'être fidèle dans le mariage, malgré tant de luttes. Vivre dans la continence est chose plus honorable encore, puisqu'on se prive des plaisirs (173) permis. Mais vivre dans la chasteté dès le sein de sa mère, pratiquer cette vertu jusqu'à la vieillesse, c'est le comble de la gloire. On dira peut-être qu'il y a plus de félicité à ignorer les exigences de la chair et plus de mérite à réprimer ses écarts, c'est possible. Mais sachons, avant tout, que cette vertu est un don de Dieu, quoiqu'elle se manifeste dans des membres humains.
Le précepte de la pudeur est bien ancien, puisqu'il remonte à la, création de l'homme. Dieu donne un mari à la femme; il donne une femme à l'homme: Ils seront deux en une seule chair, dit le texte sacré (Gen., II). Ainsi se trouve établie cette unité qui exclut toute séparation. De là ces paroles de l'apôtre: L'homme est la tête de la femme. Peut-on mieux indiquer le précepte de la pudeur? Une tête ne peut convenir qu'à ses propres membres, comme les membres ne peuvent convenir qu'à leur tête; ils sont unis ensemble par un lien mystérieux qui conserve l'oeuvre divine dans son harmonieuse intégrité. Aussi l'apôtre ajoute: Celui qui aime son épouse s'aime lui-même. Personne ne hait son corps; au contraire, vous le nourrissez, vous le réchauffez; ainsi agit le Christ envers l'Église (Éph., V). Le précepte de la charité marche donc de pair avec celui de la pudeur, puisque les époux doivent aimer leurs épouses comme le Christ aime l'Église, et que les épouses doivent aimer leurs époux comme l'Église aime le Christ.
Le Christ rendit hommage à la pudeur en disant que l'homme ne peut renvoyer son épouse que lorsqu'elle se rend coupable d'adultère. Il était écrit dans l'ancienne loi: Vous mettrez à mort les femmes adultères (Lev., XX). De là cette parole de l'apôtre: La volonté de Dieu est que vous évitiez la fornication (I Thess., IV). Il (175) ajoute qu'on ne doit pas unir les membres du Christ à ceux d'une courtisane (I Joan., VI). Il livre à Satan, sacrifiant ainsi la chair pour sauver l'âme, ceux qui foulent aux pieds la chasteté et se livrent à des vices, impurs (I Corint., V). D'après lui, les adultères sont exclus du royaume céleste (Eph., V). Tous les autres péchés, - c'est toujours l'apôtre qui parle, - se commettent en dehors du corps, l'adultère seul pèche contre son corps (4). Je passe sous silence les autres préceptes parce que vous les connaissez et que vous les mettez. en pratique. J'ose espérer que vous ne vous plaindrez pas de son silence. Il est évident qu'il n'y a pas d'excuse pour l'adultère, puisqu'il pouvait, en prenant une épouse, satisfaire ses légitimes désirs.
Les femmes mariées sont soumises à des lois auxquelles elles ne peuvent se soustraire Quant à la virginité, elle se place au-dessus de toutes les lois. Libre des soins du mariage, elle élève son front au-dessus des intérêts et des préoccupations d'ici-ci bas, et participe à l'auréole des anges. Je me trompe, elle leur est supérieure, car elle a remporté sur la nature une victoire que les anges ne connaissent pas.
La virginité est l'avant-goût de la vie éternelle Elle n'a pas de sexe: c'est une enfance qui dure toujours. Maîtresse des passions, elle n'a pas d enfants, elle dédaigne d'en avoir; mais si elle est privée de la joie de les posséder, elle n éprouve pas la douleur de les perdre. heureuse d'éviter les angoisses de l'enfantement, plus heureuse d'éviter celle des funérailles. La virginité, c'est la liberté sans limites: pas de mari pour maître, pas de soins qui se disputent l'existence. Affranchie des liens du mariage, des convenances du monde, des soins des enfants, elle peut affronter sans crainte la persécution. (177)
Passons maintenant aux exemples: ils seront une prédication plus éloquente encore; car on cesse de douter de la vertu quand on la voit à l'oeuvre. Vous rappelez-vous l'histoire de Joseph (Gen., XXXIII)? Cet enfant, né d'un père illustre, plus illustre lui-même par l'innocence de ses moeurs, est vendu à des marchands ismaélites. Un riche Égyptien le reçoit dans sa maison. Son obéissances sa douceur, son dévouement lui eurent bientôt acquis la faveur de son maître. L'épouse de Putiphar s'attacha également à lui, mais pour d'autres motifs. Un jour, elle cherche à corrompre son innocence. Elle emploie tour à tour les prières et les menaces; Joseph s'enfuit et laisse son vêtement entre les mains de cette femme criminelle. Furieuse de voir dédaignée, elle a recours à la calomnie et Joseph est jeté dans les fers. Mais il n'était pas seul; Dieu veillait sur son innocence et il se préparait à le couronner. Retiré de sa prison, Joseph est placé, non plus comme esclave dans une maison où il avait couru tant de dangers, mais dans le palais du roi dont il devient premier ministre.
Les femmes peuvent méditer à leur tour l'exemple de Suzanne. Elle était fille d'Hélcias, épouse de Joachim; elle était bien belle, mais sa pureté la rendait plus belle encore. Elle n'employait, pour embellir ou plutôt pour dégrader son visage, aucun ornement étranger; dans sa simplicité elle ne connaissait d'autres charmes que la nature et la pudeur. Deux vieillards, oubliant et la crainte de Dieu et leurs cheveux blancs, s'éprirent pour elle d'un amour criminel et osèrent le lui manifester. Suzanne résiste. Alors, ils ont recours à la calomnie et l'accusent d'adultère. Que fera la sainte épouse de Joachim? Elle a recours à Dieu; elle lui confie sa pureté. Sa prière fut exaucée, et pendant que les deux vieillards subissaient le dernier-supplice, l'innocence de Suzanne était hautement reconnue. Ainsi, (179) deux fois victorieuse, elle échappe à la corruption et à la mort (Dan., XIII).
Je pourrais citer d'autres exemples; ces deux suffisent. Suzanne et Joseph ne se laissent pas aveugler par leur noblesse qui trop souvent est un prétexte à la licence. Ils se dérobent aux attraits de la volupté; ils étouffent dans leurs coeurs les feux de la concupiscence; ils ne songent ni à la solitude, ni aux ténèbres, ni à l'impunité qui doivent envelopper leur crime. Ils résistent à la puissance qui renverse souvent les résolutions les plus fermes; ils sont insensibles aux récompenses, aux promesses, aux accusations, aux menaces, aux châtiments, à la mort même; pour eux, le seul malheur irréparable c'est de tomber des hauts sommets de la chasteté. Aussi Dieu se plut à les récompenser: l'un eut sa place près du trône des Pharaons, et l'autre, rentrée en grâce avec son époux, vit ses ennemis punis du dernier supplice. Tels sont les exemples que nous devons méditer jour et nuit.
Le plus grand bonheur pour l'âme fidèle, c'est le sentiment secret de la pudeur conservée. La plus grande volupté c'est de vaincre la volupté. Est-il une victoire plus glorieuse que celle qu'on remporte sur ses passions? Vaincre un ennemi, c est montrer sa force, mais sur autrui, vaincre ses passions, c'est se montrer plus fort que soi-même. En renversant un ennemi, vous agissez au dehors, en réprimant vos passions, vous triomphez de votre coeur. Rien de plus difficile à vaincre que la volupté. Les autres maux ont en eux quelque chose qui repousse: la volupté flatte; quand elle prête ses armes à l'ennemi, la victoire est bien douteuse. Triomphez de vos passions et vous triompherez de toutes vos craintes, car ce sont les passions qui les produisent. Triomphez des passions et vous triompherez du péché. Triomphez des (181) passions et vous foulerez aux pieds l'ennemi du genre humain. Triomphez des passions et vous vous assurerez une paix éternelle et, ce qui est difficile même aux grandes âmes, la vraie liberté.
Vous le voyez, mes frères, la pudeur doit être le sujet continuel de nos méditations. Cette pratique nous deviendra naturelle et facile. Comme toutes les grandes vertus, qui s'éloignent si on ne les retient, elle est au dedans de nous. N'allons pas la chercher au loin, il nous suffit de la développer. La pudeur, en effet, n'est rien autre chose que cette honnêteté de l'âme qui veille à la garde du corps afin que les sens, contenus dans les limites de l'honneur, conservent à la race humaine toute sa pureté.
Si vous me demandez les moyens de conserver cette vertu, je vous indiquerai d'abord la réserve, la méditation des préceptes divins, l'esprit de foi, le respect de la religion. Je vous recommanderai ensuite d'éloigner de vos regards certains objets, surtout les sculptures immodestes; proscrivez aussi tous ces vains artifices qui n'ont d'autre effet que d'irriter les passions et de susciter en nous de nouveaux combats. Elle a perdu toute pudeur la femme qui cherche à produire sur ses semblables des impressions funestes, même en conservant la chasteté du corps. Loin de nous celles qui ne rehaussent leurs charmes que pour les livrer en pâture à des désirs impurs. Prendre trop de soin de sa beauté est une preuve certaine d'un esprit corrompu. Conservez A votre corps toute sa liberté et ne cherchez pas à faire violence à l'oeuvre de Dieu. La femme qui ne peut se contenter des dons de la nature sera toujours malheureuse. Pourquoi changer la couleur de vos cheveux? Pourquoi ce fard qui s'étend à l'extrémité de vos yeux? Pourquoi tous ces artifices pour donner à votre visage un autre caractère?. Pourquoi enfin consulter un miroir si vous désirez être vous-même? (183)
La femme doit être chaste jusque dans sa parure; elle doit bannir de ses vêtements tout ce qui sent le mensonge ou plutôt l'adultère. N'est-ce pas corrompre les étoffes que d'y mêler des fils d'or? A quoi sert un métal si rude au milieu des tissus délicats? N'est-ce pas pour servir d'ornement à des épaules immodestes et pour manifester au dehors la luxure qui dévore les âmes? Pourquoi ces pierres qui chargent votre cou et l'entourent comme un voile? Sans tenir compte du travail de l'artiste, la fortune d'un citoyen suffirait à peine à les acheter. Ce n'est pas là un ornement pour une femme ces objets ne servent qu'à faire ressortir ses défauts. Et ces anneaux énormes dont vous chargez vos doigts vous servent-ils à quelque chose, ou les portez-vous pour faire étalage de votre fortune? Chose étrange! les femmes, si délicates pour tout, sont plus fortes que les hommes quand il faut se charger des insignes du vice.
Pour revenir à mon sujet, cultivez la pudeur, mes frères bien-aimés, et renfermez vos désirs dans de justes limites. Le corps est pour nous un ennemi dangereux et la chair est toujours prête à tomber. La nature, qui cherche à réparer les ruines du genre humain, réveille l'affection dans vos âmes; mais la volupté se réveille à son tour et vous entraîne au crime.
Nous devons donc lutter de toutes nos forces contre les sollicitations de la chair, dont le démon se fait de terribles auxiliaires. Dociles au précepte de l'apôtre, imitons les oeuvres du Christ et sachons nous soustraire à la tyrannie des sens. Que la volonté les domine. Châtions les penchants mauvais, si nous voulons les réduire. La honte du péché a en elle quelque chose de bas et de difforme; la pénitence elle-même, avec ses larmes, est la reconnaissance de crimes déjà commis. Conservez précieusement votre innocence. Ne fixez pas des regards curieux sur des visages étrangers. Que vos conversations soient courtes, (185) votre rire modéré; agir autrement serait la marque d'un caractère facile et relâché. Évitez même les contacts honnêtes. Pour triompher d'une chair vicieuse, il faut tout lui refuser. Quel honneur de vaincre le vice! quelle honte d'être sous sa domination! Ajouterons-nous que l'adultère est beaucoup moins un plaisir qu'une honte? Quel charme peut-il y avoir dans un crime qui-tue à la fois et l'âme et la pudeur?
Que l'esprit émousse l'aiguillon de la chair, qu'il en réprime les mouvements. A lui de soumettre les membres à son empire; il en a reçu le droit. Conducteur habile, qu'il prenne en main les rênes de l'Évangile pour contenir dans de justes limites les passions emportées, de peur que le corps, semblable à un char dévoyé, ne l'entraîne avec lui dans l'abîme.
Mais, avant toutes choses, demandons à Dieu les grâces nécessaires. Celui qui a fait l'homme peut seul le secourir d'une manière efficace. - Je m'arrête, car je n'ai pas l'intention d'écrire un volume, mais une simple allocution. Lisez l'Écriture et complétez vous-même ce sujet. Adieu.
1. Raisons alléguées par certains chrétiens pour légitimer les spectacles; -2. Réponse de saint Cyprien; - 3. Les spectacles défendus par la loi divine; - 4. Barbarie des spectacles; 5. Leur obscénité; - 6. Spectacles dignes d'un chrétien.
Cyprien - 7. Leur crime;