1993 Thesaurus - SOUS LE SOLEIL DE SATAN


LOUIS FERDINAND CELINE



Invoquer la postérité c'est faire un discours aux asticots.
L. F. CELINE

Quand on a pu s'échapper vivant d'un abattoir international en folie, c'est tout de même une référence sous le rapport du tact et de la discrétion.
L. F. CELINE, de la guerre de 1914...

La gauche, cette vieille putain aux fesses jaunies.
L. F. CELINE

La vérité est du côté de la mort.
L. F. CELINE

La vérité est du côté de la mort. Il faut choisir : mourir ou mentir.
J'ai jamais pu me tuer, moi.
L. F. CELINE




CHATEAUBRIAND



De tristes choses se réveillent dans les coeurs qui ont retenu le bruit des révolutions.
CHATEAUBRIAND

La musique tient le milieu entre la nature matérielle et la nature intellectuelle; elle peut dépouiller l'amour de son enveloppe terrestre ou donner un corps à l'ange.
CHATEAUBRIAND

Quel malheur, mademoiselle, que de voir une chose si belle quand on va mourir.
CHATEAUBRIAND, à 80 ans, à une jeune actrice

Toute révolution qui n'est pas accomplie dans les moeurs et dans les idées échoue.
CHATEAUBRIAND

Sociétés depuis longtemps évanouies, combien d'autres vous ont succédé ! les danses s'établissent sur la poussière des morts, et les tombeaux poussent sous les pas de la joie. Nous rions et nous chantons sur les lieux arrosés du sang de nos amis.
CHATEAUBRIAND

Du chrétien zélé que j'avais été, j'étais devenu un esprit fort, c'est-à-dire un esprit faible.
CHATEAUBRIAND

La Révolution m'aurait entraîné si elle n'eût débuté par des crimes : je vis la première tête portée au bout d'une pique, et je reculai. Jamais le meurtre ne sera à mes yeux un objet d'admiration et un argument de liberté ; je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu'un terroriste.
CHATEAUBRIAND


Le protestantisme n'est en religion qu'une hérésie illogique; en politique, qu'une révolution avortée.
CHATEAUBRIAND

Les douleurs ne sont point éternelles : il faut tôt ou tard qu'elles finissent, parce que le coeur de l'homme est fini. C'est une de nos grandes misères : nous ne sommes même pas capables d'être longtemps malheureux.
CHATEAUBRIAND

Plus les peuples avancent en civilisation, plus l'état du vague des passions augmente... On est détrompé sans avoir joui; il reste encore des désirs, et l'on n'a plus d'illusions. L'imagination est riche, abondante et merveilleuse, l'existence pauvre, sèche et désenchantée. On habite, avec un coeur plein, un monde vide, et, sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout.
CHATEAUBRIAND

L'homme est aussi trompé par la réussite de ses voeux que par leur désappointement.
CHATEAUBRIAND

Le temps fait pour les hommes ce que l'espace fait pour les monuments : on ne juge bien des uns et des autres qu'à distance et au point de la perspective; trop près on ne les voit pas; trop loin on ne les voit plus.
CHATEAUBRIAND

Lorsque l'on songe que c'est à la vanité du savoir que nous devons presque tous nos malheurs, n'est-on pas tenté de croire que l'homme a été sur le point de périr de nouveau pour avoir porté une seconde fois la main sur le fruit de la science ? Les "siècles savants" ont toujours touché aux "siècles de destruction".
CHATEAUBRIAND

L'enfance n'est si heureuse que parce qu'elle ne sait rien; la vieillesse si misérable, que parce qu'elle sait tout; heureusement pour elle, quand les mystères de la vie finissent, ceux de la mort commencent.
CHATEAUBRIAND


Un homme vous protège par ce qu'il vaut, une femme par ce que vous valez; voilà pourquoi de ces deux empires l'un est si odieux, l'autre si doux.
CHATEAUBRIAND

Si l'on vous donne un soufflet, rendez-en quatre, n'importe la joue.
CHATEAUBRIAND

Il est bon de se prosterner dans la poussière quand on a commis une faute, mais il n'est pas bon d'y rester.
CHATEAUBRIAND

Pour les véritables saints et les hommes supérieurs, la religion est un admoniteur sévère, qui leur apprend à s'humilier et leur enseigne la vraie vertu; pour les hommes passionnés et vulgaires, ses leçons ne servent qu'à nourrir l'orgueil humain et à donner des apparences de vertu. "Je marche sur la tête de mes amis et de mes ennemis : qui peut dire cependant que je manque d'humilité ? Ne me suis-je pas mis à genoux ?"
CHATEAUBRIAND

L'âme de l'homme est transparente comme l'eau de fontaine, tant que les chagrins qui sont au fond n'ont point été remués.
CHATEAUBRIAND

Caresser la vertu sans être capable de l'aimer, c'est presser les deux belles mains d'une jeune femme dans les mains ridées de la vieillesse.
CHATEAUBRIAND

La vieillesse est une voyageuse de nuit; la terre lui est cachée; elle ne découvre plus que le ciel.
CHATEAUBRIAND

Les caractères exaltés dans les gens vulgaires sont insupportables : unis à une grande âme ou à un beau génie, ils entraînent tout.
CHATEAUBRIAND

Il serait étrange que l'homme prétendît à une constance inaltérable, lorsque toute la nature change autour de lui.
CHATEAUBRIAND


Les autres nous semblent toujours plus heureux que nous, et pourtant ce qu'il y a d'étrange, c'est que l'homme qui changerait volontiers sa position ne consentirait presque jamais à changer sa personne. Il voudrait bien peutêtre se rajeunir un peu... Quant à son esprit, il n'en altérerait pas la moindre parcelle; nous nous habituons à nous-mêmes et nous tenons à notre vieille société.
CHATEAUBRIAND

La faiblesse n'est pas la fausseté, mais elle en tient lieu et elle en remplit les fonctions.
CHATEAUBRIAND

On s'irrite moins en raison de l'offense reçue qu'en raison de l'idée que l'on s'est formé de soi.
CHATEAUBRIAND

Les plaisirs de la jeunesse reproduits par la mémoire sont des ruines vues au flambeau.
CHATEAUBRIAND

Toute notre vie se passe à errer autour de notre tombe.
CHATEAUBRIAND

Il est un âge où quelques mois ajoutés à la vie suffisent pour développer des facultés jusqu'alors ensevelies dans un coeur à demi fermé.
CHATEAUBRIAND

Il y a deux points de vue d'où la mort se montre bien différente.
De l'un de ces points de vue, vous apercevez la mort au bout de la vie, comme un fantôme à l'extrémité d'une longue avenue : elle vous semble petite dans l'éloignement, mais à mesure que vous en approchez elle grandit; le spectre démesuré finit par étendre sur vous ses mains froides et par vous étouffer.
De l'autre point de vue la mort paraît énorme au fond de la vie; mais à mesure que vous marchez sur elle, elle diminue, et quand vous êtes au moment de la toucher, elle s'évanouit.
L'insensé et le sage, le poltron et le brave, l'esprit impie et l'esprit religieux, l'homme de plaisir et l'homme de vertu, voient aussi différemment la mort dans la perspective.
CHATEAUBRIAND


L'invasion des idées a succédé a l'invasion des barbares; la civilisation actuelle décomposée se perd en elle-même; le vase qui la contient n'a pas versé la liqueur en un autre vase; c'est le vase qui s'est brisé.
CHATEAUBRIAND

Quand un peuple, transformé par le temps, ne peut plus rester ce qu'il a été, le premier symptome de sa maladie, c'est la haine du passé et des vertus de ses pères.
CHATEAUBRIAND

Il faut se garder de prendre les idées révolutionnaires "du temps" pour les idées révolutionnaires "des hommes" : l'essentiel est de distinguer la lente conspiration des âges de la conspiration hâtive des intérêts.
CHATEAUBRIAND

L'anarchie déchaîne les masses, et asservit les indépendances individuelles.
CHATEAUBRIAND

Il est des axiomes généraux qu'on met devant soi comme des gabions; placé derrière ces abris, on tiraille de là sur les intelligences qui marchent.
CHATEAUBRIAND

Il y a des temps où l'élévation de l'âme est une véritable infirmité; personne ne la comprend; elle passe pour une espèce de borne d'esprit, un préjugé, une habitude inintelligente, une lubie, un travers qui vous empêche de juger les choses.
CHATEAUBRIAND

Le peuple souverain étant partout quand il devient tyran, le tyran est partout; c'est la présence universelle d'un universel Tibère.
CHATEAUBRIAND

L'égalité complète, qui présuppose la soumission complète, reproduirait la plus dure servitude; elle ferait de l'individu humain une bête de somme, soumise à l'action qui la contraindrait, et obligée de marcher sans fin dans le même sentier.
CHATEAUBRIAND


Platon et Socrate criaient aux peuples : "Soyez vertueux, vous serez libres"; nous leur avons dit : "Soyez libres, vous serez vertueux." La Grèce, avec de tels sentiments, fut heureuse. Qu'obtiendrons-nous avec les principes opposés.
CHATEAUBRIAND

Fasse le ciel que ces intérêts industriels, dans lesquels nous devons trouver une prospérité d'un genre nouveau, ne trompent personne, qu'ils soient aussi féconds, aussi civilisateurs que ces intérêts moraux d'où sortit l'ancienne société. Le temps nous apprendra s'ils ne seraient point le songe infécond de ces intelligences stériles qui n'ont pas la faculté de sortir du monde matériel.
CHATEAUBRIAND

On n'arrive à la création des peuples que par les routes du ciel: les chemins de fer nous conduiront seulement avec plus de rapidité à l'abîme.
CHATEAUBRIAND

Nous sommes revenus au temps de Babel; mais on ne travaille plus à un monument commun de confusion : chacun bâtit sa tour à sa propre hauteur.
CHATEAUBRIAND

Voyez l'homme à ses travaux; quel effrayant appareil de machines ! Armé du feu, que va tenter ce nouveau Prométhée ? Va-t-il créer un monde ? Non; il va détruire : il ne peut enfanter que la mort !
CHATEAUBRIAND

La misère de l'homme se voit encore dans un certain fond ridicule des affaires humaines. Les révolutions surtout découvrent l'insuffisance de notre na- ture : si vous les considérez dans l'ensemble, elles sont imposantes; si vous pénétrez dans le détail, vous apercevez tant d'inepties et de bassesse, tant d'hommes renommés qui n'étaient rien, tant de choses dites l'oeuvre du génie qui furent l'oeuvre du hasard...
CHATEAUBRIAND

Tourmentez vous pour rétablir la vertu chez un peuple qui l'a perdue, vous n'y réussirez pas. Il y a un principe de destruction en tout. A quelle fin Dieu l'a-t-il établi ? C'est son secret.
CHATEAUBRIAND


Il y a des temps où l'on ne doit dépenser le mépris qu'avec économie, à cause du grand nombre de nécessiteux.
CHATEAUBRIAND

Souvent ce que l'on conteste à la légitimité, on l'accorde à l'usurpation : les hommes dans leur orgueil se consolent de l'esclavage lorsqu'ils ont euxmêmes choisi leur maître parmi leurs égaux.
CHATEAUBRIAND

L'heure viendra que l'obélisque du désert retrouvera, sur la place des meurtres, le silence et la solitude de Luxor.
CHATEAUBRIAND

Le paganisme, qui développe les passions avant l'âge, retarde les progrès de la raison; le Christianisme, qui prolonge au contraire l'enfance du coeur, hâte la virilité de l'esprit.
CHATEAUBRIAND

Le paganisme peut, si l'on veut, s'associer au plaisir, mais il est inutile à la douleur; le Christianisme, également ami d'une joie modeste et favorable à la sérénité de l'âme, est surtout un baume pour les plaies du coeur :

le premier est une religion d'enfants; le second est une religion d'hommes.
CHATEAUBRIAND

Je ne sais quoi de cynique et de honteux respire sous les traits du sophiste : telle est la laideur de l'homme, quand il est, pour ainsi dire, resté seul avec son corps et qu'il renonce à son âme.
CHATEAUBRIAND

La perception du bien et du mal s'obscurcit à mesure que l'intelligence s'éclaire; la conscience se rétrécit à mesure que les idées s'élargissent.
CHATEAUBRIAND

On est bien près de tout croire quand on ne croit à rien.
CHATEAUBRIAND


L'événemement providentiel apparaît après l'événement humain. Dieu se lève derrière les hommes.
CHATEAUBRIAND

Dieu ne défend pas les routes fleuries quand elles servent à revenir à lui, et ce n'est pas toujours par les sentiers rudes et sublimes de la montagne que la brebis égarée retourne au bercail.
CHATEAUBRIAND

On reprochait au christianisme ces mêmes disputes métaphysiques dans lesquelles on voulait nous entraîner... On disait que notre religion est un tissu de subtilités qui n'offrent rien à l'imagination ni au coeur...
Se présente-t-il quelqu'un qui, répondant à ces derniers reproches, cherche à démontrer que le culte évangélique est celui du poète, de l'âme tendre ?
On ne manquera pas de s'écrier : Eh ! qu'est-ce que tout cela prouve, sinon que vous savez plus ou moins bien faire un tableau ?
Ainsi, voulez-vous peindre et toucher, on vous demande des "axiomes" et des "corollaires". Prétendez-vous raisonner, il ne faut plus que des "sentiments" et des "images". Il est difficile de joindre des ennemis aussi légers, et qui ne sont jamais au poste où ils vous défient.
CHATEAUBRIAND

Une tradition universelle nous apprend que l'homme a été créé dans un état plus parfait que celui où il existe à présent, et qu'il y a eu une chute...
Mais la cause finale de l'homme a-t-elle été altérée par sa chute ? Non, puisque l'homme n'a pas été créé de nouveau; non, puisque la race humaine n'a pas été anéantie, pour faire place à une autre race.
Ainsi l'homme devenu mortel et imparfait par sa désobéissance, est resté toutefois avec les fins immortelles et parfaites. Comment parviendra-t-il à ses fins dans son état actuel d'imperfections ? Il ne le peut plus par sa propre énergie, par la même raison qu'un homme malade ne peut plus s'élever à la hauteur de pensées à laquelle un homme sain peut atteindre.
Il y a donc disproportion entre la force et le poids à soulever par cette force : ici on entrevoit déjà la nécessité d'une aide ou d'une rédemption...
Nous voyons que partout le fils innocent porte le châtiment du père coupable.
CHATEAUBRIAND


Par quel culte veut-on remplacer celui de nos pères ?
On se rappellera longtemps ces jours où des hommes de sang prétendirent élever des autels aux vertus sur les ruines du christianisme. D'une main ils dressaient des échafauds; de l'autre, sur le frontispice de nos temples, ils garantissaient à Dieu "l'éternité", et à l'homme la "mort"; et ces mêmes temples, où l'on voyait autrefois ce Dieu qui est connu de l'univers, ces images de Vierge qui consolaient tant d'infortunés, ces temples étaient dédiés à la "Vérité", qu'aucun homme ne connaît, et à la "Raison", qui n'a jamais séché une larme.
CHATEAUBRIAND

En recherchant les causes de l'athéisme, on est conduit à cette triste observation, que la plupart de ceux qui se révoltent contre le ciel ont à se plaindre en quelque chose de la société ou de la nature ( excepté toutefois des jeunes gens séduits par le monde, ou des écrivains qui ne veulent faire que du bruit )...
CHATEAUBRIAND

Si l'Eglise a donné la première place à l'orgueil dans l'échelle des dégradations humaines, elle n'a pas classé moins habilement les six autres vices capitaux... La religion passe excellement, de ces crimes qui attaquent la société en général, à ces délits qui ne retombent que sur le coupable. ainsi, l'envie, la luxure, l'avarice et la colère suivent immédiatement l'orgueil; parce que ce sont des vices qui s'exercent sur un sujet étranger, et qui ne vivent que parmi les hommes; tandis que la gourmandise et la paresse, qui viennent les dernières, sont des inclinations solitaires et honteuses, réduites à chercher en elles-mêmes leurs principales voluptés.
CHATEAUBRIAND

L'homme pouvait détruire l'harmonie de son être de deux manières, ou en voulant trop "aimer", ou en voulant trop "savoir". Il pécha seulement par la seconde...
Adam chercha à comprendre l'univers, non avec le sentiment, mais avec la pensée, et, touchant à l'arbre de science, il admit dans son entendement un rayon trop fort de lumière. A l'instant l'équilibre se rompt, la confusion s'empare de l'homme...
Toute son âme se trouble et se soulève; les passions combattent le jugement, le jugement cherche à anéantir les passions, et dans cette tempête effrayante, l'écueil de la mort vit avec joie le premier naufrage.
CHATEAUBRIAND


Voyez ce nouveau-né qu'une nourrice porte dans ses bras. Qu'a-t-il pour donner tant de joie à ce vieillard, à cet homme fait, à cette femme ? deux ou trois syllabes à demi formées, que personne n'a comprises : et voilà des êtres raisonnables transportés d'allégresse...
Quelque chose dit que ces paroles inarticulées sont les premiers bégaiements d'une pensée immortelle.
CHATEAUBRIAND

Ce qui perdra toujours la foule, c'est l'orgueil : c'est qu'on ne pourra jamais lui persuader qu'elle ne sait rien au moment où elle croit tout savoir. Les grands hommes peuvent seuls comprendre ce dernier point des connaissances humaines, où l'on voit s'évanouir les trésors qu'on avait amassés, et où l'on se retrouve dans sa pauvreté originelle.
CHATEAUBRIAND

On a dit que les mathématiques servent à rectifier dans la jeunesse les erreurs du raisonnement. Mais on a répondu... que, pour classer des idées, il fallait premièrement en avoir; que prétendre arranger l'entendement d'un enfant c'était vouloir arranger une chambre vide. Donnez-lui d'abord des notions claires de ses devoirs moraux et religieux, enseignez-lui les lettres humaines et divines : ensuite, quand vous aurez donné les soins nécessaires à l'éducation du coeur de votre élève, quand son cerveau sera suffisament rempli d'objets de comparaison et de principes certains, mettze-y de l'ordre, si vous le voulez, avec la géométrie.
CHATEAUBRIAND

Qu'on ait des charrues plus légères, des machines plus parfaites pour les métiers, c'est un avantage; mais croire que le génie et la sagesse humaine se renferment dans un cercle d'inventions mécaniques, c'est prodigieusement errer.
CHATEAUBRIAND

Quan Dieu, pour des raisons qui nous sont inconnues, veut hâter les ruines du monde, il ordonne au Temps de prêter sa faux à l'homme; et le Temps nous voit avec épouvante ravager dans un clin d'oeil ce qu'il eût mis des siècles à détruire.
CHATEAUBRIAND


L'ordre social, en dehors de l'ordre politique, se compose de la religion, de l'intelligence et de l'industrie matérielle; il y a toujours chez une nation au moment des catastrophes, et parmi les plus grands événements, un prêtre qui prie, un poète qui chante, un auteur qui écrit, un savant qui médite, un peintre, un statuaire, un architecte, qui peint, sculpte et bâtit, un ouvrier qui travaille. Ces hommes passent à côté des révolutions, et semblent vivre d'une vie à part : si vous ne voyez qu'eux, vous voyez un monde réel, vrai, immuable, base de l'édifice humain, mais qui paraît fictif et étranger à la société de convention, à la société politique.
CHATEAUBRIAND

Les juives... ont échappé à la malédiction dont leurs pères, leurs maris et leurs fils ont été frappés. On ne trouve aucune juive mêlée dans la foule des prêtres et du peuple qui insulta le Fils de l'Homme, le flagella, le couronna d'épines, lui fit subir les ignomonies et les douleurs de la croix.
Les femmes de la Judée crurent au Sauveur, l'aimèrent, le suivirent, l'assistèrent de leur bien, le soulagèrent dans ses afflictions. Une femme, à Béthanie, versa sur sa tête le nard précieux qu'elle portait dans un vase d'albâtre; la pécheresse répandit une huile de parfum sur ses pieds, et les essuya avec ses cheveux. Le Christ, à son tour, étendit sa miséricorde et sa grâce sur les juives; il ressuscita le fils de la veuve de Naïm et le frère de Marthe; il guérit la belle-mère de Simon et la femme qui toucha le bas de son vêtement; pour la Samaritaine il fut une source d'eau vive, un juge compatissant pour la femme adultère. Les filles de Jérusalem pleurèrent sur lui, les saintes femmes l'accompagnèrent au Calvaire, achetèrent du baume et des aromates, et le cherchèrent au sépulcre en pleurant. Sa première apparition après la résurrection fut à Madeleine...
CHATEAUBRIAND, Si on prétend après cela que Jésus et son Eglise
furent ou sont misogynes !

Il faut de plus grands efforts de talent pour intéresser en restant dans l'ordre, que pour plaire en passant toute mesure; il est moins facile de régler le coeur que de le troubler.
CHATEAUBRIAND,

Si vous dépassez d'une ligne les conceptions vulgaires, mille imbéciles s'écrient : "Vous vous perdez dans les nues !" ravis qu'ils se sentent d'habiter en bas, où ils s'entêtent à penser.
CHATEAUBRIAND,


Aussitôt qu'une pensée vraie est entrée dans notre esprit, elle jette une lumière qui nous fait voir une foule d'autres objets que nous n'apercevions pas auparavant.
CHATEAUBRIAND,

Rien n'est triste comme de relire vers la fin de ses jours ce que l'on a écrit dans sa jeunesse : tout ce qui était présent se trouve au passé.
CHATEAUBRIAND,

Cet amour du laid qui nous a saisis, cette horreur de l'idéal... sont une dépravation de l'esprit; elle ne nous est pas donnée par cette nature dont on parle tant...
L'ordre, le vrai, le beau ne sont ni connus, ni appréciés. Notre esprit est si gâté par le laisser-aller et l'outrecuidance du siècle que si l'on pouvait faire renaître la socièté charmante des Sévigné... elles nous paraîtraient insipides. Avant et après la civilisation, lorsqu'on n'a pas eu ou qu'on n'a plus le goût des jouissances intellectuelles, on cherche la représentation des objets sensibles : les peuples commencent et finissent par des gladiateurs et des marionnettes.
CHATEAUBRIAND,

Le style n'est pas, comme la pensée, cosmopolite; il a une terre natale, un ciel, un soleil à lui.
CHATEAUBRIAND,

Soutenir qu'il n'y a pas d'art, qu'il n'y a point d'idéal; qu'il ne faut pas choisir, qu'il faut tout peindre; que le laid est aussi beau que le beau, c'est tout simplement un jeu d'esprit dans ceux-ci, une dépravation du goût dans ceux-la, un sophisme de la paresse dans les uns, de l'impuissance dans les autres.
CHATEAUBRIAND,

Y a-t-il donc quelque chose de certain et de vrai sur la terre à présent ?
On ne sait que croire; on hésite en tout; les convictions les plus vives sont éteintes au bout de la journée...
Chacun écrit; personne ne lit sérieusement...
A l'époque où nous vivons, chaque lustre vaut un siècle; la société meurt et se renouvelle tous les dix ans...
Rien ne s'élèvera plus dans les sociétés nivelées, et la grandeur de l'individu sera désormais remplacée par la grandeur de l'espèce...
La jeunesse est ce qu'il y a de plus beau et de plus généreux; je me sens puissamment attiré vers elle, comme à la source de mon ancienne vie; je lui souhaite succès et bonheur : c'est pourquoi je me fais un devoir de ne pas la flatter. Par les fausses routes où elle s'égare, elle ne trouvera en dernier résultat que le dégoût et la misère.
CHATEAUBRIAND,


Avec ce mot de "nature" on a tout perdu. Peignons la nature, mais la belle nature : l'art ne doit pas s'occuper de l'imitation des monstres.
CHATEAUBRIAND,

Je suis devenu disciple du Christ sans pour autant avoir reçu de grandes lumières surnaturelles. Ma conviction est sortie du coeur. J'ai pleuré et j'ai cru.
CHATEAUBRIAND,

Le grand nécrologue, qui, en toutes choses, ne vit que leur force de l'émouvoir, c'est-à-dire lui-même.
CHARLES MAURRAS, sur Chateaubriand




GILBERT KEITH CHESTERTON



Un fou est un homme à qui il ne reste que la raison.
CHESTERTON

L'homme boitera toujours par le sexe, pourtant il est au milieu.
CHESTERTON

Il est juste d'exagérer ce qui est juste.
CHESTERTON

Chacun parle de l'opinion publique, entendant par là l'opinion publique moins la sienne.
CHESTERTON

C'est un signe des temps que l'art d'être païen avec naturel se soit perdu chez nous depuis deux mille ans.
CHESTERTON

Le monde moderne est plein d'anciennes vertu chrétiennes devenues folles.
CHESTERTON



L'HOMME ETERNEL



Si l'on dit que l'Eglise est disqualifiée par les déclarations de guerre pourquoi ne pas dire que l'Arche de Noé fut disqualifiée par le Déluge.
Quand le monde va mal c'est plutôt la preuve que l'Eglise voit juste.

Pour aimer sa famille spirituelle le mieux est d'en être tout proche; mais pour ne pas la haïr le mieux est d'en être franchement loin... Le meilleur juge du christianisme est le chrétien et tout de suite après quelqu'un comme un sage confucéen; le pire des juges est l'homme des préjugés, ignorant de ce qu'est le christianisme; car il tourne en agnostique acariâtre, invinciblement dégoûté d'on ne sait quoi.

Les historiens contemporains me paraissent avoir presque tous une vision disons sophistiquée : ils commencent par établir une transition entre l'animal et l'homme au lieu de noter qu'il y a un saut, et continuent en établis- sant des ponts entre le monde païen et la chrétienté au lieu de noter qu'on ne peut en jeter...
Un iconoclaste peut être indigné; un iconoclaste peut être justement indigné; mais un iconoclaste n'est pas impartial. Il faut une bonne dose d'hypocrisie pour affirmer que les neuf dixièmes des puissants penseurs évolution- nistes et autres professeurs d'histoire comparée des religions sont assurément impartiaux...
J'affirme que je suis impartial en ce sens que je me considérerais comme déshonoré de lire sur le Dalaï Lama la moitié des sottises qu'ils disent sur le Pape.

A ceux qui ne sont plus capables de cet émerveillement, qui sont tombés dans un état d'abrutissement complet; à ceux pour qui un cavalier sur sa monture et un rond-de-cuir sur sa chaise paraissent faire la paire, il faut une cure radicale...
Le trésor de souvenirs familiaux que contient l'album ne peut même plus les éclairer.



Introduction

Le mot ( évolution ), comme le concept a quelque chose de lent, de modéré, de rassurant. Le seul ennui c'est que ni le mot ni la notion ne correspondent à rien. Personne ne peut concevoir comment quelque chose est sorti du néant...
Evolution est devenue un synonyme d'explication : ce qui amène ce très fâcheux résultat qu'un tas de gens croient avoir tout compris, comme ils croient qu'ils ont vraiment lu l'Origine des Espèces.
Les notions de pente douce, de transition lente sont des éléments aussi fondamentaux qu'illogiques de ce conte de fées. Car aller vite ou lentement ne fait rien à l'affaire. Ce qu'a d'intelligible un événement ne dépend pas de sa durée. A l'incrédule, un miracle au ralenti paraîtra tout aussi incroyable qu'un miracle instantané...
Et pourtant flotte dans l'air du temps, cette idée que tout peut s'expliquer si l'on veut bien admettre que cela a pris du temps; le déterminisme historique appliqué à l'évolution repose sur cette notion mal définie qui permet d'éliminer les mystères... Il faut noter que le confort intellectuel que l'on se procure ainsi ressemble au confort moral que l'on procure à la vieille dame douillettement installée pour son premier voyage en auto, en l'assurant que l'on n'ira pas vite...
Cette question ne peut qu'être religieuse, à tout le moins philosophique ou métaphysique. Et certes personne ne la croira résolue par une accélération ou une décélération de l'histoire. Pas plus qu'on ne croira qu'un mauvais film deviendrait bon si on le passait moins vite.

La simplicité ( du petit garçon explorant la caverne ) serait passablement surprise de ne jamais trouver la moindre trace du plus petit commencement d'une oeuvre d'art dans le règne animal. Car telle est la leçon la plus claire de la caverne aux fresques; si claire qu'on ne la voit pas. L'homme et la bête sont différents par nature. La preuve en est que si tout le monde vous croit quand vous dites qu'un primitif des plus reculés a dessiné un singe, tout le monde vous rit au nez quand vous dites qu'un singe des plus malins a dessiné un homme. Quelque chose comme un seuil paraît ici et qui est spécifique. L'art est la signature de l'homme.
On doit commencer l'histoire des commencements par l'énoncé de ce genre de vérités premières. L'évolutionniste qui examine les peintures rupestres à la loupe ne s'avise pas qu'il est en face de quelque chose de trop profond pour le regard et de trop élémentaire pour l'intellect. Incapable qu'il est de comprendre la signification de l'ensemble...
Ce que nous enseigne le seul témoin que nous ayons de l'homme du renne : l'homme dessine et point le renne. Et si l'homme du renne était une bête, c'était une bête tout à fait merveilleuse qui faisait ce qu'aucune autre ne pouvait faire; si c'était un pur produit de la biologie, semblable aux autres bêtes, il est tout à fait merveilleux qu'il n'eût rien de commun avec elles...
J'ai commencé mon récit par une caverne, comme celle de Platon, parce que cela me permettait de donner un modèle typique du sophisme qui règne dans la plupart des introductions, préfaces ou avant-propos d'ouvrages évolutionnistes. Il ne sert à rien de commencer par dire que tout c'est fait lente- ment et doucement, que ce n'est qu'une affaire de développement et d'étapes.
Car dans un cas aussi simple que celui des fresques il n'y a en fait aucune trace de développement ou d'étapes. Il n'y a pas de peintures commencées par des singes et achevées par des hommes. Le renne n'est pas mal dessiné par Pithécantropus et bien par Homo Sapiens. Les animaux les plus développés ne brossent pas des portraits de plus en plus saisissants...
Cette question du dessin montre admirablement la solitude et le mystère de l'homme. Il est une créature, mais radicalement différente des autres, car il est aussi un créateur.


La façon la plus claire et la plus explicite de commencer, c'est de considérer simplement ce qui se passait dans la caverne de l'homme-des-cavernes.
Car... elle permet de voir que quelque chose a déchiré la nuit obscure où reposait la nature.

L'homme est un animal étrange au point qu'on pourrait presque le dire étranger à la terre... Il a plutôt l'air de débarquer d'une autre planète que d'être né sur celle-ci. Il est inférieur à son état et supérieur à son état.
Il n'est pas bien dans sa peau; il ne peut se fier à ses instincts... créateur et infirme...
Seul d'entre les animaux il éprouve le besoin de détourner sa pensée des réalités immédiates de sa vie physique; de les cacher comme s'il pressentait une présence plus élevée qui l'initiait au mystère de la honte. Que nous honorions en ces traits la nature humaine ou que nous stigmatisions en eux un désordre de la création, ils demeurent uniques. C'est ce qu'a bien compris l'instinct populaire baptisé religion contre tous les cuistres adeptes de la vie simple et autres naturistes...
Le bon sens nous dit que l'homme ne se réduit pas à ses cinq sens. Pour ne voir en lui qu'un animal, il faut s'aveugler et perdre le sens du réel qui est comme la chaude lumière du jour; ou encore il faut choisir son éclairage, augmenter certains contrastes, mettre en valeur quelques faits, en estomper d'autres. Ce qui se tient debout devant nous... et que nous pouvons regarder de tous côtés c'est autre chose qu'un animal. Une chose autre, parfaitement extraordinaire à tous égards, extraordinaire au point qu'elle est sans aucun rapport avec ce qui la précède.

Il n'est pas du tout prouvé que cela se soit passé lentement, ni même naturellement. A parler strictement nous ne savons scientifiquement rien du développement de l'esprit humain, ni même s'il s'est développé, ni même ce qu'il est. Quelques os et quelques cailloux rassemblés peuvent sembler suggérer l'idée d'un développement du corps humain; mais rien ne suggère même faiblement un tel développement de l'esprit humain. Il n'était pas; il fut; nous ne savons ni quand, ni comment. Il y eut un événement; et cet événement fut comme un passage à l'éternel.



L'homme dans sa caverne

Le bon sens nous dit nettement que les animaux... ne sont pas près à passer de l'expérience sensible à l'expérimentation humaine, bien que le printemps, la mort, les rêves mêmes appartiennent autant à leur expérience qu'à la nôtre. Ce qui prouve que l'expérience sensible considérée comme telle ne conduit aucune créature autre que l'homme à la réflexion. Nous retrouvons ici cette capacité de réfléchir, solitude et grandeur de l'homme, qui seul peut penser et dessiner. Les données naturelles n'ont jamais manqué à la réflexion religieuse, mais le sens religieux appartient à l'homme. Lui seul a toujours pu s'interroger, découvrir et espérer. Lui seul peut songer et songer à ses songes. Lui seul peut voir la mort en face et l'ombre de la mort; lui seul est la proie de cet incompréhensible mystère qu'est à jamais notre incroyable mort.

Ceux qui donnent de telles explication de l'origine du fait religieux ( fondées sur l'irrationnalité et la barbarie ) ne cherchent qu'à reculer le problème. Ils savent inconsciemment qu'à transformer sa naissance en un long processus de formation, le fait devient d'autant moins impressionnant. Mais cette manière de faire fausse les données réelles. On plante ensemble les fumeuses théories évolutionnistes et la solide réalité humaine comme deux panneaux de décors différents et l'on cherche ensuite le moyen d'en faire un ensemble; le résultat n'est qu'un trompe-l'oeil.

A regarder, d'où nous le faisons, la longue lignée des hommes, nous reconnaissons en elle l'humanité. Si nous y trouvions l'animalité, ce serait une animalité anormale.

Deux faits commandent notre histoire dès l'origine.
Le premier c'est que le péché originel est vraiment originel. Non seulement la théologie mais l'histoire enseignent qu'il y a une blessure dès l'origine. Quelles qu'aient été les croyances des hommes, ils ont toujours cru que la race humaine était blessée... ( Le second ) est la famille ( le rôle du père )...
Père, mère, enfant : principe de toute l'histoire. Si nous ne commençons pas par invoquer une divine Trinité, il nous faudra bien invoquer unr Trinité humaine; et voir que ce triangle se répète à l'infini dans le tissu de la création.



1993 Thesaurus - SOUS LE SOLEIL DE SATAN