1997 Ecole au 3ème Millénaire
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Au seuil du troisième millénaire l'éducation et l'école catholique se trouvent affrontées à de nouveaux défis engendrés par le contexte socio-politique et culturel. Il s'agit en particulier d'une crise des valeurs, qui, surtout dans les sociétés riches et développées, prend les formes du subjectivisme diffus, du relativisme moral et du nihilisme, souvent exaltées par les moyens de communication sociale. Le profond pluralisme, qui envahit la conscience sociale, donne vie à divers comportements, tellement antitéthiques en certains cas qu'ils en viennent à miner toute identité communautaire. Les rapides changements structurels, les profondes innovations techniques et la globalisation de l'économie tendent, partout dans le monde, à influer toujours plus sur la vie de l'homme. Il s'en suit que, contrairement aux perspectives du développement pour tous, on assiste à une augmentation de l'écart entre peuples riches et peuples pauvres et à d'énormes flux migratoires des pays sous-développés vers ceux qui ont atteint un développement. Le phénomène de la multiplicité des cultures et d'une société qui devient toujours plus multi-raciale, multi-éthnique et multi-religieuse, comporte en lui-même un enrichissement, mais aussi de nouveaux problèmes. A cela s'ajoute, dans les pays d'antique évangélisation, une marginalisation croissante de la foi chrétienne comme référence et lumière dans l'interprétation effective et convaincue de l'existence.
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Dans le domaine plus particulier de l'éducation les fonctions éducatives se sont élargies; elles sont devenues plus complexes et spécialisées. Les sciences de l'éducation, d'abord centrées sur l'étude de l'enfant et la préparation du maître, ont été poussées à s'ouvrir aux divers âges de la vie, aux différents contextes et situations au-delà de l'école. De nouvelles exigences ont renforcé la demande de nouveaux contenus, de nouvelles compétences et de nouvelles figures éducatives en dehors des traditionnelles. Il s'en suit qu'il est particulièrement difficile d'éduquer, de faire l'école dans le contexte d'aujourd'hui.
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Face à cet horizon, l'école catholique est appelée à un courageux renouvellement. L'héritage précieux d'une longue expérience séculaire manifeste, en effet, sa propre vitalité surtout dans la capacité d'une sage innovation. Il est tellement nécessaire qu'aujourd'hui encore l'école catholique sache se proposer de manière efficace, convaincante et actuelle. Il ne s'agit pas de simple adaptation, mais d'élan missionnaire: c'est le devoir fondamental de l'évangélisation, d'aller là ou est l'homme pour qu'il accueille le don du salut.
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Aussi, la Congrégation pour l'Education Catholique, en ces années d'immédiate préparation au Grand Jubilé de l'An 2000, à l'occasion de l'heureux anniversaire des trente ans de l'institution de l'Office pour les écoles(1) et des vingt ans de la sortie du document L'école catholique, publié le 19 mars 1977, dans le but " de centrer son attention sur la nature et les caractères distinctifs de l'école qui se définit et se présente comme catholique ",(2) entend-t-elle s'adresser, par la présente lettre circulaire, à tous ceux qui sont engagés dans l'éducation scolaire, avec le désir de leur faire parvenir une parole d'encouragement et d'espérance. Cette lettre se propose en particulier de partager la joie pour les fruits positifs de l'école catholique et les préoccupations pour les difficultés qu'elle rencontre. En outre, avec le soutien de l'enseignement du Concile Vatican II, des nombreuses interventions du Saint Père, des Assemblées ordinaires et spéciales du Synode des Evêques, des Conférences épiscopales et de la sollicitude pastorale des Ordinaires diocésains, ainsi que des Organisations internationales catholiques à buts éducatifs et scolaires, il nous semble opportun de porter attention à quelques caractéristiques fondamentales de l'école catholique que nous considérons importantes pour l'efficacité de son oeuvre éducative dans l'Eglise et dans la société: l'école catholique comme lieu d'éducation intégrale de la personne humaine à travers un projet éducatif clair qui a son fondement dans le Christ;(3) son identité ecclésiale et culturelle; sa mission de charité éducative; son service social; le style éducatif qui doit caractériser la communauté chargée de l'éducation.
(1) La Sacrée Congrégation pour l'Education Catholique, nouvelle dénomination de la Sacrée Congrégation des Séminaires et des Universités, par la Constitution Apostolique Regimini ecclesiae universae, publiée le 15 août 1967 et entrée en vigueur le 1er mars 1968 (AAS, LIX (1967) pp. 885-928), était structurée en trois offices. Avec cette réorganisation était institué l'Office pour les écoles catholiques, dans le but de "développer ultérieurement" les principes fondamentaux de l'éducation, principalement dans les écoles (cf. Conc. Oecum. Vat. II, Décl. sur l'éducation chrétienne Gravissimum educationis, ).
(2) S. Congrégation pour l'Education Catholique, L'école catholique, n.2.
(3) Cf. S. Congrégation pour l'Education Catholique, L'école catholique, n.34.
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C'est avec satisfaction que nous parcourons le chemin positif que l'école catholique a accompli ces dernières décennies. Il faut considérer avant tout la contribution qu'elle apporte à la mission évangélisatrice de l'Eglise dans le monde entier, y compris dans les aires ou aucune autre action pastorale n'est possible. Par ailleurs, l'école catholique, en dépit des difficultés, a continué à vouloir être corresponsable du développement social et culturel de diverses communautés et des peuples, dont elle fait partie, en partageant leurs joies et leurs espérances, leurs souffrances, leurs difficultés et leur engagement pour un authentique progrès humain et communautaire. Dans cette perspective, il faut mentionner la précieuse contribution qu'elle offre au développement spirituel et matériel des peuples moins favorisés, en se mettant à leur service. Nous ressentons le devoir d'apprécier l'apport de l'école catholique à l'innovation pédagogique et didactique et le grand engagement qui y est prodigué par tant de fidèles et surtout, par tous ceux qui, consacrés et laïcs, vivent leur fonction d'enseignant comme une vocation et un authentique apostolat.(4) Nous ne pouvons oublier enfin la contribution de l'école catholique à la pastorale d'ensemble et particulièrement à la pastorale familiale, en soulignant, à ce propos, l'uvre discrète d'insertion dans les dynamiques éducatives entre parents et enfants et, de manière toute spéciale, le soutien simple et profond, riche de sensibilité et de délicatesse, apporté aux familles "faibles" ou "désunies", de plus en plus nombreuses surtout dans les pays développés.
(4) Cf. Conc. Oecum. Vat. II, Décl. sur l'éducation chrétienne Gravissimum educationis, GE 8.
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L'école est indubitablement un carrefour sensible des problématiques qui agitent cette dernière période mouvementée de fin de millénaire. L'école catholique est ainsi confrontée à des enfants et à des adolescents qui vivent les difficultés du temps présent. On se trouve face à des élèves qui refusent l'effort, se montrent incapables de sacrifice et de persévérance et n'ont pas, à commencer souvent auprès des membres de leur famille, de modèles valables auxquels se référer. En des cas de plus en plus fréquents, ils sont non seulement indifférents ou non praticants, mais se révèlent dépourvus de toute formation religieuse ou morale. A cela s'ajoute chez de nombreux élèves et dans les familles, un sentiment de profonde apathie pour la formation éthique et religieuse, de sorte qu'en définitive la seule chose à laquelle on s'intéresse et qu'on demande à l'école catholique est le diplôme ou tout au plus une instruction qualifiée et une habilitation professionnelle. Le climat ainsi décrit engendre une certaine fatigue pédagogique, qui s'ajoute à la difficulté croissante, dans le contexte actuel, d'allier le fait d'être d'enseignant et le fait d'être éducateur.
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Parmi les difficultés, il y a aussi les situations d'ordre politique, social et culturel qui empêchent et rendent difficile la fréquentation de l'école catholique. Le drame de la misère diffuse et de la faim dans le monde, conflits et guerres civiles, phénomène de dégradation urbaine, diffusion de la criminalité dans les grandes aires métropolitaines de tant de cités, ne permettent pas la pleine réalisation des projets de formation et d'éducation. En d'autres parties du monde, ce sont les gouvernements qui font obstacle, en empêchant en fait, sinon l'action de l'école catholique, du moins la progression des mentalités, des pratiques démocratiques et la sensibilisation accrue pour les droits humains. D'autres difficultés sont créées par les problèmes économiques. Une telle situation se fait sentir davantage dans les pays ou aucune contribution gouvernementale n'est prévue pour les écoles qui ne sont pas de l'Etat. Ce qui rend presque insoutenable la charge économique pour les familles qui ne choisissent pas l'école de l'Etat et grève d'une sérieuse hypothèque la survie même des écoles. En dehors des incidences sur le recrutement et la présence continue des maîtres, les difficultés économiques peuvent avoir aussi pour effet l'exclusion des écoles catholiques de quiconque n'est pas en possession de moyens suffisants, provocant ainsi une sélection des étudiants, qui fait perdre à l'école catholique sa caractéristique fondamentale d'être l'école pour tous.
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Le regard tourné vers les joies et les peines de l'école catholique, sans prétendre en épuiser l'étendue et la profondeur, nous invite à penser à la contribution qu'elle peut apporter à la formation des nouvelles générations au seuil du troisième millénaire, conscients, comme l'écrit Jean-Paul II, que " l'avenir du monde et de l'Eglise appartient aux jeunes générations, qui, nées au cours de ce siècle, arriveront à leur maturité au cours du prochain, le premier du nouveau millénaire". (5) L'école catholique doit être ainsi en mesure de fournir aux jeunes les instruments de connaissance qui leur permettent de prendre place dans une société fortement marquée par les connaissances techniques et scientifiques mais, en même temps ù nous pourrions dire en premier lieu où elle doit pouvoir leur donner une solide formation orientée chrétiennement. Nous sommes donc convaincus que, pour faire de l'école catholique un instrument éducatif adapté au monde d'aujourd'hui, il faut renforcer quelques-unes de ses caractéristiques fondamentales.
(5) Jean-Paul II, Lett. apostolique Tertio millennio adveniente, TMA 58.
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L'école catholique prend l'aspect d'une école pour la personne et d'une école des personnes. " La personne de chacun, dans ses besoins matériels et spirituels, est au centre de l'enseignement de Jésus: c'est pour cela que la promotion de la personne humaine est le but de l'école catholique ".(6) Cette affirmation, en mettant en lumière le rapport vital de l'homme au Christ, rappelle qu'en la Personne même du Christ se trouve la plénitude de la vérité sur l'homme. C'est pour cela que l'école catholique, en s'engageant à promouvoir l'homme dans son intégrité, le fait, en obéissant à la sollicitude de l'Eglise, dans la conscience que toutes les valeurs humaines trouvent leur réalisation plénière et par conséquent leur unité dans le Christ.(7) Cette conscience exprime la position centrale de la personne dans le projet éducatif de l'école catholique, renforce son engagement éducatif, la rend apte à éduquer de fortes personnalités.
(6) Cf. Jean-Paul II, Discours au Ier Congrès de l'Ecole Catholique en Italie, dans "L'Osservatore Romano", 24 novembre 1991, p. 4.
(7) Cf. S. Congrégation pour l'Education Catholique, L'école catholique, n.35.
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Le contexte socio-culturel d'aujourd'hui risque de mettre dans l'ombre "la valeur éducative de l'école catholique, valeur qui constitue sa raison d'être principale et fondamentale et qui est la base de son apostolat".(8) En effet, s'il est vrai que dans les dernières années il y a eu une forte attention et une sensibilisation accrue de la part de l'opinion publique, des organisations internationales et des gouvernements aux questions de l'école et de l'éducation, on doit aussi constater que s'est répandue une réduction de l'éducation aux aspects purement techniques et fonctionnels. Les sciences pédagogiques et éducatives elles-mêmes sont apparues plus arrêtées sur le versant de la reconnaissance phénoménologique et de la pratique didactique que sur celui de l'éducation proprement dite, centrée sur des valeurs et des horizons lourds de signification. La fragmentation de l'éducation, le caractère générique des valeurs auxquelles on en appelle fréquemment, tout obtenant un large et rapide consensus, au prix, cependant, d'un dangereux obscurcissement des contenus, tendent à replier l'école sur un neutralisme supposé, qui épuise le potentiel éducatif et se reflète négativement sur la formation des élèves. On veut oublier que l'éducation présuppose et implique toujours une conception déterminée de l'homme et de la vie. A la prétendue neutralité scolaire correspond, le plus souvent, l'éloignement pratique de la référence religieuse du champ de la culture et de l'éducation. Une vision pédagogique adéquate est au contraire appelée à se mouvoir sur le terrain plus décisif des fins, à se préoccuper non seulement du "comment", mais aussi du "pourquoi", à dépasser la méprise d'une éducation aseptique, à rendre au processus éducatif ce caractère unitaire qui empêche la dispersion dans la diversité des connaissances et des acquisitions en mettant au centre la personne dans son identité globale, transcendentale et historique. En possession d'un projet éducatif inspiré de l'évangile, l'école catholique est appelée à relever ce défi dans la conviction que "le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné".(9)
(8) S. Congrégation pour l'Education Catholique, L'école catholique, n.3.
(9) Conc. Oecum. Vat. II, Const. pastorale sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, GS 22
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La complexité du monde contemporain nous convainc de la nécessité de redonner consistance à la conscience de l'identité de l'école catholique. C'est de l'identité catholique, en effet, qu'émergent les traits d'originalité de l'école qui se "structure" comme sujet ecclésial, comme lieu d'une authentique action pastorale spécifique. L'école partage la mission évangélisatrice de l'Eglise et est un lieu privilégié ou se réalise l'éducation chrétienne. En cette direction, "les écoles catholiques sont à la fois lieux d'évangélisation, d'éducation intégrale, d'inculturation et d'apprentissage du dialogue de vie entre jeunes de religions et de milieux sociaux différents".(10) Le caractère ecclésial de l'école est donc inscrit au cur même de son identité d'institution scolaire. Elle est vraiment sujet ecclésial en raison de son action scolaire ou "fusionnent harmonieusement la foi, la culture, la vie".(11) Il faut donc réaffirmer avec force que la dimension ecclésiale ne constitue pas une caractéristique surajoutée, mais est une qualité propre et spécifique, qui pénètre et façonne chaque instant de son action éducative, partie fondamentale de son identité même et point focal de sa mission.(12) La promotion d'une telle dimension reste l'objectif de tout membre de la communauté éducative.
(10) Jean-Paul II, Exhort. apostolique Ecclesia in Africa, n. 102.
(11) Congrégation pour l'Education Catholique, Dimension religieuse de l'éducation dans l'école catholique, n.34.
(12) Cf. Congrégation pour l'Education Catholique, Dimension religieuse de l'éducation dans l'école catholique, n.33.
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Ainsi, en vertu de son identité, l'école catholique est un lieu d'expérience ecclésiale, dont la communauté chrétienne est la matrice. Dans ce contexte, il est à rappeler qu'elle ne réalise sa vocation propre d'authentique expérience d'Eglise que si elle se situe à l'intérieur d'une pastorale organique de la communauté chrétienne. De manière tout à fait particulière l'école catholique permet de rencontrer les jeunes dans une ambiance favorable à la formation chrétienne. Malheureusement, il faut enregistrer qu'en certains cas l'école catholique n'est pas perçue comme partie intégrante de la réalité pastorale; elle est parfois considérée comme étrangère, ou presque, à la communauté. Il est donc urgent de promouvoir une nouvelle sensibilité dans les communautés paroissiales et diocésaines, pour qu'elles se sentent elles-mêmes appelées en premier à prendre en charge l'éducation et l'école.
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Dans le vécu ecclésial, l'école catholique est connue surtout comme expression d'Instituts religieux, qui, par charisme religieux ou par attention spécifique se sont consacrés à elle généreusement. A l'heure présente ne manquent pas les difficultés dues à la préoccupante réduction numérique, mais aussi à la circulation de graves méprises qui risquent de provoquer l'abandon de la mission éducative. C'est ainsi que l'on sépare d'une part l'engagement scolaire de l'action pastorale, tandis que, d'autre part, l'activité concrète trouve des difficultés à se conjuguer avec les exigences spécifiques de la vie religieuse. Les intuitions fécondes des saints fondateurs montrent plus radicalement que tout autre argumentation le manque de fondement et la précarité de semblables assertions. Il nous semble aussi opportun de rappeler que la présence des consacrés à l'intérieur de la communauté éducative est indispensable car "les personnes consacrées sont en mesure de développer une action éducative particulièrement efficace";(13) elles sont un exemple du don de soi, gratuit et sans réserve, au service des autres dans l'esprit de la consécration religieuse. La présence simultanée de religieuses et de religieux, et aussi de prêtres et de laïcs, offre aux étudiants "une vivante image de l'Eglise et facilite la connaissance de ses richesses".(14)
(13) Jean-Paul II, Exhort. apostolique Vita Consecrata,VC 96.
(14) Jean-Paul II, Exhort. apostolique Christifideles laici, CL 62
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De la nature de l'école catholique tire aussi son origine un des éléments les plus expressifs de l'originalité de son projet éducatif: la synthèse entre culture et foi. Le savoir en effet, placé dans l'horizon de la foi, devient sagesse et conception de vie. La tension à conjuguer raison et foi, devenue l'âme de chacune des disciplines, leur donne unité, articulation et coordination, en faisant émerger de l'intérieur même du savoir scolaire la vision chrétienne du monde, de la vie, de la culture, de l'histoire. Dans le projet éducatif de l'école catholique on ne fait donc pas de séparation entre les temps d'apprentissage et les temps d'éducation, entre les temps de la connaissance et les temps de la sagesse. Les diverses disciplines ne présentent pas seulement des connaissances à acquérir mais des valeurs à assimiler et des vérités à découvrir.(15) Tout ceci exige une ambiance caractérisée par la recherche de la vérité, ou les éducateurs, compétents, convaincus et cohérents, maîtres de savoir et de vie, soient les icônes, imparfaites certes, mais non dépourvues d'éclat, de l'unique Maître. Dans la perspective d'un tel projet éducatif chrétien, toutes les disciplines doivent collaborer, de leur savoir spécifique propre, à la construction de personnalités en possession de leur maturité.
(15) Cf. S. Congrégation pour l'Education Catholique, L'école catholique, n.39.
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Dans la dimension ecclésiale s'enracine aussi la marque distinctive de l'école catholique comme école pour tous, avec une particulière attention portée aux plus petits. L'histoire a vu surgir la plus grande partie des institutions catholiques d'éducation et d'enseignement comme une réponse aux nécessités des catégories moins favorisées du point de vue social et économique. Ce n'est pas une nouveauté d'affirmer que les écoles catholiques tirent leur origine d'une profonde charité éducative envers des enfants et adolescents abandonnés à eux-mêmes et privés de toute forme d'éducation. Aujourd'hui encore, en de nombreuses aires du monde, c'est la pauvreté matérielle qui empêche de nombreux enfants et adolescents d'accéder à l'instruction et à une adéquate formation humaine et chrétienne. En d'autres, ce sont de nouvelles pauvretés qui interpellent l'école catholique; celle-ci, comme dans le passé, peut être amenée à vivre des situations d'incompréhension, de défiance et de manque de moyens. Les enfants pauvres qui au XVème siècle étaient instruits par les Ursulines, les enfants que Calasanz voyait courir et crier dans les rues de Rome, que De la Salle rencontrait dans les pauvres villages de France ou qu'accueillait Don Bosco, nous pouvons les rencontrer parmi ceux qui ont perdu le sens authentique de la vie et se trouvent privés de tout élan vers l'idéal, à qui ne sont pas proposées les valeurs et qui ne connaissent plus la beauté de la foi, qui ont sur les épaules des familles désunies et incapables d'amour, vivent souvent des situations de détresse matérielle et spirituelle, deviennent esclaves des nouvelles idoles d'une société qui souvent ne leur présente guère qu'un avenir de chômage et de marginalité. C'est à ces nouveaux pauvres que se tourne dans un esprit d'amour l'école catholique. En ce sens elle-même, née du désir d'offrir à tous, surtout aux plus pauvres et aux marginaux, la possibilité d'une instruction, d'un début de travail et d'une formation humaine et chrétienne, doit pouvoir trouver dans le contexte des anciennes et nouvelles pauvretés cette synthèse originale de passion et d'amour éducatif, expression de l'amour du Christ pour les pauvres, les petits, pour toutes les multitudes à la recherche de la vérité.
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L'école ne peut être pensée séparément des autres institutions d'éducation et administrée comme un corps à part, mais elle doit être mise en rapport avec le monde de la politique, de l'économie, de la culture et avec la société dans son ensemble. Il revient ainsi à l'école catholique d'affronter avec détermination la nouvelle situation culturelle, de se placer comme instance critique des projets éducatifs partiaux, comme exemple et stimulant pour les autres institutions éducatives, de se faire frontière avancée de la préoccupation éducative de la communauté ecclésiale. C'est ainsi que se réalise clairement le rôle public de l'école catholique qui ne naît pas comme initiative privée, mais comme expression de la réalité ecclésiale, revêtue de par sa nature même d'un caractère public. Elle accomplit un service d'utilité public et, bien que clairement et ouvertement configurée selon les perspectives de la foi catholique, n'est nullement réservée aux seuls catholiques, mais est ouverte à tous ceux qui semblent apprécier et partager une proposition éducative qualifiée. Cette dimension d'ouverture est particulièrement évidente dans les pays majoritairement non chrétiens et en voie de développement, ou depuis toujours les écoles catholiques sont, sans discrimination aucune, promotrices de progrès civil et de promotion de la personne.(16) Les institutions scolaires catholiques, à l'égal des écoles d'Etat, accomplissent en outre une fonction publique, garantissant par leur présence le pluralisme culturel et éducatif et, par-dessus tout, la liberté et le droit de la famille à voir s'actuer l'orientation éducative qu'elle entend donner à la formation de ses propres enfants.(17)
(16) Cf. Conc. Oecum. Vat. II, Décl. sur l'éducation chrétienne Gravissimum educationis, GE 9.
(17) Cf. Saint Siege, Charte des droits de la famille, art.5.
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Dans cette perspective, l'école catholique tisse un dialogue serein et constructif avec les Etats et la communauté civile. Le dialogue et la collaboration doivent se baser sur le respect mutuel, la reconnaissance réciproque de leur rôle propre et le service commun à l'égard de l'homme. Pour réaliser cet objectif, l'école catholique s'insère de bon gré dans les organisations scolaires des diverses nations et dans la législation de chacun des Etats, quand ceux-ci se montrent respectueux des droits fondamentaux de la personne, à commencer par le respect de la vie et de la liberté religieuse. Le rapport correct entre l'Etat et toute école ù pas seulement catholique ù se pose non pas tant à partir des relations institutionnelles qu'à partir du droit de la personne à recevoir une éducation adéquate selon son libre choix. Droit auquel on répond selon le principe de subsidiarité.(18) En effet, "les pouvoirs publics, dont le rôle est de protéger et de défendre les libertés des citoyens, doivent veiller à la justice distributive en répartissant l'aide des fonds publics de telle sorte que les parents puissent jouir d'une authentique liberté dans le choix de l'école de leurs enfants selon leur conscience" (19). C'est dans le cadre non seulement de la proclamation formelle de ce droit fondamental de l'homme, mais aussi de son exercice effectif, que se pose, en certains pays, le problème crucial de la reconnaissance juridique et financière de l'école qui n'est pas école d'Etat. Nous faisons nôtre le souhait de Jean-Paul II, exprimé récemment une fois encore, pour que dans tous les pays démocratiques, "l'on parvienne enfin à réaliser pour les écoles qui ne sont écoles d'Etat une vraie égalité, qui soit en même temps respectueuse de leur projet éducatif".(20)
(18) Cf. Jean-Paul II, Exhort. apostolique Familiaris consortio, FC 40 cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruc. Libertatis conscientia, n.94.
(19) Conc. Oecum. Vat. II, Décl. sur l'éducation chrétienne Gravissimum educationis, GE 6.
(20) Jean-Paul II, Lettre au Préposé General des Clercs des Ecoles Pies, dans "L'Osservatore Romano", 28 juin 1997, p.5.
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En arrivant à la conclusion nous voudrions nous entretenir brièvement du style et du rôle de la communauté éducative constituée par la rencontre et la collaboration de différentes présences: élèves, parents, enseignants, équipe de gestion et personnel non-enseignant.(21) A ce propos, l'on doit rappeler à juste titre l'importance du climat relationnel et du style des relations. Tout au long de l'âge evolutif, des relations personnelles et significatives avec des éducateurs sont nécessaires et les connaissances elles-mêmes ont une incidence plus grande dans la formation de l'étudiant si elles se situent dans un contexte d'engagement personnel, de réciprocité authentique, de cohérence d'attitudes, de styles et de comportements quotidiens. C'est dans cet horizon que se promeut, dans la nécessaire sauvegarde des rôles respectifs cependant, la figure de l'école comme communauté, qui est un des enrichissements de l'institution scolaire contemporaine.(22) Il est aussi utile de rappeler, en accord avec le Concile Vatican II,(23) que la dimension communautaire de l'école catholique n'est pas une simple catégorie sociologique, mais qu'elle a aussi un fondement théologique. La communauté éducative, globalement prise, est ainsi appelée à promouvoir l'objectif d'une école comme lieu de formation intégrale à travers la relation interpersonnelle.
(21) Cf. S. Congrégation pour l'Education Catholique, Le laïc catholique, témoin de la foi dans l'Ecole, n.22.
(22) Cf. S. Congrégation pour l'Education Catholique, Le laïc catholique, témoin de la foi dans l'Ecole, n.22.
(23) Cf. Conc. Oecum. Vat. II, Décl. sur l'éducation chrétienne, Gravissimum educationis, GE 8.
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Dans l'école catholique "la responsabilité première dans l'instauration du style spécifiquement chrétien incombe aux éducateurs, considérés à la fois comme personnes et comme communauté".(24) L'enseignement est une activité de l'homme d'une extraordinaire épaisseur morale, l'une des plus hautes et des plus créatives: l'enseignant en effet n'écrit pas sur une matière inerte, mais dans l'esprit même des hommes. Il assume, donc, une valeur extrêmement importante: la relation personnelle entre enseignant et élève, qui ne saurait se limiter à un simple donner et recevoir. Par ailleurs, on doit être toujours plus conscient qu'enseignants et éducateurs vivent une vocation spécifiquement chrétienne et une participation également spécifique à la mission de l'Eglise et "c'est d'eux avant tout qu'il dépend que l'école catholique soit en mesure de réaliser ses buts et ses desseins".(25)
(24) Congrégation pour l'Education Catholique, Dimension religieuse de l'éducation dans l'école catholique, n.26.
(25) Conc. Oecum. Vat. II, Décl. sur l'éducation chrétienne Gravissimum educationis, GE 8.
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Dans la communauté éducative, les parents, prioritairement responsables selon la nature de l'éducation de leurs enfants, ont un rôle tout spécialement important. Malheureusement on assiste aujourd'hui à la tendance répandue de déléguer ce devoir originaire. Aussi devient-il nécessaire de donner une impulsion, non seulement aux initiatives qui exhortent à l'engagement, mais aussi à celles qui offrent un soutien concret et adapté en impliquant les familles dans le projet éducatif(26) de l'école catholique. Un objectif constant de l'éducation scolaire résidera donc dans la rencontre et le dialogue avec les parents et les familles; celui-ci sera favorisé par la promotion des associations de parents, pour établir par leur apport irremplaçable cette personnalisation qui rend efficace l'ensemble du projet éducatif.
(26) Cf. Jean-Paul II, Exhort. apostolique Familiaris consortio, FC 40
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Le Saint Père, dans une formule significative, a indiqué que la voie de l'homme est route du Christ et de l'Eglise.(27) Une telle voie ne peut être étrangère aux pas des évangélisateurs, qui, en la parcourant, rencontrent l'urgent défi de l'éducation. L'engagement dans l'école se révèle ainsi un devoir irremplaçable, mieux encore l'investissement en hommes et en moyens dans l'école catholique devient un choix prophétique. Au seuil du troisième millénaire, nous entendons encore retentir fortement la consigne que le Concile Vatican II, "Pentecôte de l'Eglise", adressait à l'école catholique: "en étant grandement utile à l'accomplissement de la mission du peuple de Dieu et en servant au dialogue entre l'Eglise et la communauté des hommes, à l'avantage de l'une et de l'autre, l'école catholique revêt dans les circonstances ou nous sommes une importance considérable". (28)
(27) Cf. Jean-Paul II, Lettre encyclique Redemptor hominis, RH 14
(28) Conc. Oecum. Vat. II, Décl. sur l'éducation chrétienne Gravissimum educationis, GE 8.
Rome, 28 décembre 1997, fête de la Sainte Famille.
Pio Card. Laghi - Préfet
José Saraiva Martins Arch. tit. de Tuburnica - Secrétaire
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