1993 Thesaurus - DIEU EN QUESTIONS

DIEU EN QUESTIONS



La plupart des penseurs modernes voient dans la foi le fait d'une intelligence qui prend acte de ses limites... "Pierre m'aimes-tu ?" Pour le Christ rien d'autre ne compte, et à cette suprême question, la foi est la réponse.
L'Evangile n'est pas une doctrine collectiviste. Dieu ne compte pas les êtres humains par masses... Il ne sait compter que jusqu'à un.
Les dogmes ne fixent pas à l'intelligence des limites qu'il lui serait interdit de franchir, ils l'attirent au-delà des frontières du visible; ce ne sont pas des murs, ce sont des fenêtres dans notre prison.
C'est Dieu, et lui seul, qui peut nous sauver du déterminisme, et l'acte de foi est l'acte le plus libre qu'un être humain puisse accomplir, car rien ne l'y oblige.
Un dogme est la présentation théologique d'un mystère, et le mystère est la nourriture naturelle de l'intelligence : la science elle-même va de mystère en mystère...
La religion, elle, s'intéresse moins à l'origine des êtres qu'à leur destination, il lui importe moins de savoir comment l'homme est constitué, que de savoir quelle est sa vocation.
Le "comment" laisse la religion hésitante. Le "pourquoi" est ce que certains scientifiques persistent à éliminer de leur vocabulaire avant de passer le reste de leur vie à tenter d'y répondre.

Galilée condamné, non pas au bûcher, mais à l'"assignation à résidence", punition assez humoristique pour un homme qui tournait autour du soleil.

Cependant, de même qu'un inconnu peut se nommer, l'inconnaissable peut se faire connaître, et c'est ce que nous appelons la Révélation.
La preuve de Dieu par les causes... par le mouvement... par le nécessaire ... par les degrés d'accomplissement des êtres...
Le christianisme est la religion de la raison. Il diffère du rationalisme en ceci qu'il ne se bouche pas les oreilles quand elle dit "Dieu".
Quelle est "cette sorte de faculté que l'homme a de se séparer de lui-même et de son environnement ?", qu'est-ce donc que notre intelligence ?
C'est de son créateur que l'intelligence tient ce pouvoir de se tenir à l'extérieur d'elle-même, et à l'extérieur du monde pour le juger.
L'homme de gauche ne croit pas au péché originel, l'homme de droite y croit tellement qu'il a peine à croire à la rédemption.
Le pardon brise l'enchaînement des conséquences du péché dans une âme sincère.


Nous voyons bien à quoi sert de ne pas croire : à être seul sur cette terre, qui est le moins fixe de tous les domiciles, et à ne jamais entendre, en réponse aux questions que le coeur se pose, une autre voix que la sienne.
La psychanalyse est une maladie qui se prend pour son remède.
La prière de demande a mauvaise réputation, surtout chez les avares.
L'économie divine n'est pas la nôtre; elle est fondée sur le déficit absolu et permanent de l'amour, qui veut qu'on demande tout à l'autre, qui ne demande qu'à tout donner. La prière établit un rapport de charité entre l'âme et Dieu, si bien que l'on peut dire que prier c'est exaucer Dieu.
L'eglise n'a rien à craindre du temps. L'Evangile n'est pas dépassé.
Il n'a jamais été rejoint.

A partir du XVème siècle... l'homme se détache de la fascination de Dieu, et se tourne vers le monde : il va perdre un Père et se donner une Mère, la nature, "notre mère la nature".
Dieu seul peut nous sauver de nous-même. jamais il n'aura été plus nécessaire. S'il n'existait pas, ce serait le moment de l'inventer. Mais il existe, et c'est le moment de s'en souvenir.
Sur l'argument suivant lequel on ne saurait imposer à un enfant une religion ( baptême ) : On donne du lait à un enfant avant qu'il soit en âge de choisir le whisky, et on lui apprend le français sans savoir s'il ne préférerait pas l'espagnol.
Des montagnes de cadavres et des fleuves de larmes sont là pour témoigner que l'homme est incapable de déterminer seul le bien et le mal.

Il y a plusieurs évolutionnismes, et qui ne se ressemblent pas.
Le transformisme de Lamarck n'est pas l'évolutionnisme de Darwin, modifié par le néo-darwinisme, mais tous attribuent à la nature une aptitude essentielle à aller du simple au composé qui lui permet d'élaborer sans but ni raison des organismes de plus en plus complexes. "C'est un conte de fées pour grandes personnes" disait l'évolutionniste Jean Rostand.
La doctrine de la création ne demandait qu'un seul miracle à Dieu.
Celle de l'auto-création du monde exige un miracle par micro-seconde.
Ou l'intelligence part de l'absurde, ou elle va à l'absurde.
L'"absurdité" du péché originel ouvre une immense espérance, l'absurdité du hasard et de la nécessité, ou de toute autre tentative d'explication du monde qui rejette Dieu est totale, définitive et sans remède. Elle laisse la conscience humaine seule avec elle-même, et avec la mort.
L'esprit de contradiction juif voit en l'homme une image de Dieu, alors que les peuples païens faisaient plutôt des dieux à l'image de l'homme.
Il est paradoxal que la religion la plus intraitable sur l'inaccessible grandeur de Dieu, dont elle craint même de prononcer le nom, ait été aussi la seule à proposer une "ressemblance" entre l'homme et son créateur.
Nul génie humain n'eût osé pareille assertion, qu'on peut considérer comme une révélation.


Les penseurs chrétiens se croient tenus d'épouser les idées de leur siècle chaque fois que celui-ci vient d'en divorcer.
La concupiscence se rapporte principalement au plaisir sensuel, qui est lié à l'union des êtres, et l'on n'imagine pas le créateur condamnant la chair aussitôt après avoir invité ses créatures à croître et à multiplier.
Peut-être ce jour-là l'être humain s'est-il choisi lui-même, usant de sa liberté contre l'amour et faisant en quelque sorte mentir l'image de Dieu qui est en lui, qui est une pure disposition à la charité. C'est alors qu'il a perdu la lumière "Ils virent qu'ils étaient nus", réduits à leur argile.
Ainsi naquit la conscience de soi comme solidifiée dans ce "moi" dont il nous est si difficile de sortir pour aller vers l'autre, les autres, et Dieu.
Mais c'est de notre imperfection même que naîtra la charité, qui n'existerait pas dans l'histoire d'un monde parfait et prédéterminé au bien.
La conscience de son inachèvement maintient l'être humain ouvert du côté de l'infini, et les épreuves que lui inflige le désordre du monde ou de sa propre vie l'empêchent de se refermer.
Dieu a tiré du mal que fut le péché ce plus grand bien : la faculté de nous régénérer dans l'amour.
Dans l'Apocalypse la nouvelle Jérusalem descend du ciel, et ne monte pas de la terre comme une autre Babel promise à l'effondrement.
Les religions les plus prudentes contournent la question du mal, ou font semblant de ne pas l'apercevoir. Elles savent bien que la souffrance, et en particulier la souffrance des innocents, est injustifiable et incompatible avec l'hypothèse d'un Dieu non indifférent et non lointain.
Parfois nous produisons la souffrance nous-même par notre réticence à donner - car si Dieu est effusion, nous serions plutôt rétention.
Le temps atténue la souffrance passée, mais il ne l'éloigne jamais beaucoup.
Il suffit d'un rien pour que le souvenir revienne à l'improviste.
Vous songerez alors que rien ne serait pire que l'oubli, que cette souffrance qui a jadis brisé vos limites est la preuve que vous avez aimé, que cette preuve est la justification de votre existence, votre bien le plus précieux, le seul que vous emporterez quand le reste retournera à la poussière. Vous ressentirez la connivence profonde de la souffrance et de l'amour dans votre nature périssable.
Voyant comment, avec une puissance presque infinie, la souffrance vous aura en même temps lié indissolublement aux vôtres, ouvert à la pitié et rendu attentif à la plus anecdotique des larmes d'enfant, comment elle vous aura fait plus sensible à la peine et à la solitude des autres, comment enfin dès ce monde elle se change en charité, vous penserez à la passion du Christ... Et vous saurez avec émerveillement que si la justice et la miséricorde pouvaient fort bien éviter le chemin de la croix pour sauver les hommes, il n'y en avait pas d'autre pour l'amour incarné.


ANDRE FROSSARD, Dieu en questions, fin



DEFENSE DU PAPE



Jean-Paul II travaillait encore à son encyclique et celle-ci, par conséquent, était assez loin d'être publiée que les attaques contre ce texte encore inconnu partaient de tous côtés, notamment du côté des révérends pères jésuites des "Etudes", aussitôt appuyés par les révérends pères assomptionnistes de "la Croix", qui ne savaient rien de plus que les jésuites et marchaient au canon.
Aux trois voeux ordinaires des ordres religieux, les révérends pères jésuites ajoutent un quatrième voeu spécial d'obéissance au Saint-Siège, qu'ils sont seuls à prononcer et qui a pour effet, semble-t-il, de développer leur sens critique à l'égard du pape, en l'affaiblissant d'autant à l'égard de leur propre personne...
Il n'est pas nécessaire d'avoir lu le pape pour démontrer qu'il se trompe...
On pouvait donc, sans risque d'erreur, le réfuter par anticipation, méthode excellente qui fait gagner du temps...
Dans la presse, à la radio, à la télévision, c'est à qui lui fera remarquer qu'il s'égare, qu'il s'éloigne de son temps, qu'il n'a pas l'oreille de ses contemporains, lesquels n'ont nul besoin de ses conseils pour bien conduire leurs affaires publiques, comme on peut le voir aux ruines accumulées par le siècle, et leurs affaires privées, comme le montre l'état délicieux des moeurs.

( Ces messieurs ) veulent une Eglise à l'image des sociétés civiles, où le pouvoir serait exercé par une direction collégiale, sous le contrôle parlementaire de bons chrétiens siégeant en assemblée permanente dans chaque dio- cèse, qui délibèreraient sur l'Ascension, renverraient la Pentecôte en commission et mettraient le Credo, chaque jour, au goût du jour.

Oui le christianisme est mort de bien des façons, mais il aura fallu attendre le XXème siècle pour le voir mourir de peur.
De peur devant le monde, que leurs directeurs de conscience supplient les chrétiens de fréquenter plus hardiment : "Allez au monde, voyez le monde, ouvrez-vous au monde !" disent-ils sur le ton des enfants qui s'encouragent à sortir dans le noir...
Il a fallu attendre le XXème siècle pour voir s'approcher timidement de la scène où le monde joue depuis Nabuchodonosor la même pièce ridicule, un christianisme blême et pusillanime, anxieux d'obtenir droit de cité dans une société qui le méprise.
Ce christianisme poltron... est notre lot, nous sommes priés de nous en satisfaire, et nous n'avons même pas le droit de le défendre : il nous faut nous tenir "à l'écoute"...
Il nous est enjoint de respecter non seulement les personnes, exigence élémentaire de la morale chrétienne, mais encore les idées, y compris les idées les plus contraires à nos convictions, comme si toute pensée, fût-elle inepte, avait quelque chose de sacré interdisant la contestation, attitude difficile à concilier avec la pratique du dialogue qui, dès lors, ne peut plus consister qu'à parler tout seul à tour de rôle ou à ne plus rien dire du tout; solution adoptée par la plupart des chrétiens officieux invités à débattre à la télévision ou ailleurs, qui savourent à tel point le bonheur de participer qu'ils n'ouvrent pas la bouche.


Saint Pierre a renié trois fois son maître, mais trois fois seulement, avant de se reprendre pour finir en croix. Le christianisme apeuré renie mieux et ne se rachète pas...
Il faut qu'on le sache, le christianisme n'a rien de merveilleux, il est aussi plat, incolore et sans saveur que l'on peut le rêver... L'Eglise est aussi vide que possible : il a planqué le tabernacle, arasé l'autel, évacué les statues, et les bénitiers à sec ne sont plus que de décevants coquillages de marée basse...
On récite encore le Credo à la messe ( non sans avoir tenté de l'attiédir, avant de le congeler ), mais il n'est pas un article de ce contrat d'éternité qui ne soit, à la sortie, contesté, affadi, dénaturé ou trahi, de l'Incarnation à la Résurrection...
Adieu la Sainte Ecriture, et les mots "Parole du Seigneur" ne sont qu'un équivalent liturgique de la "considération distinguée" qui clôt l'ordinaire de notre correspondance. Ainsi la Bible, lue avec solennité dans le choeur, ne l'est plus qu'avec méfiance sur le parvis. "C'est un livre d'images, dit-on aux humbles et aux petits, sans rapport avec les réalités historiques"...
Chacun joue la partie de son goût dans l'orchestre catholique, qui fait entendre une cacophonie épouvantable...
Des guitaristes, tout pleins de fausses notes et de bons sentiments, poussent des chansonnettes inaudibles pour essayer de retenir un public qui a quitté la salle depuis longtemps.
Survient alors le pape, qui suggère aux musiciens, avec sa bienveillance et sa modération habituelles, de jouer ensemble une certaine musique, dont l'origine divine n'est pas douteuse...
C'est alors la révolte dans la fosse... Et le chaos de reprendre de plus belle. Le monde en aurait les oreilles déchirées s'il allait encore à ce genre de concert...
Le monde, que le christianisme irritait autrefois, commence à prendre en pitié cette religion flageolante et blafarde, découronnée de ses mystères, dépouillée de ses miracles, et à laquelle la république compatissante finira par voter des allocations d'indigence.

( Cette encyclique ) qui recevait, avant même d'être achevée, une pluie de cailloux de la part de ceux qui ne veulent point qu'il y ait une vérité, mais cent, mais mille, en fait autant de vérités que de personnes et qui toutes méritent respect et considération...
Les chrétiens culturels que nous sommes devenus, et pour qui l'Ecriture ne fait pas plus foi que "La chanson de Roland", vivent sous le régime de la séparation de biens, biens suprêmes compris : on a réussi le tour de force de nous amener peu à peu à dissocier Dieu et la vérité. Il nous est permis de croire en Dieu, et même de le dire - le moins souvent possible, toutefois, et en précisant que ce Dieu nous est inconnu; quant à la vérité, elle doit rester pour nous l'objet d'une recherche de préférence infructueuse.
Il est entendu que nous ne la trouverons ni à Rome ni ailleurs...
Il s'ensuit que le chrétien culturel n'a absolument plus rien à annoncer à son prochain... "Splendeur de la vérité", dit Jean-Paul II. Les nouveaux maître de l'école des abandons répondent d'une seule voix, que l'on a déjà entendue, il y a deux mille ans, chez un procurateur de Judée qui ne savait pas qu'il allait entrer dans l'histoire avec sa cuvette : "Qu'est-ce que la vérité ?"


Le pape s'efforce de nous ramener à l'essentiel et de rassembler les morceaux de notre partition chrétienne déchiquetée par des instrumentistes en état d'ébriété métaphysique...
Ce n'est pas la raison qui élabore la vérité, c'est l'attraction que la vérité exerce sur l'âme humaine qui donne naissance et forme à la raison... ( Selon Bentham, penseur calamiteux de la fin du siècle des Lumières ) la morale était " ce qui plaît au plus grand nombre", proposition tout d'abord accueillie avec méfiance et qui a gagné tellement de terrain, d'un siècle à l'autre, qu'elle a fini par contaminer nombre de chrétiens tout prêts à s'en remettre au suffrage universel du soin de décider du bien et du mal dans les matières les plus graves, comme l'avortement ou l'euthanasie.

"Je ne cherche pas, je trouve", disait Picasso, maître spirituel inattendu, mais parfois convaincant. "Je ne trouve pas, je cherche", réplique le nouveau théologien de la morale en humant l'air du temps...
On entend d'ici la clameur des révoltés : "Nous ne voulons être déterminés par rien ni par personne, surtout pas par cet 'amour incréé' dont vous parlez. Nous voulons une liberté plénière, fondatrice et sans antécédent." Moyennant quoi, les révoltés qui ne veulent pas être éventuellement déterminés par l'amour, le sont par les vents, les marées, les courants, les pas- sions, les tentations, les instincts et les appétits, les illusions, l'éducation, l'hérédité, les hormones, l'erreur ou le mensonge, et vivent finale- ment sous le régime pénitentiaire et sans issue du déterminisme intégral...
De ce que l'amour, qui est notre vérité, existait avant même le commencement, il suit que la liberté de le reconnaître ou de le refuser est seconde, et non pas première...
La liberté selon Jean-Paul II suppose un minimum d'accord, au sens musical, entre l'intelligence et la vérité. Bien sûr, on peut toujours jouer faux, mais c'est bien la première fois que l'on voit des chrétiens exciper d'un droit imprescriptible à la fausse note pour tourner le dos au chef d'orchestre.

Les rongeurs ont déjà dévoré les premières pages de la Genèse, et, avec elles, l'histoire du péché originel. Nous ne croyons plus à ce péché-là depuis que nous le commettons tous les jours, dans la mesure où nous nous attribuons le droit de définir nous-mêmes et librement le bien et le mal, pouvoir désastreux qui a pour résultat de nous brouiller avec notre propre nature...
A se détourner du péché originel, on risque de perdre de vue le péché tout court... ( Une partie des chrétiens ) délaisse volontiers les confessionnaux pour le divan de la psychanalyse. Ils se réfèrent volontiers à la célèbre parole de saint Augustin: Aime et fais ce que tu veux." Malheureusement, ils sont portés à s'imaginer qu'ils aiment quand ils font ce qu'ils veulent, illusion des plus répandues.


( Je suis ) effrayé, de plus, par les grimaces épouvantables des guignols de la pensée contemporaine qui, sitôt que l'on parle du bien et du mal, prononcent comme un exorcisme les mots fatidiques d'"ordre moral"...
L'homme d'aujourd'hui sait bien que si l'on peut détruire beaucoup, l'on ne construit rien sans une morale, et il aimerait bien que les chrétiens lui en proposent une qui ne le damne pas d'office ou qui ne le béatifie pas sans examen. Dans son immense majorité, il persiste à penser qu'il existe un bien et un mal, et il aimerait qu'on l'aidât à le discerner clairement, plutôt que d'aggraver ses hésitations en lui serinant jour et nuit que le bien et le mal sont des notions interchangeables, héritées d'un passé obscur, que le bien est affaire de goût, d'appétit, de jugement personnel; qu'il est inutile de demander à Dieu de nous "délivrer du mal", comme le font les chrétiens, le mal ayant été supprimé par décret philosophique depuis longtemps..
L'homme d'aujourd'hui ne croit à rien de tout cela.
Le pape non plus. C'est pourquoi l'on voit tant de monde sur son chemin.

Il n'y a pas de liberté dans le mensonge, encore moins dans l'égoïsme, et plus du tout dans ce subjectivisme qui brise tous les moyens de communication réelle avec les créatures... pour finir par nous incarcérer en nous- mêmes de manière inexorable, sans le moindre espoir de réduction de peine.
La vérité, elle, ne fait pas de prisonniers : c'est elle, au contraire, qui se remet entre nos mains, et on l'a vu, sous Ponce-Pilate quel traitement nous lui réservions. Il est faux que nous l'aimions. Nous nous préférons...
La foi n'est pas contraire à la raison, comme voudraient nous en persuader la ribambelle des penseurs qui se succèdent à la direction de nos erreurs depuis quatre ou cinq siècles... Elle consiste à apprendre à penser comme Dieu...
La raison n'est pas l'ennemie de la foi, quand elle parvient à se corriger de ce défaut qui consiste à rejeter comme impossible ce que l'on se représente comme improbable.

( A propos de l'encyclique "Splendor véritatis" ), "C'est l'Inquisition !" s'écrie le docteur en théologie Hans Küng... "Il n'y a pas l'ombre d'une pensée dans ce texte-là", affirme le père Drewermann...
Quant à nos intellectuels de l'espèce "avancée"... ils n'ont jamais manqué une occasion de se tromper. Ils n'allaient pas laisser passer celle-là.
L'un d'eux parle spirituellement de la "bafouille pontificale"...
Les détracteurs ne sauraient pardonner au pape de n'être pas conformiste.


Critiquez le magistère romain tant qu'il vous plaira, mais n'allez pas critiquer la critique qui est censée tirer avantage de toutes les erreurs qu'elle peut commettre. Il paraît que plus elle s'égare, plus elle progresse.

Il est inconcevable à leurs yeux que l'on puisse parler d'autre chose que de sexe, et inadmissible, quand on en parle, que ce ne soit pas pour approuver toutes les manières de s'en servir...
Ils se sont bornés à se récrier... que le rôle du pape est de nous encourager au bien et de nous déconseiller le mal, sans se mêler de les demêler, tâche réservée aux praticiens de la théologie morale prospective...
L'encyclique constate... que la morale coupée de toute référence à un absolu se dissout rapidement dans les sept péchés capitaux; que l'abandon de toute notion "objective" du bien et du mal est à l'origine du crime contre l'humanité... grande invention du siècle...
La conscience, cette étrange aptitude à sortir de soi-même pour juger ses actes, n'est pas une faculté que nous nous serions forgée nous-mêmes, elle n'est pas non plus un don de la nature, car, en ce cas, elle ne nous reprocherait jamais rien. Elle est en nous le miroir d'une vérité universelle sans laquelle nos jugements ne seraient que des arrêts de complaisance.

Le pape parle la même langue que Soljénitsyne. Malgré l'hostilité déclarée des représentants les plus distingués du pourrissement occidental et l'aigre opposition des prospecteurs du vide spirituel, qui croient tout savoir et ne savent pas qu'ils ont besoin d'une cure d'humilité, lui aussi soutient, affirme et confirme que la conscience existe, qu'elle aime la vérité, et qu'elle en est aimée.

ANDRE FROSSARD, Défense du pape, fin




RENE GIRARD



--- Certains de ces textes condensent de nombreuses pages, littéralement ----- cependant. Ils peuvent donc paraître obscurs si on n'a pas fréquenté ----- cet auteur. La "saisie" de ces morceaux de textes avait pour but ----- essentiel de me permettre d'alimenter la partie par Sujets. --



LA PENSEE DE RENE GIRARD



"L'homme diffère des autres animaux en ce qu'il est le plus apte à l'imitation". ( Aristote ) "Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une époque sur sa conscience de soi". ( K. Marx ) Nos sociétés seraient les premières et les seules à s'être donné les moyens, et le luxe, d'abattre les digues qui contiennent le flux de la violence humaine; elles seules libèrent le désir... vers un état d'indifférenciation jamais connu auparavant, vers une étrange sorte de non-culture ou d'anticulture que nous nommons précisément le moderne.

La "mimésis" est nécessairement conflictuelle. Violence contagieuse, elle ne structure pas la société, elle la déstructure, la menace de mort : au lieu de rassembler les hommes, elle les divise...
La dimension conflictuelle de l'imitation.
Le "mensonge romantique" de l'autosuffisance, le véritable attracteur du désir dans le monde moderne.
L'Autre n'est un modèle que parce que je le crois pourvu d'un "être" dont j'éprouve le manque. Les hommes ne voient pas qu'ils se ressemblent et que leur volonté d'être différent, "distingué" leur vient de leur mimétisme et ne peut que le renforcer.
Le mimétisme engendre la rivalité, en retour, la rivalité renforce le mimétisme. Les protagonistes d'un conflit ne voient pas qu'ils sont interchangeables, symétriques, des "doubles". L'observateur extérieur voit que les hommes se battent littéralement pour rien.

Grandeur de Shakespeare, grandeur de la conversion de Proust.
Au-delà d'un certain seuil mimétique, l'objet de la réalité disparaît.
Le désir mimétique est orienté vers la folie et vers la mort. A force de voir se transformer les modèles en obstacles, le désir finit par prendre les obstacles eux-mêmes pour des modèles et par s'élancer vers les obstacles les plus infranchissables.Le "masochisme" est dans la logique du désir mimétique.
Les sociétés primitives interdisent les objets les plus susceptibles d'engendrer des rivalités mimétiques ( femmes ), l'imitation ( les jumeaux )...
L'indifférenciation ne fait qu'un avec la violence, la violence est une crise des différences ( foule ).


D'où émerge le social, le sacré fondateur de l'ordre humain ?
Au paroxysme, la violence mimétique a transformé les adversaires en "doubles", aboli toute différence.
L'Autre se fait toujours plus fascinant à mesure qu'il se rapproche de moi.
Crimes indifférenciateurs : parricide, inceste...
Le refoulé du mythe est un mécanisme persécuteur, "mécanisme victimaire".
La mort ou l'expulsion guérit ou reconcilie, l'ordre surgit du désordre.
La "machine" ne peut plus être arrêtée que par la mort de tous, ou par celle d'un seul, désigné "par hasard" à l'attention.
Le rassemblement de la violence unanime.
Les mythes racontent l'événement d'origine des communautés humaines dans la perspective de leur fondation, réconciliation, c'est-à-dire dans celle des persécuteurs.

Le mécanisme n'est fondateur que s'il est méconnu comme tel, il faut sacraliser la violence, c'est-à-dire croire au pouvoir maléfique, puis bénéfique de la victime émissaire.
Job par sa résistance "démystifie" le mythe d'Oedipe, en proclamant son innocence, il révèle le mécanisme.
Job empêche son histoire de devenir un mythe, il est d'une actualité formidable.
Les textes bibliques et plus encore évangéliques "vendent la mèche".
Victime"sacri-fiée" : faite sacrée.
Méconnaissance du désir mimetique fondement de l'individualisme moderne, celle du mécanisme victimaire fondement de l'ordre culturel.
Leur révélation désacralise l'ordre social, les interdits et les règles, destructure les cultures en sapant leurs fondements.
La révélation biblique et surtout évangélique a désacralisé l'occident ( permis les sciences et techniques ) mais la modernité a eu encore recours au mécanisme victimaire, à l'expulsion du judéo-chrétien ( Les maîtres du soupçon ).
Le Christ désigne sa place comme celle de la victime et déchire le voile de la méconnaissance, "Ils ne savent pas ce qu'ils font".
Seule la Bible décharge les dieux et accueille la responsabilité humaine, souligne l'injustice ou l'arbitraire du meurtre fondateur, "Qu'as-tu fait de ton frère ?". "Vous voulez que votre demeure vous soit laissée; eh bien, elle vous est laissée."
Le Verbe expulsé, le refus du logos de l'amour, c'est la Passion du Christ et c'est aussi l'expulsion intellectuelle aujourd'hui du judéo-chrétien.


La pensée de.., introduction


De l'imitation vertueuse en hallucinations furieuses ( Don quichotte ). l'imitation n'a donc pas que des effets pédagogiques et grégaires.
Pour le sujet désirant le tiers est un modèle et un "terzo incommodo".
Le héros de Cervantès ne voit jamais rien "tel qu'il est", mais tel "qu'il devrait être" et il fait de ce vice de l'âme sa plus haute vertu.
Nos désirs sont imités, il n'y a plus de ligne droite de sujet à objet, par une figure triangulaire où le modèle occupe la place centrale, désignant à son disciple les objets désirables, soit en les possédant, soit en les désirant lui-même.
Ce ne sont plus Platon ou Spinoza : "Nous désirons une chose parce qu'elle est bonne", mais "Une chose est jugée bonne parce que nous la désirons".

Le désir peut être avoué ou dissimulé, le modèle imaginaire ou réel. Mais la médiation et ses effets sont toujours bien réels.
Médiation externe : distance du disciple et de son modèle ( Emma et ses héroïnes de roman, Don Quichotte et Amadis de Gaule, Julien Sorel et Napoléon... ), l'imitation est revendiquée comme telle.
Médiation interne : le médiateur se rapproche, l'imitation devient plus réaliste, la rivalité se développe, le sujet désirant ne voit plus le médiateur comme un modèle mais comme un obstacle; il se dissimule la vérité de son désir, le fait qu'il l'a copié.
L'envie haineuse ne part pas de l'objet de la rivalité. Elle part du rival et arrive au rival.
L'autre est rival parce qu'il est modèle et modèle parce qu'il est rival.
Moins de distance entre les deux, moins de différences, plus de haine. "Moi je suis seul, eux ils sont tous". ( L'homme du souterrain de Dostoïevski ) Dans la médiation interne tout individu peut devenir le médiateur de son voisin sans comprendre le rôle qu'il est en train de jouer.
L'esclave est celui qui révèle la violence de son désir. La maîtrise s'obtient donc en simulant l'indifférence, le "narcissisme intact" de la coquette qui fascinait Freud.
Le désir mimétique est une "descente aux enfers", un mouvement vers toujours plus de servitude.
Il n'y a plus ni disciple ni modèle, ni esclave ni maître, mais une double fascination, figure fermée sur elle-même où le désir se nourrit de sa propre substance. Cette figue est celle de la folie. La médiation double de Proust et de Dostoïevski.
Aucun des rivaux ne possède plus l'objet, chacun redoute de le voir possédé par l'autre, désir négatif...
L'imitation par M. de Rénal d'un désir prêté à son rival Valenod de vouloir engager Julien Sorel comme précepteur et l'admirable divination qu'en fait le père de Julien, "On pourrait peut-être trouver mieux ailleurs".
Les personnages de Cervantès : folie "gaie" ou "tragique" ont identité, caractère, cohérence...
Ceux de Dostoïevski sont incompréhensibles, inattendus, instables... ils sont qualifiés de masochistes ou sadiques ou simplement de "russes".
Le masochisme est comme l'aboutissement et la vérité du désir métaphysique.


Toute passion se nourrit des obstacles qui lui sont opposés ( Le noble goût du risque ). "Comment pourrais-je appartenir à un club qui accepterait de me prendre pour membre ?" ( Un Marx brothers )
Pourquoi prenons-nous nos dieux parmi nos égaux ?
Le réel inflige le démenti, et tous, en solitude, le découvrent, mais personne n'est capable d'universaliser cette expérience.
La promesse reste toujours vraie..., pour les autres.
Chacun se croit seul exclu de l'héritage divin et s'efforce de cacher cette malédiction. Le péché originel n'est plus la vérité de tous les hommes, comme dans l'univers religieux, mais le secret de chaque homme.
Les hommes vont désormais s'imiter les uns les autres, "L'idolâtrie d'un seul est remplacé par la haine de cent mille rivaux". ( Tocqueville ) La médiation interne apporte avec elle les sentiments négatifs : de la vanité gaie du XVIIIème siècle, on passe à la vanité triste du XIXème.
Le mouvement vers l'égalité des conditions, vers toujours plus d'indifférenciation, n'engendre donc pas l'harmonie promise, mais une concurrence acharnée.

C'est parce qu'ils deviennent semblables, interchangeables, que les individus "modernes" ne pourront se prendre les uns pour les autres pour "modèles", sans s'éprouver comme "obstacles" à la réalisation de leurs désirs.
A force de se mépriser soi-même jusqu'à la haine, on finit par diviniser celui qui vous méprise le plus.
Cette fuite vers l'autre qui caractérise le désir mimétique et le porte vers les objets désirés par les autres est source inévitable et inépuisable de conflits. Tous les efforts pour vaincre la réciprocité ne feront que la renforcer ( Les deux marcheurs face à face qui tentent de s'éviter ).
Flaubert et Stendhal voient la vanité, pas le totalitarisme : Proust et Dostoïevski voient déjà le grotesque mais pas le tragique.
Transcendance déviée, appel vers le bas, le néant, la folie et la mort.
Il y a totalitarisme lorsque l'on parvient, de désir en désir, à la mobilisation générale et permanente de l'être au service du néant.

Renoncer à la divinité du médiateur, c'est renoncer à l'orgueil.
L'issue ne peut être que la mort du héros ou celle du désir, cela est souvent simultané, mais la mort physique l'emporte dans l'imaginaire, ainsi les lecteurs romantiques ne sont-ils pas obligés de renoncer à leurs chimères.
C'est dans l'orgueil qu'est le mal et l'univers romanesque est un univers de possédés.
Le médiateur sera toujours celui qui est le plus insensible, celui que son absence apparente de désir identifie au "divin". Le masochiste qui s'élance va rencontrer l'invincibilité du non-désir, de l'apathie de l'autre.
Proust remercie la maladie qui "comme un rude directeur de conscience l'a fait mourir au monde".
Le mécanisme est fondé sur le "moi", on ne peut triompher des mensonges de l'orgueil que par une sorte de conversion.
La médiation double : les deux partenaires deviennent interchangeables.
Le modèle, pris au jeu, renforce son désir en l'imitant chez son disciple, il se fait le disciple de son propre disciple quand le disciple devient le modèle de son propre modèle.
Toujours plus de violence, qui est modèle ? qui est disciple ? ( rapport sado-maso ).
Romantiques et psychiatres adoptent toujours la perspective du désir, jamais celle des doubles.
La structure triangulaire importe plus au désir que l'objet convoité ( effort de Dostoïevski pour unir l'aimée au rival ).
Il ne faut pas triompher tout à fait du rival, pour ne pas faire perdre à l'objet toute valeur. Il ne faut pas posséder l'objet tout à fait pour ne pas faire perdre au modèle tout prestige; valeur de l'objet et prestige du modèle sont solidaires; il vaut mieux une situation indécidable.


La modernité est un monde dépourvu de valeurs objectives, c'est la perte croissante des différences, l'effondrement des interdits religieux. "Si Dieu n'existe pas, tout est permis". ( Sartre ) Si la souffrance des innocents est le terrible argument contre Dieu, Aliocha sait bien que c'est du Christ lui-même que lui vient la douleur qu'il éprouve à l'idée de la souffrance des enfants.
Ou le Dieu d'amour ou l'orgueil souterrain.
L'univers toujours plus frénétique et menteur révèle de façon éclatante l'absence et le besoin de Dieu.
Le "mensonge romantique" de l"autonomie du sujet et de son désir, les "platitudes de l'utilitarisme et du pragmatisme moderne" obscurcissent complètement le message de Cervantès.
Le rapport des doubles constitue l'esclavage du désir "libéré".
Chacun imite chacun. Mon désir est déterminé par celui d'un autre, qui est lui-même... jusqu'au retour possible à moi-même...
Le désir mimétique n'est pas celui "spontané" d'un sujet autonome, ou celui "aimanté" par un objet attracteur et préexistant.
Logique paradoxale, celle du cercle vicieux, le point d'aboutissement peut servir de point de départ...
La genèse des névroses : la reproduction en chaîne des triangles du désir, ce que Freud a appelé la "répétition" et qu'il lui a fallu expliquer par un "instinct de mort".
Le désir sait tout, en effet, sauf l'essentiel : le rôle de l'autre dans le désir.
Ce savoir à qui il ne manque que la compréhension de ce qu'il porte, rien d'étonnant s'il se présente comme un mélange de réussite et d'échec ( la culture moderne, l'oeuvre de Freud ).
Le désir se détache peu à peu de l'objet pour s'attacher au modèle, il s'abandonne à la fascination de l'obstacle.
Quel éclat aurait une victoire que le rival favoriserait ?
Quel prestige aurait un modèle vaincu ?
Quel intérêt aurait un objet que nul ne nous disputerait plus ?
La structure est dynamique et déstructurante, voilà pourquoi les épisodes névrotiques ne s'atténuent pas avec le temps comme des copies successives à partir de l'original, mais tendent au contraire à se renforcer et à s'aggraver.


La pensée de.., Le désir mimétique. Le modèle-obstacle


Le propre de la violence, et pourquoi on la qualifie d'"irrationnelle", c'est de survivre au stimulus qui la déclenche - il est plus facile de la déclencher que de l'arrêter.
La violence "se trompe", elle déborde...
Le rite du sacrifice a une fonction économique, il substitue une victime unique à toutes les victimes potentielles de la violence spontanée, il permet ainsi d'éviter des débordements. le sacrifice est bien une violence ( sur une victime réelle et symbolique c'est-à-dire choisie dans une catégorie "sacrifiable" ), mais c'est une violence qui tient la violence en respect, un meurtre qui permet d'en éviter de pires, en qualité et en quantité.
Ceux qu'on sacrifie sont marginaux, hors du groupe social : prisonniers, étrangers, enfants, handicapés, le roi des monarchies africaines, animaux..
Les institutions religieuses sont hantées par ce péril extrême de la propagation sans fin de la violence ( La peste ).
Le sacrifice est un moyen préventif, le rituel de la violence a une fonction cathartique, il purge la collectivité de ses germes de dissension en polarisant sur une victime "qui ne sera pas vengée", les tensions agressives de tous. la victime sacrificielle n'est pas offerte à une divinité imaginaire, mais à une réalité : la violence qui menace de déferler...

Que la transcendance s'efface ( "La mort de Dieu" ), il n'y a plus de violence légitime face à la violence tout court, le légitime et l'illégitime de la violence sont livrés à l'opinion de chacun, c'est-à-dire à l'oscillation vertigineuse.
On purge un organisme sain de l'agent pathogène, on ampute..., c'est une nécessité, mais qui doit dissimuler son fondement pour ne pas se perpétuer et pour remplir son office, d'où la croyance à la différence entre : violence bonne ou mauvaise, remède ou poison, transcendante et pure ou immanente et impure.
Le sang criminel ( sexuel ! ) impur et le sang rituellement versé pur.
Si la société comprend l'arbitraire de cette ligne de différence le système sacrificiel est démystifié. L'usure du système sacrificiel apparaît toujours comme une chute dans la violence réciproque, il n'y a plus de victimes tierces entre les proches.


Ce ne sont pas les différences qui entraînent les hommes dans des conflits mortels, c'est la perte de ces différences.
Les jumeaux ou l'indifférenciation violente... ( sanctions ) L'efficacité des institutions religieuses et d'abord du sacrifice repose sur la méconnaissance de l'identité de toutes les violences et de tous les violents.
Symétrie des colères, des positions, des accusations, personne ne le voit ( Oedipe roi ) car l'équilibre n'est distribué que sur l'ensemble des coups. Chacun ne voit que le dernier coup porté; chacun se croit identique à lui-même et différent des autres.
A la réciprocité violente de "tous contre tous" de la violence non sacrificielle succède l'unanimité violente de "tous contre un seul" de la violence sacrificielle.
La communauté ne peut se réconcilier que dans la conviction partagée mais absolue d'avoir trouvé la cause unique de tous ses maux, mais l'opération de transfert doit rester méconnue.
Qui a commencé ? Oedipe n'est pas étonné de la réponse, parce qu'il la cherchait avec autant ou plus d'ardeur que les autres.
Au paroxysme de la crise il n'y a plus aucune différence, chacun peut devenir le double de tous les autres, c'est-à-dire l'objet d'une fascination et d'une haine universelle.
Pour que le soupçon de chacun contre chacun devienne la conviction de tous contre un seul, rien ou presque n'est nécessaire... La conviction fait boule de neige, chacun déduisant la sienne de celle des autres sous l'effet d'une "mimésis" quasi instantanée. La vérification s'effectue par l'unanimité de la déraison.

Le sacrifice stoppe la perte d'identité de chacun.
Le jeu mimétique cause la violence et y remédie. Seule la victime et son pouvoir maléfique sont arbitraires.
Sacraliser la violence c'est l'expulser pour ses effets maléfiques et la vénérer pour ses aspects bénéfiques.
La victime émissaire n'est pas symbole du passage du chaos à l'ordre, elle est ce qui assure ce passage, elle s'identifie à lui.
La pensée religieuse voit dans cette dernière victime, celle qui subit sans provoquer de nouvelles représailles une créature surnaturelle qui sème la violence pour récolter ensuite la paix, un sauveur redoutable et mystérieux qui rend les hommes malades pour les guérir ensuite.
Il ne faut connaître du sacrifice que ses effets et pas ses causes.
Le double impératif contradictoire de la culture issue de ce mécanisme : Ne pas refaire les gestes de la crise, s'abstenir de tout mimétisme.
Refaire au contraire l'événement miraculeux qui a mis fin à la crise; immoler de nouvelles victimes substituées à la victime originelle dans des circonstances aussi semblables que possible à l'expérience originelle.


Les mythes fondateurs racontent tous l'événement originel, ils sont tous des histoires de meurtre ( Platon l'a bien vu ), mais ils racontent l'événement dans la perspective de l'ordre retrouvé ( dans celle des persécuteurs ). Ils dissimulent donc tous ce que la tragédie grecque révèle en partie : le mécanisme victimaire, l'arbitraire du choix de la victime et bien sûr sa relative innocence, c'est-à-dire son humanité.
La tragédie grecque "déconstruit" le mythe, la philosophie le "censure", c'est-à-dire en perpétue la méconnaissance.
Le rite exclut une substitution directe et spontanée, le rituel n'est pas un moyen curatif mais préventif de la crise.
Rites d'initiation et rites de passage : l'individu en instance de passage est assimilé à la victime d'une épidémie ou à un criminel qui risque de répandre la violence autour de lui.
Il devient taureau ou léopard... pour la durée de la crise initiatique, l'usage de la parole humaine lui est retiré. C'est toujours au paroxysme de la crise ou du désordre qu'on attend le "miracle" du surgissement d'un ordre qu'on voudrait définitif.

Toute prise de conscience du religieux comme "contradiction insoluble" est forcément liée à une perte d'origine, et vice-versa.
C'est pourquoi la rationalisation et la différenciation toujours plus grandes de la culture humaine sont aussi une mystification renforcée, un effacement des traces sanglantes, une expulsion de l'expulsion elle-même.
C'est bien à partir des objets disponibles ( nourriture, femmelles ) que commencent les conflits, mais ce n'est pas l'objet qui provoque la rivalité, c'est l'imitation de l'autre désir, réciproque, tendu vers lui.
Mimésis d'appropriation : loin d'être grégaire ou socialisante dans ses effets, elle divise les hommes et ne les rassemble que pour les séparer.
Tendance à l'isolement à l'origine de "l'insociable sociabilité des hommes". ( E Kant )
L'importance extraordinaire de l'objet de la rivalité lui vient de la rivalité elle-même.
Qui a commencé ? la mimésis délirante est première. Seule la culture religieuse peut réussir à tenir en respect la violence humaine et empêcher les sociétés humaines de sombrer corps et biens.
Le désir, non animal, est libre de se fixer là où il veut, c'est l'être que l'homme désire, un être dont il se sent privé et dont quelqu'un d'autre lui paraît pourvu.
Le désir humain est un manque d'être.
De l'intérieur du système, il n'y a que des différences ( l'ambition de la violence du dernier coup des frères ennemis : soit le véritable "objet" qu'on se disputerait ), du dehors, au contraire, il n'y a que de l'identité.
Du dedans on ne voit pas l'identité et du dehors on ne voit pas la différence.
Comme le double et le diable, le double et le monstre ne font qu'un.
La religion, la culture s'engendrent parce que le mécanisme de la crise et sa résolution reste inconnu, mystérieux et qu'au lieu d'apparaître immanente, la violence maléfique puis bénéfique passe pour transcendante et sacrée.


L'interdit : barrière contre les objets et les comportements susceptibles de déclencher la violence mimétique.
La société moderne supprime ces barrières et libère le désir. Elle place d'emblée les individus dans la situation la plus favorable au "double bind" mimétique, soit à l'impasse de la voie d'une imitation qui se retourne contre l'imitateur.
L'"imite-moi" débouche forcément sur "ne m'imite-pas" ( Le père est un bourreau et une victime involontaire, le père "moderne" de modèle devient rival ).
Comment l'ordre sortirait-il d'autre chose que du désordre ?
Comment y aurait-il partout cette perspective des lyncheurs s'il n'y avait pas du lynchage pour la susciter ?
Totem et tabou de Freud : l'intuition du meurtre collectif et fondateur; hélas Freud rajoute la culpabilisation et manque ce qu'il avait entrevu.
Le mythe de la modernité c'est l'immaculée conception de la pensée humaine.

La modernité est une crise sacrificielle : la désacralisation moderne, notre culture scientifique et hypercritique, est synonyme d'une décomposition culturelle, d'une incapacité grandissante à disposer des ressources cathartiques qui ont périodiquement refait de la différence, de la stabilité et de l'ordre dans lesv sociétés traditionnelles.
Du père "modèle" de l'époque patriarcale, on est passé au père "obstacle", au "double bind" en affaiblissant la position paternelle, en rapprochant le père du fils. l'état d'indifférenciation, la perte des différences, la non-culture ou l'anticulture caractérisent la modernité.
Au lieu de cet obstacle inerte, passif, bénévole et identique pour tous, donc jamais vraiment humiliant ou traumatisant, que leur opposaient les interdits religieux, les hommes, de plus en plus, ont affaire à l'obstacle actif, mobile et féroce du modèle métamorphosé en rival, un obstacle activement intéressé à les contrecarrer personnellement et merveilleusement équipé pour y réussir.
Confrontés à cette situation, les hommes seront souvent tentés de rendre au remède traditionnel son efficacité perdue en augmentant de plus en plus les doses, en immolant de plus en plus de victimes dans des holocaustes qui se voudraient toujours sacrificiels, mais qui le sont de moins en moins.


La pensée de.., La violence fondatrice : le mécanisme victimaire


Les boucs émissaires des maîtres du soupçon : Marx, les capitalistes; Nietzsche, la morale des esclaves; Freud, la loi du père... les trois moments du modèle victimaire :
- L'effacement des différences ( Babel, Déluge, Dix plaies d'Egypte, thème des frères ennemis : Caïn et abel, Joseph et ses frères ), - Le tous contre un de la violence collective ( expulsion du paradis, meurtre d'Abel ),
- L'élaboration des interdits et des rituels.
Noé : l'exception en cours d'émergence, l'unité...
Lutte de jacob et l'ange : conflit de "doubles", longtemps incertain.

- Caïn et Abel : "Si quelqu'un tue Caïn, on le vengera sept fois".
En réponse au meurtre fondateur Dieu énonce la loi contre le meurtre, le signe mis sur Caïn.
L'innocence d'Abel est affirmée "Le sang de ton frère crie du sol vers moi".
Caïn est présenté comme un assassin que Dieu ne protège que pour décourager le conflit généralisé.
- Joseph et ses frères :
- La loi et les prophètes : l'innocence du Serviteur souffrant ( Is 43 et 53 ). "Et nous autres, nous l'estimions châtié, frappé par Dieu et humilié".
- Malédictions contre les pharisiens : " Pour que retombe sur vous tout le sang des justes répandu sur la terre" Mt 23, 34-36 , "Ma bouche... clamera des choses cachées depuis la fondation du monde". Mt 13, 35
Les pharisiens sont les fils de ceux qui ont tué et ils croient se désolidariser des pères en les condamnant, c'est-à-dire en rejetant le meurtre loin d'eux-mêmes. "Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour verser le sang des prophètes". Mt 23, 30 "Vous avez pour père le diable... Dés l'origine ce fut un homicide". Jn 8 "Malheur à vous qui bâtissez les tombeaux des prophètes, et ce sont vos pères qui les ont tués ! Ainsi vous êtes des témoins et vous approuvez les actes de vos pères; eux ont tué, et vous, vous bâtissez". Lc 11, 47-48 "... Au-dedans, ils sont pleins d'ossements de morts et de toute pourriture". Mt 23, 27 "Malheur à vous légistes, parce que vous avez enlevé la clef de la science
Vous-mêmes n'êtes pas entrés, et ceux qui voulaient entrer, vous les en avez empêchés !" Lc 11, 52
- Job refuse d'être l'ennemi de Dieu : Les dialogues avec les "amis" qui cherchent à lui extorquer des aveux. Il ne joint pas sa voix à celle de ses persécuteurs et empêche ainsi l'unanimité.
Les amis n'essayent pas de persuader Job par la violence, pas trop enfin, il faut que Job adhère sincèrement à la vérité commune, qu'il accepte de l'incarner lui-aussi.
CF : "Le zéro et l'infini" et le retour en force du processus victimaire au sein du terrorisme et du totalitarisme.
Or Job résiste et reste fidèle à sa vérité de victime, il est un bouc émissaire manqué. "Je sais, moi, que mon défenseur est vivant, que lui, le dernier, se lèvera sur la terre." "O terre, ne couvre point mon sang que rien n'arrête mon cri" Job XVI, 18
Il refuse la pierre tombale dont la fonction est d'escamoter la mort, d'empêcher les cris de monter vers Dieu.


La révélation évangélique ne fait qu'un avec la révélation de la victime émissaire.
Toutes les références à l'A.T. sont précédées d'un "comme" qui révèle le caractère métaphorique de l'emprunt mythique. "Comme il advint aux jours de Noé..." Lc 17, 26-30
Mais, c'est sur sa méconnaissance que s'est fondé le christianisme historique.
Satan désigne toujours le mécanisme fondateur lui-même ou le processus mimétique dans son ensemble. "Princeps hujus mundi" , prince et principe de ce monde.
Hériter de Satan c'est hériter du mensonge primordial, le mensonge de l'homicide.
La foule qui condamne Jésus est la même que celle qui l'avait fêté quelques jours auparavant ! Elle se retourne comme un seul homme.
La passion est présentée come une injustice criante. "Ils m'ont hai sans cause". Jn 15, 25
Mais elle révèle le mécanisme victimaire en niant la causalité magique. "Je ne vois pas de cause", dit Pilate.
Le meilleur disciple, le plus mimétique est "malade", de honte, sentiment mimétique par excellence. Il a honte du modèle qu'il s'est donné, donc il a honte de lui-même.
Réconciliation collective : "Les rois de la terre se sont rapprochés et les chefs se sont assemblés pour ne faire plus qu'un contre le Seigneur" Ac 4, 25-28
L'expression 'bouc émissaire' a été remplacée par celle 'd'agneau de Dieu', elle dit bien l'innocence et l'absence de cause. "Mon père, pardonne-leur, parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font".
Lc 23, 34 Première définition historique de l'inconscient.

- Le martyre d'Etienne : "...Tels furent vos pères, tels vous êtes !...
Ils ont tué ceux qui prédisaient... Celui que vous venez d'assassiner...".
Ac 7, 51-58
Les auditeurs se "bouchent les oreilles" devant des paroles insupportables.
La lapidation : tous participent mais nul n'est souillé. "...Ils se bouchèrent les oreilles et, comme un seul homme...". Ac 7, 51-58


La parabole des vignerons homicides : "Se réunissent tous pour expulser" , "Il fera périr ces misérables". Mt 21, 40-41
Ce sont les auditeurs qui répondent, Jésus ne met pas la violence au compte de Dieu, ce sont les auditeurs qui supposent l'existence d'une violence divine. "La pierre qu'avaient rejetée les bâtisseurs, c'est elle qui est devenue pierre de faîte" Lc 20, 17
En révélant le fondement de tous les édifices religieux ou culturels, le texte évangélique ne peut plus rien fonder; il ne peut que révéler. "Ils ont des oreilles pour ne pas entendre et des yeux pour ne pas voir".
Jésus ne doit rien à la violence et à ses normes, il ne peut qu'être expulsé.
L'échec du royaume c'est l'abandon de la voie directe vers le salut.
C'est pourquoi l'annonce du royaume va se transformer en annonce apocalyptique, la violence sans mesure. "Et il y aura des signes... car les puissances des cieux seront ébranlées".
LC 21, 25-26
La divinité véritable ne peut être ébranlée. Il s'agit des puissances mondaines déifiées. "Quand Jésus est né... les puissances ont été affaiblies, leur magie étant réfutée et leur opération dissoute". ( Origéne sur le massacre des innocents ) Au lieu de lire les mythes à la lumière des Evangiles, ce sont les Evangiles qu'on a toujours lus à la lumière des mythes.

"Vous avez appris qu'il a été dit oeil pour oeil... Eh bien, moi, je vous dit de ne pas tenir tête au méchant... Mt 5, 38-40
Renoncer aux conduites les plus légitimes, à l'idée de rétribution.
Si la violence est mimétique, seul un renoncement inconditionnel à la violence peut nous permettre de sortir du cercle. "Aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour".
Lc 6, 33-35
Les Evangiles ne parlent des sacrifices que pour en refuser la validité. "C'est la miséricorde que je désire, et non le sacrifice". Mt 9, 13 "Quand tu présentes ton offrande à l'autel... et va d'abord te réconcilier avec ton frère". Mt 5, 23-24
Le Dieu du N. T. est étranger à toute violence, à toute vengeance. "...Ainsi serez-vous fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons..." Mt 5, 44-45
La violence apocalyptique est rapportée aux hommes et non à Dieu. "Vous voulez que votre demeure vous soit laissée; eh bien, elle vous est laissée".
Seule l'Epître aux Hébreux propose une interprétation sacrificielle de la Passion. "... sans effusion de sang il n'y a point de rémission... lui, au contraire, ayant offert pour les péchés un unique sacrifice..." Hb 9, 22 et 10, 11-14
La mission du fils de l'homme c'est de dire aux hommes que le refus du royaume équivaut à la violence sans mesure.
Sa prédication subvertit les institutions les plus saintes : hiérarchies, ordre rituel du Temple, famille même...
Jésus est la victime parfaite : totalement arbitraire parce que totalement innocente et ainsi totalement significative.
Le don "prophétique" de Jesus : annonce de sa passion, reniement de Pierre.. c'est sa compréhension de la logique de la violence, alors que la violence est méconnaissance, sourde à la Parole, inventant une exigence sacrificielle démente de la part de Dieu.
Au sein de l'affrontement des doubles "celui qui veut sauver sa vie la perdra".
La révélation en actes de la Passion, c'est qu'il n'y a pas de compromis possible entre tuer et être tué.


- le jugement de Salomon : Deux prostituées, même condition, mêmes paroles, l'affrontement des "doubles". L'une d'elle n'a même plus en vue l'objet de la dispute, elle n'obéit qu'à sa haine de la rivale. L'autre accepte d'être "victime" pour que l'enfant vive. ( figura christi ) Comme l'Antigone de Sophocle : "je ne suis pas née pour partager la haine, mais l'amour" , "Qui sait si les dieux veulent vraiment cela ?" ( La différence entre amis et ennemis ). "Dans leur double destin, les deux frères ont péri en un seul jour, donnant er recevant les coups de leurs bras iniques".
Si la divinité existe, elle ne s'intéresse pas aux querelles des doubles.

Jésus ne succombe jamais à la perspective persécutrice : ni positivement en se mettant d'accord avec les bourreaux, ni négativement en adoptant le point de vue de la vengeance.
Jésus meurt victime du mécanisme qui transforme la violence immanente en violence transcendante et son attitude révèle le mécanisme. "A ce moment-là Jésus dit aux foules : 'Suis-je un brigand, que vous vous soyez mis en campagne... Alors les disciples l'abandonnèrent et s'enfuirent". Mt 26, 55-56 "Et ce même jour, Hérode et Pilate devinrent amis, d'ennemis qu'ils étaient auparavant". Lc 23, 11-12 "Les passants l'injuriaient...". Mt 27, 39-44
Révéler la violence, c'est lui opposer une logique qui n'est pas dans le monde puisque le monde humain vient de la violence. le rideau du Temple ( déchiré ) c'est ce qui sépare les hommes du mystère sacrificiel. "Les tombeaux s'ouvrirent..." Mt 27, 52-53
La résurrection est un thème homologue au travail de l'Ecriture qui est le retour à la lumière de toutes les victimes assassinées par les hommes.
Notre culture n'a pu être fondée qu'en trahissant la vérité du message originel.

Contradiction du christianisme : fondement structurant qui doit masquer ( version sacrificielle ); révélation du dieu d'amour qui fait "tomber la pluie...".
Ce n'est pas parce que les hommes ont inventé la science qu'ils ont cessé de chasser les sorcières, c'est parce qu'ils ont cessé de chasser les sorcières qu'ils ont inventé la science.
Les entreprises culturelles modernes ( sages et habiles, cartésiens, partisans du 'logos' grec, maîtres du soupçon, scientifiques... ne soupçonnent pas leur dette envers le texte évangélique ) se fondent comme toutes les autres sur l'expulsion d'une victime - et cette victime est le texte qui les a rendues possibles !


Nos rites intellectuels sont sacrificiels. Le rituel chez les penseurs modernes, c'est de refaire sans cesse de la différence, de fuir l'universel et de tout relativiser. La pensée critique est celle de la justification personnelle. La faillite de la modernité se traduit par le nihilisme de la connaissance.
Le sacré est ce qui maintient les "doubles" ensemble, et qui les empêche de s'entre-détruire.
C'est toujours la violence, en somme, qui empêche la violence de se déchaîner.
Le logos grec est celui du sacré, de la violence. "La violence est père de tout, elle fait les uns libres et les autres esclaves". Héraclite
Le logos chrétien, chronologiquement second, est le logos de l'amour. "Je ne vous appelle plus serviteurs... Je vous appelle amis, car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître." Jn 15, 15
L'amour comme la violence abolit les différences.
Le logos johannique est celui qui révèle la vérité de la violence en se faisant expulser.
CF : Prologue de Jean et tous les textes traitant de la haine du monde.

Nous sommes à la mort de toutes les cultures, cette crise sacrificielle à l'échelle de la planète peut être aussi la fin de la méconnaissance.
L'heure est venue de nous pardonner les uns les autres, si nous attendons encore nous n'aurons plus le temps ( nucléaire ).
Pour ce qui est des terreurs apocalyptiques, nul ne peut mieux faire désormais que le journal quotidien.
S'il est bien révélateur du mécanisme victimaire, le christianisme ne devrait pas exister. La méconnaissance est source du fondement. "La pierre qu'avait rejetée...".
Les cultures issues de la violence sont condamnées à y retourner sans cesse, voire à y sombrer.
Les ressources sacrificielles sont épuisées, il n'existe plus d'interdits qui puissent faire obstacle aux contagions catastrophiques du désir et de la violence.

"Ne jugez pas, pour n'être pas jugés... Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'oeil de ton frère ? et la poutre...". Mt 7, 1-5
Révélation et interdiction de l'esprit de vengeance. "La sentence dont vous frappez vos semblables vous est toujours renvoyée au visage et y cause de sérieux dégâts". ( Camus dans "La chute" ) Le "skandalon" dans les Evangiles n'est jamais matériel; c'est l'autre qui est ainsi désigné ou quelque chose en moi qui est absorbé par l'autre. "Celui qui aime son frère demeure dans la lumière, et il n'y a en lui aucun scandale". Jn 2, 10-12 "Retire-toi, Satan... " Mt 4, 8-10
Jésus demande qu'on ne scandalise pas les enfants, si vulnérables aux interférences mimétiques.
Le scandale, c'est un rapport de désir contagieux, aussi néfaste pour celui qui le provoque que pour celui qui le subit, car le scandalisé répand le scandale autour de lui. "Malheur à celui par qui le scandale arrive".
Celui par qui le scandale arrive est aussi celui qui dénonce le scandale.
Jean-Baptiste révèle à Hérode : Hérodiade, la femme du frère, est un enjeu mimétique.
Ainsi les textes associent la pierre de faîte et la pierre de scandale : la pierre rejetée est la pierre d'achoppement permanente. "La pierre qu'avaient rejetée les bâtisseurs, c'est elle qui est devenue pierre de faîte. Quiconque tombera sur cette pierre s'y fracassera et celui sur qui elle tombera, l'écrasera".
Lc 20, 17-18


Les théologiens ne prennent pas l'Evangile à la lettre par peur de compromettre la transcendance divine.
Et pourtant, il y a bien un premier commandement, formulé différemment. "Voilà le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable". Mt 23, 37-39 Mc 12 Lc 10

La pensée de.., La révélation évangélique : fondation de
l'anthropologie


Dans la logique du désir objectal, il devrait y avoir moins d'envie, moins de rivalités dans les sociétés égalitaires que dans les autres. Or, clairement, tel n'est pas le cas !
Nous jugeons "arbitraire" toute différence stable, mais nous ne supportons pas l'homogénéité, nous consacrons tous nos efforts à nous distinguer les uns des autres.
La médiation interne triomphe dans un univers où s'effacent, peu à peu, les différences entre les hommes.
La fausse promesse du libéralisme, de l'autonomie politique, du progrès technique...
Les hommes s'angoissent de perdre tout point de repère, ils choisissent des dieux de rechange.
Ce ne sont pas les objets, signifiants ou pas, qui fascinent les hommes, mais leurs doubles.
Dans un monde où l'autonomie est impossible, la volonté d'autonomie conduit fatalement à tomber dans le piège du "double bind".
L'alternative du monde travaillé par la révélation évangélique est cellelà même qu'est venu proposer le Christ : l'Apocalypse ou le royaume d'amour. La destruction totale ou la réconciliation totale.
L'économie politique accomplit le déplacement mystificateur. On n'y entend plus le heurt des groupes sociaux. Il n'y est plus question que de choix rationnels, de décisions optimales...
La pensée de l'économie politique n'est pas différente de la pensée religieuse dans sa fonction sociale et dans son mode d'élaboration.
La méconnaissance dont elle est porteuse est un processus social indispensable pour exorciser la violence. L'économie politique est bien la religion du capitalisme.


La pensée de.., La logique de l'économie


Le désir tend vers le néant. Il n'y a pas d'objet du désir. Le désir mimétique n'a pas d'attracteur puisque c'est lui qui fait émerger l'attracteur.
Il n'a rien à voir avec le désir de reconnaissance de Hegel, qui est un désir déterminé ou finalisé.
Les rivaux mimétiques n'agissent pas, ils réagissent. Si l'action a un commencement, le mimétisme n'en a pas; il n'est pas une action, mais une réaction. Le processus mimétique est circulaire.
Il est impossible de restaurer les mécanismes sacrificiels en cours de désagrégation, car c'est l'intelligence de ces mécanismes qui les désagrège... On d'efforce, sans y réussir de refermer la communauté humaine sur elle-même par des mouvements totalitaires, des idéologies virulentes...

La pensée de.., La logique de l'univers girardien


Il faut restituer au sacrifice sa conclusion communautaire : le repas sacrificiel, modèle du rapport social non violent. Il faut montrer que l'indivision peut reposer sur la division, l'unité des hommes sur le partage des choses.

La pensée de.., L'anthropologie girardienne


Le désir mimétique est sans sujet et sans objet, puisqu'il est toujours imitation d'un autre désir et que c'est la convergence des désirs qui définit l'objet.
Tour à tour écrasé ou divinisé, le partenaire d'un rapport de doubles passe pour "cyclothymique" ou "maniaco-dépressif".
La pensée de.., Psychologie interdividuelle

La création romanesque est analogue à une guérison spirituelle, c'est-à-dire à un travail de déstructuration de tout ce qui en chacun est structuré et cherche sans cesse à se structurer en fonction des mécanismes du désir.
Proust cite St Jean : "Si le grain ne meurt...". le symbolisme des grandes oeuvres est un symbolisme religieux.
Pour que le monde soit, il ne faut pas qu'il soit bon, mais le meilleur possible : le bien inclut le mal pour se réaliser. ( Leibniz ) Tout accord entre des individus semblables, donc rivaux, porte d'abord sur le meurtre de l'un d'eux.
La logique binaire du structuralisme exclut le tiers; elle dissimule la victime, elle dissimule le secret de toute fondation ( de cité ) et de tout fondement ( de connaissance ).


RENE GIRARD, La pensée de.., Des textes à la réalité, fin




1993 Thesaurus - DIEU EN QUESTIONS