1994 Tertio Millenio Adveniente 28
29 Dans le cadre de ce vaste panorama se pose la question suivante: peut-on envisager un programme spécifique d'initiatives pour la préparation immédiate du grand Jubilé? A dire vrai, ce qui a été dit plus haut présente déjà quelques éléments d'un programme.
Une prévision plus détaillée d'initiatives " ad hoc ", pour ne pas être artificielle ni difficilement applicable dans les diverses Églises, qui vivent dans des conditions si différentes, doit résulter d'une consultation élargie. J'en suis bien conscient, et c'est pourquoi j'ai voulu interroger à ce sujet les Présidents des Conférences épiscopales et, en particulier, les Cardinaux.
Je suis reconnaissant aux vénérés membres du Collège cardinalice, réunis en Consistoire extraordinaire les 13 et 14 juin 1994, d'avoir élaboré sur ce thème de nombreuses propositions et fourni d'utiles orientations. Je remercie également mes Frères dans l'épiscopat qui, de diverses façons, n'ont pas manqué de me faire parvenir des suggestions appréciées, que j'avais bien en tête en rédigeant la présente lettre apostolique.
30 Une première indication, qui ressort clairement de la consultation, est relative au temps de la préparation. Nous sommes désormais à quelques années seulement de l'An 2000; il a donc paru bon d'organiser cette période en deux phases, en réservant la phase à proprement parler préparatoire aux trois dernières années. On a pensé en effet qu'une période plus longue aurait fini par accumuler trop de matériaux et par diminuer l'attention spirituelle.
En conséquence, on a jugé qu'il convenait d'avancer vers la date historique par une première phase de sensibilisation des fidèles sur des thématiques plus générales, pour concentrer ensuite la préparation directe et immédiate dans une seconde phase, de trois ans, entièrement consacrée à la célébration du mystère du Christ Sauveur.
31 La première phase aura donc un caractère anté-préparatoire: elle devra servir à raviver chez le peuple chrétien la conscience de la valeur et de la signification que le Jubilé de l'An 2000 revêt dans l'histoire humaine. Portant en lui-même la mémoire de la naissance du Christ, il a intrinsèquement une connotation christologique.
Conformément à l'articulation de la foi chrétienne en parole et sacrement, il semble important d'unir ici aussi, pour cet anniversaire spécial, la structure de la mémoire avec celle de la célébration, en ne se limitant pas à rappeler l'événement d'une façon seulement conceptuelle, mais en rendant présent son caractère salvateur par l'actualisation sacramentelle. La célébration jubilaire devra con- firmer chez les chrétiens d'aujourd'hui la foi en Dieu qui s'est révélé dans le Christ, soutenir leur espérance qui les tourne vers l'attente de la vie éternelle, raviver leur charité qui les fait se dépenser généreusement au service de leurs frères.
Au cours de la première phase (1994 à 1996), le Saint-Siège, aidé par un Comité créé à cet effet, ne manquera pas de suggérer quelques éléments de réflexion et d'action au niveau universel, tandis qu'un effort de sensibilisation sera accompli, d'une manière plus capillaire, par des Commissions semblables dans les Églises locales. Il s'agit de continuer en quelque sorte ce qui a été fait lors de la préparation éloignée et en même temps d'approfondir les aspects les plus caractéristiques de l'événement jubilaire.
32 Le Jubilé est toujours un temps de grâce particulière, " un jour béni par le Seigneur ": comme tel, il a on l'a déjà noté un caractère joyeux. Le Jubilé de l'An 2000 veut être une grande prière de louange et d'action de grâce surtout pour le don de l'Incarnation du Fils de Dieu et de la Rédemption qu'Il a accomplie. Pendant l'année jubilaire, les chrétiens se mettront, avec une admiration et une foi renouvelées, face à l'amour du Père, qui a donné son Fils " afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle " (Jn 3,16) . En outre, ils élèveront avec une profonde conviction leur action de grâce pour le don de l'Église, fondée par le Christ comme " sacrement, c'est-à-dire à la fois signe et moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain ".(14) Leur action de grâce s'étendra enfin aux fruits de sainteté mûris dans la vie de tant d'hommes et de femmes qui, à chaque génération et à chaque époque de l'histoire, ont su accueillir sans réserve le don de la Rédemption.
Toutefois, la joie de tout Jubilé est d'une manière particulière une joie pour la rémission des fautes, la joie de la conversion. C'est pourquoi il serait bon de placer de nouveau au premier plan ce qui a constitué le thème du Synode des Évêques de 1984, c'est-à-dire la pénitence et la réconciliation.(15) Ce Synode fut un événement extrêmement significatif dans l'histoire de l'Église post-conciliaire. Il reprit la question toujours actuelle de la conversion (" metanoia "), qui est la condition préliminaire de la réconciliation avec Dieu pour les personnes comme pour les communautés.
(14) LG 1 (15) RP 1
33 Il est donc juste que, le deuxième millénaire du christianisme arrivant à son terme, l'Église prenne en charge, avec une conscience plus vive, le péché de ses enfants, dans le souvenir de toutes les circonstances dans lesquelles, au cours de son histoire, ils se sont éloignés de l'esprit du Christ et de son Évangile, présentant au monde, non point le témoignage d'une vie inspirée par les valeurs de la foi, mais le spectacle de façons de penser et d'agir qui étaient de véritables formes de contre-témoignage et de scandale.
Bien qu'elle soit sainte par son incorporation au Christ, l'Église ne se lasse pas de faire pénitence: elle reconnaît toujours comme siens, devant Dieu et devant les hommes, ses enfants pécheurs. La constitution Lumen gentium dit à ce sujet: " L'Église, qui comprend des pécheurs en son propre sein, est à la fois sainte et appelée à se purifier, et poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement ".(16)
La Porte sainte du Jubilé de l'An 2000 devra être symboliquement plus large que les précé- dentes car l'humanité, arrivée à ce terme, laissera derrière elle non seulement un siècle mais un millénaire. Il est bon que l'Église franchisse ce passage en étant clairement consciente de ce qu'elle a vécu au cours de ces dix derniers siècles. Elle ne peut passer le seuil du nouveau millénaire sans inciter ses fils à se purifier, dans la repentance, des erreurs, des infidélités, des incohérences, des lenteurs. Reconnaître les fléchissements d'hier est un acte de loyauté et de courage qui nous aide à renforcer notre foi, qui nous fait percevoir les tentations et les difficultés d'aujourd'hui et nous prépare à les affronter.
(16) LG 8
34 Parmi les péchés qui requièrent un plus grand effort de pénitence et de conversion, il faut évidemment compter ceux qui ont porté atteinte à l'unité voulue par Dieu pour son peuple. Au cours des mille ans qui arrivent à leur terme, plus encore qu'au premier millénaire, la communion ecclésiale, " parfois par la faute de l'une et de l'autre des parties ",(17) a connu de douloureux déchirements qui s'opposent ouvertement à la volonté du Christ et sont pour le monde un objet de scandale.(18) Malheureusement, ces péchés du passé font encore sentir leur poids et demeurent, même à l'heure actuelle, comme des tentations. Il est nécessaire d'en faire amende honorable, en invoquant avec force le pardon du Christ.
(17) UR 3 (18) UR 1
En cette dernière partie du millénaire, l'Église doit s'adresser avec plus de ferveur à l'Esprit Saint pour lui demander la grâce de l'unité des chrétiens. C'est là un problème crucial pour le témoignage évangélique dans le monde. Après le Concile Vatican II surtout, il y a eu de nombreuses initiatives oecuméniques, prises avec générosité et détermination; on peut dire que toute l'activité des Églises locales et du Siège apostolique ont eu ces dernières années un souffle oecuménique. Le Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens est devenu l'un des centres principaux où est stimulé le processus vers la pleine unité.
Mais nous savons tous que la réalisation de cet objectif ne peut être le fruit des seuls efforts humains, tout indispensables qu'ils soient. En définitive, l'unité est un don de l'Esprit Saint. Il nous est demandé de favoriser la concession de ce don sans nous laisser aller à des légèretés ni à des réticences dans le témoignage de la vérité mais en mettant généreusement en pratique les directives tracées par le Concile et les documents du Saint-Siège qui l'ont suivi, directives appréciées même par beaucoup de chrétiens qui ne sont pas en pleine communion avec l'Église catholique.
Voilà donc l'une des tâches des chrétiens en marche vers l'An 2000. L'approche de la fin du deuxième millénaire nous invite tous à un examen de conscience et à d'utiles initiatives oecuméniques, afin que nous puissions nous présenter, lors du grand Jubilé, sinon totalement unis, du moins beaucoup plus près de surmonter les divisions du deuxième millénaire. Pour cela chacun le voit bien un énorme effort est nécessaire. Il faut poursuivre le dialogue doctrinal, mais surtout s'engager davantage dans la prière oecuménique. Cette prière s'est beaucoup intensifiée après le Concile, mais elle doit se développer encore et il faut que les chrétiens s'y impliquent toujours davantage, dans l'esprit de la grande invocation du Christ avant sa Passion: " Père..., qu'ils soient un en nous, eux aussi " (Jn 17,21) .
35 Il y a un autre chapitre douloureux sur lequel les fils de l'Église ne peuvent pas ne pas revenir en esprit de repentir: le consentement donné, surtout en certains siècles, à des méthodes d'intolérance et même de violence dans le service de la vérité.
Il est vrai que pour juger correctement l'histoire, on ne peut se dispenser de prendre attentivement en considération les conditionnements culturels de l'époque: sous leur influence, beaucoup ont pu considérer en toute bonne foi que, pour porter authentiquement témoignage à la vérité, il fallait réduire au silence l'opinion d'autrui ou au moins la marginaliser. De multiples motifs concouraient souvent à la création d'un terrain favorable à l'intolérance, alimentant un climat passionnel auquel seuls de grands esprits vraiment libres et pleins de Dieu réussissaient d'une certaine manière à se soustraire. Mais la considération des circonstances atténuantes ne dispense pas l'Église du devoir de regretter profondément les faiblesses de tant de ses fils qui ont défiguré son visage et l'ont empêchée de refléter pleinement l'image de son Seigneur crucifié, témoin insurpassable d'amour patient et d'humble douceur. De ces attitudes douloureuses du passé ressort pour l'avenir une leçon qui doit inciter tout chrétien à s'en tenir fermement à la règle d'or définie par le Concile: " La vérité ne s'impose que par la force de la vérité elle-même, qui pénètre l'esprit avec autant de douceur que de puissance ".(19)
(19) DH 1
36 De nombreux cardinaux et évêques ont souhaité un sérieux examen de conscience surtout pour l'Église d'aujourd'hui. Au seuil du nouveau millénaire, les chrétiens doivent se mettre humblement en présence du Seigneur pour s'interroger sur les responsabilités qu'ils ont, eux aussi, dans les maux de notre temps. En effet, à côté de nombreuses lumières, l'époque actuelle présente beaucoup d'ombres.
Comment passer sous silence, par exemple, l'indifférence religieuse qui conduit beaucoup d'hommes d'aujourd'hui à vivre comme si Dieu n'existait pas ou à se contenter d'une vague religiosité qui ne leur permet pas de se confronter au problème de la vérité ni au devoir de cohérence? Il faut ajouter que, un peu partout, on a perdu le sens de la transcendance de l'existence humaine et l'on est désorienté dans le domaine éthique, même en ce qui concerne les valeurs fondamentales du respect de la vie et de la famille. Un test s'impose pour les fils de l'Église: à quel point ne sont-ils pas eux-mêmes atteints par l'atmosphère de sécularisme et de relativisme éthique? Et quelle part de responsabilité ne doivent-ils pas se reconnaître, eux aussi, face à la progression de l'irréligion, parce qu'ils n'ont pas manifesté l'authentique visage de Dieu " en raison des défaillances de leur vie religieuse, morale et sociale "? (20)
(20) GS 19
On ne peut nier, en effet, que chez beaucoup de chrétiens la vie spirituelle traverse une période d'incertitude qui affecte non seulement la vie morale mais aussi la prière et même la rectitude théologale de la foi. Celle-ci, déjà mise à l'épreuve par la confrontation avec notre temps, est parfois désorientée par des positions théologiques erronées, qui se répandent, entre autres, à cause de la crise de l'obéissance à l'égard du magistère de l'Église.
Quant au témoignage de l'Église à notre époque, comment ne pas ressentir de la souffrance devant le manque de discernement, qui devient parfois un véritable consentement, de nombreux chrétiens devant la violation des droits humains fondamentaux de la part de régimes totalitaires? Et ne faut-il pas déplorer, parmi les ombres du présent, la coresponsabilité de tant de chrétiens dans des formes graves d'injustice et de marginalisation sociale? On peut se demander combien d'entre eux connaissent à fond et pratiquent d'une manière cohérente les directives de la doctrine sociale de l'Église.
L'examen de conscience ne saurait omettre la réception du Concile, ce grand don de l'Esprit Saint à l'Église au déclin du deuxième millénaire. Dans quelle mesure la Parole de Dieu est-elle devenue plus pleinement l'âme de la théologie et inspire-t-elle toute l'existence chrétienne, comme le demandait la constitution Dei Verbum? La liturgie est-elle vécue comme " source et sommet " de la vie ecclésiale, selon l'enseignement de la constitution Sacrosanctum Concilium? Voit-on s'affermir, dans l'Église universelle et dans les Églises particulières, l'ecclésiologie de communion de la constitution Lumen gentium, en donnant la place qui convient aux charismes, aux ministères, aux diverses formes de participation du peuple de Dieu, sans pour autant se prêter à un " démocratisme " et à un sociologisme qui ne respectent pas la vision catholique de l'Église ni l'authentique esprit de Vatican II? Il y a aussi une question vitale, celle du style des rapports entre l'Église et le monde. Les directives conciliaires données par Gaudium et spes et d'autres documents pour un dialogue ouvert, respectueux et cordial, accompagné toutefois d'un discernement attentif et d'un témoignage courageux rendu à la vérité, restent valables et nous invitent à un effort supplémentaire.
37 L'Église du premier millénaire est née du sang des martyrs: " Sanguis martyrum - semen christianorum ".(21) Les événements historiques liés à la figure de Constantin le Grand n'auraient jamais pu garantir à l'Église un développement comme celui qui se réalisa durant le premier millénaire s'il n'y avait eu les semailles des martyrs et le patrimoine de sainteté qui caractérisèrent les premières générations chrétiennes. Au terme du deuxième millénaire, l'Église est devenue à nouveau une Église de martyrs. Les persécutions à l'encontre des croyants prêtres, religieux et laïcs ont provoqué d'abon- dantes semailles de martyrs dans différentes parties du monde. Le témoignage rendu au Christ jusqu'au sang est devenu un patrimoine commun aux catholiques, aux orthodoxes, aux anglicans et aux protestants, comme le notait déjà Paul VI dans son homélie pour la canonisation des martyrs ougandais.(22)
(21) Tertulien, Apol. 50,13 CCL I,171 (22) AAS 56 (1964) p. 906
C'est là un témoignage à ne pas oublier. Malgré les grandes difficultés d'organisation qu'elle éprouvait, l'Église des premiers siècles s'est employée à consigner dans des martyrologes le témoignage des martyrs. Ces martyrologes ont été constamment mis à jour au cours des siècles, et dans le catalogue des saints et des bienheureux de l'Église ont été inscrits non seulement ceux qui ont versé leur sang pour le Christ mais aussi des maîtres de la foi, des missionnaires, des confesseurs, des évêques, des prêtres, des vierges, des époux, des veuves, des enfants.
En notre siècle, les martyrs sont revenus; souvent inconnus, ils sont comme des " soldats inconnus " de la grande cause de Dieu. Dans toute la mesure du possible, il faut éviter de perdre leur témoignage dans l'Église. Comme il a été suggéré lors du Consistoire, il faut que les Églises locales fassent tout leur possible pour ne pas laisser perdre la mémoire de ceux qui ont subi le martyre, en rassemblant à cette intention la documentation nécessaire. Et cela ne saurait manquer d'avoir un caractère oecuménique marqué. L'oecuménisme des saints, des martyrs, est peut-être celui qui convainc le plus. La voix de la communio sanctorum est plus forte que celle des fauteurs de division. Le martyrologium des premiers siècles a été le fondement du culte des saints. En proclamant et en vénérant la sainteté de ses fils et de ses filles, l'Église rendait un suprême hommage à Dieu même; dans les martyrs, elle vénérait le Christ, qui était à l'origine de leur martyre et de leur sainteté. Plus tard s'est développé l'usage de la canonisation, qui existe encore dans l'Église catholique et dans les Églises orthodoxes. Les canonisations et les béatifications se sont multipliées ces dernières années. Elles manifestent la vitalité des Églises locales, qui sont aujourd'hui beaucoup plus nombreuses qu'aux premiers siècles et qu'au premier millénaire. Le plus grand hommage que toutes les Églises rendront au Christ au seuil du troisième millénaire sera de montrer la présence toute-puissante du Rédempteur par les fruits de foi, d'espérance et de charité chez des hommes et des femmes de si nombreuses langues et races qui ont suivi le Christ dans les diverses formes de la vocation chrétienne.
Il reviendra au Siège apostolique, dans la perspective du troisième millénaire, de mettre à jour les martyrologes pour l'Église universelle, en accordant une grande attention à la sainteté de ceux qui, à notre époque aussi, ont vécu pleinement dans la vérité du Christ. D'une manière toute spéciale, on devra s'employer à reconnaître l'héroïcité des vertus d'hommes et de femmes qui ont réalisé leur vocation chrétienne dans le mariage: convaincus que les fruits de sainteté ne manquent pas non plus dans cet état, nous sentons le besoin de trouver les moyens les plus adaptés pour les mettre en évidence et les présenter à toute l'Église comme modèles et stimulants pour les autres époux chrétiens.
38 Il y a encore un besoin qui a été souligné par les cardinaux et les évêques: celui d'autres Synodes de caractère continental, à la suite de ceux qui ont déjà été tenus pour l'Europe et pour l'Afrique. La dernière Conférence générale de l'épiscopat latino-américain a accueilli, en accord avec l'épiscopat nord-américain, la proposition d'un Synode pour les Amériques sur la problématique de la nouvelle évangélisation dans les deux parties de ce continent, si différentes par leur origine et leur histoire, et sur les thèmes de la justice et des rapports économiques internationaux, en tenant compte de l'énorme différence entre le Nord et le Sud.
Un Synode de caractère continental semble opportun pour l'Asie, où se pose plus intensément la question de la rencontre du christianisme avec les cultures et les religions locales très anciennes. Il y a là un grand défi pour l'évangélisation, car des systèmes religieux comme le bouddhisme et l'hindouisme se présentent comme ayant un caractère clairement sotériologique. Il est donc urgent de réunir un Synode à l'occasion du grand Jubilé pour éclairer et approfondir la doctrine sur le Christ unique Médiateur entre Dieu et les hommes et unique Rédempteur du monde, en le distinguant bien des fondateurs d'autres grandes religions, dans lesquelles on trouve tout de même des éléments de vérité que l'Église considère avec un respect sincère, y voyant un reflet de la Vérité qui éclaire tous les hommes.(23) En l'An 2000 devra retentir avec une force renouvelée la pro- clamation de la vérité: " Ecce natus est nobis Salvator mundi ".
(23) NAE 2
Pour l'Océanie également, un Synode régional pourrait être utile. Dans ce continent, il y a, entre autres éléments, des populations aborigènes qui rappellent d'une manière singulière certains aspects de la préhistoire du genre humain. Dans ce Synode, en plus des autres problèmes du continent, il ne faudrait donc pas négliger le thème de la rencontre du christianisme avec ces formes très anciennes de religiosité, caractérisées, et cela est très significatif, par une orientation monothéiste.
39 A partir de cette vaste action de sensibilisation, il sera alors possible d'aborder la deuxième phase, celle de la préparation proprement dite. Elle s'étendra sur une période de trois années, de 1997 à 1999. La structure thématique de ces trois années, centrée sur le Christ, Fils de Dieu fait homme, ne peut être que théologique, c'est-à-dire trinitaire.
40 La première année, 1997, sera donc consacrée à la réflexion sur le Christ, Verbe du Père, fait homme par l'action de l'Esprit Saint. Il convient en effet de mettre en lumière le caractère nettement christologique du Jubilé, qui célébrera l'Incarnation du Fils de Dieu, mystère de salut pour tout le genre humain. Le thème général, proposé pour cette année par de nombreux Cardinaux et Évêques, est: " Jésus Christ, unique Sauveur du monde, hier, aujourd'hui et à jamais " (cf. He 13,8) .
Parmi les éléments de la christologie évoqués par le Consistoire, ressortent ceux qui suivent: la redécouverte du Christ Sauveur et Évangélisateur, en se référant particulièrement au chapitre quatrième de l'Évangile de Luc, où s'entrecroisent le thème du Christ envoyé pour annoncer la Bonne Nouvelle et celui du Jubilé; l'approfondissement du mystère de son Incarnation et de sa naissance du sein virginal de Marie; la nécessité d'avoir la foi en Lui pour le salut. Pour connaître la véritable identité du Christ, il convient que les chrétiens, surtout au cours de cette année, reviennent à la Bible avec une attention renouvelée, " soit par la sainte liturgie imprégnée des paroles de Dieu, soit par une pieuse lecture, soit par des cours appropriés et par d'autres moyens "(24). En effet, dans le texte révélé, c'est le Père céleste lui-même qui, avec amour, vient à notre rencontre et s'entretient avec nous, en nous manifestant la nature de son Fils unique et son dessein de salut pour l'humanité.(25)
(24) DV 25 (25) DV 2
41 Au cours de cette année, l'effort pour actualiser les sacrements dont on a parlé plus haut pourra prendre appui sur la redécouverte du Baptême comme fondement de l'existence chrétienne, selon la parole de l'Apôtre: " Vous tous, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ " (Ga 3,27) . Pour sa part, le Catéchisme de l'Église catholique rappelle que " le Baptême constitue le fondement de la communion entre tous les chrétiens, aussi avec ceux qui ne sont pas encore en pleine communion avec l'Église catholique ".(26) Du point de vue oecuménique, précisément, ce sera une année très importante pour porter ensemble notre regard vers le Christ, le seul Seigneur, pour s'engager à devenir un en Lui, suivant sa prière au Père. Souligner la place centrale du Christ, de la Parole de Dieu et de la foi ne devrait pas manquer de susciter l'intérêt et l'accueil positifs des chrétiens d'autres confessions.
(26) CEC 1271
42 Tout devra être orienté vers l'objectif prioritaire du Jubilé qui est le renforcement de la foi et du témoignage des chrétiens. Il est donc nécessaire de susciter chez tous les fidèles une réelle aspiration à la sainteté, un fort désir de conversion et de renouveau personnel, dans un climat de prière toujours plus intense et de solidarité dans l'accueil du prochain, particulièrement des plus démunis.
La première année sera donc un temps favorable à la redécouverte de la catéchèse, dans son sens et sa valeur première d'" enseignement des Apôtres " (Ac 2,42) , sur la personne de Jésus Christ et son mystère de salut. Dans ce but, il s'avérera très utile d'approfondir le Catéchisme de l'Église catholique, qui présente " fidèlement et organiquement l'enseignement de l'Écriture sainte, de la Tradition vivante dans l'Église et du Magistère authentique, de même que l'héritage spirituel des Pères, des saints et des saintes de l'Église, pour permettre de mieux connaître le mystère chrétien et de raviver la foi du peuple de Dieu ".(27) Par souci de réalisme, on n'omettra pas d'informer la conscience des fidèles au sujet des erreurs concernant la personne du Christ, en éclairant avec justesse les oppositions qui se manifestent contre Lui et contre l'Église.
(27)
43 La Vierge Sainte, qui sera présente tout au long de la phase préparatoire, de manière transversale, pour ainsi dire, sera contemplée et invoquée en cette première année surtout dans le mystère de sa Maternité divine. C'est en son sein que le Verbe s'est fait chair! L'affirmation de la place centrale du Christ ne peut donc être disjointe de la reconnaissance du rôle joué par sa très sainte Mère. Son culte, s'il est bien compris, ne pourra en aucune manière porter atteinte " à la dignité et à l'efficacité de l'unique Médiateur, le Christ ".(28) Marie, en effet, montre constamment son Fils divin et se propose à tous les croyants comme modèle de la foi vécue. " En se recueillant avec piété dans la pensée de Marie, qu'elle contemple dans la lumière du Verbe fait homme, l'Église pénètre avec respect plus avant dans le mystère suprême de l'Incarnation et devient sans cesse plus conforme à son Époux ".(29)
(28) LG 62 (29) LG 65
44 L'année 1998, la deuxième année de la phase préparatoire, sera spécialement consacrée à l'Esprit Saint et à sa présence sanctificatrice à l'intérieur de la communauté des disciples du Christ. " Le grand Jubilé, qui conclura le second millénaire, comme je l'écrivais dans l'encyclique Dominum et vivificantem 1 a un profil pneumatologique, puisque le mystère de l'Incarnation s'est accompli "par le Saint-Esprit". Ce fut l'oeuvre de cet Esprit qui, consubstantiel au Père et au Fils, est, dans le mystère absolu de Dieu un et trine, la Personne-amour, le Don incréé, source éternelle de tout don qui provient de Dieu dans l'ordre de la création, le principe direct et, en un sens, le sujet de la communication que Dieu fait de lui- même dans l'ordre de la grâce. De ce don, de cette communication que Dieu fait de lui-même, le mystère de l'Incarnation constitue le sommet ".(30)
L'Église ne peut se préparer à l'échéance du bimillénaire " autrement que dans l'Esprit Saint. Ce qui, " dans la plénitude du temps ", s'est accompli par l'Esprit Saint, ne peut maintenant ressortir dans la mémoire de l'Église que par lui ".(31)
L'Esprit, en effet, actualise dans l'Église de tous les temps et de tous les lieux la Révélation unique apportée par le Christ aux hommes, la rendant vivante et efficace dans l'âme de chacun: " Le Paraclet, l'Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit " (Jn 14,26) .
(30) DEV 50 (31) DEV 51
45 Dans les tâches premières de la préparation au Jubilé, figure donc la redécouverte de la présence et de l'action de l'Esprit. Il agit dans l'Église par les sacrements, surtout par la Confirmation, ou bien dans les différents charismes, rôles et ministères spécifiques qu'Il suscite pour le bien de l'Église: " Unique est l'Esprit qui distribue ses dons variés pour le bien de l'Église à la mesure de ses ri- chesses et selon les nécessités des services (cf. 1Co 12,1-11) . Parmi ces dons, la grâce accordée aux Apôtres tient la première place: l'Esprit lui-même soumet à leur autorité jusqu'aux bénéficiaires des charismes (cf. 1Co 14) . Le même Esprit, qui est par lui-même principe d'unité dans le corps où s'exerce sa vertu et où il réalise la connexion intérieure des membres, produit et stimule entre les fidèles la charité ".(32)
L'Esprit est aussi pour notre époque l'agent principal de la nouvelle évangélisation. Il importera donc de redécouvrir l'Esprit comme Celui qui construit le Royaume de Dieu au cours de l'histoire et prépare sa pleine manifestation en Jésus Christ, en animant les hommes de l'intérieur et en faisant croître dans la vie des hommes les germes du salut définitif qui adviendra à la fin des temps.
(32) LG 7
46 Dans cette perspective eschatologique, les croyants seront appelés à redécouvrir la vertu théologale de l'espérance, dont ils ont " naguère entendu l'annonce dans la Parole de vérité, l'Évangile " (Col 1,5) . La vertu fondamentale de l'espérance, d'une part, pousse le chrétien à ne pas perdre de vue le but dernier qui donne son sens et sa valeur à toute son existence, et, d'autre part, elle lui donne de fermes et profondes raisons de s'engager quotidiennement dans la transformation de la réalité pour la rendre conforme au projet de Dieu.
Comme le rappelle l'Apôtre Paul, " nous le savons, en effet, toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement. Et non pas elle seule: nous-mêmes qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l'attente de l'adoption filiale, de la rédemption de notre corps. Car notre salut est objet d'espérance " (Rm 8,22-24) . Les chrétiens sont appelés à se préparer au grand Jubilé du commencement du troisième millénaire en ranimant leur espérance en l'avènement définitif du Royaume de Dieu, en le préparant jour après jour dans leur vie intérieure, dans la communauté chrétienne à laquelle ils appartiennent, dans le milieu social où ils sont insérés et ainsi dans l'histoire du monde.
En outre, il convient que l'on mette en valeur et que l'on approfondisse les signes d'espérance présents en cette fin du siècle, malgré les ombres qui les dissimulent souvent à nos yeux:dans le domaine civil, les progrès réalisés par la science, par la technique et surtout par la médecine au service de la vie humaine, un sens plus grand de responsabilité à l'égard de l'environnement, les efforts pour rétablir la paix et la justice partout où elles ont été violées, la volonté de réconciliation et de solidarité entre les différents peuples, en particulier dans les rapports complexes entre le Nord et le Sud du monde...; dans le domaine ecclésial, une écoute plus attentive de la voix de l'Esprit par l'accueil des charismes et la promotion du laïcat, le dévouement ardent à la cause de l'unité de tous les chrétiens, l'importance accordée au dialogue avec les religions et avec la culture contemporaine...
47 La réflexion des fidèles au cours de la deuxième année préparatoire devra porter avec une attention particulière sur la valeur de l'unité à l'intérieur de l'Église, ce à quoi tendent les différents dons et charismes suscités en elle par l'Esprit. A ce sujet, il sera opportun d'approfondir l'enseignement ecclésiologique du Concile Vatican II, exprimé surtout dans la constitution dogmatique Lumen gentium. Ce document important a expressément souligné que l'unité du Corps du Christ est fondée sur l'action de l'Esprit, elle est garantie par le ministère apostolique et soutenue par l'amour mutuel (cf. 1Co 13,1-8) . Cet approfondissement catéchétique de la foi ne pourra qu'amener les membres du peuple de Dieu à une conscience plus mûre de leurs responsabilités, ainsi qu'à un sens plus vif de la valeur de l'obéissance ecclésiale.(33)
(33) LG 37
48 Marie, qui conçut le Verbe incarné par l'Esprit Saint et qui se laissa ensuite conduire toute sa vie par l'action intérieure de l'Esprit, sera contemplée et imitée au cours de cette année surtout comme la femme fidèle à la voix de l'Esprit, la femme du silence et de l'écoute, la femme de l'espérance, qui sut accueillir comme Abraham la volonté de Dieu, " espérant contre toute espérance " (Rm 4,18) . Elle a porté à sa plénitude l'aspiration des pauvres du Seigneur, modèle rayonnant pour ceux qui mettent de tout coeur leur confiance dans les promesses de Dieu.
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