1993 Thesaurus - LES GRANDS CIMETIERES SOUS LA LUNE

LES GRANDS CIMETIERES SOUS LA LUNE



J'écris dans les salles de café ainsi que j'écrivais jadis dans les wagons de chemin de fer, pour ne pas être dupe de créatures imaginaires, pour retrouver d'un regard jeté sur l'inconnu qui passe, la juste mesure de la joie ou de la douleur.
J'ai juré de vous émouvoir, d'amitié ou de colère, qu'importe !
Les classes moyennes sont presque seules à fournir le véritable imbécile, la supérieure s'arrogeant le monopole d'un genre de sottise parfaitement inutilisable, d'une sottise de luxe, et l'inférieure ne réussissant que de grossières et parfois admirables ébauches d'animalité.
C'est une folle imprudence d'avoir déraciné les imbéciles.
L'imbécile est d'abord un être d'habitude et de parti pris.
La vie moderne ne transporte pas seulement les imbéciles d'un lieu à l'autre, elle les brasse avec une sorte de fureur.
La colère des imbéciles remplit le monde, elle n'épargnera rien, ni personne, elle est incapable de pardon.
La Providence qui les fit naturellement sédentaires, avait ses raisons pour cela. Or, vos trains rapides, vos avions...
La multiplication des partis flatte d'abord la vanité des imbéciles.
En attendant la machine à penser qu'ils attendent, qu'ils exigent, qui va venir, ils se contenteront très bien de la machine à tuer...
Nous avons industrialisé la guerre pour la mettre à leur portée...
Le progrès va de lui-même, où l'entraîne la masse des expériences accumulées.
L'optimisme est l'alibi sournois des égoïstes, soucieux de dissimuler leur chronique satisfaction d'eux-mêmes. Ils sont optimistes pour se dispenser d'avoir pitié des hommes.
L'optimisme est une fausse espérance à l'usage des lâches et des imbéciles.
Nul ne peut offenser Dieu cruellement qui ne porte en lui de quoi l'aimer et le servir. Les hommes du Moyen Âge n'étaient pas assez vertueux pour dédaigner l'argent, mais ils méprisaient les hommes d'argent.
La chrétienté n'a pas éliminé le Riche, ni enrichi le Pauvre, car elle ne s'est jamais proposé pour but l'abolition du péché originel. Elle eût retardé indéfiniment l'asservissement du monde à l'argent, maintenu les valeurs essentielles à l'homme...
Il y a une bourgeoisie de gauche et une bourgeoisie de droite. Il n'y a pas de peuple de gauche ou de peuple de droite. Il n'y a qu'un peuple.
Il est logique que des citoyens interchangeables s'en remettent au vote pour décider ce qu'ils seront chacun. Ils pourraient aussi bien procéder à la courte paille.
On ne refera pas la France par les élites, on la refera par la base.
Cela coûtera plus cher, tant pis !
Qu'importe que vos intentions soient bonnes ? Il s'agit de savoir qui les exploite.
L'homme moyen n'est pas susceptible que de passions moyennes, il ne paraît moyen que parce qu'il s'accorde docilement à l'opinion moyenne.
Si Dieu se retire du monde c'est qu'il se retire d'abord de nous, chrétiens.
Nous demandons pour nos fils un autre général que le général Moindre-Mal.
Cà ne vous frappe pas que le Bon Dieu ait réservé ses malédictions les plus dures à des personnages très bien vus, exacts aux offices, observateurs rigoureux du jeûne, et beaucoup plus instruits de leur religion... ?
Le solide optimisme auquel vous donnez le nom d'espérance.
Vous devrez tout reconstruire devant des enfants.
Que voulez-vous que fassent d'une Thérèse de Lisieux nos politiques et nos moralistes ?
Le message de saint François : "ça va mal... çà va même aller plus mal encore. Je souhaiterais pouvoir vous rassurer... Mais si vous n'aviez besoin que de tisanes, je serais resté tranquille chez moi... Il n'y a qu'un chemin, c'est celui de la Pauvreté... Je vous précède.
Vous dites : rien ne nous gêne plus, nous allons pouvoir danser. Vous n'allez pas danser... vous allez mourir. Vous êtes morts si la Pauvreté vous maudit."
Si vous aviez suivi ce saint au lieu de l'applaudir, l'Europe n'eût pas connu la Réforme ou les guerres de religion...
Une sainte, dont la foudroyante carrière montre assez le caractère tragiquement pressant du message qui lui est confié, vous invite à redevenir enfants.
Qui ne peut donner plus qu'il ne reçoit commence à tomber en pourriture.
L'Evangile ! l'Evangile ! lorsqu'on en est venu à tout attendre du miracle, il est convenable d'exiger que cette dernière expérience soit bien faite.
La vie n'apporte aucune désillusion, la vie n'a qu'une parole, elle la tient.
Je ne me sens pas né pour couver un oeuf dur.
Vous ne pouvez servir à la fois l'esprit de jeunesse et l'esprit de cupidité.
Si Notre Seigneur a fait sa société d'un grand nombre de pauvres gens - pas tous irréprochables - c'est parce qu'il préférait, je suppose, leur compagnie à celle des fonctionnaires.
Hitler aussi est un enfant humilié... Mais avec lui il est trop tard, il faut se battre... ( note 1418 )
M. Hitler, écolier médiocre... Il a parlé un langage simple ( 680 ) M. Hitler a exploité contre le monde l'injustice du traité de Versailles... ( 712 )
M. Hitler aime son peuple... Il nous reste à souhaiter que ceux que vous lui opposerez, au nom de l'Evangile, aiment Dieu comme il aime son peuple. ( 724 )
M. Hitler est le soldat inconnu allemand... ( 857 ) Je ne parle pas des chefs : Franco... Mais soyons justes, ce ne sont pas des types à se présenter de profil. ( note 1438 )
Ce peuple a le sens du péché. Voilà sans doute pourquoi il est implacable dans ses vengeances cat il sait d'instinct la valeur de l'intention, et c'est elle d'abord qu'il châtie. Aucune protection légale ne lui en impose, la théorie de "l'habeas corpus" le fait rire. ( note 1441 )


Chrétiens, l'avènement de Jeanne d'Arc au XXème siècle revêt le caractère d'un avertissement solennel. La prodigieuse fortune d'une obscure petite carmélite me paraît un signe plus grave encore.

GEORGES BERNANOS, Les grands cimetières sous la lune, fin



SCANDALE DE LA VERITE



Qui n'a pas une fois désespéré de l'honneur ne sera jamais un héros.
Ce sont des mercenaires de la politique, comme il est des mercenaires de la guerre.
Ils jouent le temporel et le spirituel à la fois, c'est ce qui me dégoûte.
La nuit du quatre août : Que les imbéciles nationaux ridiculisent à l'envi parce que l'abandon volontaire des privilèges est bien la seule forme de folie dont ils soient incapables.
Voler les pauvres, c'est voler deux fois. Tromper les simples, c'est tromper deux fois.
L'opinion française de droite ne pense nullement à renaître, elle veut durer, elle veut se survivre. Elle ne consentira jamais les sacrifices nécessaires à une renaissance.
L'affaire Dreyfus et le ralliement ont sauvé les puissances d'argent.
Le scandale n'est pas de dire la vérité, c'est de ne pas la dire tout entière, d'y introduire un mensonge par omission...
On ne dupe pas les peuples, toutes ces précautions oratoires, ces mais et ces si, ces grands mots... qui n'accouchent que d'actes médiocres... font courir plus de risques à l'Eglise que jadis l'invasion des Barbares.
La défaillance de la bourgeoisie a un nom : le mépris du risque ( note 1508 )
Le monde a tout ce qu'il lui faut, et il ne jouit de rien parce qu'il manque d'honneur. L'honneur est un absolu. Qu'a-t-il de commun avec les docteurs du relatif ? ( note 1513 )
Je me suis fait avoir par Maurras comme Péguy par Jaurès.

GEORGES BERNANOS, Scandale de la vérité, fin



NOUS AUTRES FRANçAIS



Le royaume des cieux ne se fera pas tout seul, même en obéissant aux règles morales, communes d'ailleurs à tous les honnêtes gens.
Monseigneur, on vous dira que ces faits n'ont aucune importance, que c'est là une cuisine politique, qu'un Prince ne saurait se commettre jusqu'à goûter la soupe que son peuple mange. C'est pourtant par de telles fautes que la Monarchie s'est perdue. C'est par de telles fautes que les politiques d'Eglise ont perdu la Chrétienté.
C'est à la création du prolétariat, au déracinement, à la dénationalisation économique et sociale du prolétariat que la bourgeoisie française a dû d'occuper dans l'histoire moderne une situation privilégiée.
A mesure que s'organisait contre elle le monde ouvrier, on a vu la bourgeoisie s'instituer peu à peu protectrice des valeurs spirituelles dont l'immense prestige avait l'avantage de couvrir utilement ses privilèges.
Qu'on ose dire : Que penserait de cela Saint Louis et Bayard ?
Alors le peuple comprendra.
Le succès des combines des combinards dépend du bon vouloir des combinés.
La ruse est de ménager les Puissants, mais si ceux-ci ne l'étaient que grâce à la complicité des hommes mûrs et des vieillards qui les ménagent ?
S'ils essayaient de ménager maintenant les faibles pour voir ?
J'ai appris le catéchisme sur les genoux d'une mère française et je le connais assez pour savoir qu'on ne vit pas, qu'on ne se sauve pas, qu'on ne fait pas son salut par omission.
Dés que la révolution cesse de détruire, elle reconnaît un état de fait.
Qu'est-ce qu'un état de fait, sinon l'ensemble des résultats acquis ?
Les résultats acquis font les puissants.
Si la Monarchie lie son sort à celui du Réalisme, si elle en adopte les méthodes, elle sera brisée avant d'avoir servi.
La monarchie n'a pas de dossiers, elle a des titres. On ne plaide pas des titres, on les montre, et on ne les montre qu'à des égaux.
Le monde ne sera pas demain aux réalistes. Le monde sera aux mythes.
Les élites nous reviennent disaient de pauvres prêtres. Hélas ! les peuples ne suivent jamais M. Brunetière.
Ce sont les peuples que vous avez perdus, et vous faites une drôle de tête avec vos élites...
Je ne suis pas une de ces femelles démocrates qui mettent dans le même sac la violence et le crime parce qu'elles ont placé trop bas, plus bas que le coeur, l'organe des émotions sensibles.
La doctrine capitaliste est la justification d'esprit... des rapines de la bourgeoisie du XIXème siècle qui, disposant à bas prix, grâce à l'effondrement de l'Ancien Régime, d'un énorme matériel humain, put confisquer à son profit l'effort...
La politique du Moindre Mal peut prolonger... mais l'esprit de cette politique ne forme ni les consciences ni les caractères. "Vive la paix honteuse" s'écriait M. Jean Cocteau. Toutes les parties honteuses sont familières à ce malheureux.
Vous avez pris un roman policier pour un roman de chevalerie, et la première page lue, vous êtes allés jusqu'au bout.
Le Seigneur est venu pour le criminel, il est venu aussi pour le lâche.
Mais pour que le lâche puisse encore espèrer sous vos ailes... il faut que l'équilibre de la justice soit rétabli, il faut que la société humaine ait d'abord déshonoré le lâche. Car le lâche honoré n'est qu'un monstre.
Je n'ai rien à objecter aux définitions théologiques du pouvoir légitime...
Mais on ne fait pas ou on ne refait pas un grand peuple avec des gaillards qui servent leur maître en attendant que les circonstances leur en donnent un autre, bien décidés par avance à lâcher le premier dès qu'ils en auront obtenu l'autorisation de leur confesseur.
Le plus expert réaliste serait roulé par un petit enfant qui le regarderait droit dans les yeux. Chère petite soeur Thérèse ! Elle aura beaucoup de travail.
Les Etats et les Régimes... sont des syndicats de filous. Puisque l'Eglise elle-même... ne saurait se dispenser de ménager ces filous, c'est à la Monarchie chrétienne française que je demanderai de parler le langage de la Chrétienté.
Refuser le combat est le devoir de l'estafette qui porte un pli important.
C'est aussi le devoir des gens d'Eglise, et pour la même raison.
Les petits enfants se moquent des ministres, prennent les rois au sérieux.
L'univers des enfants où n'entrent jamais...
Nul n'a jamais entendu dire qu'il existât une méthode réaliste bourgeoise capable de persuader aux gens d'être magnanimes.
L'honneur populaire et l'honneur aristocrate ne se distinguent entre eux que par une traduction différente de sentiments communs, simples et forts.
L'honneur finit toujours par s'incarner. Ce n'est pas une marchandise.
Qui incarne en ce monde l'honneur de la personne, de la famille, de la Patrie ?... Les Académies, les chambres de commerce, le syndicat de la Presse...
L'honneur n'est pas un raffinement, c'est un instinct, comme l'amour...
Et chacun le fait à sa manière...
Les raisons de l'honneur ne tiennent pas debout. Mais les peuples ne peuvent pas se passer d'honneur, nous paierons cher d'avoir cru en nous plutôt qu'en lui.
De l'honneur qu'on avait parqué dans les parages du faubourg Saint-Germain ... allait s'allumer et flamboyer l'honneur du faubourg Saint-Antoine.
Il est préférable de donner sa part d'honneur à chacun, plutôt que de courir le risque des grandes famines de l'honneur, génératrices de pestes et de choléras. Je veux bien qu'il soit plus rationnel de construire sur le Profit... "Au bout du compte, je m'en remettrai donc à un homme ?
- Désirez-vous être gouverné par les Anges ?
- Non, mais par la Loi."
Autant dire par les Assemblées qui la votent.
En coûte-t-il autant à une assemblée de se contredire qu'à un roi de se parjurer ?


GEORGES BERNANOS, Nous autres Français, fin



LES ENFANTS HUMILIES



Nous allions rarement au risque, c'était le risque qui venait à nous.
Ils ont truqué la paix à Munich. Pourquoi ne truqueraient-ils pas aujourd'hui la guerre ?
C'est l'atmosphère de la rédaction d'un journal patriote, descendue en masse chez le bistro, à l'heure de l'apéritif et du communiqué.
Je n'ai pas peur de la solitude dans l'espace, mais j'ai bien peur de l'exil dans le temps.
Ce n'est pas les vieux qui rajeunissent, c'est la jeunesse qui prend de l'âge.
Le génie de l'Ordre de jésuites est de maintenir ses jeunes indéfiniment dans l'adolescence. Il n'importe presque pas d'être telle ou telle espèce d'élève, si l'on reste élève toute sa vie.
La guerre d'usure a usé d'avance la paix, de la guerre d'usure est sortie d'avance une paix usée.
On finit toujours par haïr une vérité volontairement méconnue, c'est là un des grands secrets de la vie, et c'est aussi celui de l'enfer éternel.
Il faut acheter de beaucoup d'angoisse un pauvre don de prévoyance qui d'ailleurs ne saurait arrêter, ni même retarder le cours des choses, mais peut servir à libérer certaines âmes.
J'aimerais mieux que mon pays entrât dans la guerre avec une mauvaise conscience qu'avec une conscience faite.
La guerre démocratique totalitaire n'a de national que le nom. Elle est internationale dans ses buts derniers... Le monde moderne n'échappe à la révolution que par une liquidation générale.
J'en ai assez de ces consciences pures.
On a substitué au sentiment de la patrie la notion juridique de l'Etat.
Aucun homme de bon sens ne saurait, naturellement, traiter l'Etat en camarade.
On a volé la France aux Français depuis qu'on leur a mis dans la tête que la France était uniquement l'oeuvre de l'Etat, non la leur,...
Lorsque l'Etat devient Dieu, c'est qu'il est devenu incapable de remplir humainement sa besogne humaine.
Si les monarchies du type de celle de Saint Louis avaient dominé en Europe, la foire italienne de la Renaissance, si favorable aux simoniaques, n'eût pas été beaucoup facilitée.
Chacun de nous a des déceptions à sa mesure, ou plutôt notre part de déception est fixée d'avance, nous ne pourrions être déçus au-delà de nos forces, sans risquer de tomber dans le désespoir.
La paix est une grande oeuvre, réalisée par un grand peuple, imposée par lui, au nom d'une grande foi.
C'est de la sainte charité du Christ que le monde a peur, non de vous, ni de vos "idées". Il vous donnera volontiers tout ce que vous lui demandez de prestige...
La morale catholique est intacte, il n'y a guère plus de conscience catholique, il n'y a plus du tout d'opinion catholique.
Si le Bon Dieu n'y mettait ordre, le génie clérical aurait tôt fait de reconstituer une chrétienté selon les méthodes de la normalisation...
L'Etat moderne est foncièrement antichrétien, il n'a été anticlérical que le temps qu'il a fallu pour obtenir, par ce chantage, votre neutralité bienveillante. Il ne peut lui déplaire que vous formiez des paroissiens étroitement encadrés...
Ce que j'aime ne m'a jamais déçu, mais je ne puis supporter que d'autres soient déçus par ce que j'aime.
L'illusion c'est le rêve à bon marché... le rêve trop souvent greffé sur une expérience précoce, le rêve des notaires futurs.
Les révérends pères jésuites peuvent se vanter d'avoir discipliné l'opinion catholique, il s'agit de savoir si cette docilité est à base d'indifférence ou non. les peuples ne veulent pas des dictateurs et les démocraties ne savent quoi faire des peuples depuis que les peuples se demandent à quoi elles servent.
Ils inventeront de vous tuer par le bruit, comme ils vous tuent déjà par les gaz.
La pauvreté m'a beaucoup moins imposé d'épreuves qu'épargné de sottises...
Elle est la merveilleuse et gracieuse intendante non de nos biens, mais de nos vies.
L'attente de la jouissance ne peut s'appeler une espérance, ce serait plutôt un délire, une agonie. D'ailleurs le monde vit beaucoup trop vite, le monde n'a plus le temps d'espérer.
Nous retournons dans la guerre ainsi que dans la maison de notre jeunesse.
Mais il n'y a plus de place pour nous.


GEORGES BERNANOS, Les enfants humiliés, fin



TEXTES NON RASSEMBLES PAR BERNANOS



Le jacobin, toujours impuissant à délivrer des contraintes réelles, il ne détruit que ce qui les rend supportables aux hommes, c'est-à-dire le lien social.
Puisqu'ils n'ont que leur plume à vendre, qu'ils la vendent; mais qu'au moins une belle enseigne apprenne au public les usages de la maison.
A un sou les six pages, c'est encore payer trop cher une parole asservie.
La religion de l'or a moins gâté ce pays que l'hypocrisie de l'indépendance et du désintéressement.
Des parents réactionnaires eurent jadis la faiblesse de m'enseigner le respect des vieillards. Mais le destin... nous met tous au même niveau.
Dans la commune poubelle règne la Sainte Egalité.
Depuis quarante ans, il est d'usage que les catholiques non républicains fassent les frais de chaque déception nouvelle des conciliateurs à tout prix. Les savantes combinaisons de ces messieurs ratent toujours par notre faute.
Un clergé socialisant démontre simplement qu'il ne sait plus parler qu'aux ventres.
Le bonhomme France et le bonhomme Renan sont morts... la dignité inattendue de cette position horizontale, première attitude sincère de ces deux tragiques coquettes.
Le grand malheur de notre jeunesse... est de risquer de commencer trop tôt les expériences de l'âge mûr.
Que la guerre paie ou ne paie pas, le guerrier s'en fiche, puisque de toutes façons ce n'est pas lui qui passe à la caisse. On n'a jamais entendu un moribond s'écrier à l'instant suprême : "Mon sacrifice fera remonter d'un point le cours des sucres." "Ce qui rendit la répression de la Commune ignoble, c'est qu'elle fut faite par des courtisans, les corrupteurs de ceux même dont on versait le sang à flot; c'est que les plus impitoyables égorgeurs du peuple furent ceux qui le flattaient le plus bassement la veille :..." ( citant Edouard Drumont ) Un brave homme écrivait: La démocratie coule à pleins bords..." C'est vrai, qu'elle coule.
Ces abbés démocrates dont l'incessant ramage, la vanité, l'intrigue et les vapeurs m'évoquent toujours, révérence parler, nos belles agitées du XVIIIème. "On vous ment, cette paix n'est pas une paix de justice, c'est l'escroquerie de la victoire et j'en connais les bénéficiaires." ( Maréchal Foch ) "Vous croyez avoir fait la guerre , vous avez fait une révolution.
- Laquelle ?
- La société des Nations a été le but suprême de la guerre." ( Viviani ) La Maçonnerie a changé l'esprit de la guerre en faisant d'un conflit social une nouvelle étape de la Révolution universelle. "Un peuple qui ne possède pas les institutions démocratiques indispensables à son développement, ne peut pas constituer une nation." ( Congrès maçonnique de juin 1917 )
Paroles funèbres où tout homme libre peut voir s'inscrire et rougeoyer son destin. La Démocratie ou la Mort.


GEORGES BERNANOS, Textes non rassemblés par Bernanos, fin



JOURNAL D'UN CURE DE CAMPAGNE



Je ne pourrais vous juger que selon la grâce et j'ignore celles qui vous seront données...
L'Eglise a les nerfs solides, le péché ne lui fait pas peur, au contraire.
Sa mission est de le rencontrer...
Un jour, dit le curé à Chantal, tu comprendras que la prière est justement cette manière de pleurer, les seules larmes qui ne soient pas lâches...
Si l'Eglise avait vécu l'homme se serait su le fils de Dieu, voilà le miracle !
Elle aurait arraché la solitude du coeur d'Adam...
Le regard de la Vierge est le seul regard vraiment enfantin, le seul vrai regard d'enfant qui se soit jamais levé sur notre honte et notre malheur...
La Sainte Eglise aura beau se donner du mal, elle ne changera pas ce pauvre monde en reposoir de la fête-Dieu...
L'enfer, c'est de ne plus aimer...
La jeunesse est un don de Dieu, et comme tous les dons de Dieu, il est sans repentance...
Il est plus facile qu'on croit de se haïr. La grâce est de s'oublier...
Si j'avais le malheur un jour de manquer aux promesses de mon ordination, je préférerais que ce fût pour l'amour d'une femme plutôt qu'à la suite de ce que tu nommes ton évolution intellectuelle.

Cela a déjà été fait, ma fille.
réponse du curé de campagne à la comtesse révoltée qui parlait de
cracher à la figure du Christ.

Désormais je ne suis plus qu'un philosophe, c'est à dire un homme seul.
D'un prêtre quittant

GEORGES BERNANOS, Journal d'un curé de campagne, fin



SOUS LE SOLEIL DE SATAN



Il disait encore : "J'ai ma conscience, cela suffit." Mais il ne confronta jamais que sa conscience et son grand livre.
Je savais bien, fit-elle. Tu ne crains pas l'enfer et tu crains ta femme !
Es-tu bête !

Sous le soleil de Satan, histoire de Mouchette


De tous les embarras de l'âge, l'expérience n'est pas le moindre, et je voudrais que la prudence dont vous parlez n'eût jamais grandi aux dépens de la fermeté. Avouez-le, mon ami : les vieilles gens craignent moins l'erreur que le risque.
Rien de meilleur qu'une crise de rhumatisme pour vous donner le sens et le goût de la liberté.
A mon âge, on attend le bon Dieu en espérant qu'il entrera sans rien déranger, un jour de semaine...
Etre sollicité par une magnifique aventure quand le sang coule si rare et si froid, c'est une grande et forte épreuve.
N'importe; c'était fini; j'étais trop las. Une certaine bassesse intellectuelle, la méfiance ou la haine du grand que ces malheureux appellent prudence m'avaient rempli d'amertume.
La mort n'a pas grand-chose à apprendre aux vieilles gens, mais un enfant, dans son berceau ! "Et quel enfant !..." Tout à l'heure, le monde commence.
Il est possible que vous soyez prêt à l'entendre, mon ami, mais non pas sans doute à vous y conformer sans réserves. Dans un tel cas, provoquer ce qu'on redoute est moins signe de courage que de faiblesse.
Je me juge, hélas ! avec plus de sévérité que vous ne pensez. J'arrive au port les mains vides.
J'étais aussi trop heureux dans ma solitude pour y achever de mourir en paix. Le jugement de Dieu, mon petit, doit nous surprendre en plein travail.
La parole de... est difficile... C'est qu'il ignore le jeu commode du synoyme et de l'à-peu-près, les détours d'une pensée qui suit le rythme verbal et se modèle sur lui comme une cire.
Les bornes étaient franchies du monde où chaque pas en avant se paie d'un effort douloureux et le but venait à lui avec la rapidité de la foudre.
Pourquoi ( Satan ) disputerait-il tant d'hommes à la terre sur laquelle ils rampent comme des bêtes, en attendant qu'elle les recouvre demain ?
Ce troupeau obscur va tout seul à sa destinée... Sa haine s'est réservé les saints. l'homme qui défend sa vie dans un combat désespéré tient le regard ferme devant lui, et ne scrute pas le ciel d'où tombe la lumière inaltérable sur le bon et sur le méchant.
Notre pauvre chair consomme la souffrance, comme le plaisir, avec une même avidité sans mesure.
Souvenons-nous que Satan sait tirer parti d'une oraison trop longue, ou d'une mortification trop dure.
O fous que nous sommes de ne voir dans notre propre pensée, que la parole incorpore pourtant sans cesse à l'univers sensible, qu'un être abstrait dont nous n'avons à craindre aucun péril proche et certain !
Mais celui-ci - pauvre prêtre ! - s'il doute, ne doute pas seulement de lui mais de son unique espérance.
Nous sommes mauvais juges en notre propre cause, et nous entretenons souvent l'illusion de certaines fautes, pour mieux nous dérober la vue de ce qui en nous est tout à fait pourri et doit être rejeté à peine de mort. ...Toutes nos certitudes sont déduites, et l'expérience n'est pour la plupart des hommes, au soir d'une longue vie, que le terme d'un long voyage autour de leur propre néant.
La charité, comme la raison, est un des éléments de notre connaissance.
Mais si elle a ses lois, ses déductions sont foudroyantes, et l'esprit qui les veut suivre n'en aperçoit que l'éclair.
Ah ! voyez-vous, Dieu nous assiste jusque dans nos folies. Et, quand l'homme se lève pour le maudire, c'est Lui seul qui soutient cette main débile !
Qu'avez-vous donc trouvé dans le péché qui valût tant de peine et de tracas ? si la recherche et la possession du mal comporte quelque horrible joie, soyez bien sûre qu'un autre l'exprima pour lui seul, et la but jusqu'à la lie.
Ah ! parfois Dieu nous appelle d'une voix si pressante et si douce !
Mais, quand il se retire tout à coup, le hurlement qui s'élève de la chair déçue doit étonner l'enfer !
Où l'enfer trouve sa meilleure aubaine, ce n'est pas dans le troupeau des agités qui étonnent le monde de forfaits retentissants. Les plus grands saints ne sont pas toujours les saints à miracles, car le contemplatif vit et meurt le plus souvent ignoré. Or l'enfer a aussi ses cloîtres.
Certaines grâces vous sont prodiguées comme avec excès, sans mesure : c'est apparemment que vous êtes exceptionnellement tenté. L'Esprit-Saint est magnifique, mais ses libéralités ne sont jamais vaines : Il les proportionne à nos besoins. Pour moi, ce signe ne peut tromper : le diable est entré dans votre vie.
Oui, mon enfant, souvenez-vous. Le mal, comme le bien, est aimé pour lui-même, et servi.


Sous le soleil de Satan, La tentation du désespoir


Il faut n'être qu'un pauvre prêtre pour savoir ce que c'est que l'effrayante monotonie du péché !... Je ne trouvais rien à dire... Je ne pouvais plus qu'absoudre et pleurer...
Qu'apprendrait-il de nouveau ce vieux prêtre ? Il a vécu mille vies, toutes pareilles. Il ne s'étonnera plus; il peut mourir. Il y a des morales toutes neuves, mais on ne renouvellera pas le péché.
Mais le saint est toujours seul, au pied de la croix. Nul autre ami.
L'autre n'a pas d'âge. Sa conscience est nette comme le feuillet d'un grand livre, sans ratures et sans pâté. son passé n'est pas vide; il y retrouve quelques joies, il les compte, il s'étonne qu'elles soient si bien mortes, en si bel ordre, à leur place, alignées comme des chiffres. Etaient-elles des joies vraiment ? Ont-elles jamais respiré ? Ont-elles jamais battu ?
Seigneur ! un saint ne va pas sans beaucoup de dégâts, mais on doit faire la part du feu.
Cet homme étrange, où tant d'autres se déposèrent comme un fardeau, eut le génie de la consolation et ne fut jamais consolé. "On s'amuse de moi, disait-il, on se sert de moi comme d'un jouet." C'est ainsi qu'il donnait à pleine mains cette paix dont il était vide. ...La séparation volontaire de tout secours humain, l'homme de Dieu disputé comme une proie...
Les scrupules renaissants, l'angoisse de toucher sans cesse les plaies les plus obscènes du coeur humain, le désespoir de tant d'âmes damnées, l'impuissance à les secourir et à les étreindre à travers l'abîme de chair, l'obsession du temps perdu, l'énormité du labeur...
Il ne retrouvera plus jamais ce sentiment si vif de l'universel péché. il n'est plus sensible qu'à l'énorme mystification du vice, à son grossier et puéril mensonge. Pauvre coeur humain, à peine ébauché ! Pauvre cervelle aride ! Peuple d'en bas, qui remues dans ta vase, inachevé !
Le vieux rebelle, à qui Dieu n'a laissé pour défense qu'un unique et monotone mensonge... ( Satan )
J'ai assisté bien des mourants; ce n'est rien; ils n'effraient plus.
Dieu les recouvre. Mais les misérables que j'ai vu devant moi - et qui discutent, sourient, se débattent, mentent, mentent, mentent - jusqu'à ce qu'une dernière angoisse les jette à nos pieds comme des sacs vides...
Pour un prêtre érudit, courtois, politique, qu'est-ce que le diable ?
A peine ose-t-on le nommer sans rire. Ils le sifflent comme un chien.
Mais quoi ! pensent-ils l'avoir rendu familier ? Allez ! Allez ! c'est qu'ils ont lu trop de livres, et n'ont pas assez confessé. On ne veut que plaire...
Que font-ils de la vie intérieure ? Le morne champ de bataille des instincts. De la morale ? une hygiène des sens : La grâce n'est plus qu'un raisonnement juste qui sollicite l'intelligence.
Des prêtres ! Mais ils ne l'entendent donc pas le cri de la misère universelle ! Ils ne confessent donc que leurs bedeaux ! Ils n'ont donc jamais tenu devant eux, face à face, un visage bouleversé ? Ils n'ont donc jamais vu se lever un de ces regards inoubliables, déjà pleins de la haine de Dieu, auxquels on n'a plus rien à donner, rien !
Quel prêtre n'a jamais pleuré d'impuissance devant le mystère de la souffrance humaine, d'un Dieu outragé dans l'homme, son refuge !... Ils ne veulent pas voir !
Le péché entre en nous rarement par force, mais par ruse. Il s'insinue comme l'air. Il n'a ni forme, ni couleur, ni saveur qui lui soit propre, mais il les prend toutes. Il nous use par dedans. Pour quelques misérables qu'il dévore vifs et dont les cris nous épouvantent, que d'autres sont déjà froids... sépulcres vides...
Dompter le pécheur ! ô la ridicule pensée ! Dompter la faiblesse et la lâcheté même ! Qui ne se lasserait de soulever une masse inerte ? Tous les mêmes ! Dans l'effusion de l'aveu, dans l'élargissement du pardon, menteurs encore, toujours ! Ils jouent l'homme fort... Ils implorent une poigne solide... Ils sont fourbus...
Cette immense duperie, ce rire cruel, cette manière de profaner ce qu'il tue, voilà Satan vainqueur !
Alors... Je donnai tout, sans réserves, pour que l'ennemi qui m'avait poursuivi sans repos, et qui me dérobait à présent jusqu'à l'espérance du salut, fût enfin humilié devant moi par un plus puissant que lui...
O mon père, j'aurais sacrifié à ceci jusqu'à la vie éternelle ! ( La "résurrection" de l'enfant )
Comme ils se hâtent... Sitôt le souffle revenu, vous les verrez, chercher, tâter des lèvres la hideuse mamelle que Satan presse pour eux, gonflée du poison chéri ! Jusqu'à la mort, lève la main, pardonne, absous, homme de la Croix, vaincu d'avance !
La race sans moelle, aux reins glacés, reconnaît en lui son maître... ( L'académicien ) Nul être pensant n'a défloré plus d'idées, gâché plus de mots vénérables, offert aux goujats plus riche proie.
Sur ce ton d'impertinence familière avec lequel il prétend disposer les trésors d'un scepticisme de boulevard, baptisé pour lui sagesse antique.
A quoi bon tenter ce qui ne peut être tenté qu'une fois ? Ce bonhomme de prêtre a fait moins sottement qui s'est retiré de la vie avant que la vie ne se retirât. Sa vieillesse est sans amertume. Ce que nous regrettons de perdre, il souhaite en être au plus tôt délivré; quand nous nous lamentons de ne plus sentir de pointe au désir, il se flatte d'être moins tenté. je jurerais qu'à trente ans il s'était fait des félicités de vieillard, sur quoi l'âge n'a pu mordre. Est-il trop tard pour l'imiter ?
Hasard, dit-on. Mais le hasard nous ressemble.
La force surnaturelle des saints n'est sensible qu'à la hauteur de l'obstacle, notre ignorance ne saurait percevoir l'ampleur et la portée de l'élan.
La Sainteté, vous n'ignorez pas ce qu'elle est : une vocation, un appel.
Là où Dieu vous attend, il vous faudra monter, monter ou vous perdre.
N'attendez aucun secours humain.
Que le péché qui nous dévore laisse à la vie peu de substance !
Le monde n'est pas une mécanique bien montée. Entre Satan et Lui, Dieu nous jette, comme son dernier rempart. C'est à travers nous que depuis des siècles et des siècles la même haine cherche à l'atteindre, c'est dans la pauvre chair humaine que l'ineffable meurtre est consommé.


Sous le soleil de Satan, Le saint de Lumbres


Mais quoi ! nous n'y gagnerions qu'un moment de répit, car nous aurions beau éviter d'en parler... il ne s'en poserait pas moins ce problème.

Sous le soleil de Satan, sur le problème du Mal

Travailler du dedans avec une clairvoyance et une sollicitude sinistre.
La précision d'un chirurgien qui sait où passer ses ciseaux et ses pinces pour atteindre les centres les plus délicats, jour par jour, heure par heure.

Sous le soleil de Satan, le diable en action sur le possédé

Quand il a tout bouleversé, il n'a encore rien détruit. C'est de nous qu'il lui faut tirer le suprême consentement.

Sous le soleil de Satan, la force du diable en existence et sa
faiblesse en essence, sa limite en notre liberté

Le personnage qu'elle affectait d'être détruisait l'autre peu à peu.

GEORGES BERNANOS, Sous le soleil de satan, fin


Chez Bernanos on arrive toujours à regarder en face le thème de la perdition absolue...
L'écrivain, apparenté sur ce point à Dostoïevski, voit la surface du temps devenir transparente pour les options définitives. Il suffirait de tirer un très mince rideau, et l'on verrait apparaître le ciel et l'enfer.
Ainsi s'explique la gravité terrible de ses écrits d'actualité, l'urgence avec laquelle il exige des options terrestres...
H. URS Von BALTHASAR, sur Georges Bernanos




1993 Thesaurus - LES GRANDS CIMETIERES SOUS LA LUNE