1986 Dominum et vivificantem
Vénérables Frères, chers Fils et Filles, Salut et Bénédiction Apostolique!
1 Dans sa foi en l' Esprit Saint, l'Eglise proclame qu'il "est Seigneur et qu'il donne la vie". C'est ce qu'elle proclame dans le Symbole de la foi, dit de Nicée-Constantinople, du nom des deux Conciles - de Nicée (325) et de Constantinople (381) -, ou il fut formulé ou promulgué. Il y est dit aussi que l'Esprit Saint "a parlé par les prophètes".
Ces paroles, l'Eglise les reçoit de la source même de la foi, Jésus Christ. En effet, selon l'Evangile de Jean, l'Esprit Saint nous est donné avec la vie nouvelle, comme Jésus l'annonce et le promet au grand jour de la fête des Tentes: "Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive, celui qui croit en moi! Selon le mot de l'Ecriture: De son sein couleront des fleuves d'eau vive"(1). Et l'évangéliste explique: "Il parlait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui"(2). C'est la même comparaison de l'eau que Jésus emploie dans le dialogue avec la Samaritaine, quand il parle de la "source d'eau jaillissant en vie éternelle"(3), et dans le dialogue avec Nicodème, quand il annonce la nécessité d'une nouvelle naissance "d'eau et d'Esprit" pour "entrer dans le Royaume de Dieu"(4).
Par conséquent, l'Eglise, instruite par la parole du Christ, puisant dans l'expérience de la Pentecôte et dans son histoire apostolique, proclame depuis le début sa foi en l'Esprit Saint, celui qui donne la vie, celui par qui le Dieu un et trine, insondable, se communique aux hommes, établissant en eux la source de la vie éternelle.
(1) Jn 7,37-38
(2) Jn 7,39
(3) Jn 4,14 Cf. CONC. CUM. VAT. II, Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, LG 4
(4) Cf. Jn 3,5
2 Cette foi, professée sans interruption par l'Eglise, doit être sans cesse ravivée et approfondie dans la conscience du Peuple de Dieu. Depuis un siècle, cela a été proposé plusieurs fois: de Léon XIII , qui publia l'Encyclique Divinum illud munus (1897) entièrement consacrée à l'Esprit Saint, jusqu'à Pie XII qui, dans l'Encyclique Mystici Corporis (1943), présentait l'Esprit Saint comme le principe vital de l'Eglise ou il est à l'oeuvre en union avec le Chef du Corps Mystique, le Christ(5); et jusqu'au Concile cuménique Vatican II qui a fait comprendre qu'une attention renouvelée à la doctrine sur l'Esprit Saint était nécessaire, comme le soulignait Paul VI : " A la christologie et spécialement à l'ecclésiologie du Concile, doivent succéder une étude nouvelle et un culte nouveau de l'Esprit Saint, précisément comme complément indispensable de l'enseignement du Concile"(6).
Ainsi, à notre époque, la foi de l'Eglise, la foi ancienne qui demeure et qui est toujours neuve, nous appelle à renouveler notre approche de l'Esprit Saint comme celui qui donne la vie. En cela, nous sommes aidés et encouragés par notre héritage commun avec les Eglises orientales, qui ont conservé jalousement les richesses extraordinaires de l'enseignement des Pères sur l'Esprit Saint. C'est pourquoi on peut dire aussi que l'un des événements ecclésiaux les plus importants de ces dernières années a été le XVIe centenaire du Premier Concile de Constantinople, célébré simultanément à Constantinople et à Rome en la solennité de la Pentecôte de l'année 1981. Dans la méditation sur le mystère de l'Eglise, l'Esprit Saint est alors mieux apparu comme celui qui ouvre les voies conduisant à l'unité des chrétiens, comme la source suprême de l'unité qui vient de Dieu lui-même et que saint Paul a exprimée particulièrement par les paroles prononcées fréquemment au début de la liturgie eucharistique: "La grâce de Jésus notre Seigneur, l'amour de Dieu le Père et la communion de l'Esprit Saint soient toujours avec vous"(7).
C'est dans une telle orientation que les précédentes Encycliques Redemptor hominis et Dives in misericordia ont trouvé en quelque sorte un point de départ et une inspiration: elles célèbrent l'événement de notre salut accompli dans le Fils envoyé par le Père dans le monde "pour que le monde soit sauvé par lui"(8) et "que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu'il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père"(9). A cette même orientation répond aujourd'hui la présente Encyclique sur l'Esprit Saint qui procède du Père et du Fils; avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire: Personne divine, il est au coeur de la foi chrétienne et il est la source et la force dynamique du renouveau de l'Eglise(10). Cette Encyclique découle du plus profond de l'héritage du Concile. En effet, les textes conciliaires, par leur enseignement sur l'Eglise elle-même et sur l'Eglise dans le monde, nous invitent à pénétrer toujours mieux le mystère trinitaire de Dieu, en suivant la voie évangélique, patristique, liturgique: au Père, par le Christ, dans l'Esprit Saint.
De cette manière, l'Eglise répond aussi à certains désirs profonds qu'elle pense lire dans le coeur des hommes d'aujourd'hui: une découverte nouvelle de Dieu dans sa réalité transcendante d'Esprit infini, tel que Jésus le présente à la Samaritaine; le besoin de l'adorer "en esprit et en vérité"(11); l'espoir de trouver en lui le secret de l'amour et la puissance d'une "création nouvelle"(12): oui, vraiment celui qui donne la vie.
L'Eglise se sent appelée à cette mission d'annoncer l'Esprit alors qu'avec la famille humaine, elle arrive au terme du second millénaire après le Christ. Devant un ciel et une terre qui "passent", elle sait bien que "les paroles qui ne passeront point"(13) revêtent une éloquence particulière. Ce sont les paroles du Christ sur l'Esprit Saint, source inépuisable de l'"eau jaillissant en vie éternelle"(14), vérité et grâce du salut. Elle veut réfléchir sur ces paroles, elle veut rappeler ces paroles aux croyants et à tous les hommes, tandis qu'elle se prépare à célébrer - comme on le dira en son temps - le grand Jubilé qui marquera le passage du deuxième au troisième millénaire chrétien.
Naturellement, les réflexions qui suivent n'ont pas pour but d'examiner de manière exhaustive la très riche doctrine sur l'Esprit Saint, ni de privilégier telle ou telle solution des questions encore ouvertes. Elles ont comme objectif principal de développer dans l'Eglise la conscience que "l'Esprit Saint la pousse à coopérer à la réalisation totale du dessein de Dieu qui a fait du Christ le principe du salut pour le monde tout entier"(15).
5 Cf. LÉON XIII, Encycl. Divinium illud munus (9 mai 1897): Acta Leonis, 17 (1898), PP. 125-148; PIE XII, Encycl. Mystici Corporis (29 juin 1943): AAS 35 (1943), PP. 193-248.
6 Audience générale du 6 juin 1973: Insegnamenti di Paolo VI, XI (1973), P. 477.
7 Missel romain; cf. 2Co 13,13
8 Jn 3,17
9 Ph 2,11
10 Cf. CONC. CUM VAT. II, Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, LG 4 JEAN-PAUL II, Discours aux participants du Congrès international de pneumatologie (26 mars 1982), n. 1: Insegnamenti V/1 (1982), p. 1004.
11 Cf. Jn 4,24
12 Cf. Rm 8,22 Ga 6,15
13 Cf. Mt 24,35, s Jn 4,14
15 CONC. CUM. VAT. II, Const. dogm. sur l'Eglise Lumen gentium, LG 17
3 Quand pour Jésus Christ l'heure était venue de quitter ce monde, il annonça aux Apôtres "un autre Paraclet"(16). L'évangéliste Jean, qui était présent, écrit que, au cours du repas pascal, la veille de sa passion et de sa mort, Jésus leur adressa ces paroles: "Tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils... Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, pour qu'il soit avec vous à jamais, l'Esprit de vérité"(17).
Cet Esprit de vérité, précisément, Jésus l'appelle le Paraclet - et Parakletos veut dire "consolateur", et aussi "intercesseur" ou "défenseur". Et il dit qu'il est " un autre " Paraclet, le second, parce que Jésus Christ lui-même est le premier Paraclet(18), car il est le premier qui porte et donne la Bonne Nouvelle. L'Esprit Saint vient après lui et par lui pour poursuivre dans le monde, grâce à l'Eglise, l'oeuvre de la Bonne Nouvelle du salut. Cette continuation de son oeuvre par l'Esprit Saint, Jésus en parle plus d'une fois pendant le même discours d'adieu ou il préparait les Apôtres, réunis au Cénacle, à son départ, c'est-à-dire à sa passion et à sa mort sur la Croix.
Les paroles auxquelles nous nous référerons ici se trouvent dans l'Evangile de Jean. Chacune d'elles ajoute un contenu nouveau à cette annonce et à cette promesse. En même temps, elles sont étroitement reliées les unes aux autres, non seulement dans la perspective des mêmes événements, mais aussi dans la perspective du mystère du Père, du Fils et de l'Esprit Saint qui n'est sans doute exprimé avec autant de relief dans aucun autre passage de la Sainte Ecriture.
16 allon paracleton: Jn 14,16
17 Jn 14,13 Jn 14,14
18 Cf 1Jn 2,1
4 Peu après l'annonce rappelée ci-dessus, Jésus ajoute: "Mais le Paraclet, l'Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit"(19). L'Esprit Saint sera le Consolateur des Apôtres et de l'Eglise, toujours présent au milieu d'eux, même s'il demeure invisible, comme maître de la Bonne Nouvelle que le Christ a annoncée. "Il enseignera" et "il rappellera", cela signifie non seulement qu'il continuera, à sa manière qui lui est propre, à inspirer la proclamation de l'Evangile du salut, mais aussi qu'il aidera à comprendre le sens juste du contenu du message du Christ; qu'il en maintiendra la continuité et l'identité de sens alors que changent les conditions et les circonstances. L'Esprit Saint fera en sorte que dans l'Eglise demeure toujours la vérité même que les Apôtres ont entendue de leur Maître.
19 Jn 14,26
5 Pour transmettre la Bonne Nouvelle, les Apôtres seront associés à l'Esprit Saint d'une manière particulière. Voici comment Jésus poursuit: "Lorsque viendra le Paraclet, que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité, qui vient du Père, il me rendra témoignage. Mais vous aussi, vous témoignerez, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement"(20).
Les Apôtres ont été les témoins directs, oculaires. Ils "ont entendu" et "ils ont vu de leurs yeux", "ils ont contemplé" et même "touché de leurs mains" le Christ, comme le dit le même évangéliste Jean dans un autre passage(21). Leur témoignage humain, oculaire et "historique" sur le Christ est lié au témoignage de l'Esprit Saint: "Il me rendra témoignage". Dans le témoignage de l'Esprit de vérité, le témoignage humain des Apôtres trouvera son appui suprême. Et par la suite, il trouvera aussi en lui le fondement intérieur de sa continuation parmi les générations des disciples et des confesseurs du Christ qui se succéderont au cours des siècles.
Si Jésus Christ lui-même est la révélation suprême et la plus complète de Dieu à l'humanité, le témoignage de l'Esprit en inspire, en garantit et en confirme la transmission fidèle dans la prédication et dans les écrits apostoliques(22), tandis que le témoignage des Apôtres en assure l'expression humaine dans l'Eglise et dans l'histoire de l'humanité.
20 Jn 15,26-27
21 Cf. 1Jn 1,1-3 1Jn 4,14
22 "La vérité divinement révélée, que contiennent et présentent les livres de la Sainte Ecriture, y a été consignée sous l'inspiration de l'Esprit Saint ", et par conséquent " la Sainte Ecriture doit être lue et interprétée à la lumière du même Esprit qui la fit rédiger " CONC. CUM. VAT. II, Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, DV 11 DV 12
6 Cela ressort aussi de l'étroite corrélation de contenu et d'intention avec l'annonce et la promesse qui viennent d'être mentionnées, corrélation exprimée par les paroles qui suivent dans le texte de Jean: "J'ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter à présent. Mais quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu'il entendra, il le dira et il vous dévoilera les choses à venir"(23).
Par les paroles précédentes, Jésus présente le Paraclet, l'Esprit de vérité, comme celui qui "enseignera" et "rappellera", comme celui qui lui "rendra témoignage"; à présent il dit: "Il vous introduira dans la vérité tout entière". Ces mots "introduire dans la vérité tout entière", en rapport avec ce que les Apôtres "ne peuvent pas porter à présent", sont en lien direct avec le dépouillement du Christ par la passion et la mort en Croix qui étaient imminentes lorsqu'il prononçait ces paroles.
Cependant il deviendra clair, par la suite, que les mots "introduire dans la vérité tout entière" se rattachent également, au-delà du scandalum Crucis, à tout ce que le Christ "a fait et enseigné"(24). En effet, le mysterium Christi dans son intégralité exige la foi, parce que c'est la foi qui introduit véritablement l'homme dans la réalité du mystère révélé. "Introduire dans la vérité tout entière", cela s'accomplit donc dans la foi et par la foi: c'est l'oeuvre de l'Esprit de vérité et c'est le fruit de son action dans l'homme. En cela, l'Esprit Saint doit être le guide suprême de l'homme, la lumière de l'esprit humain. Cela vaut pour les Apôtres, témoins oculaires, qui doivent désormais porter à tous les hommes l'annonce de ce que le Christ "a fait et enseigné", et, spécialement, de sa Croix et de sa Résurrection. Dans une perspective plus large, cela vaut aussi pour toutes les générations des disciples et des confesseurs du Maître, car ils devront accueillir dans la foi et proclamer avec fermeté le mystère de Dieu agissant dans l'histoire de l'homme, le mystère révélé qui éclaire le sens ultime de cette histoire.
23 Jn 16,12-13
24 Ac 1,1
7 Il existe donc entre l'Esprit Saint et le Christ, dans l'économie du salut, un lien intime, par lequel l'Esprit agit dans l'histoire de l'homme comme "un autre Paraclet", assurant durablement la transmission et le rayonnement de la Bonne Nouvelle révélée par Jésus de Nazareth. C'est pourquoi la gloire du Christ resplendit dans l'Esprit Saint Paraclet qui, dans le mystère et dans l'action de l'Eglise, continue sans interruption la présence historique du Rédempteur sur la terre et son oeuvre de salut; c'est ce qu'attestent les paroles de Jean qui viennent ensuite: "Lui (c'est-à-dire l'Esprit) me glorifiera, car c'est de mon bien qu'il recevra et il vous le dévoilera"(25). Ces paroles confirment une fois encore tout ce qui a été dit précédemment: "Il enseignera..., il rappellera..., il rendra témoignage". La révélation suprême et complète que Dieu fait de lui-même, accomplie dans le Christ - la prédication des Apôtres lui rendant témoignage - continue à être manifestée dans l'Eglise par la mission du Paraclet invisible, l'Esprit de vérité. A quel point cette mission est intimement liée à la mission du Christ, à quel point elle découle entièrement de cette mission du Christ, en affermissant et en développant dans l'histoire ses fruits de salut, cela est exprimé dans le verbe "recevoir": "C'est de mon bien qu'il recevra et il vous le dévoilera". Comme pour expliquer le mot "recevoir", et faire apparaître clairement l'unité divine et trinitaire de la source, Jésus ajoute: "Tout ce qu'a le Père est à moi. Voilà pourquoi j'ai dit que c'est de mon bien qu'il reçoit et qu'il vous le dévoilera"(26). En recevant de "mon bien", par là même il puisera à "ce qu'a le Père".
Ainsi à la lumière de cette expression "il recevra", peuvent s'expliquer aussi les autres paroles sur l'Esprit Saint prononcées par Jésus au Cénacle avant la Pâque, paroles significatives: "C'est votre intérêt que je parte; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous; mais si je pars, je vous l'enverrai. Et lui, une fois venu, il établira la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement"(27). Il conviendra de revenir encore sur ces paroles dans une réflexion particulière.
25 Jn 16,24
26 Jn 16,15
27 Jn 16,7-8
8 Il est caractéristique du texte johannique que le Père, le Fils et l'Esprit Saint soient désignés clairement comme des Personnes, la première étant distincte de la deuxième et de la troisième, et aussi les trois entre elles. Jésus parle de l'Esprit-Paraclet utilisant à plusieurs reprises le pronom personnel "Il", et en même temps, dans tout le discours d'adieu, il dévoile les liens qui unissent dans la réciprocité le Père, le Fils et le Paraclet. Ainsi donc "L'Esprit ... vient du Père" (28) et le Père "donne" l'Esprit(29). Le Père "envoie" l'Esprit au nom du Fils(30), l'Esprit "rend témoignage" au Fils(31). Le Fils demande au Père d'envoyer l'Esprit-Paraclet(32), mais, par ailleurs, il déclare et promet, en rapport à son "départ" par la Croix: "Si je pars, je vous l'enverrai"(33). Ainsi, le Père, par la puissance de sa paternité, envoie l'Esprit Saint comme il a envoyé le Fils(34); mais en même temps il l'envoie en vertu de la puissance de la rédemption accomplie par le Christ - et, en ce sens, l'Esprit Saint est envoyé aussi par le Fils: "Je vous l'enverrai".
Il faut noter ici que, si toutes les autres promesses faites au Cénacle annonçaient la venue de l'Esprit Saint après le départ du Christ, celle du texte de Jean 16, 7-8 implique aussi et souligne clairement le rapport d'interdépendance, on pourrait dire de causalité, entre la manifestation de l'un et de l'autre: "Si je pars, je vous l'enverrai". L'Esprit Saint viendra en fonction du départ du Christ par la Croix: il viendra non seulement à la suite, mais à cause de la rédemption accomplie par le Christ, selon la volonté et l'oeuvre du Père.
28 Jn 15,26
29 Jn 14,16
30 Jn 14,26
31 Jn 15,26
32 Jn 14,16
33 Jn 16,7
34 Cf. Jn 3,16-17 Jn 3,34 Jn 6,57 Jn 17,3 Jn 17,17 Jn 17,18 Jn 17,23
9 Ainsi, dans le discours pascal d'adieu on parvient, pouvons-nous dire, au sommet de la révélation trinitaire. Au même moment, nous nous trouvons au seuil des événements décisifs et des paroles suprêmes qui, à la fin, se traduiront par le grand envoi en mission adressé aux Apôtres et, par leur intermédiaire, à l'Eglise: "Allez donc, de toutes les nations faites des disciples", envoi en mission qui comprend, en un sens, la formule trinitaire du baptême: "... les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit"(35). La formule reflète le mystère intime de Dieu, de la vie divine, qui est le Père, le Fils et l'Esprit Saint, unité divine de la Trinité. On peut lire le discours d'adieu comme une préparation particulière à cette formule trinitaire, ou s'exprime la puissance vivifiante du sacrement qui réalise la participation à la vie de Dieu un et trine, parce qu'il donne à l'homme la grâce sanctifiante comme un don surnaturel. Par elle, l'homme est appelé à participer à l'insondable vie de Dieu et il en reçoit la "capacité".
35 Mt 28,19
10 Dans sa vie intime, Dieu "est amour"(36), un amour essentiel, commun aux trois Personnes divines: l'Esprit Saint est l'amour personnel en tant qu'Esprit du Père et du Fils. C'est pourquoi il "sonde jusqu'aux profondeurs de Dieu"(37), en tant qu'Amour-Don incréé. On peut dire que, dans l'Esprit Saint, la vie intime du Dieu un et trine se fait totalement don, échange d'amour réciproque entre les Personnes divines, et que, par l'Esprit Saint, Dieu "existe" sous le mode du don. C'est l'Esprit Saint qui est l'expression personnelle d'un tel don de soi, de cet être-amour(38). Il est Personne-amour. Il est Personne-don. Cela nous montre, au sujet du concept de personne en Dieu, une richesse insondable de la réalité et un approfondissement dépassant ce qui se peut exprimer, tels que seule la Révélation peut nous les faire connaître.
En même temps, l'Esprit Saint, en tant que consubstantiel au Père et au Fils dans la divinité, est Amour et Don (incréé) d'ou découle comme d'une source (fons vivus) tout don accordé aux créatures (don créé): le don de l'existence à toutes choses par la création; le don de la grâce aux hommes par toute l'économie du salut. Comme l'Apôtre Paul l'écrit: "L'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous fut donné"(39).
36 Cf. 1Jn 4,8 1Jn 16
37 Cf. 1Co 2,10
38 Cf. S. THOMAS D AQUIN, Somme théol., I 37,0 I 38,0.
39 Rm 5,5
11 Le discours d'adieu du Christ au cours du repas pascal se rattache particulièrement à ce "don" et à ce "don de soi" de l'Esprit Saint. Dans l'Evangile de Jean se dévoile, pour ainsi dire, la "logique" la plus profonde du mystère salvifique inclus dans le dessein éternel de Dieu, comme extension de la communion ineffable du Père, du Fils et de l'Esprit Saint. C'est la "logique" divine qui, à partir du mystère de la Trinité, conduit au mystère de la Rédemption du monde en Jésus Christ. La Rédemption accomplie par le Fils dans le cadre de l'histoire terrestre de l'homme, accomplie en son "départ" par la Croix et par la Résurrection, se trouve en même temps transmise, dans toute sa puissance salvifique, à l'Esprit Saint, celui qui "recevra de mon bien"(40). Les paroles du texte johannique montrent que, selon le plan divin, le "départ" du Christ est une condition indispensable pour l'"envoi" et la venue de l'Esprit Saint, mais elles disent aussi que commence alors le nouveau don que Dieu fait de lui-même dans l'Esprit Saint pour le salut.
40 Jn 16,14
12 C'est un nouveau commencement par rapport au premier commencement, à l'origine du don que Dieu a fait de lui-même pour le salut, qui s'identifie avec le mystère même de la création. Voici ce que nous lisons dès les premiers mots du Livre de la Genèse: "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre..., et l'esprit de Dieu (ruah Elohim) planait sur les eaux"(41). Ce concept biblique de création comporte non seulement l'appel à l'existence de l'être même du cosmos, c'est-à-dire le don de l'existence, mais aussi la présence de l'Esprit de Dieu dans la création, c'est-à-dire le commencement du don que Dieu fait de lui-même pour leur salut aux choses qu'il a créées. Cela vaut avant tout pour l'homme, qui a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu: "Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance"(42). "Faisons": peut-on considérer que le pluriel, employé ici par le Créateur en parlant de lui-même, suggère déjà en quelque façon le mystère trinitaire, la présence de la Trinité dans l'oeuvre de la création de l'homme? Le lecteur chrétien qui connaît déjà la révélation de ce mystère peut aussi en reconnaître le reflet dans ces paroles. En tout cas, le contexte du Livre de la Genèse nous permet de voir dans la création de l'homme le premier commencement du don que Dieu fait de lui-même pour le salut dans la mesure ou il a accordé à l'homme d'être à "l'image" et à "la ressemblance" de lui-même.
41 Gn 1,1-2
42 Gn 1,26
13 Il semble donc que les paroles prononcées par Jésus dans le discours d'adieu doivent aussi être relues en rapport avec ce "commencement" si lointain, mais fondamental, que nous connaissons par le Livre de la Genèse. "Si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous; mais si je pars, je vous l'enverrai". En présentant son "départ" comme une condition de la "venue" du Paraclet, le Christ fait le lien entre le nouveau commencement du don que Dieu fait de lui-même par l'Esprit Saint pour le salut, et le mystère de la Rédemption. C'est là un nouveau commencement, avant tout parce que, entre le premier commencement et toute l'histoire de l'homme, s'est interposé, à partir de la chute originelle, le péché qui s'oppose à la présence de l'Esprit de Dieu dans la création et qui, surtout, s'oppose au don que Dieu fait de lui-même à l'homme pour son salut. Saint Paul écrit que, précisément à cause du péché, "la création... fut assujettie à la vanité..., jusqu'à ce jour elle gémit en travail d'enfantement" et "elle attend avec impatience la révélation des fils de Dieu"(43).
43 Rm 8,19-22
14 C'est pourquoi Jésus dit au Cénacle: "C'est votre intérêt que je parte"; "si je pars, je vous l'enverrai"(44). Le "départ" du Christ par la Croix a la puissance de la Rédemption - et cela signifie aussi une nouvelle présence de l'Esprit de Dieu dans la création: le nouveau commencement du don que Dieu fait de lui-même à l'homme dans l'Esprit Saint. "Et la preuve que vous êtes des fils, c'est que Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils qui crie: Abba! Père!", écrit l'Apôtre Paul dans la Lettre aux Galates(45). L'Esprit Saint est l'Esprit du Père, comme en témoignent les paroles du discours d'adieu au Cénacle. Il est, en même temps, l'Esprit du Fils: il est l'Esprit de Jésus Christ, comme en témoigneront les Apôtres et particulièrement Paul de Tarse(46). Par l'envoi de cet Esprit "dans nos coeurs", commence à s'accomplir ce que "la création attend avec impatience", comme nous le lisons dans la Lettre aux Romains.
L'Esprit Saint vient au prix du "départ" du Christ. Si ce "départ" a provoqué la tristesse des Apôtres(47), qui devait atteindre son point culminant dans la passion et dans la mort du Vendredi Saint, à son tour "cette tristesse se changera en joie" (48). Le Christ, en effet, marquera son "départ" rédempteur par la gloire de la résurrection et de l'ascension vers le Père. Ainsi donc, la tristesse à travers laquelle transparaît la joie, voilà ce qu'éprouvent les Apôtres dans la perspective du "départ" de leur Maître, un départ qui a lieu "dans leur intérêt", parce que, grâce à lui, viendra un autre "Paraclet"(49). Au prix de la Croix ou se réalise la Rédemption, par la puissance de tout le mystère pascal de Jésus Christ, l'Esprit Saint vient demeurer dès le jour de la Pentecôte avec les Apôtres, pour demeurer avec l'Eglise et dans l'Eglise et, grâce à elle, dans le monde.
De cette manière s'accomplit définitivement ce nouveau commencement du don que le Dieu un et trine fait de lui-même dans l'Esprit Saint par Jésus Christ, Rédempteur de l'homme et du monde.
44 Jn 16,7
45 Ga 4,6 cf. Rm 8,15
46 Cf. Ga 4,6 Pb 1, 19; Rm 8,11
47 Cf. Jn 16,6
48 Cf. Jn 16,20
49 Cf. Jn 16,7
15 La mission du Messie s'accomplit aussi jusqu'à son terme, car elle est la mission de celui qui a reçu la plénitude de l'Esprit Saint pour le Peuple élu de Dieu et pour l'humanité entière. Littéralement, "Messie" veut dire "Christ", c'est-à-dire "Oint", et, dans l'histoire du salut, le sens est "Oint de l'Esprit Saint". Telle était la tradition prophétique de l'Ancien Testament. En s'y conformant, Simon Pierre dira dans la maison de Corneille: "Vous savez ce qui s'est passé dans toute la Judée: Jésus de Nazareth... après le baptême proclamé par Jean; comment Dieu l'a consacré par l'Esprit Saint et rempli de sa force"(50).
De ces paroles de Pierre et de beaucoup d'autres semblables(51), il convient de remonter avant tout à la prophétie d'Isaïe, parfois appelée "le cinquième évangile" ou bien "l'évangile de l'Ancien Testament". Evoquant la venue d'un personnage mystérieux, que la révélation néo-testamentaire identifiera avec Jésus, Isaie en associe la personne et la mission avec une action spéciale de l'Esprit de Dieu, l'Esprit du Seigneur. Voici les paroles du prophète:
"Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines. Sur lui reposera l'Esprit du Seigneur esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur: son inspiration est dans la crainte du Seigneur"(52).
Ce texte est important pour toute la pneumatologie de l'Ancien Testament, car il constitue comme un pont entre le concept biblique ancien de l'"esprit", entendu avant tout comme un "souffle charismatique", et l'"Esprit" comme personne et comme don, don pour la personne. Le Messie de la lignée de David ("de la souche de Jessé") est précisément la personne sur laquelle "reposera" l'Esprit du Seigneur. Il est évident que, dans ce cas, on ne peut pas encore parler de la révélation du Paraclet: cependant, avec cette allusion voilée à la figure du futur Messie s'ouvre, pour ainsi dire, la voie sur laquelle est préparée la pleine révélation de l'Esprit Saint dans l'unité du mystère trinitaire qui se manifestera finalement dans la Nouvelle Alliance.
50 Ac 10,37-38
51 Cf. Lc 4,16-21 Lc 3,16 Lc 4,14 Mc 1,10
52 Is 11,1-3
16 Cette voie, c'est précisément le Messie. Dans l'Ancienne Alliance, l'onction était devenue le symbole extérieur du don de l'Esprit. Le Messie (plus que tout autre personnage oint dans l'Ancienne Alliance) est l'unique et grand Oint du Seigneur lui-même. Il est l'Oint en ce sens qu'il possède la plénitude de l'Esprit de Dieu. Et il sera lui-même le médiateur du don de cet Esprit au Peuple tout entier. Voici, en effet, d'autres paroles du prophète:
"L'esprit du Seigneur Dieu est sur moi, car le Seigneur m'a consacré par l'onction; il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, panser les coeurs meurtris, annoncer aux captifs la libération et aux prisonniers la délivrance, proclamer une année de grâce de la part du Seigneur"(53).
L'Oint est aussi envoyé "avec l'Esprit du Seigneur" : "Et maintenant le Seigneur Dieu m'a envoyé avec son esprit"(54).
Selon le Livre d'Isaïe, l'Oint, l'Envoyé avec l'Esprit du Seigneur, est aussi le Serviteur du Seigneur élu, sur qui repose l'Esprit de Dieu : "Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme se complait. J'ai mis sur lui mon esprit"(55).
On sait que le Serviteur du Seigneur est révélé dans le Livre d'Isaïe comme le véritable Homme des douleurs: le Messie souffrant pour les péchés du monde(56). Et, simultanément, il est celui même qui reçoit la mission de porter de véritables fruits de salut pour toute l'humanité: "Il présentera aux nations le droit ..."(57); et il deviendra "l'alliance du peuple, la lumière des nations ..."(58); "pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre"(59).
Car: "Mon esprit qui est sur toi, et mes paroles que j'ai mises dans ta bouche ne s'éloigneront pas de ta bouche, ni de la bouche de ta descendance, ni de la bouche de la descendance de ta descendance, dit le Seigneur, dès maintenant et à jamais"(60).
Les textes prophétiques cités ici, nous devons les lire àla lumière de l'Evangile, de même que, pour sa part, le Nouveau Testament reçoit de la lumière admirable de ces textes vétéro-testamentaires une clarté particulière. Le prophète présente le Messie comme celui qui vient dans l'Esprit Saint, comme celui qui possède la plénitude de cet Esprit en lui et, en même temps, pour les autres, pour Israël, pour toutes les nations, pour toute l'humanité. La plénitude de l'Esprit de Dieu s'accompagne de nombreux dons, les biens du salut, destinés spécialement aux pauvres et à ceux qui souffrent, à tous ceux qui ouvrent leur coeur à ces dons, parfois à travers l'expérience douloureuse de leur propre existence, mais avant tout dans la disponibilité intérieure qui provient de la foi. Cela, le vieillard Syméon, "homme juste et pieux" sur qui "reposait l'Esprit Saint", en eut l'intuition au moment de la présentation de Jésus au Temple, lorsqu'il vit en lui "le salut préparé à la face de tous les peuples" au prix de la grande souffrance, celle de la Croix, qu'il devait éprouver en même temps que sa Mère(61). La Vierge Marie comprenait cela encore mieux, elle qui "avait conçu du Saint-Esprit"(62), lorsqu'elle méditait en son coeur les "mystères" du Messie auxquels elle était associée(63).
53 Is 61,1-2
54 Is 48,16
55 Is 42,
56 Cf. Is 53,5-6 Is 53,8
57 Is 42,
58 Is 42,6
59 Is 49,6
60 Is 59,21
61 Cf. Lc 2,25-35
62 Cf. Lc 1,35
63 Cf. Lc 2,19 Lc 51
17 Il convient de souligner ici que l'"esprit du Seigneur", qui "repose" sur le futur Messie, est clairement et avant tout un don de Dieu pour la personne de ce Serviteur du Seigneur. Mais lui-même n'est pas une personne isolée et existant par elle-même, parce qu'il agit par la volonté du Seigneur, en vertu de sa décision ou de son choix. Même si, à la lumière des textes d'Isaie, l'oeuvre salvifique du Messie, Serviteur du Seigneur, implique l'action de l'Esprit accomplie à travers lui, dans leur contexte vétéro-testamentaire la distinction des sujets ou des Personnes divines - telles que ces Personnes subsistent dans le mystère trinitaire et seront révélées ensuite dans le Nouveau Testament - n'est cependant pas suggérée. Que ce soit en Isaïe ou dans tout l'Ancien Testament, la personnalité de l'Esprit Saint est complètement cachée: cachée dans la révélation du Dieu unique, comme aussi dans l'annonce prophétique du Messie à venir.
18 Au début de son activité messianique, Jesus Christ se réclamera de cette annonce que comprenaient les paroles d'Isaïe. Il le fera à Nazareth même ou il avait passé trente années de sa vie dans la maison de Joseph le charpentier, aux côtés de Marie, la Vierge sa Mère. Quand il eut l'occasion de prendre la parole à la Synagogue, ouvrant le Livre d'Isaïe, il trouva le passage ou il était écrit: "L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction" et, après avoir lu ce passage, il dit à l'assemblée: "Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez"(64). De cette manière, il confessait et il proclamait qu'il était celui qui "a reçu l'onction" du Père, qu'il était le Messie, c'est-à-dire celui en qui demeure l'Esprit Saint, le don de Dieu lui-même, celui qui possède la plénitude de cet Esprit, celui qui marque le "nouveau commencement" du don que Dieu fait à l'humanité dans l'Esprit.
64 Cf. Lc 4,16-21 Is 61,1-2
1986 Dominum et vivificantem