1986 Dominum et vivificantem 33

3. Le témoignage du commencement: la réalité originelle du péché

33 C'est la dimension du péché que nous trouvons dans le témoignage sur le commencement tel que le donne le Livre de la Genèse(125). C'est le péché qui, selon la Parole de Dieu révélée, constitue le principe et la racine de tous les autres péchés. Nous nous trouvons en face de la réalité originelle du péché dans l'histoire de l'homme, et en même temps dans l'ensemble de l'économie du salut. On peut dire que le mysterium iniquitatis a son origine dans ce péché, mais que c'est aussi le péché à l'égard duquel la puissance rédemptrice du mysterium pietatis devient particulièrement transparente et efficace. C'est ce qu'exprime saint Paul lorsque, à la "désobéissance" du premier Adam, il oppose l'"obéissance" du Christ, second Adam: "L'obéissance jusqu'à la mort"(126).
Selon le témoignage du commencement, le péché, dans sa réalité originelle, se produit dans la volonté - et dans la conscience - de l'homme, avant tout comme "désobéissance", c'est-à-dire comme opposition de la volonté de l'homme à la volonté de Dieu. Cette désobéissance originelle présuppose le refus, ou au moins l'éloignement, de la vérité contenue dans la Parole de Dieu qui crée le monde. Cette Parole est le Verbe lui-même, qui était "au commencement avec Dieu", qui "était Dieu" et sans qui "rien ne fut", car "le monde fut par lui"(127). C'est le Verbe qui est aussi la Loi éternelle, la source de toute loi, qui régit le monde et spécialement les actions de l'homme. Lorsque, à la veille de sa passion, Jésus Christ parle du péché de ceux qui "ne croient pas en lui", il y a donc, dans ces paroles pleines de douleur, comme une allusion lointaine au péché qui s'inscrit obscurément sous sa forme originelle dans le mystère même de la création. Celui qui parle est, en effet, non seulement le Fils de l'homme, mais celui qui est aussi "le premier-né de toute créature", "car c'est en lui qu'ont été créées toutes choses...; tout a été créé par lui et pour lui"(128). A la lumière de cette vérité, on comprend que la "désobéissance", dans le mystère du commencement, présuppose en un sens la même "non-foi", le même "ils n'ont pas cru" que l'on retrouvera face au mystère pascal. Il s'agit, nous l'avons dit, du refus, ou au moins de l'éloignement, de la vérité contenue dans la Parole du Père. Le refus s'exprime dans les faits comme une "désobéissance", un acte accompli comme un effet de la tentation qui provient du "père du mensonge"(129). A la racine du péché humain, il y a donc le mensonge en tant que refus radical de la vérité qui est dans le Verbe du Père, par lequel s'exprime la toute-puissance aimante du Créateur: la toute-puissance et en même temps l'amour "de Dieu le Père, Créateur du ciel et de la terre".

125 Cf.
Gn 1-3
126 Cf. Rm 5,19 Ph 2,8
127 Cf. Jn 1,1-3 Jn 1,10
128 Cf. Col 1,15-18
129 Cf. Jn 8,44



34 "L'Esprit de Dieu", qui, selon la description biblique de la création, "planait sur les eaux"(130), désigne le même "Esprit qui sonde les profondeurs de Dieu": il sonde les profondeurs du Père et du Verbe-Fils dans le mystère de la création. Non seulement il est le témoin direct de leur amour réciproque, d'ou est issue la création, mais il est lui-même cet Amour. Lui-même, comme Amour, est l'éternel don incréé. En lui se trouve la source et le commencement de tout don fait aux créatures. Le témoignage du commencement, que nous trouvons dans toute la Révélation, dès le Livre de la Genèse, est clair et ne varie pas sur ce point. Créer veut dire appeler à l'existence à partir du néant; créer signifie donc donner l'existence. Et si le monde visible est créé pour l'homme, c'est donc à l'homme que le monde est donné(131). Simultanément, l'homme reçoit comme don, dans son humanité, une particulière "image et ressemblance" de Dieu. Cela signifie non seulement que la nature humaine possède d'une manière constitutive la rationalité et la liberté, mais aussi que, depuis le commencement, l'homme est capable d'un rapport personnel avec Dieu, comme "je" et "tu", et donc qu'il est capable d'une alliance, qui sera établie grâce à la communication salvifique que Dieu fait de lui-même à l'homme. Enfin, avec en arrière-plan l'"image et ressemblance" de Dieu, "le don de l'Esprit" signifie appel à l'amitié dans laquelle les transcendantes "profondeurs de Dieu" s'ouvrent, en quelque sorte, à la participation de l'homme. Le Concile Vatican II enseigne que "le Dieu invisible (cf. Col 1,15 1Tm 1,17) s'adresse aux hommes en son immense amour ainsi qu'à des amis (cf. Ex 33,11 Jn 15,14-15) , il s'entretient avec eux (cf. Ba 3,38) pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie"(132).

130 Cf. Gn 1,
131 Cf. Gn 1,26 Gn 28 Gn 29
132 Const. dogm. sur la Révélation divine Dei Verbum, DV 2



35 En conséquence, l'Esprit, "qui sonde tout, jusqu'aux profondeurs de Dieu", connaît depuis le commencement "ce qui concerne l'homme"(133). C'est précisément pour cela que lui seul peut pleinement "mettre en lumière" le péché qui a existé au commencement, ce péché qui est la racine de tous les autres et le foyer de la perversité - qui ne disparaît jamais - de l'homme sur la terre. L'esprit de vérité connaît la réalité originelle du péché suscité dans la volonté de l'homme par l'oeuvre du "père du mensonge", celui qui, déjà, "est jugé"(134). L'Esprit Saint établit donc la culpabilité du monde en fait de péché par rapport à ce "jugement", mais en menant constamment vers la "justice" qui a été révélée à l'homme avec la Croix du Christ, par l'"obéissance jusqu'à la mort"(135).
Seul l'Esprit Saint peut mettre en évidence le péché de l'origine de l'humanité, Lui qui est Amour du Père et du Fils, Lui qui est Don, alors que le péché des origines de l'homme consiste dans le mensonge et dans le refus du Don et de l'Amour qui déterminent le commencement du monde et de l'homme.

36 Selon le témoignage du commencement, que nous trouvons dans toute l'Ecriture et dans la Tradition, après la première (et aussi la plus complète) description figurant dans le Livre de la Genèse, le péché, dans sa forme originelle, est compris comme une "désobéissance", ce qui a le sens simple et direct de transgression d'une interdiction établie par Dieu(136). Mais, à la lumière de tout le contexte, il est clair aussi que les racines de cette désobéissance doivent être cherchées en profondeur dans l'ensemble de la situation réelle de l'homme. Appelé à l'existence, l'être humain - homme et femme - est une créature. L'"image de Dieu", constituée par la rationalité et la liberté, indique la grandeur et la dignité du sujet humain, qui est une personne. Mais ce sujet personnel reste toujours une créature qui, dans son existence et dans son essence, dépend du Créateur. Selon la Genèse, "l'arbre de la connaissance du bien et du mal" devait exprimer et rappeler constamment à l'homme la "limite" infranchissable pour un être créé. C'est en ce sens que l'on entend l'interdiction posée par Dieu: le Créateur défend à l'homme et à la femme de manger les fruits de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Les paroles de l'incitation, c'est-à-dire de la tentation telle qu'elle est formulée dans le texte sacré, poussent à transgresser cette interdiction, c'est-à-dire à franchir cette "limite": "Le jour ou vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal"(137).
La "désobéissance" signifie justement le dépassement de cette limite, qui reste infranchissable pour la volonté et la liberté de l'homme comme être créé. Le Dieu Créateur est en effet la source unique et définitive de l'ordre moral dans le monde qu'il a créé. L'homme ne peut par lui-même décider ce qui est bon et ce qui est mauvais, il ne peut " connaître le bien et le mal", comme Dieu. Oui, dans le monde créé, Dieu demeure la source première et suprême de la décision du bien et du mal, à travers la vérité intime de l'être, vérité qui est le reflet du Verbe, Fils éternel consubstantiel au Père. A l'homme créé à l'image de Dieu, l'Esprit Saint accorde le don de la conscience, afin qu'en elle l'image puisse refléter fidèlement son modèle, qui est en même temps la Sagesse et la Loi éternelles, source de l'ordre moral dans l'homme et dans le monde. La "désobéissance", comme dimension originelle du péché, signifie le refus de cette source, motivé par la prétention de l'homme de devenir source autonome et exclusive pour décider du bien et du mal. L'Esprit qui "sonde ... les profondeurs de Dieu", et qui, en même temps, est pour l'homme la lumière de la conscience et la source de l'ordre moral, connaît dans toute son ampleur cette dimension du péché, qui s'inscrit dans le mystère du commencement de l'humanité. Et il ne cesse d'en "convaincre le monde" en relation avec la Croix du Christ au Golgotha.

133 Cf.
1Co 2,10-11
134 Cf. Jn 16,11
135 Cf. Ph 2,8
136 Cf. Gn 2,16-17
137 Gn 3,5



37 Selon le témoignage du commencement, Dieu, dans la création, s'est révélé lui-même comme toute-puissance qui est Amour. En même temps, il a révélé à l'homme que, en tant qu'"image et ressemblance" de son Créateur, il est appelé à participer à la vérité et à l'amour. Cette participation veut dire vivre en union avec Dieu, qui est la "vie éternelle"(138). Mais l'homme, sous l'influence du "père du mensonge", s'est détaché de cette participation. Dans quelle mesure? Certes pas dans la mesure du péché d'un pur esprit, pas dans la mesure du péché de Satan. L'esprit humain est incapable d'atteindre une telle mesure(139). Dans la description de la Genèse, on remarque aisément la différence de degré entre, d'un côté, le "souffle du mal" de la part de celui qui "est pécheur (c'est-à-dire demeure dans le péché) dès l'origine"(140) et qui déjà "est jugé"(141), et, d'un autre côté, le mal de la désobéissance de la part de l'homme.
Cependant, cette désobéissance signifie toujours que l'on tourne le dos à Dieu et, en un sens, que la liberté humaine se ferme à lui. Elle signifie aussi une certaine ouverture de cette liberté - de la connaissance et de la volonté humaine - vers celui qui est le "père du mensonge". Cet acte de choix conscient n'est pas seulement une "désobéissance" mais comporte aussi une certaine adhésion à la motivation contenue dans la première incitation au péché et constamment renouvelée durant toute l'histoire de l'homme sur la terre: "Dieu sait que, le jour ou vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal".
Nous nous trouvons ici au centre même de ce que l'on pourrait appeler l'"anti-Verbe", c'est-à-dire l'"anti-vérité". Ainsi se trouve faussée la vérité de l'homme, à savoir: ce qu'est l'homme et quelles sont les limites infranchissables de son être et de sa liberté. Cette "antivérité" est possible car, en même temps, est complètement "faussée" la vérité sur ce qu'est Dieu. Le Dieu Créateur est mis en suspicion, et même en accusation, dans la conscience de la créature. Pour la première fois dans l'histoire de l'homme apparaît dans sa perversité le "génie du soupçon". Il cherche à "fausser" le Bien lui-même, le Bien absolu, qui s'est justement manifesté dans l'oeuvre de la création comme le Bien qui donne d'une manière ineffable, comme bonum diffusivum sui, comme Amour créateur. Qui peut pleinement "manifester le péché", c'est-à-dire cette motivation de la désobéissance originelle de l'homme, sinon celui qui seul est le Don et la source de toute largesse, sinon l'Esprit, qui "sonde les profondeurs de Dieu" et qui est l'Amour du Père et du Fils?

138 Cf.
Gn 3,22 à propos de l'" arbre de vie "; Cf. aussi Jn 3,36 Rm 6,23 Ga 6,8 1Tm 1,16 Tt 1,2 Tt 3,7 1P 3,22 1Jn 1,2 1Jn 2,25 1Jn 5,11 1Jn 5,13 Ap 2,7
139 Cf. S. THOMAS D AQUIN, Somme théol., I-II 80,4 ad 3.
140 1Jn 3,8
141 Jn 16,11



38 En effet, malgré tout le témoignage de la création et de l'économie du salut qui s'y rattache, l'esprit des ténèbres(142) est capable de montrer Dieu comme un ennemi de sa créature et, avant tout, comme un ennemi de l'homme, comme une source de danger et de menace pour l'homme. Ainsi, Satan introduit dans la psychologie de l'homme le germe de l'opposition à l'égard de celui qui, "depuis l'origine", doit être considéré comme ennemi de l'homme, et non comme Père. L'homme est poussé à devenir l'adversaire de Dieu!
L'analyse du péché dans sa dimension originelle montre que, de par le "père du mensonge", il y aura au cours de l'histoire de l'humanité une pression constante pour que l'homme refuse Dieu, jusqu'à le haïr: "L'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu", selon l'expression de saint Augustin(143). L'homme sera enclin à voir en Dieu avant tout une limitation pour lui-même, et non la source de sa liberté et la plénitude du bien. Nous en voyons la confirmation à l'époque moderne ou les idéologies athées tendent à extirper la religion en partant du présupposé qu'elle entraîne la radicale "aliénation" de l'homme, comme si l'homme était dépouillé de son humanité lorsque, après avoir accepté l'idée de Dieu, il attribue à ce dernier ce qui appartient à l'homme, et exclusivement à l'homme! D'ou un processus de pensée et de comportement historique et sociologique ou le refus de Dieu est allé jusqu'à déclarer sa "mort". C'est une absurdité, dans le concept et dans les termes! Mais l'idéologie de la "mort de Dieu" menace plutôt l'homme, comme le souligne Vatican II lorsque, se livrant à l'analyse de la question de l'"autonomie des réalités terrestres", il écrit: "La créature sans Créateur s'évanouit ... Et même, l'oubli de Dieu rend opaque la créature elle-même"(144). L'idéologie de la "mort de Dieu" montre aisément par ses effets qu'elle est, sur le plan théorique comme sur le plan pratique, l'idéologie de la "mort de l'homme".

142 Cf.
Ep 6,12 Lc 22,53
143 Cf. De Civitade Dei XIV, 28: CCL 48, 451.
144 Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, GS 36




4. L'Esprit qui transformela souffrance en amour sauveur

39 L'Esprit, qui sonde les profondeurs de Dieu, a été appelé par Jésus, dans son discours du Cénacle, le Paraclet. En effet, depuis le commencement, "il est invoqué"(145) pour "manifester le péché du monde". Il est invoqué de façon définitive à travers la Croix du Christ. Manifester le péché veut dire montrer le mal qu'il comporte. Ce qui revient à révéler le mysterium iniquitatis. Il n'est pas possible de saisir le mal du péché dans toute sa douloureuse réalité sans "sonder les profondeurs de Dieu". Depuis les origines, le mystère obscur du péché s'est manifesté dans le monde avec en arrière-plan la référence au Créateur de la liberté humaine. Il s'est manifesté comme un acte de volonté de la créature-homme contraire à la volonté de Dieu, à la volonté salvifique de Dieu; bien plus, il s'est manifesté en opposition à la vérité, sur la base du mensonge désormais "jugé" définitivement, ce mensonge qui a mis en état d'accusation, en état de suspicion permanente, l'Amour créateur et sauveur lui-même. L'homme a suivi le "père du mensonge", en s'opposant au Père de la vie et à l'Esprit de vérité.
"Manifester le péché" ne devrait-il pas alors signifier également révéler la souffrance, révéler la douleur, inconcevable et inexprimable, que, à cause du péché, le Livre saint semble, dans sa vision anthropomorphique, entrevoir dans les "profondeurs de Dieu" et, en un sens, au coeur même de l'inexprimable Trinité? L'Eglise, s'inspirant de la Révélation, croit et professe que le péché est une offense faite à Dieu. Qu'est-ce qui correspond, dans l'insondable intimité du Père, du Verbe et de l'Esprit Saint, à cette "offense", à ce refus de l'Esprit qui est Amour et Don? La conception de Dieu comme être nécessairement très parfait exclut évidemment, en Dieu, toute souffrance provenant de carences ou de blessures; mais dans les "profondeurs de Dieu", il y a un amour de Père qui, face au péché de l'homme, réagit, selon le langage biblique, jusqu'à dire: "Je me repens d'avoir fait l'homme"(146). "Le Seigneur vit que la méchanceté de l'homme était grande sur la terre... Le Seigneur se repentit d'avoir fait l'homme sur la terre, et il s'affligea dans son coeur. Et le Seigneur dit... "je me repens de les avoir faits" "(147). Mais plus souvent le Livre saint nous parle d'un Père qui éprouve de la compassion pour l'homme, comme s'il partageait sa souffrance. En définitive, cette insondable et indescriptible "douleur" de père donnera surtout naissance à l'admirable économie de l'amour rédempteur en Jésus Christ, afin que, par le mysterium pietatis, l'amour puisse, dans l'histoire de l'homme, se révéler plus fort que le péché. Afin que prévale le "Don"!
L'Esprit Saint, qui, selon les paroles de Jésus, "manifeste le péché", est l'Amour du Père et du Fils, et, comme tel, il est le Don trinitaire tout en étant la source éternelle de toute largesse divine aux créatures. En lui précisément, nous pouvons concevoir comme personnifiée et réalisée d'une manière transcendante la miséricorde que la tradition patristique et théologique, dans la ligne de l'Ancien et du Nouveau Testament, attribue à Dieu. En l'homme, la miséricorde inclut la douleur et la compassion pour les misères du prochain. En Dieu, l'Esprit qui est Amour fait que la considération du péché humain se traduit par de nouvelles libéralités de l'amour sauveur. De lui, dans l'unité avec le Père et le Fils, naît l'économie du salut, qui remplit l'histoire de l'homme des dons de la Rédemption. Si le péché, en refusant l'amour, a engendré la "souffrance" de l'homme qui s'est étendue d'une certaine manière à toute la création(148), l'Esprit Saint entrera dans la souffrance humaine et cosmique avec une nouvelle effusion d'amour qui rachètera le monde. Et sur les lèvres de Jésus Rédempteur, dans l'humanité de qui se concrétise la "souffrance" de Dieu, reviendra un mot par lequel se manifeste l'Amour éternel plein de miséricorde: "Misereor", "j'ai pitié"(149). Ainsi, pour l'Esprit Saint, "mettre en lumière le péché" revient à manifester, devant la création "assujettie à la vanité" et surtout au plus profond des consciences humaines, que le péché est vaincu par le sacrifice de l'Agneau de Dieu, lequel est devenu "jusqu'à la mort" le serviteur obéissant qui, remédiant à la désobéissance de l'homme, opère la rédemption du monde. C'est de cette façon que l'Esprit de vérité, le Paraclet, "met en lumière le péché".

145 En grec, le verbe est parakalein = invoquer, appeler à soi.
146 Cf.
Gn 6,7
147 Gn 6,5-7
148 Cf. Rm 8,20-22
149 Cf. Mt 15,32 Mc 8,1-10



40 La valeur rédemptrice du sacrifice du Christ est exprimée en des phrases très significatives par l'auteur de la Lettre aux Hébreux. Celui-ci, après avoir rappelé les sacrifices de l'Ancienne Alliance, dans lesquels "le sang des boucs et des jeunes taureaux... procurait la pureté de la chair", ajoute: "Combien plus le sang du Christ, qui, par un Esprit éternel, s'est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes pour que nous rendions un culte au Dieu vivant!"(150). Certes, d'autres interprétations sont possibles, mais nos considérations sur la présence de l'Esprit Saint dans toute la vie du Christ nous portent à reconnaître dans ce texte comme une invitation à réfléchir sur la présence de ce même Esprit Saint également dans le sacrifice rédempteur du Verbe incarné.
Revenons donc d'abord sur les paroles initiales qui traitent de ce sacrifice, puis, séparément, sur la "purification de la conscience" qu'il opère. Il s'agit en effet d'un sacrifice offert "par (= par l'oeuvre de) un Esprit éternel", qui "reçoit" de lui la force de "manifester le péché" pour le salut. C'est ce même Esprit Saint que, selon la promesse faite au Cénacle, Jésus Christ "portera" aux Apôtres le jour de sa résurrection, en se présentant à eux avec les plaies de la crucifixion, et qu'il leur "donnera pour la rémission des péchés": "Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis"(151).
Nous savons que "Dieu a oint de l'Esprit Saint et de puissance Jésus de Nazareth", comme le disait Simon Pierre dans la maison du centurion Corneille(152). Nous connaissons le mystère pascal de son "départ", selon l'Evangile de Jean. Les paroles de la Lettre aux Hébreux nous expliquent maintenant de quelle façon le Christ "s'est offert lui-même sans tache à Dieu", et nous disent qu'il l'a fait "par un Esprit éternel". Dans le sacrifice du Fils de l'homme, l'Esprit Saint est présent et agit de la même manière qu'il agissait dans sa conception, dans sa venue au monde, dans sa vie cachée et dans son ministère public. Selon la Lettre aux Hébreux, en route vers son "départ" à travers Gethsémani et le Golgotha, ce même Jésus Christ s'est ouvert totalement, dans son humanité, à l'action de l'Esprit-Paraclet qui, dans la souffrance, fait apparaître l'amour éternel source de salut. Il a donc été "exaucé en raison de sa piété; tout Fils qu'il était, il apprit, de ce qu'il souffrit, l'obéissance"(153). Ainsi cette Lettre montre que l'humanité, soumise au péché dans les descendants du premier Adam, est devenue en Jésus Christ parfaitement soumise à Dieu et unie à lui, tout en étant remplie de miséricorde à l'égard des hommes. Apparaît alors une nouvelle humanité qui, en Jésus Christ, par la souffrance de la Croix, est revenue à l'amour trahi par le péché d'Adam. Cette nouvelle humanité s'est retrouvée dans la même source divine du don originel: dans l'Esprit, qui "sonde les profondeurs de Dieu" et qui est lui-même Amour et Don.
Le Fils de Dieu, Jésus Christ, en tant qu'homme, dans la prière ardente de sa passion, a permis à l'Esprit Saint, qui avait déjà pénétré jusqu'au fond son humanité, de la transformer en un sacrifice parfait par l'acte de sa mort, comme victime d'amour sur la Croix. C'est seul qu'il a présenté cette offrande. Prêtre unique, il "s'est offert lui-même sans tache à Dieu"(154). Dans son humanité, il était digne de devenir un tel sacrifice car lui seul était "sans tache". Mais il l'a offert "par un Esprit éternel": cela signifie que l'Esprit Saint a agi d'une manière spéciale dans ce don absolu de lui-même réalisé par le Fils de l'homme pour transformer la souffrance en amour rédempteur.

41 Dans l'Ancien Testament, on parle souvent du "feu du ciel" qui brûlait les offrandes présentées par les hommes(155). Par analogie, on peut dire que l'Esprit Saint est le "feu du ciel" qui agit au plus profond du mystère de la Croix. Venant du Père, il tourne vers le Père le sacrifice du Fils, le faisant entrer dans la divine réalité de la communion trinitaire. Si le péché a engendré la souffrance, maintenant la douleur de Dieu dans le Christ crucifié acquiert, par l'Esprit Saint, toute son expression humaine. On se trouve ainsi devant un mystère paradoxal d'amour: dans le Christ souffre un Dieu repoussé par sa propre créature: "Ils ne croient pas en moi!"; mais en même temps, devant la profondeur de cette souffrance - et, indirectement, la profondeur du péché même "de ne pas avoir cru" -, l'Esprit fait croître à un degré nouveau le don fait à l'homme et à la création depuis le commencement. Dans les profondeurs du mystère de la Croix, l'Amour agit, et cet Amour amène l'homme à participer de nouveau à la vie qui est en Dieu même.
L'Esprit Saint, en tant qu'Amour et Don, descend, en un sens, au coeur même du sacrifice offert sur la Croix. En nous référant à la tradition biblique, nous pouvons dire qu'il consomme ce sacrifice par le feu de l'Amour qui unit le Fils au Père dans la communion trinitaire. Et comme le sacrifice de la Croix est un acte propre du Christ, dans ce sacrifice aussi il "reçoit" l'Esprit Saint. Il le reçoit d'une manière telle qu'il peut ensuite lui-même - et lui seul avec Dieu le Père - "le donner" aux Apôtres, à l'Eglise, à l'humanité. Lui seul "l'envoie" d'auprès du Père(156). Lui seul se présente devant les Apôtres réunis au Cénacle, "souffle sur eux" et dit: "Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis"(157), ainsi que l'avait annoncé Jean-Baptiste: "Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu"(158). Par ces paroles de Jésus, l'Esprit Saint est révélé et en même temps rendu présent comme l'Amour qui agit au plus profond du mystère pascal, comme source de la puissance salvifique de la Croix du Christ, comme Don de la vie nouvelle et éternelle.
Cette vérité sur l'Esprit Saint est exprimée quotidiennement dans la liturgie romaine, lorsque le prêtre, avant la communion, prononce ces paroles significatives: "Seigneur Jésus Christ, Fils du Dieu vivant, selon la volonté du Père et avec la puissance du Saint-Esprit, tu as donné, par ta mort, la vie au monde ...". Et dans la troisième Prière eucharistique, se référant à cette même économie du salut, le prêtre demande à Dieu que l'Esprit Saint "fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire".

150
He 9,13-14
151 Jn 20,22-23
152 Ac 10,38
153 He 5,7-8
154 He 9,14
155 Cf. Lv 9,24
156 Cf. Jn 15,26
157 Jn 20,22-23
158 Mt 3,11



5. Le sang qui purifie la conscience

42 Nous avons dit qu'au point culminant du mystère pascal, l'Esprit Saint est définitivement révélé et rendu présent d'une façon nouvelle. Le Christ ressuscité dit aux Apôtres: "Recevez l'Esprit Saint". Ainsi est révélé l'Esprit Saint, car les paroles du Christ constituent la confirmation des promesses et des annonces du discours du Cénacle. Et par là même, le Paraclet est rendu présent d'une manière nouvelle. En réalité, il agissait depuis le commencement dans le mystère de la création et tout au long de l'histoire de l'Ancienne Alliance de Dieu avec l'homme. Son action a été pleinement confirmée par la mission du Fils de l'homme, le Messie venu dans la puissance de l'Esprit Saint. Au sommet de la mission messianique de Jésus, l'Esprit Saint se rend présent au sein du mystère pascal dans sa qualité de sujet divin: il est celui qui doit maintenant continuer l'oeuvre salvifique enracinée dans le sacrifice de la Croix. Cette oeuvre, bien sûr, est confiée par Jésus à des hommes: aux Apôtres, à l'Eglise. Toutefois, en ces hommes et par eux, l'Esprit Saint demeure le sujet transcendant de la réalisation de cette oeuvre dans l'esprit de l'homme et dans l'histoire du monde: lui, le Paraclet invisible tout en étant omniprésent! L'Esprit qui "souffle ou il veut" (159).
Les paroles prononcées par le Christ ressuscité le "premier jour après le sabbat" mettent particulièrement en relief la présence du Paraclet-Consolateur, celui qui "établit la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement". C'est seulement dans ce rapport, en effet, que s'expliquent les paroles que Jésus met en relation directe avec le "don" de l'Esprit Saint aux Apôtres. Il dit: "Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus"(160). Jésus confère aux Apôtres le pouvoir de remettre les péchés, pour qu'ils le transmettent à leurs successeurs dans l'Eglise. Toutefois, ce pouvoir, accordé aux hommes, présuppose et inclut l'action salvifique de l'Esprit Saint. En devenant la "lumière des coeurs"(161), c'est-à-dire des consciences, l'Esprit Saint "manifeste le péché", c'est-à-dire fait connaître à l'homme son mal et en même temps l'oriente vers le bien. Grâce à la multiplicité de ses dons - on l'invoque comme le "Porteur des sept dons" -, la puissance salvifique de Dieu peut atteindre tout péché, de quelque genre qu'il soit. En réalité, comme le dit saint Bonaventure, "en vertu des sept dons de l'Esprit Saint, tous les maux sont détruits tandis que sont réalisés tous les biens"(162).
Sous l'influence du Paraclet s'accomplit donc cette conversion du coeur humain qui est la condition indispensable du pardon des péchés. Sans une vraie conversion, qui suppose une contrition intérieure, et en l'absence d'une résolution ferme et sincère de changement, les péchés restent "non remis", comme le dit Jésus, et avec lui la Tradition de l'Ancienne et de la Nouvelle Alliance. En effet, les premières paroles prononcées par Jésus au début de son ministère, selon l'Evangile de Marc, sont les suivantes: "Convertissez-vous et croyez à l'Evangile"(163). Nous avons une confirmation de cette exhortation dans la "mise en lumière du péché" que l'Esprit Saint entreprend d'une manière nouvelle en vertu de la Rédemption opérée par le Sang du Fils de l'homme. C'est pourquoi la Lettre aux Hébreux dit que ce "sang purifie la conscience"(164). Et donc celui-ci, pour ainsi dire, ouvre à l'Esprit Saint la route qui conduit au coeur de l'homme, c'est-à-dire au sanctuaire des consciences humaines.

159 Cf.
Jn 3,8
160 Jn 20,22-23
161 Cf. séquence Veni, Sancte Spiritus.
162 S. BONAVENTURE, De septem donis Spiritus Sancti, Collatio II, 3: Ad Claras Aquas, V, 463.
163 Mc 1,15
164 Cf. He 9,14



43 Le Concile Vatican II a rappelé l'enseignement catholique sur la conscience, en parlant de la vocation de l'homme et en particulier de la dignité de la personne humaine. C'est précisément la conscience qui détermine d'une manière spécifique cette dignité. Elle est en effet "le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire ou il est seul avec Dieu et ou sa voix se fait entendre". C'est clairement qu'elle "dit dans l'intimité de son coeur: "Fais ceci, évite cela"". Cette capacité de commander le bien et d'interdire le mal, inscrite dans l'homme par le Créateur, est la propriété caractéristique du sujet personnel. Mais en même temps, au fond de sa conscience, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne se donne pas lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir"(165). La conscience n'est donc pas une source autonome et exclusive pour décider ce qui est bon et ce qui est mauvais; au contraire, en elle est profondément inscrit un principe d'obéissance à l'égard de la norme objective qui fonde et conditionne la conformité de ses décisions aux commandements et aux interdits qui sont à la base du comportement humain, comme il apparaît dès la page du Livre de la Genèse déjà évoquée(166). En ce sens précis, la conscience est le "sanctuaire secret" ou "la voix de Dieu se fait entendre". Et c'est la "voix de Dieu", même quand l'homme reconnaît exclusivement en elle le principe de l'ordre moral dont on ne peut douter humainement, fût-ce sans référence directe au Créateur: la conscience trouve toujours son fondement et sa justification dans cette référence.
La "mise en lumière du péché" sous l'influence de l'Esprit de vérité, dont parle l'Evangile, ne peut se réaliser dans l'homme autrement que par le chemin de la conscience. Si la conscience est droite, elle sert à trouver "selon la vérité la solution de tant de problèmes moraux que soulèvent aussi bien la vie privée que la vie sociale"; et alors, "les personnes et les groupes s'éloignent d'une décision aveugle et tendent à se conformer aux normes objectives de la moralité"(167).
Le premier fruit d'une conscience droite est d'appeler par leur nom le bien et le mal, comme le fait, par exemple, la même Constitution pastorale de Vatican II: "Tout ce qui s'oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d'homicide, le génocide, l'avortement, l'euthanasie et même le suicide délibéré; tout ce qui constitue une violation de l'intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques; tout ce qui est offense à la dignité de l'homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations; l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable"; et, après avoir appelé par leur nom les multiples péchés si fréquents et si répandus en notre temps, la Constitution ajoute: "Toutes ces pratiques et d'autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu'elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s'y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l'honneur du Créateur"(168).
En appelant par leur nom les péchés les plus déshonorants pour l'homme, et en démontrant qu'ils sont un mal moral qui s'inscrit au passif de tout bilan du progrès de l'humanité, le Concile caractérise tout cela comme une étape "de la lutte, combien dramatique, entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres", qui caractérise "toute la vie des hommes, individuelle et collective"(169). L'assemblée du Synode des Evêques de 1983 sur la réconciliation et la pénitence a précisé davantage encore la signification personnelle et sociale du péché de l'homme(170).

165 Cf. Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes,
GS 16
166 Cf. Gn 2,9 Gn 2,17
167 CONC. CUM. VAT. II, Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, GS 16
168 Ibid., GS 27
169 Cf. ibid., GS 13
170 Cf. JEAN-PAUL II, Exhort. apost. post-synodale Reconciliatio et paenitentia (2 décembre 1984), RP 16: AAS 77 (1985), PP. 213-217.



44 Au Cénacle, la veille de sa Passion puis le soir de Pâques, Jésus Christ a fait appel à l'Esprit Saint comme à celui qui témoigne que, dans l'histoire de l'humanité, le péché continue à exister. Toutefois, le péché est soumis à la puissance salvifique de la Rédemption. La "manifestation du péché du monde" ne s'arrête pas au simple fait d'appeler celui-ci par son nom et de l'identifier pour ce qu'il est dans toute l'étendue de sa nature. Dans la manifestation du péché du monde, l'Esprit de vérité rencontre la voix des consciences humaines.
De cette façon, on en arrive à mettre en évidence les racines du péché, qui se trouvent au coeur de l'homme, comme le souligne la même Constitution pastorale: "En vérité, les déséquilibres qui travaillent le monde moderne sont liés à un déséquilibre plus fondamental, qui prend racine dans le coeur de l'homme. C'est en l'homme lui-même, en effet, que de nombreux éléments se combattent. D'une part, comme créature, il fait l'expérience de ses multiples limites; d'autre part, il se sent illimité dans ses désirs et appelé à une vie supérieure. Sollicité de tant de façons, il est sans cesse contraint de choisir et de renoncer. Pire: faible et pécheur, il accomplit souvent ce qu'il ne veut pas et n'accomplit point ce qu'il voudrait"(171). Le texte conciliaire se réfère ici aux paroles bien connues de saint Paul(172).
La "mise en lumière du péché", qui accompagne la conscience humaine chaque fois qu'elle réfléchit en profondeur sur elle-même, conduit donc à la découverte des racines du péché dans l'homme, et aussi des conditionnements de la conscience elle-même au cours de l'histoire. Nous retrouvons de cette façon la réalité originelle du péché dont nous avons déjà parlé. L'Esprit Saint "met en lumière le péché" par rapport au mystère du commencement, en indiquant le fait que l'homme est un être créé et qu'il est donc en totale dépendance ontologique et éthique du Créateur, tout en rappelant la condition pécheresse héréditaire de la nature humaine. Mais c'est toujours en relation avec la Croix du Christ que l'Esprit Saint-Paraclet "met en lumière le péché". Dans cette relation, le christianisme exclut toute "fatalité" du péché. "Un dur combat contre les puissances des ténèbres passe à travers toute l'histoire des hommes; commencé dès les origines, il durera, le Seigneur nous l'a dit, jusqu'au dernier jour", ainsi s'exprime le Concile(173). "Mais le Seigneur en personne est venu pour restaurer l'homme dans sa liberté et sa force"(174). Loin de se laisser prendre au piège de sa condition de pécheur, l'homme, s'appuyant sur la voix de sa propre conscience, doit donc "sans cesse combattre pour s'attacher au bien; et ce n'est qu'au prix de grands efforts, avec la grâce de Dieu, qu'il parvient à réaliser son unité intérieure"(175). A juste titre, le Concile voit dans le péché le responsable de la rupture qui pèse sur la vie personnelle comme sur la vie sociale de l'homme; mais en même temps il rappelle inlassablement la possibilité de la victoire.

171 Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes,
GS 10
172 Cf. Rm 7,14-15 Rm 7,19
173 Const. past. sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, GS 37
174 Ibid., GS 13
175 Ibid., GS 37




45 L'Esprit de vérité, qui "met en évidence le péché du monde", rencontre les efforts de la conscience humaine, dont les textes conciliaires parlent d'une manière très suggestive. Ces efforts de la conscience déterminent aussi les voies de la conversion humaine: tourner le dos au péché pour rebâtir la vérité et l'amour au coeur même de l'homme. On sait que parfois il en coûte beaucoup de reconnaître le mal en soi-même. On sait que non seulement la conscience commande ou interdit, mais qu'elle juge à la lumière des ordres et des défenses intérieurs. Elle est aussi la source des remords: l'homme souffre intérieurement à cause du mal qu'il a commis. Cette souffrance n'est-elle pas comme un écho lointain de ce "regret d'avoir créé l'homme" que le Livre saint, dans un langage anthropomorphique, attribue à Dieu, de cette "réprobation" qui, s'inscrivant au "coeur" de la Trinité, se traduit par la douleur de la Croix, par l'obéissance du Christ jusqu'à la mort en vertu de l'amour éternel? Quand l'Esprit de vérité permet à la conscience humaine de participer à cette douleur, la souffrance de la conscience devient particulièrement profonde, mais aussi particulièrement salvifique. Par un acte de contrition parfaite s'opère alors la conversion authentique du coeur: c'est la "metanoia" évangélique.
Les efforts du coeur humain, les efforts de la conscience, grâce auxquels s'opère cette "metanoia" ou conversion, sont le reflet du processus par lequel la réprobation est transformée en amour salvifique qui accepte de souffrir. L'auteur caché de cette force salvatrice est l'Esprit Saint: Lui qui est appelé par l'Eglise "lumière des consciences" pénètre et remplit "jusqu'à l'intime les coeurs" humains(176). Par une telle conversion dans l'Esprit Saint, l'homme s'ouvre au pardon, à la rémission des péchés. Et tout cet admirable dynamisme de la conversion-rémission confirme la vérité de ce qu'écrit saint Augustin sur le mystère de l'homme en commentant les paroles du psaume: "L'abîme appelle l'abîme"(177). C'est précisément à l'égard de cette "profondeur abyssale" de l'homme, de la conscience humaine, que s'accomplit la mission du Fils et de l'Esprit Saint. L'Esprit Saint "vient" en vertu du "départ" du Christ dans le mystère pascal: il vient dans tout cas concret de conversion-rémission, en vertu du sacrifice de la Croix: en lui, en effet, "le sang du Christ ... purifie notre conscience des oeuvres mortes pour que nous rendions un culte au Dieu vivant"(178). Ainsi s'accomplissent continuellement les paroles sur l'Esprit Saint présenté comme "un autre Paraclet", paroles qui, au Cénacle, furent adressées aux Apôtres et indirectement à tous: "Vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure auprès de vous et qu'il sera en vous"(179).

176 Cf. séquence de la Pentecôte: " Reple cordis intima ".
177 Cf. S. AUGUSTIN, Enarr. in XLI, 13: CCL 38, 470: " Quel est cet abîme que l'abîme invoque? abîme veut dire profondeur, ne pensons-nous pas que le coeur de l'homme est un abîme? Quoi de plus profond que cet abîme? Les hommes peuvent parler, on peut les voir agir avec leurs membres, on peut les entendre parler; mais de qui peut-on pénétrer la pensée, de qui peut-on sonder le coeur? ".
178 Cf.
He 9,14
179 Jn 14,17




1986 Dominum et vivificantem 33