1987 Donum Vitae 7

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Par "procréation artificielle" ou "fécondation artificielle", on entend ici les diverses procédures techniques destinées à obtenir une conception humaine d'une manière autre que par l'union sexuelle de l'homme et de la femme. L'Instruction traite de la fécondation d'un ovule en éprouvette (fécondation in vitro) et de l'insémination artificielle moyennant transfert, dans les organes génitaux de la femme, du sperme précédemment recueilli.

Un point préliminaire à l'appréciation morale de ces techniques est constitué par la considération des circonstances et des conséquences qu'elles comportent par rapport au respect dû à l'embryon humain. L'extension de la pratique de la fécondation in vitro a nécessité d'innombrables fécondations et destructions d'embryons humains. Aujourd'hui encore, elle présuppose habituellement une sur-ovulation de la femme: plusieurs ovules sont prélevés, fécondés et cultivés ensuite in vitro pendant quelques jours. Habituellement, tous ne sont pas transférés dans les organes génitaux de la femme; certains embryons, appelés ordinairement "surnuméraires", sont détruits ou congelés. Parmi les embryons implantés, certains sont sacrifiés pour diverses raisons eugéniques, économiques ou psychologiques. Cette destruction volontaire d'être humains ou leur utilisation à diverses fins, au détriment de leur intégrité et de leur vie, est contraire à la doctrine déjà rappelée à propos de l'avortement provoqué.

Le rapport entre fécondation in vitro et élimination volontaire d'embryons humains se vérifie trop fréquemment. Ceci est significatif: avec ces procédés, aux finalités apparemment opposées, la vie et la mort sont soumises aux décisions de l'homme, qui en vient ainsi à se constituer donateur de vie et de mort sur commande. Cette dynamique de violence et de domination peut n'être pas perçue par ceux-mêmes qui, en voulant l'utiliser, s'y assujettissent. Les données de fait rappelées et la froide logique qui les relie doivent être prises en considération pour un jugement moral sur la FIVETE (fécondation in vitro et transfert de l'embryon): la mentalité abortive qui l'a rendue possible conduit ainsi, qu'on le veuille ou non, à une domination de l'homme sur la vie et sur la mort de ses semblables, qui peut conduire à un eugénisme radical.

Des abus de ce genre ne dispensent cependant pas d'une réflexion éthique ultérieure et approfondie sur les techniques de procréation artificielle considérées en elles-mêmes, abstraction faite autant que possible de la destruction des embryons produits in vitro.

La présente Instruction prendra donc en considération tout d'abord les problèmes posés par la fécondation artificielle hétérologue* (II, 1-3), puis ceux qui sont liés à la fécondation artificielle homologue** (II, 4-6).

* L'Instruction entend, sous la dénomination de Fécondation ou procréation artificielle hétérologue, les techniques destinée à obtenir artificiellement une conception humaine à partir de gamètes provenant d'au moins un donneur autre que les époux qui sont unis en mariage. Ces techniques peuvent être de deux types:
a) FIVETE hétérologue: technique destinée à obtenir une conception humaine par la rencontre in vitro de gamètes prélevés sur au moins un donneur autre que les époux unis par le mariage.
b) Insémination artificielle hétérologue: technique destinée à obtenir une conception humaine par le transfert dans les organes génitaux de la femme du sperme précédemment recueilli sur un donneur autre que le mari.

** L'Instruction entend par Fécondation ou procréation artificielle homologue la technique destinée à obtenir une conception humaine à partir des gamètes de deux époux unis en mariage. La fécondation artificielle homologue peut être réalisée par deux méthodes diverses:
a) FIVETE homologue: technique destinée à obtenir une conception humaine par la rencontre in vitro des gamètes des époux unis en mariage.
b) Insémination artificielle homologue: technique destinée à obtenir une conception humaine par le transfert dans les organes génitaux d'une femme mariée du sperme de son mari précédemment recueilli.

Avant de formuler un jugement éthique sur chacune d'elles, on exposera les principes et les valeurs qui déterminent l'appréciation morale de chacune de ces procédures.


A. FECONDATION ARTIFlCIELLE HETEROLOGUE

1. Pourquoi la procréation humaine doit-elle

avoir lieu dans le mariage ?

Tout être humain doit être accueilli comme un don et une bénédiction de Dieu. Cependant du point de vue moral, une procréation vraiment responsable à l'égard de l'enfant à naître être le fruit du mariage.

La procréation humaine possède en effet des caractéristiques spécifiques en vertu de la dignité personnelle des parents et des enfants: la procréation d'une personne nouvelle, par laquelle l'homme et la femme collaborent avec la puissance du Créateur, devra être le fruit et le signe de la donation mutuelle et personnelle de époux, de leur amour et de leur fidélité (34). La fidélité des époux, dans l'unité du mariage comporte le respect réciproque de leur droit à devenir père et mère seulement l'un par l'autre. L'enfant a droit d'être conçu, porté, mis a monde et éduqué dans le mariage: c'est par la référence assurée et reconnue à ses parents qu'il peut découvrir son identité et mûrir sa propre formation humaine.

(34) Cf. GS 50.


Les parents trouvent dans l'enfant une confirmation et un accomplissement de leur donation réciproque: il est l'image vivante de leur amour, le signe permanent de leur union conjugale, la synthèse vivante et indissoluble de leur dimension paternelle et maternelle (35).

(35) Cf. JEAN-PAUL II, Exhort. apost. FC 14 : AAS 74 (1982) 96.


En vertu de la vocation et des responsabilités sociales de la personne, le bien des enfants et des parents contribue au bien de la société civile ; la vitalité et l'équilibre de la société demandent que les enfants viennent au monde au sein d'une famille, et que celle-ci soit fondée sur le mariage d'une manière stable.

La tradition de l'Eglise et la réflexion anthropologique reconnaissent dans le mariage et dans son unité indissoluble le seul lieu digne d'une procréation vraiment responsable.



2. La fécondation artificielle hétérologue

est-elle conforme à la dignité des époux

et à la vérité du mariage ?

Dans la FIVETE et l'insémination artificielle hétérologue, la conception humaine est obtenue par la rencontre des gamètes d'au moins un donneur autre que les époux unis dans le mariage. La fécondation artificielle hétérologue est contraire à l'unité du mariage, à la dignité des époux, à la vocation propre des parents et au droit de l'enfant à être conçu et mis au monde dans le mariage et par le mariage (36).

(36) Cf. PIE Xll, Discours aux participants au VIe Congrès International des Médecins Catholiques, 29 septembre 1949: AAS 41 (1949) 559: Selon le plan du Dieu Créateur, "l'homme abandonne son père et sa mère et s'unit à sa femme, et les deux deviennent une seule chair" Gn 2,24. L'unité du mariage, liée à l'ordre de la création, est une vérité accessible à la raison naturelle. La Tradition et le Magistère de l'Eglise se réfèrent souvent au livre de la Genèse, soit directement soit à travers les passages du Nouveau Testament qui y font référence : Mt 19,4-6 Mc 10,5-8 Ep 5,31. Cf. ATHENAGORE, Legatio pro christianis, 33: PG 6, 965-967S. JEAN CHRYSOSTOME, In Matthaeum homiliae, LXII, 19, 1: PG 58, 597: S. LEON LE GRAND, Epist ad Rusticum, 4: PL 54, 1204; INNOCENT III, Ep. Gaudemus in Domino: DS 778;IIe CONCILE DE LYON, Ir Session: DS 860; CONCILE DE TRENTE, XXIVe Session: DS 1798, 1802, LEON XIII, Enc. Arcanum Divinae Sapientiae: ASS 12 (1879-80) 388-391; PIE XI, Enc. Casti Connubii: AAS 22 (1930) 546-547; CONCILE VATICAN Il, GS 48 ; JEAN-PA UL 11, Exhorr. apost. FC 19 : AAS 74 (1982) 101-102 (DC 1982, n. 1821, p.7); .


Le respect de l'unité du mariage et de la fidélité conjugale exige que l'enfant soit conçu dans le mariage; le lien entre les conjoints attribue aux époux, de manière objective et inaliénable le droit exclusif à ne devenir père et mère que l'un par l'autre (37). Le recours aux gamètes d'une tierce personne, pour disposer du sperme ou l'ovule, constitue une violation de l'engagement réciproque des époux et un manquement grave à l'unité, propriété essentielle du mariage.

(37) Cf PIE XII, Discours aux participants au IVe Congrès International des Médecins Catholiques, 29 septembre 1949: AAS 41 (1949) 560; Discours aux congressistes de l'Union Catholique Italienne des sages-femmes, 29 octobre 1951: AAS43 (1951) 850; CIC 1134.


La fécondation artificielle hétérologue lèse les droits de l'enfant, le prive de la relation filiale à ses origines parentales, et peut faire obstacle à la maturation de son identité personnelle. Elle constitue en outre une offense à la vocation commune des époux appelés à la paternité et à la maternité; elle prive objectivement la fécondité conjugale de son unité et de son intégrité; elle opère et manifeste une rupture entre parenté génétique, parenté "gestationnelle" et responsabilité éducative. cette altération des relations personnelles à l'intérieur de la famille se répercute dans la société civile: ce qui menace l'unité et la stabilité de la famille est source de dissensions, de désordre et d'injustices dans toute la vie sociale.

Ces raisons conduisent à un jugement moral négatif sur la fécondation artificielle hétérologue: sont donc moralement illicites la fécondation d'une femme mariée par le sperme d'un donneur autre que son mari, et la fécondation par le sperme du mari d'un ovule qui ne provient pas de son épouse. En outre, la fécondation artificielle d'une femme non mariée, célibataire ou veuve, quel que soit le donneur, ne peut être moralement justifiée.

Le désir d'avoir un enfant, l'amour entre les époux qui souhaitent remédier à une stérilité autrement insurmontable, constituent des motivations compréhensibles; mais les intentions subjectivement bonnes ne rendent la fécondation artificielle hétérologue ni conforme aux propriétés objectives et inaliénables du mariage, ni respectueuse des droits de l'enfant et des époux.


3. La maternité de "substitution"*

est-elle moralement licite ?

Non, pour le mêmes raisons qui conduisent à refuser la fécondation artificielle hétérologue: elle est en effet contraire à l'unité du mariage et à la dignité de la procréation de la personne humaine.

* Sous l'appellation de "mère substitutive", I'Instruction entend désigner:
a) la femme qui porte un embryon implanté dans son utérus, mais qui lui est génétiquement étranger, parce qu'obtenu par l'union des gamètes de "donneurs",avec l'engagement de remettre l'enfant une fois né à la personne ayant commissionné ou stipule cette gestation;
b) la femme qui porte un embryon à la procréation duquel elle a contribué par le don d'un ovule, fécondé par insémination artificielle avec le sperme d'un homme autre que son mari avec l'engagement de remettre l'enfant une fois né à la personne ayant commissionne ou stipulé cette gestation.

La maternité de substitution représente manquement objectif aux obligations de l'amour maternel, de la fidélité conjugale et de la maternité responsable; elle offense la dignité de l'enfant et son droit à être conçu, porté, mis au monde et éduqué par ses propres parents; elle instaure, au détriment des familles, une division entre les éléments physiques, psychiques et moraux qui les constituent.



B. FECONDATION ARTIFICIELLE HOMOLOGUE

Une fois déclarée inacceptable la fécondation artificielle hétérologue, on doit se demander comment apprécier moralement les procédés de fécondation artificielle homologue: FIVETE et insémination artificielle entre époux. Il convient auparavant d'éclaircir une question de principe.



4. Quel lien est moralement requis entre

procréation et acte conjugal ?

a) L'enseignement de l'Eglise sur le mariage et la procréation humaine affirme "le lien indissoluble que Dieu a voulu, et que l'homme ne peut rompre de sa propre initiative, entre les deux significations de l'acte conjugal: union et procréation. En fait, par sa structure intime, l'acte conjugal, unissant les époux par un lien très profond, les rend aptes à la génération de nouvelles vies, selon les lois inscrites dans l'être même de l'homme et de la femme" (38). Ce principe, fondé sur la nature du mariage et la connexion intime de ses biens, entraîne des conséquences bien connues sur le plan de la paternité et de la maternité responsables: "C'est en sauvegardant les deux aspects essentiels, union et procréation, que l'acte conjugal conserve intégralement le sens d'amour mutuel et véritable, et son ordination à la très haute vocation de l'homme à la paternité" (39).

(38) PAUL Vl, Enc. HV 12: AAS 60 (1968) 488-489. (39 ibid. 489.


La même doctrine relative au lien entre les significations de l'acte conjugal et les biens du mariage éclaire le problème moral de la fécondation artificielle homologue, car "il n'est jamais permis de séparer ces divers aspects au point d'exclure positivement soit l'intention procréatrice, soit le rapport conjugal" (40).

(40) PIE XII, Discours aux participants du IIe Congrès Mondial de Naples sur la fécondité et la stérilité humaine, 19 mai 1956: AAS 48 (1956) 470.


La contraception, prive intentionnellement l'acte conjugal de son ouverture à la procréation, et opère par là une dissociation volontaire des finalités du mariage. La fécondation artificielle homologue, en recherchant une procréation qui n'est pas le fruit d'un acte spécifique de l'union conjugale, opère objectivement une séparation analogue entre les biens et les significations du mariage.

C'est pourquoi la fécondation est licitement voulue quand elle est le terme d'un "acte conjugal apte de soi à la génération, auquel le mariage est destiné par sa nature et par lequel les époux une seule chair" (41). Mais la procréation est moralement privée de sa perfection propre quand elle n'est pas voulue comme le fruit de l'acte conjugal, c'est-à-dire du geste spécifique de l'union des époux.

(41) CIC 1061. Selon ce canon, l'acte conjugal est celui par lequel est consommé le mariage si les époux "l'ont posé entre eux de manière humaine".


b) La valeur morale du lien intime entre les biens du mariage et les significations de l'acte conjugal se fonde sur l'unité de l'être humain, corps et âme spirituelle (42). Les époux s'expriment réciproquement leur amour personnel dans le "langage du corps", qui comporte clairement des "significations sponsales" en même temps que parentales (43). L'acte conjugal, par lequel les époux se manifestent réciproquement leur don mutuel, exprime aussi l'ouverture au don de la vie: il est un acte inséparablement corporel et spirituel. C'est dans leur corps et par leur don mutuel, exprime aussi l'ouverture au don de la vie: il est un acte inséparablement corporel et spirituel. C'est dans leur corps et par leur corps que les époux consomment leur mariage et peuvent devenir père et mère. Pour respecter le langage des corps et leur générosité naturelle, l'union conjugale doit s'accomplir dans le respect de l'ouverture à la procréation, et la procréation d'une personne humaine doit être le fruit et le terme de l'amour des époux. L'origine de l'être humain résulte ainsi d'une procréation "liée à l'union non seulement biologique mais aussi spirituelle des parents unis par le lien du mariage" (44). Une fécondation obtenue en dehors du corps des époux demeure par là même privée des significations et des valeurs qui s'expriment dans le langage du corps et l'union des personnes humaines.

(42) Cf. GS 14. (43) JEAN-PAUL II, Audience générale du 16 janvier 1980: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, III, 1 (1980).148-152. (44) JEAN-PAUL 11, Discours aux participants à la 35e Assemblée Générale de l'Association Médicale Mondiale, 29 octobre 1983: AAS 76 (1984) 393.


c) Seul le respect du lien qui existe entre les significations de l'acte conjugal et le respect de l'unité de l'être humain permet une procréation conforme à la dignité de la personne. Dans son origine unique, non réitérable, l'enfant devra être respecté et reconnu égal en dignité personnelle à ceux qui lui donnent la vie. La personne humaine doit être accueillie dans le geste d'union et d'amour de ses parents; la génération d'un enfant devra donc être le fruit de la donation réciproque (45) qui se réalise dans l'acte conjugal où les époux coopèrent, comme des serviteurs et non comme des maîtres, à l'oeuvre de l'Amour Créateur (46).

(45) Cf. GS 51. (46) Cf. GS 50.


L'origine d'une personne est en réalité la résultat d'une donation. L'enfant à naître devra être le fruit de l'amour de ses parents. Il ne peut ê ni voulu ni conçu comme le produit d'une intervention de techniques médicales et biologiques; cela reviendrait à la réduire à devenir l'objet d'une technologie scientifique. Nul ne peut soumettre la venue au monde d'un enfant à des conditions d'efficacité technique mesurées selon des paramètres de contrôle et de domination.

L'importance morale du lien entre les significations de l'acte conjugal et les biens du mariage, l'unité de l'être humain et la dignité de son origine, exigent que la procréation d'une personne humaine doive être poursuivie comme le fruit de l'acte conjugal spécifique de l'amour des époux. Le lien existant entre procréation et acte conjugal se révèle donc d'une grande portée sur le plan anthropologique et moral, et il éclaire les positions du Magistère à propos de la fécondation artificielle homologue.


5. La fécondation homologue "in vitro"

est elle moralement licite ?

La réponse à cette question est strictement dépendante des principes qui viennent d'être rappelés. Assurément, on ne peut pas ignorer les légitimes aspirations des époux stériles; pour certains, le recours à la FIVETE homologue semble l'unique moyen d'obtenir un enfant sincèrement désiré: on se demande si dans ces situations, la globalité de la vie conjugale ne suffit pas à assurer la dignité qui convient à la procréation humaine. On reconnaît que la FIVETE ne peut certainement pas suppléer à l'absence des rapports conjugaux (47) et ne peut pas être préférée, vu les risques qui peuvent se produire pour l'enfant et les désagréments de la procédure, aux actes spécifiques de l'union conjugale. Mais on se demande également si, dans, l'impossibilité de remédier autrement à la stérilité, cause de souffrance, la fécondation homologue in vitro ne peut pas constituer une aide, sinon même une thérapie, dont la licéité morale pourrait être admise.

(47) Cf. PIE XII, Discours aux participants au IVe Congrès International des Médecins Catholiques, 29 septembre 1949 AAS (1949) 560: "Il serait faux de penser que la possibilité de recourir à ce moyen [fécondation artificielle] pourrait rendre valide un mariage entre personnes inaptes à la contracter du fait de l'empêchement d'impuissance".


Le désir d'un enfant - ou du moins la disponibilité à transmettre la vie - est une requête moralement nécessaire à une procréation humaine responsable. Mais cette intention bonne ne suffit pas pour donner une appréciation morale positive sur la fécondation in vitro entre époux. Le procédé de la FIVETE doit être juge en lui-même, et ne peut emprunter sa qualification morale définitive ni à l'ensemble de la vie conjugale dans laquelle il s'inscrit, ni aux actes conjugaux qui peuvent le précéder ou le suivre (48).

(48) Une question analogue est traitée par PAUL VI, Enc. HV 14: AAS 60 (1968) 490-491.


On a déjà rappelé que dans les circonstances où elle est habituellement pratiquée, la FIVETE implique la destruction d'être humains, fait contraire à la doctrine citée plus haut sur l'illicéité de l'avortement (49). Pourtant, même dans le cas où toute précaution serait prise pour éviter la mort d'embryons humains la FIVETE homologue réalise la dissociation des gestes qui sont destinés à la fécondation humaine par l'acte conjugal. La nature propre de la FIVETE homologue devra donc aussi être considérée, abstraction faite du lien avec l'avortement provoqué.

(49) Cf supra, I, 1 sq.


La FIVETE homologue est opérée en dehors du corps des conjoints, par des gestes de tierces personnes dont la compétence et l'activité technique déterminent le succès de l'intervention; elle remet la vie et l'identité de l'embryon au pouvoir de médecins et des biologistes, et instaure une domination de la technique sur l'origine et la destinée de la personne humaine. Une telle relation de domination est de soi contraire à la dignité et à l'égalité qui doivent être communes aux parents et aux enfants.

La conception in vitro est le résultat de l'action technique qui préside à la fécondation; elle n'est ni effectivement obtenue, ni positivement voulue, comme l'expression et le fruit d'un acte spécifique de l'union conjugale. Donc dans la FIVETE homologue, même considérée dans le contexte de rapports conjugaux effectifs, la génération de la personne humaine est objectivement privée de sa perfection propre: celle d'être le terme et le fruit d'un acte conjugal, dans lequel les époux peuvent devenir "coopérateurs de Dieu pour le don de la vie à une autre nouvelle personne" (50).

(50) JEAN-PAUL II, Exhort. apost. FC 14: AAS 74 (1982) 96.


Ces raisons permettent de comprendre pourquoi l'acte de l'amour conjugal est considéré dans l'enseignement de l'Eglise comme l'unique lieu digne de la procréation humaine. Pour les mêmes raisons, le "simple case", c'est-à-dire une procédure de FIVETE homologue purifiée de toute compromission avec la pratique abortive de la destruction d'embryons et avec la masturbation, demeure une technique moralement illicite, parce qu'elle prive la procréation humaine de la dignité qui lui est propre et connaturelle.

Certes, la FIVETE homologue n'est pas affectée de toute la négativité éthique qui se rencontre dans la procréation extra- conjugale; la famille et le mariage continuent à constituer le cadre de la naissance et de l'éducation des enfants. Cependant, en conformité avec la doctrine traditionnelle sur les biens du mariage et la dignité de la personne, I 'Eglise demeure contraire, du point de vue moral, à la fécondation homologue in vitro; celle-ci est en elle-même illicite et opposée à la dignité de la procréation et de l'union conjugale, même quand tout est mis en ouvre pour éviter la mort de l'embryon humain. Bien qu'on ne puisse pas approuver la modalité par laquelle est obtenue la conception humaine dans la FIVETE, tout enfant qui vient au monde devra cependant être accueilli comme un don vivant de la Bonté divine et être éduqué avec amour.


6. Comment apprécier moralement

l'insémination artificielle homologue ?

L'insémination artificielle homologue à l'intérieur du mariage ne peut être admise, sauf dans le cas où le moyen technique ne se substitue pas à l'acte conjugal, mais apparaît comme une facilité et une aide pour que celui-ci rejoigne sa fin naturelle.

L'enseignement du Magistère à ce sujet a déjà été explicité (51) : il n'est pas seulement expression de circonstances historiques particulières, mais se fonde sur la doctrine de l'Eglise au sujet du lien entre union conjugale et procréation, et sur la considération de la nature personnelle de l'acte conjugal et de la procréation humaine. "L'acte conjugal dans sa structure naturelle est une action personnelle, une coopération simultanée et immédiate des époux, laquelle, du fait même de la nature des agents et du caractère de l'acte, est l'expression du don réciproque qui, selon la parole de l'Ecriture, réalise l'union en une seule chair" (52). Pour autant, la conscience morale "ne proscrit pas nécessairement l'emploi de certains moyens artificiels destinés uniquement soit à faciliter l'acte naturel, soit à faire atteindre sa fin à l'acte naturel normalement accompli" (53). Si le moyen technique facilite l'acte conjugal ou l'aide à atteindre ses objectifs naturels, il peut être moralement admis. Quand, au contraire, l'intervention se substitue à l'acte conjugal, elle est moralement illicite.

(51) Cf. Réponse du Saint-Office, 17 mars 1897: DS 3323; PIE XII, Discours aux participants, au IVe Congrès International des Médecins Catholiques, 29 septembre 1949: AAS 41(1949) 560; Discours aux congressistes de l'Union Catholique italienne des sages-femmes, 29 octobre 1951: AAS 43 (1951) 850; Discours aux participants au 11e Congres Mondial de Naples sur la fécondité et la stérilité humaine. 19 mai 1956: AAS 48 (1956) 471-473; Discours aux participants au VIIe Congrès International de la Société Internationale d'Hématologie. 12 septembre 1958: AAS 50 (1958) 733; JEAN XXIII, Enc. Mater et Magistra, 111: AAS 53 (1961) 447. (52) PIE XII, Discours aux congressistes de L'Union Catholique Italienne des sages-femmes, 29 octobre 1951: AAS 43 (1951) 850. (53) PIE Xll, Discours aux participants au IVe Congrès international des Médecins Catholiques, 29 septembre 1949: IAS 41 (1949) 560.


L'insémination artificielle substituant l'acte conjugal est proscrite en vertu de la dissociation volontairement opérée entre les deux significations de l'acte conjugal. La masturbation, par laquelle on se procure habituellement le sperme, est un autre signe de cette dissociation: même quand il est posé en vue de la procréation, le geste demeure privé de sa signification unitive: "Il lui manque [...] la relation sexuelle requise par l'ordre moral, celle qui réalise, "dans le contexte d'un amour vrai, le sens intégral de la donation mutuelle et de la procréation humaine " (54).

(54) Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration sur certaines questions d'éthique sexuelle, AAS 68 (1976) 86, qui cite la Const. past. GS 51; cf. Décret du Saint-Office, 2 août 1929: AAS 21 1929) 490; PIE XII, Discours aux participants au xxve congrès de la Société Italienne d'Urologie, 8 octobre 1953: AAS 45 (1953) 678.


7. Quel critère moral proposer

quant à l'intervention du médecin

dans la procréation humaine?

L'acte médical ne doit pas être apprécié seulement par rapport à sa seule dimension technique, mais aussi et surtout en relation à sa finalité, qui est le bien des personnes et leur santé corporelle et psychique. Les critères moraux pour l'intervention médicale dans la procréation se déduisent de la dignité des personnes humaines, de leur sexualité et de leur origine.

La médecine, qui se veut ordonnée au bien intégral de la personne, doit respecter les valeurs spécifiquement humaines de la sexualité (55). " Le médecin est au service des personnes et de la procréation humaine il n'a pas le pouvoir de disposer d'elles ni de décider à leur sujet. L'intervention médicale est respectueuse de la dignité des personnes quand elle vise à aider l'acte conjugal, soit pour en faciliter l'accomplissement, soit pour lui permettre d'atteindre sa fin, une fois qu'il a été normalement accompli (56).

(55) Cf. JEAN XXIII, Enc. MM 3: AAS 53 1961) 447. (56) Cf. PIE Xll, Discours aux participants au IVe Congrès International des Médecins Catholiques, 29 septembre 1949: 4AS 41 (1949) 560.


Au contraire, il arrive parfois que l'intervention médicale se substitue techniquement à l'acte conjugal pour obtenir une procréation qui n'est ni son résultat ni son fruit: dans ce cas, l'acte médical n'est pas, comme il le devrait, au service de l'union conjugale, mais il s'en attribue la fonction procréatrice et ainsi contredit la dignité et les droits inaliénables des époux et de l'enfant à naître.

L'humanisation de la médecine, qui est de nos jours instamment réclamée par tous, exige le respect de la dignité intégrale de la personne humaine, en premier lieu dans l'acte et au moment où les époux transmettent la vie à une personne nouvelle. Il est donc logique d'adresser aussi une pressante demande aux médecins et aux chercheurs catholiques, pour qu'ils témoignent exemplairement du respect dû à l'embryon humain et à la dignité de la procréation. Le personnel médical et soignant des hôpitaux et des cliniques catholiques est invité d'une manière spéciale à honorer les obligations morales contractées, souvent même à titre statutaire. Les responsables de ces hôpitaux et cliniques catholiques, qui sont souvent des religieux, auront à coeur d'assurer et de promouvoir l'observation attentive des normes morales rappelées dans la présente Instruction.



8. La souffrance provenant de la stérilité conjugale.

La souffrance des époux qui ne peuvent avoir d'enfants ou qui craignent de mettre au monde un enfant handicapé est une souffrance que tous doivent comprendre et apprécier comme il convient.

De la part des époux, le désir d'un enfant est naturel: il exprime la vocation à la paternité et à la maternité inscrite dans l'amour conjugale. Ce désir peut être plus vif encore si le couple est frappé d'une stérilité qui semble incurable, Cependant, le mariage ne confère pas aux époux un droit à avoir un enfant, mais seulement le droit de poser les actes naturels ordonnés de soi à la procréation (57).

(57) Cf. PIE XII, Discours aux participants au IIe Congrès Mondial de Naples sur la fécondité et la stérilité humaine, 19 mai 1956: AAS 48 (1956) 471-473.


Un droit véritable et strict à l'enfant serait contraire à sa dignité et à sa nature. L'enfant n'est un dû et il ne peut être considéré comme objet de propriété: il est plutôt un don - "le plus grand" (58) - et le plus gratuit du mariage, témoignage vivant de la donation réciproque de ses parents. A ce titre, l'enfant a le droit - comme on l'a rappelé - d'être le fruit de l'acte spécifique de l'amour conjugal de ses parents, et aussi le droit d'être respecté comme personne dès le moment de sa conception.

(58) GS 50.


Toutefois la stérilité, quels qu'en soient la cause et le pronostic, est certainement une dure épreuve. La communauté des croyants est appelée à éclairer et à soutenir la souffrance de ceux qui ne peuvent réaliser une légitime aspiration à la paternité et à la maternité. Les époux qui se trouvent dans ces situations douloureuses sont appelés à y découvrir l'occasion d'une participation particulière à la Croix du Seigneur, source de fécondité spirituelle. Les couples stériles ne doivent pas oublier que "même quand la procréation n'est pas possible, la vie conjugale ne perd pas pour autant sa valeur. La stérilité physique peut être l'occasion pour les époux de rendre d'autres services importants à la vie des personnes humaines, tels par exemple que l'adoption, les formes diverses d'oeuvres éducatives, l'aide à d'autres familles, aux enfants pauvres ou handicapés" (59)

(59) JEAN-PAUL II, Exhort. apost. FC 14: AAS 74 (1982) 97.


De nombreux chercheurs se sont engagés dans la lutte contre la stérilité. Tout en sauvegardant pleinement la dignité de la procréation humaine, certains sont arrivés à des résultats qui semblaient auparavant impossibles à atteindre. Les hommes de science doivent dont être encouragés à poursuivre leurs recherches, afin de prévenir les causes de la stérilité et de pouvoir la guérir, de sorte que les couples stériles puissent réussir à procréer dans le respect de leur dignité personnelle et de celle de l'enfant à naître.



III. MORALE ET LOI CIVILE

VALEURS ET OBLIGATIONS MORALES QUE LA LEGISLATION CIVILE

DOIT RESPECTER ET SANCTIONNER EN CETTE MATIERE

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Le droit inviolable à la vie de tout individu humain innocent, les droits de la famille et de l'institution matrimoniale, constituent des valeurs morales fondamentales, car elles concernent la condition naturelle et la vocation intégrale de la personne humaine; en même temps, ce sont des éléments constitutifs de la société civile et de sa législation.

Pour cette raison, les nouvelles possibilités technologiques, qui se sont ouvertes dans le champ de la biomédecine, appellent l'intervention des autorités politiques et du législateur, car un recours incontrôlé à ces techniques pourrait conduire à des conséquences imprévisibles et dangereuses pour la société civile. La référence à la conscience de chacun et à l'autodiscipline des chercheurs ne peut suffire au respect des droits personnels et de l'ordre public. Si le législateur, responsable du bien commun, manquait de vigilance, il pourrait être dépouillé de ses prérogatives par des chercheurs qui prétendraient gouverner l'humanité au nom des découvertes biologiques et des prétendus processus d'"amélioration" qui en dériveraient. L'"eugénisme" et les discriminations entre les être humains pourraient s'en trouver légitimés: ce qui constituerait une violence et une atteinte grave à l'égalité, à la dignité et aux droits fondamentaux de la personne humaine.

L'intervention de l'autorité politique doit s'inspirer des principes rationnels qui règlent les rapports entre la loi civile et la loi morale. La tâche de la loi civile est d'assurer le bien commun des personnes par la reconnaissance et la défense des droits fondamentaux, la promotion de la paix et de la moralité publique" (60). En aucun domaine de la vie, la loi civile ne peut se substituer à la conscience, ni dicter des normes sur ce qui échappe à sa compétence; elle doit parfois, pour le bien de l'ordre public, tolérer ce qu'elle ne peut interdire sans qu'en découle un dommage plus grave. Mais les droits inaliénables de la personne devront être reconnus et respectés par la société civile et l'autorité politique: ces droits de l'homme ne dépendent ni des individus, ni des parents, et ne représentent pas même une concession de la société et de l'Etat; ils appartiennent à la nature humaine et sont inhérents à la personne, en raison de l'acte créateur dont elle tire son origine.

(60) Cf. Déclar.
DH 7.


Parmi ces droits fondamentaux, il faut a ce propos rappeler:

a) le droit à la vie et à l'intégrité physique de tout être humain depuis la conception jusqu'à la mort;

b) les droits de la famille et de l'institution matrimoniale, et, dans ce cadre, le droit pour l'enfant d'être conçu, mis au monde et éduqué par ses parents.

Sur chacun de ces deux thèmes, il convient de développer ici quelque considérations ultérieures. Dans différents Etats, des lois ont autorisé la suppression directe d'innocents: dans le moment où une loi positive prive une catégorie d'êtres humains de la protection que la législation civile doit leur accorder, l'Etat en vient à nier l'égalité de tous devant la loi. Quand l'état ne met pas sa force au service des droits de tous les citoyens, et en particulier des plus faibles, les fondements mêmes d'un Etat de droit se trouvent menacés. L'autorité politique ne peut en conséquence approuver que des êtres humains soient appelés à l'existence par des procédures qui les exposent aux risques très graves rappelés plus haut. La reconnaissance éventuellement accordée par la loi positive et les autorités politiques aux techniques de transmission artificielle de la vie et aux expérimentations connexes rendrait plus large la brèche ouverte par la légalisation de l'avortement. Comme conséquence du respect et de la protection qui doivent être assurés à l'enfant dès le moment de sa conception, la loi devra prévoir des sanctions pénales appropriées pour toute violation délibérée de ses droits. La loi ne pourra tolérer elle devra même expressément proscrire que des êtres humains, fussent-ils au stade embryonnaire, soient traités comme des objets d'expérimentation, mutilés ou détruits, sous prétexte qu'ils apparaîtraient inutiles ou inaptes à se développer normalement.

L'autorité politique est tenue de garantir à l'institution familiale, sur laquelle est fondée la société, la protection juridique à laquelle celle-ci a droit. Par le fait même qu'elle est au service des personnes, la société politique devra être aussi au service de la famille. La loi civile ne pourra accorder sa garantie à des techniques de procréation artificielle qui supprimeraient, au bénéfice de tierces personnes (médecins, biologistes, pouvoirs économiques ou gouvernementaux), ce qui constitue un droit inhérent à la relation entre les époux; elle ne pourra donc pas légaliser le don de gamètes entre personnes qui ne seraient pas légitimement unies en mariage.

La législation devra en outre proscrire, en vertu du soutien dû à la famille, les banques d'embryons, l'insémination post mortem et la maternité "de substitution".
Il est du devoir de l'autorité publique d'agir de telle manière que la loi civile soit réglée sur les normes fondamentales de la loi morale pour tout ce qui concerne les droits de l'homme, de la vie humaine et de l'institution familiale. Les hommes politiques devront, par leur action sur l'opinion publique, s'employer à obtenir sur ces points essentiels le consensus le plus vaste possible dans la société, et à le consolider là où il risquerait d'être affaibli et amoindri.

Dans de nombreux pays, la législation sur l'avortement et la tolérance juridique des couples non-mariés rendent plus difficile d'obtenir le respect des droits fondamentaux rappelés dans cette Instruction. Il faut souhaiter que les Etats n'assument pas la responsabilité d'aggraver encore ces situations d'injustice socialement dommageables. Au contraire, il faut souhaiter que les nations et les Etats prennent conscience de toutes les implications culturelles, idéologiques et politiques liées aux techniques de procréation artificielle, et qu'ils sachent trouver la sagesse et le courage nécessaires pour promulguer des lois plus justes et plus respectueuses de la vie humaine et de l'institution familiale.

De nos jours, la législation civile de nombreux Etats confère aux yeux de beaucoup une légitimation indue à certaines pratiques; elle se montre incapable de garantir une moralité conforme aux exigences naturelles de la personne humaine et aux "lois non écrites" gravées par le Créateur dans le coeur de l'homme. Tous les hommes de bonne volonté doivent s'employer, spécialement dans leur milieu professionnel comme, dans l'exercice de leurs droits civiques à ce que soient réformées les loi civiles moralement inacceptables et modifiées les pratiques illicites. En outre, l'"objection de conscience" face à de telles lois doit être soulevée et reconnue. Bien plus, commence à se poser avec acuité à la conscience morale de beaucoup, notamment à celle de certains spécialistes des sciences biomédicales, l'exigence d'une résistance passive à la légitimation de pratiques contraires à la vie et à la dignité de l'homme.


1987 Donum Vitae 7