1993 Thesaurus - Nouvelle série :


JORIS-KARL HUYSMANS



C'est par la vision du surnaturel du mal que j'ai d'abord eu la perception du surnaturel.
J. K. HUYSMANS

Elle est une contemplative hors le monde et elle est également un homme d'Etat; elle est le Colbert féminin des cloîtres.
J. K. HUYSMANS, sur sainte Thérèse d'Avila

Les ordres contemplatifs sont les paratonnerres de la société.
J. K. HUYSMANS

Chacun doit être l'aide-jardinier de sa propre âme.
J. K. HUYSMANS



LA CATHEDRALE



J'ai tort de vous parler de la sorte, vous ne nous pressez dans vos bras que lorsque nous sommes incapables de marcher; vous soignez, vous caressez la pauvre âme qui naît dans une conversion; puis quand elle peut se tenir sur ses jambes, vous la déposez à terre et la laissez essayer par elle-même ses propres forces ( s'adressant à la Sainte Vierge ).
C'est utile et c'est juste, mais n'empêche que le souvenir de ces célestes allégeances, de ces premières liesses perdues, désespère !

Dieu agit avec nous comme avec les plantes; il est, en quelque sorte, l'année de l'âme, mais une année où l'ordre naturel des saisons est interverti, car les saisons spirituelles commencent par le printemps auquel succède l'hiver et l'automne arrive suivi à son tour par l'été; au moment de la conversion, c'est le printemps, l'âme est en liesse et le Christ sème en elle ses graines; puis viennent le froid et l'obscurité; l'âme terrifiée se croit abandonnée et se plaint, mais sans qu'elle le sente, pendant ces épreuves de la vie purgative, les graines germent sous la neige; elles lèvent dans la douceur contemplative des automnes, fleurissent enfin dans la vie unitive des étés.

Saint Matthieu qui développe le thème de l'Incarnation, précise la généalogie humaine du Messie, a pour signe caractéristique l'homme.
Saint Marc qui s'occupe plus spécialement de la thaumaturgie du Fils, qui s'étend moins sur sa doctrine que sur ses miracles et sur la Résurrection, a pour attibut le lion.
Saint Luc qui traite plus particulièrement des vertus de Jésus, de sa douceur, de sa patience, de sa miséricorde, qui s'arrête plus longuement sur son immolation, est armorié par le boeuf ou par le veau.
Saint Jean qui promulgue avant tout la divinité du Verbe est blasonné par l'aigle.

Saint Pierre arborant la croix sur laquelle il fut attaché, la tête en bas; saint André, une croix latine et non les traverses en forme d'X sur lesquelles on le cloua; puis saint Philippe, saint Thomas, saint Matthieu, saint Simon, armés tous, d'un glaive, bien que saint Philippe ait été crucifié et lapidé, saint Thomas percé d'un coup de lance et saint Simon scié.
Saint Paul, substitué à saint Matthias, le successeur de Judas; il exhibait une épée; puis saint Jean, son Evangile; Jacques le Majeur, un glaive; Jacques le Mineur, une massue de foulon; saint Barthélemy, le coutelas avec lequel on l'écorche et saint Jude, un livre.
Saint Thomas spécifié généralement par une équerre et une règle, car l'on assure qu'il construisit une église à Méliapour; ce pourquoi, il fut, au Moyen Âge, le patron des architectes et des maçons.


De l'influence du symbolisme sur les âmes.
Le Moyen Âge qui savait que sur cette terre tout est signe, tout est figure, que le visible ne vaut que par ce qu'il recouvre d'invisible, le Moyen Âge qui n'était pas, par conséquent, dupe, comme nous le sommes, des apparences, étudia de très près cette science et il fit d'elle la pourvoyeuse et la servante de la mystique.
Convaincu que le seul but qu'il importait à l'homme de poursuivre, que la seule fin qu'il lui était nécessaire, ici-bas, d'atteindre, c'était d'entrer en relations directes avec le ciel et de devancer la mort, en se versant, en se fondant autant que possible en Dieu, il entraîna les âmes, les soumit à un régime tempéré de cloître, les émonda de leurs préoccupations terrestres, de leurs visées charnelles, les orienta toujours vers les mêmes pensées de renoncement et de pénitence, vers les mêmes idées de justice et d'amour, et, pour les contenir, pour les préserver d'elles-mêmes, il les cerna d'une barrière, mit autour d'elles Dieu en permanence, sous tous les aspects, sous toutes les formes.
Jésus surgit de partout, s'attesta dans la faune, dans la flore, dans les contours des monuments, dans les parures, dans les teintes; de quelque côté qu'il se tourna, l'homme le vit.
Et il vit aussi, de même qu'en un miroir qui la reflétait, sa propre âme; il put reconnaître, dans certaines plantes, les qualités qu'il devait acquérir, les vices contre lesquels il lui fallait se défendre.

Ce fut une succession ininterrompue de leçons pieuses... les prêtres enseignaient la symbolique au peuple... l'oeuvre de saint Méliton était populaire et connue de tous. Le paysan savait donc que sa charrue était l'image de la croix, que les sillons qu'elle traçait étaient les coeurs labourés des Saints; il n'ignorait pas que les gerbes étaient les fruits de la contrition; la farine, la multiplication des fidèles; la grange, le royaume des cieux; et il en était de même pour bien des métiers; bref, cette méthode des analogies fut pour chacun une constante invite à se mieux observer et à mieux prier.
Ainsi maniée, la symbolique servit de garde-frein pour enrayer la marche en avant du péché et de levier pour soulever les âmes et les aider à franchir les étapes de la vie mystique.


Sans doute, cette science... ne fut accessible que dans ses principales lignes aux masses... elle eut l'air d'être décousue, pleine de volte-faces d'acceptions et d'aléas de sens. Il semble alors que le symboliste se plaise à découper avec de petits ciseaux à broder un cil; mais, en dépit de ces exagérations qu'elle tolérait, en souriant, l'Eglise n'en réussit pas moins, par cette tactique de l'insistance, à sauver les âmes, à pratiquer en grand la culture des saints.
Puis vint la Renaissance et la symbolique sombra en même temps que l'architecture religieuse.

Quant aux suppliques que vous pouvez éprouver le besoin d'adresser à Dieu, en dehors des heures réservées à leur usage, faites-les courtes. Imitez les solitaires de l'Egypte, les Pères du désert, qui étaient des maîtres en l'art d'orer. Voici ce que déclare à Cassien, le vieil Isaac : priez peu à la fois et souvent, de peur que si vos oraisons ne sont longues, l'Ennemi ne vienne à les troubler. Conformez-vous à ces deux règles, elles vous sauveront des émeutes intimes.

J. K. HUYSMANS, La Cathédrale, fin




BLAISE PASCAL



Nous sommes quelque chose et nous ne sommes pas tout.
BLAISE PASCAL

Néant à l'égard de l'infini, tout à l'égard du néant, milieu entre rien et tout.
BLAISE PASCAL, sur l'homme

Par l'espace, l'univers me comprend...; par la pensée, je le comprends.
BLAISE PASCAL

L'homme se dépasse lui-même en aspirant à l'infini.
BLAISE PASCAL

L'âme humaine a la double capacité de recevoir et de perdre la grâce.
BLAISE PASCAL

Ceux qui passent leur vie sans penser.
BLAISE PASCAL

On ne peut poser une question et recevoir une réponse qu'en participant à l'expérience.
Travaillez donc, non pas à vous convaincre par l'augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions.
Quittez vos passions et vous croirez.
BLAISE PASCAL

A la vérité, vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices : mais n'en aurez-vous point d'autres ? Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie, et que, à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude du gain, et tant de néant de ce que vous hasardez, que vous connaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n'avez rien donné.
BLAISE PASCAL, le Pari, destiné à convaincre les Libertins


La justice sans la force est impuissante; la force sans la justice est tyrannique.
BLAISE PASCAL

Tout ce qui ne va point à la charité est figure.
BLAISE PASCAL

Il y a plaisir à être dans un vaisseau battu de l'orage, lorsqu'on est assuré qu'il ne périra point.
BLAISE PASCAL

La vérité n'a pas commencé d'être au temps qu'elle a commencé d'être connue.
BLAISE PASCAL

Tous les corps ensemble, et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions ne valent pas le moindre mouvement de charité.
BLAISE PASCAL

Tout le malheur des hommes vient... de ne pas savoir se tenir en repos, dans une chambre.
BLAISE PASCAL

Feu
Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants
Certitude Certitude Sentiment Joie Paix
Dieu de Jésus-Christ...
Père juste, le monde ne t'a point connu mais je t'ai connu
Joie Joie Joie pleurs de Joie ..................
BLAISE PASCAL, du papier qu'il gardait cousu dans sa veste

Les vérités entrent du coeur dans l'esprit, et non pas de l'esprit dans le coeur, pour humilier cette superbe puissance du raisonnement.
BLAISE PASCAL


Deux excès : exclure la raison, n'admettre que la raison.
BLAISE PASCAL

Si la raison était raisonnable.
BLAISE PASCAL

Il est rare que les géomètres soient fins et que les fins soient géomètres...
Mais les esprits faux ne sont jamais ni fins ni géomètres.
BLAISE PASCAL, l'esprit de finesse et l'esprit de géométrie

Une mouche bourdonne à ses oreilles; c'en est assez pour le rendre incapable de bons conseils. Le plaisant Dieu que voilà !
BLAISE PASCAL, de l'homme

Nous travaillons incessamment à embellir et conserver notre être imaginaire, et négligeons le véritable.
BLAISE PASCAL

Nous ne pensons presque point au présent... Et nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.
BLAISE PASCAL

Nous ne cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses.
BLAISE PASCAL

Apprenez que l'homme passe infiniment l'homme.
BLAISE PASCAL

Incapables d'ignorer absolument et de savoir certainement.
Jamais corrompus nous serions dans la félicité, toujours corrompus nous n'aurions ni idée de vérité ni besoin de béatitude.
BLAISE PASCAL, de l'homme

Comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous.
BLAISE PASCAL, de Dieu


A mesure qu'on a plus d'esprit on trouve qu'il y a plus d'hommes originaux.
BLAISE PASCAL

On ne consulte que l'oreille parce qu'on manque de coeur.
BLAISE PASCAL

Ce n'est pas dans Montaigne, mais dans moi, que je trouve tout ce que j'y vois.
BLAISE PASCAL

L'imagination grossit les petits objets jusqu'à en remplir notre âme... et par une insolence téméraire elle amoindrit les grands.
BLAISE PASCAL

C'est une chose déplorable de voir tous les hommes ne délibérer que des moyens, et point de la fin.
BLAISE PASCAL

Personne ne parle de nous en notre absence comme il en parle en notre présence.
BLAISE PASCAL

Condition de l'homme : inconstance, ennui, inquiétude.
BLAISE PASCAL

Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la prise.
BLAISE PASCAL, sur l'activité

Le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler.
BLAISE PASCAL

Connaître la vanité des plaisirs par expèrience, ou la réalité des maux.
BLAISE PASCAL, sur la misère de l'homme

Nous courons sans souci dans le précipice, après que nous avons mis quelque chose devant nous pour nous empêcher de le voir.
BLAISE PASCAL


Sensibilité pour les moindres choses et insensibilité pour les plus grandes.
BLAISE PASCAL, de l'homme

On mourra seul. Il faut donc faire comme si on était seul.
BLAISE PASCAL

Voyant trop pour nier et trop peu pour m'assurer.
BLAISE PASCAL, de l'homme sur Dieu

Les hommes prennent souvent leur imagination pour leur coeur.
BLAISE PASCAL

Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.
BLAISE PASCAL, approuvant

Que la pensée est grande par sa nature et qu'elle est basse par ses défauts.
BLAISE PASCAL

Il n'est pas bon d'être trop libre. Il n'est pas bon d'avoir toutes les nécessités.
BLAISE PASCAL

Ni la contradiction n'est marque de fausseté, ni l'incontradiction n'est marque de vérité.
BLAISE PASCAL

Tous leurs principes sont vrais,... Mais leurs conclusions sont fausses, parce que les principes opposés sont vrais aussi.
BLAISE PASCAL

Il ne faut pas juger de la nature selon nous, mais selon elle.
BLAISE PASCAL

Le membre séparé, ne voyant plus le corps auquel il appartient, n'a plus qu'un être périssant et mourant.
BLAISE PASCAL


L'expérience nous fait voir une différence énorme entre la dévotion et la bonté.
BLAISE PASCAL

Le moindre mouvement importe à toute la nature...; La moindre action importe à tout par ses suites.
BLAISE PASCAL

Ni les mouvements de grandeur pure, ni les mouvements de bassesse pure ne sont de l'état de l'homme.
BLAISE PASCAL

Il y a certainement de vrais miracles puisqu'il y en a tant de faux.
BLAISE PASCAL

Jamais on ne fait le mal si pleinement et si gaiement que quand on le fait par conscience.
BLAISE PASCAL

L'uniformité sans diversité inutile aux autres, la diversité sans uniformité ruineuse pour nous - L'une nuisible au dehors, l'autre nuisible au dedans.
BLAISE PASCAL

Ils font de l'exception la règle.
BLAISE PASCAL

Otez la "probabilité", on ne peut plus plaire au monde; mettez la "probabilité", on ne peut plus lui déplaire.
BLAISE PASCAL

La nature a des perfections pour montrer qu'elle est l'image de Dieu, et des défauts, pour montrer qu'elle n'en est que l'image.
BLAISE PASCAL

C'est le coeur qui sent Dieu, non la raison. Voilà ce que c'est que la foi.
BLAISE PASCAL


Ce n'est pas en ajoutant des corps à des corps qu'on fera surgir un esprit.
BLAISE PASCAL

"Jésus-Christ sera en agonie jusqu'à la fin du monde" Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là.
BLAISE PASCAL

Hors de Jésus-Christ nous ne savons ce que c'est ni que notre vie ni que notre mort ni que Dieu ni que nous-même.
BLAISE PASCAL

Le moindre mouvement importe à toute la terre. La mer entière change pour une pierre.
BLAISE PASCAL

Dieu ne peut-être la fin que s'il est la source.
BLAISE PASCAL

La question de Dieu étant la question de l'homme, la réponse ne peut être dans une solution, mais dans un acte, un saut , un accueil
BLAISE PASCAL

La preuve de la vérité de l'Eglise n'est pas faite par son développement, mais par sa subsistance.
BLAISE PASCAL

C'est en manquant de preuves que les chrétiens ne manquent pas de sens.
BLAISE PASCAL

L'irruption de la grâce perturbe la nature comme le fait le péché.
BLAISE PASCAL

La justice ne saurait être déduite d'aucune définition de la nature humaine. Ce n'est pas là abdication devant la tyrannie, mais renonciation à la prétention de la raison.
BLAISE PASCAL


Toute notre dignité consiste en la pensée.
BLAISE PASCAL

Toutes choses sont causantes et causées.
BLAISE PASCAL

Il faut tenir les deux bouts de la chaîne.
BLAISE PASCAL

Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils continuent de chérir les causes.
BLAISE PASCAL

La source de toutes les hérésies est de ne pas concevoir l'accord de deux vérités opposées et de croire qu'elles sont incompatibles.
BLAISE PASCAL

Descartes aurait bien voulu, dans sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu; mais il n'a pu s'empêcher de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le monde en mouvement; après cela, il n'a plus que faire de Dieu.
BLAISE PASCAL

Faisons tant que nous voudrons les braves : voilà la fin qui attend la plus belle vie du monde.
BLAISE PASCAL, de notre fin

Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste; on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais.
BLAISE PASCAL, de notre fin

Il n'y a que deux sortes d'hommes : les uns justes, qui se croient pécheurs; les autres pécheurs, qui se croient justes.
BLAISE PASCAL

La plus cruelle guerre que Dieu puisse faire aux hommes en cette vie est de les laisser sans cette guerre qu'il est venu apporter.
BLAISE PASCAL


Il est non seulement impossible, mais inutile de connaître Dieu sans Jésus-Christ.
BLAISE PASCAL

La multitude qui ne se réduit pas à l'unité est confusion; l'unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie.
BLAISE PASCAL

La vérité sans la charité n'est qu'une idole.
BLAISE PASCAL

Tout nous peut être mortel, même les choses faites pour nous servir; comme, dans la nature, les murailles peuvent nous tuer, et les degrés nous tuer, si nous n'allons avec justesse. Ainsi, dans la grâce la moindre action importe par ses suites à tout. Donc, tout est important.
BLAISE PASCAL

Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau; la disposition des matières est nouvelle; quand on joue à la paume, c'est une même balle dont joue l'un et l'autre; mais l'un la place mieux.
BLAISE PASCAL, sur le projet des "Pensées"

Nous ne nous soutenons pas dans la vertu par notre propre force, mais par le contrepoids de deux vices opposés, comme nous demeurons debout entre deux vents contraires : ôtez l'un de ces vices, nous tombons dans l'autre.
BLAISE PASCAL

Qui m'y a mis ? Par l'ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps ontils été destinés à moi ?
BLAISE PASCAL

L'usage criminel et délicieux du monde.
BLAISE PASCAL

C'est une même faute de se confier trop dans ses bonnes oeuvres que de se défier trop dans ses mauvaises.
BLAISE PASCAL


De sorte que toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et apprend continuellement.
BLAISE PASCAL

Ce sont des disputes de théologien, et non pas de théologie.
BLAISE PASCAL

Nous ne connaissons le tout de rien.


Le silence est la plus grande persécution. Jamais les Saints ne se sont tus.
BLAISE PASCAL, sur le silence officiel qui accueillit la 19ème
Provinciale

La fausse justice de Pilate ne sert qu'à faire souffrir Jésus-Christ; car il le fait fouetter et puis il le tue. Il vaudrait mieux l'avoir tué d'abord.
BLAISE PASCAL, 19ème Provinciale

Il est injuste qu'on s'attache à moi, quoiqu'on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux à qui j'en ferais naître le désir; car je ne suis la fin de personne et n'ai pas de quoi les satisfaire. Ne suisje pas prêt à mourir ? Et ainsi l'objet de leur attachement mourra.
Donc je serais coupable de faire croire une fausseté... Car il faut que les gens, au lieu de s'attacher à moi, passent leur vie et leurs soins à plaire à Dieu ou à le chercher.
BLAISE PASCAL

Nous sommes embarqués.
BLAISE PASCAL, dans le monde, dans la foi si nous l'avons

Nous ne nous connaissons qu'en Jésus-Christ.
BLAISE PASCAL, par l'obéissance à une Parole qui nous révèle à nous même en nous révélant Dieu

A cela s'opposent tous les hommes.
BLAISE PASCAL, de Jésus et de sa prédication en tous temps et en tous
lieux


Qui voudrait ne suivre que la raison serait fou prouvé au jugement de la plus grande partie du monde.
BLAISE PASCAL, de la foi

L'homme est plus grand, parce qu'il sait qu'il meurt.
BLAISE PASCAL

Il faut un point fixe.
BLAISE PASCAL

Il faut avoir la charité de la religion qu'ils méprisent pour ne pas les mépriser.
BLAISE PASCAL

Qu'ils apprenent au moins quelle est la religion qu'ils combattent avant de la combattre.
BLAISE PASCAL

Il n'écrivait que pour lui-même.
ETIENNE PASCAL, préface aux "Pensées"

Une des principales beautés des Pensées c'est qu'elles sont inachevées...
SAINTE BEUVE




JEAN BAUDRILLARD




LA GUERRE DU GOLFE N'A PAS EU LIEU



L'otage et le chantage sont les produits les plus purs de la dissuasion.
L'otage a pris la place du guerrier. Il est devenu l'acteur principal, le protagoniste du simulacre.

Nous, otages de l'intoxication des médias... assignés au simulacre de la guerre comme à résidence, nous sommes déjà tous, "in situ", otages stratégiques - notre site, c'est l'écran...

L'impossibilité du passage à l'acte... entraîne le triomphe du chantage comme stratégie.

Nous sommes dans une logique des événements faibles... péripéties d'une histoire anorexique... C'est l'usage du préservatif étendu à l'acte de guerre...

Disparition de la déclaration de guerre, disparition du passage à l'acte symbolique. A force d'avoir rêvé de la guerre pure, on est tombé dans le mou de la guerre, dans son impossibilité virtuelle, qui se traduit par cette fantasia dérisoire...
Tout se transfère dans le virtuel... apocalypse du virtuel - hégémonie bien plus dangereuse à terme...

Nous ne sommes plus dans une logique du passage du virtuel à l'actuel, mais dans une logique hyperréaliste de dissuasion du réel par le virtuel...

Il n'y aura jamais de monument à l'otage inconnu, tout le monde en a trop honte.

A la catastrophe du réel nous préférons l'exil du virtuel, dont la télévision est le miroir universel.
Hantise du passage à l'acte, de tout réel, ( événement, violence, jouissance... ).
Contre cette hantise du réel nous avons créé un gigantesque appareil de simulation qui nous permet de passer à l'acte "in vitro"...


Cette guerre absence de politique poursuivie par d'autres moyens.
L'information en "temps réel" se meut dans un espace complètement irréel..
TV pure, inutile, instantanée... remplissant le vide.
La pub n'est pas la poursuite de l'économie par d'autres moyens. Elle est pur produit de l'incertitude quant aux enjeus rationnels de la production.
C'est pourquoi elle est une fonction implacable, dont le vide remplit nos écrans à mesure de l'absence de finalité et de rationalité économique.
Les media font de la pub à la guerre, la guerre fait de la pub aux media.

Elle serait tenue, non plus d'avoir une finalité, mais de prouver son existence ( crise d'identité ).
A défaut de la volonté de puissance, il reste partout aujourd'hui la volonté de spectacle ( de sauvetage des spectres et des fictions ).

Restera un relent de programmation indigeste, et le monde entier énervé, comme après une copulation ratée.

Comme le déchet du temps alimente l'enfer du loisir, ainsi les déchets technologiques alimentent l'enfer de la guerre.

Si l'intellectuel critique est en voie de disparition, il semble par contre qu'il ait distillé sa phobie du réel et de l'action dans tout le réseau sanguin et cérébral de nos institutions.

Ce qui n'a jamais commencé prend fin sans avoir lieu.
Tout le monde se fout d'une issue trop longtemps attendu, l'événement réel est dépassé, son crédit imaginaire est épuisé.
Est-ce qu'une chose minutieusement programmée a encore une chance de se produire ?
Est-ce qu'une vérité minutieusement démontrée est encore vraie ?
Quand trop de choses vont dans le même sens, quand les raisons objectives s'accumulent, l'effet s'inverse.

Les Américains sont des convertis... de leur mode de vie qu'ils projettent triomphalement sur le monde.
Ils ne peuvent pas imaginer l'Autre... ce à quoi ils font la guerre c'est à l'altérité de l'autre.


SH a maqué le monde arabe, l'a fait travailler pour lui, pour de nouveau le décevoir et le rendre à son impuissance.
Il faut des gens comme lui pour de temps en temps canaliser les forces éruptives... Clystère ou purge artificielle.

Voyeurisme forcé en réponse à l'exhibitionnisme forcé des images.
L'information : nous convaincre, par l'obscénité de la chose vue, de notre propre abjection.
La perversion forcée du regard équivaut à l'aveu de notre déshonneur et fait de nous aussi des repentis.

La guerre propre et son mépris, celle qui réduit l'autre à l'impuissance mais sans le tuer, qui désarme et neutralise.
Pire que l'autre car elle vous laisse la vie sauve.
C'est comme l'humiliation : en vous ôtant moins que la vie, elle vous ôte pire que la vie.
Même injure que le refus du marchandage.

Comme tout ce qui passe par le psychique devient l'objet d'une spéculation indéfinie, ainsi tout ce qui passe par l'information devient l'objet d'une spéculation sans fin, le lieu d'une incertitude totale.
L'information est comme un missile non intelligent qui ne rencontre jamais sa cible ( ni hélas son anti-missile ) et donc s'écrase n'importe où, ou va se perdre dans le vide, sur une orbite imprévisible, où elle gravite éternellement sous forme de déchet.
L'utopie d'une publicité ciblée... mais a t-elle pour mission de toucher ? ou plutôt seulement d'être "lancée".
Tout l'effet est dans la programmation...

Production des leurres, des placebos, du faux dans l'art, de l'info., tout cela est le signe que nous entrons dans un monde déceptif, où toute une culture travaille allègrement à sa contrefaçon.
Ce qui veut dire aussi qu'elle ne se fait plus d'illusion sur elle-même.

Comme les Bokassa et les Amin Dada révèlent, par l'usage parodique et ubuesque qu'ils en font, la vérité obscène des structures politiques et démocratiques occidentales, qu'ils nous ont empruntées.


A une certaine vitesse, celle de la lumière, on perd même son ombre.
A une certaine vitesse, celle de l'information, les choses perdent leur sens.
Le monde n'est pas assez cohérent pour mener à l'Apocalypse.

Cette guerre libère, de par la force des media, une masse exponentielle de bêtise... Bêtise fonctionnelle, professionnelle, de ceux qui pontifient dans le commentaire perpétuel de l'événement...
Mais les sottises proférées la veille sont effacées par celles du lendemain. Ainsi chacun est amnistié par la succession ultra-rapide des faux événements et des faux discours.
Blanchissement de la bêtise par sa propre escalade... cerveaux lessivés, blanchis...

La télé, clouant les gens chez eux, remplit pleinement son rôle de contrôle social par l'hébétude collective : tournant inutilement sur elle-même comme un derviche.

Pour devenir un parfait mercenaire il faut se dépouiller de toute volonté et de toute intelligence politique.
Les Américains n'y échapperont pas : s'ils veulent être la police du monde et du Nouvel Ordre Mondial, il faut qu'ils perdent toute autorité politique au seul profit de leur capacité opérationnelle.
Ils deviendront les purs exécutants, et tous les autres les purs figurants du Nouvel Ordre Mondial, consensuel et policier.

Pour les Américains le marchandage est vil, alors que pour les autres il est une affaire d'honneur, de reconnaissance...
Ils ont beaucoup à apprendre sur l'échange symbolique.

La victoire du modèle est plus importante que celle sur le terrain.
Le succès de la programmation consacre la défaite du temps.

Fanfaronnade irakienne, pantalonnade américaine.

Seule fonctionne la télé comme un médium sans message, donnant enfin l'image de la télévision pure.


Il n'y a pas plus d'espace pour la guerre que pour n'importe quelle velléité de forme vivante.

Les chômeurs constituaient jadis l'armée de réserve du Capital, nous constituons aujourd'hui, dans notre servitude à l'information, l'armée de réserve de toutes les mystifications planétaires.

Des deux adversaires, l'un est un marchand de tapis, l'autre un marchand d'armes.

L'information a une fonction profonde de déception.
Peu importe ce dont elle nous "informe", peu importe sa "couverture" des événements, car ce n'est précisément qu'une couverture - ce qu'elle vise c'est le consensus par encéphalogramme plat.
Dresser tout le monde à la réception inconditionnelle du simulacre sur les ondes, tel est le complément du simulacre sur le terrain.
Abolir toute intelligence de l'événement.

C'est donc la dissémination des armes ( atomiques ) qui seule peut assurer le jeu d'une dissuasion mondiale efficace et le suspense indéfini de la guerre.

Le nouvel ordre désertique et policier appelé ordre mondial.

On peut être assuré que le prochain mélo de ce genre jouira d'une crédulité encore plus fraîche et joyeuse.

Les peuples ne peuvent que vouloir se libérer ( soi-disant ! )

Avant il y avait les morts et les traîtres, maintenant il y a les disparus et les repentis : tous des blanchis.

Ce branlage à vide a fait les délices de toutes les télés.

On pourrait parler du harcèlement médiatique comme du harassement sexuel.
L'outrecuidance de l'information et des media redouble ici l'arrogance politique de l'empire occidental, journalistes/conscience universelle, présentateurs/stratèges... chantage émotionnel au massacre, supercherie...


On devrait parler du seuil de tolérance mentale à l'information.

Evénements post-synchronisés, qu'on n'a jamais eu l'impression de voir en version originale.

Qu'est-ce que vous avez contre les aphrodisiaques ? Rien, pourvu qu'on ait l'orgasme. Et la mixture des media est devenue le préalable à tout orgasme événementiel. Et nous avons besoin de cela parce que justement l'événement nous manque, parce que la conviction nous manque.
Nous avons un besoin pressant de simulation, fût-elle celle de la guerre, bien plus que de confiture ou de liberté et nous avons l'intuition immédiate des moyens pour y parvenir. C'est même l'acquis fondamental de notre démocratie : la fonction-image, la fonction-chantage, la fonctioninformation, la fonction-spéculation. Fonction aphrodisiaque, obscène, que celle du leurre... Fonction-drogue. Mais qu'avez-vous contre la drogue ?

Même combat au niveau des images : la guerre avant qu'elle éclate, l'enfant avant qu'il naisse. Loisirs de l'ère virtuelle.

Nous ne pratiquons pas l'intégrisme fondamentaliste dur, nous pratiquons l'intégrisme démocratique mou, subtil et honteux, celui du consensus.
Cependant l'intégrisme consensuel ( celui des Lumières, des droidlom, de la gauche au pouvoir, de l'intello-repenti, de l'humanisme sentimental ) est tout aussi féroce...
La différence entre les deux intégrismes ( hard et soft ) c'est que le nôtre ( le soft ) détient tous les moyens de détruire l'autre, et ne s'en prive pas.
C'est toujours le fondamentaliste des Lumières qui opprime et détruit l'autre, lequel ne peut que le défier symboliquement.

La disproportion des fins crée une tension excessive ( névrose islamique ), la disproportion des moyens crée au contraire une dépression grave ( une névrose d'impuissance ).
Mais celui qui ne croit pas à son impuissance est plus fort que celui qui ne croit pas à sa puissance.


Cette guerre n'est pas une guerre, mais cela est compensé par le fait que l'information non plus n'est pas de l'information.

A l'endroit voulu, il n'y a rien eu, la non-guerre. A l'endroit voulu ( l'info, la télé ), il n'y a rien eu, pas d'images, que du remplissage.
Dans nos têtes à tous, il ne s'est pas passé grand chose non plus, et ça aussi c'est dans l'ordre.
Ainsi l'ordre mondial unifie tous les ordres partiels.
Les choses sont en ordre démocratique, même si elles sont dans la pire confusion.

Les Arabes : là où ils ne devraient pas être ( les immigrés ) c'est le désordre. Là où ils devraient être ( en Palestine ), mais ne sont pas, c'est l'ordre.
Que dans le monde arabe rien ne soit possible, pas même la guerre, ça, c'est l'ordre. Or, ceci est harmonieusement compensé par le fait qu'à l'endroit marqué de la puissance ( l'Amérique ), il n'y ait rien non plus qu'une impuissance politique totale.
Tel est le nouvel ordre mondial.

Il n'y aura plus que la violence virtuelle du consensus, la simultanéité en temps réel du consensus mondial - c'est pour demain et ce sera le début d'un monde sans lendemain.

Dans la communication moderne il n'y a plus d'interlocuteur.

Le seul but c'est d'aligner tout le monde sur le plus petit commun dénominateur mondial, le dénominateur démocratique ( qui correspond de plus en plus au degré zéro du politique ).
Le plus petit commun multiplicateur étant l'information sous toutes ses formes, qui correspond elle aussi de plus en plus, avec son extension à l'infini, au degré zéro de son contenu. le consensus comme degré zéro de la démocratie et l'information comme degré zéro de l'opinion sont en affinité totale : le Nouvel Ordre Mondial sera à la fois consensuel et télévisuel.


Dans toute cette affaire, l'enjeu crucial, l'enjeu décisif, c'est la réduction consensuelle de l'Islam à l'ordre mondial. Le domestiquer... par... électrocuter les résistances et le défi symbolique que l'Islam représente pour tout l'Occident.

Nos guerres relèvent ainsi moins de l'affrontement guerrier que de la domestication des forces réfractaires de la planète, des éléments incontrôlables...
Tout ce qui est singulier et irréductible doit être réduit et ravalé.
C'est la loi de la démocratie et du Nouvel Ordre Mondial.

Le défi de l'Islam, défi symbolique, altérité irréductible et dangereuse, s'est trouvé une fois de plus canalisé, subtilisé, dévoyé politiquement, militairement, religieusement par l'entreprise de SH.

JEAN BAUDRILLARD, "La guerre du golfe...", fin




1993 Thesaurus - Nouvelle série :