1993 Thesaurus - EMMANUEL MOUNIER
Il ne faut pas suivre les plans, il faut suivre les indications.
CHARLES PEGUY
Dante a traversé l'enfer comme un touriste.
CHARLES PEGUY, l'enfer n'est pas celui que décrit Dante
Un bon regard, un regard antique achève. Un mauvais regard, un regard barbare, un regard moderne désachève.
Un regard nul, zéro regard, pas de regard du tout, est en un sens le plus mauvais, le pire mauvais regard : car c'est le regard de la dénutrition définitive, de la désaffection finale, c'est le regard de l'abolition éternelle, c'est enfin le regard de la désintégration de l'oubli.
CHARLES PEGUY
Kant a les mains propres, mais il n'a pas de mains.
CHARLES PEGUY, à propos du formalisme de la morale de Kant
N'habillez pas de mystique les compromis politiciens qui vous ont permis de régler sans trop de dommages l'Affaire grâce à laquelle vous avez accédé au pouvoir.
CHARLES PEGUY, sur les "dreyfusards", au côté desquels il combatît
Il faut se sauver ensemble. Il faudra revenir tous ensemble dans la maison de notre père.
CHARLES PEGUY
Ce que l'on admet n'est jamais bien admis, mais ce que l'on rejette est toujours rejeté.
CHARLES PEGUY
Les philosophies sont grandes dans la mesure où "elles produisent un ébranlement", où "elles se sont bien battues", que celui qui cherche si elles ont tort ou raison prouve par cela seul qu' "il ne sait pas de quoi il parle".
CHARLES PEGUY
Toutes les doctrines sont belles dans leur mystique et laides dans leur politique.
CHARLES PEGUY
C'est par un approfondissement constant de notre coeur dans la même voie, ce n'est nullement par une évolution, ce n'est nullement par un rebroussement que nous avons trouvé la voie de chrétienté. Nous ne l'avons pas trouvée en revenant. Nous l'avons trouvée au bout.
CHARLES PEGUY
Le christianisme n'est pas fait pour ceux qui veulent avoir des preuves, mais pour ceux qui veulent avoir des épreuves.
CHARLES PEGUY
Le pécheur donne la main au saint, puisque le saint donne la main au pécheur ! Et l'un tirant l'autre, ils remontent jusqu'à Jésus. Celui qui n'est pas chrétien, c'est celui qui ne donne pas la main.
CHARLES PEGUY
Parce qu'ils n'ont pas la force d'être de la nature ils croient qu'ils sont de la grâce. Parce qu'ils n'ont pas le courage d'être du monde ils croient qu'ils sont de Dieu.
CHARLES PEGUY, sur certains clercs
Car le surnaturel est lui-même charnel...
Et l'arbre de la grâce est enraciné profond.
CHARLES PEGUY
Il faut faire les frais du temporel.
Il n'y a pas d'évangélisation sans incarnation
CHARLES PEGUY
Le monde moderne est celui de la "panmuflerie".
CHARLES PEGUY
L'automatisme intellectuel a une incroyable force. Vieillis avant l'âge par la fausse culture, les esprits automatiques ne répondent plus...
CHARLES PEGUY
Les haines intellectuelles modernes ont adopté, ont emprunté tout l'arsenal des haines politiques anciennes et modernes, et notamment des haines politiques modernes, qui sont particulièrement bien outillées.
Le monde moderne s'est vanté d'avoir introduit dans le monde les méthodes, ce qu'il a nommé les méthodes scientifiques, et plus généralement la méthode.
Il n'a point menti pour cette méthode particulière que requiert l'organisation méthodique, généralement de la haine, particulièrement de la haine et du boycottage intellectuel.
De là vient en grande partie cette grande indigence intellectuelle des temps modernes.
Au moins les anciennes sanctions n'étaient-elles point hypocrites.
Elles désignaient celui qu'elles voulaient frapper.
CHARLES PEGUY
L'Eglise moderne a dans ces débats une situation beaucoup plus moderne que chrétienne, quelquefois toute moderne, et nullement chrétienne, et que là est tout le secret de sa faiblesse présente.
CHARLES PEGUY, lors de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat
Les partis intellectuels - politiques eux-mêmes - sont beaucoup plus dangereux que les partis politiques - propres - parce qu'ils atteignent l'homme beaucoup plus profondément.
CHARLES PEGUY
Quand donc aurons-nous enfin la séparation de la Métaphysique et de l'Etat.
CHARLES PEGUY
J'accuse le parti intellectuel moderne d'avoir une métaphysique, de la vouloir imposer à tout le monde par les moyens de la force gouvernementale, en matière d'histoire et de sociologie... pour assurer sa domination dans le temporel en l'ayant assurée dans le spirituel.
L'entrée d'un jeune homme dans le grand parti intellectuel moderne lui confère automatiquement aujourd'hui toutes les puissances de la domination temporelle.
CHARLES PEGUY, tout à fait d'actualité !
Les âmes serviles vont aux servitudes.
Les imbéciles vont à l'honnêteté.
Il est quelquefois difficile à l'arriviste d'arriver, parce qu'ils sont trop.
CHARLES PEGUY
Sous les anciens régimes, la gloire était une puissance presque uniquement spirituelle.
CHARLES PEGUY
Il faut dire "moderne"... C'est le nom même dont ils se vantent, c'est le nom de leur orgueil et de leur invention... : l'ère moderne, la science moderne, l'Etat moderne, l'école moderne... Il y en a même qui disent le christianisme moderne. Et il y en a un qui dit : le catholicisme moderne.
CHARLES PEGUY
Un Etat peut vider un enseignement d'Etat de tout son contenu de culture et de liberté.
On pourrait presque dire que au fond, et malgré les apparences, l'Etat se plaît encore plus à avilir l'enseignement qu'à caser ses créatures.
CHARLES PEGUY
Il est devenu incontestable que l'exercice du suffrage universel en France est devenu, sauf de rares et d'honorables exceptions, un jeu de mensonge, un abus de force, un enseignement de vice, une maladie sociale, un enseignement d'injustice.
CHARLES PEGUY
Nous sommes des vaincus. Le monde est contre nous... Tout ce que nous avons soutenu, tout ce que nous avons défendu, les moeurs et... recule de jour en jour devant une barbarie, devant une inculture croissantes, devant l'envahissement de la corruption politique et sociale.
De démagogie en démagogie tout ce que nous avons aimé est descendu, est tombé à des déchéances non encore éprouvées. La démagogie politique et politicienne...
CHARLES PEGUY
On peut faire de tout le monde des égaux ( dit l'histoire ), mais on ne fera jamais de tout le monde des aînés.
CHARLES PEGUY
L'ancien régime au moins n'avait pas commis cet abus d'être uniquement, inexpiablement le règne, le régime de l'argent. Des puissances spirituelles existaient encore, balançaient encore la puissance de l'argent.
CHARLES PEGUY
La mémoire et l'histoire forment un angle droit.
L'histoire est parrallèle à l'événement, la mémoire lui est centrale et axiale, elle est perpendiculaire.
CHARLES PEGUY
Vous abordiez un homme. Vous n'avez plus qu'un témoin. Or, Dieu sait, qu'on ne ment jamais autant qu'en témoignage, et d'autant plus que le témoignage est plus solennel.
CHARLES PEGUY
L'homme aimera toujours mieux se mesurer que de se voir.
CHARLES PEGUY
Pour expliquer un tel désastre, il faut qu'une faute du même ordre ait été commise. Il faut qu'une faute de mystique ait été commise.
Ils disent "C'est le malheur des temps". C'est une formule. C'est même une formule commode.
CHARLES PEGUY
Dans chaque ordre, dans chaque système, la mystique ne doit point être dévorée par la politique à laquelle elle a donné naissance.
CHARLES PEGUY
Une restauration n'est que la répétition d'une instauration, une image affaiblie, un essai de recommencement.
CHARLES PEGUY
Les politiciens ne sont pas nos maîtres. Ils ne sont pas même leurs propres maîtres.
CHARLES PEGUY
C'est nous, les mystiques qui sont pratiques, qui faisons quelque chose.
Ce sont les politiques qui ne le sont pas, qui ne font rien.
C'est nous qui amassons et c'est eux qui pillent...
CHARLES PEGUY
Pas une revue, pas un journal n'acceptait, ne tolérait sa signature...
On s'organisait fort proprement de toutes parts pour qu'il mourût tout tranquillement de faim.
CHARLES PEGUY, sur Bernard-Lazare, rien n'a changé !
Il faut faire les frais du temporel.
Nul ne peut s'y soustraire, pas même le spirituel, pas même la vie intérieure.
CHARLES PEGUY
Les fondateurs viennent d'abord. Les profiteurs viennent ensuite.
CHARLES PEGUY
Une amitié peut être sacrifiée. Elle peut être perdue, elle ne peut pas être exposée.
CHARLES PEGUY
Le saint est infiniment plus la proie de la charité que le cruel de la cruauté.
CHARLES PEGUY
Paris a ses familles comme Florence eut les siennes, et ses maisons non couronnées de tours n'en abritent pas moins des factions guerrières.
CHARLES PEGUY
Dans ce monde moderne où tout est pour le parasite, où tout est contre le producteur.
CHARLES PEGUY
Tout ce que nous avons semé de haines contre nous depuis douze ou quinze ans en affrontant les plus basses démagogies populacières, et notamment la démagogie intellectuelle et intellectualiste se sont rallumées soudain...
CHARLES PEGUY
Est-ce de ma faute si la jeunesse aujourd'hui cherche des maîtres un peu plus maigres ?
CHARLES PEGUY
En sainteté, en matière de sainteté c'est le privé qui porte le public et le public est tout soutenu, tout nourri du privé.
On demande ( en procès de canonisation ) une vie privée, des bonnes moeurs, des moeurs privées, des vertus privées. On demande avant tout au saint d'être un bon chrétien. On ne lui demande des choses extraordinaires, quand on lui en demande, qu'après. "Je suis bonne chrétienne", le mot terrible de Jeanne d'Arc à son procès.
Le peuple chrétien ne reçoit comme saint, par un secret instinct, que ceux qui lui sont garantis, qui lui sont donnés tels par le peuple en profondeur, par des témoins peuples, et non pas, nullement ceux qui lui sont donnés tels par les savants.
CHARLES PEGUY
Il ne faut pas seulement considérer dans un athéisme de combien la foi manque, mais d'où vient qu'elle manque.
Il y a des manques très larges qui ne sont point profonds.
Il y a des manques très étroits, qui sont profonds infiniment.
Il y a des manques qui épouvanteraient en surface, dont il ne faut que rire.
CHARLES PEGUY
"Voyez, je ne suis pas si bête que de croire comme eux"; le leitmotiv de la couardise.
Nous sommes aissi bêtes que saint Augustin et que saint Paul, que saint Louis et que saint François, et que Jeanne d'Arc, et pourquoi ne pas le dire, que Pascal et que Corneille.
Nous autres nous ne faisons aucun progrès. Ce sont les modernes qui font des progrès. Nous sommes bêtes une fois pour toutes. Nous sommes aussi bêtes que saint Jean Chrysostome.
CHARLES PEGUY
C'est la grâce de la grâce pour ainsi dire qu'elle est ensemble infiniment nouvelle et antique infiniment, ainsi que tout ce qu'elle fait.
CHARLES PEGUY
Quand vous sentez qu'on vous monte un coup, une cabale , ces gens-là sont généralement pleutres et sournois, ne lanternez pas; ne vous laissez pas lanterner; ne vous laissez pas arrêter à celui qui signe l'article.
Si on lui fait signer l'article, à celui-là, c'est justement parce que l'on pense qu'ayant moins de volume il est le moins vulnérable.
Allez droit à la tête, à l'auteur de la cabale, au directeur de la revue, et descendez-le. Après on vous laissera la paix.
CHARLES PEGUY
De mon temps tout le monde chantait. Dans la plupart des corps de métier on chantait. Ces ouvriers ne servaient pas, ils travaillaient.
Ils disaient en riant, et pour embêter les curés, que "travailler c'est prier".
La bourgeoisie capitaliste par contre a tout infecté. Elle s'est infectée elle-même et elle a infecté le peuple, de la même infection.
C'est la bourgeoisie qui a commencé à saboter, en traitant le travail de l'homme comme une valeur de bourse.
CHARLES PEGUY
Le parti politique socialiste est entièrement composé de bourgeois intellectuels.
Les ouvriers qu'on peut y voir sont en réalité des ouvriers de deuxième zone, de la deuxième formation, des ouvriers embourgeoisés ( les pires des bourgeois )... coupés de leur peuple.
Tout ce monde-là est jauressiste... radical. C'est-à-dire bourgeois.
C'est partout la même démagogie, la même viduité.
Cette pauvreté de pensée est peut-être unique dans l'histoire du monde... ... Sur ce nom de Jaurès; l'homme qui représente en France la politique impèriale allemande est tombé au-dessous du mépris qui puisse s'adresser le plus bas.
Que peut-il y avoir de commun entre cet homme et le peuple, entre ce gros bourgeois parvenu...
CHARLES PEGUY
Tout le monde a une métaphysique. Patente, latente... Ou alors on n'existe pas. ET même ceux qui n'existent pas en ont une tout de même.
CHARLES PEGUY
Nous ne croyons plus un mot de ce que nous enseignaient nos maîtres laïcs.
Et nous sommes intégralement nourris de ce que nous enseignaient les curés.
CHARLES PEGUY
Tout cet ancien monde était essentiellement le monde de "gagner sa vie".
CHARLES PEGUY
Le modernisme consiste à ne pas croire ce que l'on croit.
Il consiste à ne pas croire soi-même pour ne pas léser l'adversaire qui ne croit pas non plus.
C'est un système de complaisance, de politesse, de déclinaison mutuelle, de lâcheté, c'est la vertu des gens du monde.
CHARLES PEGUY
Le lendemain, le quinze juillet, est le jour de la gueule de bois nationale.
CHARLES PEGUY
Dans le système démocratique, il n'y a ni héros, ni saints, ni Dieu : tout se vaut.
CHARLES PEGUY
Toutes les pluies du monde n'ajouteront point un millimètre à une montagne; mais des pluies peu importantes peuvent lui enlever par la cime des mètres et des mètres de hauteur.
Ils espèrent qu'à force de déliter tout ce qu'il y a de grand ils réussiront peut-être à tout ramener à leur plat niveau. Et qui sait, c'est peut-être eux qui finiraient par paraître grands.
CHARLES PEGUY
Ils veulent bien dévaliser tout le monde. Mais ils ne veulent pas qu'on les dévalise.
Ils veulent bien parler des grands hommes comme si c'étaient des petits garçons. Mais eux ils veulent qu'on les traite comme des hommes considérables.
CHARLES PEGUY
C'est une erreur que de croire qu'un homme est inoffensif parce qu'il est apparemment un homme de cabinet.
CHARLES PEGUY
Je n'aime pas, et je ne veux rien savoir, d'une charité chrétienne qui serait une capitulation perpétuelle devant les puissants de ce monde... devant les puissances temporelles.
CHARLES PEGUY
L'anarchie a le droit... Mais ce que nous ne voulons pas c'est que l'anarchie veuille nous gouverner revêtue des autorités de l'Etat.
CHARLES PEGUY
Ils ne sont pas seulement anarchistes de gouvernement, ils sont anarchistes de trésorerie.
CHARLES PEGUY
Les croisés, entre tous autres saint Louis, qui faisaient une guerre sainte ... ne s'y fiaient pourtant pas. Ils ne priaient pas comme des oies qui attendent leur pâtée.
Ils priaient, mieux que nous... et ensuite ils se battaient... de tout leur temporel. "Aide-toi, le ciel t'aidera", n'est pas qu'un proverbe, c'est une théologie.
Et la seule qui soit orthodoxe, les autres seraient hérétiques.
CHARLES PEGUY
Avec la Déclaration des Droits de l'Homme on ferait la guerre tout le temps, toute la vie, tant qu'on voudrait.
Si la Ligue des Droits de l'Homme veut avoir la paix, qu'elle commence par nous la fiche.
CHARLES PEGUY
Jamais les grands n'ont été aussi entourés; jamais, sous aucun régime, dans aucun système les grands n'ont été aussi couverts contre le peuple, et le peuple aussi découvert contre les grands.
CHARLES PEGUY
Et c'est avec les bons athées, et ceux qui ne s'y attendent pas, que la grâce fait les bons chrétiens.
CHARLES PEGUY
Je vais plus loin, je n'aime pas les catholiques qui pactisent avec la Sorbonne; ou qui traitent avec la Sorbonne, ou qui causent avec..., ou qui flirtent..., ou même ceux qui se marient avec...
La Sorbonne, pour se donner des airs d'être libérale, cherchait depuis quelques années, des catholiques qu'elle put officiellement respecter, et même protéger.
La Sorbonne n'est pas si bête que ça, quand il s'agit de ses intérêts temporels.
CHARLES PEGUY
Mettre, laisser de jeunes troupes sous de vieux chefs : la formule même du désastre.
CHARLES PEGUY
C'est toujours le même vice moderne de duplicité. Ils veulent jouer deux fois... sur deux tables... des deux mains.
Ils veulent bien être grands pour leurs situations temporelles. Et ils veulent bien ne pas être grands pour les responsabilités que les situations temporelles devraient conférer.
CHARLES PEGUY
Le profond et le mystérieux n'est pas forcément sombre et tourmenté.
CHARLES PEGUY
Ceux qui s'appuient sur l'âme pour nier le corps n'ont ni âme ni corps, ce sont nos vertueux... et ceux qui s'appuient sur le corps pour nier l'âme n'ont aussi ni âme ni corps, ce sont nos anti-vertueux.
Les deux catégories vont aux intellectuels par défaut de corps ou d'âme.
Et ainsi l'immense poussière des intellectuels se recrute par la conjonction d'une double pulvérulence.
Et parce que l'homme a été créé double, âme et corps, ainsi l'intellectualisme, qui est le résidu de l'homme, est venu aussi d'un double . résidu.
CHARLES PEGUY
Endurer ce n'est pas ne pas avoir de dents. C'est en avoir et endurer qu'on vous les arrache.
CHARLES PEGUY
Du bois mort est du bois extrêmement habitué.
Une âme morte est une âme extrêmement habituée.
CHARLES PEGUY
Il n'a même pas pour lui tous les amis de ses amis. Car l'inimitié mord toujours sur l'amitié. Et l'amitié ne mord jamais sur l'inimitié.
Et la haine, et l'envie, et l'orgueil gagne toujours.
CHARLES PEGUY
Quand on connaît un peu la grâce, le problème n'est pas dans l'action de la grâce. Il est dans son inaction. Il est dans les limitations qu'elle reçoit.
La volonté de Dieu a créé deux limitations :l'une est la liberté de l'homme, l'autre est la force de l'habitude.
CHARLES PEGUY
Dans le système chevaleresque il s'agit de mesurer des valeurs. Dans le système de l'empire il s'agit d'obtenir et de fixer des résultats.
CHARLES PEGUY
Le chrétien suit un maître qui a porté un lourd fardeau; il ne prétend pas aux dominations vaines, aux grandeurs temporelles; il est l'homme de peine de la création.
CHARLES PEGUY
Des gens pour qui Reims même et le sacre et l'ampoule et le Saint-Esprit étaient des pièces de la politique.
CHARLES PEGUY
Que l'on compare une guerre de saint Louis, sa guerre des Anglais, dans les Charentes, et une guerre de Philippe le Bel.
L'une est une guerre juste, suivie d'un traité juste.
L'autre est une guerre moderne, voulue profitable.
Si la royauté fut demeurée la royauté de saint Louis, elle était invincible.
Mais du moment qu'elle entrait chez les modernes elle devait fatalement trouver plus moderne qu'elle.
Dans le nouvel ordre pour lequel on a trahi le sien, on trouve toujours quelqu'un qui est plus de ce nouvel ordre que soi-même.
Quand la révolution française décapita la royauté, elle ne décapita pas la royauté. Elle ne décapita plus que du moderne.
Ce fut du moderne qui en décapita un autre.
Du moment que la royauté s'était faite commerçante elle devait trouver plus commerçant qu'elle. Du moment qu'elle s'était faite "philosophe"...
Il faut être ce que l'on est.
CHARLES PEGUY
Nous n'avons qu'un honneur. Il est tant de maîtresses, dit le vieux don diègue.
CHARLES PEGUY
Il ne faut pas qu'un baron français scandalise les infidèles.
Il ne suffit pas que saint Louis soit saint Louis pour le sire de Joinville.
Il faut encore qu'il le soit aussi pour quelque chroniqueur et témoin musulman.
CHARLES PEGUY
Jésus est un homme parmi les autres et qui en a laissé aux autres. Il est un saint parmi les autres et qui en a laissé aux autres.
Pour que l'incarnation fut pleine et entière, loyale, ni restreinte ni frauduleuse, il fallait que son histoire fût une histoire d'homme. il fallait que son histoire et que sa mémoire fût incarnée.
CHARLES PEGUY
De même que nous périssons aujourd'hui comme peuple de notre épargne et de notre caisse d'épargne, de même intellectuellement nous périssons de cette règle qui est une règle de caisse d'épargne intellectuelle.
CHARLES PEGUY
Comme le chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à la retraite.
Mais c'est pour en jouir, comme ils disent.
CHARLES PEGUY
Ce raidissement de l'argent, qui commande toute la société moderne, cette immense vénalité, cet universel remplacement des forces souples par de l'argent raide a son point d'origine économique... dans le raidissement du présent, dans cette ossification, dans cette momification du présent.
Par esprit d'épargne on a voulu mettre de côté le présent.
Et pour être bien sûr de le mettre de côté on l'a mis au passé.
CHARLES PEGUY
Tout l'avilissement du monde moderne... vient de ce que le monde moderne a considéré comme négociables des valeurs que le monde antique et le monde chrétien considéraient comme non négociables.
CHARLES PEGUY
Quand on avait tout on ne partageait rien.
CHARLES PEGUY
Celui qui rend une place ne sera jamais qu'un salaud, quand même il serait marguillier de sa paroisse. ( Et quand même il aurait toutes les vertus. Et puis on s'en fout de ses vertus. Ce que l'on demande à l'homme de guerre, ce n'est pas des vertus.
Et ce que Jeanne d'Arc demandait à ses hommes, ce n'était pas des vertus, c'était une vie chrétienne. Et c'est infiniment autre chose. La morale a été inventée par les malingres. Et la vie chrétienne a été inventée par Jésus-Christ ).
CHARLES PEGUY, l'Argent
Ce n'est point au hasard que le monde moderne d'une part est le monde de l'avarice et de la vénalité et que d'autre part il est le monde du mécanisme, de l'intellectualisme, du déterminisme et du matérialisme et de l'associationisme. Ces deux groupes sont liés.
Ils procèdent, dans le coeur et dans la tête de ce même point de raidissement du présent.
CHARLES PEGUY
La lutte est entre l'argent et tout ce qui a quelque spiritualité, quoi que ce soit.
La philosophie sera chassée comme la théologie, et du même mouvement.
Car nous avons un maître comme on n'en avait jamais vu.
C'est l'âme même que l'on veut atteindre.
C'est le spirituel sous toutes ses formes et dans tous les êtres que l'on veut réduire.
CHARLES PEGUY
Tout ce qui sera ôté à Bergson ira à Spencer et non pas à saint Thomas.
CHARLES PEGUY
La mystique républicaine, c'était quand on mourait pour la république, la politique républicaine, c'est à présent qu'on en vit.
CHARLES PEGUY
... Et vous savez alors ce que l'homme découvre,
C'est que tout souvenir est un point de douleur,
C'est que tout avenir est un puits de malheur,
Et que toute blessure est présente, et se rouvre.
CHARLES PEGUY, Eve
Amnésie de l'éternel.
CHARLES PEGUY, diagnostic sur le mal de son époque
Celui qui conduit sa pensée comme une action.
EMMANUEL MOUNIER, sur Péguy
Le dogme de la "raison souple" cher à Péguy.
JULIEN BENDA, sur Péguy
Charles Peguy sortit de l'Eglise à cause de l'impossibilité de penser l'enfer et c'est lorsqu'il eut compris l'insuffisance d'une solidarité socialiste, purement temporelle, qu'il rentra en elle.
Comme socialiste il écrivit sa première "Jeanne d'Arc", et lorsqu'il fut redevenu chrétien, il en fit son "Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc".
H. URS Von BALTHASAR, sur Péguy
Le peuple ne refuse pas notre culture parce qu'elle est trop haute, mais parce qu'elle est trop basse.
SIMONE WEIL, ( il s'agit de la grande, avec un W )
Il faudrait dire des choses éternelles pour être sûr qu'elles soient d'actualité.
SIMONE WEIL
Le beau est un attrait qui tient à distance, un fruit que l'on regarde sans tendre la main, ce qui implique une renonciation intime.
SIMONE WEIL
Mille signes montrent que les hommes de notre époque étaient depuis longtemps affamés d'obéissance. Mais on en a profité pour leur donner l'esclavage.
SIMONE WEIL
L'homme voudrait être égoïste et ne peut pas. C'est le caractère le plus frappant de sa misère et la source de sa grandeur.
SIMONE WEIL
L'enracinement est le besoin le plus naturel et le plus méconnu de l'âme humaine.
SIMONE WEIL
La création est de la part de Dieu un acte non pas d'expansion de soi, mais de retrait, de renoncement. Dieu et toutes les créatures, cela est moins que Dieu seul.
SIMONE WEIL
Adorer la distance entre soi et ce qu'on aime.
SIMONE WEIL
Pour eux, la religion est une pilule peinte de qualité supérieure.
SIMONE WEIL, Des Américains.
Le vocabulaire du courant de pensée dit personnaliste est erroné. La personn'est pas ce qui, en nous, a droit au respect. Ce qui est sacré, bien loin que ce soit la personne, c'est ce qui, dans un être humain, est impersonnel.
La vérité, la beauté habitent le domaine des choses impersonnelles et anonymes. La perfection est impersonnelle. La personne en nous, c'est la porte de l'erreur et du péché.
SIMONE WEIL
Tous les mouvements "naturels" de l'âme sont régis par des lois analogues à celles de la pesanteur matérielle. La grâce seule fait exception.
L'objet d'une action et le niveau d'énergie qui l'alimente, choses distinctes.
Il "faut" faire telle chose. Mais où puiser l'énergie ? Une action vertueuse peut abaisser s'il n'y a pas d'énergie disponible au même niveau.
S'il est vrai que la même souffrance est bien plus difficile à supporter par un motif élevé que par un motif bas...
Queues alimentaires. Une même action est plus facile si le mobile est bas que s'il est élevé. Les mobiles bas enferment plus d'énergie que les mobiles élevés. Problème : comment transférer aux mobiles élevés l'énergie dévolue aux mobiles bas ?
La création est faite du mouvement descendant de la pesanteur, du mouvement ascendant de la grâce et du mouvement descendant de la grâce à la deuxième puissance.
Un malheur trop grand met un être humain au-dessous de la pitié: égoût, horreur et mépris.
La pitié descend jusqu'à un certain niveau, et non au-dessous. Comment la charité fait-elle pour descendre au-dessous ?
La pesanteur et la grâce,
Désir de voir autrui souffrir ce qu'on souffre, exactement. C'est pourquoi, sauf dans les périodes d'instabilité sociale, les rancunes des misérables se portent sur leurs pareils.
Le mécanisme par lequel une situation trop dure abaisse est que l'énergie fournie par les sentiments élevés est, généralement, limitée; si la situation exige qu'on aille plus loin que cette limite, il faut avoir recours à des sentiments bas ( peur, convoitise, goût du record, des honneurs extérieurs ) plus riches en énergie.
Cette limitation est la clef de beaucoup de retournements.
Tragédie de ceux qui s'étant portés par amour du bien, dans une voie où il y a à souffrir, arrivent au bout d'un temps donné à leur limite et s'avilissent.
Une récompense purement imaginaire ( un sourire de Louis XIV ) est l'équivalent exact de ce qu'on a dépensé, car elle a exactement la valeur de ce qu'on a dépensé - contrairement aux récompenses réelles qui, comme telles, sont au-dessus ou au-dessous. Aussi les "avantages imaginaires" seuls fournissent l'énergie pour des efforts illimités. Mais il faut que Louis XIV sourie vraiment, s'il ne sourie pas, privation indicible...
Les hommes nous doivent ce que nous imaginons qu'ils nous donneront. Leur remettre cette dette. Accepter qu'ils soient autres que les créatures de notre imagination, c'est imiter le renoncement de Dieu. Moi aussi, je suis autre que ce que je m'imagine être. Le savoir, c'est le pardon.
La pesanteur et la grâce, Vide et compensation
Ne pas exercer tout le pouvoir dont on dispose, c'est supporter le vide.
Cela est contraire à toutes les lois de la nature : la grâce seule le peut.
Nécessité d'une récompense, de recevoir l'équivalent de ce qu'on donne.
Mais si, faisant violence à cette nécessité, on laisse un vide, il se produit comme un appel d'air, et une récompense surnaturelle survient. Elle ne vient pas si on a un autre salaire: ce vide la fait venir...
Il faut un temps sans récompense, naturelle ou surnaturelle.
L'homme n'échappe aux lois de ce monde que la durée d'un éclair. Instants d'arrêts, de contemplation, d'intuition pure, de vide mental, d'acceptation du vide moral. C'est par ces instants qu'il est capable de surnaturel.
Qui supporte un moment le vide, ou reçoit le pain surnaturel, ou tombe.
Risque terrible, mais il faut le courir, et même un moment sans espérance.
Mais il ne faut pas s'y jeter.
La pesanteur et la grâce, Accepter le vide
Pour atteindre le détachement total, le malheur ne suffit pas. Il faut un malheur sans consolation. Il ne faut pas avoir de consolation. Aucune consolation représentable. La consolation ineffable descend alors.
Détacher notre désir de tous les biens et attendre. L'expérience prouve que cette attente est comblée. On touche alors le bien absolu.
Ecarter les croyances combleuses de vide, adoucisseuses des amertumes.
Celle à l'immortalité, celle à l'utilité des péchés, celle à l'ordre providentiel des événements - bref les "consolations" qu'on cherche ordinairement dans la religion.
Aimer Dieu à travers la destruction de Troie et de Carthage, et sans consolation. L'amour n'est pas consolation, il est lumière.
L'attachement est fabricateur d'illusions, et quiconque veut le réel doit être détaché.
Dés qu'on sait que quelque chose est réel, on ne peut plus y être attaché.
L'attachement n'est pas autre chose que l'insuffisance dans le sentiment de la réalité. On est attaché à la possession d'une chose parce qu'on croit que si on cesse de la posséder, elle cesse d'être. Beaucoup de gens ne sentent pas avec toute leur âme qu'il y a une différence du tout au tout entre l'anéantissement d'une ville et leur exil irrémédiable hors de cette ville.
Quand Dieu est devenu aussi plein de signification que le trésor pour l'avare, se répéter fortement qu'il n'existe pas. Eprouver qu'on l'aime, même s'il n'existe pas. C'est lui qui, par l'opération de la nuit obscure, se retire afin de ne pas être aimé comme un trésor par un avare.
La pesanteur et la grâce, Détachement
L'imagination travaille continuellement à boucher toutes les fissures par où passerait la grâce.
Dans n'importe quelle situation, si on arrête l'imagination combleuse, il y a vide ( pauvres en esprit ).
Dans n'importe quelle situation ( mais dans certaines, au prix de quel abaissement ! ) l'imagination peut combler le vide. C'est ainsi que les êtres moyens peuvent être prisonniers, esclaves, prostituées, et traverser n'importe quelle souffrance sans purification.
Continuellement suspendre en soi-même le travail de l'imagination combleuse de vides.
Si on accepte n'importe quel vide, quel coup du sort peut empêcher d'aimer l'univers ? On est assuré que, quoi qu'il arrive, "l'univers est plein."
La pesanteur et la grâce, L'imagination combleuse
Quand on est déçu par un plaisir qu'on attendait et qui vient, la cause de la déception, c'est qu'on attendait de l'avenir. Et une fois qu'il est là, c'est du présent. Il faudrait que l'avenir fût là sans cesser d'être l'avenir. Absurdité dont seule l'éternité guérit.
"Le temps et la caverne." Sortir de la caverne, être détaché consiste à ne plus s'orienter vers l'avenir.
La pesanteur et la grâce, Renoncement au temps
Il ne faut pas chercher le vide, car ce serait tenter Dieu que de compter sur le pain surnaturel pour le combler. Il ne faut pas non plus le fuir.
Ce qui rend l'homme capable de péché, c'est le vide. Tous les péchés sont des tentatives pour combler les vides.
Reniement de saint Pierre, dire au Christ : je te resterai fidèle, c'est déjà le renier, car c'était supposer en soi et non dans la grâce la source de la fidélité.
Supplier un homme, c'est une tentative désespérée pour faire passer à force d'intensité son propre système de valeurs dans l'esprit d'un autre.
Supplier Dieu, c'est le contraire : tentative pour faire passer les valeurs divines dans sa propre âme...
La pesanteur et la grâce, Désirer sans objet
Nous ne possédons rien au monde - car le hasard peut tout nous ôter - sinon le pouvoir de dire je. C'est cela qu'il faut donner à Dieu, c'est-à-dire détruire. Il n'y a absolument aucun autre acte libre qui nous soit permis, sinon la destruction du je.
Offrande : on ne peut pas offrir autre chose que le je, et tout ce qu'on nomme offrande n'est pas autre chose qu'une étiquette posée sur une revanche du je.
Rien au monde ne peut nous enlever le pouvoir de dire je. Rien, sauf l'extrême malheur. Rien n'est pire que l'extrême malheur qui du dehors détruit le je, puisque dès lors on ne peut plus le détruire soi-même.
Qu'ils aient perdu le je, cela ne veut pas dire qu'ils n'aient plus d'égoÏsme. Au contraire. Certes, cela arrive quelquefois, quand il se produit un dévouement de chien. Mais d'autres fois l'être est au contraire réduit à l'égoïsme nu, végétatif. Un égoïsme sans je.
Quand le je est blessé du dehors, il a d'abord la révolte la plus extrême, la plus amère, comme un animal qui se débat. Mais dès que le je est à moitié mort, il désire être achevé et se laisse aller à l'évanouissement.
Si alors une touche d'amour le réveille, c'est une douleur extrême et qui produit la colère et parfois la haine contre celui qui a provoqué cette douleur; De là chez les êtres déchus, ces réactions en apparence inexplicables de vengeance contre le bienfaiteur.
Il arrive aussi que chez le bienfaiteur l'amour ne soit pas pur. Alors le je, réveillé par l'amour, recevant aussitôt une nouvelle blessure par le mépris, il surgit la haine la plus amère, haine légitime.
Celui chez qui le je est tout à fait mort au contraire, n'est aucunement gêné par l'amour qu'on lui témoigne. Il se laisse faire comme les chiens et les chats...
Selon les cas il s'attache comme un chien ou se laisse faire avec une sorte d'indifférence comme un chat. Il boit sans le moindre scrupule toute l'énergie de quiconque s'occupe de lui.
Par malheur, toute oeuvre charitable risque d'avoir comme clients une majorité de gens sans scrupule ou surtout des êtres dont le je est tué.
Le je est d'autant plus tué que celui qui subit le malheur a un caractère plus faible. Plus exactement, le malheur limite, le malheur destructeur du je se situe plus ou moins loin suivant la trempe du caractère, et plus il se situe loin, plus on dit que le caractère est fort.
Les Pharisiens étaient des gens qui comptaient sur leurs propres forces pour être vertueux.
L'humilité consiste à savoir qu'en ce qu'on nomme "je" il n'y a aucune source d'énergie qui permette de s'élever.
Tout ce qui est précieux en moi, sans exception, vient d'ailleurs que de moi, non pas comme don, mais comme prêt qui doit être sans cesse renouvelé.
Tout ce qui est en moi, sans exception, est absolument sans valeur; et, parmi les dons venus d'ailleurs, tout ce que je m'approprie devient aussitôt sans valeur.
La pesanteur et la grâce, Le Moi
La création est un acte d'amour et elle est perpétuelle. A chaque instant notre existence est amour de Dieu pour nous. Mais Dieu ne peut aimer que soi-même. Son amour pour nous est amour pour soi à travers nous. Ainsi, lui qui nous donne l'être, il aime en nous le consentement à ne pas être.
Il a été donné à l'homme une divinité imaginaire pour qu'il puisse s'en dépouiller comme le Christ de sa divinité réelle.
Renoncement. imitation du renoncement de Dieu dans la création. Dieu renonce - en un sens - à être tout. Nous devons renoncer à être quelque chose.
C'est le seul bien pour nous.
On ne possède que ce à quoi on renonce. Ce à quoi on ne renonce pas nous échappe. En ce sens, on ne peut posséder quoi que ce soit sans passer par Dieu.
Il n'y a que deux instants de nudité et de pureté parfaites dans la vie humaine : la naissance et la mort.
On ne peut adorer Dieu sous la forme humaine sans souiller la divinité que comme nouveau-né et comme agonisant.
Si on trouve la plénitude de la joie dans la pensée que Dieu est, il faut trouver la même plénitude dans la pensée que soi on n'est pas, car c'est la même pensée. Et cette connaissance n'est étendue à la sensibilité que par la souffrance et la mort.
Joie en Dieu. Il y a réellement joie parfaite et infinie en Dieu.
Ma participation ne peut rien ajouter, ma non-participation rien ôter à la réalité de cette joie parfaite et infinie. Dés lors, quelle importance que je doive y avoir part ou non ?
Ceux qui désirent leur salut ne croient pas vraiment à la réalité de la joie en Dieu.
La première présence de Dieu est la présence de création, pour autant qu'il est le créateur. La seconde est la présence de dé-création, pour autant qu'il est l'Esprit. ( Celui qui nous a créés sans nous ne nous sauvera pas sans nous, saint Augustin ).
La pesanteur et la grâce, Dé-création
Dieu m'a donné l'être pour que je le lui rende...
Si j'accepte ce don, il est mauvais et fatal; sa vertu apparaît par le refus. Dieu me permet d'exister en dehors de lui. A moi de refuser cette autorisation.
L'humilité c'est le refus d'exister en dehors de Dieu. Reine des vertus.
Dieu ne peut aimer en nous que ce consentement à nous retirer pour le laisser passer, comme lui-même, créateur, s'est retiré pour nous laisser être.
Cette double opération n'a pas d'autre sens que l'amour, comme le père donne à son enfant ce qui permettra à l'enfant de faire un présent le jour de l'anniversaire de son père.
Dieu qui n'est pas autre chose qu'amour n'a pas créé autre chose que de l'amour.
La pesanteur et la grâce, Effacement
Subordination : économie d'énergie. Grâce à elle, un acte d'héroïsme peut être accompli sans que celui qui ordonne ni celui qui obéit aient besoin d'être des héros. Parvenir à recevoir des ordres de Dieu.
Il y a des cas où une chose est nécessaire du seul fait qu'elle est possible. Ainsi manger quand on a faim, donner à boire à un blessé mourant de soif. Ni un bandit ne s'en abstiendrait ni un saint.
Par analogie, discerner les cas où, bien que cela n'apparaisse pas aussi clairement à première vue, la possibilité implique une nécessité.
Agir dans ces cas et non dans les autres.
Si mon salut éternel était sur cette table sous la forme d'un objet et qu'il n'y eut qu'à étendre la main pour le saisir, je ne tendrais pas la main sans en avoir reçu l'ordre.
Détachement des fruits de l'action. Se soustraire à cette fatalité. Comment ?
Agir non "pour" un objet, mais "par" une nécessité. Je ne peux pas faire autrement. Ce n'est pas une action, mais une sorte de passivité. Action non agissante...
L'esclave est, en un sens, un modèle ( le plus bas.. le plus haut ).
Transporter hors de soi les mobiles de ses actions. Les motifs tout à fait purs ( ou les plus vils : toujours la même loi ) apparaissent comme "extérieurs".
Pour tout acte, le considérer sous l'aspect non de l'objet, mais de l'impulsion. Non pas : à quelle fin ? mais : d'où cela vient-il ?
( Ceux qui nourrissaient ceux qui avaient faim, qui habillaient ceux qui étaient nus ) Ils ne le faisaient aucunement pour le Christ, ils ne pouvaient pas s'empêcher de le faire parce que la compassion du Christ était en eux. Comme saint Nicolas allant avec saint Cassien à travers la steppe russe à un rendez-vous avec Dieu ne pouvait pas s'empêcher de manquer l'heure du rendez-vous pour aider un moujik à dégager sa voiture embourbée.
Le bien accompli ainsi presque malgré soi, presque avec honte et remords, est pur. Tout bien absolument pur échappe complètement à la volonté. Le bien est transcendant. Dieu est le bien.
"J'avais faim et vous m'avez secouru." Quand donc, Seigneur ? Ils ne le savaient pas. Il ne faut pas le savoir.
Il ne faut pas secourir le prochain "pour" le Christ, mais "par" le Christ.
Que le moi disparaisse de telle sorte que le Christ, au moyen de l'intermédiaire que constitue notre âme et notre corps, secoure le prochain. Être l'esclave que son maître envoie porter tel secours à tel malheureux. Le secours vient du maître, mais il s'adresse au malheureux. Le Christ n'a pas souffert pour son Père. Il a souffert pour les hommes par la volonté du Père...
D'une manière générale, pour Dieu est une mauvaise expression. Dieu ne doit pas se mettre au datif. Ne pas aller au prochain pour Dieu mais être poussé par Dieu vers le prochain comme la flèche vers le but par l'archer.
En toutes choses, seul ce qui nous vient du dehors, gratuitement, par surprise, comme un don du sort, sans que nous l'ayons cherché, est joie pure.
Parallèlement, le bien réel ne peut venir que du dehors, jamais de notre effort. Nous ne pouvons en aucun cas fabriquer quelque chose qui soit meilleur que nous. Ainsi l'effort tendu véritablement vers le bien ne doit pas aboutir; c'est après une tension longue et stérile qui se termine en désespoir, quand on n'attend plus rien, que du dehors, merveilleuse surprise, vient le don. Cet effort a été destructeur d'une partie de la fausse plénitude qui est en nous. Le vide divin, plus plein que la plénitude, est venu s'installer en nous.
Critérium convergent. Une action ou une attitude en faveur de laquelle la raison trouve plusieurs motifs distincts et convergents, mais dont on sent qu'elle dépasse tous les motifs représentables.
On ne peut jamais savoir que Dieu commande telle chose. L'intention orientée vers l'obéissance à Dieu sauve, quoi qu'on fasse, si on place Dieu infiniment au dessus de soi, et damne, quoi qu'on fasse, si on appelle Dieu son propre coeur. Dans le premier cas, on ne pense jamais que ce qu'on a fait, ce qu'on fait ou ce qu'on fera puisse être un bien...
La transsubstantiation de l'énergie consiste en ceci que, pour le bien, il vient un moment où on ne peut pas ne pas l'accomplir. De là aussi un critérium du bien et du mal.
L'obéissance est le seul mobile pur, le seul qui n'enferme à aucun degré la récompense de l'action et laisse tout le soin de la récompense au Père qui est dans le caché, qui voit dans le caché.
A condition que ce soit l'obéissance à une nécessité, non pas à une contrainte.
Vierges folles. Cela signifie qu'au moment où l'on prend conscience qu'il y a un choix à faire, le choix est déjà fait - dans un sens ou dans l'autre.
Quand dans l'homme la nature, étant coupée de toute impulsion charnelle et privée de toute lumière surnaturelle, exécute des actions conformes à ce que la lumière surnaturelle imposerait si elle était présente, c'est la plénitude de la pureté. C'est le point central de la Passion.
Le juste rapport avec Dieu est, dans la contemplation l'amour, dans l'action l'esclavage. Agir en esclave en contemplant avec amour.
La pesanteur et la grâce, La nécessité et l'obéissance
Les choses sensibles sont réelles en tant que choses sensibles, mais irréelles en tant que biens.
L'illusion concernant les choses de ce monde, ne concerne pas leur existence, mais leur valeur. L'image de la caverne se rapporte à la valeur.
Ce qui distingue les états d'en haut de ceux d'en bas c'est, dans les états d'en haut, la coexistence de plusieurs plans superposés.
Un critèrium du réel, c'est que c'est dur et rugueux. On y trouve des joies, non de l'agrément. Ce qui est agréable est rêverie.
Crainte de Dieu dans saint Jean de la Croix. N'est-ce pas la crainte de penser à Dieu alors qu'on est indigne ? De le souiller en le pensant mal ?
Par cette crainte les parties basses s'éloignent de Dieu.
La chair est dangereuse pour autant qu'elle se refuse à aimer Dieu, mais aussi pour autant qu'elle se mêle indiscrètement de l'aimer.
Dieu et le surnaturel sont cachés et sans forme dans l'univers. Il est bon qu'ils soient cachés et sans nom dans l'âme. Autrement, on risque d'avoir sous ce nom de l'imaginaire ( ceux qui ont nourri et vêtu le Christ ne savaient pas que c'était le Christ ). Sens des mystères antiques. Le christianisme ( catholiques et protestants ) parle trop des choses saintes.
Ce que la nature opère mécaniquement en moi, il est mauvais de croire que j'en suis l'auteur. Mais il est encore plus mauvais encore de croire que le Saint-Esprit en est l'auteur. C'est encore plus loin de la vérité.
Ce qui fait qu'on recule devant les efforts qui rapprocheraient du bien, c'est la répugnance de la chair, mais non pas la répugnance de la chair devant l'effort. C'est la répugnance de la chair devant le bien...
Nous fuyons le vide intérieur parce que Dieu pourrait s'y glisser.
Ce n'est pas la recherche du plaisir et l'aversion de l'effort qui produisent le péché, mais la peur de Dieu. On sait qu'on ne peut pas le voir face à face sans mourir. On sait que le péché nous préserve très efficacement de le voir face à face : le plaisir et la douleur nous procurent seulement la légère impulsion indispensable vers le péché...
La chair n'est pas ce qui nous éloigne de Dieu, elle est le voile que nous mettons devant nous pour faire écran entre Dieu et nous.
La pesanteur et la grâce, Illusions
L'idolâtrie vient de ce qu'ayant soif de bien absolu, on ne possède pas l'attention surnaturelle et on n'a pas la patience de la laisser pousser.
Les pensées sont changeantes, obéissantes aux passions, aux fantaisies, à la fatigue. L'activité doit être continue, tous les jours, beaucoup d'heures par jour. Il faut donc des mobiles de l'activité qui échappent aux pensées, donc aux relations : des idoles.
L'homme voudrait être égoïste et ne peut pas. C'est le caractère le plus frappant de sa misère et la source de sa grandeur.
L'homme se dévoue toujours à un "ordre". Seulement, sauf illumination surnaturelle, cet ordre a pour centre ou lui-même ou un être particulier ( qui peut être une abstraction ) dans lequel il s'est transféré ( Napoléon pour ses soldats, la Science, le Parti, etc.).
La pesanteur et la grâce, Idolâtrie
C'est une faute que de désirer être compris avant que de s'être élucidé soimême à ses propres yeux. C'est rechercher des plaisirs dans l'amitié, et non mérités. C'est quelque chose de plus corrupteur encore que l'amour. Tu vendrais ton âme pour l'amitié.
Apprends à repousser l'amitié, ou plutôt le rêve de l'amitié. Désirer l'amitié est une grande faute. L'amitié doit être une joie gratuite comme celles que donne l'art ou la vie. Il faut la refuser pour être digne de la recevoir : elle est de l'ordre de la grâce ( "Mon Dieu, éloignez-vous de moi ..." ). Elle est de ces choses qui sont données par surcroît. "Tout" rêve d'amitié mérite d'être brisé... Désirer échapper à la solitude est une lâcheté. L'amitié ne se recherche pas, ne se rêve pas, ne se désire pas; elle s'exerce ( c'est une vertu ). Abolir toute cette marge de sentiments, impure et trouble...
Ce qui doit être sévèrement interdit, c'est de rêver aux jouissances du sentiment. C'est de la corruption. Et c'est aussi bête que de rêver à la musique ou à la peinture. L'amitié ne se laisse pas détacher de la réalité, pas plus que le beau. Et le miracle consiste simplement dans le fait qu'elle "existe". A vingt-cinq ans, il est largement temps d'en finir radicalement avec l'adolescence.
Ne te laisse mettre en prison par aucune affection. Préserve ta solitude.
Le jour, s'il vient jamais, où une véritable affection te serait donnée, il n'y aurait pas d'opposition entre la solitude intérieure et l'amitié, au contraire. C'est même à ce signe infaillible que tu la reconnaîtras.
Les autres affections doivent être disciplinées sévèrement.
La reconnaissance est prescrite... parce que c'est là l'usage à faire du bienfait reçu. Mais ce doit être la dépendance à l'égard du sort et non d'un être humain déterminé. C'est pourquoi le bienfaiteur a l'obligation d'être entièrement absent du bienfait. Et la reconnaissance ne doit à aucun degré constituer un attachement car c'est là la reconnaissance des chiens.
La reconnaissance est d'abord le fait de celui qui secourt, si le secours est pur. Elle n'est due par l'obligé qu'à titre de réciprocité.
La pesanteur et la grâce, Amour
Le mal, c'est la licence, et c'est pourquoi il est monotone : il y faut tout tirer de soi. Or il n'est pas donné à l'homme de créér. C'est une mauvaise tentative pour imiter Dieu.
Pas de trace de "je" dans la conservation. il y en a dans la destruction. "Je" laisse sa marque sur le monde en détruisant.
Le bien est essentiellement autre que le mal. Le mal est multiple et fragmentaire, le bien est un, le mal est apparent, le bien est mystérieux; le mal consiste en actions, le bien en non-action, en action non agissante.
Le bien pris au niveau du mal et s'y opposant comme un contraire à un contraire est un bien de code pénal.
Quand on accomplit le mal, on ne le connaît pas, parce que le mal fuit la lumière.
Le faux Dieu change la souffrance en violence. Le vrai Dieu change la violence en souffrance.
Accepter le mal qu'on nous fait comme remède à celui que nous avons fait.
Ce n'est pas la souffrance qu'on s'impose à soi-même, mais celle qu'on subit du dehors qui est le vrai remède. Et même il faut qu'elle soit injuste.
Quand on a péché par injustice, il ne suffit pas de souffrir justement, il faut souffrir l'injustice.
Le péché contre l'Esprit consiste à connaître une chose comme bonne et à la haïr en tant que bonne. On en éprouve l'équivalent sous forme de résistance toutes les fois qu'on s'oriente vers le bien...
Une fois un atome de bien pur entré dans l'âme, la plus grande, la plus criminelle faiblesse est infiniment moins dangereuse que la plus minime trahison, celle-ci se réduirait-elle à un mouvement purement intérieur de la pen- sée ne durant qu'un instant, mais consenti. C'est la participation à l'enfer.
Tant que l'âme n'a pas goûté au bien pur, elle est séparée de l'enfer comme du paradis...
Qui ne désire pas la joie de Dieu, mais est satisfait de savoir qu'il y a réellement joie en Dieu, tombe mais ne trahit pas.
Le mal est à l'amour ce qu'est le mystère à l'intelligence. Comme le mystère contraint la vertu de foi à être surnaturelle, de même le mal pour la vertu de charité. Et essayer de trouver des compensations, des justifications au mal est aussi nuisible pour la charité que d'essayer d'exposer le contenu des mystères sur le plan de l'intelligence humaine.
Comment pourrait-on croire qu'il soit possible de trouver une compensation à ce mal, puisque à cause de ce mal, Dieu a souffert la crucifixion ?
Laisser l'imagination s'attarder sur ce qui est mal implique une espèce de lâcheté; on espère jouir, connaître et s'accroître par l'irréel...
Ayant attardé son imagination sur une chose mauvaise, si on rencontre d'autres hommes qui la rendent objective par leurs paroles et leurs actions et suppriment ainsi la barrière sociale, on est déjà presque perdu. Et quoi de plus facile ? Pas de point de rupture; quand on voit le fossé, on l'a déjà franchi. Pour le bien, c'est tout le contraire; le fossé est vu quand il est à franchir, au moment de l'arrachement et du déchirement. On ne tombe pas dans le bien. Le mot bassesse exprime cette propriété du mal.
Il faut que le mal soit rendu pur - ou la vie est impossible. Dieu seul peut cela. C'est l'idée de la Gîta. C'est aussi l'idée de Moïse, de Mahomet, de l'hitlérisme.
Mais Jéhovah, Allah, Hitler sont des dieux terrestres. La purification qu'ils opèrent est imaginaire.
La pesanteur et la grâce, Le mal
L'extrême grandeur du christianisme vient qu'il ne cherche pas un remède surnaturel contre la souffrance, mais un usage surnaturel de la souffrance.
Malheur : le temps emporte l'être pensant malgré lui vers ce qu'il ne peut pas supporter et qui viendra pourtant. "Que ce calice s'éloigne de moi." Chaque seconde qui s'écoule entraîne un être dans le monde vers quelque chose qu'il ne peut pas supporter.
Il y a un point de malheur où l'on n'est plus capable de supporter ni qu'il continue ni d'en être délivré.
Le temps fait violence; c'est la seule violence. Un autre te ceindra et te mènera où tu ne veux pas aller; le temps mène où l'on ne veut pas aller.
Le malheur ne nous dégrade pas, il nous révèle notre vrai niveau.
Le serpent a offert la connaissance à Adam et à Eve. Les sirènes ont offert la connaissance à Ulysse.
Ces histoires enseignent que l'âme se perd en cherchant la connaissance dans le plaisir. Pourquoi ? Le plaisir peut-être est innocent, à condition qu'on n'y cherche pas la connaissance. il n'est permis de la chercher que dans la souffrance.
Il faut aimer beaucoup la vie pour aimer encore davantage la mort.
La pesanteur et la grâce, Le malheur
Croix. L'arbre du péché fut un vrai arbre, l'arbre de vie fut une poutre.
Quelque chose qui ne donne pas de fruits, mais seulement le mouvement vertical.
Nous sommes ce qui est le plus loin de Dieu, à l'extrême limite d'où il ne soit pas absolument impossible de revenir à lui.
Pour que nous sentions la distance entre nous et Dieu, il faut que DIeu soit un esclave crucifié. car nous ne sentons la distance que vers le bas.
Il est beaucoup plus facile de se mettre par l'imagination à la place de Dieu créateur qu'à la place du Christ crucifié.
La pesanteur et la grâce, La croix
Levier. Abaisser quand on veut élever.
C'est de la même manière que "celui qui s'abaisse sera élevé".
Il y a aussi une nécessité et des lois dans le domaine de la grâce. "L'enfer même a ses lois" ( Goethe ). Le ciel aussi.
La pesanteur et la grâce, Balance et levier
Notre vie est imossibilité, absurdité. Chaque chose que nous voulons est contradictoire avec les conditions ou les conséquences qui y sont attachées, chaque affirmation que nous posons implique l'affirmation contraire, tous nos sentiments sont mélangés à leurs contraires. C'est que nous sommes contradiction, étant des créatures, étant Dieu et infiniment autres que Dieu.
La contradiction seule fait la preuve que nous ne sommes pas tout. La contradiction est notre misère, et le sentiment de notre misère est le sentiment de la réalité. Car notre misère, nous ne la fabriquons pas, elle est vraie.
Quand quelque effort semble impossible à obtenir, quelque effort que l'on fasse, cela indique une limite infranchissable à ce niveau et la nécessité d'un changement de niveau, d'une rupture de plafond. S'épuiser en efforts à ce niveau dégrade. Il vaut mieux accepter la limite, la contempler et en savourer toute l'amertume.
La pesanteur et la grâce, L'impossible
Existence des vertus contraires dans l'âme des saints. La métaphore de l'élévation correspond à cela. Si je marche au flanc d'une montagne, je peux voir d'abord un lac, puis, après quelques pas, une forêt. Il faut choisir : ou le lac ou la forêt, je dois monter plus haut.
Seulement la montagne n'existe pas. Elle est faite d'air. On ne peut pas monter : il faut être tiré.
"Preuve ontologique expérimentale. Je n'ai pas en moi de principe d'ascension. Je ne puis grimper dans l'air jusqu'au ciel. C'est seulement en orien- tant mes pensées vers quelque chose de meilleur que moi que ce quelque chose me tire vers le haut. Si je suis réellement tiré, ce quelque chose est réel.
Aucune perfection imaginaire ne peut me tirer en haut, même d'un millimètre.
Car une perfection imaginaire se trouve automatiquement au niveau de moi qui l'imagine, ni plus haut ni plus bas...
La contradiction est le critérium. On ne peut pas se procurer par suggestion des choses incompatibles. La grâce seule le peut. Un être tendre qui devient courageux par suggestion s'endurcit, souvent même il s'ampute lui-même de sa tendresse par une sorte de plaisir sauvage. La grâce seule peut donner du courage en laissant la tendresse intacte ou de la tendresse en laissant le courage intact.
La mauvaise union des contraires ( mauvaise parce que mensongère ) est celle qui se fait sur le plan où sont les contraires. Ainsi l'octroi de la domination aux opprimés : on ne sort pas du couple oppression-domination.
La bonne union des contraires se fait sur le plan au-dessus. Ainsi, l'opposition entre la domination et l'oppression se dénoue au niveau de la loi, qui est l'équilibre...
L'union des contradictoires est écartèlement : elle est impossible sans une extrême souffrance.
La pesanteur et la grâce, Contradiction
Dieu a confié tous les phénomènes sans exception au mécanisme du monde.
Comme il y a en Dieu l'analogue de toutes les vertus humaines, aussi de l'obéissance. C'est le jeu qu'il laisse en ce monde à la nécessité.
La nécessité, image saisissable pour l'intelligence de l'indifférence, de l'impartialité de Dieu.
La pesanteur et la grâce, La distance entre le nécessaire et le bien
Les êtres que j'aime sont des créatures. Ils sont nés du hasard. Ma rencontre avec eux est aussi un hasard. Ils mourront. Ce qu'ils pensent, ce qu'ils sentent et ce qu'ils font est limité et mélangé de bien et de mal.
Savoir cela de toute son âme et ne pas les aimer moins.
Imiter Dieu qui aime infiniment les choses finies en tant que choses finies.
La pesanteur et la grâce, Hasard
Dieu ne peut être présent dans la création que sous la forme de l'absence.
Le mal et l'innocence de Dieu. Il faut placer Dieu a une distance infinie pour le concevoir innocent du mal : réciproquement, le mal indique qu'il faut placer Dieu à une distance infinie.
Celui qui met sa vie dans sa foi en Dieu peut perdre sa foi.
Mais celui qui met sa vie en Dieu lui-même, celui-là ne la perdra jamais.
Mettre sa vie dans ce qu'on ne peut pas du tout toucher, c'est impossible.
C'est une mort. C'est cela qu'il faut.
Incarnation. Dieu est faible parce qu'il est impartial. Il envoie les rayons du soleil et la pluie sur les bons comme sur les méchants. Cette indifférence du Père et la faiblesse du Christ se répondent. Absence de Dieu.
Le royaume des cieux est comme un grain de sénevé... Dieu ne change rien à rien. On a tué le Christ, par colère, parce qu'il n'était que Dieu.
Dieu envoie le malheur indistinctement aux méchants comme aux bons, ainsi que la pluie et le soleil. Il n'a pas réservé la croix du Christ. Il n'entre en contact avec l'individu humain comme tel que par la grâce purement spirituelle qui répond au regard tourné vers lui, c'est-à-dire dans la mesure exacte où l'individu cesse d'en être un. Aucun événement n'est une faveur de Dieu, la grâce seule.
Le caractère irréductible de la souffrance qui fait qu'on ne peut pas ne pas en avoir horreur au moment où on la subit a pour destination d'arrêter la volonté comme l'absurdité arrête l'intelligence, comme l'absence arrête l'amour, afin qu'arrivé au bout des facultés humaines l'homme tende les bras, s'arrête, regarde et attende.
La pesanteur et la grâce, Celui qu'il faut aimer est absent
Cas de contradictoires vrais. Dieu existe, Dieu n'existe pas. Où est le problème ? Je suis tout à fait sûre qu'il y a un Dieu, en ce sens que je suis tout à fait sûre que mon amour n'est pas illusoire. Je suis tout à fait sûre qu'il n'y a pas de Dieu, en ce sens que je suis tout à fait sûre que rien de réel ne ressemble à ce que je peux concevoir quand je prononce ce nom. Mais cela que je ne puis concevoir n'est pas une illusion.
Les erreurs de notre époque sont du christianisme sans surnaturel.
Le laïcisme en est la cause - et d'abord l'humanisme.
La religion en tant que source de consolation est un obstacle à la véritable foi : en ce sens l'athéisme est une purification. Je dois être athée avec la partie de moi-même qui n'est pas faite pour Dieu. Parmi les hommes chez qui la partie surnaturelle d'eux-mêmes n'est pas éveillée, les athées ont raison et les croyants ont tort.
La pesanteur et la grâce, L'athéisme purificateur
L'attention absolument sans mélange est prière.
L'attention extrême est ce qui constitue dans l'homme la faculté créatrice, et il n'y a d'attention extrême que religieuse. La quantité de génie créateur d'une époque est rigoureusement proportionnelle à la quantité d'attention extrême, donc de religion authentique à cette époque.
C'est seulement l'effort sans désir ( non attaché à un objet ) qui renferme infailliblement une récompense.
Reculer devant l'objet qu'on poursuit. Seul ce qui est indirect est efficace. On ne fait rien si l'on n'a d'abord reculé.
En tirant sur la grappe, on fait tomber les grains à terre.
Il y a des efforts qui ont l'effet contraire du but recherché ( dévotes aigries, faux ascétismes, certains dévouements, etc. ). D'autres sont toujours utiles même s'ils n'aboutissent pas.
L'amour instruit... Car nul n'apprend sans désirer apprendre.
La vérité est recherchée non pas en tant que vérité, mais en tant que bien.
Nous devons être indifférents au bien et au mal, mais, en étant indifférents, c'est-à-dire en projetant également sur l'un et sur l'autre la lumiè- re de l'attention, le bien l'emporte par un phénomène automatique. C'est là la grâce essentielle. Et c'est la définition, le critérium du bien.
Une inspiration divine opère infailliblement, irrésistiblement, si on n'en détourne pas l'attention, si on ne la refuse pas. Il n'y a pas un choix à faire en sa faveur, il suffit de ne pas refuser de reconnaître qu'elle est.
Etudes et foi. La prière n'étant que l'attention sous sa forme pure et les études constituant une gymnastique de l'attention, chaque exercice scolaire doit être une réfraction de vie spirituelle.
La pureté est le pouvoir de contempler la souillure.
L'extrême pureté peut contempler à la fois le pur et l'impur; l'impureté ne peut ni l'un ni l'autre : le premier lui fait peur, le second l'absorbe.
Il lui faut un mélange.
La pesanteur et la grâce, L'attention et la volonté
Le devoir nous est donné pour tuer le moi. Et je laisse rouiller un instrument si précieux.
Il faut accomplir son devoir au moment prescrit pour croire à la réalité du monde extérieur.
Il faut croire à la réalité du temps, autrement on rêve.
L'espérance est la connaissance que le mal qu'on porte en soi est fini et que la moindre orientation de l'âme vers le bien, ne durât-elle qu'un instant, en abolit un peu, et que, dans le domaine spirituel, tout bien, infailliblement, produit du bien. Ceux qui ne savent pas cela sont voués au supplice des Danaïdes.
La pesanteur et la grâce, Dressage
Dans le domaine de l'intelligence, la vertu d'humilité n'est pas autre chose que le pouvoir d'attention.
Les mystères de la foi catholique ne sont pas faits pour être crus par toutes les parties de l'âme. La présence du Christ dans l'hostie n'est pas un fait à la manière... mais ce n'est pas non plus un symbole...
Seule la partie de moi-même qui est faite pour le surnaturel doit adhérer à ces mystères...
Tout ce que je conçois comme vrai est moins vrai que ces choses dont je ne puis concevoir la vérité, mais que j'aime. Saint Jean de la Croix appelle la foi une nuit. Chez ceux qui ont eu une éducation chrétienne, les parties inférieures de l'âme s'attachent à ces mystères alors qu'elles n'y ont aucun droit. C'est pourquoi ils ont besoin d'une purification dont saint Jean de la Croix décrit les étapes.
Le désir de découvrir du nouveau empêche d'arrêter la pensée sur la signification transcendante, irréprésentable, de ce qui est déjà découvert.
Mon manque total de talent m'interdisant ce désir est une grande faveur que j'ai reçue. L'absence reconnue et acceptée de dons intellectuels contraint à l'exercice désintéressé de l'intelligence.
L'objet de la recherche ne doit pas être le surnaturel, mais le monde.
Le surnaturel est la lumière : si on en fait un objet, on l'abaisse.
Il n'y a pas à choisir entre les opinions : il faut les accueillir toutes, mais les composer verticalement et les loger à des niveaux convenables.
Ainsi hasard, destin, Providence.
La science ne présente que trois intérêts : 1ème les applications techniques; 2ème jeu d'échecs; 3ème chemin vers Dieu. ( Le jeu d'échecs est agrémenté de concours, prix et médailles. )
La pesanteur et la grâce, L'intelligence et la grâce
Justice. Être continuellement prêt à admettre qu'un autre est autre chose que ce qu'on lit quand il est là ( ou qu'on pense à lui ). Ou plutôt lire en lui qu'il est certainement autre chose, peut-être tout autre chose que ce qu'on y lit.
Chaque être crie en silence pour être lu autrement.
La pesanteur et la grâce, Lectures ( soit interprétation affective,
jugement concret de valeur... )
Exemple privilégié, à contempler longtemps, du mécanisme de l'erreur.
Mettre à part. En appréciant l'Inde ou la Grèce, on met le mal en relation avec le bien. En appréciant le christianisme on met le mal à part.
On met à part sans le savoir, là précisément est le danger. Ou, ce qui est pire encore, on met à part par un acte de volonté furtif à l'égard de soimême. Et ensuite on ne sait plus qu'on a mis à part. On ne veut pas le savoir, et à force de ne pas vouloir le savoir, on arrive à ne pas pouvoir le savoir.
Cette faculté de mettre à part permet tous les crimes. Pour tout ce qui est hors du domaine où l'éducation, le dressage ont fabriqué des liaisons solides, elle constitue la clef de la licence absolue. C'est ce qui permet chez les hommes des comportements si incohérents, notamment toutes les fois qu'intervient le social, les sentiments collectifs ( guerre, haines de nations et de classes, patriotisme d'un parti, d'une Eglise, etc. ).
Tout ce qui est couvert du prestige de la chose sociale est mis dans un autre lieu que le reste et soustrait à certains rapports.
On use aussi de cette clef quand on cède à l'attrait du plaisir...
J'en use lorsque je remets de jour en jour l'accomplissement d'une obligation. Je sépare l'obligation et l'écoulement du temps.
Car aucun rapport ne se forme si la pensée ne le produit pas. Deux et deux restent indéfiniment deux et deux si la pensée ne les ajoute pas pour en faire quatre.
La pesanteur et la grâce, L'anneau de Gygès
Désirer son salut est mauvais, non parce que c'est égoïste ( il n'est pas au pouvoir de l'homme d'être égoïste ) mais parce que c'est orienter l'âme vers une simple possibilité particulière et contingente, au lieu de la plénitude de l'être, au lieu du bien qui est inconditionnellement.
Supporter le désaccord entre l'imagination et le fait."Je souffre." Cela vaut mieux que "ce paysage est laid".
La pesanteur et la grâce, Le sens de l'univers
Qu'est-ce qu'il est sacrilège de détruire ? Non pas ce qui est bas, car cela n'a pas d'importance. Non pas ce qui est haut, car, le voudrait-on, on ne peut pas y toucher. Les "metaxu". Les "metaxu" sont la région du bien et du mal.
Ne priver aucun être humain de ses "metaxu", c'est-à-dire de ces biens relatifs et mélangés ( foyer, patrie, traditions, culture, etc. ) qui réchauffent et nourrissent l'âme et sans lesquels, en dehors de la sainteté, une vie "humaine" n'est pas possible.
La pesanteur et la grâce, Metaxu
Un amateur passionné de musique peut fort bien être un homme pervers - mais je le croirais difficilement de quelqu'un qui a soif de chant grégorien.
Il faut bien que nous ayons commis des crimes qui nous ont rendu maudits, puisque nous avons perdu toute la poésie de l'univers.
La pesanteur et la grâce, Beauté
L'esprit succombant sous le poids de la quantité n'a plus d'autre critérium que l'efficacité.
Le capitalisme a réalisé l'affranchissement de la collectivité humaine par rapport à la nature. Mais cette collectivité a pris par rapport à l'individu la succession de la fonction oppressive exercée auparavant par la nature.
Cela est vrai même matériellement. Le feu, l'eau, etc. Toutes ces forces de la nature, la collectivité s'en est emparée.
Question : peut-on transférer à l'individu cet affranchissement conquis par la société ?
La pesanteur et la grâce, Algèbre
L'homme est esclave pour autant qu'entre l'action et son effet, entre l'effort et l'oeuvre, se trouve placée l'intervention de volontés étrangères.
C'est le cas "et" pour l'esclave "et" pour le maître aujourd'hui. Jamais l'homme n'est en face des conditions de sa propre activité. La société fait écran entre la nature et l'homme.
La pesanteur et la grâce, La lettre sociale
Une seule chose ici-bas peut être prise pour fin, car elle possède une espèce de transcendance à l'égard de la personne humaine : c'est le collectif.
Le collectif est l'objet de toute idolâtrie, c'est lui qui nous enchaîne à la terre.
Celui qui est au-dessus de la vie sociale y rentre quand il veut, non celui qui est au-dessous. De même pour tout.
Le végétatif et le social sont les deux domaines où le bien n'entre pas.
Le Christ a racheté le végétatif, non le social. Il n'a pas prié pour le monde.
Le social est irréductiblement le domaine du prince de ce monde. On n'a d'autre devoir à l'égard du social que de tenter de limiter le mal...
Une étiquette divine sur le social : mélange enivrant qui enferme toute licence. Diable déguisé.
Il n'y a que par l'entrée dans le transcendant, le surnaturel, le spirituel authentique que l'homme devient supérieur au social. Jusque-là, en fait et quoi qu'il fasse, le social est transcendant par rapport à l'homme.
"Gros animal de Platon" - Le marxisme, pour autant qu'il est vrai, est entièrement contenu dans la page de Platon sur le gros animal, et sa réfutation y est contenue aussi.
La pesanteur et la grâce, Le gros animal ( mythe de Platon dans la
"République" )
Note : Adorer le "gros animal" c'est se conformer en pensées et en
actions aux préjugés et réflexes de la foule, sans effort de recherche
personnelle de la vérité et du bien.
Encore Platon n'avait-il guère idée de ce que serait un jour les
moyens médiatiques de dicter aux foules leur prétendue opinion !
Le christianisme primitif a fabriqué le poison de la notion de progrès par l'idée de la pédagogie divine formant les hommes pour les rendre capables de recevoir le message du Christ. Cela s'accordait avec l'esprit de la conversion universelle des nations et de la fin du monde comme phénomènes imminents. Mais aucun des deux ne s'étant produit, au bout de dix-sept siècles on a prolongé cette notion de progrès au-delà du moment de la Révélation chrétienne. Dés lors elle devait se retourner contre le christianisme.
Les autre poisons mélangés à la vérité du christianisme sont d'origine juive. Celui-là est spécifiquement chrétien.
La métaphore de la pédagogie divine dissout la destinée individuelle, qui seule compte pour le salut, dans celle des peuples.
Le christianisme a voulu chercher une harmonie dans l'histoire. C'est le germe de Hegel et de Marx. La notion d'histoire comme continuité dirigée est chrétienne.
Il me semble qu'il y a peu d'idées plus complètement fausses. Chercher l'harmonie dans le devenir, dans ce qui est le contraire de l'éternité.
Mauvaise union des contraires.
L'humanisme et ce qui s'est ensuivi n'est pas un retour à l'Antiquité, mais un développement de poisons intérieurs au christianisme.
La pesanteur et la grâce, Israël
Si l'on sait par où la société est déséquilibrée, il faut faire ce qu'on peut pour ajouter du poids dans le plateau trop léger. Quoique le poids soit le mal, en le maniant dans cette intention, peut-être ne se souille-t-on pas. Mais il faut avoir conçu l'équilibre et être toujours prêt à changer le côté comme la justice, "cette fugitive du camp des vainqueurs".
Aucun développement illimité n'est possible dans la nature des choses; le monde repose tout entier sur la nature et l'équilibre; et il en est de même dans la cité.
Toute ambition est démesure, absurdité.
Le lien féodal, en faisant de l'obéissance une chose d'homme à homme, diminue de beaucoup la part du gros animal. Mieux encore la loi.
Il faudrait n'obéir qu'à la loi ou à un homme. C'est presque le cas des ordres monastiques. Il faudrait bâtir la cité sur ce modèle.
Obéir au seigneur, à un homme, mais nu, paré de la majesté seule du serment, et non d'une majesté empruntée au gros animal.
Le matérialisme athée est nécessairement révolutionnaire, car pour s'orienter vers un bien absolu d'ici-bas, il faut le placer dans l'avenir. On a besoin alors, pour que cet élan soit complet, d'un médiateur entre la perfection à venir et le présent. Ce médiateur est le chef : Lénine, etc.
Il est infaillible et parfaitement pur. En passant par lui, le mal devient bien.
La grande erreur des marxistes et de tout le XIXème siècle a été de croire qu'en marchant tout droit devant soi, on a monté dans les airs.
L'idée athée par excellence est l'idée de progrès, qui est la négation de la preuve ontologique expérimentale, car elle implique que le médiocre peut de lui-même produire le meilleur. Or toute la science moderne concourt à la destruction de l'idée du progrès. Darwin a détruit l'illusion du progrès interne qui se trouvait dans Lamarck. La théorie des mutations ne laisse subsister que le hasard et l'élimination. L'énergétique pose que l'énergie se dégrade et ne monte jamais, et cela s'applique même à la vie végétale et animale.
L'éternel seul est invulnérable au temps. Pour qu'une oeuvre d'art puisse être admirée toujours, pour qu'un amour, une amitié puisse durer toute une vie ( même durer purs toute une journée peut-être ), pour qu'une conception de la condition humaine puisse demeurer la même à travers les multiples expériences et les vicissitudes de la fortune - il faut une inspiration qui descende de l'autre côté du ciel.
L'illusion constante de la Révolution consiste à croire que les victimes de la force étant innocentes des violences qui se produisent, si on leur met en main la force, elle la manieront justement. Mais sauf les âmes qui sont assez proches de la sainteté, les victimes sont souillées par la force comme les bourreaux. Le mal qui est à la poignée du glaive est transmis à la pointe. Et les victimes ainsi mises au faîte et enivrées par le changement, font autant de mal ou plus, puis bientôt retombent.
Le totalitarisme moderne est au totalitarisme catholique du XIIème siècle ce qu'est l'esprit laïque et franc-maçon à l'humanisme de la Renaissance.
L'humanité se dégrade à chaque oscillation. Jusqu'où cela ira-t-il ?
Tu ne pourrais pas être née à une meilleure époque que celle-ci où on a tout perdu.
SIMONE WEIL, La pesanteur et la grâce, L'harmonie sociale, fin
1993 Thesaurus - EMMANUEL MOUNIER