1993 Thesaurus - PARADOXES
L'Incarnation est le paradoxe suprême.
I - Que le croyant se garde de rester attaché à des théories, comme au bien propre de son intelligence.
La foi doit participer au privilège de la charité : elle ne cherche point à prendre son objet, à l'accaparer; elle s'écoule en lui.
I - La foi ne nous apporte pas une théorie plus belle que ne font les philosophes : elle nous élève au-dessus des théories. Elle nous en fait briser le cercle.
I - Les rationalistes de toute espèce donnent aux hommes des pierres en guise de pain. N'arrive-t-il pas que des théologiens et des hommes d'Eglise changent en pierres le pain véritable qu'ils ont mission de distribuer ?
I - Pour que le fleuve de la Tradition parvienne jusqu'à nous, il faut perpétuellement désensabler son lit.
I - Tout ce qui a une valeur absolue s'inscrit aussitôt dans l'absolu.
I - La vie éternelle n'est pas une "vie future". Par la charité, nous entrons, dès ici-bas, dans l'éternité.
I - Il faut arriver à voir que Dieu n'est pas tant la cause de l'obligation morale, ou la sanction du devoir, que la substance même du Bien.
Alors, ce qu'on nomme la "preuve morale" nous conduit d'un bond jusqu'au vrai Dieu, qui se révèle Dieu de Charité.
I - En tout ce qui touche aux questions essentielles, l'objection est toujours plus facile que la réponse. L'homme animal se fait toujours plus spontanément entendre que l'homme spirituel, et il manque rarement des subtilités et finesses désirables pour paraître, des deux, le plus intelligent.
Mais c'est précisément cette facilité qui m'est suspecte en des sujets ardus; cette clarté, en des sujets mystérieux; cette parole obvie, en des sujets qui demandent réflexion et recherche... C'est cette manière d'être intelligent, en face de problèmes devant lesquels l'homme vraiment grand doit tout d'abord sentir son embarras.
I - ..Que la foi vienne à retomber, restant d'ailleurs parfaitement sincère; qu'elle s'amollisse ou se durcisse : tout lui devient au contraire occasion de recul. Dans le cas d'amollissement, la défense ne joue plus; dans le cas de durcissement, l'assimilation ne se fait plus.
I - Le conformiste prend les choses même de l'esprit par le dehors. L'obéissant prend les choses même de la terre par le dedans.
HENRI de LUBAC, Paradoxes, livre I, Vie de la foi
II - Rien d'excellent ne peut sortir de celui qui d'abord vise un "public".
Le "public" n'est pas un interlocuteur. En s'adressant au "public" on ne parle pas à quelqu'un.
Dans toute recherche du "public" il y a un artifice, une insincérité foncière qui vicie d'avance l'oeuvre entreprise.
II - "Public" et "auteur" sont corrélatifs.
La catégorie du "public" est tout objective et artificielle.
En tant qu'ils forment un "public" les hommes sont extérieurs à eux-mêmes.
Penser aux hommes à travers la catégorie du "public", c'est donc s'interdire de pénétrer jusqu'à l'humain.
II - Il n'y a pas moyen de tricher longtemps : seul le langage de la foi engendre la foi; seul le geste de la charité engendre la charité.
II - La souffrance est le fil dont l'étoffe de la joie est tissée.
Jamais l'optimiste ne connaîtra la joie.
HENRI de LUBAC, Paradoxes, livre II, Témoignage
III - L'adaptation trop recherchée ne peut aboutir qu'à l'actualité de la mode. Elle est toujours superficielle, - et, au suplus, elle vient toujours en retard.
III - "Comment présenter le christianisme ? Comment l'adapter à ceux que je dois évangéliser ?" Souci légitime et nécessaire. Mais il se fait jour trop vite...
Le christianisme n'est pas un objet que nous tiendrions en mains: c'est un mystère en face duquel nous sommes toujours ignorants et profanes.
III - Il ne s'agit pas d'adapter le christianisme aux hommes, mais d'adapter les hommes au Christ.
III - On voulait naguère "défendre" le christianisme. On veut aujourd'hui l' "adapter".
III - Qui ne remonte jamais aux causes profondes n'agira jamais en profondeur.
III - Horreur du style pittoresque qui veut suppléer à la vie profonde !
III - Qui veut trop s'adapter risque de se mettre à la remorque.
HENRI de LUBAC, Paradoxes, livre III, Adaptation
IV - La pensée est d'essence si rare que partout où l'on en découvre une manifestation l'on est tenté, non seulement de la goûter, mais de l'approuver.
IV - Pour celui qui a "vu" un problème, les plus belles choses et les plus vraies, dites par celui qui ne l'a pas vu, ne sont plus que des mots, et encore des mots.
En revanche, pour celui qui n'a pas vu ce problème, les choses les plus réelles... mordantes... incisives... exactement adaptées... les plus "nécessaires", dites par celui qui a vu ne peuvent être que choses en l'air, ima- ginations, complications, subtilités inutiles, recherches d'originalité, abstractions sans fondement...
IV - Point d'étude sérieuse sans un recul, un refus passager qui peut faire l'effet d'une désertion, d'une évasion...
Ce n'est pourtant pas en se tenant toujours au courant de l'actualité quotidienne ou en discutant les slogans de l'homme de la rue et les dernières formes de l'objection courante qu'on vit avec son temps et qu'on se prépare à agir.
IV - ...Il ( le christianisme ) nous échappe dans la mesure où nous croyons le posséder. L'accoutumance et la routine ont une force incroyable de gaspillage et de destruction.
IV - Les oppositions qui sont dans la pensée expriment la contradiction qui est dans l'étoffe même de la création, qui permet le mouvement de l'histoire et que ce mouvement a pour fin de surmonter - sans y parvenir jamais.
IV - Sincérité, c'est fidélité. L'homme est un devoir-être. Il n'a pas seulement, il "est" une vocation. Sincérité, c'est fidélité à sa vocation, puisque c'est fidélité à soi-même.
Hors de là, il n'y a qu'étalement des tendances superficielles et contradictoires, dilettantisme psychologique ou paralysie et désagrégation.
IV - La question n'est pas de savoir si les chrétiens sont toujours très intelligents ( nous savons bien que non ) : elle est de savoir si le christianisme est vrai.
La question n'est pas de savoir si les chrétiens ont toujours fait ce qu'on attendait ou devait attendre d'eux ( nous savons bien aussi que non ) : elle est de savoir si le christianisme est nécessaire au monde.
HENRI de LUBAC, Paradoxes, livre IV, Exigences de l'esprit
V - Les mots finissent par n'avoir plus de sens quand ils ont à la fois tous les sens. Chacun réclame aujourd'hui l' "incarnation" du christianisme dans la vie, chacun se réclame d'un christianisme "incarné".
Mais cette unanimité récouvre la confusion de Babel.
V - ...Plusieurs de ceux qui parlent aujourd'hui d'adapter le christianisme voudraient, au fond, le changer. Plusieurs de ceux qui voudraient, disentils, l' "incarner" davantage voudraient, au fond, l'enliser.
Le christianisme ne doit pas devenir "la religion dont on peut faire ce qu'on veut" ( Franz Overbeck ).
V - Quel beau plan de christianisme incarné Satan présentait à Jésus, dans le désert ! Jésus préféra un christianisme crucifié.
V - Prenons garde que la hantise de la masse à sauver ne devienne une tentation de la séduire par de grossiers prestiges, analogues à ceux dont usent les maîtres temporels. Saint Pierre et saint Paul, arrivant à Rome, n'ont pas cherché quel succédané de l'amphithéâtre ils pourraient offrir à la masse païenne.
V - ...La mort et la résurrection ne détruisent pas l'oeuvre de l'incarnation : elles la consomment. Elles ne reviennent pas en arrière, opérant une désincarnation : elles acheminent vers le but en spiritualisant jusqu'à la chair.
V - ...Mais, comme nous sommes terriblement et presque incurablement charnels, la résurrection même du Sauveur risquait d'être par nous mal comprise.
A la résurrection succède donc l'ascension, destinée à nous en montrer le sens et à nous forcer enfin à porter nos regards en haut, à dépasser l'horizon terrestre et tout ce qui est de l'homme à son état naturel.
Ainsi, la leçon de l'ascension ne contredit pas la leçon de l'incarnation : elle la prolonge, elle l'approfondit. Elle ne nous place pas en deçà ou à côté de la vie humaine : elle nous oblige à l'accomplir en nous faisant viser au-delà.
V - C'est quand le germe spirituel perd de sa vigueur, quand le principe religieux se dérobe, que la théorie marxiste de la religion devient vraie.
La vie spirituelle est une création continue : dans la mesure où elle fléchit, les explications matérialistes ont raison contre elle.
V - Dans la mesure où, manquant de foi, nous croyons notre univers spirituel dépendant des conditions économiques, sociales, politiques, intellectuelles même, du milieu où nous vivons, il le devient en effet.
L'illusion s'engendre elle-même et se change en réalité. Dés lors, celui qui en est victime peut se féliciter de sa perspicacité réaliste.
HENRI de LUBAC, Paradoxes, livre V, "Incarnation"
VI - Rien de fécond ne se fait, dans l'ordre de l'esprit, par une recherche utilitaire. Il faut évacuer tout souci pragmatique si l'on veut produire un fruit substantiel et durable.
VI - La recherche de l'adaptation entraîne comme son ombre la recherche du succès. Mais quelle sera la norme de ce succès ?
L'aura-t-on obtenu lorsqu'on aura satisfait tout le monde ?...
Ce succès-là risque fort de n'être que le signe de l'inefficacité. Rien de fort, rien de neuf, rien d'urgent ne pénètre en l'homme qu'à travers des résistances...
VI - Le succès consiste-t-il à "arriver" ? Ou consiste-t-il à réaliser le beau programme pour lequel on avait formé le légitime dessein d'arriver ?
VI - Si l'on peut dire qu'une première ébauche de "chrétienté" fut réalisée au moyen âge, c'est parce qu'alors les croyants regardaient vers l'Eternel.
HENRI de LUBAC, Paradoxes, livre VI, Désintéressement
VII - L'ordre social le plus parfait peut être un monde d'âmes mortes. Il a même quelques chances de plus que tout autre d'être de ce monde.
VII - Un paradis social peut être un enfer spirituel; - auquel cas, d'ailleurs, il cesserait bien vite d'être même un paradis social. Il peut être aussi tout simplement un désert spirituel...
VII - Il nous faut constamment veiller à ce qu'une action qui ne se désintéresse pas des conséquences sociales de l'Evangile demeure fidèle à l'inspi- ration évangélique, afin de ne pas verser dans quelque rêve d'eudémonisme ou dans une sorte d'humanisme social où la part de la chimère pourrait être grande...
VII - "L'institution chrétienne" apparaît aux yeux de tous comme la force la plus conservatrice et la plus opportuniste qui soit, tandis que la "réflexion chrétienne", lorsqu'elle s'exerce en sa pureté, se révèle au contraire comme la puissance la plus révolutionnaire, la plus insatisfaite et la plus chargée d'absolu.
VII - La croyance à l'éternité ne nous arrache pas au présent, comme on nous le dit quelquefois, pour nous perdre dans le rêve : c'est exactement le contraire. Bien plutôt est-ce en manquant à l'éternité que les chrétiens ont manqué à leur temps. Et ceux qui n'envisagent qu'un avenir terrestre ne risquent pas moins d'être absents de leur temps...
VII - Ne confondons pas l'engagement chrétien avec un engagement temporel.
Celui-ci peut être un devoir, il peut, en certains cas, s'imposer au chrétien avec urgence, mais il est autre chose.
La profession chrétienne est, avant tout, une exigence d'engagement spirituel.
VII - Plus un prêtre a conscience de la haute mission spirituelle qui est la sienne et lui est fidèle en effet, plus il a le droit - parce qu'il en a le devoir - de se détacher des problèmes purement politiques et des intérêts humains. Son attitude à l'égard du pouvoir apparaîtra donc faite à la fois d'un loyalisme accomodant et d'une certaine indifférence, jusqu'à le faire juger par les uns trop servile et par les autres trop distant.
HENRI de LUBAC, Paradoxes, livre VII, Le social et l'éternel
I - Quels reproches n'a-t-on pas faits à la théologie, de réduire toute pensée en esclavage !
A quoi l'on peut répondre d'abord que, du moins, la situation qu'elle établissait était franche. Le croyant proclame en effet sans équivoque qu'il soumet son intelligence à la Foi. Combien de pensées dites libres qui sont hypocritement esclaves !
Il convient d'observer ensuite que la théologie n'a pas manqué d'affranchir son esclave...
I - Les idées s'usent vite. Les mots pourrissent plus vite encore. Et quand la pensée se trouve elle-même viciée, elle corrompt à mesure tous les mots auxquels on recourt dans l'espoir de la redresser.
I - Les changements qui comptent ne sont jamais gratuits. Ils proviennent de ce que de nouvelles questions furent posées, exigeant des réponses originales. Le snobisme de modernité n'y fut pour rien.
I - L'amour du vrai ne va jamais sans hardiesse. Et c'est une des raisons pourquoi le vrai n'est pas aimé.
I - Chacun a son filtre, qu'il porte partout avec lui, à travers lequel il recueille, de la masse indéfinie des faits, ceux qui sont propres à confirmer ses préjugés...
Rares, très rares sont ceux qui vérifient leur filtre.
I - Quand il a l'intérêt pour complice, l'esprit n'est jamais embarrassé pour faire concorder n'importe quoi avec n'importe quoi.
La "dialectique" moderne lui fournit dans ce sport une commodité de plus en lui permettant d'occuper sans gêne, tour à tour et presque sumultanément, les positions les plus contradictoires.
Voir ce qu'est devenue sa "dialectique" au XXème siècle doit être, j'imagine, le Purgatoire de Hegel.
I - Il en est qui disent : "Nous rejetons toute attitude partisane et nous professons l'objectivité. C'est la seule attitude honnête." Il en est d'autres qui disent : "Nous rejetons tout dilettantisme et nous professons l'engagement. Seule cette attitude est digne de l'homme." ...Et trop souvent les uns ne savent croire en rien et n'ont le courage de rien évaluer; condamnés à la neutralité perpétuelle et ne comprenant rien à fond parce qu'ils sont incapables de rien choisir et de se donner à rien; - tandis que les autres, jusque dans la générosité de leur ardeur et peutêtre dans la justesse de leur choix, se rendent sans cesse injustes et sectaires en cédant à leur passion.
I - Il est un culte de l'intelligence qui, en fait, la trahit et la moque, parce qu'il n'est pas le culte de la vérité.
I - Plus épaisse est l'ignorance, plus elle se croit éclairée.
I - Ceux qui n'ont pas eu d'autre souci que de "marcher avec leur temps", épousant ses goûts, ses idées, ses passions, ses préjugés, ses engouements, ses manies, - ceux-là seront vite vieillis, dépassés. Ils sont, comme on dit, "à la page" : mais une page est vite tournée.
I - Interprétation banalement moralisante de ceux qui n'ont pas étudié historiquement le sujet; interprétation étroitement historiciste de ceux qui ne l'ont pas approfondi spirituellement: l est bien rare qu'un grand sujet ne soit pas livré à l'un ou à l'autre de ces deux genres d'interprétation; à l'une ou à l'autre de ces médiocrités alternantes.
I - Dieu nous garde de jamais confondre le ronron de nos habitudes mentales avec Sa Vérité !
I - La première marque que nous puissions donner de notre véracité, c'est l'aveu de notre mensonge.
I - ...Ne croyons pas que dans les questions mêmes les plus simples ou dans les faits les plus commodes à contrôler, le vrai puisse aisément se faire jour. Ce serait mal connaître l'homme, et non seulement son pouvoir de se laisser abuser, mais toutes les forces secrètes qui font de lui le complice du faux.
I - Ce n'est pas la sincérité, c'est la Vérité qui nous délivre. Or elle ne nous délivre que parce qu'elle nous transforme. Elle nous arrache à notre esclavage intime. Chercher avant tout la sincérité, c'est peut-être, au fond, ne vouloir pas être transformé; c'est tenir à soi, s'aimer morbidement, tel qu'on est, c'est-à-dire menteur. C'est refuser la délivrance.
I - Les belles carrières de certains "intellectuels" sont de belles existences d'animaux domestiques. La société qu'ils servent n'a cessé de les choyer.
Leur principal emploi fut de lui tenir le miroir.
I - La seule existence possible pour l'esprit est " une vie errante et toujours menacée "... La menace pour lui la plus insidieuse est celle qui se cache sous la faveur.
HENRI de LUBAC, Nouveaux paradoxes, livre I, Pensée, Vérité
II - Les anciens spirituels étaient aussi habiles à dépister les illusions que le sont les récents psychologues. Sans doute, même, un peu plus.
Mais ils le faisaient par une autre voie, qui aboutissait à un autre terme.
Ils le faisaient au nom même de cette spiritualité que bien des récents psychologues commencent par nier comme étant l'illusion globale.
Ils purifiaient la source que leurs successeurs tarissent.
II - L'abus de la psychanalyse fait sans doute plus de victimes que son usage n'opère de guérisons.
Son premier ravage est alors de persuader qu'il ne s'agit que de guérison à obtenir, en des cas où c'est une conversion qu'il s'agirait de provoquer.
Le moralisme est cause de grands désordres. Mais combien pire la dissolution de la morale dans l'estimation même du sujet !
II - On parle un peu trop aisément de l'athéisme comme déterminé et pour ainsi dire sécrété par les conditions de la vie ouvrière moderne. Même dans ce qu'elle a de vrai, l'explication est trop courte.
On oublie trop que cet athéisme a d'abord été professé, organisé, propagé par des intellectuels qui ne participaient en rien à ce genre d'existence, et qu'il est encore incessamment inculqué du dehors aux masses ouvrières.
II - La conscience, a-t-on dit, s'éveille dans le péché. Du moins peut-on dire avec une certitude plus entière qu'à la réflexion elle se connaît, dès le début, conscience du péché.
Heureuse connaissance, heureuse honte ! Dieu, qui ne tire pas seulement quelques biens de quelques maux, mais qui, par une puissance plus admirable que celle qui est à l'oeuvre dans la création première, par la puissance de sa sainteté créatrice, du "Mal" tire le "Bien", nous relève par là.
C'est ici le plus paradoxal exemple de l'idée qui ravissait Pascal, que toujours notre misère est au principe de notre grandeur.
II - ...Ce n'est pas un extrémiste, ni un homme partial. C'est un sage. Il est équitable. Il se garde de toute passion. Au reste, il a de l'expérience, il sait qu'en toute affaire les torts sont partagés...
Aussi recourt-on volontiers à son arbitrage. De deux adversaires qui le prennent à témoin, si l'un dit que deux et deux font cinq, et l'autre qu'ils font quatre, il penche prudemment vers la solution moyenne : deux et deux, suggère-t-il, font à peu près quatre et demi.
II - Comment s'étonner de voir tant d'hommes insensibles à l'exigence de la pure idée du Vrai, quand on en voit tant qui sont pareillement fermés à tout rayonnement du Beau ?
II - On dit légèrement de certains hommes qu'ils furent inefficaces. Ils ont eu cependant la plus belle efficacité. Ils ont maintenu la délicatesse humaine, la noblesse humaine... Et ces choses-là ne se maintiennent pas toutes seules.
D'autres efficacités, trop vantées, n'ont-elles pas consisté surtout à nous déshumaniser.
II - Rien n'est plus ingénieux, plus obstiné, plus méchant, voire, en un sens, plus perspicace, que la médiocrité pourchassant toute forme de supériorité qui l'offusque.
II - Rien de plus exigeant que le goût du médiocre. Sous une apparence toujours modérée, rien de plus intempérant. Rien de plus sûr en son instinct.
Rien de plus impitoyable en ses refus. Il ne souffre aucune grandeur, il ne fait grâce à aucune beauté.
HENRI de LUBAC, Nouveaux paradoxes, livre II, L'homme
III - Qu'on nous garde d'une nature enfin pleinement humanisée, - à supposer que cela fût possible, - si le résultat ou la condition devait en être un homme pleinement naturalisé !
III - ...Il importe également de ne point oublier que beaucoup réclament au nom de la justice, qui voudraient seulement, de bonne foi peut-être, se trouver enfin les plus forts ou les plus avantagés.
III - "Toutes les conséquences de l'Evangile !" Oui. Mais d'abord toute sa substance. Toutes ses exigences. Ou, plus modestement : sa lettre.
Sinon, je crains que la course aux conséquences ne soit en réalité une fuite; que la prétendue plénitude ne soit une trahison; que l'oubli de la lettre première ne fasse perdre l'esprit.
III - ...La vie intérieure peut paraître étouffée par la vie sociale, comme la vie privée par la vie publique...
III - Celui qui n'a pas autant et plus de vraie pitié, de pitié vraiment charitable pour la misère spirituelle de tant de riches, que pour la misère matérielle des pauvres, celui-là n'a point en lui les sentiments du chrétien.
HENRI de LUBAC, Nouveaux paradoxes, livre III, L'Evangile et le monde
IV - Déposer tout préjugé, ne serait-ce pas, à la limite, abdiquer toute différence ? Une humanité dans laquelle régnerait une pleine et totale compréhension de tous à l'égard de tous ne serait-elle pas une humanité réduite à l'état de troupeau ?
IV - On croit observer les progrès de la tolérance : on ne s'aperçoit pas que c'est une intolérance qui se substitue à une autre.
IV - Pamphlet, caricature, vulgarisation grossière, manoeuvre politique, arrogance et brutalité tenant lieu de preuve, insinuations désobligeantes, psychanalyse de bazar : tout cela se pare aujourd'hui volontiers du beau nom de "philosophie engagée".
IV - ...L'humain pourrait être exclu du social, sacrifié au social, et dans ce cas le social lui-même perdrait sa valeur. Il ne tarderait point à redevenir le social antique. Il ne serait plus qu'un nouveau Moloch.
IV - ...La faim de l'âme est aussi brutale que la faim du corps. Elle est aussi mortelle. Seulement, si l'on fait déjà peu d'attention à ceux qui meurent de la faim du corps, ceux qui meurent de la faim de l'âme n'attirent aucune attention...
IV - Deux illusions symétriques, également mortelles : compter sur la persuasion de la parole pour faire pratiquer la justice; - compter sur la force de la loi pour fonder le règne de la charité.
IV - Dés que la charité se fait technicienne, elle ne peut plus être assurée - sauf en certaines opérations très simples, très élémentaires - d'atteindre son but.
IV - Il faut ( faudrait ! ) assurer à tous prix l'avènement du règne de la charité, suivant le plan qu'on a conçu, jugé seul efficace. Il faut que ce plan réussisse, que la bonne cause triomphe. Il faut lui rallier les masses.
Il faut l'imposer aux récalcitrants...
IV - ...Quant à l'homme sans foi religieuse, à l'homme qui est tout entier "de ce monde", il a bien de la peine à échapper au fanatisme sans tomber dans l'écueil inverse du scepticisme égoïste.
IV - Ce n'est pas être charitable envers les hommes que de laisser ruiner en soi le seul trésor inaliénable qu'on pourrait leur transmettre : la foi, l'espérance, l'amour de Jésus-Christ.
Si l'on veut conserver ce trésor intact et vivant, le faire fructifier audedans et au-dehors, il est nécessaire d'être d'autant plus traditionnel en religion qu'on se montre plus ouvert aux besoins et aux appels du siècle.
HENRI de LUBAC, Nouveaux paradoxes, livre IV, Rapports humains
V - La déception est une ennemie redoutable. Elle engendre la tentation de la tristesse et du mépris. La plus haute victoire est de conserver, malgré elle, fraîcheur et joie matinales.
La déception n'est pas seulement un breuvage amer : c'est un poison, - et qu'il ne dépend pas de nous de ne point avaler. Mais ce poison peut être vaincu.
V - Avec la prière et avec l'amour, la souffrance est l'une des trois voies qui nous libèrent du sentimentalisme...
La voie qui libère du sentimentalisme est aussi celle qui donne accès aux sources profondes de l'affectivité.
V - Travaillons à tout progrès...
Mais ne nous laissons point aller à croire que le progrès réduise jamais le mal humain, le tragique humain : il l'augmenterait bien plutôt.
A mesure qu'il échappe à maintes servitudes de sa condition physique ou de sa condition sociale, l'homme, se trouvant en situation de se mieux connaître et d'être plus attentif à soi découvre davantage le drame de la condition humaine.
V - Dans l'ordre de l'esprit, on ne trouvera jamais de procédé pour l'enfantement sans douleur.
HENRI de LUBAC, Nouveaux paradoxes, livre V, Souffrir
VI - La plus grande corruption : celle qui dissout l'idée de bien dans l'idée de l'utile; celle qui dissocie le moyen et la fin, les rendant hétérogènes l'un à l'autre...
VI - La mystification est la plus énorme : celle qui réussit à persuader que la vie spirituelle est une mystification.
VI - Pour quiconque aime une certaine solidité pesable, une certaine sécurité constatable, l'esprit ne sera jamais chose solide et sûre. L'esprit n'a pas de pesanteur. Il n'est jamais une force de tout repos. C'est une force toujours libre, toujours inventive, et par conséquent toujours inquiétante.
VI - Tout ce qui en vaut la peine se heurte toujours à l'obstacle. Tout ce qui agit provoque réaction. Seul ce qui ne change rien à rien trouve sans effort sa place au soleil. Les applaudissements unanimes ne vont jamais qu'à ceux qui tendent à leur public un miroir embellissant ou qui lui prêtent complaisamment sa propre voie.
VI - Le triomphe de l'esprit, comme déjà celui de la plus humble vie, est le triomphe de l'improbable. Il est normal qu'il soit rare et précaire.
VI - On ne connaît le péché et l'imperfection qu'à mesure qu'on s'en délivre ou plutôt, qu'on en est délivré.
Ce n'est pas le pécheur qui connaît le péché, c'est le saint. C'est le héros qui sait ce qu'est la médiocrité, non le médiocre.
VI - Et si vous-même un jour, pensiez avoir entendu l'appel qui fait les prophètes, sachez en outre que cet aiguillon sera dur. Aprés avoir regimbé, quand vous serez enfin vaincu, sachez qu'il vous faudra faire pénitence dans le sac et la cendre, mourir à vos vues habituelles, puis vous aguerrir contre les avanies, à commencer par le mépris de vos proches et la fuite de vos amis...
VI - Le chrétien ne demande pas le bonheur. Jésus lui apprend à demander que le Nom du Père soit sanctifié, que son Règne arrive, que sa Volonté soit faite.
VI - De même que l'homme a domestiqué certains animaux, ainsi la société entreprend-elle incessamment la domestication de l'esprit. Depuis toujours elle connaît en cet art de larges succès, nombreux et durables.
HENRI de LUBAC, Nouveaux paradoxes, livre VI, Vie spirituelle
VII - Le christianisme, dit-on, doit ceci, et ceci, et ceci encore au judaïsme.
Il a emprunnté cela, et cela, et cela encore à l'hellénisme. Ou à l'essénisme.
Tout est hypothéqué chez lui de naissance...
A qui donc le christianisme a-t-il emprunté Jésus-Christ ?
VII - Sur tout autre sujet, quelqu'un qui ne s'y intéresserait pas du tout n'éprouverait pas le besoin d'en parler. Il semble au contraire qu'un certain nombre d'athées s'intéressent étrangement à ce que l'on sache qu'ils ne s'intéressent pas du tout à l'idée de Dieu. Curieux désintéressement !
VII - J'accueille toute leur science, - ils repoussent toute ma foi. Combien mon sort est meilleur que le leur !
VII - Quand le monde pénètre à l'intérieur de l'Eglise, il y est pire que le monde tout court. Il n'a, de celui-ci, ni la grandeur dans l'éclat illusoire, ni cette espèce de loyauté dans le mensonge, la méchanceté et l'envie, reconnus d'avance comme sa loi. Quand le monde ecclésiastique est monde, il n'est du monde que la caricature. C'est le monde, non seulement en plus médiocre, mais encore en plus laid.
Mais jamais ce monde là, même aux pires moments, ne triomphe tout à fait.
VII- La passion réformiste dans l'Eglise est généralement en proportion inverse de la vie surnaturelle, et voilà pourquoi ce n'est presque jamais d'elle que procèdent les réformes authentiques et bienveillantes.
VII - Quand on rêve d'un culte de l'esprit pur, ou d'une pure Eglise de l'Esprit, on ne s'aperçoit pas de la menace dont ce rêve est gros : au lieu de l'esprit de la lettre, n'avoir plus qu'une lettre de l'esprit.
VII - Nous désirons trop être rassurés, et nous n'acceptons pas d'être dépaysés. c'est pourquoi nous nous faisons une religion mesquine, et nous cherchons un salut mesquin. A notre mesquine mesure.
Nous sommes sans courage devant toutes les formes de mort qui sont les portes obligatoires de la Vie. Dans notre timidité misérable, nous abandonnons la nouveauté chrétienne et la liberté chrétienne à ceux qui les corrompent, et cela même nous est un prétexte à nous en détourner davantage. Incrustés en lui comme des parasites mais sans en recevoir la greffe transformante, nous faussons le christianisme aux yeux de ceux pour qui nous le représentons.
Le mettant au service de l'homme le plus naturel, nous lui enlevons sa séduction la plus haute et nous le faisons blasphémer...
Mais comment se fait-il, ô merveille, qu'un peu de lumière continue cependant à filtrer ?
HENRI de LUBAC, Nouveaux paradoxes, livre VII, Foi
Si j'avais un Dieu que je puisse connaître, je ne le tiendrais pas pour Dieu... l'Un sans mélange, pur, lumineux...
Maître ECKHART
Il ne faut pas réfléchir à ce qu'on doit faire, mais à ce qu'on doit être.
Maître ECKHART
L'être créé n'est qu'un être participé. Tous les blancs sont blancs à partir de la blancheur.
Maître ECKHART
Les fleuves retournent au lieu d'où ils viennent... L'origine et la fin, le bien et la fin sont identiques.
Maître ECKHART, sur l'âme issue de la Création et son retour à Dieu
Jamais encore personne ne s'est assez renoncé en cette vie qu'il ne puisse trouver à se renoncer davantage.
Maître ECKHART
Quand Dieu te trouve prêt, il lui faut agir et s'épancher en toi, de même que, dans un air clair et pur, il faut que le soleil se répande et il ne peut s'en dispenser.
Maître ECKHART
L'homme ne doit pas se contenter d'un Dieu qu'il pense, car lorsque la pensée s'évanouit, Dieu s'évanouit aussi.
Maître ECKHART
Quand je dis le plus intérieur, je veux dire le plus élevé, et quand je dis le plus élevé, je veux dire le plus intérieur.
Maître ECKHART
Dans l'éternité il n'y a ni avant, ni après. Ce qui est arrivé voici mille ans, ce qui arrivera dans mille ans et ce qui arrive maintenant, n'est qu'un dans l'éternité.
Maître ECKHART
Il faut que l'homme apprenne à coopérer avec son Dieu...
Que l'intériorité se manifeste dans l'opération extérieure, que l'on réintroduise l'opération extérieure dans l'intériorité...
Maître ECKHART
On ne peut devenir riche de toutes les vertus avant que l'on ne soit devenu pauvre en toutes choses... C'est un marché honnête, un échange équitable...
Maître ECKHART
Dieu n'est pas bon, Il est bonté.
Maître ECKHART
L'homme bon et la bonté ne sont rien qu'une seule bonté, absolument une, avec la différence que l'une engendre et que l'autre est engendré.
Maître ECKHART
Je préférerais qu'un homme riche et puissant, un roi, m'aimât et me laissât néanmoins un certain temps sans me faire un présent, plutôt que de me faire immédiatement un présent sans m'aimer sincèrement...
Maître ECKHART
Dieu donne tout ou rien, Il m'a donc donné autant qu'à son Fils.
Maître ECKHART
Ce qui, de l'intérieur est mû par moi-même.
Ce qui est mû de l'extérieur ne vit pas.
Maître ECKHART, sur la vie
Garde-toi de toi-même, tu auras fait bonne garde.
Maître ECKHART
Quand le temps est-il accompli ? Quand il n'y a plus de temps.
Pour celui qui, dans le temps, a mis son coeur dans l'éternité, en qui toutes les choses temporelles sont mortes, c'est la plénitude du temps.
Maître ECKHART
L'unité unit toute multiplicité, mais la multiplicité n'unit pas l'unité.
Maître ECKHART
Si nous lui découvrons tout, il nous découvrira à son tour tout ce qu'il a et il ne recouvrira absolument rien de tout ce qu'il peut nous offrir...
Maître ECKHART
Je puis en effet me tromper, je ne puis pas être hérétique, car l'erreur est affaire d'intelligence, l'hérésie dépend de la volonté.
Maître ECKHART
Car toutes choses dépendent tellement de Dieu que si un seul instant sa main se retirait, elles retomberaient dans le néant.
Maître ECKHART
Celui qui est tel qu'il doit être envers Dieu devrait toujours considérer que Dieu, fidèle et aimant, a amené l'homme d'une vie coupable a une vie divine, a fait de son ennemi son ami, ce qui est plus que de créer une nouvelle terre.
Maître ECKHART
L'oeuvre appartient plus à celui qui en est la cause qu'à celui qui la réalise.
Maître ECKHART
On possède plus la chose éloignée que l'on veut que celle qui est posée sur les genoux et dont on ne veut pas.
Maître ECKHART
Dieu est, voilà ce qu'on peut dire de moins inadéquat sur lui.
Maître ECKHART
Au commencement était le Verbe ( le connaître, l'intelligence... ) et non pas l'être.
Maître ECKHART
N'accueillez pas le mode de présentation de Dieu, c'est lui qui le choisit.
Accueillez Dieu et soyez satisfait du mode.
Maître ECKHART
Le verbe naît dans l'âme qui s'est renoncée.
Maître ECKHART
Ne dis rien sans Lui, et Il ne dira rien sans toi.
Si je Lui donne tout ce que je suis, Il me donnera tout ce qu'Il est.
Maître ECKHART
L'homme ayant renoncé permettra à la Création de retourner à Dieu.
Maître ECKHART
En dépit des mouvements de la sensibilité l'âme peut rester unie par son sommet à la volonté divine ( le Christ a bien été triste jusqu'à la mort ).
Maître ECKHART
L'âme qui a fait sa percée, qui est retournée à Dieu par le Fils unique, est devenue par grâce ce qu'Il est par nature.
L'âme est redevenue ce qu'elle était, ni Dieu ni créature, sans décroître ni croître..
Maître ECKHART
Les gens ne devraient pas tant réfléchir à ce qu'ils ont "à faire"; ils devraient plutôt songer à ce qu'ils doivent être.
Maître ECKHART
Alors la Trinité tout entière, avec la puissance de la divinité ( le Père ), la bonne volonté de l'humanité ( le Fils ) et la noblesse de l'Esprit-Saint pénétra tout son corps virginal.
MECHTILDE de MAGDEBOURG, sur Marie
Parce que l'âme, plongée en Dieu, n'a plus conscience de la différence entre elle et Lui, il n'en résulte pas que cette distinction soit abolie.
JAN RUYSBROECK
La présence de Dieu n'est pas une séparation extérieure des choses extérieures, elle est la solitude de l'esprit; si vous l'avez, vous pénétrez les personnes et les choses à une telle profondeur qu'elles perdront leur puissance et leur action contre vous.
JAN RUYSBROEK
Il faut rassembler tout ce qui était dispersé, les choses unies étant plus fortes. Quand un archer veut atteindre une cible, il ferme un oeil pour que l'autre vise plus exactement...
Celui qui veut connaître une chose à fond y applique toutes ses pensées et force ses puissances à rentrer dans l'âme d'où elles se sont répandues au dehors.
JEAN TAULER
Si l'oreille est remplie d'un son, elle n'entend plus aucun autre son.
Pour que l'on puisse recevoir, il faut être disponible, libre et dépouillé.
JEAN TAULER
Nul ne comprend bien la vraie distinction que ceux qui sont parvenus à l'unité.
JEAN TAULER
L'intérieur a cent mille fois plus d'étendue, de largeur, de profondeur et de longueur que l'extérieur.
JEAN TAULER
C'est pourquoi l'oeil doit être sans aucune couleur, afin de voir toutes les couleurs. De même l'oeil intérieur doit être net et pur de tout vouloir ainsi que de tout non-vouloir s'il veut voir bien et clair.
JEAN TAULER
Quand le "coeur" est bien et parfaitement orienté, tout va bien aussi pour le reste. Et quand le "coeur" est perverti, tout est perverti, consciemment ou inconsciemment.
JEAN TAULER
Tu n'en es plus maître ( de ton coeur ). Et Dieu ne peut pas entrer.
Impossible ! A ta porte tu as placé des gardiens; ce sont les créatures.
Elles empêchent Dieu d'entrer...
Autant tu sors, autant Il entre.
JEAN TAULER
La surabondance de la richesse suressentielle de la bonté divine ne permettait pas à Dieu de se tenir enfermé en lui-même. Il devait se répandre et communiquer.
JEAN TAULER
Recueille-toi avec tes facultés supérieures, au-dessus du temps, car c'est là que Dieu réside...
JEAN TAULER
Qu'est-ce donc que ce nuisible chuchotement de l'ennemi ? C'est tout le désordre qu'il fait miroiter en toi et qu'il te persuade d'accepter.
JEAN TAULER
Veux-tu que dieu parle ? Tout doit de taire.
JEAN TAULER
La nature voudrait avoir quelque chose, savoir quelque chose, vouloir quelque chose. Et il en coûte à la nature avant que ces trois "quelque chose" soient morts en elle.
JEAN TAULER
Si vous voulez devenir de plus en plus chers à Dieu, il vous faut renoncer à vos recherches à l'extérieur et vous tourner vers l'intérieur.
JEAN TAULER
Certains hommes sont tellement raboteux et si peu abandonnés que Dieu doit employer avec eux le balai dur et raide de multiples tentations et de la souffrance afin de leur apprendre à s'abandonner.
JEAN TAULER
Au ciel Lucifer se dressa en voulant être quelque chose. Cela le précipita au fond des abîmes, dans le gouffre d'un néant pire que tout néant.
JEAN TAULER
Plus tu auras été vidé plus aussi tu recevras. Autant ce qui vient de toi diminue, autant ce qui vient de lui augmente.
Fais le vide et Dieu sera forcé de le combler.
JEAN TAULER
Deux êtres ou deux formes ne peuvent pas coexister en même temps. La chaleur doit-elle entrer ? Le froid doit nécessairement sortir.
Dieu doit-il entrer ? le créé et toute possession doivent sortir.
JEAN TAULER
On ne peut comprendre la Trinité que parvenu à l'unité.
JEAN TAULER
Combien de temps encore le fils prodigue de la modernité voudra-t-il garder les cochons avant de retrouver le chemin vers la maison du Père ?
GERARD ESBACH, à propos de Jean Tauler
On croit l'énergie spirituelle résistante à toute épreuve. Elle est fragile comme le souffle... Elle se dégrade par démission en chaîne, par d'imperceptibles fragments de démission accumulés, par d'innocentes minuscules démissions juxtaposées.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
Jusqu'à aujourd'hui nous ne savions pas son absence mortelle. Nous vivions inconsciemment dans sa surabondance. Nous le produisions tout naturellement plus que nous ne le consommions. Nos réservoirs en débordaient.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler, sur le sens
Il est impossible que de l'immanence bouclée en stricte immanence puisse sortir autre chose que du tautologique trop humain. Il faut à l'homme plus que l'homme pour devenir vraiment humain.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
Une sorte de mystique passe-partout, forme possible de toutes espèces de contenus inessentiels. Quelque chose comme un pur formalisme mystique qui évacue toute présence réelle, toute histoire, toute rencontre.
Transcendantalité sans transcendance...
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler, sur la quête actuelle
d'une spiritualité aseptisée
Nous qui, désertant la maison du Père, nous voulions maîtres de l'universel, nous nous sommes retrouvés clochards des insignifiances.
Jusqu'où faudra-t-il traîner nos faméliques illusions pour, à nouveau, être touché par la nostalgie des espaces paternels ?
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
Bouclant la boucle de l'homme sur lui-même nous nous sommes constitué un empire d'humanité. De façon autogène. Sans l'autre. En autonomie...
Avec nos longueurs à nous, nos largeurs à nous, nos hauteurs à nous et nos profondeurs à nous. Quelque chose comme une caverne... ( celle de Platon ).
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
Tentation de l'ange Luci-fer. Les "lumières"... 'Vous serez comme des dieux !' L'euphorie alors occulte ce qui un jour, nécessairement, adviendra. C'est écrit. 'Ils virent qu'ils étaient nus...'.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
De cet espace , culturel, mental,... de sticte "humanité" il fallait symétrique inversion du récit de la Genèse ? - chasser Dieu.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
L'homme révélé divin par grâce ne la refuse pas sans faire la bête.
Lorsque l'homme se détourne de la source de son être, fatalement lui reste sa radicale facticité. Une étendue d'absurde.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
L'homme est sans doute trop grand pour être offert aux augures des maîtres penseurs de ce temps. Le mystère des profondeurs humaines, même barricadées, est trop saint pour être livré aux trafiquants du temple.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
La source est claire. Seul le fleuve est boueux. Il s'agit de remonter le fleuve. Il s'agit de faire retour à sa fondamentale origine.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
L'individualité, par son insistance sur le "Je" personnel, signifie perte de l'universel... constitution en faux-être.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
Ce qui importe à la mystique ce n'est donc pas la substance mais la relation... La relation n'est pas "quelque chose"; elle est acte.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
Quand on a compris le pourquoi et le comment de cette descente, on comprend le pourquoi et le comment de la remontée et son urgence.
Encore faut-il savoir. Encore faut-il comprendre. La connaissance est donc la première condition du retour libérateur.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler, sur le salut : retour vers
l'Un, antithèse de la descente dispersante
C'est l'Autre qui sauve. Le salut n'est pas dans la recherche de la plénitude de soi, ni dans la conquête du vide de cette plénitude. Car en ces recherches et en ces conquêtes n'est jamais visé que le "même"...
La charité est l'ultime critère d'une mystique authentiquement chrétienne.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
Il en va de la découverte du "coeur" comme de celle d'un objet précieux égaré. C'est en n'insistant pas que tu trouves, tout étonné, ensuite, de ne l'avoir pas vu immédiatement.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
A la source l'être ne s'est pas encore drapé dans l'opacité de son "il y a"; il est encore transparent de l'acte créateur du "Je suis".
Ici ne coule encore que l'originelle liberté...
Ici la nature est encore "don" avant de se figer en "donné".
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
La verticale signifie la crucufixion de notre "naturelle" horizontalité.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
L'aventure mystique n'est pas du milieu. On ne peut s'y installer. Elle a lieu aux extrêmes... Lorsqu'à l'âme sont refusés les paisibles pâturages et qu'elle est prise en chasse.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
Seul le milieu invite à la résidence. Les extrêmes sont inhabitables.
C'est pourtant dans les extrêmes qu'habite Dieu...
L'irruption de Dieu dans une existence humaine participe de la violence.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
La "dialectique" au sens moderne du mot signifie conquête de positivité à travers la négativité. Si le "même" n'est pas éclaté par l'"autre", il ne reste que lui-même et jamais rien d'autre ne sera.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
La vérité de l'homme est en avant de l'homme. La vérité de la condition humaine est dans sa rupture et dans son ouverture.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
La condition humaine ne se boucle pas en continuité avec ce qui est donné naturellement. La condition humaine est très profondément une condition "pascale". L'homme ne devient homme véritablement qu'"à travers"...
Rupture. Exode. Traversée...
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
La croix est crise de l'être dans toute sa largeur et dans toute sa profondeur. Elle est déroute de toutes les valeurs. Elle est faillite de toutes les logiques.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
Ce que conteste la mystique chrétienne ce n'est pas le monde mais la "mondanité". C'est à dire la clôture du monde sur sa suffisance, la crispation du monde sur sa schizoïde immanence. C'est à dire le monde en rupture d'alliance.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
Comme le pain, le monde n'est pas pour lui-même. Il est pour être rompu.
Il est pour être distribué.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
Mais le monde est lent à risquer ses sécurités d'immanence. Il préfère articuler, désarticuler et réarticuler à l'infini ses certitudess installées. Il résiste à sa transfiguration.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
Plutôt que d'accomplir ne fût-ce que partiellement notre totalité, nous préférons réaliser totalement notre partialité.
GERARD ESCHBACH, à propos de Jean Tauler
1993 Thesaurus - PARADOXES