1995 Ut Unum Sint 21
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"Cette conversion du coeur et cette sainteté de vie, en même temps que les prières privées et publiques pour l'unité des chrétiens, sont à regarder comme l'âme de tout le mouvement oecuménique et peuvent être à bon droit appelées oecuménisme spirituel" (42).
42- UR 8.
On avance sur la voie qui conduit à la conversion des coeurs au rythme de l'amour qui se porte vers Dieu et, en même temps, vers les frères : vers tous les frères, également vers ceux qui ne sont pas en pleine communion avec nous. De l'amour naît le désir de l'unité, même chez ceux qui en ont toujours ignoré la nécessité. L'amour est artisan de communion entre les personnes et entre les Communautés. Si nous nous aimons, nous tendons à approfondir notre communion, à la mener vers sa perfection. L'amour se porte vers Dieu, source parfaite de communion l'unité du Père, du Fils et de l'Esprit Saint, afin de puiser en lui la force de susciter la communion entre les personnes et les Communautés, ou de la rétablir entre les chrétiens encore divisés. L'amour est le courant très profond qui donne vie et force à la marche vers l'unité.
Cet amour trouve son expression la plus accomplie dans la prière commune. Quand les frères qui ne sont pas dans une parfaite communion se réunissent pour prier, le Concile Vatican II définit leur prière comme l'âme de tout le mouvement oecuménique. Elle est "un moyen très efficace pour demander la grâce de l'unité", "une expression authentique des liens par lesquels les catholiques demeurent unis avec les frères séparés" (43). Même lorsqu'on ne prie pas formellement pour l'unité des chrétiens, mais à d'autres intentions comme, par exemple, la paix, la prière devient en soi une expression et une confirmation de l'unité. La prière commune des chrétiens invite le Christ lui-même à visiter la communauté de ceux qui l'implorent : "Que deux ou trois soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux" Mt 18,20.
43- UR 8.
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Lorsqu'on prie ensemble, entre chrétiens, le but de l'unité paraît plus proche. La longue histoire des chrétiens marquée par de multiples fragmentations semble se rebâtir, tendant vers la source de son unité qu'est Jésus Christ. Il est "le même hier, aujourd'hui et à jamais" He 13,8 ! Le Christ est réellement présent dans la communion de la prière ; il prie "en nous", "avec nous" et "pour nous". C'est lui qui guide notre prière dans l'Esprit Consolateur qu'il a promis et qu'il a donné dès le Cénacle de Jérusalem à son Eglise, quand il l'a constituée dans son unité originelle.
Sur la route oecuménique de l'unité, la priorité revient certainement à la prière commune, à l'union orante de ceux qui se rassemblent autour du Christ lui-même. Si, malgré leurs divisions, les chrétiens savent toujours plus s'unir dans une prière commune autour du Christ, alors se développera leur conscience des limites de ce qui les divise en comparaison de ce qui les unit. S'ils se rencontrent toujours plus souvent et plus assidûment devant le Christ dans la prière, ils pourront prendre courage pour faire face à toute la douloureuse et humaine réalité des divisions, et ils se retrouveront ensemble dans la communauté de l'Eglise que le Christ forme sans cesse dans l'Esprit Saint, malgré toutes les faiblesses et malgré les limites humaines.
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Enfin, la communion de prière amène à porter un nouveau regard sur l'Eglise et sur le christianisme. On ne doit pas oublier, en effet, que le Seigneur a demandé au Père l'unité de ses disciples, afin qu'elle rende témoignage à sa mission et que le monde puisse croire que le Père l'avait envoyé Jn 17,21. On peut dire que le mouvement oecuménique s'est mis en marche, en un sens, à partir de l'expérience négative de ceux qui, annonçant l'unique Evangile, se réclamaient chacun de sa propre Eglise ou de sa Communauté ecclésiale ; une telle contradiction ne pouvait pas échapper à ceux qui écoutaient le message de salut et qui trouvaient là un obstacle à l'accueil de l'annonce évangélique. Cette grave difficulté n'est malheureusement pas surmontée. Il est vrai que nous ne sommes pas en pleine communion. Et pourtant, malgré nos divisions, nous sommes en train de parcourir la route de la pleine unité, de l'unité qui caractérisait l'Eglise apostolique à ses débuts, et que nous recherchons sincèrement : guidée par la foi, notre prière commune en est la preuve. Dans la prière, nous nous réunissons au nom du Christ qui est Un. Il est notre unité.
La prière "oecuménique" est au service de la mission chrétienne et de sa crédibilité. C'est pourquoi elle doit être particulièrement présente dans la vie de l'Eglise et dans toutes les activités qui ont pour but de favoriser l'unité des chrétiens. C'est comme si nous devions toujours retourner au Cénacle du Jeudi saint pour nous réunir, bien que notre présence commune en ce lieu doive attendre encore sa réalisation parfaite, jusqu'au moment où, les obstacles opposés à la parfaite communion ecclésiale étant surmontés, tous les chrétiens se réuniront dans l'unique célébration de l'Eucharistie (44).
44- UR 4.
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C'est une joie de constater que les nombreuses rencontres oecuméniques comportent presque toujours la prière et qu'elle en est même le sommet. La Semaine de prière pour l'unité des chrétiens, que l'on célèbre en janvier, ou vers la Pentecôte dans certains pays, est devenue une tradition répandue et ferme. Mais en dehors de cette semaine aussi, les occasions sont nombreuses au cours de l'année où les chrétiens sont amenés à prier ensemble. À ce propos, je voudrais rappeler l'expérience particulière que représente le pèlerinage du Pape parmi les Eglises, dans les différents continents et les divers pays de l'oikoumenè contemporaine. Ce fut le Concile Vatican II, j'en suis bien conscient, qui orienta le Pape vers cet aspect particulier de l'exercice de son ministère apostolique. On peut aller plus loin. Le Concile a fait de ce pèlerinage du Pape un devoir bien défini pour remplir son rôle d'Evêque de Rome au service de la communion (45). Mes visites ont presque toujours comporté une rencontre oecuménique et la prière commune de frères qui cherchent l'unité dans le Christ et dans son Eglise. Je me rappelle avec une émotion toute particulière la prière commune avec le Primat de la Communion anglicane dans la cathédrale de Cantorbéry le 29 mai 1982, lorsque, dans cet admirable édifice, je reconnaissais un "témoignage éloquent à la fois de nos longues années d'héritage commun et des tristes années de division qui ont suivi" (46) ; je ne puis oublier non plus celles qui ont eu lieu dans les pays scandinaves et nordiques (1er au 10 juin 1989), dans les Amériques ou en Afrique, ou la prière au siège du Conseil oecuménique des Eglises (12 juin 1984), l'organisme qui se donne pour fin d'appeler les Eglises et les Communautés ecclésiales qui en sont membres à aller vers "le but de l'unité visible en une seule foi et une seule communion eucharistique, s'exprimant dans le culte et la vie commune en Christ" (47). Et comment pourrais-je jamais oublier ma participation à la liturgie eucharistique dans l'Eglise Saint-Georges, au Patriarcat oecuménique (30 novembre 1979), et la célébration dans la Basilique Saint-Pierre, au cours de la visite à Rome de mon vénéré Frère, le Patriarche Dimitrios Ier (6 décembre 1987) ? En cette circonstance, à l'autel de la Confession, nous professions ensemble le Symbole de Nicée - Constantinople, selon le texte original grec. Ces quelques mots ne suffisent pas à décrire les traits spécifiques de chacune de ces rencontres de prière. En raison des conditionnements venus du passé qui, de diverses manières, pèsent sur chacune d'elles, elles ont toutes une éloquence propre et unique ; toutes sont gravées dans la mémoire de l'Eglise que le Paraclet oriente vers la recherche de l'unité de tous ceux qui croient au Christ.
45- TMA 24.
46- Discours à la cathédrale de Cantorbéry (29 mai 1982), n. 5: AAS 74 (1982), p. 922.
47- CONSEIL OECUMENIQUE DES EGLISES, Règlement, III, 1, cité in Enchiridion oecumenicum 1, p. 1392.
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Le Pape ne s'est pas fait seulement pèlerin. Au cours de ces années, de nombreux dignes représentants d'autres Eglises et Communautés ecclésiales m'ont rendu visite à Rome et j'ai pu prier avec eux, publiquement ou en privé. J'ai déjà évoqué la présence du Patriarche oecuménique Dimitrios Ier. Je voudrais rappeler aussi la rencontre de prière qui m'a uni, dans la même Basilique Saint-Pierre, aux Archevêques luthériens, primats de Suède et de Finlande, pour la célébration des vêpres, à l'occasion du sixième centenaire de la canonisation de sainte Brigitte (5 octobre 1991). C'est là un exemple, parce que la conscience du devoir de prier pour l'unité est devenue partie intégrante de la vie de l'Eglise. Il n'y a pas d'événement important et significatif qui ne soit enrichi par la présence mutuelle et par la prière des chrétiens. Il m'est impossible d'énumérer toutes ces rencontres, et pourtant chacune mériterait d'être citée. Vraiment, le Seigneur nous a pris par la main et nous conduit. Ces échanges et ces prières ont déjà écrit page après page dans notre "Livre de l'unité", un "Livre" que nous devons toujours feuilleter et relire pour en retirer des motifs d'inspiration et d'espérance.
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La prière, la communauté de prière, nous permet toujours de retrouver la vérité évangélique de cette parole: "Vous n'avez qu'un seul Père" Mt 23,9, ce Père, Abba, invoqué par le Christ lui-même, Lui qui est le Fils unique, de la même substance. Et aussi : "Vous n'avez qu'un seul maître, et tous vous êtes des frères" Mt 23,8. La prière "oecuménique" dévoile cette dimension fondamentale de la fraternité dans le Christ, qui est mort pour rassembler les fils de Dieu dispersés, afin que, devenant "fils dans le Fils" Ep 1,5, nous reflétions plus pleinement l'insondable réalité de la paternité de Dieu et, en même temps, la vérité sur l'humanité de chacun et de tous.
La prière "oecuménique", la prière des frères et des soeurs exprime tout cela. Parce qu'ils sont divisés, ils s'unissent dans le Christ avec une espérance d'autant plus forte, en lui confiant l'avenir de leur unité et de leur communion. À ce propos, on pourrait citer une fois encore opportunément l'enseignement du Concile : "Quand le Seigneur Jésus prie le Père pour lui demander "que tous soient un ... comme nous, nous sommes un" Jn 17,21-22, il ouvre des perspectives inaccessibles à la raison humaine, et il suggère qu'il y a une certaine ressemblance entre l'union des Personnes divines et l'union des fils de Dieu dans la vérité et l'amour" (48). La conversion du coeur, condition essentielle de toute recherche authentique de l'unité, naît de la prière qui l'oriente vers son accomplissement : "C'est à partir du renouveau de l'esprit, du renoncement à soi-même et de la libre effusion de la charité que naissent et mûrissent les désirs de l'unité. Par conséquent, il nous faut implorer l'Esprit divin pour lui demander la grâce d'une sincère abnégation, celle de l'humilité et de la bienveillance dans le service, celle d'une générosité fraternelle envers les autres" (49).
48- GS 24.
49- UR 7.
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Prier pour l'unité n'est cependant pas réservé à ceux qui vivent dans un milieu où les chrétiens sont divisés. Du dialogue intime et personnel que chacun de nous doit entretenir avec le Seigneur par la prière, la préoccupation de l'unité ne peut être exclue. C'est seulement de cette manière, en effet, qu'elle fera pleinement et réellement partie de notre vie et des devoirs qui nous reviennent dans l'Eglise. Pour réaffirmer cette nécessité, j'ai voulu proposer aux fidèles de l'Eglise catholique un modèle qui me paraît exemplaire, celui d'une soeur trappistine, Marie - Gabrielle de l'Unité, que j'ai proclamée bienheureuse le 25 janvier 1983 (50). Soeur Marie-Gabrielle, appelée par sa vocation à être en dehors du monde, a consacré son existence à la méditation et à la prière centrées sur le chapitre 17 de l'Evangile selon saint Jean et elle a offert sa vie pour l'unité des chrétiens. Voilà ce qui est au centre de toute prière: l'offrande totale et sans réserve de la vie au Père, par le Fils, dans l'Esprit Saint. L'exemple de soeur Marie - Gabrielle nous instruit, il nous fait comprendre qu'il n'y a pas de moments, de situations ou de lieux particuliers pour prier pour l'unité. La prière du Christ au Père est un modèle pour tous, toujours et en tout lieu.
50- Marie-Gabrielle Sagheddu, née à Dorgali (Sardaigne) le 17 mars 1914. A 21 ans, elle entra à la Trappe de Grottaferrata.
Ayant eu connaissance, grâce à l'activité apostolique de l'Abbé Paul Couturier, de la nécessité de prières et d'offrandes spirituelles pour l'unité des chrétiens, elle décida en 1936, à l'occasion d'une Octave pour l'unité, d'offrir sa vie pour cette cause. Après une grave maladie, Soeur Marie-Gabrielle mourut le 23 avril 1939.
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Si la prière est l' "âme" du renouveau oecuménique et de l'aspiration à l'unité, tout ce que le Concile définit comme "dialogue" se fonde sur elle et en reçoit un soutien. Cette définition n'est certes pas sans lien avec la pensée personnaliste actuelle. La disposition au "dialogue" se situe au niveau de la nature de la personne et de sa dignité. Du point de vue philosophique, une telle position se rattache à la vérité chrétienne exprimée par le Concile sur l'homme : en effet, il est la "seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même" ; l'homme ne peut donc "pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même" (51). Le dialogue est un passage obligé sur le chemin à parcourir vers l'accomplissement de l'homme par lui-même, de l'individu de même que de toute communauté humaine. Bien que le concept de "dialogue" semble mettre au premier plan le moment cognitif (dia-logos), tout dialogue comporte de soi une dimension globale et existentielle. Le sujet humain tout entier y est impliqué ; le dialogue entre les communautés engage de manière particulière en chacune d'elles sa qualité de sujet.
51- GS 24.
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Cette vérité du dialogue, si profondément exprimée par le Pape Paul VI dans son encyclique Ecclesiam suam (52), a été intégrée également dans la doctrine et la pratique oecuméniques du Concile. Le dialogue ne se limite pas à un échange d'idées. En quelque manière, il est toujours un "échange de dons" (53). Pour cette raison, le décret conciliaire sur l'oecuménisme met aussi en relief "tous les efforts pour éliminer les paroles, les jugements et les actes qui ne correspondent ni en justice ni en vérité à la situation de nos frères séparés et qui, à cause de cela, rendent plus difficiles les relations avec eux" (54). Ce document aborde la question du point de vue de l'Eglise catholique et il présente les critères qu'elle doit appliquer à l'égard des autres chrétiens. En tout cela s'impose aussi la réciprocité. S'en tenir à ces critères est un devoir pour chacune des parties qui veulent mener un dialogue et c'est un préalable pour l'entamer. Il faut passer d'une position d'antagonisme et de conflit à une position où l'un et l'autre se reconnaissent mutuellement comme des partenaires. Quand on commence à dialoguer, chacune des parties doit présupposer une volonté de réconciliation chez son interlocuteur, une volonté d'unité dans la vérité. Pour réaliser cela, il faut que les manifestations d'hostilité mutuelle disparaissent. C'est ainsi seulement que le dialogue aidera à surmonter la division et pourra rapprocher de l'unité.
52- Cf. AAS 56 (1964), pp. 609-659.
53- LG 13.
54- UR 4.
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On peut affirmer, dans une ardente action de grâce à l'Esprit de vérité, que le Concile Vatican II a été un moment béni, pendant lequel ont été réunies les conditions essentielles de la participation de l'Eglise catholique au dialogue oecuménique. Par ailleurs, la présence de nombreux observateurs de différentes Eglises et Communautés ecclésiales, leur engagement profond dans l'événement conciliaire, les nombreuses rencontres et les prières communes que le Concile a rendues possibles, tout cela a contribué à réaliser concrètement les conditions pour dialoguer ensemble. Pendant le Concile, les représentants des autres Eglises et Communautés chrétiennes ont pu constater la disponibilité au dialogue de l'épiscopat catholique du monde entier et, en particulier, celle du Siège apostolique.
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Loin d'être une prérogative exclusive du Siège apostolique, la responsabilité du dialogue oecuménique, clairement déclarée depuis le temps du Concile, incombe aussi aux Eglises locales ou particulières. Des commissions pour la promotion de l'esprit et de l'action oecuméniques ont été instituées par les Conférences épiscopales et par les Synodes des Eglises orientales catholiques. Des structures analogues agissent opportunément au niveau des diocèses. Ces initiatives confirment l'engagement concret et général de l'Eglise catholique dans l'application des orientations conciliaires sur l'oecuménisme : c'est là un aspect essentiel du mouvement oecuménique (55). Le dialogue n'a pas seulement été entrepris, il est devenu une nécessité explicite, une des priorités de l'Eglise ; par suite, la "technique" nécessaire à la conduite du dialogue a été affinée, et cela a favorisé en même temps l'esprit de dialogue. Il s'agit d'abord ici du dialogue entre les chrétiens des diverses Eglises ou Communautés, "mené entre experts convenablement informés, qui permet à chacun d'expliquer plus à fond la doctrine de sa communauté et d'en présenter de façon claire les traits caractéristiques" (56). Mais il convient que l'ensemble des fidèles connaissent la méthode qui permet le dialogue.
55- CIC 755 CIO 902-904.
56- UR 4.
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Ainsi que l'affirme la Déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, "la vérité doit être cherchée selon la manière qui est propre à la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par la voie d'une libre recherche, par le moyen de l'enseignement ou de l'éducation, de l'échange et du dialogue, grâce auxquels les hommes exposent les uns aux autres la vérité qu'ils ont trouvée, ou qu'ils pensent avoir trouvée, afin de s'aider mutuellement dans la recherche de la vérité ; une fois que la vérité est connue, il faut y adhérer fermement par un assentiment personnel" (57).
57- DH 3.
Le dialogue oecuménique a une importance primordiale. "Par ce dialogue, tous acquièrent une connaissance plus conforme à la vérité et une estime plus juste de la doctrine et de la vie de chacune des Communautés ; ces Communautés en viennent aussi à une collaboration plus large dans toutes les tâches visant le bien commun selon les exigences de toute conscience chrétienne, et se rassemblent pour la prière commune, là où c'est permis. Enfin tous examinent leur fidélité à la volonté du Christ au sujet de l'Eglise, et entreprennent avec empressement, comme il le faut, l'oeuvre de rénovation et de réforme" (58).
58- UR 4.
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Dans l'intention du Concile, le dialogue oecuménique a le caractère d'une recherche commune de la vérité, en particulier en ce qui concerne l'Eglise. En effet, la vérité forme les consciences et oriente leur action en faveur de l'unité. En même temps, elle demande que soient confrontées à la prière du Christ pour l'unité la conscience et les oeuvres des chrétiens, frères séparés. Il y a synergie entre la prière et le dialogue. Une prière plus profonde et plus lucide permet au dialogue de donner des fruits plus abondants. Si, d'une part, la prière est la condition du dialogue, d'autre part, elle en devient le fruit, d'une manière toujours plus accomplie.
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Grâce au dialogue oecuménique, nous pouvons parler d'une plus grande maturité de notre prière oecuménique commune les uns pour les autres. Cela est rendu possible dans la mesure où le dialogue remplit en même temps le rôle d'un examen de conscience. Comment ne pas se rappeler à ce propos les paroles de la première Lettre de Jean ? "Si nous disons : "Nous n'avons pas de péché", nous nous abusons, la vérité n'est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, lui (Dieu), fidèle et juste, pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité" 1Jn 1,8-9. Jean nous conduit encore plus loin quand il affirme : "Si nous disons : "Nous n'avons pas péché", nous faisons de lui un menteur, et sa parole n'est pas en nous" 1Jn 1,10. Un appel tout aussi radical à reconnaître notre condition de pécheurs doit être également l'un des traits caractéristiques de l'esprit dans lequel on aborde le dialogue oecuménique. Si celui-ci ne devenait pas un examen de conscience, en quelque sorte un "dialogue des consciences", pourrions-nous compter sur l'assurance que nous communique la même Lettre ? "Petits enfants, je vous écris ceci pour que vous ne péchiez pas. Mais si quelqu'un vient à pécher, nous avons comme avocat auprès du Père Jésus Christ, le Juste. C'est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier" 1Jn 2,1-2. Tous les péchés du monde ont été portés dans le sacrifice salvifique du Christ et donc aussi ceux qui ont été commis contre l'unité des chrétiens, les péchés des chrétiens, des pasteurs non moins que des fidèles. Même après les nombreux péchés qui ont entraîné les divisions historiques, l'unité des chrétiens est possible, à condition que nous soyons humblement conscients d'avoir péché contre l'unité et convaincus de la nécessité de notre conversion. Ce ne sont pas seulement les péchés personnels qui doivent être remis et surmontés, mais aussi les péchés sociaux, pour ainsi dire les "structures" mêmes du péché, qui ont entraîné et peuvent entraîner la division et la confirmer.
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Le Concile nous vient en aide une fois encore. On peut dire que tout le décret sur l'oecuménisme est pénétré par l'esprit de conversion (59). Dans ce document, le dialogue oecuménique revêt un caractère spécifique ; il se transforme en "dialogue de la conversion" et donc, selon l'expression du Pape Paul VI, en un authentique "dialogue du salut" (60). Le dialogue ne peut pas se dérouler suivant une démarche exclusivement horizontale, restant limité à la rencontre, à l'échange des points de vue ou même des dons propres à chacune des Communautés. Il tend aussi et surtout à avoir une dimension verticale qui l'oriente vers celui qui, Rédempteur du monde et Seigneur de l'histoire, est notre réconciliation. La dimension verticale du dialogue réside dans la reconnaissance commune et réciproque de notre condition d'hommes et de femmes qui ont péché. Et c'est ce dialogue qui ouvre pour les frères vivant dans des communautés qui ne sont pas en pleine communion entre elles l'espace intérieur où le Christ, source de l'unité de l'Eglise, peut agir efficacement avec toute la puissance de son Esprit Paraclet.
59- UR 4.
60- Encycl. Ecclesiam suam (6 août 1964), III: AAS 56 (1964), pp. 642.
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Le dialogue est aussi un instrument naturel pour confronter les différents points de vue et surtout pour examiner les divergences qui font obstacle à la pleine communion des chrétiens entre eux. Le décret sur l'oecuménisme s'applique, en premier lieu, à décrire les dispositions intérieures dans lesquelles les conversations doctrinales doivent être abordées: "Dans le dialogue oecuménique, les théologiens catholiques,
attachés à la doctrine de l'Eglise, doivent en outre procéder avec amour de la vérité, charité et humilité, en menant, ensemble avec les frères séparés, leurs recherches sur les divins mystères" (61).
61- UR 11.
L'amour de la vérité est la dimension la plus profonde d'une recherche authentique de la pleine communion entre les chrétiens. Sans cet amour, il serait impossible d'aborder les difficultés objectives d'ordre théologique, culturel, psychologique et social que l'on rencontre dans l'examen des divergences. L'esprit de charité et d'humilité doit être inséparablement associé à cette dimension intérieure et personnelle : charité envers l'interlocuteur, humilité devant la vérité que l'on découvre et qui pourrait demander la révision de certaines affirmations ou de certaines attitudes.
En ce qui concerne l'étude des divergences, le Concile requiert un exposé clair de toute la doctrine. En même temps, il demande que, dans l'exposition de la doctrine catholique, la manière et la méthode ne soient pas un obstacle au dialogue avec les frères (62). Il est certainement possible de témoigner de sa propre foi et d'en expliquer la doctrine d'une manière qui soit juste, loyale et compréhensible, tout en tenant compte simultanément des catégories mentales et de l'expérience historique concrète de l'autre.
62- UR 11.
Evidemment, la pleine communion devra être réalisée par l'acceptation de la vérité tout entière, à laquelle l'Esprit Saint introduit les disciples du Christ. Il faut donc éviter absolument toute forme de réductionnisme ou de "concordisme" facile. Les questions sérieuses doivent être résolues, parce que, si elles ne l'étaient pas, elles réapparaîtraient en d'autres temps, sous la même forme ou sous un autre visage.
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Le décret Unitatis redintegratio précise aussi un critère à observer lorsqu'il s'agit pour les catholiques de présenter et de confronter les doctrines : "Ils se souviendront qu'il existe un ordre ou une "hiérarchie" des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec le fondement de la foi chrétienne. Ainsi sera frayée la voie qui les incitera tous, dans une émulation fraternelle, à une connaissance plus profonde et une présentation plus claire des insondables richesses du Christ" (63).
63- UR 11 ; cf. CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclar. sur la doctrine catholique concernant l'Église Mysterium Ecclesiæ (24 juin 1973), n. 4: AAS 65 (1973), p. 402.
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Dans le dialogue, on se heurte inévitablement au problème des différentes formulations par lesquelles s'exprime la doctrine dans les diverses Eglises et Communautés ecclésiales, ce qui a maintes conséquences pour la tâche de l'oecuménisme.
En premier lieu, devant des formulations doctrinales qui se séparent des formules en usage dans la communauté à laquelle on appartient, il convient manifestement de discerner si les paroles ne recouvrent pas un contenu identique, ainsi qu'il a été constaté, par exemple, dans des déclarations communes récentes, signées par mes Prédécesseurs ou moi-même et des Patriarches d'Eglises avec lesquelles existait depuis des siècles un contentieux christologique. En ce qui concerne la formulation des vérités révélées, la déclaration Mysterium Ecclesiæ affirme : "Les vérités que l'Eglise entend réellement enseigner par ses formules dogmatiques sont sans doute distinctes des conceptions changeantes propres à une époque déterminée ; mais il n'est pas exclu qu'elles soient éventuellement formulées, même par le Magistère, en des termes qui portent des traces de telles conceptions. Tout considéré, on doit dire que les formules dogmatiques du Magistère ont été aptes dès le début à communiquer la vérité révélée et que, demeurant inchangées, elles la communiqueront toujours à ceux qui les interpréteront bien" (64). A ce sujet, le dialogue oecuménique, qui incite les parties impliquées à s'interroger, à se comprendre et à s'expliquer mutuellement, permet des découvertes inattendues. Les polémiques et les controverses intolérantes ont transformé en affirmations incompatibles ce qui était en fait le résultat de deux regards scrutant la même réalité, mais de deux points de vue différents. Il faut trouver aujourd'hui la formule qui, saisissant cette réalité intégralement, permette de dépasser des lectures partielles et d'éliminer des interprétations erronées.
64- CONGREGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Déclar. Mysterium Ecclesiæ (24 juin 1973), n. 5: AAS 65 (1973), p. 403.
L'un des avantages de l'oecuménisme est que son entremise aide les Communautés chrétiennes à découvrir l'insondable richesse de la vérité. Là aussi, toute l'oeuvre de l'Esprit dans les "autres" peut contribuer à l'édification des diverses communautés (65) et, en un sens, à les instruire sur le mystère du Christ. L'oecuménisme authentique est une grâce de vérité.
65- UR 4.
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Enfin, le dialogue place les interlocuteurs devant les divergences réelles qui concernent la foi. Il faut surtout que ces divergences soient abordées dans un esprit sincère de charité fraternelle, de respect des exigences de sa conscience et de la conscience du prochain, avec une humilité profonde et l'amour de la vérité. Dans ce domaine, la confrontation a lieu par rapport à deux références essentielles : la sainte Ecriture et la grande Tradition de l'Eglise. Pour leur part, les catholiques sont aidés par le Magistère toujours vivant de l'Eglise.
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Les relations entre les chrétiens ne visent pas seulement la connaissance réciproque, la prière commune et le dialogue. Elles prévoient et demandent dès maintenant toutes les collaborations pratiques possibles à divers niveaux, pastoral, culturel, social et aussi dans le témoignage du message de l'Evangile (66).
66- Cf. Déclaration christologique commune entre l'Eglise catholique et l'Eglise assyrienne de l'Orient: L'Osservatore Romano, 12 novembre 1994, p. 1 (La Documentation catholique, n. 2106 (18 décembre 1994), pp. 1069-1070).
"La collaboration de tous les chrétiens exprime de façon vivante l'union qui existe déjà entre eux, et fait paraître le visage du Christ Serviteur dans une lumière plus pleine" (67). Cette collaboration fondée sur la foi commune est riche de communion fraternelle, mais elle est aussi une épiphanie du Christ lui-même.
67- UR 12.
En outre, la collaboration oecuménique est une véritable école d'oecuménisme, c'est une voie dynamique dans le sens de l'unité. L'unité d'action mène à la pleine unité de la foi : "Par cette collaboration, tous ceux qui croient au Christ peuvent facilement apprendre comment on peut mieux se connaître les uns les autres, s'estimer davantage et préparer la voie à l'unité des chrétiens" (68).
68- UR 12.
Aux yeux du monde, la collaboration entre les chrétiens coïncide avec le témoignage chrétien commun et elle devient un moyen d'évangélisation au bénéfice des uns et des autres.
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Ce qui a été dit précédemment sur le dialogue oecuménique mené depuis la conclusion du Concile conduit à rendre grâce à l'Esprit de vérité promis par le Christ Seigneur aux Apôtres et à l'Eglise Jn 14,26. Pour la première fois dans l'histoire, l'action en faveur de l'unité des chrétiens a atteint de telles proportions et s'est étendue de manière aussi large. C'est déjà un don immense que Dieu a accordé et qui mérite toute notre gratitude. De la plénitude du Christ, nous recevons "grâce pour grâce" Jn 1,16. Reconnaître ce que Dieu nous a déjà accordé est la condition qui nous prédispose à recevoir des dons encore nécessaires, pour porter jusqu'à son achèvement l'action oecuménique en faveur de l'unité.
Un regard d'ensemble sur les trente dernières années fait mieux comprendre de nombreux fruits de la conversion commune à l'Evangile, dont le mouvement oecuménique a été l'instrument grâce à l'Esprit Saint.
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Par exemple dans l'esprit même du Discours sur la Montagne, les chrétiens d'une confession ne considèrent plus désormais les autres chrétiens comme des ennemis ou des étrangers, mais ils voient en eux des frères et des soeurs. D'un autre côté, même à l'expression frères séparés, l'usage tend à substituer aujourd'hui des termes plus aptes à évoquer la profondeur de la communion liée au caractère baptismal, que l'Esprit nourrit malgré les ruptures historiques et canoniques. On parle des "autres chrétiens", des "autres baptisés", des "chrétiens des autres Communautés". Le Directoire pour l'application des principes et des normes sur l'oecuménisme appelle les communautés auxquelles appartiennent ces chrétiens des "Eglises et (des) Communautés ecclésiales qui ne sont pas en pleine communion avec l'Eglise catholique" (69). Ce développement du vocabulaire traduit une évolution notable des mentalités. La conscience de l'appartenance commune au Christ s'approfondit. Personnellement, j'ai pu le constater à de multiples reprises durant les célébrations oecuméniques qui sont parmi les événements les plus importants de mes voyages apostoliques dans les différentes parties du monde, ou dans les rencontres et dans les célébrations oecuméniques qui ont eu lieu à Rome. La "fraternité universelle" des chrétiens est devenue une ferme conviction oecuménique. Reléguant dans l'oubli les excommunications du passé, les Communautés, un temps rivales, s'aident aujourd'hui mutuellement, dans de nombreuses circonstances ; parfois on se prête des édifices du culte ; on offre des bourses d'études pour la formation des ministres des Communautés qui manquent le plus de moyens ; on intervient auprès des autorités civiles pour la défense des autres chrétiens accusés injustement ; on démontre l'absence de fondement des calomnies dont certains groupes sont victimes.
69- CONSEIL PONTIFICAL POUR LA PROMOTION DE L'UNITE DES CHRETIENS, Directoire pour l'application des principes et des normes sur l'oecuménisme (25 mars 1993), n. 5: AAS 85 (1993), p. 1040.
En un mot, les chrétiens se sont convertis à une charité fraternelle qui englobe tous les disciples du Christ. S'il arrive que, en raison de soulèvements politiques violents, une certaine agressivité ou un esprit de revanche apparaissent dans des situations concrètes, les autorités des parties en présence s'attachent généralement à faire prévaloir la "Loi nouvelle" de l'esprit de charité. Malheureusement, cet esprit n'a pas pu transformer toutes les situations de conflit sanglant. Dans ces circonstances, il faut que ceux qui sont engagés dans l'oecuménisme fassent preuve d'un héroïsme authentique dans leur décisions.
À ce propos, il convient de réaffirmer que la reconnaissance de la fraternité n'est pas la conséquence d'une philanthropie libérale ou d'un vague esprit de famille. Elle s'enracine dans la reconnaissance de l'unique Baptême et dans l'exigence qui en découle que Dieu soit glorifié dans son oeuvre. Le Directoire pour l'application des principes et des normes sur l'oecuménisme souhaite une reconnaissance réciproque et officielle des Baptêmes (70). Cela va bien au-delà d'un geste de courtoisie oecuménique et constitue une affirmation ecclésiologique fondamentale.
70- Directoire pour l'application des principes et des normes sur l'oecuménisme n. 94: l. c., p. 1078.
On doit opportunément rappeler que le caractère fondamental du Baptême dans l'oeuvre d'édification de l'Eglise a été clairement mis en valeur grâce aussi au dialogue multilatéral (71).
71- Cf. COMMISSION "FOI ET CONSTITUTION" DU CONSEIL OECUMENIQUE DES EGLISES, Baptême, Eucharistie, Ministère (janvier 1982): Enchir. oecum. 1, pp. 1391-1447, et précisément pp. 1398-1408 (éd. Centurion/Taizé, Paris, 1982, pp. 13-27) BEM .
1995 Ut Unum Sint 21