1964 Unitatis Redintegratio
PAUL, EVEQUE
SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU
EN UNION AVEC LES PERES DU SAINT CONCILE
POUR QUE LE SOUVENIR S'EN MAINTIENNE A JAMAIS
1 Promouvoir la restauration de l'unité entre tous les chrétiens est l'un des buts principaux du saint Concile oecuménique de Vatican II. Une seule et unique Eglise a été instituée par le Christ Seigneur. Et pourtant plusieurs communions chrétiennes se présentent aux hommes comme le véritable héritage de Jésus-Christ. Tous certes confessent qu'ils sont les disciples du Seigneur, mais ils ont des attitudes différentes. Ils suivent des chemins divers, comme si le Christ lui-même était partagé (1). Il est certain qu'une telle division s'oppose ouvertement à la volonté du Christ. Elle est pour le monde un objet de scandale et elle fait obstacle à la plus sainte des causes: la prédication de l'Evangile à toute créature.
Or, Le Maître des siècles, qui poursuit son dessein de grâce avec sagesse et patience à l'égard des pécheurs que nous sommes, a commencé en ces derniers temps de répandre plus abondamment dans les chrétiens divisés entre eux l'esprit de repentir et le désir de l'union. Très nombreux sont partout les hommes qui ont été touchés par cette grâce et, sous l'action de l'Esprit-Saint, est né un mouvement qui s'amplifie également de jour en jour chez nos frères séparés en vue de rétablir l'unité de tous les chrétiens.
A ce mouvement vers l'unité, qu'on appelle le mouvement oecuménique, prennent part ceux qui invoquent le Dieu Trinité et confessent Jésus pour Seigneur et Sauveur, non seulement pris un à un, mais aussi réunis en communautés dans lesquelles ils ont entendu l'Evangile et qu'ils appellent leur Eglise et l'Eglise de Dieu. Presque tous cependant, bien que de façon diverse, aspirent à une Eglise de Dieu, une et visible, vraiment universelle, envoyée au monde entier pour qu'il se convertisse à l'Evangile et qu'il soit ainsi sauvé pour la gloire de Dieu.
Voilà pourquoi le Concile, considérant avec joie tous ces faits, après avoir déclaré la doctrine relative à l'Eglise, pénétré du désir de rétablir l'unité entre tous les disciples du Christ, veut proposer à tous les catholiques les secours, les orientations et les moyens qui leur permettront à eux-mêmes de répondre à cet appel divin et à cette grâce.
(1) Cf. 1Co 1,13.
2 En ceci est apparue la charité de Dieu pour nous, que le Fils unique de Dieu a été envoyé au monde par le Père afin que, fait homme, il régénérât tout le genre humain, en le rachetant, et qu'il le rassemblât en un tout(2). C'est lui qui, avant de s'offrir sur l'autel de la croix comme hostie immaculée, adressa au Père cette prière pour ceux qui croiraient en lui: "Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi; qu'eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé" Jn 17,21. Et il institua dans son Eglise l'admirable sacrement de l'Eucharistie qui exprime et réalise l'unité de l'Eglise. A ses disciples il donna un nouveau commandement d'amour mutuel(3) et promit l'Esprit Paraclet(4) qui, Seigneur et vivificateur, resterait avec eux à jamais.
Elevé sur la croix, puis entré dans la gloire, le Seigneur Jésus répandit l'Esprit qu'il avait promis. Par lui, il appela et réunit dans l'unité de la foi, de l'espérance et de la charité, le peuple de la Nouvelle Alliance qui est l'Eglise, selon l'enseignement de l'Apôtre: "I n'y a qu'un Corps et qu'un Esprit, comme il n'y a qu'une espérance au terme de l'appel que vous avez reçu; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême" Ep 4,4-5. "Vous tous, en effet, baptisés dans la Christ, vous avez revêtu le Christ ... Vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus" Ga 3,27-28. L'Esprit-Saint qui habite dans les croyants, qui remplit et régit toute l'Eglise, réalise cette admirable communion des fidèles et les unit tous si intimement dans le Christ, qu'il est le principe de l'unité de l'Eglise. C'est lui qui réalise la diversité des grâces et des ministères (5), enrichissant de fonctions diverses l'Eglise de Jésus-Christ, "organisant ainsi les saints pour l'oeuvre du ministère, en vue de la construction du Corps du Christ" Ep 4,12.
Mais pour établir en tout lieu son Eglise sainte jusqu'à la consommation des siècles, le Christ confia au collège des Douze l'office d'enseigner, de régir et de sanctifier(6). Parmi eux, il choisit Pierre, sur lequel, après sa profession de foi, il décréta d'édifier son Eglise; il lui promit les clefs du royaume (7) et, après que l'apôtre lui eût donné l'attestation de son amour, il lui confia toutes les brebis pour les confirmer dans la foi(8) et pour les paître en unité parfaite(9), Jésus-Christ lui-même demeurant éternellement la suprême pierre angulaire(1O) et le Pasteur de nos âmes(11).
Au moyen de la fidèle prédication de l'Evangile, faite par les apôtres et par leurs successeurs, c'est-à-dire les évêques avec leur chef qui est le successeur de Pierre, par l'administration des sacrements et par le gouvernement dans l'amour, sous l'action du Saint-Esprit, Jésus-Christ veut que son peuple s'accroisse et il accomplit la communion en l'unité dans la profession d'une seule foi, dans la célébration commune du culte divin, dans la concorde fraternelle de la famille de Dieu.
Ainsi l'Eglise, seul troupeau de Dieu, comme un signe levé à la vue des nations(12), mettant au service de tout le genre humain l'Evangile de paix (13), accomplit dans l'espérance son pèlerinage vers le terme qu'est la patrie céleste(14).
Tel est le mystère sacré de l'unité de l'Eglise, dans le Christ et par le Christ, sous l'action de l'Esprit-Saint qui réalise la variété des ministères. De ce mystère, le modèle suprême et le principe est dans la trinité des personnes l'unité d'un seul Dieu Père, et Fils, en l'Esprit-Saint.
(2) Cf. Jn 4,9 Col 1,18-20 Jn 11,52. (3) Cf. Jn 13,34. (4) Cf. Jn 13,34. (5) Cf. 1Co 12,4-11. (6) Cf. Mt 28,18-20 Jn 20,21-23. (7) Cf. Mt 16,19 Mt 18,18. (8) Cf. Lc 22,32. (9) Cf. Jn 21,15-17. (10) Cf. Ep 2,20. (11) Cf. 1P 2,25. Conc. Vat.I, sess. 4, 1870, Constit. Pastor Aeternus: Coll. Lac. 7, 482 a. (12) Cf. Is 11,10-12. (13) Cf. Ep 2,17-18 Mc 16,15. (14) Cf. 1P 1,3-9.
3 Dans cette seule et unique Eglise de Dieu apparurent dès l'origine certaines scissions(15), que l'apôtre réprouve avec vigueur comme condamnables(16); au cours des siècles suivants naquirent des dissensions plus graves, et des communautés considérables furent séparées de la pleine communion de l'Eglise catholique, parfois par la faute des personnes de l'une ou de l'autre partie. Ceux qui naissent aujourd'hui dans de telles communautés et qui vivent de la foi au Christ, ne peuvent être accusés de péché de division, et l'Eglise catholique les entoure de respect fraternel et de charité. En effet, ceux qui croient au Christ et qui ont reçu validement le baptême, se trouvent dans une certaine communion, bien qu'imparfaite, avec l'Eglise catholique. Assurément, des divergences variées entre eux et l'Eglise catholique sur des questions doctrinales, parfois disciplinaires, ou sur la structure de l'Eglise, constituent nombre d'obstacles, parfois fort graves, à la pleine communion ecclésiale. Le mouvement oecuménique tend à les surmonter. Néanmoins, justifiés par la foi reçue au baptême, incorporés au Christ(17), ils portent à juste titre le nom de chrétiens, et les fils de l'Eglise catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères dans le Seigneur(18).
Au surplus, parmi les éléments ou les biens par l'ensemble desquels l'Eglise se construit et est vivifiée, plusieurs et même beaucoup, et de grande valeur, peuvent exister en dehors des limites visibles de l'Eglise catholique: la parole de Dieu écrite, la vie de la grâce, la foi, l'espérance et la charité, d'autres dons intérieurs du Saint-Esprit et d'autres éléments visibles. Tout cela, qui provient du Christ et conduit à lui, appartient de droit à l'unique Eglise du Christ.
De même, chez nos frères séparés s'accomplissent beaucoup d'actions sacrées de la religion chrétienne qui, de manières différentes selon la situation diverse de chaque Eglise ou communauté, peuvent certainement produire effectivement la vie de la grâce, et l'on doit reconnaître qu'elles donnent accès à la communion du salut.
En conséquence, ces Eglises(19) et communautés séparées, bien que nous les croyions souffrir de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L'Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d'elles comme de moyens de salut, dont la force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l'Eglise catholique.
Cependant nos frères séparés, soit eux- mêmes individuellement, soit leurs communautés ou leurs Eglises, ne jouissent pas de cette unité que Jésus Christ a voulu dispenser à tous ceux qu'il a régénérés et vivifiés pour former un seul corps en vue d'une vie nouvelle, et qui est attestée par l'Ecriture Sainte et la vénérable Tradition de l'Eglise.
C'est, en effet, par la seule Eglise catholique du Christ, laquelle est le "moyen général de salut", que peut s'obtenir toute plénitude des moyens de salut. Car c'est au seul collège apostolique, dont Pierre est le Chef, que furent confiées, selon notre foi, toutes les richesses de la Nouvelle Alliance, afin de constituer sur la terre un seul Corps du Christ auquel il faut que soient pleinement incorporés tous ceux qui, d'une certaine façon, appartiennent déjà au peuple de Dieu. Durant son pèlerinage terrestre, ce peuple, bien qu'il demeure en ses membres exposé au péché, continue sa croissance dans le Christ, suavement guidé par Dieu selon ses mystérieux desseins, jusqu'à ce que, dans la Jérusalem céleste, il atteigne joyeux la totale plénitude de la gloire éternelle.
(15) cf. 1Co 11,18-19 Ga 1,6-9 1Jn 2,18-19. (16) cf. 1Co 1,11 1Co 11,22. (17) cf. Conc. Flor. sess. 8 (1439), decretum exultate Deo: Mansi 31, 1055 A (18) cf. St Augustin, in Ps. 32, Enarr.II, 29: PL 36, 299. (19) cf. Conc. Late. IV (1215) Constit. IVa; Mansi 22, 990. Conc. Lugd. II (1274)Profession de foi Michel Palaeologi: Mansi 24, 71 E. Conc. Flor. sess. 6 (1439), définition Laetentur caeli: Mansi 31, 1026 E.
4 Etant donné qu'aujourd'hui, en diverses parties du monde, sous le souffle de la grâce de l'Esprit-Saint, beaucoup d'efforts s'accomplissent par la prière, la parole et l'action pour arriver à la perfection de l'unité voulue par Jésus Christ, le Concile exhorte tous les fidèles catholiques à reconnaître les signes des temps et à prendre une part active à l'effort oecuménique.
Par "mouvement oecuménique", on entend les entreprises et les initiatives provoquées et organisées en faveur de l'unité des chrétiens, selon les nécessités variées de l'Eglise et selon les circonstances. Ainsi, en premier lieu, tout effort accompli pour éliminer les paroles, les jugements et les faits qui ne correspondent ni en justice ni en vérité à la situation des frères séparés et contribuent ainsi à rendre plus difficiles les relations avec eux. Ensuite, au cours de réunions de chrétiens de diverses Eglises ou communautés, organisées dans un esprit religieux, le "dialogue" mené par des experts bien informés, où chacun explique à fond la doctrine de sa communion. De la même manière, ces communions viennent à collaborer plus largement à toutes sortes d'entreprises qui, répondant aux exigences de toute conscience chrétienne, contribuent au bien commun. On peut aussi, à l'occasion, se réunir pour une prière unanime. Enfin tous examinent leur fidélité à la volonté du Christ par rapport à l'Eglise, et entreprennent, comme il le faut, un effort soutenu de rénovation et de réforme.
Tout cela, s'il est accompli avec prudence et patience par les fidèles de l'Eglise catholique sous la vigilance de leurs pasteurs, contribue au progrès de la justice et de la vérité, de la concorde et de la collaboration, de l'amour fraternel et de l'union. Par cette voie, peu à peu, après avoir surmonté les obstacles qui empêchent la parfaite communion ecclésiale, se trouveront rassemblés par une célébration eucharistique unique, dans l'unité d'une seule et unique Eglise, tous les chrétiens. Cette unité, le Christ l'a accordée à son Eglise dès le commencement. Nous croyons qu'elle subsiste de façon inamissible dans l'Eglise catholique et nous espérons qu'elle s'accroîtra de jour en jour jusqu'à la consommation des siècles.
Il est évident que l'oeuvre de préparation et de réconciliation des personnes individuelles qui désirent la pleine communion avec l'Eglise catholique, se distingue, par sa nature, de l'initiative oecuménique; mais il n'y a, entre elles, aucune opposition, puisque l'une et l'autre procèdent d'une disposition admirable de Dieu.
Dans l'action oecuménique, les fidèles de l'Eglise catholique, sans hésitation, se montreront pleins de sollicitude pour leurs frères séparés; ils prieront pour eux, parleront avec eux des choses de l'Eglise, feront vers eux les premiers pas. Ils considéreront surtout avec loyauté et attention tout ce qui, dans la famille catholique elle-même, a besoin d'être rénové et d'être réalisé, de telle manière que sa vie rende un témoignage plus fidèle et plus manifeste de la doctrine et des institutions que le Christ a transmises par ses apôtres.
En effet, bien que l'Eglise catholique ait été enrichie de la vérité révélée par Dieu ainsi que de tous les moyens de grâces, néanmoins ses membres n'en vivent pas avec toute la ferveur qui conviendrait. Il en résulte que le visage de l'Eglise resplendit moins aux yeux de nos frères séparés ainsi que du monde entier, et la croissance du royaume de Dieu est entravée. C'est pourquoi tous les catholiques doivent tendre à la perfection chrétienne (2O); ils doivent, chacun dans sa sphère, s'efforcer de faire en sorte que l'Eglise, portant dans son corps l'humilité et la mortification de Jésus(21), se purifie et se renouvelle de jour en jour, jusqu'à ce que le Christ se la présente à lui-même, glorieuse, sans tache ni ride(22).
Conservant l'unité dans ce qui est nécessaire, que tous, dans l'Eglise, chacun selon la fonction qui lui est départie, gardent la liberté que de droit, qu'il s'agisse des formes diverses de la vie spirituelle et de la discipline, de la variété des rites liturgiques, et même de l'élaboration théologique de la vérité révélée; et qu'en tout ils pratiquent la charité. De la sorte, ils manifesteront toujours plus pleinement la véritable catholicité et apostolicité de l'Eglise.
D'un autre côté, il est nécessaire que les catholiques reconnaissent avec joie et apprécient les valeurs réellement chrétiennes qui ont leur source au commun patrimoine et qui se trouvent chez nos frères séparés. Il est juste et salutaire de reconnaître les richesses du Christ et sa puissance agissante dans la vie de ceux qui témoignent pour le Christ parfois jusqu'à l'effusion du sang car, Dieu est toujours admirable et doit être admiré dans ses oeuvres.
Il ne faut pas non plus oublier que tout ce qui est accompli par la grâce de l'Esprit-Saint dans nos frères séparés peut contribuer à notre édification. Rien de ce qui est réellement chrétien ne s'oppose jamais aux vraies valeurs de la foi, mais tout cela peut contribuer à faire atteindre toujours plus parfaitement au mystère du Christ et de l'Eglise.
Pourtant les divisions entre chrétiens empêchent l'Eglise de réaliser la plénitude de la catholicité dans la réalité même de la vie.
Le Concile constate avec joie l'accroissement de la participation des fidèles catholiques à la tâche oecuménique. Il confie celle-ci aux évêques de toute la terre pour qu'ils veillent à la promouvoir et qu'ils l'orientent avec discernement.
(20) cf. Jc 1,4 Rm 12,1-2. (21) cf. 2Co 4,10 Ph 2,5-8. (22) cf. Ep 5,27.
5 Le souci de réaliser l'union concerne l'Eglise tout entière, fidèles autant que pasteurs, et touche chacun selon ses possibilités, aussi bien dans la vie quotidienne que dans les recherches théologiques et historiques. Un souci de cette sorte manifeste déjà, d'une certaine façon, la liaison fraternelle qui existe entre les chrétiens et conduit vers l'unité pleine et parfaite, selon la bienveillance de Dieu.
6 Toute rénovation de l'Eglise (23) consistant essentiellement dans une fidélité plus grande à sa vocation, c'est dans cette rénovation que se trouve certainement le ressort du mouvement vers l'unité. L'Eglise, au cours de son pèlerinage, est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a perpétuellement besoin en tant qu'institution humaine et terrestre. Si donc, par suite des circonstances, en matière morale, dans la discipline ecclésiastique, ou même dans la formulation de la doctrine, qu'il faut distinguer avec soin du dépôt de la foi, il est arrivé que, sur certains points, on se soit montré trop peu attentif, il faut y remédier en temps opportun d'une façon appropriée.
(23) Cf. Conc. Latran V, sess. 12 (1517), Const. Constituti: Mansi 32,988 BC.
Cette rénovation a donc une insigne valeur oecuménique. Les différentes formes de vie de l'Eglise selon lesquelles s'accomplit la rénovation en cause (mouvement biblique et liturgique, prédication de la parole de Dieu, catéchèse, apostolat des laïcs, nouvelles formes de la vie religieuse, spiritualité du mariage, doctrine et activité de l'Eglise en matière sociale) sont à considérer comme autant de gages et de signes qui annoncent favorablement les futurs progrès de l'oecuménisme.
7 Il n'y a pas de véritable oecuménisme sans conversion intérieure. En effet, c'est du renouveau de l'âme (24), du renoncement à soi-même et d'une libre effusion de charité que partent et mûrissent les désirs de l'unité. Il nous faut par conséquent demander à l'Esprit-Saint la grâce d'une abnégation sincère, celle de l'humilité et de la douceur dans le service, d'une fraternelle générosité à l'égard des autres. "Je vous conjure, dit l'Apôtre des nations, moi qui suis enchaîné dans le Seigneur, de marcher de façon digne de la vocation qui vous a été départie, en toute humilité et douceur, vous supportant les uns les autres avec patience et charité, attentifs à conserver l'unité de l'Esprit par le lien de la paix" Ep 4,1-3. Cette exhortation s'adresse surtout à ceux qui ont été élevés à un ordre sacré dans le dessein de continuer la mission du Christ venu parmi nous "non pour être servi, mais pour servir" Mt 20,28.
Aux fautes contre l'unité peut aussi s'appliquer le témoignage de saint Jean: "Si nous disons que nous n'avons pas péché, nous faisons de Dieu un menteur et sa parole n'est pas en nous" 1Jn 1,10. Par une humble prière, nous devons donc demander pardon à Dieu et aux frères séparés, de même que nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.
Que les fidèles se souviennent tous qu'ils favoriseront l'union des chrétiens, bien plus, qu'ils la réaliseront, dans la mesure où ils s'appliqueront à vivre plus purement selon l'Evangile. Plus étroite, en effet, sera leur communion avec le Père, le Verbe et l'Esprit-Saint, plus ils pourront rendre intime et facile la fraternité mutuelle.
(24) Cf. Ep 4,23.
8 Cette conversion du coeur et cette sainteté de vie, unies aux prières publiques et privées pour l'unité des chrétiens, doivent être regardées comme l'âme de tout l'oecuménisme et peuvent à bon droit être appelées oecuménisme spirituel.
C'est un usage cher aux catholiques que de se réunir souvent pour renouveler la prière demandant l'unité de l'Eglise, celle que le Sauveur lui même, la veille de sa mort, a élevée de façon suppliante vers son Père: "Qu'ils soient tous un" Jn 17,21.
En certaines circonstances particulières, par exemple lors des prières prévues "pour l'unité", et dans les réunions oecuméniques, il est permis, bien plus, il est souhaitable, que les catholiques s'associent pour prier avec les frères séparés. De telles supplications communes sont assurément un moyen efficace de demander la grâce de l'unité, et elles constituent une expression authentique des liens par lesquels les catholiques demeurent unis avec les frères séparés: "Là, en effet, où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux" Mt 18,20.
Cependant, il n'est pas permis de considérer la communicatio in sacris comme un moyen à employer sans discernement pour rétablir l'unité des chrétiens. Deux principes règlent principalement cette communicatio: exprimer l'unité de l'Eglise; faire participer aux moyens de grâce. Elle est, la plupart du temps, empêchée du point de vue de l'expression de l'unité; la grâce à procurer la recommande quelquefois. Sur la façon pratique d'agir, eu égard aux circonstances de temps, de lieux et de personnes, c'est l'autorité épiscopale locale qui doit prudemment donner des instructions, à moins qu'il n'y ait eu d'autres dispositions de la Conférence épiscopale, selon ses propres statuts, ou du Saint-Siège.
9 Il faut donc connaître l'état d'esprit des frères séparés. Pour cela, une étude est nécessaire, et il faut la mener avec loyauté et bienveillance. Il est nécessaire que des catholiques bien préparés acquièrent une meilleure connaissance de la doctrine et de l'histoire, de la vie spirituelle et cultuelle, de la mentalité religieuse et de la culture propre à leurs frères (séparés). Peuvent y contribuer beaucoup de réunions mixtes, où, d'égal à égal, on traite en particulier de questions théologiques, pourvu que ceux qui y prennent part, sous la vigilance des évêques, soient vraiment compétents. De ce genre de dialogue ressort plus clairement aussi la vraie position de l'Eglise catholique. De cette manière, on connaîtra mieux la pensée des frères séparés, et notre foi leur sera présentée de façon plus convenable.
10 La théologie et les autres disciplines, surtout l'histoire, doivent être enseignées aussi dans un sens oecuménique, pour mieux répondre à la réalité.
Il est, en effet, très important que les futurs pasteurs et les prêtres possèdent la théologie ainsi exactement élaborée, et non pas en termes de polémique, surtout pour les questions concernant les relations des frères séparés avec l'Eglise catholique.
Car c'est de la formation des prêtres que dépendent surtout la nécessaire éducation et la formation spirituelle des fidèles et des religieux.
De même les catholiques missionnaires travaillent dans les mêmes pays que d'autres chrétiens doivent connaître, surtout aujourd'hui, les questions que pose l'oecuménisme à leur apostolat et les résultats qu'il obtient.
11 La méthode et la manière d'exprimer la foi catholique ne doivent nullement faire obstacle au dialogue avec les frères. Il faut absolument exposer clairement la doctrine intégrale. Rien n'est plus étranger à l'oecuménisme que ce faux irénisme, qui altère la pureté de la doctrine catholique et obscurcit son sens authentique et incontestable.
En même temps, il faut expliquer la foi catholique de façon plus profonde et plus droite, utilisant une manière de parler et un langage qui soient facilement accessibles même aux frères séparés.
En outre, dans le dialogue oecuménique, les théologiens catholiques, fidèles à la doctrine de l'Eglise, en conduisant en union avec les frères séparés leurs recherches sur les divins mystères, doivent procéder avec amour de la vérité, charité et humilité. En exposant la doctrine, ils se rappelleront qu'il y a un ordre ou une "hiérarchie" des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec les fondements de la foi chrétienne. Ainsi sera tracée la voie qui les incitera tous, par cette émulation fraternelle, à une connaissance plus profonde et une manifestation plus évidente des insondables richesses du Christ (25).
(25) Cf. Ep 3,8.
12 Que tous les chrétiens, face à l'ensemble des nations, confessent leur foi en Dieu un et trine, en le Fils de Dieu incarné, notre Rédempteur et Seigneur, et par un commun effort, dans une estime mutuelle, qu'ils rendent témoignage à notre espérance, qui ne sera pas confondue. Aujourd'hui qu'une très large collaboration s'est instaurée dans le domaine social, tous les hommes sans exception sont appelés à cette oeuvre commune, mais surtout ceux qui croient en Dieu, et, en tout premier lieu, tous les chrétiens, à cause même du nom du Christ dont ils sont ornés. La collaboration de tous les chrétiens exprime vivement l'union déjà existante entre eux, et elle met en plus lumineuse évidence le visage du Christ serviteur. Cette collaboration, déjà établie en beaucoup de pays, doit être sans cesse accentuée, là surtout où l'évolution sociale ou technique est en cours, soit en faisant estimer à sa valeur la personne humaine, soit en travaillant à promouvoir la paix, soit en poursuivant l'application sociale de l'Evangile, ou par le développement des sciences et des arts dans une atmosphère chrétienne, ou encore par l'apport de remèdes de toutes sortes contre les misères de notre temps, telles la faim et les calamités, l'ignorance et la pauvreté, la crise du logement et l'inégale distribution des richesses. Par cette collaboration tous ceux qui croient au Christ peuvent facilement apprendre comment on peut mieux se connaître les uns les autres, s'estimer davantage et préparer la voie à l'unité des chrétiens.
13 Nous examinons maintenant deux sortes de scissions principales, qui ont affecté la tunique sans couture du Christ.
Les premières eurent lieu en Orient, soit par la contestation des formules dogmatiques des Conciles d'Ephèse et de Chalcédoine, soit, plus tard, par la rupture de la communion ecclésiastique entre les patriarcats orientaux et le Siège romain.
D'autres ensuite, après plus de quatre siècles, se produisirent en Occident, en conséquence d'événements que l'on a coutume d'appeler la Réforme. Il en résulta que plusieurs Communion, soit nationales, soit confessionnelles, furent séparées du Siège romain. Parmi celles qui gardent en partie les traditions et les structures catholiques, la Communion anglicane occupe une place particulière.
Mais des diverses séparations diffèrent beaucoup entre elles, non seulement en raison de leur origine et des circonstances de lieu et de temps, mais surtout par la nature et la gravité des questions concernant la foi et la structure ecclésiale.
C'est pourquoi le Concile, désireux de ne pas sous-estimer les conditions diverses des différentes sociétés chrétiennes et de ne pas passer sous silence les liens qui subsistent entre elles malgré la division, juge opportun de présenter les considérations suivantes, afin de procéder à une action oecuménique menée avec discernement.
14 Pendant plusieurs siècles, les Eglises d'Orient et d'Occident suivirent chacune leur propre voie, unies cependant par la communion fraternelle dans la foi et la vie sacramentelle, le Siège romain intervenant dans un commun accord, lorsque surgissaient entre elles des différends en matière de foi ou de discipline. Le Concile se plaît à rappeler à tous, entre autres choses d'importance, qu'il y a en Orient plusieurs Eglises particulières ou locales, au premier rang desquelles sont les Eglises patriarcales dont plusieurs se glorifient d'avoir été fondées par les apôtres eux- mêmes. C'est pourquoi prévalut et prévaut encore, parmi les Orientaux, le soin particulier de conserver dans une communion de foi et de charité les relations fraternelles qui doivent exister entre les Eglises locales, comme entre des soeurs.
Il ne faut pas non plus oublier que les Eglise d'Orient possèdent depuis leur origine un trésor auquel l'Eglise d'Occident a puisé beaucoup d'éléments de la liturgie, de la tradition spirituelle et du droit. On doit aussi estimer à sa juste valeur le fait que les dogmes fondamentaux de la foi chrétienne sur la Trinité, le Verbe de Dieu, qui a pris chair de la Vierge Marie, ont été définis dans les Conciles oecuméniques tenus en Orient. Pour conserver la foi ces Eglises ont beaucoup souffert et souffrent encore.
L'héritage transmis par les apôtres a été reçu de manières diverses et, depuis les origines mêmes de l'Eglise, il a été expliqué de façon différente selon la diversité du génie et les conditions d'existence. Ce sont toutes ces raisons, sans parler des motifs d'ordre extérieur, par suite encore du manque de compréhension mutuelle et de charité, qui donnèrent occasion aux séparations.
C'est pourquoi le Concile exhorte tout le monde, mais surtout ceux qui se proposent de travailler à l'établissement de la pleine communion souhaitée entre les Eglises orientales et l'Eglise catholique, à bien considérer cette condition particulière des Eglises d'Orient, à l'époque de leur naissance et de leur croissance, et la nature des relations qui étaient en vigueur entre elles et le Siège romain avant la scission, et à se former sur tous ces points un jugement équitable. Cette règle, bien observée, sera extrêmement profitable pour le dialogue que l'on recherche.
15 Chacun sait avec quel amour les chrétiens orientaux célèbrent la sainte liturgie, surtout l'Eucharistie, source de vie pour l'Eglise et gage de la gloire céleste. Par là, les fidèles, unis à l'(évêque, trouvent accès auprès de Dieu le Père par son Fils, Verbe incarné, mort et glorifié, dans l'effusion de l'Esprit- Saint. Ils entrent de la sorte en communion avec la Très Sainte Trinité et deviennent "participants de la nature divine" 2P 1,4. Ainsi donc, par la célébration de l'Eucharistie du Seigneur dans ces Eglises particulières, l'Eglise de Dieu s'édifie et grandit (26), la communion entre elles se manifestant par la concélébration.
Dans ce culte liturgique, Marie toujours Vierge, que le Concile oecuménique d'Ephèse proclama solennellement Très Sainte Mère de Dieu, pour que le Christ fût reconnu vraiment et proprement Fils de Dieu et Fils de l'Homme, selon les Ecritures, est célébrée par les Orientaux en des hymnes magnifiques; pareillement beaucoup de saints, au nombre desquels les Pères de l'Eglise universelle, reçoivent de grands hommages.
Puisque ces Eglises, bien que séparées, ont de vrais sacrements, -principalement, en vertu de la succession apostolique: le sacerdoce et l'Eucharistie, - qui les unissent intimement à nous, une certaine communicatio in sacris, dans des circonstances, est non seulement possible, mais même recommandable.
En Orient, aussi, on trouve les richesses de ces traditions spirituelles, qui s'expriment surtout par le monachisme. Là, depuis le temps glorieux des saints Pères, en effet, a fleuri la spiritualité monastique, qui s'est répandue ensuite en Occident, devenant pour ainsi dire la source de l'organisation de la vie régulière des Latins et lui conférant par la suite une nouvelle vigueur. C'est pourquoi il est instamment recommandé aux catholiques d'accéder plus fréquemment à ces richesses spirituelles des Pères orientaux, qui élèvent l'homme tout entier à la contemplation des mystères divins.
Tout le monde doit savoir qu'il est très important de connaître, vénérer, conserver, développer, le si riche patrimoine liturgique et spirituel de l'Orient pour conserver fidèlement la plénitude de la tradition chrétienne et pour réaliser la réconciliation des chrétiens orientaux et occidentaux.
(26) Cf. Jn Chrysostome, in Jn homélie 46: PG 59, 260-262.
1964 Unitatis Redintegratio