1993 Thesaurus - LA TRAHISON DES CLERCS
Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d'action.
HENRI BERGSON
Le corps de l'homme a grandi par la technique, il aurait besoin d'un supplément d'âme.
HENRI BERGSON
Le réalisme est dans l'oeuvre quand l'idéalisme est dans l'âme, et c'est à force d'idéalité seulement qu'on reprend contact avec la réalité.
HENRI BERGSON
Avec des arrêts ( des concepts ), si divisés soient-ils, vous ne ferez jamais du mouvement.
HENRI BERGSON
Je m'accrois, donc je suis.
HENRI BERGSON
Ces messieurs sont très originaux.
HENRI BERGSON, à propos de certains de ses "disciples"
les opinions auxquelles nous tenons le plus sont celles dont nous pourrions le plus malaisément rendre compte, et les raisons mêmes par lesquelles nous les justifions sont rarement celles qui nous ont déterminés à les adopter.
HENRI BERGSON
Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l'expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu'on trouve parfois entre l'oeuvre et l'artiste.
HENRI BERGSON
Si je veux me préparer un verre d'eau sucrée, j'ai beau faire, je dois attendre que le sucre fonde.
HENRI BERGSON
Nous devons entendre par esprit une réalité qui est capable de tirer d'elle-même plus qu'elle ne contient.
HENRI BERGSON
Ils n'ont qu'à exister : leur existence est un appel.
HENRI BERGSON, des Saints
La survivance de l'âme est si vraisemblable que l'obligation de la preuve incombera d'abord à celui qui nie bien plus qu'à celui qui affirme.
HENRI BERGSON
--- Certains de ces textes condensent de nombreuses pages, littéralement ----- cependant. Ils peuvent donc paraître obscurs si on n'a pas fréquenté ----- cet auteur. La "saisie" de ces morceaux de textes avait pour but ----- essentiel de me permettre d'alimenter la partie par Sujets. --
Tout est grâce.
GEORGES BERNANOS
Dés que je prends la plume, ce qui se lève en moi, c'est mon enfance.
GEORGES BERNANOS
Si l'enfance existe encore en vous, gardez-la. Il est peu croyable qu'il vous en reste assez pour vous aider à vivre, mais ça vous servira sûrement pour mourir.
GEORGES BERNANOS
Ma vie est déjà pleine de morts. Mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus.
GEORGES BERNANOS
La part du monde encore susceptible de rachat n'appartient qu'aux enfants, aux héros et aux martyrs.
GEORGES BERNANOS
Une fois sorti de l'enfance, il faut très longtemps souffrir pour y rentrer, comme tout au bout de la nuit on retrouve une nouvelle aurore.
GEORGES BERNANOS
il est très difficile de se mépriser sans offenser Dieu en nous.
GEORGES BERNANOS
On est toujours indigne de ce qu'on reçoit, car on ne reçoit jamais rien que de Dieu.
GEORGES BERNANOS
il n'est d'autre remède à la peur que de se jeter à corps perdu dans la volonté de Dieu.
GEORGES BERNANOS
Le monde va être jugé par les enfants. L'esprit d'enfance va juger le monde.
GEORGES BERNANOS
Le péché nous fait vivre à la surface de nous-mêmes.
Nous ne rentrons en nous que pour mourir, et c'est là qu'il nous attend.
GEORGES BERNANOS
J'aime mieux le voir révolté que déçu, car la révolte n'est qu'un passage, au lieu que la déception n'appartient plus déjà à ce monde...
GEORGES BERNANOS
Personne n'a jamais réalisé tous ses rêves.
GEORGES BERNANOS
Il est inutile de fermer ma vie à clef, j'ai bien le droit d'y laisser entrer les passants, il n'y reste pas un prestige à casser.
GEORGES BERNANOS
La part en chacun de nous qui est digne d'être sauvée.
GEORGES BERNANOS, sur l'enfance
Les critères modernes... jettent une pareille suspicion sur la fidélité à l'enfance et sur la préoccupation de la mort.
GEORGES BERNANOS, sur les tyranniques exigences des sociétés
modernes envers l'individu
A nous deux !
GEORGES BERNANOS, interpellant sa mort imminente
C'est sur la trahison qu'Il pleure.
GEORGES BERNANOS, du Christ à Gethsémani
Toutes les brèches ouvrent sur le ciel.
GEORGES BERNANOS
Entre vous et moi il n'y a pas de bibliothèque. On ne confie pas de mensonges à un cahier de deux sous. Pour ce prix-là, je ne peux vous donner que la vérité.
GEORGES BERNANOS, du cahier sur lequel il écrivait
Je connais bien mon espérance et ma souffrance, la matière en est solide et commune, on peut se la procurer partout.
GEORGES BERNANOS
Le plus grand risque serait encore de ne pas s'accepter soi-même.
GEORGES BERNANOS
Il y a une communion des saints, il y a aussi une communion des pécheurs.
GEORGES BERNANOS
Le monde du péché fait face au monde de la grâce ainsi que l'image reflétée d'un paysage, au bord d'une eau noire et profonde.
GEORGES BERNANOS
Les mains sont mille fois plus révélatrices que les yeux, car elles ne sont guère habiles à mentir, se laissent surprendre à chaque minute... tandis que le regard, veilleur infatigable, veille au créneau des paupières...
GEORGES BERNANOS
On pose des questions à la vie, non dans l'espoir qu'elle y réponde, mais parce que la dignité de l'homme est de les poser.
GEORGES BERNANOS
Tous les péchés capitaux ensemble damnent moins d'hommes que l'avarice et l'ennui.
GEORGES BERNANOS
Ne devenez jamais une grande personne.
GEORGES BERNANOS
J'aimais le bruit. Et quel meilleur prétexte à tapage que le journalisme ?
GEORGES BERNANOS
Le Derrière.
GEORGES BERNANOS, pour l'Arrière en 14-18
L'âge n'apporte aucune sécurité, aucune paix, mais seulement une lucidité farouche, reflet de l'enfer.
GEORGES BERNANOS
Du moins Eve pouvait-elle dire au Juge : "C'est le serpent qui m'a trompée".
Il n'y a plus de Dieu, plus de diable, plus de serpent, plus rien.
Plus rien que "ce vieux péché en nous organisé" dont parle Claudel.
Comme notre espèce hier toute prête à s'adorer, va se haïr demain.
GEORGES BERNANOS
Aucune amitié ne résiste à l'ennui.
GEORGES BERNANOS
Il y a quelque chose de mille fois pire que la férocité des brutes, c'est la férocité des lâches.
GEORGES BERNANOS
Ils parlaient religion, littérature ou politique. Mais chacun pensait aux affaires, cela va sans dire.
GEORGES BERNANOS
Nos enfants ne sont pas des amis. Ils ne le deviennent que beaucoup trop tard, quand nous sommes morts.
GEORGES BERNANOS
Chacun n'étreint que son propre mensonge, celui pour lequel il est fait.
On pèche seul, comme on meurt.
GEORGES BERNANOS
L'angoisse, forme hideuse et corporelle du remords.
GEORGES BERNANOS
Mon fameux roman est un lugubre urinoir. Je commence à en avoir assez de pisser si tristement contre le même mur.
GEORGES BERNANOS
Le bon Dieu ne m'a pas mis une plume entre les mains pour rigoler avec.
GEORGES BERNANOS
Quand je n'aurai plus qu'une paire de fesses pour penser, j'irai l'asseoir à l'Académie.
GEORGES BERNANOS, sur son épuisement d'écrire
Des êtres qui ont perdu leur raison de vivre... Déchets des vieilles générations ou produits avortés des nouvelles. On ne rencontre que çà, quand on sait voir.
GEORGES BERNANOS
L'Eglise n'a pas besoin de réformateurs mais de saints.
GEORGES BERNANOS, sur Martin Luther et Saint François d'Assise
Que ce monde a besoin de tendresse ! Le jour va venir où il donnera volontiers toute sa puissance et tout son or pour un peu de clairvoyance et de douce pitié !
GEORGES BERNANOS
A l'adolescence on ne pense pas de la vie, on désire ceci ou cela, c'est tout.
GEORGES BERNANOS
Le bon Dieu n'a pas écrit que nous étions le miel de la terre. ( mais le sel )
GEORGES BERNANOS
Faites de l'ordre à longueur du jour. Faites de l'ordre en pensant que le désordre va l'emporter encore le lendemain parce qu'il est justement dans l'ordre, hélas ! que la nuit fiche en l'air votre travail de la veille; la nuit appartient au diable.
GEORGES BERNANOS
Tradition ! grognent les vieux. Evolution ! chantent les jeunes.
GEORGES BERNANOS
Je ne l'ai placée aussi haut... que parce que votre malice m'est connue...
Si j'avais permis que vous la considériez un jour en ennemie... si je vous avais laissé l'espoir de la chasser un jour du monde, j'aurais du même coup condamné les faibles.
GEORGES BERNANOS, Dieu parlant sur la pauvreté
On peut mettre ses deux mains jointes entre les mains d'un autre homme et lui jurer la fidélité du vassal, mais l'idée ne viendrait à personne de procéder à cette cérémonie aux pieds d'un millionnaire...
GEORGES BERNANOS
Le mal jeté n'importe où germe presque sûrement. Au lieu qu'il faut à la moindre semence de bien, pour ne pas être étouffée, une chance extraordinaire, un prodigieux bonheur.
GEORGES BERNANOS
L'illusion des réformateurs comparables à celle des anciens pasteuriens qui rêvaient d'un monde aseptique.
GEORGES BERNANOS
On ne perd pas la foi, elle cesse d'informer la vie, voilà tout.
GEORGES BERNANOS
Les crimes... ne renseignent guère mieux sur la nature du mal que les plus hautes oeuvres des saints sur la splendeur de Dieu.
GEORGES BERNANOS
L'historien, le moraliste, le philosophe, ne veulent voir que le criminel, ils refont le mal à l'image et à la ressemblance de l'homme.
GEORGES BERNANOS
SI notre espèce doit périr, elle périra de dégoût et d'ennui.
GEORGES BERNANOS
Je crois que si Dieu nous donnait une idée claire de la solidarité qui nous lie les uns aux autres, dans le bien et dans le mal, nous ne pourrions plus vivre.
GEORGES BERNANOS
N'était la vigilante pitié de Dieu, il me semble qu'à la première conscience qu'il aurait de lui-même, l'homme retomberait en poussière.
GEORGES BERNANOS
Des soldats ? Appelez ça des militaires. Le dernier vrai soldat est mort le 30 mai 1431. ( Jeanne d'Arc )
GEORGES BERNANOS
Vous nous avez donnés à l'Etat. L'Etat qui nous arme, nous habille et nous nourrit prend aussi notre conscience en charge.
Défense de juger, défense même de comprendre.
GEORGES BERNANOS
Les dieux protecteurs de la cité moderne, on les connaît, ils dînent en ville, et s'appellent des banquiers.
GEORGES BERNANOS
Le monde n'est pas révolte, il est acceptation, et il est d'abord l'acceptation du mensonge.
GEORGES BERNANOS
La foi, c'est vingt-quatre heures de doute par jour, moins une minute d'espérance.
GEORGES BERNANOS
Ce sont là des qualités plutôt que des vertus, elles ne sauraient s'acquérir.
GEORGES BERNANOS, la distinction du naturel, liberté des grandes âmes
Les ratés ne vous ratent jamais.
GEORGES BERNANOS
L'homme est prêt à accepter des honneurs et une dignité dont les anges eux-mêmes craindraient de se charger.
GEORGES BERNANOS
On en croira sur parole de psy.. et l'unanime témoignage des Saints sera tenu pour rien.
GEORGES BERNANOS
Le monde n'est pas révolte, il est acceptation, acceptation du mensonge d'abord.
GEORGES BERNANOS
Ce n'est pas la règle qui nous garde, c'est nous qui gardons la règle.
GEORGES BERNANOS, dialogue des carmélites
La disponibilité gidienne n'est qu'un refus, une peur de choisir.
GEORGES BERNANOS, M. Ouine : "oui/non"
Ne pas aller plus vite que le Saint-Esprit.
GEORGES BERNANOS
Ne pas vouloir passer pour saint avant de l'être.
GEORGES BERNANOS
Dans la première création Dieu m'a donné à moi-même. Dans la regénération il m'a redonné à moi-même, et, il s'est donné lui-même pour moi.
GEORGES BERNANOS
Il n'est pas mauvais d'affronter Dieu. Cela force un homme à s'engager à fond, à engager toute l'espérance dont il est capable.
GEORGES BERNANOS
Chargée par le bon Dieu de maintenir cet esprit d'enfance, cette ingénuité, cette fraîcheur... L'Eglise dispose de la part de joie réservée à ce monde.
GEORGES BERNANOS
Ne pas désespérer du salut, même si on vit desespérément.
GEORGES BERNANOS
Etant Dieu le Christ ne pouvait grandir, Il a cependant trouvé le moyen de croître, ce fût en descendant.
GEORGES BERNANOS
Quelle épaisseur a le péché ? A quelle profondeur faudrait-il creuser pour retrouver le gouffre d'azur ?
GEORGES BERNANOS
Il faut pleurer, parce que c'est la seule réponse efficace à certaines contradictions plus féroces... simplement parce que l'injustice existe, et qu'il est vain de la nier.
GEORGES BERNANOS
On fait sa part à l'ennui, au vice, au désespoir même; on ne fait pas à l'orgueil sa part.
GEORGES BERNANOS
Une classe, comme un homme, peut être victime de ses fautes, mais elle n'est réellement déshonorée que par son coeur.
GEORGES BERNANOS
Je n'écris pas pour réjouir les dévots ni les dévotes, je les connais : ils s'aiment assez.
GEORGES BERNANOS
On parle toujours du feu de l'enfer, mais personne ne l'a jamais vu, l'enfer c'est le froid.
GEORGES BERNANOS
Le diable, voyez-vous, c'est l'ami qui ne reste jamais jusqu'au bout.
GEORGES BERNANOS
Le démon de notre coeur s'appelle "A quoi bon !"
GEORGES BERNANOS
Lorsqu'un homme crie "Vive la liberté", il est extrêmement important de savoir s'il pense à celle des autres. Car un homme peut servir la liberté par calcul, ainsi qu'une simple garantie de la sienne.
GEORGES BERNANOS
Qui s'aveugle volontairement sur le prochain, sous prétexte de charité, ne fait souvent rien d'autre chose que de briser le miroir afin de ne pas se voir dedans.. Car l'infirmité de notre nature veut que ce soit d'abord en autrui que nous découvrions nos propres misères.
GEORGES BERNANOS
Une minute d'intransigeance doctrinale fait regagner à l'Eglise tout le terrain que ses politiques lui avaient fait perdre.
GEORGES BERNANOS
La liberté, pour quoi faire ? c'est l'angoisse !
GEORGES BERNANOS
- Il pleut.
- Oui, il pleut.
GEORGES BERNANOS, fin et essentiel de l'entrevue entre lui et
Charles de Gaulle à la Boisserie en 1945.
( incompatibilité morale reconnue )
... Face à un un monde qui semble voué à l'esprit de domination, d'avarice et de cupidité, c'est-à-dire à l'esprit de vieillesse.
GEORGES BERNANOS, La france contre les robots
"Je suis de mon temps" dit un évêque et un autre personnage commente ainsi : "Il n'a jamais pris garde qu'il reniait ainsi chaque fois le signe éternel dont il est marqué".
GEORGES BERNANOS, L'imposture
Contrairement à ce que croient généralement les moralistes, la vraie misère n'a pas d'issue dans le crime, elle n'a d'aboutissement ni dans le mal ni dans le bien, la vraie misère n'a pas d'issue. La vraie misère des misérables n'a d'issue qu'en Dieu.
GEORGES BERNANOS, Projet de "Vie de Jésus"
... On voudrait que Jeanne d'Arc n'appartînt plus qu'aux enfants.
D'ailleurs, s'ils veulent, tout leur appartient désormais : les vieux vont lâcher le monde. Hélas ! personne n'en sait rien. La divine occasion sera perdue commme tant d'autres, la serre un moment ouverte se refermera demain sur nous. Le vieillard aux pinces débiles, à l'infatigable mâchoire, recommencera de...
N'était ce doux scandale de l'enfance, l'avarice et la ruse eussent, en un siècle ou deux, tari la terre... Mais l'esprit de vieillesse qui conquiert patiemment le monde le perd chaque fois au bon moment, puis recommence pour le perdre encore, inlassable, inexorable...
La merveille c'est qu'une fois, une seule fois dans le monde peut-être, l'enfance ait ainsi comparu devant un tribunal régulier, mais la merveille des merveilles, c'est que ce tribunal ait été un tribunal de gens d'Eglise. ( des juges ) Le nationalisme renaissant, le préjugé antique des patries que commencent à exploiter les princes rivaux, leur apparaît infiniment plus redoutable qu'aucune de ces querelles féodales, qu'ils finissent toujours par arbitrer. "Ne nous laissez pas seuls, Jeanne ! hurlent les vieux hommes épouvantés, ne vous séparez pas de nous ! Avouez ! Avouez ! Justifiez-nous !
N'emportez pas notre salut !"
Elle a aimé ce qu'aiment les soldats, à la manière des soldats, qui ne s'attachent à rien, prêts chaque jour à tout quitter, qui viennent manger leur pain de chaque jour dans la main de Dieu. Que vient-on lui reprocher maintenant d'avoir jeté l'argent par les fenêtres ! Le roi remplissait ses coffres, y puisait qui voulait. Dieu fit ainsi les gens de guerre. Lequel d'entre eux est jamais devenu riche et ladre ? Il suffit bien qu'ils vivent et meurent comme ces petits enfants qui leur ressemblent.
Jeanne est sainte, et nous la prions comme telle. Si l'on mesure à l'aune d'une expérience humaine une telle aventure, elle apparaît invraisemblable.
La chance de la pauvre fille était si petite, l'affaire si obscure et les intérêts en jeu si puissants ! Mais Dieu sait venger ses saints.
Car l'heure des saints vient toujours. Notre Eglise est l'Eglise des saints.
Mais qui se met en peine des saints ? On voudrait qu'ils fussent des vieillards pleins d'expérience et de politique, et la plupart sont des enfants.
Or l'enfance est seule contre tous.
Qui ne voudrait avoir la force de courir cette admirable aventure ? Car la sainteté est une aventure, elle est même la seule aventure.
Qui voudrait perdre sa vie à ruminer le problème du mal, plutôt que de se jeter en avant ?
Nulle part ailleurs on ne voudrait imaginer seulement telle aventure, et si humaine, d'une petite héroïne qui passe un jour tranquillement du bûcher de l'inquisiteur en Paradis, au nez de cent cinquante théologiens.
On ne trouve au calendrier qu'un très petit nombre d'abbés oratoires et de prélats diplomates.
Les saints courent trop vite, alors qu'on souhaiterait d'entrer au paradis à petits pas.
Que d'autres prennent soin du spirituel, argumentent, légifèrent: nous tenons le temporel à pleines mains, nous tenons à pleines mains le royaume temporel de Dieu. Nous tenons l'héritage des saints.
GEORGES BERNANOS, Jeanne, relapse et sainte, fin
L'homme de génie est si peu dans son oeuvre, qu'elle est presque toujours contre lui un témoignage impitoyable. au lieu que l'oeuvre du saint est sa vie même, et il est tout entier dans sa vie.
Le saint est devant nous ce qu'il sera davant le juge. nous touchons là, d'un regard ébloui, non pas ( comme on voudrait le faire croire ) une vie diminuée, où la mortification retranche sans cesse, mais la vie dans son effusion et comme à l'éclat naissant, la vie même, ainsi qu'une source retrouvée. Retrouvée, car nous l'avions perdue, et sitôt retrouvée, nous la perdons encore...
La passion prend tout ce qu'on lui cède et ne rend rien. Au lieu que la charité donne tout, mais il lui est rendu plus encore...
Le Moyen Âge a donné le scandale de beaucoup de vices, mais il n'a jamais été vulgaire...
La volonté du grand homme a toujours quelque chose de roide. Que celle du saint est au contraire libre, docile et pure ! Que voulez-vous opposer de solide, ou quel piège voulez-vous tendre à celui qui, à chaque seconde, est toujours prêt à tout donner ?...
L'éclosion d'une hérésie est toujours d'ailleurs un phénomène assez mystérieux. Lorsqu'un vice dans l'Eglise atteint comme une certaine maturation, l'hérésie germe d'elle-même, pousse aussitôt ses monstrueux rameaux. ( Saint Dominique ) allant jusqu'à prétendre forcer la justice même du Père, en priant pour les damnés - "ad in infernos damnatos extendebat caritatem suam".
GEORGES BERNANOS, Saint Dominique, fin
L'Eglise est un mouvement, une force en marche, alors que tant de dévots et de dévotes ont l'air de croire, feignent de croire, qu'elle est seulement un abri, un refuge, une espèce d'auberge spirituelle à travers les carreaux de laquelle on peut se donner le plaisir de regarder les passants, les gens du dehors, ceux qui ne sont pas pensionnaires de la maison, marcher dans la crotte.
La sécurité des chrétiens médiocres, sécurité qui ressemble à la légendaire sécurité des imbéciles...
La mode est aux convertis, peut-être parce que les convertis parlent beaucoup, parlent énormément de leur conversion, un peu à la manière de ces malades guéris qui ne nous font grâce d'aucun des détails de leur ancienne maladie, vous assomment d'élixirs et de pilules. Faut-il ajouter que les cléricaux ont beaucoup de goût pour cette sorte de gens...
Les miracles ne m'intéressent pas en ce sens que les miracles n'ont jamais converti grand monde, c'est Notre-Seigneur qui a pris la peine de le dire lui-même dans l'Evangile en se moquant de ceux qui lui demandaient des prodiges. Trop souvent les miracles frappent l'esprit mais endurcissent le coeur parce qu'ils donnent l'impression d'une espèce de mise en demeure brutale, d'une sorte de viol du jugement et de la conscience par un fait qui est, en apparence du moins, une violation de l'ordre.
Si Dieu avait voulu nous gagner par des miracles, il ne s'en serait certainement pas tenu à celui de Cana, ou même à la résurrection de Lazare...
Nous commençons à comprendre qu'une société organisée par l'intelligence ou du moins par cette forme dégradée de l'intelligence qui s'appelle la technique - sera sans pitié non seulement pour les éléments suspects de produire moins qu'ils ne consomment, mais encore pour tout ce qui ne pensera pas d'accord avec la monstrueuse conscience collective.
En réalité l'intelligence ne s'indigne pas contre la souffrance, elle la refuse, comme elle refuse un syllogisme mal construit, quitte à s'en servir elle-même, selon ses méthodes, après avoir remis le syllogisme d'aplomb.
Mais pour un petit nombre de révoltés sincères, combien d'autres qui ne cherchent dans la révolte contre la souffrance qu'une justification plus ou moins sournoise de leur indifférence et de leur égoïsme vis-à-vis de ceux qui souffrent ? Sinon, par quel miracle les hommes qui acceptent le plus humblement, sans le comprendre, ce scandale permanent de la souffrance et de la misère, sont-ils presque toujours ceux qui se dévouent le plus tendrement aux souffrants et aux misérables : saint François d'Assise ou saint Vincent de Paul ?
Le scandale de l'univers n'est pas la souffrance, c'est la liberté.
Dieu a fait libre sa création, voilà le scandale des scandales, car tous les autres scandales procèdent de lui.
La damnation ne serait-elle pas de se découvrir trop tard, beaucoup trop tard, après la mort, une âme absolument inutilisée, encore soigneusement pliée en quatre, et gâtée comme certaines soies précieuses, faute d'usage ?
Quiconque se sert de son âme, si maladroitement qu'on le suppose, participe aussitôt à la Vie universelle, s'accorde à son rythme immense, entre de plain-pied, du même coup, dans cette communion des saints qui est celle de tous les hommes de bonne volonté auxquels fut promise la Paix, cette sainte Eglise invisible dont nous savons qu'elle compte des païens, des hérétiques, des schismatiques ou des incroyants, dont Dieu seul sait les noms...
On a tort de raisonner comme si l'Eglise visible et l'Eglise invisible étaient en réalité deux Eglises, alors que l'Eglise visible est ce que nous pouvons voir de l'Eglise invisible, et cette part visible de l'Eglise invisible varie avec chacun de nous. Car nous connaissons d'autant mieux ce qu'il y a en elle d'humain que nous sommes moins digne de connaître ce qu'elle a de divin. Sinon, comment expliqueriez-vous cette bizarrerie que les plus qualifiés pour se scandaliser des défauts, des déformations ou même des difformités de l'Eglise visible - je veux dire les saints - soient précisément ceux qui ne s'en plaignent jamais ?...
L'Eglise est une maison de famille, une maison paternelle, et il y a toujours du désordre dans ces maisons-là, les chaises ont parfois un pied de moins, les tables sont tachées d'encre, et les pots de confiture se vident tout seuls dans les armoires, je connais ça, j'ai l'expérience.
La maison de Dieu est une maison d'hommes et non de surhommes. Les chrétiens ne sont pas des surhommes. Les saints pas davantage ou moins encore, puisqu'ils sont les plus humains des humains. Les saints ne sont pas sublimes, ils n'ont pas besoin du sublime, c'est le sublime qui aurait plutôt besoin d'eux. Les saints ne sont pas des héros, à la manière des héros de Plutarque. Un héros nous donne l'illusion de dépasser l'humanité, le saint ne la dépasse pas, il l'assume, il s'efforce de la réaliser le mieux possible...
Ceux qui ont tant de mal à comprendre notre foi sont ceux qui se font une idée trop imparfaite de l'éminente dignité de l'homme dans la création, qui ne le mettent pas à sa place dans la création, à sa place où Dieu l'a élevé afin de pouvoir y descendre...
Les moralistes considèrent volontiers la sainteté comme un luxe. Elle est une nécessité. Aussi longtemps que la charité ne s'est pas trop refroidie dans le monde, aussi longtemps que le monde a eu son compte de saints, certaines vérités ont pu être oubliées. Elles reparaissent aujourd'hui comme le roc a marée basse. C'est la sainteté, ce sont les saints qui maintiennent cette vie intérieure sans laquelle l'humanité se dégradera jusqu'à périr.
C'est dans sa propre vie intérieure en effet que l'homme trouve les ressources nécessaires pour échapper à la barbarie ou à un danger pire que la barbarie, la servitude bestiale de la fourmilière totalitaire.
GEORGES BERNANOS, Nos amis, les saints, fin
Non, ce n'est pas le diplôme qui fait le prêtre, c'est le sacrement, c'est au nom du sacrement qu'il enseigne...
La grande entreprise divine ne saurait être très compromise par la médiocrité de ses instruments...
Le pharisaïsme est une suppuration sans fièvre, un abcès froid, indolore.
Il y a dans le pharisaïsme une malfaisance particulière qui exerce très cruellement la patience des saints, alors qu'elle ne fait le plus souvent qu'aigrir ou révolter de pauvres chrétiens dans mon genre. Je me méfie de mon imagination, de ma révolte, l'indignation n'a jamais racheté personne, mais elle a probablement perdu beaucoup d'âmes, et toutes les bacchanales simoniaques de la Rome du XVIème siècle n'auraient pas été de grands profit pour le diable si elles n'avaient réussi ce coup unique de jeter Luther dans le désespoir, et avec ce moine indomptable, les deux tiers de la douloureuse chrétienté. Luther et les siens ont désespéré de l'Eglise, et qui désespère de l'Eglise, c'est curieux, risque tôt ou tard de désespérer de l'homme. A ce point de vue, le protestantisme m'apparaît comme un compromis avec le désespoir...
Les gens d'Eglise auraient volontiers toléré qu'il joignît sa voix à tant d'autres voix plus illustres ou plus saintes qui ne cessaient de dénoncer ces désordres. Le malheur de Martin Luther fut de prétendre réformer...
C'est, par exemple, un fait d'expérience qu'on ne réforme rien dans l'Eglise par les moyens ordinaires. Qui prétend réformer l'Eglise par ces moyens, par les mêmes moyens qu'on réforme une socièté temporelle, non seulement échoue dans son entreprise, mais finit infailliblement par se trouver hors de l'Eglise... avant que personne ait pris la peine de l'en exclure...
Il en devient l'ennemi presque à son insu, et s'il tente de revenir en arrière, chaque pas l'en écarte davantage, il semble que sa bonne volonté elle-même soit maudite. C'est là, je le répète, un fait d'expérience, que chacun peut vérifier s'il prend la peine d'étudier la vie des hérésiarques, grands ou petits. On ne réforme l'Eglise qu'en souffrant pour elle, on ne réforme l'Eglise visible qu'en souffrant pour l'Eglise invisible. On ne réforme les vices de l'Eglise qu'en prodiguant l'exemple de ses vertus les plus héroïques. Il est possible que saint François d'Assise n'ait pas été moins révolté que Luther par la débauche et la simonie des prélats. Il est même certain qu'il en a plus cruellement souffert, car sa nature était bien différente de celle du moine de Weimar. Mais il n'a pas défié l'iniquité... il s'est jeté dans la pauvreté... Au lieu d'essayer d'arracher à l'Eglise les biens mal acquis, il l'a comblée de trésors invisibles, et sous la douce main de ce mendiant le tas d'or et de luxure s'est mis à fleurir comme une haie d'avril...
L'Eglise n'a pas besoin de critiques, mais d'artistes...
L'Eglise n'a pas besoin de réformateurs, mais de saints. Martin Luther était le réformateur né. Il y a des réformateurs dont le destin tragique nous paraît explicable, Lamennais par exemple. On comprend très bien que cette corde exagérément tendue se soit brisée sur une note trop haute...
Oh ! ce n'est pas que Lamennais ne me paraisse mériter rien d'autre qu'une compassion un peu dédaigneuse !... Il était seulement né trop nerveux, trop sensible, avec une vanité de femme ou de poète, il était fait pour le désespoir... Martin Luther, il était plutôt fait pour la joie, la rude joie du travail ouvrier, du travail quotidien, du fardeau mis sur l'épaule...
Eh bien ! cet homme fort n'a pas tenu plus longtemps que l'autre, il s'est affolé lui aussi, on l'a vu prendre le mors aux dents...
J'ai toujours cru que les grands hérésiarques qui ont ravagé l'Eglise auraient pu aussi bien en devenir la gloire, qu'ils avaient été choisis, séparés, marqués pour un destin extraordinaire, une merveilleuse aventure.
Je suis donc logiquement forcé de croire aussi qu'ils avaient reçu des grâces sans prix, qu'ils les ont dissipées, qu'ils ont jeté au vent, perdu en vaines disputes, des richesses spirituelles immenses, incalculables, qui eussent peut-être suffi à rassasier pendant des siècles l'innocente chrétienté...
Dés le commencement, mon Eglise a été ce qu'elle est encore ( c'est sans doute le Seigneur qui est supposé parler ), ce qu'elle sera jusqu'au dernier jour, le scandale des esprits forts, la déception des esprits faibles, l'épreuve et la consolation des âmes intérieures, qui n'y cherchent que moi.
Oui, frère Martin, qui m'y cherche m'y trouve, mais il faut m'y trouver, et j'y suis mieux caché qu'on le pense, ou que certains de mes prêtres prétendent vous le faire croire - plus difficile encore à découvrir que dans la petite étable de Bethléem, pour ceux qui ne vont pas humblement vers moi, derrière les Mages et les Bergers...
GEORGES BERNANOS, Frère Martin, fin
Nous ne sommes que trop tentés d'accepter la liquidation du passé, sans garantie, sans contrôle, comme on liquide les stocks.
L'illusion des faibles, à chaque nouvelle tentative d'une impossible libération, est de faire table rase... comme si la vie se recommençait !
Ce qui manque le plus aux hommes de notre temps... c'est justement de se distinguer nettement les uns des autres.
L'activité bestiale dont l'Amérique nous fournit le modèle, et qui tend déjà si grossièrement à uniformiser les moeurs... à rendre impossible toute espèce de tradition.
N'importe quel voyou... prétendra faussement être à lui-même son propre passé, et nos arrière-petits-fils risquent d'y perdre jusqu'à leurs aieux.
L'empire était un faux ménage, et chacun sait ce que les faux ménages ont à craindre des domestiques et des fournisseurs !
Les hyènes intellectuelles que toute émeute fait sortir de leur trou.
Propriètariat : propriété impie, égoiste, jouisseuse, qui ne se reconnaît pas de devoirs.
Qui dit conservateur dit surtout conservateur de soi-même.
Les hommes de gauche, rustres, jettent aussitôt la main au plat, le conservateur pille discrètement le buffet et s'en va d'un pas solennel...
Aujourd'hui la considération des prélats ne va qu'aux radicaux ploutocrates, portant la double auréole de la politique et des affaires.
La République devra avouer un jour qu'elle n'a servi qu'à masquer, sous des noms divers adroitement choisis, la liquidation du capital intellectuel et moral du pays entreprise par la classe moyenne...
On peut tout se permettre contre ce pays, à condition de désarmer d'abord son enthousiasme, comme on confisque un pistolet à un malade nerveux.
Comme toujours, voyant grossir l'orage, la République se repliait à gauche.
Les beaux militaires, depuis un siècle, remplissent merveileusement leurs culottes, mais ils ne remplissent pas leur destin.
Faites contre mauvaise fortune bon coeur. Tâchez d'être aussi fiers que si vous aviez été battus. Certaines nonciatures échauffées...
La guerre des Démocraties, la guerre des Peuples, la guerre Universelle a voulu son langage, universel lui aussi, oecuménique: pour le constituer, elle a pillé le spirituel, comme le reste...: roit, Justice, Humanité, Patrie, Progrès...
Une fois de plus, comme au temps des grandes orgies révolutionnaires, la démocratie avait empoigné la nation au bas-ventre, la clouait heureuse au sol, ruante et pâmée.
Les biens-pensants : Les citoyens de choix dont la raison d'être est de penser, et même de bien penser.
Maîtres de l'or, maîtres de l'opinion, c'est-à-dire des moeurs.
Messianisme qui n'attend que de l'homme la révélation du Dieu futur.
Pour prendre au sérieux cette pédanterie convulsive, on ne trouverait plus guère qu'un quarteron de prêtres écarlates et d'intitutrices hypocondres. "La science vaincra la mort, il n'y a pas à tortiller, monsieur, c'est sûr.
Mais quand ?"
La science ne libère qu'un très petit nombre d'esprits faits par elle, prédestinés. Elle asservit les autres. La complexité de son immense machinerie exige des sacrifices croissants...
Pour de pauvres prêtres qu'on disait avancés aux environs de 1885 et qui s'obstinent à faire semblant de courir derrière des paradoxes fourbus, la démocratie n'est toujours qu'un thème inépuisable aux discussions et controverses du séminaire. "Cette loyauté parfaite qui convient au chrétien", la "loyauté parfaite" de gens qui s'honorent ainsi de changer de maîtres.
Qu'est-ce que l'ordre social chrétien hors du plan de la Rédemption ?
On voit très bien ce que la Société ancienne a fait pour le pauvre... tandis qu'on chercherait en vain quels services lui ont rendu ces chrétiens sociaux qui n'ont que son nom à la bouche, mais se contentent d'applaudir... sous les yeux d'un bon peuple secoué par la rigolade...
Ayant fait en un siècle le tour de tous les régimes, de tous les partis, de toutes les classes sociales, l'aumônière à la main, il leur est désormais impossible de sortir des banalités sans mettre dangereusement en cause la dernière venue des puissances, cette Démocratie...
Tout ce que la Cathédrale avait jadis rassemblé le long de ses flancs énormes... s'éloigne, se disperse. "Les idées chrétiennes devenues folles" ont été lâchées à travers le monde.
GEORGES BERNANOS, La grande peur des biens-pensants, fin
1993 Thesaurus - LA TRAHISON DES CLERCS