1943 Pie XII, Encyclique Divino Afflante Spiritu 30

30 Ce sens spirituel donc, voulu et ordonné par Dieu lui-même, les exégètes catholiques doivent le manifester et l'exposer avec le soin qu'exige la dignité de la parole divine. Qu'ils veillent religieusement, toutefois, à ne pas présenter d'autres significations métaphoriques des choses ou des faits comme sens authentique de la Sainte Ecriture. Car si, dans le ministère de la prédication surtout, un emploi plus large et métaphorique du texte sacré peut être utile pour éclairer et mettre en valeur certains points de la foi et des moeurs, à condition de le faire avec modération et sobriété, il ne faut cependant jamais oublier que cet usage des paroles de la Sainte Ecriture lui est comme extrinsèque et adventice. Il arrive même, surtout aujourd'hui, que cet usage n'est pas sans danger, parce que les fidèles, et en particulier ceux qui sont au courant des sciences sacrées comme des sciences profanes, cherchent ce que Dieu nous signifie par les Lettres sacrées de préférence à ce qu'un écrivain ou un orateur disert expose en jouant habilement des paroles de la Bible. " La parole de Dieu, vivante et efficace, plus acérée qu'une épée à deux tranchants, si pénétrante qu'elle va jusqu'à séparer l'âme de l'esprit, les jointures et les moelles, qui démêle les sentiments et les pensées des coeurs " ( IV, 12), n'a pas besoin de colifichets ni d'ornements humains pour émouvoir et frapper les esprits. Les pages sacrées, en effet, sous l'inspiration de Dieu, abondent par elles-mêmes de sens propre ; douées de vertu divine, elles valent par elles-mêmes ; ornées d'une beauté qui vient d'en haut, elles brillent et resplendissent par elles-mêmes, pourvu que le commentateur les explique si pleinement, si soigneusement, que tous les trésors de sagesse et de prudence, y contenus, soient mis en lumière.


31 Pour s'acquitter de sa tâche, l'exégète aura bénéfice à s'aider par une étude sérieuse des oeuvres que les saints Pères, les Docteurs de l'Eglise et les plus illustres exégètes des temps passés ont consacrées à l'explication des Saintes Lettres. Ceux-là, en effet, bien que leur érudition et leurs connaissances linguistiques fussent moins poussées que celles des exégètes modernes, excellent, en vertu du rôle que Dieu leur a attribué dans l'Eglise, par un discernement tout suave des choses célestes et par une admirable puissance d'esprit, grâce auxquels ils pénètrent plus avant dans les profondeurs de la parole divine, et mettent en lumière tout ce qui peut servir à illustrer la doctrine du Christ et à faire progresser la sainteté de la vie.


32 Il est, certes, regrettable que ces précieux trésors de l'antiquité chrétienne soient si peu connus de maints écrivains de notre temps et que les historiens de l'exégèse n'aient pas encore accompli tout ce qui semblerait nécessaire pour une étude méthodique et une juste appréciation de cette matière si importante. Plaise au ciel que se lèvent en grand nombre des travailleurs qui explorent avec zèle l'interprétation catholique des Ecritures, auteurs et oeuvres, et qui épuisent, pour ainsi dire, les richesses presque immenses amassées par ces auteurs. Ils contribueront ainsi à manifester toujours mieux avec quel soin ceux-là ont scruté et mis en lumière la doctrine des Livres Saints et à obliger les exégètes contemporains à s'inspirer de leur exemple, à chercher chez eux des arguments opportuns. Ainsi se réalisera enfin l'heureuse et féconde union de la doctrine et de l'onction des anciens avec l'érudition plus grande et l'art plus avancé des modernes ; union qui produira des fruits nouveaux dans le champ des Lettres Divines, lequel ne sera jamais ni suffisamment cultivé ni entièrement épuisé.


33 Désormais Nous avons de bonnes et justes raisons d'espérer que notre temps lui aussi apportera sa contribution à une interprétation plus pénétrante et plus exacte des Saintes Lettres. Car bien des points, en particulier parmi ceux qui touchent à l'histoire, ont été expliqués à peine ou insuffisamment par les exégètes des siècles écoulés, parce qu'il leur manquait presque toutes les connaissances nécessaires pour les élucider. Combien il était difficile et quasi impossible aux Pères mêmes de traiter certaines questions, Nous le voyons, pour ne rien dire d'autre, aux efforts réitérés de beaucoup d'entre eux pour interpréter les premiers chapitres de la Genèse, comme aux divers essais tentés par saint Jérôme pour traduire les psaumes de façon à mettre clairement en lumière leur sens littéral, c'est-à-dire celui que les mots mêmes expriment. Il y a enfin d'autres livres ou textes sacrés dont les difficultés n'ont été découvertes qu'à l'époque moderne, depuis qu'une meilleure connaissance de l'antiquité a soulevé des questions nouvelles, faisant pénétrer d'une manière plus appropriée dans le vif du sujet. C'est donc à tort que certains, ne connaissant pas exactement les conditions actuelles de la science biblique, prétendent que l'exégète catholique contemporain ne peut rien ajouter à ce qu'a produit l'antiquité chrétienne, alors qu'au contraire notre temps a mis en évidence tant de questions qui, en exigeant de nouvelles recherches et de nouveaux contrôles, stimulent grandement à une étude énergique les exégètes modernes.

34 Notre âge, en vérité, qui soulève de nouvelles questions et de nouvelles difficultés, fournit aussi à l'exégète, grâce à Dieu, de nouvelles ressources et de nouveaux appuis. Sous ce rapport, il paraît juste de faire une mention particulière de ce que les théologiens catholiques, en suivant la doctrine des saints Pères, surtout celle du Docteur angélique et commun, ont scruté et expliqué la nature et les effets de l'inspiration biblique d'une façon plus appropriée et plus parfaite qu'on n'avait coutume de le faire dans les siècles passés.

Partant, dans leurs recherches, du principe que l'hagiographe, en composant le Livre Saint, est organon ou instrument de l'Esprit-Saint, mais instrument vivant et doué de raison, ils remarquent à juste titre que, conduit par la motion divine, il use cependant de ses facultés et de ses forces, de telle manière que l'on peut facilement saisir dans le livre, composé par lui, " son caractère particulier et, pour ainsi dire, ses traits et linéaments personnels " (cf. BENOÎT XV, Encyclique Spiritus Paraclitus ; Acta Sedis, XII (1920), p. 390 ; Ench. Bibl. n. 461). L'exégète doit donc s'efforcer, avec le plus grand soin, sans rien négliger des lumières fournies par les recherches récentes, de discerner quel fut le caractère particulier de l'écrivain sacré et ses conditions de vie, l'époque à laquelle il a vécu, les sources écrites ou orales qu'il a employées, enfin sa manière d'écrire. Ainsi pourra-t-il bien mieux connaître qui a été l'hagiographe et ce qu'il a voulu exprimer en écrivant. Il n'échappe, en effet, à personne que la loi suprême de l'interprétation est de reconnaître et de définir ce que l'écrivain a voulu dire, comme nous en avertit admirablement saint Athanase : " Ici, ainsi qu'il convient de faire dans tous les autres passages de la Sainte Ecriture, il faut observer à quelle occasion l'Apôtre a parlé, remarquer avec soin et impartialité à qui et pourquoi il a écrit, de peur qu'en ignorant ces circonstances ou les comprenant autrement, on ne s'écarte du véritable sens. " (Contra Arianos, I, 54 ; P. G., XXXVI, col. 123.)


35 Or, dans les paroles et les écrits des anciens auteurs orientaux, souvent le sens littéral n'apparaît pas avec autant d'évidence que chez les écrivains de notre temps ; ce qu'ils ont voulu signifier par leurs paroles ne peut pas se déterminer par les seules lois de la grammaire ou de la philologie, non plus que par le seul contexte. Il faut absolument que l'exégète remonte en quelque sorte par la pensée jusqu'à ces siècles reculés de l'Orient, afin que, s'aidant des ressources de l'histoire, de l'archéologie, de l'ethnologie et des autres sciences, il discerne et reconnaisse quels genres littéraires les auteurs de cet âge antique ont voulu employer et ont réellement employés. Les Orientaux, en effet, pour exprimer ce qu'ils avaient dans l'esprit, n'ont pas toujours usé des formes et des manières de dire dont nous usons aujourd'hui, mais bien plutôt de celles dont l'usage était reçu par les hommes de leur temps et de leur pays. L'exégète ne peut pas déterminer a priori ce qu'elles furent ; il ne le peut que par une étude attentive des littératures anciennes de l'Orient. Or, dans ces dernières dizaines d'années, cette étude, poursuivie avec plus de soin et de diligence qu'autrefois, a manifesté plus clairement quelles manières de dire ont été employées dans ces temps anciens, soit dans les descriptions poétiques, soit dans l'énoncé des lois et des normes de vie, soit enfin dans le récit des faits et des événements de l'histoire.


36 Cette même étude a déjà établi avec clarté que le peuple d'Israël l'emporte singulièrement sur les autres nations de l'Orient dans la manière d'écrire correctement l'histoire, tant pour l'antiquité que pour la fidèle relation des événements ; prérogative qui est due, sans doute, au charisme de l'inspiration divine et au but particulier religieux de l'histoire biblique.


37 Néanmoins, personne, qui ait un juste concept de l'inspiration biblique, ne s'étonnera de trouver chez les écrivains sacrés, comme chez tous les anciens, certaines façons d'exposer et de raconter, certains idiotismes propres aux langues sémitiques, des approximations, certaines manières hyperboliques de parler, voire même parfois des paradoxes destinés à imprimer plus fermement les choses dans l'esprit. En effet, des façons de parler dont le langage humain avait coutume d'user pour exprimer la pensée chez les peuples anciens, en particulier chez les Orientaux, aucune n'est étrangère aux Livres Saints, pourvu toutefois que le genre employé ne répugne en rien à la sainteté ni à la vérité de Dieu ; c'est ce que déjà le Docteur angélique a remarqué dans sa sagacité, lorsqu'il dit : " Dans l'Ecriture, les choses divines nous sont transmises selon le mode dont les hommes ont coutume d'user. " (Comment. ad cap. I, lectio 4.)

De même que le Verbe substantiel de Dieu s'est fait en tout semblable aux hommes "hormis le péché" ( IV, 15), ainsi les paroles de Dieu, exprimées en langue humaine, sont semblables en tout au langage humain, l'erreur exceptée. C'est là la sugkatabasiV , ou condescendance de la divine Providence, que saint Chrysostome a déjà magnifiquement exaltée, affirmant à plusieurs reprises qu'elle se trouve dans les Livres Saints. (Cf. p. ex. In I, 4 (P. G., LIII, col. 34-35) ; In Gen. II, 21 ( col. 121) ; In Gen. III,8 ( col. 135); Hom. XV in Ioan. ad I, 18 (P. G., LIX, col. 97 sq.).)


38 Ainsi donc, pour bien répondre aux besoins actuels des études bibliques, que l'exégète catholique, en exposant l'Ecriture Sainte, en prouvant et défendant son absolue inerrance, use prudemment de cette ressource ; qu'il recherche comment la manière de parler ou le genre littéraire, employé par l'hagiographe, peut amener à la vraie et exacte interprétation, et qu'il se persuade ne pouvoir négliger cette partie de sa tâche sans un grand détriment de l'exégèse catholique. Souvent, en effet - pour Nous en tenir là, - lorsque certains se plaisent à objecter que les auteurs sacrés se sont écartés de la fidélité historique ou qu'ils ont rapporté quelque chose avec peu d'exactitude, on constate qu'il s'agit seulement de manières de dire ou de raconter habituelles aux anciens, dont les hommes usaient couramment dans leurs relations mutuelles, et qu'on employait en fait licitement et communément. L'équité requiert donc, lorsqu'on rencontre ces expressions dans le langage divin, qui s'exprime au profit des hommes en termes humains, qu'on ne les taxe pas plus d'erreur que lorsqu'on les rencontre dans l'usage quotidien de la vie. Grâce à la connaissance et à la juste appréciation des leçons et usages de parler et d'écrire des anciens, bien des objections, soulevées contre la vérité et la valeur historiques des Lettres Divines, pourront être résolues. En outre, cette étude conduira d'une façon non moins appropriée à un discernement plus complet et plus lumineux de la pensée de l'Auteur Sacré.


39 Ceux donc qui, parmi nous, s'adonnent aux études bibliques, doivent soigneusement faire attention à ce point et ne rien négliger de ce qu'ont apporté de nouveau l'archéologie, l'histoire de l'antiquité et la science des lettres anciennes, rien de ce qui est apte à mieux faire connaître la mentalité des écrivains anciens, leur manière de raisonner, de raconter et d'écrire, leurs formules et leur technique. En cet ordre de choses les laïques catholiques, qu'ils le remarquent bien, ne rendront pas seulement service aux sciences profanes, mais mériteront encore beaucoup de la religion chrétienne, s'ils se livrent avec toute l'application et tout le zèle possible à l'exploration et à l'investigation de l'antiquité, et s'ils contribuent dans la mesure de leurs forces à résoudre les questions de ce genre, demeurées jusqu'ici moins claires et moins manifestes. Toute connaissance humaine, en effet, même non sacrée, ayant une dignité et une excellence quasi innée, en tant qu'elle est une participation de la connaissance infinie de Dieu, reçoit une nouvelle et plus haute dignité et comme une consécration, quand elle s'emploie à mettre les choses divines en une plus vive lumière.


40 Par le progrès, dont Nous avons parlé plus haut, de l'exploration des antiquités orientales, par l'étude plus approfondie des textes originaux, comme aussi par une connaissance plus étendue et plus minutieuse des langues bibliques et orientales en général, il est arrivé heureusement, avec l'aide de Dieu, que, maintes questions soulevées au temps de Notre Prédécesseur d'immortelle mémoire Léon XIII, par des critiques étrangers ou même opposés à l'Eglise, contre l'authenticité des Livres Sacrés, leur antiquité, intégrité et vérité historique, ne présentent plus de difficultés aujourd'hui et sont résolues.

Les exégètes catholiques, usant correctement de ces mêmes armes d'ordre scientifique dont abusaient trop souvent nos adversaires, ont proposé des interprétations qui, tout en s'accordant avec l'enseignement catholique et les sentences traditionnelles, paraissent en même temps répondre aux difficultés soulevées par les nouvelles explorations et les nouvelles découvertes, ou à celles dont l'antiquité a laissé à notre temps la solution. D'où il est résulté que la confiance dans l'autorité de la Bible et dans sa valeur historique, ébranlée jusqu'à un certain point auprès de quelques-uns par tant d'attaques, est aujourd'hui complètement rétablie chez les catholiques ; bien plus, il ne manque pas d'écrivains même non catholiques, qui, grâce à des recherches entreprises avec calme et sans préjugés, ont été amenés à rejeter les opinions des modernes et à revenir, au moins ici ou là, aux sentences plus anciennes. Ce changement est dû, en grande partie, au labeur infatigable par lequel les commentateurs catholiques des Saintes Lettres, sans se laisser effrayer par les difficultés et les obstacles de tout genre, se sont employés de toutes leurs forces à utiliser tout ce que les recherches actuelles des érudits, soit en archéologie, soit en histoire ou en philologie, ont apporté pour résoudre les questions nouvelles.

41 Personne, toutefois, ne doit s'étonner qu'on n'ait pas encore tiré au clair ni résolu toutes les difficultés et qu'il y ait encore aujourd'hui de graves problèmes qui préoccupent sérieusement les exégètes catholiques. Il ne faut pas, pour autant, perdre courage, ni oublier que dans les disciplines humaines il ne peut en être autrement que dans la nature, où ce qui commence croît peu à peu et où les fruits ne se recueillent qu'après de longs travaux. C'est ainsi que des controverses, laissées sans solution et en suspens dans les temps passés, ont été enfin débrouillées en notre temps, grâce au progrès des études. On peut donc espérer que celles-là aussi, qui aujourd'hui paraissent les plus compliquées et les plus ardues, s'ouvriront enfin un jour, grâce à un effort constant, à la pleine lumière.

Que si une solution désirée tarde longtemps et ne nous sourit pas à nous, mais que peut-être une heureuse issue ne doive être obtenue que par nos successeurs, personne ne doit le trouver mauvais ; car il est juste que s'applique aussi à nous l'avis donné par les Pères pour leurs temps, et en particulier par saint Augustin (cf. S. AUG., Epist. CXLIX ad Paulinum, n. 34 (P. L., XXXIII, col. 644) ; De diversis quaestionibus, q. LIII, n. 2 ( XL, col. 36) ; Enarr. in Ps., CXLVI, n. 12 ( XXXVII, col. 1907) : que Dieu a parsemé à dessein de difficultés les Livres Saints qu'il a inspirés lui-même, afin de nous exciter à les lire et à les scruter avec d'autant plus d'attention et pour nous exercer à l'humilité par la constatation salutaire de la capacité limitée de notre intelligence. Il n'y aurait donc rien d'étonnant si l'une ou l'autre question devait rester toujours sans réponse absolument adéquate, puisqu'il s'agit parfois de choses obscures, très éloignées de notre temps et de notre expérience, et puisque l'exégèse, elle aussi, comme toutes les sciences et les plus importantes, peut avoir ses secrets, inaccessibles à nos intelligences et revêches à tout effort humain.


42 Même dans ces conditions ; cependant, l'exégète catholique, poussé par un amour de sa science, actif et courageux, sincèrement dévoué à notre Mère la sainte Eglise, ne doit, en aucune façon, se défendre d'aborder, et à plusieurs reprises, les questions difficiles qui n'ont pas été résolues jusqu'ici, non seulement pour repousser les objections des adversaires, mais encore pour tenter de leur trouver une solide explication, en accord parfait avec la doctrine de l'Eglise, spécialement avec celle de l'inerrance biblique, et capable en même temps de satisfaire pleinement aux conclusions certaines des sciences profanes.

Les efforts de ces vaillants ouvriers dans la vigne du Seigneur méritent d'être jugés non seulement avec équité et justice, mais encore avec une parfaite charité ; que tous les autres fils de l'Eglise s'en souviennent. Ceux-ci doivent se garder de ce zèle tout autre que prudent, qui estime devoir attaquer ou tenir en suspicion tout ce qui est nouveau. Qu'ils aient avant tout présent, que, dans les règles et les lois portées par l'Eglise, il s'agit de la foi et des moeurs, tandis que dans l'immense matière contenue dans les Livres Saints, livres de la Loi ou livres historiques, sapientiaux et prophétiques, il y a bien peu de textes dont le sens ait été défini par l'autorité de l'Eglise, et il n'y en a pas davantage sur lesquels règne le consentement unanime des Pères. Il reste donc beaucoup de points, et d'aucuns très importants, dans la discussion et l'explication desquels la pénétration et le talent des exégètes catholiques peuvent et doivent avoir libre cours, afin que chacun contribue pour sa part et d'après ses moyens à l'utilité commune, au progrès croissant de la doctrine sacrée, à la défense et à l'honneur de l'Eglise. Cette vraie liberté des enfants de Dieu, qui, gardant fidèlement la doctrine de l'Eglise, embrasse avec reconnaissance comme un don de Dieu et met à profit tout l'apport des sciences ; cette liberté, secondée et soutenue par la confiance de tous, est la condition et la source de tout réel succès et de tout solide progrès dans la science catholique, comme nous en avertit excellemment Notre Prédécesseur d'heureuse mémoire Léon XIII, lorsqu'il dit : " Si l'on ne sauvegarde pas l'union des esprits et le respect des principes, il n'y aura pas à espérer qu'une multitude de travaux variés fasse réaliser à cette science de notables progrès. " (Litt. apost. Vigilantiae : LEONIS XIII Acta, XIII, p.237 ; Ench. Bibl. n. 136.)


43 Considérant les immenses efforts soutenus par l'exégèse catholique pendant près de deux mille ans, pour comprendre toujours plus profondément et plus parfaitement la parole divine communiquée aux hommes par les Saintes Lettres et pour l'aimer plus ardemment, on se persuadera aisément que c'est un grave devoir pour les fidèles, et en particulier pour les prêtres, d'user abondamment et saintement de ce trésor accumulé pendant tant de siècles par les génies les plus élevés. Les Livres Saints, en effet, Dieu ne les a pas accordés aux hommes pour satisfaire leur curiosité ou leur fournir des sujets d'étude et de recherche, mais, comme le remarque l'Apôtre pour que ces divines paroles puissent nous " donner la sagesse qui conduit au salut par la foi en Jésus-Christ ", et " en vue de rendre l'homme de Dieu parfait, apte à toute bonne oeuvre " (cf. II Tim. III, 15, 17). Que les prêtres donc, à qui est confié le soin de procurer aux fidèles le salut éternel, après avoir scruté par une étude diligente les pages sacrées et se les être assimilées par la prière et la méditation, aient à coeur d'expliquer les célestes richesses de la parole divine dans leurs sermons, leurs homélies, leurs exhortations ; qu'ils confirment la doctrine chrétienne par des maximes tirées des Livres Saints ; qu'ils l'illustrent par les merveilleux exemples de l'Histoire Sainte, et nommément par ceux de l'Evangile du Christ, Notre-Seigneur, évitant avec un soin attentif les accommodations subjectives, arbitraires et cherchées trop loin, qui sont non un usage, mais un abus de la parole divine ; qu'ils exposent tout cela avec tant d'éloquence, de netteté et de clarté, que les fidèles ne soient pas seulement mus et excités à y conformer exactement leur vie, mais encore conçoivent un souverain respect envers l'Ecriture sacrée.


44 Ce respect, les évêques s'attacheront à l'accroître toujours davantage et à le rendre parfait chez les fidèles qui leur sont confiés, en encourageant toutes les initiatives entreprises par des apôtres zélés dans le but louable d'exciter et d'entretenir, parmi les catholiques, la connaissance et l'amour des Livres Saints. Qu'ils favorisent donc et qu'ils soutiennent ces pieuses associations, qui se proposent de répandre parmi les fidèles des exemplaires des Saintes Lettres, surtout des Evangiles, et qui veillent à ce que la pieuse lecture s'en fasse tous les jours dans les familles chrétiennes ; qu'ils recommandent instamment par la parole et par l'usage, là où les lois liturgiques le permettent, les traductions de l'Ecriture Sainte, approuvées par l'autorité ecclésiastique ; qu'ils tiennent eux-mêmes ou fassent tenir par des orateurs sacrés particulièrement compétents des leçons ou conférences publiques sur des questions bibliques. Que tous les ministres du sanctuaire soutiennent, dans la mesure de leurs forces, et divulguent opportunément, parmi les différents groupes et rangs de leur troupeau, les périodiques qui se publient d'une manière si louable et si utile, dans les diverses parties du globe, soit pour traiter et exposer les questions bibliques selon la méthode scientifique, soit pour adapter les fruits de ces recherches au ministère sacré ou aux besoins des fidèles. Que les ministres du sanctuaire en soient bien convaincus : toutes ces initiatives et les autres du même genre, que le zèle apostolique et un sincère amour de la parole divine trouveront appropriées à ce sublime dessein leur seront d'un secours efficace dans le ministère des âmes.


45 Mais il ne peut échapper à personne que tout cela ne peut être convenablement effectué par les prêtres, si eux-mêmes, pendant leur séjour au Séminaire, n'ont pas reçu un amour actif et durable des Saintes Écritures. C'est pourquoi les évêques, à qui incombe la direction paternelle de leurs Séminaires, doivent veiller avec soin à ce que, en ce domaine aussi, rien ne soit omis qui puisse contribuer à cette fin. Que les professeurs d'Ecriture Sainte organisent tout le cours biblique de telle manière que les jeunes gens destinés au sacerdoce et au ministère de la parole divine soient instruits de cette connaissance des Saintes Lettres et pénétrés de cet amour envers elles, sans lesquels l'apostolat ne peut guère porter des fruits abondants. Il faut donc que leur exégèse fasse ressortir avant tout le contenu théologique, en évitant les discussions superflues, et en omettant tout ce qui est pâture de curiosité plutôt que source de doctrine véritable et stimulant de solide piété. Que les professeurs exposent le sens littéral et surtout le sens théologique, d'une manière si solide, qu'ils l'expliquent si pertinemment, qu'ils l'inculquent avec tant de chaleur, qu'il advienne à leurs élèves ce qui arriva aux disciples de Jésus-Christ allant à Emmaüs, lorsqu'ils s'écrièrent après avoir entendu les paroles du Maître : " Notre coeur n'était-il pas tout brûlant au dedans de nous, lorsqu'Il nous découvrait les Ecritures ? " ( XXIV, 32.) Qu'ainsi les Lettres Divines deviennent pour les futurs prêtres de l'Eglise une source pure et permanente pour leur propre vie spirituelle, un aliment et une force pour la tâche sacrée de la prédication qu'ils vont assumer. Quand les professeurs de cette matière importante, dans les Séminaires, auront atteint ce but, qu'ils se persuadent avec joie qu'ils ont grandement contribué au salut des âmes, au progrès de la cause catholique, à l'honneur et à la gloire de Dieu, et qu'ils ont accompli une oeuvre intimement liée aux devoirs de l'apostolat.


46 Ce que Nous venons de dire, Vénérables Frères et chers Fils, nécessaire en tout temps, l'est certainement beaucoup plus en ces jours malheureux, où presque tous les peuples et nations sont plongés dans un océan de calamités, tandis qu'une guerre affreuse accumule ruine sur ruine, carnage sur carnage, tandis que, par le fait des haines impitoyables des peuples excités les uns contre les autres, Nous voyons, avec une suprême douleur, s'éteindre dans beaucoup d'hommes non seulement le sens de la modération chrétienne et de la charité, mais même celui de l'humanité. Qui peut porter remède à ces mortelles blessures de la société humaine, sinon Celui à qui le Prince des apôtres, plein d'amour et de confiance, adressa ces paroles : " Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle. " (Ioan. VI, 69.) A notre Rédempteur très miséricordieux il nous faut donc, de toutes nos forces, ramener tous les hommes : il est le consolateur divin des affligés ; il est Celui qui enseigne à tous - qu'ils tiennent en main l'autorité publique ou que leur incombe le devoir de l'obéissance et de la soumission - la probité digne de ce nom, la justice intègre, la charité généreuse ; il est enfin, et lui seul, Celui qui peut être le ferme fondement et le soutien de la paix et de la tranquillité : " Car personne ne peut poser un autre fondement que Celui qui est déjà posé, savoir Jésus-Christ. " ( III, 11.)


47 Or, ce Christ, auteur de notre salut, les hommes le connaîtront d'autant plus parfaitement, l'aimeront d'autant plus ardemment, l'imiteront d'autant plus fidèlement qu'ils seront poussés avec plus de zèle à la connaissance et à la méditation des Saintes Lettres, en particulier du Nouveau Testament. Car, comme le dit saint Jérôme, le Docteur de Stridon : " L'ignorance des Ecritures est l'ignorance du Christ " (S. JÉRÔME, In Isaiam, prologue ; P. L. XXIV, col. 17), et " s'il y a quelque chose qui tienne l'homme sage en cette vie et le persuade, au milieu des souffrances et des tourments de ce monde, de garder l'égalité d'âme, j'estime que c'est en tout premier lieu la méditation et la science des Ecritures " (Id. in Ephesios, prologue ; P. L., XXVI, col. 439). C'est ici que tous ceux qui sont fatigués et opprimés par l'adversité et l'affliction puiseront les véritables consolations et la vertu divine de souffrir et d'endurer ; ici - à savoir dans les Saints Evangiles - le Christ est présent pour tous, exemple suprême et parfait de justice, de charité et de miséricorde ; ici s'ouvrent pour le genre humain, déchiré et inquiet, les sources de cette grâce divine sans laquelle peuples et conducteurs de peuples ne pourront établir ou consolider ni l'ordre public ni la concorde des esprits. C'est là, enfin, que tous apprendront à connaître ce Christ, " qui est le chef de toute principauté et de toute puissance " ( II, 10) et " qui, de par Dieu, a été fait pour nous sagesse, et justice, et sanctification, et rédemption " ( I, 30).


48 Après avoir exposé et recommandé les moyens requis pour adapter les études bibliques aux besoins de l'heure, il Nous reste, Vénérables Frères et chers Fils, à féliciter avec une paternelle bienveillance tous ceux qui cultivent les études bibliques et qui, en fils dévoués de l'Eglise, suivent fidèlement sa doctrine et ses directives, de ce qu'ils ont été élus et appelés à une tâche aussi noble. A ces félicitations, Nous voulons ajouter Nos encouragements afin qu'ils poursuivent de tout leur zèle, avec tout leur soin et avec une énergie toujours nouvelle, l'oeuvre heureusement entreprise. Noble tâche, avons-Nous dit, car qu'y a-t-il de plus sublime que de scruter, d'expliquer, de proposer aux fidèles, de défendre contre les infidèles, la parole même de Dieu, donnée aux hommes sous l'inspiration du Saint-Esprit ? L'esprit lui-même de l'exégète se nourrit de cet aliment spirituel et en profite " pour le renouvellement de la foi, pour la consolation de l'espérance, pour l'exhortation de la charité " (cf. S. AUG., Contra Faustum, XIII, 18 ; P. L., XLII, col. 294 ; C S. E. L. XXV, p. 400). " Vivre au milieu de ces choses, les méditer, ne connaître ni ne chercher rien d'autre, cela ne vous paraît-il pas dès ici-bas comme le paradis sur terre ? " (S. JÉRÔME, LIII, 10 ; P. L., XXII, col. 549 ; C S. E. L. LIV, p. 463.)

Que les âmes des fidèles se nourrissent aussi du même aliment, qu'elles y puisent la connaissance et l'amour de Dieu, le progrès spirituel et la félicité.

Que de tout leur coeur les commentateurs de la parole divine se donnent à ce saint commerce. "Qu'ils prient pour comprendre." (S. AUG., De doctr. christ., III, 56 ; P. L., XXXIV, col. 89.) Qu'ils travaillent pour pénétrer chaque jour plus profondément dans les secrets des pages sacrées ; qu'ils enseignent et qu'ils prêchent pour ouvrir aussi aux autres les trésors de la parole de Dieu. Ce qu'aux siècles révolus les illustres interprètes de la Sainte Ecriture ont réalisé avec tant de fruit, que les modernes s'efforcent de l'imiter autant qu'ils le peuvent, en sorte que, comme aux temps passés, ainsi à l'heure actuelle l'Eglise ait des docteurs éminents dans l'exposition des Lettres Divines, et que les fidèles, grâce à leur peine et à leur travail, reçoivent des Saintes Écritures pleine lumière, exhortation, allégresse. Dans cette tâche, certes ardue et lourde, qu'ils aient eux aussi " pour consolation les Saints Livres " (MacchMacch. XII, 9) ; qu'ils se souviennent de la récompense qui les attend, puisque " ceux qui auront été intelligents brilleront comme la splendeur du firmament, et ceux qui en auront conduit beaucoup à la justice seront comme les étoiles, éternellement et sans fin " ( XII, 3).

Et maintenant, tandis que Nous souhaitons vivement à tous les fils de l'Eglise, et nommément aux professeurs des sciences bibliques, au jeune clergé et aux orateurs sacrés, que, méditant sans relâche la parole de Dieu, ils goûtent combien l'esprit du Seigneur est suave et bon (cf. XII, 1), comme gage des faveurs célestes, en témoignage de Notre paternelle bienveillance, à vous tous et à chacun d'entre vous, Vénérables Frères et chers Fils, Nous accordons, très affectueusement dans le Seigneur, la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 30 septembre, en la fête de saint Jérôme, le plus grand des Docteurs dans l'exposition des Saintes Ecritures, l'année 1943, cinquième de Notre Pontificat.





1943 Pie XII, Encyclique Divino Afflante Spiritu 30