1993 Thesaurus - Consolation de la Philosophie


RIVAROL



Il y a deux vérités qu'il ne faut jamais séparer. Premièrement que la souveraineté réside dans le peuple. Deuxièmement que le peuple ne doit jamais l'exercer.
RIVAROL

Que de zéros pour une simple soustraction.
RIVAROL, sur les Etats généraux de 1789

La vanité fait plus d'heureux que l'orgueil.
RIVAROL

Quand les peuples cessent d'estimer ils cessent d'obéir.
RIVAROL

Enfermé dans ma paresse, je voyais croître autour de moi ma réputation de méchant sans qu'il m'en coûtât d'autre crimes que quelques gaietés, et je me disais : les Néron, les Caligula commettaient bien des crimes pour se faire craindre et haïr, tandis qu'avec quelques plaisanteries, ils auraient passé pour des monstres.
RIVAROL, à propos de son "Almanach des grands hommes"

Si la révolution s'était faite sous Louis XIV, Cotin eût fait guillotiner Boileau, et Pradon n'eût pas manqué Racine. En émigrant, j'échappai à quelques jacobins de mon Almanach des grands hommes.
RIVAROL

Un homme habitué à écrire écrit aussi sans idées, comme un vieux médecin nommé Bouvard, qui tâtait le pouls de son fauteuil en mourant.
RIVAROL

Il n'est rien de si absent que la présence d'esprit.
RIVAROL


Les souverains ne doivent jamais oublier qu'un écrivain peut recruter parmi des soldats, et qu'un général ne peut jamais recruter parmi des lecteurs.
RIVAROL

Il faut au peuple des vérités usuelles et non des abstractions.
RIVAROL

Le peuple donne sa faveur, jamais sa confiance.
RIVAROL

Les besoins fondent les droits et les droits fondent les pouvoirs; mais en France on a donné au peuple des pouvoirs dont il n'avait pas le droit, et des droits dont il n'avait pas le besoin.
RIVAROL

Le prince absolu peut être un Néron, mais il est quelquefois Titus ou Marc-Aurèle; le peuple est souvent Néron, et jamais Marc-Aurèle.
RIVAROL

Dans les temps calmes les réputations dépendent des hautes classes; mais dans les révolutions elles dépendent des basses, et c'est le temps des fausses réputations.
RIVAROL

Un bourgeois souffrira peut-être plus impatiemment d'être comparé à un savetier qu'un noble à un bourgeois.
RIVAROL

C'est une bonté sotte et cruelle que de consulter les enfants sur l'état qu'ils ont à prendre : il faut choisir pour eux, et ne pas les jeter dans des indécisions qui leur font perdre toute confiance en nous, sans leur en faire trouver davantage en eux-mêmes. Il en est de même des peuples et de leur gouvernement.
RIVAROL

Les passions sont les orateurs des grandes assemblées.
RIVAROL


Voltaire a dit : Plus les hommes seront éclairés et plus ils seront libres.
Ses successeurs ont dit au peuple que plus il serait libre, plus il serait éclairé; ce qui a tout perdu.
RIVAROL

Les Français, las de se gouverner, se massacrèrent; las de se massacrer audedans, ils subirent le joug de Bonaparte, qui les fait massacrer au-dehors.
RIVAROL

Un pouvoir exorbitant donné tout à coup à un citoyen dans une république forme une monarchie ou plus qu'une monarchie. Quand on succède au peuple, on est despote.
RIVAROL

Si le pouvoir absolu d'un seul s'établit en France, la philosophie opposera moins de digues à la tyrannie que la religion.
RIVAROL

Nous sommes dans un siècle où l'obscurité protège mieux que la loi et rassure plus que l'innocence.
RIVAROL

La dévote croit aux dévots, l'indévote aux philosophes; mais toutes deux sont également crédules.
RIVAROL

Le martyr d'une vieille religion a l'air d'un entêté; le martyr d'une religion nouvelle a l'air d'un inspiré.
RIVAROL

Ceux qui demandent des prodiges ne se doutent pas qu'ils demandent à la nature l'interruption de ses prodiges.
RIVAROL

Le dévot croit aux visions d'autrui; le philosophe ne croit qu'aux siennes.
RIVAROL


Le plus bel artifice de l'esprit humain, qui consiste à créer des termes collectifs, a été la cause de presque toutes ses erreurs.
RIVAROL

Rien n'étonne quand tout étonne : c'est l'état des enfants.
RIVAROL

L'enfant prend tout ce qu'il trouve et pleure quand il faut restituer.
RIVAROL

L'enfant exerce d'abord sa volonté sur tout ce qui l'environne : si on lui cède en tout, il devient tyran; si on lui résiste arbitrairement en tout, il devient esclave.
RIVAROL

Les enfants crient ou chantent tout ce qu'ils demandent, caressent ou brisent tout ce qu'ils touchent, et pleurent tout ce qu'ils perdent.
RIVAROL

De même que ce sont les images des objets, et non les objets mêmes, qui frappent nos yeux, ainsi nos âmes sont frappées des opinions qu'on a des choses, et non des choses mêmes.
RIVAROL

Les philosophes n'ont négligé aucune des routes de l'erreur, expliquant tantôt des apparences par des réalités, et tantôt des réalités par des apparences. Cicéron avait remarqué qu'il n'y avait rien de si absurde qui n'eût déjà été dit par quelque philosophe.
RIVAROL

Quand on a raison vingt-quatre heures avant le commun des hommes, on passe pour n'avoir pas le sens commun pendant vingt-quatre heures.
RIVAROL

Il y a deux grandes traditions dans l'antiquité qu'on n'a pas assez remarquées; Satan, le premier des anges, veut détrôner son bienfaiteur; le fruit de la science du bien et du mal donne la mort.
L'une enseigne que l'ingratitude est inhérente à tout être créé, l'autre que les lumières ne rendent pas les peuples heureux.
RIVAROL


Le coeur est la partie infinie de l'homme; l'esprit a ses limites. On n'aime pas Dieu de tout son esprit, on l'aime de tout son coeur.
RIVAROL

Les jeunes gens auprès des femmes sont des riches honteux, et les vieillards des pauvres éffrontés.
RIVAROL

Le ciel vous préserve de l'amour d'une Anglaise !
RIVAROL

On corrompt la fille innocente avec des propos libres, et l'amour délicat séduit la femme galante : fruit nouveau pour l'une et pour l'autre.
RIVAROL

En général, l'indulgence pour ceux qu'on connaît est bien plus rare que la pitié pour ceux qu'on ne connaît pas.
RIVAROL

Pourquoi préfère-t-on pour sa fille un sot qui a un nom et un état a un homme d'esprit ? C'est que les avantages du sot se partagent, et que ceux de l'esprit sont incommunicables : un duc fait une duchesse; un homme d'esprit ne fait pas une femme d'esprit.
RIVAROL

Ce ne sont pas les peines d'un état qui nous dégoûtent, mais les plaisirs d'un autre.
RIVAROL

Il faut écarter les sots; ce sont eux qui ont commencé, ils ont fait vingt blessures avant d'en recevoir une.
RIVAROL

Le jugement se contente d'approuver et de condamner; mais le goût jouit et souffre. Il est au jugement ce que l'honneur est à la probité : ses lois sont délicates, mystérieuses et sacrées...
RIVAROL


Si les sots parvenaient à prendre une idée des souffrances qu'ils nous font endurer, ils nous plaindraient.
RIVAROL

A un sot qui se vantait de savoir quatre langues : Je vous félicite, vous avez quatre mots contre une idée.
RIVAROL

C'est sans doute un terrible avantage que de n'avoir rien fait, mais il ne faut pas en abuser.
RIVAROL

Le peuple est un souverain qui ne demande qu'à manger, et sa majesté est tranquille quand elle digère.
RIVAROL


M. Brevet de Beaujour a été soupçonné de n'être parvenu à tant d'honneur qu'en contrefaisant la médiocrité; mais jamais soupçon ne fut plus injuste, ni déguisement plus inutile. Il est arrivé naturellement à tout, et il n'a eu besoin que de se faire connaître pour désarmer l'envie.

C'est dans la rue que Camille Desmoulins s'est établi avec son éloquence, et il a tous les passants pour admirateurs. Avec trois mots savants : nation, lanterne et aristocrate, il a su se mettre à la portée de l'honnête garçon boucher, de la modeste poissarde, et de tous ces nouveaux lecteurs qu'a enfantés la révolution.
Il faut de telles plumes pour conduire le peuple et l'accoutumer à avoir des idées.

Ce grand homme ( le comte de Mirabeau ) a senti de bonne heure que la moindre vertu pouvait l'arrêter sur le chemin de la gloire, et jusqu'à ce jour, il ne s'en est permis aucune.
L'argent ne lui coûte que des crimes, et les crimes ne lui coûtent rien.

Le duc d'Orléans s'est laissé louer, adorer, estimer même... et il se serait laissé couronner, si le trône ne fût pas devenu le poste le plus périlleux de la monarchie.


RIVAROL, petit dictionnaire des grands hommes de la révolution


Mirabeau était l'homme du monde qui ressemblait le plus à sa réputation : il était affreux.
RIVAROL

Mirabeau est capable de tout pour de l'argent, même d'une bonne action.
RIVAROL

Mirabeau, à la tribune, affectait le geste de la statue de Lord Chatham, et profita un jour d'une plaisanterie faite par un enfant dont il tira parti dans une de ses harangues. Que penser de l'éloquence d'un homme qui vole ses gestes à un mort et ses bons mots à un enfant ?
RIVAROL

Le jour même de leur toute-puissance, les philosophes ont composé leur "déclaration des droits de l'homme", cette préface criminelle d'un livre impossible; pour avoir oublié que, de toutes les autorités, celle à qui le peuple obéit le moins, c'est lui-même.
RIVAROL

De ce qu'une révolution s'opère par les fautes de la cour, il ne faut pas conclure qu'elle se fait par les vertus du peuple.
RIVAROL

L'homme prendra toujours pour ses amis les ennemis de ses ennemis.
Les gouvernements n'étaient pas aimés; les philosophes les attaquaient, et le peuple les crut ses amis !
RIVAROL

La philosophie moderne n'est autre chose que les passions armées de principes.
RIVAROL

Si vous ne trompez que quelques personnes, vous ne vous tirerez pas du rang des fourbes; mais celui qui trompe tout un peuple s'élève à la législature et à l'empire, et celui-là est maître des hommes, qui enlève et non qui mérite les suffrages.
Il en est de même de l'or et de ses corruptions : "la quantité rend excusable" dit La Fontaine.
On juge encore des malheurs comme des vices, dont on rougit d'autant moins qu'on les partage avec plus de monde.
RIVAROL


La vie étant un tout, c'est-à-dire ayant un commencement, un milieu et une fin, il n'importe pas qu'elle soit d'une longue ou d'une courte durée; mais il importe qu'elle ait ses proportions.
RIVAROL

Il faut avoir la faculté de s'étendre sans s'égarer.
RIVAROL

Au lieu de statuer que la loi serait égale pour tous les hommes, ils décrétèrent que les hommes étaient naturellement égaux sans restriction.
S'ils eussent dit que toutes les conditions sont égales, on se serait moqué d'eux; ils ne décrétèrent donc que l'égalité des hommes, préférant ainsi le danger au ridicule : je dis le danger; car les hommes étant déclarés égaux, et les conditions restant inégales, il devait en résulter un choc épouvantable.
RIVAROL, des philosophes

C'est que les philosophes ont confondu l'égalité avec la ressemblance.
Les hommes naissent en effet semblables, mais non pas égaux.
RIVAROL, des philosophes

Si parmi tant d'hommes qui se gorgent de richesses, il en est si peu d'heureux, c'est que les moyens qui rendent un homme propre à faire fortune sont les mêmes qui l'empêchent d'en jouir.
RIVAROL

D'un joueur devenu courtisan : il ne vole plus depuis qu'il rampe.
RIVAROL

Sur vingt personnes qui parlent de nous, dix-neuf en disent du mal, et le vingtième, qui en dit du bien, le dit mal.
RIVAROL

Que faire entre des malveillants qui disent étourdiment le mal dont ils ne sont pas sûrs, et des amis qui taisent prudemment le bien qu'ils savent ?
RIVAROL


Non seulement le Dieu des hommes est un homme; mais le Dieu des Juifs était Juif...
RIVAROL

Je dormais; l'évêque dit à cette dame : laissons-le dormir, ne parlons plus.
- Je lui répondis : si vous ne parlez plus, je ne dormirai pas.
RIVAROL

M. de Créqui ne croit pas en Dieu, il craint en Dieu.
RIVAROL

Certains auteurs ont une fécondité merveilleuse; Garat a une malheureuse fécondité.
RIVAROL

Sur M. de S... : C'est un homme qu'on fuit dans les temps calmes, et qui fuit dans les temps d'orage.
RIVAROL

Les peuples les plus civilisés sont aussi voisins de la barbarie que le fer le plus poli l'est de la rouille.
RIVAROL

Celui qui n'aurait pour rendre ses pensées, ni le mot propre, ni le secours des figures, serait un homme à plaindre; mais celui qui parlerait de tout en termes techniques serait un homme à fuir.
RIVAROL

La langue est un instrument dont il ne faut pas faire crier les ressorts.
RIVAROL

On dirait qu'il y a dans les dictionnaires certains mots usés qui attendent qu'il paraisse un grand écrivain pour reprendre toute leur énergie.
RIVAROL

Il est bien ridicule d'intituler un livre "Histoire philosophique, Examen impartial..." Je verrai bien si ton histoire est philosophique, si ton examen est impartial. Tu mets un jugement eu lieu d'un titre.
RIVAROL


Un livre qu'on soutient est un livre qui tombe.
RIVAROL

A Paris, l'esprit se soutient et s'agrandit dans la rapide sphère des événements et des conversations; en province, il ne subsiste que de lectures; aussi faut-il choisir les hommes dans la capitale, et dans la province ses livres. Ici l'ouvrage le plus vanté n'en impose à personne, ou n'en impose pas longtemps : on sait bientôt à quel parti l'auteur s'est attaché, quelles mains le protègent ou l'élèvent, et les lumières acquises dans le cercle dissipent les illusions où pourraient nous jeter les journalistes...
Mais, quand un livre prôné par tous les journaux et soutenu par un grand parti arrive en province, l'illusion est complète, pour les jeunes gens surtout. Ceux qui ont du goût s'étonnent de ne pas admirer, et la vogue d'un mauvais ouvrage fait chanceler leur raison...
RIVAROL

Je préfère Racine à Voltaire, par la raison que j'aime mieux le jour et les ombres que l'éclat et les taches.
RIVAROL

L'abbé Millot n'est pas un historien; il fait des commissions dans l'histoire.
RIVAROL

Je vous écrirai demain sans faute.
- Ne vous génez pas, lui répondis-je, écrivez-moi comme à votre ordinaire.
RIVAROL

"Monsieur, prenez garde à un serpent qui s'approche" vous crie un grammairien français; et le serpent est à vous avant qu'il soit nommé. Un latin vous eût crié : "Serpentem fuge"; et vous auriez fui au premier mot sans attendre la fin de la phrase. En suivant Racine et La Fontaine de près, on s'aperçoit que, sans jamais blesser le génie de la langue, ils ont presque toujours nommé le premier l'objet qui frappe le premier...
RIVAROL


Différence des passions aux idées :
On disait à Voltaire aux Champs-Elysées ( pas l'avenue actuelle ! ) "Vous vouliez donc que les hommes fussent égaux ?
- Oui...
Mais savez-vous qu'il a fallu pour cela une révolution effroyable ?
- N'importe..." ( On parle à ses idées ).
Mais savez-vous que le fils de Fréron est proconsul, et qu'il dévaste les provinces ?
- Ah Dieux ! Quelle horreur !" ( On parle à ses passions ).
RIVAROL

Les méthodes sont les habitudes de l'esprit et les économies de la mémoire
RIVAROL

Les esprits extraordinaires tiennent grand compte des choses communes et familières, et les esprits communs n'aiment et ne cherchent que les choses extraordinaires.
RIVAROL

L'homme ne jouit jamais d'une liberté plénière, mais seulement d'une liberté de second ordre; par exemple, il est libre de manger de telle ou telle chose; mais il n'est pas libre de ne pas manger du tout.
RIVAROL

La grandeur d'un homme est comme sa réputation : elle vit et respire sur les lèvres d'autrui.
RIVAROL

Le coeur est la partie infinie de l'homme; l'esprit a ses limites. On n'aime pas Dieu de tout son esprit, on l'aime de tout son coeur.
J'ai remarqué que les gens qui manquent de coeur, et le nombre en est plus grand qu'on ne croit, ont tous un amour-propre excessif, une certaine pauvreté dans l'esprit, car le coeur rectifie tout dans l'homme; qu'ils sont jaloux et ingrats et qu'il ne s'agit que de les obliger pour s'en faire des ennemis.
RIVAROL


Il faut plutôt, pour opérer une révolution, une certaine masse de bêtise d'une part qu'une certaine dose de lumière de l'autre.
RIVAROL

Dans le corps politique, le gouvernement est le moyen et la félicité publique le but. Mais, en démocratie, le moyen et le but étant dans les mêmes mains, le peuple ne s'occupe que du premier...
RIVAROL

S'il est vrai que les conjurations soient quelquefois tracées par des gens d'esprit, elles sont toujours exécutées par des bêtes féroces.
RIVAROL

Une sûreté entière... voilà la vraie liberté sociale.
RIVAROL

"Politesse dans l'inférieur", signe de son état; "dans le supérieur", signe de son éducation : aussi, malgré la Révolution, celui-ci continue pour n'avoir pas l'air d'avoir perdu son éducation, tandis que l'homme du peuple cesse d'être poli pour prouver qu'il a changé d'état. Il brave, il insulte, parce qu'il obéissait autrefois, parce qu'il flattait : c'est à ce signe qu'il reconnaît l'égalité.
RIVAROL

Un grand peuple remué ne peut faire que des exécutions.
RIVAROL

Le grand métaphysicien Siéyès a pris à contre-sens tous les principes de la métaphysique, quand il a posé son axiome insensé de la raison universelle, maîtresse du monde : il écarte toutes la théorie des passions et les effets de l'ignorance.
RIVAROL

Si vous eussiez consulté tous les Français avant les Etats généraux, vous auriez vu que chacun voulait un peu de la révolution actuelle. Il semble que la fortune n'ait fait que recueillir les voix pour la donner toute entière; chacun à part dit : "C'est trop."
RIVAROL


Révolution vient du mot "revolvere", qui signifie mettre sens dessus dessous.
RIVAROL

Les Français ont mis la liberté avant la sûreté. Cependant l'homme quitte les bois où la liberté l'emporte sur la sûreté, pour arriver dans les villes, où la sûreté l'emporte sur la liberté.
RIVAROL, ( du temps sans doute où les villes étaient sûres ! )

Un roi honnête homme et qui n'est que cela, est un pauvre homme de roi.
RIVAROL

Un peuple sans territoire et sans religion périrait, comme Antée, suspendu entre le ciel et la terre.
RIVAROL

Si le peuple craint le roi, il n'y a pas de révolte, et, si les rois craignent le peuple, il n'y a pas d'oppression; mais il y a toujours anarchie ou despotisme quand la crainte n'est que d'un côté.
RIVAROL

Ils ont rendu l'insurrection constitutionnelle; mais la fièvre n'est point constitutionnelle dans l'homme; elle est souvent inévitable, mais il faut toujours la repousser.
RIVAROL

Un courtisan ( et je ne crois pas qu'il y ait quelque chose au monde de plus sot qu'un courtisan ) répondait à Louis XIV, qui lui demandait l'heure : "Sire, l'heure qu'il plaira à Votre Majesté."
RIVAROL

Vers les derniers temps, on ne pouvait plus réussir à la cour de France sans avoir quelques ridicules qui se faisaient aimer, ou une nullité parfaite qui vous faisait supporter.
RIVAROL


Dans les temps de trouble et dans les Etats électifs, les ambitieux sont les fanatiques de la liberté; dans les temps calmes et dans les Etats héréditaires, ils sont des modèles de bassesse. L'envieux ne varie pas. L'ambition dicte moins de lois dans les états monarchiques que l'envie dans les démocratiques.
RIVAROL

Si jadis la supériorité était quelquefois orgueilleuse, aujourd'hui c'est l'égalité : ce qui a rendu en France l'insolence universelle.
RIVAROL

La faveur que le gouvernement accorde aux sujets doit toujours être en raison inverse de la mobilité de leurs richesses. Ainsi celui qu'on doit favoriser le plus, c'est le laboureur, véritable enfant de la terre, dont les richesses sont immobiles comme elle, et qui, pour produire, a besoin de l'espace, du temps et de tous les éléments de la nature. Après lui vient le commerçant, dont les richesses sont un peu plus mobiles : mais qui ne peut pourtant se passer du temps, des chemins, des fleuves et des mers.
Je mets au dernier rang l'homme à argent, qui, ici un magicien, peut, d'un trait de plume, transporter sa fortune au bout du monde; et qui, n'agitant jamais que des signes, se dérobe également à la nature et à la société.
Le gouvernement ne doit rien à un tel homme. Cette maxime est fondamentale, et on peut toujours juger un ministre d'après elle.
RIVAROL

Un pauvre vous demande de l'argent par pitié pour lui; un voleur vous en demande par pitié pour vous-même : et c'est en mélangeant ces deux manières que les gouvernements tour à tour mendiants et voleurs, ont toujours l'argent des peuples.
RIVAROL

L'homme d'Etat sans caractère est toujours plus redoutable que le méchant.
On dit qu'il est zéro, oui, mais il est zéro plus tous les méchants qui l'environnent et le gouvernent. Nous regarderions comme le plus funeste des plantes celle qui serait tantôt salutaire et tantôt vénéneuse; les poisons fixes ne sont pas si dangereux.
RIVAROL


Malheur à ceux qui remuent le fond d'une nation ! Il n'est point de siècle de lumière pour la populace. Souvenez-vous... que lorsqu'on soulève un peuple on lui donne toujours plus d'énergie qu'il n'en faut pour arriver au but qu'on se propose, et que cet excédent de force l'emporte bientôt audelà de toutes les bornes.
RIVAROL




RAYMOND DEVOS



Le rire et moi, nous nous connaissons bien, mais nous restons sur nos gardes... Je suis producteur, pas consommateur.
RAYMOND DEVOS

Un ululement de percepteur.
Je ne sais pas si vous avez déjà entendu hululer un percepteur...
C'est sinistre ! inhumain !
RAYMOND DEVOS, le possédé du percepteur

Quand on s'est connus, ma femme et moi.. on était tellement timides tous les deux.. qu'on n'osait pas se regarder !
Maintenant on ne peut plus se voir !
RAYMOND DEVOS, ma femme

Si tu étais plus belle, je me serais déjà lassé..
Tandis que là.. ! je ne m'y suis pas encore habitué !
RAYMOND DEVOS, ma femme

Vous voudriez que je fasse comme tous ceux qui n'ont rien à dire et qui le gardent pour eux ?
Eh bien, non ! moi, lorsque je n'ai rien à dire, je veux qu'on le sache !
Je veux en faire profiter les autres !
RAYMOND DEVOS, parler pour ne rien dire

- A quoi pensiez-vous en regardant cette jolie femme ?
- A la même chose que vous !
- Vous êtes un dégoûtant personnage !
RAYMOND DEVOS, dégoûtant personnage

Il déteste les étrangers ! il déteste à tel point les étrangers que lorsqu'il va dans leur pays, il ne peut pas se supporter !
RAYMOND DEVOS, xénophobie


Elle était si discrète
Qu'après avoir rendu son tout dernier soupir
Elle en rendit un autre
Que personne n'entendit...
RAYMOND DEVOS, les chansons que je ne chante pas

- Vous êtes dans une ville de fous ici..
Vous n'êtes pas au courant ?
- Si, des bruits ont couru ! . . . . . . . . . . . . . .
- Il y en a qui courent au plus pressé.
D'autres qui courent après les honneurs..
Celui-ci court pour la gloire..
Celui-là court à sa perte ! . . . . . . . . . . . . . .
- Mais pourquoi courent-ils si vite ?
- Pour gagner du temps !
Comme le temps c'est de l'argent.. plus ils courent vite, plus ils en gagnent ! . . . . . . . . . . . . . . .
- Et le reste du temps ?
- Ils courent faire leurs courses.. au marché !
RAYMOND DEVOS, Où courent-ils ?

Les gens disent tous la même chose !
Ils disent tous lorsqu'il leur arrive quelque chose : "ça n'arrive qu'à moi !"
De temps en temps, il y en a un à qui il n'arrive rien, qui ne dit pas comme tout le monde.
Il dit : "ça n'arrive qu'aux autres !"
RAYMOND DEVOS, ça n'arrive qu'à moi

Voulez-vous me prêter l'oreille ?
Il paraît que quand on prête l'oreille, on entend mieux.
RAYMOND DEVOS, prêter l'oreille


Et tout en mangeant, ils alimentaient la conversation.
RAYMOND DEVOS, alimenter la conversation

Alors, les gens : "Pourquoi ne montez-vous pas plus haut ?"
RAYMOND DEVOS, la chute ascensionnelle

Quand on demande aux gens d'observer le silence.. au lieu de l'observer, comme on observe une éclipse de lune, ils l'écoutent.. et tête baissée, encore !
Ils ne risquent pas de le voir, le silence.. !
Parce que les gens redoutent le silence.
Ils le redoutent !
Alors, dès que le silence se fait, les gens le meublent.
Quelqu'un dit : "Tiens ? un ange passe !" alors que l'ange, il ne l'a pas vu passer !
S'il avait le courage, comme moi, d'observer le silence en face, l'ange, il le verrait !
RAYMOND DEVOS, un ange passe

La force de l'imaginaire !
On s'imagine que l'imaginaire, c'est léger.. c'est futile !
Alors que c'est primordial !
Seulement, il faut faire attention !
Lorsqu'on a la prétention, comme moi, d'entraîner les gens dans l'imaginaire, il faut pouvoir les ramener dans le réel, ensuite.. et sans dommage !
C'est une responsabilité !
Parce que vous entraînez les gens dans l'imaginaire et puis, il y en a qui vont plus loin que vous ! et vous rentrez tout seul !
RAYMOND DEVOS, supporter l'imaginaire


Epargnons ! Epargnons !
C'est le mot d'ordre du ministre des Finances !
Epargnez ! Epargnez ! Et je vous épargnerai !
RAYMOND DEVOS, les ombres d'antan

Si vous le permettez je vais vous montrer le bout d'un tunnel..
Rares sont ceux qui dans le réel, ont vu le bout d'un tunnel !
D'ailleurs, dans un tunnel, il n'y a que le bout d'intéressant !
RAYMOND DEVOS, le bout du tunnel

Vous n'avez pas vu ma femme ?
J'ai perdu ma femme !
Je l'ai perdue une fois de plus !
Cent fois, je l'ai perdue, et cent fois, je l'ai retrouvée !
Il y a un destin.
Il y en a qui perdent leur femme du premier coup.. et c'est pour toujours..
C'est pour la vie; c'est définitif !
Moi, à chaque fois il faut que je recommence ! . . . . . . . . . . . . . . . . .
La première fois que j'ai perdu ma femme, je l'ai perdue par inadvertance et je l'ai retrouvée par hasard ! . . . . . . . . . . . . . . . . .
Je ne l'ai perdue ni par inadvertance ni par hasard et je l'ai retrouvée.. par erreur !
RAYMOND DEVOS, une de perdue

D'autant que je croyais que sa dernière heure, elle ferait soixante minutes, une durée normale, quoi !
RAYMOND DEVOS, dernière heure


Je dois vous dire tout d'abord que je me suis fait tout seul et.. que je me suis raté. . . . . . . . . . . . . . . . .
Non seulement il est raté, mais en plus, il n'est pas fini ! . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pour un raté, rater, c'est estimer avoir réussi là où les autres considèrent qu'ils ont raté !
RAYMOND DEVOS, je me suis fait tout seul

- Monsieur, est-ce que les histoires que vous racontez ne vous empêchent pas de dormir ?
- Si, mais comme ce sont des histoires à dormir debout, je récupère !
RAYMOND DEVOS, le vent de la révolte

Ils réclamaient des têtes !
Ils n'avaient pas les moyens de se payer la tête de quelqu'un, les pauvres !
RAYMOND DEVOS, le vent de la révolte

Il était professeur en parapsychologie..
Un front comme ça ! énorme.
Professeur en parapsychologie..
Avec deux yeux au-dessus du front ! ça a l'air monstrueux, comme ça..
Pas pour un professeur en parapsychologie !
RAYMOND DEVOS, le parapsychologue et l'artiste




LEON BLOY



Il n'y a que les saints ou les antagonistes des saints capables de délimiter l'histoire.
LEON BLOY

La "folie" des croisades est ce qui a le plus honoré la raison humaine.
Antérieurement au Crétinisme scientifique, les enfants savaient que le Sépulcre du Sauveur est le centre de l'univers, le pivot et le coeur des mondes.
LEON BLOY

Il n'y a qu'une tristesse, c'est de n'être pas des Saints.
LEON BLOY

Les chrétiens galopent modérément vers le martyre.
LEON BLOY

Pourquoi un homme qui a vécu comme un cochon a-t-il le désir de ne pas mourir comme un chien ?
LEON BLOY

L'effroyable transition "de l'utérus au sépulcre" qu'on est convenu d'appeler la vie.
LEON BLOY

Que Dieu nous protège du feu, du couteau et de la littérature contemporaine.
LEON BLOY

Jésus est venu pour les pauvres, dites-vous. Hé ! sans doute. Mais il est venu pour les riches aussi, afin qu'ils se fissent pauvres par amour, et vous ne pouvez pas ignorer que des centaines de milliers de saints ont obéi; Jésus est venu pour les ÂMES, voilà ce qu'il faut dire.
LEON BLOY


Léon XIII est mort hier, à quatre heures de l'après-midi. Il y a vingt-ans que j'attends son successeur.
LEON BLOY, Journal, sur les attitudes jugées trop conciliantes de
Léon XIII



EXEGESE DES LIEUX COMMUNS



Préface et documents annexes :

- Obtenir enfin le mutisme du Bourgeois, quel rêve !

- Rien n'est éternel, disent-ils. Cependant, ô Bourgeois, ta sottise a bien le caractère de l'éternité.

- Le vrai Bourgeois, c'est-à-dire, dans un sens moderne et aussi général que possible, l'homme qui ne fait aucun usage de la faculté de penser et qui vit ou paraît vivre sans avoir été sollicité, un seul jour, par le besoin de comprendre quoi que ce soit, l'authentique et indiscutable Bourgeois est nécessairement borné dans son langage à un très petit nombre de formules.
Si on était assez béni pour lui ravir cet humble trésor, un paradisiaque silence tomberait aussitôt sur notre globe consolé.

- Le Bourgeois profère à son insu, continuellement et sous forme de lieux communs, des affirmations très redoutables dont la portée lui est inconnue et qui le feraient crever de peur, s'il pouvait s'entendre lui-même.

- ( Dans ce livre ) je descends chaque jour dans des galeries souterraines et redoutables où m'apparaissent des figures de démons.
J'y descends pour qu'on puisse dire de moi comme du Dante que j'ai vu l'enfer.

- Le spectacle des imbéciles m'a coûté les yeux de la tête.
La contemplation de la bêtise, la description et l'analyse de la "muflerie contemporaine" deviennent vite insupportables. "La bêtise n'est pas mon fort" ( aurait pu dire Léon Bloy comme Monsieur Teste ). Elle n'est pas non plus inépuisable. Au dégoût s'ajoute assez vite une impression de monotonie.



Note personnelle :


. Si on remplace, quatre vingt dix ans après, certains lieux communs par des expressions "dans le vent" aujourd'hui et le qualificatif démodé de "bourgeois" par son équivalent actuel : "cadre", "téléspectateur assidu", "journaliste"... ( chacun suivant ses goûts ), l'oeuvre de Léon Bloy n'a pas plus perdu de sa saveur que, toutes proportions gardées, les "Maximes" de La Rochefoucauld ou Les "Pensées" de Pascal n'ont perdu de leur pertinence.

. Bien sûr, il ne s'agit ici que d'extraits, de phrases par-ci par-là, omettant toutes les anecdotes et les digressions qui donnent sa saveur à cet ouvrage méconnu ( et pour cause ! ).
De même, on verra d'après la numérotation que j'ai omis même d'aborder quantité des lieux communs disséqués par Léon Bloy.


Première série

I - DIEU N'EN DEMANDE PAS TANT ! ... N'est-ce pas une occasion de stupeur de songer que cette chose est dite, plusieurs millions de fois par jour, à la face conspuée d'un Dieu qui "demande" surtout à être 'mangé' ! Le marchandage perpétuel impliqué par ce lieu commun a ceci de troublant qu'il rend manifeste le manque d'appétit d'un monde...
Il n'est pas téméraire de conclure que l'imprécise "demande" de Dieu équivaut à rien, et ce Dieu n'ayant plus rien à demander, en fin de compte, à des adorateurs qui peuvent indéfiniment rétrécir leur zèle...
Si Dieu n'en demande pas tant, il est forcé, par une conséquence invincible, d'en demander de moins en moins... et finalement de tout refuser...

II - RIEN N'EST ABSOLU ... La plupart des hommes de ma génération ont entendu cela toute leur enfance. Chaque fois que nous cherchâmes un tremplin pour nous évader... le Bourgeois nous apparut, armé de ce foudre.
Nécessairement, alors, il nous fallait réintégrer le profitable "profit" et la sage Ordure.
Presque tous, il est vrai, s'y acclimatèrent, par bonheur, devenant, à leur tour, des Olympiens...
Aussitôt, c'est une question de savoir s'il est meilleur d'égorger ou de ne pas égorger son père, de posséder vingt-cinq centimes ou soixante-quatorze millions, de recevoir des coups de pied dans le derrière ou de fonder une dynastie...



1993 Thesaurus - Consolation de la Philosophie