1993 Thesaurus - Exhortation Apostolique "RECONCILIATIO ET PAENITENTIA"

Exhortation Apostolique "RECONCILIATIO ET PAENITENTIA"



La réconciliation ne peut être moins profonde que la division. La nostalgie de la réconciliation et la réconciliation elle-même seront totales et efficaces dans la mesure où elles atteindront - pour le guérir - le déchirement primordial qui est la racine de tous les autres, à savoir le péché...
La pénitence signifie le changement qui s'opère au plus profond du coeur...
Mais pénitence veut dire aussi changer la vie en même temps que le coeur, et en ce sens l'action de faire pénitence se complète par celle de produire des fruits qui témoignent de la pénitence : c'est toute l'existence qui devient pénitentielle, c'est-à-dire tendue dans une progression continuelle vers le mieux...
Pénitence signifie... ascèse, autrement dit l'effort quotidien de l'homme, soutenu per la grâce de Dieu, en vue de perdre sa vie pour le Christ, unique moyen de la gagner; pour se dépouiller du vieil homme et revêtir l'homme nouveau; pour surmonter en soi ce qui est charnel afin que prévale ce qui est spirituel; pour s'élever continuellement des réalités d'ici-bas à celles d'en haut, là où se trouve le Christ. La pénitence est donc la conversion qui passe du coeur aux oeuvres et par conséquent à toute la vie du chrétien.
La pénitence est étroitement liée à la réconciliation, car se réconcilier avec Dieu, avec soi-même et avec les autres suppose que l'on remporte la victoire sur la rupture radicale qu'est le péché, ce qui se réalise seulement à travers la transformation intérieure ou conversion, qui porte des fruits dans la vie grâce aux actes de pénitence...
L'Eglise se sent le devoir d'aller jusqu'aux racines du déchirement primordial du péché pour y opérer la guérison et y rétablir, pour ainsi dire, une réconciliation primordiale elle aussi, qui soit le principe décisif de toute vraie réconciliation...
L'histoire du salut - celle de l'humanité entière comme celle de chaque être humain de tous les temps - est l'histoire admirable d'une réconciliation...
La réconciliation, pour être totale, exige donc nécessairement la libération par rapport au péché... C'est pourquoi un lien interne étroit unit conversion et réconciliation : il est impossible de séparer ces deux réalités...
La conversion personnelle est la voie nécessaire pour aboutir à la concorde entre les personnes.


La réconciliation est principalement un don du Père céleste.
Tant que ce frère, trop sûr de lui-même et de ses mérites, jaloux et méprisant, rempli d'amertume et de colère, ne s'est pas converti et réconcilié avec son père et son frère, le banquet n'est pas encore pleinement la fête de la rencontre et des retrouvailles...
La parabole peint la situation de la famille humaine divisée par les égoïsmes, elle met en lumière la difficulté de saisir et la nostalgie d'être une même famille réconciliée et unie, et elle rappelle donc la nécessité d'une profonde transformation des coeurs pour redécouvrir la miséricorde du Père et pour vaincre l'incompréhension et l'hostilité entre frères...
La réconciliation est un don de Dieu, une initiative de Dieu...
Le regard fixé sur le mystère du Golgotha doit nous rappeler sans cesse la dimension "verticale" de la division et de la réconciliation dans le rapport homme-Dieu qui, dans une vision de foi, l'emporte toujours sur la dimension "horizontale"...
La réconciliation est étroitement liée à la conversion du coeur: 'est là le chemin nécessaire vers l'entente entre les êtres humains...
L'Eglise pour être réconciliatrice doit commencer par être une Eglise réconciliée...
L'Eglise promeut une réconciliation dans la vérité, sachant bien qu'il n'y a pas de réconciliation ni d'unité possibles en dehors de la vérité ou contre elle...
Le refus de l'amour paternel de Dieu et de ses dons d'amour est toujours à la racine des divisions de l'humanité.

"Si notre coeur nous accuse, Dieu est plus grand que notre coeur". ( 1 Jn 1, 8-9 )...
Pourquoi l'ambitieux projet a-t-il échoué ? Pourquoi "les bâtisseurs ont-ils peiné en vain" ? Parce que les hommes s'étaient fondés seulement sur une oeuvre de leurs mains pour signifier et garantir l'unité qu'ils voulaient, oubliant l'action du Seigneur. Ils avaient misé sur la seule dimension horizontale du travail et de la vie sociale, sans se préoccuper de la dimension verticale, grâce à laquelle ils se seraient trouvés enracinés en Dieu, leur Créateur et Seigneur, et ils auraient tendu vers lui comme but ultime de leur chemin...
Le drame de l'homme d'aujourd'hui, comme celui de l'homme de tous les temps, consiste précisément dans son caractère "babélique"...
Les hommes ont prétendu bâtir une cité, former une société, être forts et puissants sans Dieu, même si ce n'était pas à proprement parler contre Dieu. Dans ce sens, le récit du premier péché dans le paradis terrestre et le récit de Babel, malgré les différences notables de leurs contenus et de leurs formes, présentent une convergence sur un point : dans l'un et l'autre nous nous trouvons en face d'une exclusion de Dieu, par le refus explicite de l'un de ses commandements, par un geste qui manifeste une rivalité face à lui, par la prétention illusoire d'être "comme lui". Dans le récit de Babel, l'exclusion de Dieu n'apparaît pas tellement sur le mode d'une confrontation avec lui, mais comme l'oubli et l'indifférence à son égard, comme si
Dieu ne présentait aucun intérêt dans le cadre du projet humain de bâtir et de s'unir...
Dans ces récits bibliques, la rupture avec Dieu aboutit d'une manière dramatique à la division entre les frères...
Suivant le récit des événements de Babel, la conséquence du péché est l'éclatement de la famille humaine, déjà commencé lors du premier péché, désormais arrivé au pire en prenant une dimension sociale...
Du fait que par le péché l'homme refuse de se soumettre à Dieu, son équilibre intérieur est détruit et c'est du fond même de son être qu'éclatent les contradictions et les conflits. Ainsi déchiré, l'homme provoque de manière presque inévitable un déchirement dans la trame de ses rapports avec les autres hommes et le monde créé...
Tout péché est personnel d'un certain point de vue; et d'un autre point de vue, tout péché est social en ce que, et parce que, il a aussi des conséquences sociales...
En vertu d'une solidarité humaine aussi mystérieuse et imperceptible que réelle et concrète, le péché de chacun se répercute d'une certaine manière sur les autres. C'est là le revers de cette solidarité qui, du point de vue religieux, se développe dans le mystère profond et admirable de la communion des saints, grâce à laquelle on a pu dire que "toute âme qui s'élève, élève le monde". A cette loi de l'élévation correspond, malheureusement, la loi de la chute, à tel point qu'on peut parler d'une communion dans le péché, par laquelle une âme qui s'abaisse... abaisse avec elle l'Eglise et, d'une certaine manière, le monde entier...
Il est une conception du péché social qui n'est ni légitime ni admissible... cette conception, en opposant, non sans ambiguïté, le péché social au péché personnel, conduit, de façon plus ou moins inconsciente, à atténuer et presque à effacer ce qui est personnel pour ne reconnaître que les fautes et les responsabilités sociales. Selon une telle conception, qui manifeste assez clairement sa dépendance d'idéologies et de systèmes non chrétiens... pratiquement tout péché serait social, au sens où il serait imputable moins à la conscience morale d'une personne qu'à une vague entité ou collectivité anonyme telle que la situation, le système, la société, les structures, l'institution, etc...
A l'origine de toute situation de péché se trouvent toujours des hommes pécheurs...
Jésus lui-même parle d'un "blasphème contre l'Esprit-Saint" qui "ne sera pas remis", parce qu'il consiste, dans ses diverses manifestations, à refuser avec obstination la conversion à l'amour du Père des miséricordes...
Selon le Docteur angélique, pour vivre selon l'Esprit, l'homme doit rester en communion avec le principe suprême de la vie, Dieu même, en tant que fin ultime de tout son être et de tout son agir. Or le péché est un désordre provoqué par l'homme contre ce principe vital. Et quand, "par le péché, l'âme provoque un désordre qui va jusqu'à la séparation d'avec la fin ultime - Dieu - à laquelle elle est liée par la charité, il y a alors un péché mortel; au contraire, toutes les fois que le désordre reste en-deçà de la séparation d'avec Dieu, le péché est véniel". Pour cette raison, le péché véniel ne prive pas de la grâce sanctifiante...
Le sens du péché a sa racine dans la conscuence de l'homme et en est comme l'instrument de mesure. Il est lié au sens de Dieu, puisqu'il provient du rapport conscient de l'homme avec Dieu comme son Créateur, son Seigneur et Père. C'est pourquoi, de même que l'on ne peut effacer complètement le sens de Dieu ni éteindre la conscience, de même le sens du péché n'est jamais complètement effacé... "Le péché de ce siècle est la perte du sens du péché". ( Pie XII )...
Il est vain d'espérer qu'un sens du péché puisse prendre consistance par rapport à l'homme et aux valeurs humaines si fait défaut le sens de l'offense commise contre Dieu, c'est-à-dire le véritable sens du péché...
L'effet de cet ébranlement éthique ( dérivé d'un certain relativisme historique ) est toujours d'étouffer à ce point la notion du péché qu'on finit presque par affirmer que le péché existe mais qu'on ne sait pas qui le commet...
Certains tendent à remplacer des attitudes excessives du passé par d'autres excès : au lieu de voir le péché partout, on ne le distingue plus nulle part; au lieu de trop mettre l'accent sur la peur des peines éternelles, on prêche un amour de Dieu qui exclurait toute peine méritée par le péché; au lieu de la sévérité avec laquelle on s'efforce de corriger les consciences erronées, on prône un tel respect de la conscience qu'il supprime le devoir de dire la vérité. Et pourquoi ne pas ajouter que la confusion créée dans la conscience de nombreux fidèles par les divergences d'opinions et d'enseignements dans la théologie, dans la prédication, dans la catéchèse, dans la direction spirituelle au sujet de questions graves et délicates de la morale chrétienne, finit par amoindrir presque au point de l'effacer, le véritable sens du péché ?...
Rétablir un juste sens du péché, c'est la première façon d'affronter la grave crise spirituelle qui pèse sur l'homme de notre temps. Mais le sens du péché ne se rétablira que par un recours clair aux principes inaliénables de la raison et de la foi que la doctrine morale de l'Eglise a toujours soutenus.


"Si nous disons : nous n'avons pas de péché, nous nous abusons, la vérité n'est pas en nous". Et encore : "Le monde entier gît au pouvoir du Mauvais". ( 1 Jn ) Chacun est donc invité par la voix de la Vérité divine à lire dans sa conscience avec réalisme et à confesser qu'il a été engendré dans l'iniquité, comme nous le disons dans le psaume 'Miserere".

Ce qui est pastoral ne s'oppose pas à doctrinal, et l'action pastorale ne peut faire abstraction du contenu doctrinal, bien plus, elle tire de lui sa substance et sa valeur réelle...
Les deux éléments fondamentaux qui ressortent de la parabole du fils perdu et retrouvé : le fait de "rentrer en soi-même" et la décision de retourner vers son père. Il ne saurait y avoir de réconciliation sans ces attitudes primordiales de la conversion et la catéchèse doit les expliquer...
L'homme d'aujourd'hui semble avoir plus de peine que jamais à reconnaître ses propres erreurs et à décider de revenir sur ses pas pour reprendre le chemin après avoir rectifié sa marche; il semble très réticent à dire : "Je me repens" ou "je regrette"; il semble refuser instinctivement, et souvent de manière irrésistible, tout ce qui est pénitence au sens du sacrifice accepté et pratiqué pour se corriger du péché...
Sur le jeûne : signe de conversion, de repentir et de mortification personnelle et, en même temps, d'union avec le Christ crucifié et de solidarité avec ceux qui ont faim et ceux qui souffrent...
Les quatre réconciliations qui réparent les quatre ruptures fondamentales : réconciliation de l'homme avec Dieu, avec lui-même, avec ses frères, avec toute la création...
Les quatre fins dernières de l'homme : la mort, le jugement ( particulier et universel ), l'enfer et le paradis...
Dans le dynamisme mystérieux des sacrements, si riches de symbolismes et de contenu, il est possible de percevoir un aspect qui n'est pas toujours mis en lumière : chacun d'eux est signe, non seulement de sa grâce propre, mais aussi de pénitence et de réconciliation, et il est donc possible de revivre en chacun d'eux ces dimensions spirituelles.

"L'Eglise ne peut rien pardonner sans le Christ; et le Christ ne veut rien pardonner sans l'Eglise. L'Eglise ne peut rien pardonner sinon à celui qui se convertit, c'est-à-dire à celui que le Christ a d'abord touché. Le Christ ne veut pas accorder son pardon à celui qui méprise l'Eglise". ( Isaac de l'Etoile )...
Assurément, le Sauveur et son oeuvre salvifique ne sont pas liés à quelque signe sacramentel au point de ne pouvoir, en n'importe quel moment et domaine de l'histoire du salut, agir en dehors et au-dessus des sacrements.
Mais à l'école de la foi, nous apprenons que le même Sauveur a voulu et disposé que les humbles et précieux sacrements de la foi soient ordinairement les moyens efficaces par lesquels passe et agit sa puissance rédemptrice.
Il serait donc insensé et pas seulement présomptueux de vouloir laisser arbitrairement de côté des instruments de grâce et de salut que le Seigneur a institué et, en l'occurrence, de prétendre recevoir le pardon sans recourir au sacrement institué par le Christ précisément en vue du pardon...
C'est grâce au remède de la conversion que l'expérience du péché ne dégénère pas en désespoir. Le "Rituel de la Pénitence" fait allusion à cet aspect médicinal du sacrement...
Une condition indispensable est, avant tout, la rectitude et la limpidité de la conscience du pénitent. On ne s'achemine pas vers une véritable pénitence tant qu'on ne se rend pas compte que le péché est contraire à la norme éthique inscrite au plus intime de l'être, tant qu'on n'avoue pas avoir fait l'expérience personnelle et coupable d'une telle opposition, tant qu'on ne dit pas seulement "c'est un péché", mais "j'ai péché"...
C'est vraiment le geste du fils prodigue, qui revient vers son Père et qui est accueilli par lui avec un baiser de paix; c'est un geste de loyauté et de courage; c'est un geste de remise de soi-même, au-delà du péché, à la miséricorde qui pardonne. On comprend alors pourquoi "l'accusation des fautes" doit être ordinairement individuelle et non collective, de même que le péché est un fait profondément personnel. Mais en même temps, cette accusation arrache d'une certaine façon le péché des secrètes profondeurs du coeur et donc du cercle de la pure individualité, en mettant aussi en relief son caractère social.


JEAN-PAUL II, "Reconciliatio et paenitentia", fin



Lettre Apostolique "MULIERIS DIGNITATEM"



Toute l'action de Dieu dans l'histoire des hommes respecte toujours la libre volonté du "moi" humain. Il en est de même dans l'Annonciation de Nazareth..
La grâce ne laisse jamais la nature de côté, elle ne l'annule pas non plus; au contraire, elle la perfectionne et l'annoblit. La "plénitude de grâce" accordée à la Vierge de Nazareth en vertu de sa qualité de "Théotokos" signifie donc en même temps la plénitude de la perfection de "ce qui est caractéristique de la femme", de "ce qui est féminin". Nous nous trouvons ici à l'archétype de la dignité personnelle de la femme.

- "Ils s'étonnaient qu'il parlât à une femme".
Au cours de la mission de Jésus de Nazareth, un certain nombre de femmes apparaissent sur son chemin, et sa rencontre avec chacune d'elles illustre la "vie nouvelle" évangélique...
Le Christ s'est fait auprès de ses contemporains l'avocat de la vraie dignité de la femme et de la vocation que cette dignité implique...
- Les femmes de l'Evangile.
Un grand nombre de femmes, diverses par l'âge et la condition, défilent sous nos yeux...
Parfois les femmes que Jésus rencontrait, et qui recevaient de lui des grâces abondantes, l'accompagnaient alors qu'il parcourait avec ses disciples villes et villages...
Des figures de femmes apparaissent parfois dans les paraboles...
Ses paroles et ses actes expriment toujours le respect et l'honneur dus à la femme...
C'est encore plus manifeste quand il s'agit de ces femmes que l'opinion désignait couramment avec mépris comme des pécheresses, des pécheresses publiques et des adultères. Par exemple, la Samaritaine...
Une autre pécheresse publique, malgré la réprobation encourue dans l'opinion commune, entre dans la maison du pharisien pour répandre de l'huile parfumée sur les pieds de Jésus...
- La femme surprise en adultère.
- Gardiennes du message évangélique.
Dans le champ d'action du Christ, leur position sociale se transforme. Elles sentent que Jésus leur parle de questions qui, à cette époque, ne se traitaient pas avec des femmes...
Il décrit lui-même le comportement de Marie comme la "meilleure part" par rapport au souci des affaires domestiques que montre Marthe...
Ce sont avant tout des femmes qui se sont trouvées au pied de la croix...
- Premiers témoins de la Résurrection.
Les femmes sont les premières près du tombeau. Elles sont les premières à le trouver vide. Elles sont les premières à entendre: Il n'est pas ici, car il est ressuscité comme il l'avait dit"...
Elles sont les premières appelées à annoncer cette vérité aux Apôtres...
Marie de Magdala ( "l'apôtre des Apôtres" ) fut, avant les Apôtres, témoin oculaire du Christ ressuscité et, pour cette raison, elle fut aussi la première à lui rendre témoignage devant les Apôtres. Cet événement est comme le couronnement de tout ce qui a été dit précédemment sur la transmission par le Christ de la vérité divine aux femmes, sur un pied d'égalité avec les hommes.


La maternité est liée à la structure personnelle de l'être féminin et à la dimension personnelle du don...
Marie est le "modèle de l'Eglise" : en effet, dans le mystère de l'Eglise, qui reçoit elle aussi à juste titre le nom de Mére et de Vierge, Marie occupe la première place, offrant, à un titre éminent et singulier, le modèle de la vierge et de la mère...
L'Eglise devient à son tour une Mère, grâce à la parole de Dieu qu'elle reçoit dans la foi; par la prédication, en effet, et par le baptême elle engendre, à une vie nouvelle et immortelle, des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu...
L'Eglise aussi est vierge, ayant donné à son époux sa foi, qu'elle garde intègre et pure.

"Il n'y a ni homme ni femme : car tous vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus" ( Ga 3, 28 )...
Dans l'Eglise tout être humain - homme et femme - est l'"Epouse" parce qu'il accueille comme un don l'amour du Christ rédempteur, et aussi parce qu'il tente d'y répondre à travers le don de sa personne...
Si le Christ, en instituant l'Eucharistie, l'a liée d'une manière aussi explicite au service sacerdotal des Apôtres, il est légitime de penser qu'il voulait de cette façon exprimer la relation entre l'homme et la femme, entre ce qui est "féminin" et ce qui est "masculin", voulue par Dieu tant dans le mystère de la Création que dans celui de la Rédemption. Dans l'Eucharistie s'exprime avant tout sacramentellement l'acte rédempteur du Christ-Epoux envers l'Eglise-Epouse. Cela devient transparent et sans équivoque lorsque le service sacramentel de l'Eucharistie, où le prêtre agit "in personna Christi", est accompli par l'homme...
Dans la hiérarchie de la sainteté, c'est justement la "femme", Marie de Nazareth, qui est "figure" de l'Eglise. Elle nous "précède" tous sur la voie de la sainteté; en sa personne "l'Eglise atteint déjà à la perfection qui la fait sans tache ni ride". En ce sens, on peut dire que l'Eglise est "mariale" en même temps qu'"apostolique" et "pétrinienne". "Marie est la Reine des Apôtres. Sans revendiquer pour elle les pouvoirs apostoliques, elle a autre chose et beaucoup plus". ( H. U. Von Balthasar )

L'ordre de l'amour, qui entre dans le monde des personnes humaines par une Femme...
L'homme seule créature sur terre que Dieu ait voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même...
La femme ne peut se trouver elle-même si ce n'est en donnant son amour aux autres...
Le péché des origines n'a pas détruit l'ordre de l'amour du commencement, il ne l'a pas supprimé d'une manière irréversible...
La même femme, qui en arrive à être un "paradigme" biblique, se trouve également dans la perspective eschatologique du monde et de l'homme, telle que l'exprime l'"Apocalypse". C'est "une femme enveloppée de soleil", la lune est sous ses pieds et des étoiles couronnent sa tête. On peut dire : une "femme" à la mesure du cosmos, à la mesure de toute l'oeuvre de la création.
En même temps, elle souffre "dans les douleurs et le travail de l'enfantement", comme Eve, "la mère de tous les vivants". Elle souffre aussi parce que " devant la femme dans le travail de l'enfantement" se place " l'énorme Dragon, l'antique Serpent,", déjà connu dans le protévangile, le Malin, "père du mensonge" et du péché. Et voici que l'"antique Serpent" veut dévorer "l'enfant". Si nous voyons dans ce texte un reflet de l'Evangile de l'enfance, nous pouvons penser que dans le paradigme biblique de la "femme" s'inscrit, dès le commencement et jusqu'au terme de l'histoire, la lutte contre le mal et le Malin. C'est la lutte pour l'homme, pour son véritable bien, pour son salut...
La force morale de la femme, sa force spirituelle, rejoint la conscience du fait que Dieu lui confie l'homme, l'être humain, d'une manière spécifique.


N'est-ce pas en elle et par elle que s'est accompli ce qu'il y a de plus grand dans l'histoire de l'homme sur terre, l'événement que Dieu lui-même se soit fait homme.

JEAN-PAUL II, "Mulieris dignitatem", fin



Encyclique "REDEMPTORIS MATER"



La figure de Marie de Nazareth projette une lumière sur "la femme en tant que telle", du fait même que Dieu, dans le sublime événement de l'incarnation du Fils, a eu recours au service, libre et actif, d'une femme.
A la lumière de Marie, l'Eglise découvre sur la visage de la femme les reflets d'une beauté qui est comme le miroir des sentiments les plus élevés dont le coeur humain soit capable : la plénitude du don de soi suscité par l'amour; la force qui sait résister aux plus grandes souffrances; la fidélité sans limite et l'activité inlassable; la capacité d'harmoniser l'intuition pénétrante avec la parole de soutien et d'encouragement.

Marie "garda fidèlement l'union avec son Fils jusqu'à la Croix": 'union par la foi, par la foi même avec laquelle elle avait accueilli la révélation de l'ange au moment de l'Annonciation. Elle s'était alors entendu dire aussi : "Il sera grand... Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père; il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n'aura pas de fin".
Et maintenant, debout au pied de la Croix, Marie est témoin, humainement parlant, d'un total démenti de ces paroles. Son Fils agonise sur ce bois comme un condamné. "Objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur..., méprisé, nous n'en faisions aucun cas", il était comme détruit.
Comme elle est grande, comme elle est alors héroïque l'obéissance de la foi dont Marie fait preuve face aux "décrets insondables" de Dieu !...
Dans la description de l'événement de Cana, se dessine ce qui se manifeste concrètement comme la maternité nouvelle selon l'esprit et non selon la chair, c'est-à-dire la sollicitude de Marie pour les hommes, le fait qu'elle va au-devant de toute la gamme de leurs besoins et de leurs nécessités...
Elle se place "au milieu", c'est-à-dire qu'elle agit en médiatrice non pas de l'extérieur, mais à sa place de mère, consciente, comme telle, de pouvoir montrer au Fils les besoins des hommes - ou plutôt d'en "avoir le droit".
Sa médiation a donc un caractère d'intercession : Marie "intercède" pour les hommes...
Ce qu'elle dit aux serviteurs : "Tout ce qu'il vous dira, faites-le".
La Mère du Christ se présente devant les hommes comme porte-parole de la volonté du Fils, celle qui montre quelles exigences doivent être satisfaites afin que puisse se manifester la puissance salvifique du Messie. A Cana, grâce à l'intercession de Marie et à l'obéissance des serviteurs, Jésus inaugure "son heure". A Cana, Marie apparaît comme quelqu'un qui croit en Jésus: sa foi en provoque le premier "signe" et contribue à susciter la foi des disciples... "Femme, voici ton fils"... "Voici ta mère"...
On reconnaît assurément dans cet épisode une expression de la sollicitude unique du Fils pour la Mère qu'il laissait dans une très grande douleur.
Cependant le "testament de la Croix" du Christ en dit plus sur le sens de cette sollicitude. Jésus faisait ressortir entre la Mère et le Fils un nouveau lien dont il confirme solennellement toute la vérité et toute la réalité. On peut dire que, si la maternité de Marie envers les hommes avait déjà été antérieurement annoncée, elle est maintenant clairement précisée et établie.


Marie n'a pas reçu directement la mission apostolique. Elle n'était pas parmi ceux que Jésus envoya pour "faire des disciples de toutes les nations", lorsqu'il leur conféra cette mission. Mais elle était dans le Cénacle où les Apôtres se préparaient à assumer cette mission grâce à la venue de l'Esprit de Vérité : elle était avec eux. Au milieu d'eux, Marie était "assidue à la prière" en tant que "Mère de Jésus" c'est-à-dire du Christ crucifié et ressuscité. Et le premier noyau de ceux qui regardaient "avec la foi vers Jésus auteur du salut" savait bien que Jésus était le Fils de Marie et qu'elle était sa Mère, et que, comme telle, elle était depuis le moment de la conception et de la naissance, un témoin unique du mystère de Jésus, de ce mystère qui s'était dévoilé et confirmé souqs leurs yeux par la Croix et la Résurrection. Dés le premier moment, l'Eglise "regardait" donc Marie à travers Jésus, comme elle "regardait" Jésus à travers Marie. Celle-ci fut pour l'Eglise d'alors et de toujours un témoin unique des années de l'enfance de Jésus et de sa vie cachée à Nazareth, alors qu'"elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son coeur".

Après le départ de son Fils, sa maternité demeure dans l'Eglise, comme médiation maternelle : en intercédant pour tous ses fils, la Mère coopère à l'action salvifique de son Fils Rédempteur du monde.

"Tu as enfanté, à l'émerveillement de la nature, celui qui t'a créée !" ( paroles de l'antienne à la fin de la Liturgie des Heures ) Quelle profondeur admirable Dieu n'a-t-il pas atteinte, Lui le Créateur et Seigneur de toutes choses, dans la révélation de lui-même à l'homme !
Avec quelle évidence il a comblé le vide de la "distance" infinie qui sépare le Créateur de la créature !...
S'il a voulu de toute éternité appeler l'homme à être participant de la nature divine, on peut dire qu'il a prédisposé la "divinisation" de l'homme en fonction de sa situation historique, de sorte que, même après la faute, il est prêt à rétablir à grand prix le dessein éternel de son amour par l'"humanisation" de son Fils, qui lui est consubstantiel. Ce don ne peut pas ne pas remplir d'émerveillement la création entière, et plus directement l'homme, lui qui en est devenu participant dans l'Esprit Saint : "Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique"...
Dans les paroles de cette ancienne liturgie est exprimée aussi la vérité du "grand retournement" qui est déterminé pour l'homme par le mystère de l'Incarnation... Ce retournement historique essentiel qui persiste de façon irréversible : le retournement entre la "chute" et le "relèvement".


JEAN-PAUL II, "Redemptoris Mater", fin



Encyclique "CENTESIMUS ANNUS"



Le lien constitutif de la liberté humaine avec la vérité, lien si fort qu'une liberté qui refuserait de se plier à la vérité tomberait dans l'arbitraire et finirait par se soumettre elle-même aux passions les plus dégradantes et finirait par s'autodétruire...
Il n'existe pas de véritable solution de la question sociale hors de l'Evangile et... les "choses nouvelles" peuvent trouver en lui leur espace de vé- rité et la qualification morale qui convient...
L'Etat est fait pour protéger et non pour détruire le droit naturel. En interdisant de telles associations ( Corps intermédiaires ), il s'attaquerait lui-même.

L'erreur fondamentale du "socialisme" est de caractère anthropologique. En effet, il considère l'individu comme un simple élément, une molécule de l'organisme social, de sorte que le bien de chacun est tout entier subordonné au fonctionnement du mécanisme économique et social, tandis que, par ail- leurs, il estime que ce même bien de l'individu peut être atteint hors de tout choix autonome de sa part, hors de sa seule et exclusive décision responsable devant le bien et le mal. L'homme est ainsi réduit à un ensemble de relations sociales, et c'est alors que disparaît le concept de personne comme sujet autonome de décision morale qui construit l'ordre social par cette décision. De cette conception erronée de la personne découlent la déformation du droit qui définit la sphère d'exercice de la liberté, ainsi que le refus de la propriété privée...
Le caractère social de l'homme ne s'épuise pas dans l'Etat, mais il se réalise dans divers groupes intermédiaires, de la famille aux groupes économiques, sociaux, politiques et culturels qui, découlant de la même nature hu- maine, ont - toujours à l'intérieur du bien commun - leur autonomie propre.
C'est ce que j'ai appelé la personnalité de la société qui, avec la personnalité de l'individu, a été éliminée par le "socialisme réel".
Si on se demande ensuite d'où naît cette conception erronée de la nature de la personne humaine et de la personnalité de la société, il faut répondre que la première cause en est l'athéisme...
La négation de Dieu prive la personne de ses racines et, en conséquence, incite à réorganiser l'ordre social sans tenir compte de la dignité et de la responsabilité de la personne.
L'athéisme dont on parle est du reste étroitement lié au rationalisme de la philosophie des Lumières qui conçoit la réalité humaine et sociale d'une manière mécaniste. On nie ainsi l'intuition ultime de la vraie grandeur de l'homme, sa transcendance par rapport au monde des choses, la contradiction qu'il ressent dans son coeur entre le désir d'une plénitude de bien et son impuissance à l'obtenir, et surtout le besoin de salut qui en dérive...
La lutte des classes au sens marxiste et le militarisme ont donc la même racine : l'athéisme, et le mépris de la personne humaine qui fait prévaloir le principe de la force sur celui de la raison et du droit.


La violence a toujours besoin de se légitimer par le mensonge, de se donner l'air - même si c'est faux - de défendre un droit ou de répondre à une menace d'autrui.

Au lieu de remplir son rôle de collaborateur de Dieu dans l'oeuvre de la création, l'homme se substitue à Dieu et, ainsi, finit par provoquer la révolte de la nature, plus tyrannisée que gouvernée par lui....
En dehors de la destruction irrationnelle du milieu naturel, il faut rappeler ici la destruction encore plus grave du "milieu humain", à laquelle on est cependant loin d'accorder l'attention voulue...
La première structure fondamentale pour une "écologie humaine" est la famille, au sein de laquelle l'homme reçoit des premières notions déterminantes..
Il arrive souvent... que l'homme se décourage de réaliser les conditions authentiques de la reproduction humaine, et il est amené à se considérer lui-même et à considérer sa propre vie comme un ensemble de sensations à expérimenter et non comme une oeuvre à accomplir. Il en résulte un manque de liberté qui fait renoncer au devoir de se lier dans la stabilité avec une autre personne et d'engendrer des enfants, ou bien qui amène à considérer ceux-ci comme une des nombreuses "choses" que l'on peut avoir ou ne pas avoir, au gré de ses goûts, et qui entrent en concurrence avec d'autres possibilités...
L'aliénation avec la perte du sens authentique de l'existence est également une réalité dans les sociétés occidentales. On le constate au niveau de la consommation, lorsqu'elle engage l'homme dans un réseau de satisfactions superficielles et fausses, au lieu de l'aider à faire l'expérience authentique et concrète de sa personnalité...
L'homme est aliéné quand il refuse de se transcender et de vivre l'expérience du don de soi et de la formation d'une communauté humaine authentique orientée vers sa fin dernière qu'est Dieu. Une société est aliénée quand, dans les formes de son organisation sociale, de la production et de la consommation, elle rend plus difficiles la réalisation de ce don et la constitution de cette solidarité entre hommes.

Le totalitarisme naît de la négation de la vérité au sens objectif du terme: s'il n'existe pas de vérité transcendante, par l'obéissance à laquelle l'homme acquiert sa pleine identité, dans ces conditions, il n'existe aucun principe sûr pour garantir des rapports justes entre les hommes. Leurs intérêts de classe, de groupe ou de nation les opposent inévitablement les uns aux autres. Si la vérité transcendante n'est pas reconnue, la force du pouvoir triomphe, et chacun tend à utiliser jusqu'au bout les moyens dont il dispose pour faire prévaloir ses intérêts et ses opinions, sans considération pour les droits des autres...
La culture et la pratique du totalitarisme comportent aussi la négation du droit de l'Eglise. L'Etat, ou le parti, qui considère qu'il peut réaliser dans l'histoire le bien absolu et qui se met lui-même au-dessus de toutes les valeurs, ne peut tolérer que l'on défende un "critère objectif du bien et du mal" qui soit différent de la volonté des gouvernants et qui, dans certaines circonstances, puissent servir à porter un jugement sur leur comportement. Cela explique pourquoi le totalitarisme cherche à détruire l'Eglise ou du moins à l'assujetir, en en faisant un instrument de son propre système idéologique...
Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l'histoire...
L'un des principaux obstacles au développement et au bon ordre économique est le défaut de sécurité, accompagné de la corruption des pouvoirs publics et de la multiplication des manières impropres de s'enrichir et de réaliser des profits faciles en recourant à des activités illégales ou purement spéculatives.


"Dans ta nature, Dieu éternel, je connaîtrai ma nature". ( sainte Catherine de sienne )
L'anthropologie chrétienne est donc en réalité un chapitre de la théologie..
La solution des graves problèmes... n'est pas seulement une question de production économique ou bien d'organisation juridique ou sociale, mais elle requiert des valeurs précises d'ordre éthique et religieux, ainsi qu'un changement de mentalité, de comportement et de structures...
Je suis convaincu... que les religions auront aujourd'hui et demain un rôle prépondérant dans la conservation de la paix et dans la construction d'une société digne de l'homme...
Au troisième millénaire aussi, l'Eglise continuera fidèlement à "faire sienne la route de l'homme", sachant qu'elle ne marche pas toute seule mais avec le Christ, son Seigneur. C'est lui qui a fait sienne la route de l'homme et qui le conduit, même s'il ne s'en rend pas compte.

JEAN-PAUL II, "Centesimus Annus", fin




1993 Thesaurus - Exhortation Apostolique "RECONCILIATIO ET PAENITENTIA"