1993 Thesaurus - PIERRE TEILHARD DE CHARDIN


SAINT VINCENT DE PAUL



J'ai été porcher.
Saint VINCENT de PAUL, évoquant son enfance pauvre

Si j'avais su ce que c'était que le sacerdoce, quand j'eus la témérité d'y entrer, comme je l'ai su depuis, j'aurais mieux aimé labourer la terre que de m'engager à un état si redoutable.
Saint VINCENT de PAUL

Il faut chercher Dieu premièrement...
Si nous faisons les affaires de Dieu, Il fera les nôtres.
Saint VINCENT de PAUL

Combien Dieu doit être bon, si Mgr de Genève est si bon.
Saint VINCENT de PAUL, sur saint François de Sales

Soyez gaie... acquiescez aux événements contrariants, adorez la Providence, suivez-la, ne l'enjambez pas...
Saint VINCENT de PAUL

Je crains que vous n'ayez pas donné lieu à la Providence, mais que vous ayez tenté une chose qu'Elle ne veut pas.
Qu'il fait bon s'attendre à elle en ces occasions, sans vouloir prévenir ses ordres !
Saint VINCENT de PAUL

Ce n'est plus pour Dieu que vous vous mettez en peine si vous vous peinez pour le servir.
Saint VINCENT de PAUL

Laissons Dieu conduire notre petite barque, il la gardera du naufrage.
Saint VINCENT de PAUL


Il faut sanctifier ses occupations en y cherchant Dieu et les faire pour l'y trouver plutôt que pour les voir faites.
Saint VINCENT de PAUL

Elles auront pour monastère - les maisons des malades...
Pour cellule - une chambre de louage.
Pour chapelle - l'église paroissiale.
Pour cloître - les rues de la ville.
Pour clôture - l'obéissance.
Pour grille - la crainte de Dieu.
Pour voile - la sainte modestie.
Pour profession - la confiance continuelle dans la Providence, l'offrande de tout ce qu'elles sont.
Saint VINCENT de PAUL, des filles de la charité

On ne croit pas un homme parce qu'il est bien savant mais pour ce que nous l'estimons bon et l'aimons.
Le diable est très savant et nous ne croyons pourtant rien de ce qu'il dit, parce que nous ne l'aimons pas.
Saint VINCENT de PAUL

Si l'amour de Dieu est un feu, le zèle en est la flamme.
Saint VINCENT de PAUL

Il faut commencer par établir le royaume de Dieu en soi et puis ensuite dans les autres.
Il faut tendre à la vie intérieure et si on y manque, on manque à tout.
Saint VINCENT de PAUL

Ferme et invariable pour la fin, doux et suave pour les moyens.
Saint VINCENT de PAUL, sur l'âme de la bonne conduite

Etre maniable à toutes mains comme un cheval bien dressé.
Saint VINCENT de PAUL, le directeur spirituel

Il faut se dépouiller de soi, pour se remplir de Dieu, il faut se donner à Dieu pour se dépouiller de soi.
Saint VINCENT de PAUL


Quand vous quitterez l'oraison pour soigner un malade, vous quitterez Dieu pour Dieu.
Saint VINCENT de PAUL

Nous voyons que les causes supérieures influent dans les inférieures...
Il leur communiquera l'esprit dont lui-même sera animé... comme les maîtres impriment leurs maximes et leur façon de faire dans l'esprit de leurs disciples...
Nous devons toujours rapporter à Dieu le bien qui se fait par notre entremise, et, au contraire, nous attribuer tout le mal qui arrive dans la communauté...
Il faut encore qu'un supérieur, qui représente en quelque façon l'étendue de la puissance de Dieu, s'applique à avoir le soin des moindres choses temporelles...
Saint VINCENT de PAUL, Direction à un de ses supérieurs de séminaire

Certes, Monsieur, je n'ai jamais mieux vu la vanité du contraire, ni le sens de ces paroles, que Dieu arrache la vigne qu'il n'a pas plantée.
Saint VINCENT de PAUL, à propos d'un événement d'alors

Quand vous ne diriez mot, si vous êtes bien occupés de Dieu, vous toucherez les coeurs par votre seule présence.
Saint VINCENT de PAUL

L'amour affectif est un certain écoulement de la personne aimante en l'aimée, ou bien une complaisance et tendresse que l'on a pour la chose qu'on aime...
L'amour effectif consiste à faire les choses que la personne qu'on aime commande ou désire, et c'est de cette sorte d'amour que parle notre Seigneur.
Saint VINCENT de PAUL

On nous lisait aujourd'hui au réfectoire que les vertus méditées et non pratiquées nous sont plus nuisibles que profitables...
Pour devenir vertueux il est expédient de faire de bonnes résolutions de pratique sur les actes particuliers, et d'être fidèle à les accomplir.
Sans cela, on ne l'est souvent que par imagination...
Et, ayant manqué à la grâce, la grâce leur manque.
Saint VINCENT de PAUL


La grâce de la persévérance est la plus importante de toutes; elle couronne toutes les grâces.
Saint VINCENT de PAUL

L'humilité, que ce soit là notre vertu.
Si l'on nous dit " Qui va là ? - L'humilité ! ".
Que ce soit notre mot du guet.
Saint VINCENT de PAUL

Les difficultés que nous avons avec notre prochain viennent plutôt de nos humeurs mal mortifiées que d'autre chose.
Saint VINCENT de PAUL

Notre Seigneur a fait et enseigné l'un avant l'autre.
Saint VINCENT de PAUL, sur l'action et la parole

Le gouvernement des âmes c'est l'art des arts.
Saint VINCENT de PAUL, le directeur spirituel

Voilà une grande charité, mais elle est mal organisée.
Saint VINCENT de PAUL, l'homme efficace

Il a presque changé la face de l'Eglise.
Mgr HENRI de MAUPAS du TOUR, sur saint Vincent de Paul




MARC-AURELE



Il est du destin des être très purs de passer inaperçus.
MARC AURELE

Ne rien garder de mal guéri sous cicatrice.
MARC AURELE



PENSEES POUR MOIMÊME



Remarque : Les rares termes mis entre quotes ( ' ) représentent des simplifications de termes, qui, autrement, seraient incompréhensibles sans notes détaillées.


I - Livre I : Remerciements et reconnaissance de M. A. pour ce qu'il a reçu et les personnes qu'il se propose de prendre comme modèles :

I - De mon grand-père Vérus : la bonté coutumière, le calme inaltérable.

I - De ma mère : la piété, la libéralité, l'habitude de s'abstenir non seulement de mal faire , mais de s'arrêter encore sur une pensée mauvaise...

I - De mon précepteur : n'avoir point pris parti pour 'telle ou telle faction'; supporter la fatigue... Faire soi-même sa besogne et ne pas s'ingérer dans une foule d'affaires; mal accueillir la calomnie.

I - De Diognète : réprouver les futilités; ne point ajouter foi à ce que racontent les charlatans et les magiciens sur les incantations...

I - De Rusticus : avoir pris conscience que j'avais besoin de redresser et de surveiller mon caractère...

I - D'Apollonius : l'indépendance et la décision sans équivoque et sans recours aux dès; ne se guider sur rien autre, même pour peu de temps, que sur la raison; rester toujours le même dans les vives souffrances...

I - De Sextus : la bienveillance; l'exemple de ce qu'est une maison soumise aux volontés du père, l'intelligence de ce que c'est que de vivre conformément à la nature...

I - D'Alexandre le Grammairien : s'abstenir de blâmer; ne pas critiquer de façon blessante...


I - De Fronton : avoir observé à quel degré d'envie, de souplesse et de dissimulation les tyrans en arrivent, et que, pour la plupart, ceux que nous appelons patriciens sont, en quelque manière, des hommes sans coeur.

I - D'Alexandre le Platonicien : ne pas souvent et sans nécessité, dire à quelqu'un ou mander par lettre :"Je n'ai pas le temps". Et, par ce moyen, constamment ajourner les obligations...

I - De Catulus : ne jamais être indifférent aux plaintes d'un ami, même s'il arrive que ce soit sans raison qu'il se plaigne...

I - De mon frère Séverus : l'amour du beau, du vrai, du bien; avoir connu, grâce à lui, 'x, y et z'... Ne pas déguiser ses reproches envers ceux qui se trouvaient les avoir mérités, et ne pas laisser ses amis se demander : "Que veut-il, ou que ne veut-il pas ?", mais être d'une évidence nette.

I - De Maximus : être maître de soi et ne pas se laisser entraîner par rien... Donner l'idée d'un caractère droit plutôt que redressé...

I - De mon père : la mansuétude et l'inébranlable attachement aux décisions mûrement réfléchies; l'indifférence pour la vaine gloire que donne ce qui passe pour être des honneurs... Prévoir de loin et régler d'avance les plus petits détails sans outrance tragique; réprimer les acclamations et toute flatterie à son adresse... Nulle recherche de popularité, ni désir de plaire ou de gagner la faveur de la foule... Tel un homme qui ne regarde qu'à ce qu'il doit faire et non pas à la gloire que lui vaudra ce qu'il fait...

I - Des Dieux : avoir eu de bons aïeuls... de bons parents... de bons serviteurs... Si j'ai été atteint par les passions amoureuses, m'en être guéri; dans mon ressentiment contre Rusticus, n'avoir commis aucun excès dont j'aurais eu à me repentir... N'être pas tombé sur quelque sophiste, ne point m'être attardé à observer les phénomènes célestes...

Pensées pour moi-même, Livre I



II - ... Il faut enfin, dès maintenant, que tu sentes de quel monde tu fais partie, et de quel être, régisseur du monde, tu es une émanation, et qu'un temps limité te circonscrit. Si tu n'en profites pas pour accéder à la sérénité, ce moment passera; tu passeras aussi, et jamais plus il ne reviendra.

II - Tout faire, tout dire et tout penser en homme qui peut sortir à l'instant de la vie...

II - Rien de plus misérable que l'homme qui tourne autour de tout, qui scrute, comme on dit, " les profondeurs de la terre", qui cherche à deviner ce qui se passe dans les âmes d'autrui, et qui ne sent pas qu'il lui suffit d'être en face du seul génie qui réside en lui, et de l'honorer d'un culte sincère. Ce culte consiste à le conserver pur de passion...

Pensées pour moi-même, Livre II


III - N'use point la part de vie qui te reste à te faire des idées sur ce que font les autres, à moins que tu ne vises à quelque intérêt pour la communauté...

III - Vénère la faculté de te faire une opinion...

III - ... Se faire toujours une définition et une description de l'objet dont l'image se présente à l'esprit, afin de le voir distinctement, tel qu'il est en sa propre essence, à nu, tout entier à travers tous ses aspects...

Pensées pour moi-même, Livre III


IV - N'accomplis aucun acte au hasard, ni autrement que ne le requiert la règle qui assure la perfection de l'art.


IV - On se cherche des retraites à la campagne, sur les plages, dans les montagnes. Et toi même, tu as coutume de désirer ardemment ces lieux d'isolement. Mais tout cela est de la plus vulgaire opinion, puisque tu peux, à l'heure que tu veux, te retirer en toi-même.

IV - Au nombre des plus proches maximes... compte ces deux : l'une, que les choses n'atteignent point l'âme, mais qu'elles restent confinées au dehors, et que les troubles ne naissent que de la seule opinion qu'elle s'en fait.
L'autre, que toutes ces choses que tu vois seront, dans la mesure où elles ne le sont point encore, transformées et ne seront plus.
Et de combien de choses les transformations t'ont déjà eu pour témoin !
Songes-y constamment. "Le monde est changement, la vie remplacement."

IV - La mort est, comme la naissance un mystère de la nature : combinaison dans l'une des mêmes éléments qui se séparent dans l'autre. En somme, rien dont on ne puisse être déshonoré, car mourir n'est pas contraire à la disposition d'un animal raisonnable, ni à la logique de sa constitution.

IV - De telles choses, par le fait de tels hommes, doivent naturellement se produire ainsi, par nécessité. Ne pas vouloir que cela soit, c'est vouloir que le figuier soit privé de son suc. Bref, souviens-toi de ceci : dans très peu de temps, toi et lui, vous serez morts; et, bientôt après, rien, pas même votre nom, ne restera.

IV - As-tu la raison ? - Je l'ai - Pourquoi donc ne t'en sers tu pas ?
Si elle remplit son rôle, que veux-tu de plus ?

IV - De nombreux grains d'encens sont jetés sur le même autel; l'un y est tombé plus tôt, l'autre plus tard, mais c'est sans importance.

IV - D'ailleurs, tout ce qui est beau, de quelque façon que ce soit, est beau par lui-même, se termine à lui-même et n'a pas la louange comme partie de lui-même. L'objet qu'on loue ne devient en conséquence ni pire ni meilleur... Quelle est celle de ces choses qui est belle parce qu'on la loue, ou qui se corrompt parce qu'on la critique ?
L'émeraude perd-elle de sa valeur, si elle n'est pas louangée ?


IV - Ne te laisse point prendre au tourbillon; mais, dans tout élan, proposetoi le juste; et, dans toute représentation, sauvegarde ta faculté de comprendre.

IV - Tout me convient de ce qui te convient, ô Monde ! Rien pour moi n'est prématuré ni tardif, de ce qui est pour toi de temps opportun...

IV - ... La plupart de nos paroles et de nos actions n'étant pas nécessaires, les supprimer est s'assurer plus de loisirs et de tranquillité. Il résulte de là qu'il faut, sur chaque chose, se rappeler à soi-même : "Ne serait-ce point là une de ces choses qui ne sont pas nécessaires ?" Et non seulement il faut supprimer les actions qui ne sont pas nécessaires, mais aussi les idées. De cette façon, en effet, les actes qu'elles pourraient entraîner ne s'ensuivront pas.

IV - Essaie de voir comment te réussit la vie de l'homme de bien qui a pour agréable la part qui lui est assignée sur l'ensemble, et qui se contente d'être juste dans sa propre conduite et bienveillant dans sa façon d'être.

IV - Tu as vu cela ? Vois ceci encore. Ne te trouble pas; fais-toi une âme simple. Quelqu'un pèche-t-il ? Il pèche contre lui-même. Quelque chose t'est-il arrivé ? C'est bien...

IV - Ou un monde ordonné, ou un pêle-mêle entassé, mais sans ordre...

IV - Sombre caractère : caractère efféminé, sauvage, brutal, féroce, puéril, lâche, déloyal, bouffon, cupide, tyrannique.

IV - Le petit métier que tu as appris, aime-le et donne-lui tout ton acquiescement...

IV - ... Surtout rappelle-toi ceux que tu as connus toi-même et qui, se tiraillant pour rien, négligeaient d'agir conformément à leur propre constitution, de s'y tenir et de s'en contenter...

IV - Si c'est être étranger au monde que de ne pas connaître ce qui s'y trouve, ce n'est pas être moins étranger aussi que d'ignorer ce qui s'y passe. C'est un exilé, celui qui s'éloigne de la raison sociale; un aveugle, celui qui tient fermé l'oeil de l'intelligence; un mendiant, celui qui a besoin d'un autre et qui ne tire pas de son propre fonds tout ce qui est expédient à sa vie.
C'est un abcès du monde, celui qui se détourne et se met à l'écart de la raison de la commune nature, parce qu'il est mécontent de ce qui lui est survenu, car la même nature, qui amène ce qui survient, est celle aussi qui t'amena...


IV - Les mots, usuels autrefois, ne sont plus aujourd'hui que termes de lexique. De même, les noms des hommes, très célèbres autrefois, ne sont plus guère aujourd'hui que termes de lexique : Camille, Néron..., Scipion .., Auguste..., Hadrien...
Tout cela s'efface sans tarder dans la légende, et bientôt aussi un oubli total l'a enseveli...

IV - Tout est éphémère, et le fait de se souvenir, et l'objet dont on se souvient.

IV - Tout ce qui vient à la suite est toujours de la famille de ce qui vient avant; car, en effet, il n'en est pas ici comme d'une série de nombres ayant séparément et respectivement leur contenu nécessaire, mais c'est une continuité logique...

IV - ... Passer cet infime moment de la durée conformément à la nature, finir avec sérénité, comme une olive qui, parvenue à maturité, tomberait en bénissant la terre qui l'a portée, et en rendant grâces à l'arbre qui l'a produite.

Pensées pour moi-même, Livre IV


V - Qu'il est aisé de repousser et d'abandonner toute pensée déplaisante ou impropre, et d'être aussitôt dans un calme parfait

V - Que toutes tes pensées soient telles que si on te demandait à tout instant ce que tu penses tu puisses toujours l'avouer sans honte.

V - A quoi donc en ce moment fais-je servir mon âme ? En toute occasion, me poser cette question à moi-même et me demander : "Qu'y a-t-il à cette heure en cette partie de moi-même, qu'on appelle principe directeur, et de qui ai-je l'âme en cet instant ? N'est-ce pas celle d'un enfant, d'un jeune homme, d'une femmelette, d'un tyran, d'une tête de bétail, d'un fauve ?"

Pensées pour moi-même, Livre V



VI - ... C'est, en effet, une des actions de la vie que le fait de bien mourir. Il suffit donc, pour cet acte aussi, de bien faire ce qu'on fait dans le moment présent.

VI - Regarde au fond des choses. Que la qualité particulière et la valeur d'aucune ne passent pas inaperçues pour toi.

VI - Ou bien chaos, enchevêtrement, dispersion; ou bien union, ordre, Providence. Dans le premier cas, pourquoi désirerais-je prolonger mon séjour dans ce pêle-mêle fortuit et dans un tel gâchis ?... Mais, dans l'autre cas, je vénère Celui qui gouverne, je m'affermis et me repose en lui.

VI - Sans cesse entre les choses, les unes se hâtent d'être, les autres se hâtent d'avoir été, et, de ce qui vient à l'être, quelque partie déjà s'est éteinte...

VI - ... Qu'y a-t-il donc de digne d'estime ? Être applaudi par des battements de mains ? Non,. Ce n'est donc pas non plus le fait d'être applaudi par des battements de langues, car les félicitations de la foule ne sont que battements de langues...

VI - Ne suppose pas, si quelque chose t'est difficile, que cette chose soit impossible à l'homme. Mais, si une chose est possible et naturelle à l'homme, pense qu'elle est aussi à ta portée.

VI - Alexandre de Macédoine et son muletier, une fois morts, en sont réduits au même point...

VI - Considère combien de choses, durant un même infime moment, se passent en chacun de nous, tant dans le corps que dans l'âme. De la sorte, tu ne seras plus étonné, si beaucoup plus de choses, ou plutôt si toutes les choses coexistent à la fois dans cet être unique et universel que nous appelons le Monde.

VI - Le travail de la main ou du pied n'est pas contraire à leur nature, tant que le pied ne fait que la fonction du pied, et la main la fonction de la main. De même, l'homme, en tant qu'homme, ne fait pas un travail contraire à la nature, tant qu'il fait ce que l'homme doit faire...


VI - L'Asie, l'Europe, coins du monde; tout océan, une goutte d'eau dans le monde; L'Athos, une motte du monde; le temps présent tout entier, un point de la durée. Tout est petit, inconsistant, en évanescence !...

VI - Qui a vu ce qui est dans le présent a tout vu, et tout ce qui a été de toute éternité et tout ce qui sera dans l'infini du temps; car tout est semblable et de même aspect.

VI - Si les Dieux ont délibéré sur moi et sur ce qui devait m'arriver, ils ont sagement délibéré, car un Dieu inconsidéré ne serait pas facile même à imaginer. Et pour quelle raison les Dieux auraient-ils été poussés à me faire du mal ? Quel profit en serait-il revenu, soit à eux-mêmes, soit à cet univers, qui est la principale de leurs préoccupations ?...

VI - Habitue-toi à être attentif à ce qu'un autre dit, et, autant que possible, entre dans l'âme de celui qui parle.

Pensées pour moi-même, Livre VI


VII - ... Regarde à nouveau les choses que tu as vues, car c'est là revivre.

VII - Que les choses à venir ne te tourmentent point. Tu les affronteras, s'il le faut, muni de la même raison dont maintenant tu te sers dans les choses présentes.

VII - Seras-tu droit ou redressé ?

VII - N'envisage pas comme toujours présentes les choses absentes, mais évalue, entre les choses présentes, celles qui sont les plus favorables, et rappelle-toi avec quel zèle tu les rechercherais, si elles n'étaient point présentes. Mais garde-toi en même temps de tellement te complaire aux choses présentes que tu ne t'habitue à les surestimer, de sorte que, si par hasard, elles te manquaient, tu en serais bouleversé.

VII - Efface l'imagination. Arrête cette agitation de pantin. Circonscris le moment actuel. Comprends ce qui t'arrive, à toi ou à un autre. Distingue et analyse, en l'objet qui t'occupe, sa cause et sa matière. Pense à ta dernière heure. La faute que cet homme a commise, laisse-la où la faute se tient.


VII - Confronte la pensée avec les mots qui l'expriment. Pénètre en esprit dans les effets et les causes.

VII - C'est chose royale que de faire le bien et d'être décrié. ( Epictète )

VII - ... Aussi, avoir observé la vie humaine pendant quarante ou pendant dix mille ans, est-il équivalent. Car, que verras-tu de plus ?

VII - L'art de vivre est plus semblable à celui de la lutte qu'à celui de la danse, car il faut se tenir prêt et sans broncher à parer aux coups directs et non prévus.

VII - Prends garde de ne jamais avoir envers les misanthropes les sentiments qu'ont les misanthropes à l'égard des hommes.

VII - La perfection morale consiste en ceci : à passer chaque jour comme si c'était le dernier, à éviter l'agitation, la torpeur, la dissimulation.

VII - Il est ridicule de ne point échapper à sa propre malignité, ce qui est possible, et de vouloir échapper à celle des autres, ce qui est impossible.

VII - Lorsque tu as fait du bien et qu'un autre y a trouvé son bien, quelle troisième chose recherches-tu en outre, comme les insensés ? Passer pour avoir fait du bien, ou être payé de retour

Pensées pour moi-même, Livre VII


VIII - Que sont Alexandre, César et Pompée auprès de Diogène, Héraclite et Socrate ? Ceux-ci, en effet, connaissaient les choses, les causes, les substances, et leurs principes de direction restaient toujours les mêmes; mais ceux-là, combien de choses ils ignoraient, et de combien ils s'étaient faits esclaves

VIII - Souviens-toi que changer d'avis et obéir à qui te redresse, c'est faire encore acte de liberté...


VIII - Chaque chose a été faite en vue d'une fonction, le cheval, la vigne.
Pourquoi t'en étonner ? Le soleil même dira qu'il a été produit pour une tâche, comme les autres Dieux. Mais toi, pourquoi as-tu été créé ? Pour le plaisir ? Vois si cette pensée est admissible.

VIII - Trois relations : l'une avec la cause qui m'environne, l'autre avec la cause divine, d'où tout m'arrive à tous, et la troisième avec mes compagnons d'existence.

VIII - As-tu vu, par hasard, une main amputée, un pied, une tête coupée et gisante à quelque distance du reste du corps ? C'est ainsi que se rend, autant qu'il est en lui, celui qui n'acquiesce point à ce qui arrive, qui se retranche du Tout ou qui agit à l'encontre de l'intérêt commun...
Mais cependant, et c'est là une chose admirable, tu as la ressource de pouvoir derechef te réunir au Tout. A aucune autre partie Dieu n'a accordé, une fois qu'elle s'en est séparée et coupée de s'y réunir derechef.
Mais examine avec quelle bonté il a honoré l'homme. Il lui a, en effet, accordé le pouvoir de ne point se séparer du Tout; et, s'il s'en détache lui-même, d'y revenir une fois séparé, de s'y rattacher et d'y reprendre sa place de partie.

VIII - ... ce n'est ni le futur, ni le passé qui te sont à charge, mais toujours le présent...

VIII - Un obstacle à la sensation est un mal pour une nature animale; un obstacle à l'instinct est pareillement un mal pour une nature animale.
Et il y a aussi pareillement une autre sorte d'obstacle qui est un mal pour la constitution végétale. Ainsi donc, un obstacle à l'intelligence serait un mal pour une nature intelligente...

VIII - Je ne mérite pas de m'affliger moi-même, car je n'ai jamais volontairement affligé autrui.

VIII - Ce concombre est amer; jette-le. Il y a des ronces dans le chemin; évite-les. cela suffit. N'ajoute pas : "Pourquoi cela existe-t-il dans le monde ?" Tu prêterais à rire à l'homme qui étudie la nature, comme tu prêterais à rire au menuisier et au cordonnier, si tu leur reprochais que tu vois dans leurs boutiques des copeaux et des rognures tombées de leurs ouvrages...


VIII - Tu veux être loué par un homme qui, trois fois par heure, se maudit lui-même ? Tu veux plaire à un homme qui ne se plaît pas à lui-même ? Se plaît-il à lui-même, l'homme qui se repent de presque tout ce qu'il a fait ?

Pensées pour moi-même, Livre VIII


IX - ... De la même façon que tu attends aujourd'hui l'instant où l'enfant qu'elle porte sortira du ventre de ta femme, tu dois semblablement attendre l'heure où ton âme se détachera de son enveloppe.

IX - Tout est rendu coutumier par l'expérience, éphémère par le temps, vil par sa matière. Tout se passe aujourd'hui comme au temps de ceux que nous avons mis au tombeau.

IX - Ce n'est pas dans ce qu'il éprouve mais dans ce qu'il accomplit que se trouvent le bien et le mal d'un être raisonnable et social, tout comme la vertu et le vice ne sont pas pour lui dans ce qu'il subit mais dans ce qu'il accomplit.

IX - La faute d'un autre, il faut la laisser où elle est.

IX - ... Bientôt la terre nous recouvrira tous. Ensuite cette terre se transformera, et celle qui lui succédera, à l'infini se transformera, et de nouveau à l'infini changera la terre qui en naîtra. En considérant les agitations de ces vagues de changement et de transformation et leur rapidité, on méprisera tout ce qui est mortel.

IX - La cause universelle agit comme un torrent; elle entraîne tout.
Quels êtres vulgaires que ces petits hommes qui jouent les politiques et s'imaginent agir en philosophes ! Ils sont pleins de morve.

IX - ... Cet homme demande : "Puissé-je dormir avec cette femme !" Toi, dis plutôt : "Puissé-je ne pas désirer de dormir avec cette femme !" Cet autre : "Puissé-je être débarrassé de ce souci !" Toi : "Puissé-je n'avoir pas besoin d'en être débarrassé !"
Un autre : "Puissé-je ne pas perdre mon enfant !" Toi : "Puissé-je ne pas être affigé de le perdre !"
Bref, retourne ainsi tes prières, et vois ce qui arrive.


Pensées pour moi-même, Livre IX


X - S'il se trompe, instruis-le avec bienveillance et montre-lui sa méprise.
Mais, si tu ne le peux pas, n'en accuse que toi, ou pas même toi.

X - Lorsque tu seras nommé "homme de bien, réservé, véridique, prudent, résigné, magnanime", fais attention à ne pas avoir à te nommer autrement; et, si tu viens à perdre ces noms, reviens vite vers eux...
Si donc tu t'attaches toi-même à conserver ces noms, sans désirer que les autres te les décernent, tu seras un homme nouveau et tu entreras dans une vie nouvelle...
Embarque-toi donc sur ces quelques noms; et, si tu peux demeurer sur eux, restes-y comme si tu étais transporté vers certaines Îles des bienheureux.
Mais si tu sens que tu échoues et que tu n'es plus le maître, gagne courageusement quelque coin où tu puisses reprendre l'avantage; ou bien, sors définitivement de la vie, sans colère, mais simplement, librement, modestement...

X - Quel besoin de faire des conjectures, lorsqu'il t'est possible de voir ce qu'il faut faire, et, si tu le distingues, de marcher vers ton but, paisiblement et sans regarder en arrière; si tu ne le distingues pas, de t'arrêter et de recourir aux plus sages conseils ?...

X - ... As-tu oublié comment ces gens, qui font les importants en louant et en blâmant les autres, se conduisent sur leur lit, comment ils sont à table, ce qu'ils font, ce qu'ils fuient, ce qu'ils recherchent, ce qu'ils volent, ce qu'ils ravissent...

X - A la nature qui donne et reprend tout, l'homme instruit et modeste dit : "Donne ce que tu veux, reprends ce que tu veux."

X - Il ne s'agit plus du tout de discourir sur ce que doit être l'homme de bien, mais de l'être.

X - Vois ce qu'ils sont lorsqu'ils mangent, dorment, s'accouplent, vont à la selle, etc. Vois-les ensuite lorsqu'ils se donnent de grands airs, font les fiers, se fâchent et vous accablent de leur supériorité.
Peu avant, de combien de maîtres étaient-ils les esclaves, et par quelles sujétions !


X - Lorsqu'il a projeté un germe dans une matrice, le mâle se retire. Puis une autre cause intervient, se met à l'oeuvre et parachève l'enfant; Il ressemble à ce dont il provient. A son tour, l'enfant reçoit de la nourriture par le gosier; et puis, une autre cause intervient et produit la sensa- tion l'impulsion, en un mot la vie, la force et combien d'autres semblables facultés.
Ces phénomènes, qui s'accomplissent en un tel secret, contemple-les et rends-toi compte de leur puissance comme nous nous rendons compte de celle qui fait tomber les corps ou bien les porte en haut, non par les yeux, mais avec une non moindre évidence.

X - ... Il n'est pas donné au rouleau de se laisser aller partout au mouvement qui lui est propre, ni à l'eau, ni au feu, ni à toutes les autres choses que régissent une nature ou une vie sans raison. Nombreux sont les obstacles qui les arrêtent. Mais l'esprit et la raison peuvent passer au travers de tout ce qui leur résiste, au gré de leur nature et de leur volonté.
Mets-toi devant les yeux cette facilité, qui permet à la raison de passer à travers tout obstacle, tout comme au feu de monter...
L'homme devient d'autant plus fort et d'autant plus digne de louanges, qu'il sait mieux tirer des obstacles le parti le meilleur...

X - Il faut qu'un oeil soit en état de voir tout ce qui est visible, et ne dise pas : "Je veux du vert", car c'est le fait d'un homme aux yeux malades.
De même, une ouie, un odorat sain doivent être prêts à tout ce qui peut être entendu ou olfacté. Un estomac sain doit aussi se comporter de même à l'égard de tout ce qui est nourriture...
Une intelligence saine doit aussi être prête à tout ce qui peut arriver...

X - Souviens-toi que le fil qui te meut comme une marionnette est cette force cachée au-dedans de toi, cette force qui fait qu'on s'exprime, qu'on vit et qui, s'il faut le dire, fait qu'on est homme.
Ne te la représente jamais comme confondue avec le réceptacle qui l'enveloppe, ni avec ces organes qui sont collés autour. Ils sont comme des outils

Pensées pour moi-même, Livre X



XI - Le rameau qui a toujours crû avec l'arbre et continué de respirer avec lui, n'est pas comparable à celui qui, après en avoir été séparé, y a été de nouveau gréffé, quoi que disent les jardiniers.
Il faut donc croître sur le même tronc, mais non pas en conformité d'opinion.

XI - ... Exprimer une idée qui ne provient pas de toi, songe que c'est une des choses les plus absurdes qui soient...

XI - Socrate appelait les opinions de la foule des "Lamies", épouvantails pour les enfants.

XI - Dans l'art de l'écriture et de la lecture tu ne peux enseigner avant d'avoir appris. Il en est de même, à plus forte raison, de l'art de la vie.

Pensées pour moi-même, Livre XI


XII - Maintes fois je me suis étonné de ce que chaque homme, tout en s'aimant de préférence à tous, fasse pourtant moins de cas de son opinion sur lui-même que de celle que les autres ont de lui...
Ainsi nous appréhendons davantage l'opinion de nos voisins sur nous-mêmes que la nôtre propre.

XII - Comment donc les Dieux, qui ont tout réglé avec sagesse et bonté pour les hommes, ont-ils pu commettre cette seule négligence, que certains hommes absolument bons, après avoir conclu avec la Divinité comme tant de pactes, après s'être rendus durant si longtemps, par leur sainte conduite et leurs pieuses pratiques, les familiers de la Divinité, ne reviennent plus une fois qu'ils sont morts, mais sont complètement éteints ?
De ce qu'il n'en est pas ainsi, si toutefois il n'en est pas ainsi, sois bien persuadé qu'il ne fallait pas qu'il en fût autrement.
Car tu vois bien par toi-même qu'en posant ce problème, tu plaides contre Dieu. Or, pourrions-nous discuter ainsi avec les Dieux, s'ils n'étaient très bons et très justes ?


XII - Si ce n'est pas convenable, ne le fais pas; si ce n'est pas vrai, ne le dis pas. Que la décision provienne de toi.

XII - ... Tout est né, en effet, pour changer, se transformer, se corrompre, afin que surviennent d'autres existences.

XII - ... La cessation de la vie n'est donc pas un mal pour un individu; elle ne lui inflige aucun opprobre, puisqu'elle échappe à sa volonté et ne nuit pas à la communauté. C'est au contraire un bien puisqu'elle est opportune, avantageuse au Tout et conforme au mouvement général.

XII - Chasse dehors l'opinion et tu seras sauvé. Qui donc t'empêche de la chasser ?

XII - A ceux qui demandent : "Où as-tu vu les Dieux ? Ou bien, par quel moyen conçois tu qu'ils existent, puisque tu les honores?"...
- Je n'ai jamais vu mon âme, et pourtant je l'honore.

XII - O homme ! Tu as été citoyen de cette grande cité, que t'importe de l'avoir été cinq ans ou trois ans ! Ce qui est selon les lois est équitable pour tous. Qu'y a-t-il donc de terrible, si tu es renvoyé de la cité, non par un tyran ou par un juge inique, mais par la nature qui t'y a fait entrer ?
C'est comme si le préteur congédiait de la scène l'acteur qu'il avait engagé - Mais je n'ai pas joué les cinq actes; trois seulement.
- Tu les a bien joués; mais dans la vie, trois actes font un drame tout entier.
Celui qui, en effet, fixe le dénouement est celui là-même qui fut naguère la cause de ta composition et qui est aujourd'hui celle de ta dissolution.
Pour toi, tu es irresponsable dans l'un et l'autre cas. Pars donc de bonne grâce, car celui qui te donne congé le fait de bonne grâce.

MARC AURELE, Pensées pour moi-même, Livre XII, fin


( L'exemple de la vie de Marc-Aurèle fait qu'on a ) meilleure opinion de soi-même, parce qu'on a meilleure opinion des hommes.
MONTESQUIEU




1993 Thesaurus - PIERRE TEILHARD DE CHARDIN