1966 Théologie du Concile
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C'est avec plaisir que Nous recevons votre visite, au terme de ce Congrès international sur la théologie du IIème Concile oecuménique du Vatican. Nous redisons à la fin de votre Congrès ce que Nous avons dit au début : Notre immense satisfaction, la vive espérance que suscite en Nous cette rencontre dans une amitié fraternelle, au cours de laquelle vous avez accompli un travail approfondi dans un esprit nouveau. Nous remercions les universités pontificales et les athénées ecclésiastiques de Rome qui ont préparé ce Congrès si nouveau, si important, dans une parfaite concorde et un commun désir de collaborer et de nouer des liens d'amitié avec les instituts supérieurs ecclésiastiques de théologie, ainsi qu'avec les professeurs, les maîtres, les écrivains et les chercheurs qui étudient les doctrines sacrées. Nous vous remercions. vous tous qui, par vos paroles et votre présence, avez contribué au succès de ce Congrès extraordinaire. Nous vous saluons, Nous vous remercions et Nous vous adressons tous Nos voeux, à vous tous qui êtes les dignes représentants de l'enseignement et de la pensée catholiques.
Dans la lettre que Nous avons adressée au vénéré cardinal Giuseppe Pizzardo, Nous vous avons déjà dit combien est opportune l'attention que vous portez aux documents conciliaires, pour les méditer, les pénétrer, les commenter, les divulguer, et quels sont les critères - que vous connaissez bien - selon lesquels doit se dérouler votre activité scientifique. Il Nous semble que l'occasion est propice pour examiner brièvement avec vous les rapports - que cette visite semble bien mettre en évidence - entre Notre charge et la vôtre ; entre Notre mandat de gardien et interprète de la divine Révélation et votre tâche qui consiste à étudier et exposer la doctrine de la foi ; entre le magistère ecclésiastique, qui, malgré Notre indignité, Nous a été confié de par la volonté de Dieu, et l'étude ou l'enseignement de la théologie auxquels vous vous adonnez.
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Cette confrontation entre le magistère et la théologie Nous semble très importante et d'une grande actualité.
Avant tout parce que se répand dans certains milieux la tendance à nier ou à relâcher le rapport de la théologie avec le magistère de l'Eglise. En effet, si nous considérons la mentalité et l'esprit des hommes cultivés de notre époque, nous constatons qu'ils ont une confiance exagérée en eux-mêmes, qui les porte à rejeter toute autorité et à estimer que chacun peut n'écouter que lui-même pour étudier toutes les branches du savoir et régler sa propre vie selon le degré de ses connaissances. Malheureusement cette liberté - ou plutôt cette licence - se manifeste aussi dans le domaine de la connaissance de la foi et de la science théologique. Il en résulte qu'on refuse toute règle extérieure ou transcendante, comme si tout le domaine de la vérité était contenu dans les limites de la raison humaine ou ne trouvait qu'en elle sa source ; comme si rien n'était établi de façon si définitive et absolue qu'il ne puisse connaître par la suite du progrès ou des mutations en sens contraire ; comme si enfin la valeur d'un système se mesurait à son accord avec les dispositions subjectives de l'homme. On en vient ainsi à rejeter également un magistère revêtu d'autorité, ou tout au plus ne l'admet-on que pour se prémunir contre les erreurs. Il n'est pas difficile de voir que par ces opinions on manque non seulement au respect dû à l'Eglise, mais on déforme la notion et la nature authentiques de la théologie elle-même.
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Au contraire, il faut attacher une grande importance au fait que le magistère et la théologie ont une racine commune : la Révélation, transmise et conservée dans la Sainte Eglise par l'Esprit-Saint. L'Eglise, en effet, a reçu de son divin Fondateur le mandat d'annoncer l'Evangile à toutes les nations ; et pour pouvoir accomplir cette mission comme il faut, elle fut constituée fidèle maîtresse de vérité et possède le charisme de la vérité indéfectible. Toujours consciente de ce charisme, l'Eglise n'a jamais cessé de se proclamer colonne et fondement de la vérité 1Tm 3,15.
Or, par la volonté de Jésus-Christ, la règle prochaine et universelle de cette vérité indéfectible ne peut se trouver que dans le magistère indéfectible de l'Eglise, qui a la tâche de garder fidèlement et d'expliquer d'une façon infaillible le dépôt de la foi DS 3018. Le Christ Notre Seigneur a en effet promis aux apôtres le don de l'Esprit-Saint, en vertu duquel ils sont devenus témoins de l'Evangile jusqu'aux extrémités de la terre Ac 1,8 ; il leur a également conféré le pouvoir d'enseigner avec autorité : "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples... leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit" Mt 28,18-19 ; enfin il leur a promis l'Esprit de vérité Jn 14,16-17 et son assistance indéfectible Mt 28,20, grâce à laquelle ils seront préservés de toute erreur dans leur enseignement.
En outre - ce qui est très important et confirme le lien étroit qui existe entre le magistère et la théologie - l'un et l'autre visent au même but : conserver, pénétrer toujours plus profondément. exposer, enseigner, défendre le dépôt sacré de la Révélation c'est-à-dire éclairer de la vérité divine la vie de l'Eglise et de l'humanité, et conduire tous les hommes au salut éternel. C'est là une noble, une très grande tâche pour Nous, pour le collège des évêques, pour vous, fils et maîtres très chers.
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Mais le magistère et la théologie ont des fonctions et des dons différents. La théologie, en effet - au moyen de l'intelligence éclairée par la foi et non sans quelque lumière de l'Esprit-Saint, à laquelle le théologien doit être attentif et docile (Pie XII, encycl. Humanae generis) - a pour tâche de connaître et de pénétrer le contenu de la Révélation d'une façon plus approfondie ; de porter à la connaissance de la communauté chrétienne, et en particulier du magistère, les fruits de ses recherches, afin que, par la doctrine qu'enseigne la hiérarchie ecclésiastique, ils deviennent lumière pour tout le peuple chrétien. Elle a aussi pour tâche de collaborer a répandre, exposer, justifier, défendre la vérité enseignée avec autorité par le magistère.
Quant au magistère, par l'autorité reçue de Jésus-Christ et par un don de l'Esprit-Saint qui lui est propre et qui fait de lui le maître du peuple de Dieu LG 21-25, sa tâche consiste avant tout a enseigner la doctrine reçue des apôtres et à en témoigner, pour qu'elle devienne la doctrine de toute l'Eglise et de l'humanité tout entière à maintenir cette doctrine à l'abri des erreurs et des déformations à juger avec autorité (à la lumière de la Révélation) les nouvelles doctrines et les solutions proposées par la théologie pour résoudre les problèmes nouveaux ; à proposer avec autorité les nouveaux approfondissements et les nouvelles applications de la doctrine révélée que, dans la lumière de l'Esprit-Saint dont il dispose, il estime conformes à la doctrine de Jésus-Christ.
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La théologie a donc un double rapport avec le magistère de l'Eglise et la communauté chrétienne tout entière. Elle est, dans une certaine mesure, médiatrice entre la foi de l'Eglise et le magistère. lorsqu'elle s'applique à recueillir la foi vécue de la communauté chrétienne, ses vérités, ses accents, ses problèmes, les orientations que l'Esprit-Saint suscite dans le peuple de Dieu - "ce que l'Esprit-Saint dit aux Eglises" Ap 2,7 - elle doit examiner attentivement cette foi vécue et ses intentions avec les critères propres à une bonne méthode théologique, pour la confronter avec la parole de Dieu et avec toute la tradition fidèle de l'Eglise. La théologie peut ainsi proposer les solutions des problèmes qui naissent de la confrontation de cette foi vécue avec l'expérience, l'histoire et la réflexion humaines, et elle peut par là aider le magistère à être toujours lumière et guide de l'Eglise, pleinement à la hauteur de sa tâche, en se mettant non pas au-dessus mais à son service.
Le magistère tire donc un grand profit d'une fervente activité théologique et de la cordiale collaboration des théologiens. Ceux-ci, en effet, par leurs recherches attentives sur la Révélation écrite et orale, découvrent toujours davantage son sens subtil et caché, ses idées dominantes et synthétiques ; et, interprétant attentivement toute la culture et l'expérience humaines contemporaines, ils s'efforcent de saisir et de résoudre les problèmes de celles-ci dans la lumière de l'histoire du salut. Sans l'aide de la théologie, le magistère pourrait certes conserver et enseigner la foi, mais il parviendrait difficilement à acquérir la connaissance complète et profonde dont il a besoin pour remplir pleinement sa tâche, car il n'a pas de charisme de révélation ou d'inspiration, mais seulement le charisme de l'assistance de l'Esprit-Saint.
La théologie a encore une autre fonction par rapport au magistère : elle est médiatrice de son enseignement pour la formation de la foi et de la vie morale du peuple chrétien.
C'est en effet dans l'enseignement de la théologie que la doctrine de l'Eglise prend sa forme organique et systématique qui lui permet de répondre aux questions posées par tous les fidèles.
De plus, c'est la théologie qui donne à l'enseignement du magistère les justifications rendant "raisonnable" la doctrine de la foi. C'est la théologie qui forme l'intelligence et l'âme des pasteurs des plus élevés en dignité aux plus humbles, les préparant ainsi à être vraiment maîtres de la foi et des moeurs chrétiennes.
Sans la théologie, il manquerait au magistère les instruments essentiels pour composer la symphonie qui doit régir toute la communauté, afin qu'elle pense et vive selon Jésus-Christ.
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La double relation de la théologie avec le magistère et avec la communauté chrétienne suggère certaines réflexions sur l'esprit dans lequel les théologiens, auxquels est spécialement confié l'approfondissement des choses de Dieu, doivent accomplir leur tâche dans l'Eglise, afin qu'elle soit bienfaisante et porte des fruits durables.
La première réflexion concerne l'esprit de service. Les théologiens sont et doivent être très heureux de se savoir au service de la communauté chrétienne et du magistère.
Leur tâche s'insère dans la grande tâche de l'Eglise : le salut des âmes. C'est pourquoi leur grandeur réside moins dans le fait de proposer des idées et des doctrines nouvelles que dans la constante préoccupation de dire "les paroles de la vie éternelle", de façon qu'elles pénètrent dans les âmes et les conduisent ou les affermissent dans la foi en Jésus-Christ, unique Sauveur. Ils veilleront donc à étudier surtout les problèmes et les questions qui touchent de plus près au salut des âmes ; et ils partageront avec le magistère la préoccupation de porter à la connaissance des fidèles non pas tant leurs vérités propres que la vérité de Jésus-Christ telle qu'elle est universellement crue dans l'Eglise sous la conduite de son magistère.
Ils sont de plus au service de la vérité. Et même lorsqu'ils sont chargés officiellement d'une fonction d'enseignement dans l'Eglise, ils sont aussi, d'une certaine manière, maîtres de vérité. C'est pourquoi ils mettront un scrupule extrême à être fidèles à la vérité de la foi et à la doctrine de l'Eglise. Ils éviteront de se laisser entraîner à désirer les applaudissements faciles et la popularité, aux dépens de la doctrine sûre enseignée par le magistère qui représente dans l'Eglise la personne de Jésus-Christ, le Maître. Ils mettront au contraire leur point d'honneur à être les interprètes fidèles et intelligents de l'enseignement du magistère, en sachant bien que rien n'est plus utile pour le peuple chrétien et pour tout le genre humain que la connaissance certaine des vérités du salut, et que celles-ci se trouvent chez ceux a qui Jésus-Christ a dit : "Qui vous écoute, m'écoute" Lc 10,16.
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La seconde réflexion porte sur l'esprit de communion : communion avec tout le peuple chrétien et avec la hiérarchie sacrée, et aussi communion fraternelle entre vous, théologiens.
L'Esprit de communion appartient à l'essence même de la vocation chrétienne, comme l'enseigne l'apôtre saint Jean 1Jn 1,2-3. Mais il appartient d'une façon particulière à l'essence d'une bonne méthode théologique. Par l'Esprit-Saint, la vérité divine est conservée dans la communauté chrétienne tout entière. Aussi, l'y trouverez-vous d'autant plus facilement que vous vivrez davantage en communion profonde avec la société du peuple fidèle, en rivalisant en humilité de coeur avec les "petits" auxquels le Père révèle plus facilement les mystères de son être et de ses desseins. La vérité divine est conservée et expliquée dans l'Eglise par L'Esprit-Saint, moyennant surtout l'action du magistère sacré. Aussi la trouverez-vous d'autant plus sûrement que vous serez davantage en profonde communion de coeur avec le magistère. Chercher loin de lui, par des voies personnelles et arbitraires, vous exposerait facilement au danger de rester seuls, d'être des maîtres sans disciples, de travailler en vain et sans produire des fruits de vie pour la communauté, ou même de dévier de la voie droite, en prenant au lieu de la pensée de l'Eglise, votre jugement comme critère de vérité. Ce choix arbitraire serait une 'airesis', ou il ouvrirait la voie à l'hérésie.
Mais Nous voulons surtout souligner le devoir de communion entre vous. Provenant de lieux, de traditions spirituelles et de cultures diverses, devant répondre à des besoins et à des difficultés diverses, il est normal qu'il existe entre vous des diversités d'intérêts, de formation et de méthodes, des diversités de jugement. Dans des matières aussi difficiles et éloignées de l'expérience commune que les problèmes théologiques, une certaine diversité modérée de jugement est compatible avec l'unité de la foi et avec la fidélité à l'enseignement ainsi qu'aux directives du magistère. Rien d'étonnant donc que cette diversité soit même considérée comme bienfaisante dans la mesure où elle stimule une recherche plus attentive et plus poussée permettant d'arriver à la pleine vérité, moyennant des discussions franches et bien élaborées.
Mais celles-ci n'obtiendront leur résultat que si elles sont constamment gouvernées par cet esprit de communion qui alimente l'estime et le respect réciproques, qui fait voir dans le collègue un frère engagé avec conscience dans la même recherche de la vérité, qui fait donc chercher à comprendre ses raisons avant de le juger ; que si, en un mot, elles sont accompagnées de cet esprit de charité qui nous fait agir envers les autres comme nous voudrions qu'ils agissent envers nous, et fait désirer surtout de jouir en commun de la pleine vérité du Christ Notre Seigneur. Plus vous chercherez la vérité dans cet esprit de sincère charité, mieux vous la connaîtrez et mieux vous servirez l'Eglise efficacement.
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Ces réflexions nous font comprendre que le travail théologique a sa méthodologie propre (quelque peu différente de celle des sciences profanes), sans que pour autant il soit moins scientifique et moins vraiment rationnel. La raison en est que l'instrument dont il se sert n'est pas la pure intelligence rationnelle, mais l'intelligence croyante, éclairée et soutenue par la foi. La pensée théologique participe et est analogique à la pensée divine qui, dans sa vérité, comprend toutes les vérités que le théologien, en s'appuyant sur la Révélation, découvre progressivement et avec peine. "La foi est plus nécessaire au théologien que la pénétration de l'intelligence", a écrit un théologien (A Stolz, Introductio in Sacram Theologiam). Cette foi dont Nous parlons, c'est la foi dans le Dieu qui révèle, la foi dans l'Eglise qui conserve la Révélation dans son intégralité avec l'assistance de l'Esprit-Saint, la foi dans le magistère de l'Eglise qui explique et interprète la Révélation avec autorité, en tant que représentante et, en quelque sorte, instrument du Christ, du Maître.
Que l'esprit de vérité et de charité, qui éclaire et sanctifie toute l'Eglise, éclaire et sanctifie également votre travail pour le bien de toute la communauté chrétienne et pour celui de vos âmes.
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Avant de terminer Notre discours, Nous désirons vous adresser une prière, très chers fils dans le Christ. Ne refusez pas de Nous aider dans la tâche que Nous avons de soutenir et de défendre la vérité catholique et d'en témoigner publiquement. Assistez-Nous fraternellement, Nous-mêmes et Nos Frères dans l'épiscopat. Nous avons une grande confiance dans votre travail, parce que Nous sommes persuadé que votre collaboration rendra moins lourd et plus fructueux le mandat confié à Nous-mêmes et à tout le collège épiscopal de garder fidèlement le dépôt de la doctrine catholique, de prêcher la foi et de propager toujours davantage le nom du Christ.
Vous qui Nous avez donné la grande joie et la grande espérance de ce Congrès, veuillez, avant de vous éloigner, Nous confirmer votre fidélité filiale, et recevez, pour votre louange et votre réconfort, Notre paternelle Bénédiction apostolique.
1966 Théologie du Concile